ACTUASSURANCE – LA REVUE NUMERIQUE EN DROIT DES ASSURANCES
Cass. 3e civ., 16 mars 2011
N° de pourvoi: 10-14373,
Non publié au bulletin
Contrat d’assurance - Qualification de clauses :
1°) Clause plaçant hors du champ de la garantie « les dommages matériels ou immatériels résultant de
l’inexécution des obligations de faire ou de délivrance de l’assuré » : Clause de détermination de
l’étendue de la garantie – Non application de l’article L. 113-1, al.1er, du code des assurances.
2°) Clause excluant les frais afférents aux dommages subis par les produits livrés, ou les travaux
exécutés - Caractère limité - Clause ne vidant pas le contrat de sa substance.
La clause figurant à l’article 5-10 du contrat « Multipro », qui place hors du champ de la
garantie « les dommages matériels ou immatériels résultant de l’inexécution des obligations de
faire ou de délivrance de l’assuré » détermine l’étendue de la garantie et échappe aux exigences
de l’article L. 113-1, alinéa 1er, du Code des assurances.
La clause d’exclusion figurant à l’article 5-14 du même contrat qui excluait seulement les frais
afférents aux dommages subis par les produits livrés, ou les travaux exécutés et laissait dans le
champ de la garantie les dommages corporels, matériels ou immatériels dont le fait générateur
est constitué par les malfaçons, ne vidait pas le contrat de sa substance.
L’assureur ne souhaite généralement pas couvrir ce qu’il appelle le « risque d’entreprise » par les
assurances responsabilité civile. Celui-ci peut se définir comme l’activité normale de l’entreprise
qui, en théorie, est assurable mais que l’assureur n’entend pas nécessairement couvrir. Pour ce
faire, il utilise différentes clauses dont les interprétations ont été précisées par la deuxième
chambre civile. En l’espèce, la troisième Chambre civile les fait sienne, même si certaines sont
critiquables comme celle concernant la qualification de la clause selon laquelle, « les dommages
matériels ou immatériels résultant de l'inexécution des obligations de faire ou de délivrance de
l'assuré », ne sont pas couverts.
Une telle clause se comprend car l’assureur n’entend pas se substituer à l’assuré qui n’a pas
exécuté ses obligations contractuelles. On retrouve bien ici, implicitement, le risque d’entreprise.
Reste que l’exclusion, si elle se conçoit, doit être précise (formelle et limitée selon l’article L.
113-1 du Code des assurances) et le critère de l'inexécution des obligations de faire ou de
Publication n°20 Mars Avril 2011
délivrance apparaît bien trop flou.
Sans surprise, la première chambre civile réputait donc cette clause d’exclusion non écrite car
non formelle et limitée (Civ. 1re 14 nov. 2001, RGDA 2002, p.194 note L. Mayaux).
La deuxième chambre civile a retenu une approche différente en estimant qu’il ne s’agissait pas
d’une clause d’exclusion mais d’une clause déterminant l’étendue de la garantie (Civ. 2ième 18
mars 2004, RGDA 2004, p. 356, note L. Mayaux, Resp. civ. et assur. 2004, n°198).
Entre ces deux conceptions, la troisième chambre civile s’est rangée à celle de la deuxième
chambre.
Pour autant, une telle interprétation ne manque pas de surprendre car la clause apparaît bien
comme une exclusion dès lors qu’il s’agit de retrancher un dommage du risque assurable. En
effet, « placer hors du champ de la garantie » certaines catégories de dommages est bien la
marque d’une restriction et non d’une détermination de l’étendue de la garantie (en ce sens L.
Mayaux, note précit.). Cette qualification sert bien évidemment l’assureur, puisque la clause n’a
plus à être formelle et limitée.
