Banque centrale et stabilité financière

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Banque
financière
centrale
et
stabilité
1. Stratégie passive ........................................................................................................................ 2 1.1 Stabilité des prix ......................................................................................................................................... 2 a) pourquoi ............................................................................................................................................................................ 2 b) objectifs de la BC ............................................................................................................................................................ 4 1.2 Instruments et résultats ........................................................................................................................... 6 a) stratégie monétaire ....................................................................................................................................................... 6 b) les mécanismes de transmission de la politique monétaire ....................................................................... 8 2. Stratégie active ........................................................................................................................ 11 2.1 Les BC dans la crise ................................................................................................................................. 12 a) réponses de la politique monétaire : Etats-­‐Unis et zone euro ................................................................ 13 b) réponses de la politique monétaire : Suisse .................................................................................................... 15 c) revenir à la normalité ? ............................................................................................................................................. 19 2.2 Les BC post crise ....................................................................................................................................... 22 a) politique monétaire et stabilité financière : a more complicated game ............................................. 22 b) plus de mal que de bien ? ........................................................................................................................................ 25 c) un nouveau cadre de politique monétaire ? .................................................................................................... 27 La régulation, aussi nécessaire soit-elle, ne peut, ni empêcher les crises, ni garantir que le
système financier leur survivra. De même, la prévention des incendies, l'élaboration et
l'affichage des règles de sécurité, les exercices d'évacuation et l'intervention des pompiers ne
suffisent pas toujours à empêcher les incendies et les drames. En outre, la régulation, conçue
1
en bas de cycle, sera toujours oubliée ou ignorée en haut de cycle .
Mais, en définitive, le système financier repose sur la monnaie. Sa fonction (rendre liquides
des financements fixes) passe par plusieurs couches d'instruments emboités. Quelle que soit
l'image que l'on ait du système financier, son ressort est la liquidité. Et la liquidité c'est la
monnaie. Et la monnaie, c'est la banque centrale. Elle seule a le pouvoir de "créer" de la
monnaie sans la demander ni la prendre à personne. Dans le régime actuel de banques
centrales "indépendantes" et de monnaie purement fiduciaire (post Bretton Woods), ce pouvoir
est presque illimité en monnaie nationale.
Aussi, qu'elle en soit responsable ou non, qu'elle le veuille ou non, la banque centrale
conditionne-t-elle l'équilibre financier.
Avant la crise, le Federal Reserve System américain était déjà très engagé dans
l'intervention directe : le krach de 1987 avait conduit Greenspan à relâcher la politique
monétaire pour approvisionner massivement les marchés en liquidité ; depuis, cette stratégie
était devenue systématique au point qu'on qualifiait de Greenspan put l'assurance implicite que,
en cas de besoin, la banque centrale rachèterait le marché. Une telle stratégie est-elle
souhaitable ? Si oui, ne doit-elle pas aller dans les deux sens ? s'opposer à l'effondrement des
prix d'actifs (bust), et aussi combattre leur surchauffe (boom) ? La doctrine continentale
soutenait que la banque centrale n'avait ni le pouvoir ni le devoir de limiter les fluctuations des
marchés : sa contribution fondamentale à l'équilibre financier consiste à garantir un cadre
1 Rajan, 2009, FRBStLouis Review 91/5,"The credit crisis and cycle proof regulation" http://research.stlouisfed.org/publications/review/article/7694
Les marchés veulent plus de capital en bas de cycle et ne s'en soucient pas en haut de cycle: il n'y aura donc pas d'incitation et au contraire
indulgence. Les Cocos sont ce qu'il faut: ils seront souscrits à bas prix en haut de cycle et transformés en capital quand nécessaire.
Dans le même numéro, un "primer" utile: Bullard et al, Systemic risk and the financial crisis.
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1
monétaire stable .
Nous verrons d'abord en quoi consiste et comment opérait cette stratégie de stabilité des
prix (section 1).
