le véd. sphíj- doit indirectement reposer sur un dérivé athématique *spʰh1-k- alternant
avec une forme *spʰh1-ék- (ir. com. *faǰ-5). Le nom védique de la « fesse » résulte d’une
spécialisation secondaire d’un nom du « gonflement » (cf. gr. γλουτός « fesse » vs slov. glta
« bosse, tumeur, grosseur »). Les faits iraniens interdisent donc de poser un étymon i.-e.
†spʰh1-i-K-i- « fesse, anus » (pace KATZ 2006 : 1576), car on attendrait une métathèse du type
de véd. sphītí- (< *spʰih1-tí- < *spʰh1-i-tí-). Il y a un dérivé *spʰeh1-k-ó-s « gras, prospère »
(lett. spḕks et véd. pīva-sphāká- « gonflé de graisse »). Il est possible de partir d’un dérivé
d’appartenance à vṛddhi de forme *spʰeh1-k-ó- formé sur un nom-racine élargi en vélaire
*spʰh1-k- « gras » (d’où « fesse, hanche »). Plus loin, le v.-sl. spěxŭ « hâte, zèle » repose sur
une variante expressive en *-kʰo-.7 Il faut partir du sens slave de ‘réussir, se développer,
progresser’, ainsi le v.-sl. spěti « progresser »8 (< i.-e. *spʰeh1- « être gras, épais, prospère »).
C’est un substantif, alors que le lett. spḕks et le véd. pīva-sphāká- sont des adjectifs. En post-
indo-européen, on pourrait poser un étymon dialectal *spʰē-kʰ-o- « prospérité, croissance »,
du même type que le skr. dhāka- m. « coffre » (mot de glossaire). Le gr. θήκη f. « coffre,
cercueil » représente le doublet féminin d’une telle formation. La divergence-même de ces
formes est le plus sûr témoin de leur commune origine : il doit avoir existé pour la racine
*spʰeh1- « être gavé, engraisser, prospérer » une formation archaïque de dérivés athématiques
en dorsale sourde *-k- régie par un type flexionnel alternant.
Tous ces faits permettent de poser un ancien paradigme neutre amphikinétique de
structure *spʰéh1-k (locatif *spʰh1-ék[i]?), alternant avec un instrumental pluriel de forme
*spʰh1-g-bʰí-s. La situation rappellerait fort celle des neutres protérokinétiques en *-s du type
*érH-s « largeur » (antérieur au type *érH-e/os > véd. váras-) assorti d’un locatif
5 Le khotanais phasjai « croupe » reflète un ir. com. *faǰā-. La sonore est paradigmatique, et s’explique sans
doute, comme en indo-aryen, par l’allomorphe *-g- réalisé devant les désinences pada.
6 L’auteur veut à toute force rapprocher le gr. *φίκιον « anus » du thème φῑκ- qui représente l’ancienne forme du
nom du « sphinx » (noter le béot. Φῖκ(α) chez Hés., Théog. 326), évidemment remotivée en synchronie par tout
le groupe de σφίγγω « étrangler ». Il faudrait alors tirer le nom du Σφίγξ de la cassure d’un composé
oxymorique, tel que véd. *upaspíj- (KATZ 2006 : 175) qui semble avoir désigné une question-piège
(littéralement, l’hapax véd. upaspíjam (acc. sg.) serait à comprendre comme un « devant-derrière », composé
formé de upás- « giron » et de *sp(h)íj- « fesse, hanche »). Malheureusement, l’auteur est forcé de conclure que
« of course, the Greek creature is not a hyposphinx » (ibid.). L’auteur (loc. cit. : 176) évoque à bon droit
l’ascendance du Sphinx : sa mère, la Chimère (Χίµαιρα), sa grand-mère l’Hydre Ὕδρᾱ) et son arrière grand-
mère Echidna (Ἔχιδνᾰ). Tous ces termes sont des anciens noms-d’animaux, clairement identifiables en
synchronie et tous d’ascendance indo-européenne (respectivement : chèvre, hydre et vipère). Il n’est donc pas
exclus que le nom du « sphinx » (perçu comme « étranglant ses victimes ») ait au départ lui-aussi reposé sur un
nom d’animal réel : la forme φῑκ- qui semble originelle peut s’expliquer par un étymon i.-e. *bʰih2-k- alternant
avec un degré *o dans le lat. fūcus m. « bourdon » (< *bʰo-k-ó- « abeille, taon »). Voir en ce sens FRUYT
(1986 : 224). Il est possible de poser un étymon i.-e. *bʰó(h2)-k- « déchirure, piqûre » avec application de la loi
de Saussure). Le degré zéro *bʰik- (v.-sl. bĭčela f. « abeille ») serait analogique du degré fléchi *bʰó-k- avec qui
il devait alterner au cours de la flexion. Le gr. φῑκ- reféterait en ce cas le véritable degré zéro. La situation
rappelle fort le type *ἄϝολκα « sillon » alternant avec αὔλᾰκος selon SCHINDLER (1972 : 34).
7 Ainsi MEILLET (1905 : 361). Pour l’alternance *-ko- et *-kʰo-, consulter MEILLET (1936 : 36), avec la variante
du nom iranien de la « sauterelle » (mada-ka-, mada-xa-).
8 Noter l’emploi de l’instrumental en Luc 2, 52, Isusŭ že spěaše prěmǫdrostijǫ i tělomĭ (manuscrit Zographensis)
« Quant à Jésus, il croissait en sagesse et en taille ».