Concernant ensuite la clause d’exclusion des dommages subis par le produit livré, si la
qualification d’exclusion n’a jamais fait de doute, en revanche, une telle clause a pendant
longtemps été considérée comme non limitée, c’est-à-dire comme vidant la garantie de sa
substance (Cass. 1re civ., 23 juin 1987, n°85-17010, RGAT 1987, p. 364, note R. Bout). Une telle
condamnation était critiquée par un bon nombre d’auteurs, qui faisaient valoir que l’assurance
responsabilité civile avait pour objet de garantir les dommages causés par le produit livré mais en
aucun cas ceux subis par le produit livré. Malgré cette restriction, restaient garantis les dommages
causés par le produit à la victime ou à son environnement, ce qui en faisait pour le moins une
garantie conséquente. Mais le dommage subi par le produit livré devait être considéré comme un
risque d’entreprise, et donc personnellement assumé par l’entreprise ou assuré par une autre
garantie (assurance bonne tenue du produit par exemple).
La question de la validité de cette clause est aujourd’hui réglée depuis l’arrêt de la Première
chambre civile du 28 janvier 1993 qui a considéré que cette clause d’exclusion était bien formelle
et limitée et ne vidait pas le contrat de sa substance (Bull. civ., 1993, I, n°150, Resp. civ. et assur.
1993, chron. 9 par H. Groutel, jurisprudence constante : Cass. 1re civ., 27 févr. 2001, n°98-
19515 ; Cass. 2e civ., 13 janv. 2005, n°03-18645 et 03-20355 ; Civ. 2e, 9 avril 200908-12.938
RGDA 2009, p.880, note A. Astegiano-La Rizza contra arrêt isolé : Cass. 2e civ., 2 octobre 2008,
n°07-11.331, Resp. civ. et assur. 2009, comm. n°30, obs. H. Groutel RGDA 2009, p.117).
Logiquement (et heureusement), c’est cette position qui est reprise en l’espèce.
A. Astegiano-La Rizza
L’arrêt :
Attendu, selon l’arrêt attaqué(Chambéry 5 janvier 2010), que la société civile immobilière
Floralis (société Floralis) a confié à la société Chalets tradition, depuis en liquidation judiciaire,
assurée auprès de la société MAAF par une police garantie décennale et une police responsabilité
civile professionnelle “Multipro” la modification et l’extension d’un chalet à Chamonix ; que la
réception a été prononcée avec des réserves ; qu’invoquant des malfaçons, des non finitions et
des retards d’exécution, la société Floralis a assigné en responsabilité et indemnisation de ses
préjudices la société Chalets tradition et son assureur ;
Sur le second moyen relatif à la police responsabilité civile :
Attendu que la société Floralis fait grief à l’arrêt de la débouter de sa demande à l’encontre de la
MAAF, alors, selon le moyen :
1°/ que l’article 5-10 des conventions spéciales 5 du contrat d’assurance responsabilité civile
exclut de la garantie «les dommages matériels ou immatériels résultant de l’inexécution de vos
obligations de faire ou de délivrance, y compris les pénalités de retard» ; que cette clause
d’exclusion n’est pas formelle et limitée ; qu’en se prononçant de la sorte, la cour d’appel a violé
l’article L. 113-1 du code des assurances ;
2°/ que l’article 5-14 des conventions spéciales 5 du contrat d’assurance responsabilité civile
exclut de la garantie «les frais constitués par le remplacement, la remise en état ou le
remboursement de la partie des biens livrés ou des travaux exécutés, cause ou origine du
dommage, ainsi que les dommages immatériels en découlant» ; que cette clause d’exclusion n’est
pas formelle et limitée ; qu’en se prononçant de la sorte, la cour d’appel a violé l’article L. 113-1
du code des assurances ;
3°/ qu’à supposer qu’en énonçant que «cette (double) exclusion de garantie ne vide pas le contrat
de toute substance puisqu’elle laisse dans le champ de la garantie les dommages corporels,
matériels ou immatériels, dont le fait générateur est constitué par les malfaçons», la cour d’appel
ait entendu retenir qu’elle laissait dans le champ de la garantie «les dommages corporels,
matériels ou immatériels» dont le fait générateur est constitué par les malfaçons, que l’article 5-
14 des conventions spéciales 5 du contrat d’assurance responsabilité civile exclut de la
garantie «les frais constitués par le remplacement, la remise en état ou le remboursement de la
partie des biens livrés ou des travaux exécutés, cause ou origine du dommage, ainsi que les