Quand la crise est devenue brûlante (automne 2008), toutes les banques centrales ont élargi
et assoupli leurs apports de liquidité. Leur implication décisive dans la gestion de la crise les a
fait entrer dans des eaux inconnues (unchartered waters) : un rôle explicite et direct dans la
prévention des crises financières n'est pas sans problèmes (section 2).
1. Stratégie passive
Après le keynésianisme simpliste des années 1960, la "grande inflation" a rallié les banques
centrales aux politiques de stabilité des prix, conduites en pilotant le taux de refinancement
bancaire. La stabilité des prix apporte des taux d'intérêt appropriés et stabilise les anticipations,
ce qui contribue à la stabilité financière, sans même que la BC ait une responsabilité définie à
cet égard. En effet, elle ne doit ni ne peut piloter les marchés et réguler les prix d'actifs.
Nous précisons d'abord l'objectif de stabilité des prix (§1.1) et examinons ensuite les
instruments utilisés pour l'atteindre (§1.2).
1.1 Stabilité des prix
a) pourquoi
Il s'est formé un consensus sur l'importance de la stabilité des prix et la responsabilité de la
banque centrale à cet égard. Il est d'autant plus important de le comprendre que, aujourd'hui, le
niveau du chômage et la faiblesse des taux d'inflation et de l'activité dans les grandes
économies matures conduisent certains à le remettre en cause.
La stabilité des prix n'est pas la stabilité de tous les prix mais celle du niveau général des
prix, c'est-à-dire du prix moyen auquel se font les transactions. Idéalement, une économie de
marché étant dirigée par les prix, la variation du prix d'un bien/service traduit un déséquilibre
offre/demande et contribue à le réduire : la hausse (baisse) de prix augmente (diminue) l'offre et
diminue (augmente) la demande jusqu'à ce que l'équilibre soit rétabli. Il n'est donc pas question
d'empêcher les prix de varier : certains haussent, d'autres baissent ; la moyenne, le "niveau
général des prix", peut rester stable, monter ou descendre.
L'inflation consiste en une hausse générale des prix qui, très vite, devient auto-entretenue :
si, à la suite d'un choc exogène, les prix augmentent, les agents économiques s'adaptent et
absorbent l'augmentation. Ce n'est pas encore de l'inflation. L'inflation naît des effets de second
tour, lorsque, au lieu d'absorber la hausse des prix, les agents économiques la répercutent : la
première vague provoque une seconde qui engendre une troisième etc. En effet, lorsque les
agents économiques dont les prix d'inputs augmentent, incorporent cette surcharge dans leurs
prix d'outputs, ils apprennent très vite à devancer l'inflation : pour ne pas perdre, ils alignent
leurs prix, non pas sur la hausse des prix passée de leurs inputs (ils seraient toujours en retard)
mais sur la hausse future qu'ils anticipent. Alors, l'inflation anticipée commande la fixation des
prix et devient l'inflation présente.
Un tel enchaînement de hausses des prix des biens/services les uns par rapport aux autres
(et en particulier des biens de consommation et des salaires) devient vite difficile et coûteux à
arrêter : des comportements rationnels sur le plan micro ont une résultante macro
catastrophique. Nul ne peut cesser d'augmenter ses prix sans être certain que les autres le
feront aussi. Il faut, alors, taper très fort pour casser les anticipations d'inflation. La banque
centrale peut le faire si elle en a la détermination, il suffit de "fermer le robinet" et de ne plus
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Cf Bull. BCE, 2005/04, "Les bulles des prix d'actifs et la politique monétaire".
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approvisionner l'économie en monnaie. La stabilisation des prix s'accompagne d'un
effondrement général (l'Angleterre mourra guérie disait-on lorsque, dans les années 1980,
Thatcher engagea l'Angleterre dans la désinflation).
L'arbitrage "à la Phillips" entre inflation et chômage (davantage d'inflation = moins de
chômage) s'est révélé illusoire : au cours de la période 1960/70, les économies ont connu à la
fois l'inflation et le chômage ("stagflation"). Les prix monétaires des biens/services définissent la
valeur réelle de la monnaie (si une tablette de chocolat vaut 5 fr, la valeur du fr en chocolat
est 1/5). La hausse générale des prix traduit la perte de valeur de la monnaie. A cette époque,
les monnaies des pays les plus inflationnistes (en Europe : lire italienne, franc français etc.) se
dépréciaient par rapport aux monnaies les moins inflationnistes (franc suisse, deutsche mark),
sans qu'aucune force de rappel ne s'exerce puisque, depuis la fin du régime de change de
Bretton Woods (cf. Introduction, §1.3), les monnaies avaient rompu leur ancrage à l'or ou au
dollar.
Pour rétablir la confiance dans la monnaie, il fallut donc remplacer l'ancien ancrage nominal
(parité officielle) de la monnaie par un "ancrage réel" : la stabilité de la valeur de la monnaie
s'exprime en termes de biens et services. La monnaie est stable quand, en moyenne, elle
1
achète la même quantité de biens et services (le même "panier" de B&S ) d'une année sur
l'autre. Cela signifie dans l'autre sens que le prix moyen du "panier" est stable (ou, de manière
plus réaliste, faiblement croissant). C'est la "stabilité des prix".
Celle-ci est essentielle pour que la monnaie remplisse sa fonction de bien public et que les
prix informent correctement les décisions. En effet, quand le prix d'un bien ou d'un actif ne
traduit plus que les anticipations du vendeur à propos des prix futurs des produits qu'il achète
lui-même, il n'a plus aucun sens par rapport à l'équilibre du marché de ce bien. Les prix d'actifs
ne varient plus selon leurs caractéristiques propres mais selon leur sensibilité à l'inflation. Les
actifs réels (actions, immobilier, etc.) sont préférés car ils suivent mieux l'inflation que les actifs
financiers dont la valeur réelle (le "pouvoir d'achat") devient indéterminée puisque les contrats
financiers portent sur des flux futurs de revenu. Aucun calcul financier n'est plus possible. Les
intérêts fixes stipulés par les anciens contrats ont une valeur réelle décroissante, voire négative
(5% d'intérêt nominal - 10% d'inflation = -5% réel) : ce cadeau forcé des créanciers aux
débiteurs constitue un transfert indu. Certes, les taux d'intérêt courants augmentent pour
incorporer une "prime d'inflation" mais, si l'on anticipe des taux d'inflation supérieurs dans
l'avenir, à la fin, l'endettement ne coûte rien : cela stimule exagérément la demande de crédits
sans considération de rentabilité et entraîne une mauvaise allocation des capitaux. L'inflation
bénéficie aux débiteurs et, dans la plupart des pays, le principal débiteur est l'Etat. Les
gouvernements sont d'autant plus complaisants (au mieux, négligents) à l'égard de l'inflation
que la dette publique est plus élevée. En outre, l'inflation provoque une illusion de prospérité
(les revenus nominaux augmentent) qui crée un climat électoral favorable. Comme un ivrogne
qui boit "un dernier verre", les gouvernements croient qu'ils pourront s'arrêter à temps.
Au bout d'un moment, tout le système économique et tout le système financier connaissent
des distorsions et, à la limite (hyperinflation), explosent.
Il n'est pas possible ici de détailler les efforts et les coûts macro-économiques (en termes de
croissance et d'emploi) de la désinflation (épisode Volcker de 1979 à 1982 ; épisode Thatcher
1979/1981; ancrage du franc français au mark 1983/1998...). Les banquiers centraux n'ont pas
facilement compris leur responsabilité et leur devoir de reprendre le contrôle de la croissance de
la masse monétaire. Ensuite, dans la plupart des pays, il leur a fallu imposer leur objectif au
gouvernement : l'indépendance des banques centrales dont nous reparlerons n'est pas
1 Celui-ci est habituellement appréhendé à travers la consommation des ménages. Les quantités moyennes consommées des différents biens et
services sont utilisées pour pondérer les prix. C'est l'indice des prix à la consommation (IPC). D'autres indices sont utilisables (prix à la
production, écart PIB en valeur/PIB en volume) mais l'IPC est pertinent pour le consommateur/citoyen moyen qui est le référent du bien public
"monnaie".