dommages immatériels en découlant» ; qu’en se prononçant de la sorte, la cour d’appel a
dénaturé ladite clause, claire et précise, violant ainsi l’article 1134 du code civil ;
4°/ qu’à supposer qu’en énonçant que «cette (double) exclusion de garantie ne vide pas le contrat
de toute substance puisqu’elle laisse dans le champ de la garantie les dommages corporels,
matériels ou immatériels, dont le fait générateur est constitué par les malfaçons», la cour d’appel
ait entendu retenir qu’elle laissait dans le champ de la garantie les seuls «dommages corporels»,
qu’ils soient «matériels ou immatériels», dont le fait générateur est constitué par les malfaçons, la
cour d’appel n’a pas tiré de ses propres énonciations les conséquences qu’elles appelaient
nécessairement au regard de l’article L. 113-1 du code des assurances, qu’elle a ainsi violé ;
5°/ qu’en considérant que l’exclusion de garantie résultant de l’application conjuguée de ces deux
clauses ne vidait pas le contrat d’assurance de toute substance «puisqu’elle laisse dans le champ
de la garantie les dommages corporels, matériels ou immatériels, dont le fait générateur est
constitué par les malfaçons», cependant que ces clauses, qui excluaient de la garantie due par
l’assureur de responsabilité de l’entrepreneur à la fois «les dommages matériels ou immatériels
résultant de l’inexécution de vos obligations de faire ou de délivrance, y compris les pénalités de
retard» et «les frais constitués par le remplacement, la remise en état ou le remboursement de la
partie des biens livrés ou des travaux exécutés, cause ou origine du dommage, ainsi que les
dommages immatériels en découlant», ne pouvaient être regardées comme formelles et limitées,
la cour d’appel a violé l’article L. 113-1 du code des assurances ;
Mais attendu, d’une part, que la clause figurant à l’article 5-10 du contrat “Multipro”, qui place
hors du champ de la garantie “les dommages matériels ou immatériels résultant de l’inexécution
des obligations de faire ou de délivrance de l’assuré” détermine l’étendue de la garantie et
échappe aux exigences de l’article L. 113-1, alinéa 1er, du code des assurances ;
Attendu, d’autre part, que la cour d’appel, qui a relevé que la clause d’exclusion figurant à
l’article 5-14 du même contrat excluait seulement les frais afférents aux dommages subis par les
produits livrés, ou les travaux exécutés et laissait dans le champ de la garantie les dommages
corporels, matériels ou immatériels dont le fait générateur est constitué par les malfaçons, a
exactement retenu, sans dénaturation, que cette clause ne vidait pas le contrat de sa substance et
en a déduit à bon droit que la MAAF ne devait pas garantir, au titre du contrat “Multipro”, les
malfaçons inachèvements et non finitions invoquées ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen relatif à la police garantie décennale :
Vu l’article 4 du code de procédure civile ;
Attendu que pour débouter la société Floralis de sa demande à l’égard de la société MAAF,
l’arrêt retient que la société Floralis admet implicitement que les désordres dont elle demande
réparation ont fait l’objet de réserves qui n’ont pas été levées ;
Qu’en statuant ainsi, alors que la société Floralis avait notamment fait valoir dans ses dernières
conclusions, qu’elle avait découvert au fur et à mesure la nature et l’étendue des dommages après
sa prise de possession, que les dommages allégués et non contestés devant le tribunal affectaient
l’ossature le clos et le couvert et que les quelques travaux réservés lors de la réception, qu’elle
avait listés, participaient de manière indivisible et indissociable à la conformité de l’ouvrage à sa
destination, la cour d’appel, qui a dénaturé ces conclusions, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déboute la société Floralis de sa demande à
l’égard de la société MAAF fondée sur la garantie décennale, l’arrêt rendu le 5 janvier 2010,
entre les parties, par la cour d’appel de Chambéry ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause
et les parties dans l’état elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie
devant la cour d’appel de Chambéry, autrement composée ;
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