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absolue, elle institue un dispositif légal et opérationnel qui interdit au gouvernement de dicter ou
d'influencer la politique monétaire.
L'objectif, initialement asymétrique (éviter l'inflation), devient symétrique au début des
années 2000 (éviter l'inflation et la déflation). Ce n'est pas la hausse (baisse) des prix qui pose
problème mais l'enclenchement d'un processus inflationniste (hausse auto-entretenue des prix)
ou déflationniste (baisse auto-entretenue). Les prix étant à la fois des prix de vente et des prix
d'achat, la hausse des prix paraît favorable aux vendeurs mais les vendeurs sont aussi
acheteurs. De même la baisse des prix paraît favorable aux acheteurs mais, les acheteurs étant
aussi vendeurs (notamment de travail), il s'ensuit une contraction cumulative de l'offre et de la
demande, qui se traduit par du chômage et une baisse des rémunérations. Cette diminution des
revenus augmente la charge relative des dettes : le taux d'intérêt réel (r-p) dépasse le taux
nominal quand p<0 : 5% nominal - (-5% ∆P) = 5+5=10%. Les ménages, entreprises, Etats
endettés sont étranglés par leur dette et font défaut, les créanciers et notamment les institutions
financières subissent des pertes qui les poussent aussi au défaut. C'est le mécanisme de la
Debt Deflation analysé par Fisher dans la crise de 1929.
Si la banque centrale peut toujours bloquer l'inflation en asphyxiant l'économie, dans l'autre
sens, elle ne peut pas la faire respirer de force pour arrêter la déflation : retirer de la monnaie
est une décision de la banque centrale, injecter de la monnaie n'a d'effet que si les agents
économiques la dépensent. Ben Bernanke, président du Fed de 2006 à 2013, a été surnommé
Helicopter Ben parce qu'il disait que, face à une menace de déflation, il faut inonder l'économie
de monnaie, quitte à jeter des billets sur la foule par hélicoptère. Mais cela ne suffit pas pour
faire redémarrer l'économie, il faut encore que la foule dépense ces billets. Tout laisse redouter
(cf. le cas japonais) qu'un climat déflationniste conduise les bénéficiaires à ne pas consommer
mais, au contraire, à épargner la manne tombée du ciel pour se protéger de leurs pertes de
revenus futures. Au début des 2000, la crainte que les tendances déflationnistes japonaises se
diffusent à l'économie mondiale, a entrainé des politiques monétaires expansionnistes.
Aujourd'hui, la crise ayant réanimé le spectre de 1929, la stabilité des prix vise l'inflation
comme la déflation. Quoiqu'intellectuellement satisfaisante, cette symétrie présente un danger
d'incohérence temporelle (time inconsistency) : les mesures antidéflationnistes de grande
ampleur (injections massives de liquidité et taux d'intérêt nuls) accumulent des pressions
inflationnistes qu'il sera difficile de combattre plus tard et perturbent la sphère financière ; dans
l'autre sens, une lutte trop précoce contre ces pressions (durcissement de la politique
monétaire) aggraverait les tendances déflationnistes. Car le temps importe et, dans le temps
concret, les politiques ont des effets durables. C'est la raison pour laquelle, de nombreuses
banques centrales (comme la BCE et la BNS) ne conçoivent pas la stabilité des prix de manière
instantanée (la stabilité tout le temps) mais de façon tendancielle en se donnant un horizon de
moyen terme. Ces banques centrales refusent l'activisme à court terme (générateur
d'incohérence temporelle) et définissent des politiques structurelles visant à stabiliser les
anticipations.
b) objectifs de la BC
La mission de stabilité des prix conditionne l' "indépendance" des banques centrales (par
1
rapport au gouvernement) : elles n'ont pas la liberté de faire ce qu'elles veulent, mais celle de
faire ce qu'il faut pour assurer la stabilité des prix, sans interférences du gouvernement dont les
préférences, surtout à l'approche des élections, peuvent être contradictoires. Même les
gouvernements les plus responsables accordent, dans leur fonction de réaction, un poids élevé
à la croissance et à l'emploi qui sont des composantes du bien-être social (et des résultats
électoraux). Or, dans certaines circonstances (choc d'offre), la lutte contre l'inflation aura des
1 "L'indépendance de la Banque nationale", Philipp Hildebrand, président de la Direction générale de la Banque nationale suisse, Avenir Suisse,
Zurich, 21.06.2011 : http://www.snb.ch/fr/mmr/speeches/id/ref_20110621_pmh
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effets négatifs sur la croissance. D'où la notion de "banquier central conservateur" (Rogoff )
qui, à l'inverse du gouvernement, pondère davantage la stabilité des prix que la croissance, de
sorte que leur fonction jointe (politique macro-économique) se rapproche de l'optimum. Cela
n'implique pas que ce banquier central reste indifférent à la croissance et à l'emploi : sa charte
(loi instituant la banque centrale et définissant ses missions) hiérarchise les objectifs et met la
stabilité des prix en premier. A condition de ne pas nuire à celle-ci, la banque centrale doit
soutenir la croissance et les autres politiques du gouvernement.
Cette indépendance n'est donc pas synonyme d'irresponsabilité. La banque centrale est
soumise à sa charte. C'est une agence de l'Etat qui doit rendre des comptes aux citoyens
2
(généralement par un rapport périodique ), formellement à travers leurs représentants
(Parlement), et informellement par sa communication et ses explications. Jadis, les banques
centrales ne communiquaient pas. Elles considéraient même que l'opacité était nécessaire à la
3
réussite de leur action . Aujourd'hui, la stabilité des prix passant par les anticipations, elles ont
compris que leur crédibilité est un instrument psychologique aussi important que les outils
techniques dont elles disposent. Pour cela, elles doivent définir et expliquer leur cadre d'action
et leur mode d'intervention afin que la politique monétaire soit prévisible pour les acteurs
professionnels et 'intuitable" pour le public.
La banque centrale américaine (Federal Reserve System) présente une particularité : sa
charte lui assigne plusieurs objectifs non hiérarchisés. Outre la stabilité des prix, le Fed doit
viser un objectif de production (plus haut niveau d'emploi possible) et un objectif financier (taux
d'intérêt à long terme bas). Cette pluralité d'objectifs suscite un danger de conflit ou
d'incohérence (par exemple en 2007 : choisir entre l'inflation élevée et les perturbations
financières). Pour les autres banques centrales, la politique monétaire est asservie à la stabilité
4
des prix, leur indépendance concerne les moyens et non le but. Le Fed choisit son objectif
selon les circonstances de la période et l'analyse qu'il en fait, ce qui lui assure une
indépendance stratégique. Ainsi, en 2007, a-t-il décidé que la hausse des prix était accidentelle
(non inflationniste) et qu'il fallait stabiliser la finance et l'économie. En contrepartie de cette
liberté, le Fed rend compte au Congrès (hearings périodiques) qui peut modifier ses objectifs ou
5
leur importance relative par une simple loi .
De son côté, la BCE a reçu d'un traité international, Traité sur l'Union européenne (TUE) dit
"Traité de Maastricht", l'objectif prioritaire de la stabilité des prix. Dans la mesure où cet objectif
est atteint, et à condition de ne pas lui porter préjudice, la BCE soutient les politiques
communautaires (objectif de production). Il y a donc une stricte hiérarchie que la BCE est
légalement obligée de respecter. A l'inverse du Fed, la dépendance stratégique a pour corollaire
l'indépendance juridique. Cela ne la dispense pas de justifier son action (rapport annuel), de
l'expliquer ("dialogue monétaire" avec la Commission des affaires monétaires et financières du
Parlement européen), de communiquer et de convaincre, à la fois à cause de sa responsabilité
à l'égard des citoyens et pour que son action soit efficace. Dès le début, elle a accompagné la
séance mensuelle du Conseil des gouverneurs consacrée à la politique monétaire d'une
conférence de presse suivie de questions ouvertes.
1 K. Rogoff, 1985, "The Optimal Degree of Commitment to an Intermediate Monetary Target", Quarterly Journal of Economics ;
Rogoff, 1987, "Reputational Constraint on Monetary Policy", Carnegie-Rochester Conference series on public policy, 26.
2 Par son compte rendu d'activité, la Banque nationale présente à l’Assemblée fédérale de la Confédération suisse un rapport rendant compte de
l’accomplissement de ses tâches. Le rapport annuel, avec les comptes annuels détaillés, est soumis à l'approbation du Conseil fédéral et de
l'assemblée générale des actionnaires.
3 Symbolisée par le never explain, never apologize atrribué à Norman Montagu, gouverneur de la Banque d'Angleterre de 1920 à 1944. Cf. aussi
le fameux Greenspan grumbling : "si vous m'avez compris, c'est que je me suis mal exprimé" !.
4 Sans entrer dans les détails, ce n'est pas le "Board" du Federal System qui prend les décisions de politique monétaire, c'est un organe spécial,
le Federal Open Market Committee FOMC dont les 12 membres votants sont les 7 gouverneurs (board) + 5 présidents des Federal Reserve
Banks (FRBNY + 4 désignés par rotation parmi les 11 présidents des FRB).
5 Néanmoins, les tentatives du Congrès de modifier les conditions d'activité de la banque centrale se heurtent à de fortes réactions de celle-ci. Elle
dispose d'un pouvoir d'expertise, d'argumentation et de communication considérable qu'elle n'hésite pas à mobiliser.
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1
En Suisse, l'art. 99 de la constitution fédérale (nouvelle Constitution fédérale entrée en
vigueur le 1er janvier 2000) dispose seulement que
"En sa qualité de banque centrale indépendante, la Banque nationale suisse mène une
politique monétaire servant les intérêts généraux du pays; elle est administrée avec le
concours et sous la surveillance de la Confédération".
2
La loi sur la Banque nationale (LBN) du 3 octobre 2003 concrétise son indépendance ,
définit sa structure et explicite sa mission qui n'apparaît pas très différente de celle de la BCE :
«La Banque nationale conduit la politique monétaire dans l’intérêt général du pays. Elle
assure la stabilité des prix. Ce faisant, elle tient compte de l’évolution de la conjoncture.»
1.2 Instruments et résultats
a) stratégie monétaire
Dans ce cadre, il revient à la banque centrale de définir une stratégie de politique monétaire.
Les prix (et donc le niveau général des prix) résultent des comportements décentralisés de
centaines de milliers d'agents qui, tous les jours, confrontent leurs offres/demandes sur des
centaines de marchés différents dans une structure donnée de concurrence. Aucune banque
centrale n'a d'action directe sur ces prix, elle n'influence que les facteurs monétaires (cf. b).
Dans les années 1970/1980 les stratégies de stabilité des prix étaient du type ciblage
monétaire (money targeting). Le lien entre la variation de la masse monétaire et le niveau
général des prix est l'une des questions les plus controversées de la théorie monétaire dont on
3
fait remonter l'origine à Jean Bodin en 1578 . Pour la "théorie quantitative de la monnaie", les
variations de la quantité de monnaie entraînent des variations de même sens du niveau général
4
des prix . Aujourd'hui, nul ne croit plus que tout ∆M provoque proportionnellement un ∆P de
même sens. Dans l'autre sens, presque plus personne ne rêve qu'un ∆M entraîne une variation
proportionnelle de la production et de l'emploi. Il reste un large accord sur l'idée que, à long
terme, il existe une corrélation entre la masse monétaire et les prix et qu'il est de la
responsabilité de la banque centrale d'empêcher les déviations de la masse monétaire par
5
rapport à sa tendance . Dans une stratégie de ciblage monétaire, la banque centrale estime le
taux de croissance souhaitable de la masse monétaire et durcit (assouplit) la politique
monétaire pour pousser les banques à diminuer (augmenter) les financements accordés à
l'économie.
Dans les années 1990, s'est répandue à l'échelle mondiale (de la Nouvelle Zélande au
Royaume-Uni) la stratégie de "ciblage d'inflation" (inflation targeting). Quoiqu'elle ne la
revendique pas, la BNS est considérée comme ayant une stratégie de ce type.
Cette stratégie abandonne la formulation d'un objectif intermédiaire (masse monétaire) en
tant que déterminant du résultat final (stabilité des prix). Elle vise directement le résultat final
(niveau d'inflation). La banque centrale adopte (ou reçoit) un objectif d'inflation qui fixe la
période de référence (à tout instant, en moyenne annuelle, à moyen terme) et quantifie la valeur
critique, en points (par exemple, pas plus de 2%) ou en intervalle (par exemple, l'inflation doit
rester comprise entre 1% et 3%). La banque est responsable de cet objectif et doit se justifier si
elle ne l'atteint pas. La fixation d'un objectif d'inflation explicite la responsabilité de la banque
1 Le même article affecte aux cantons les 2/3 du bénéfice net de la BNS en contrepartie de leur ancienne renonciation à la souveraineté
monétaire.
2 Selon celle-ci, la BNS et les membres de ses organes ne peuvent, dans l’accomplissement de leurs tâches au niveau de la politique monétaire,
accepter des instructions du Conseil fédéral, de l’Assemblée fédérale ou d’autres organismes
3 Réponse au paradoxe de M. de Malestroict touchant l’enchérissement de toutes choses, et le moyen d’y remédier
4 Cf. l'équation de Fisher (1910) : MV=PQ=> P=MV/Q. Sous hypothèse de plein emploi, une augmentation de la quantité de monnaie (non
compensée par une diminution équivalente de sa vitesse de circulation) ne peut pas augmenter l'offre de biens/services, elle est donc absorbée
par une augmentation des prix. La force intuitive de cette approche réside dans la loi de l'offre et de la demande : un bien excédentaire (ici la
monnaie) voit son prix (ici sa valeur) baisser.
5 Dans sa forme monétariste simple, la k% rule de Friedman aurait obligé la banque centrale à proportionner la croissance monétaire au taux de
croissance réel tendanciel du PIB.
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centrale et permet à tout un chacun d'apprécier son efficacité.
Ensuite, lors de ses réunions de politique monétaire, elle procède à une prévision de
l'inflation future en mobilisant dans des modèles économétriques tous les facteurs (monétaires,
financiers, réels) qui la déterminent. Si la prévision est au-dessus (au-dessous) de la valeur
critique, la banque envisage une modification de la politique monétaire et l'incorpore aux
modèles pour mesurer l'impact sur l'inflation prévue. Si l'impact est insuffisant, une modification
plus forte est testée. La décision de politique monétaire est celle qui (hypothétiquement) assure
la conformité de l'inflation prévue à la valeur critique. Swensson, le théoricien le plus absolu du
ciblage d'inflation, parle de forecast targeting : il s'agit de régler la politique monétaire pour que
l'inflation prévue coïncide avec l'inflation prescrite. On devine que tout ceci n'est pas facile à
mettre en œuvre. Personne n'a vraiment pu démontrer que la stabilité des prix des années
1990/2000 ("la grande modération") ait été due à ces stratégies plutôt qu'à des facteurs
extérieurs indépendants (mondialisation).
Notons deux exceptions de taille à cette "mode" du ciblage d'inflation, le Fed et la BCE. La
première n'est pas étonnante puisque le ciblage d'inflation suppose la priorité de la stabilité des
1
prix alors que le Fed arbitre entre plusieurs objectifs . Toutefois, cela n'interdit pas d'expliciter
l'objectif d'inflation. Pendant longtemps, le Fed a refusé pour garder entières sa marge de
manœuvre et sa liberté de décision. Pour améliorer la transparence, Bernanke a tardivement
réussi à convaincre les comité de politique monétaire d'afficher un objectif tendanciel de 2%
2
(25/01/2012) . Quant à la BCE, elle a défini une stratégie compliquée qu'elle a eu beaucoup de
mal à faire comprendre. La stratégie des "deux piliers" repose sur le constat que les
économistes ne sont pas d'accord sur l'importance relative des facteurs réels et des facteurs
monétaires dans le processus inflationniste. Pour être totalement informée, la politique
monétaire doit donc prendre en compte tous les facteurs : le pilier "économique" (équilibre des
marchés des produits et des actifs) prévoit la tendance à court terme de l'inflation ; le pilier
"monétaire" sa tendance à moyen long terme. Chaque réunion de politique monétaire synthétise
les deux séries d'analyses pour estimer la tendance de l'inflation à un horizon de 2 ans. C'est
par rapport à cette tendance, et non par rapport à l'inflation instantanée, que sont prises les
décisions.
Lorsque le système financier est peu développé et peu efficace (France des années 1960 ou
Chine aujourd'hui), la banque centrale utilise des instruments administratifs basés sur les
quantités, notamment les réserves obligatoires ou le contrôle du crédit. La politique des
réserves obligatoires (RO) consiste à moduler le pourcentage de leurs ressources que les
banques sont obligées de stériliser en les déposant auprès de la banque centrale. En
augmentant le coefficient de RO, on diminue la liquidité et donc la capacité de prêt des
banques, et inversement. Le contrôle du crédit, lui, consiste à imposer administrativement des
limites aux crédits bancaires en fixant, soit un taux de croissance maximal, soit des taux de
croissance différenciés selon les secteurs afin de soumettre la répartition des crédits aux
impératifs de la politique industrielle ou de la politique économique. Ces instruments primitifs
3
nécessitent une surveillance bureaucratique et un dispositif de sanctions aussi coûteux
qu'inefficaces car les banques et les emprunteurs font preuve de beaucoup d'ingéniosité pour
contourner les règles. Pékin affine progressivement sa "tuyauterie monétaire" en différenciant
4
les taux de RO et en cherchant à rendre actif le taux d'intérêt .
Dans les économies matures, l'action de la banque centrale passe par les taux d'intérêt et
1 Dans une certaine mesure, la "règle de Taylor" combine ces objectifs puisqu'elle définit le taux d'intérêt de la politique monétaire comme une
fonction du taux d'intérêt naturel réel, de l'écart d'inflation et de l'écart de production. Mais, pour une banque centrale, en pratique la pondération
de ces différents facteurs ne peut pas être constante.
2 Sans préjudice de l'emploi : "We are a dual-mandate central bank. We put equal weight on price stability and maximum employment,"
http://www.reuters.com/article/2012/01/25/us-usa-fed-inflation-target-idUSTRE80O25C20120125
3 Pour la politique monétaire chinoise, voir Revue d'économie financière (REF) n°102, juin 2011 Finance chinoise- les enjeux de la modernisation.
4 Cf le Temps 02/7/2014 http://www.letemps.ch/Page/Uuid/21b4911a-0142-11e4-b15c-92443eee623d/Pékin_affine_sa_tuyauterie_monétaire
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1
suit des procédures de marché . Il ne s'agit pas de décider du comportement des banques
mais de jouer sur les variables qui le déterminent. Rappelons nous (CH1, §2.2) que la banque
centrale assure le bouclage préventif de la liquidité en prêtant à court terme au système
bancaire. La BC est maîtresse du montant et du prix. Ce prix détermine le coût marginal du
refinancement bancaire. L'essentiel du refinancement se fait entre les banques elles-mêmes à
des taux de marché (LIBOR, EURIBOR) qui traduisent le rapport offre/demande. Si le marché
ne suffit pas, la BC le complète. Dans des circonstances normales, le taux de refinancement de
la BC représente donc le taux plancher du marché interbancaire puisque les banques qui, sur
ce marché, sont prêteuses un jour devront se refinancer un autre jour au taux banque centrale.
Aussi le taux de politique monétaire (policy rate) de la banque centrale est-il qualifié de "taux
directeur".
b) les mécanismes de transmission de la politique monétaire
Pour exercer une action restrictive, la BC augmente son taux de refinancement : comme
toute banque est susceptible de manquer de liquidité et de l'emprunter à la banque centrale,
aucune ne prête à un taux inférieur au sien. Le taux interbancaire suit le taux de la banque
centrale. En réalité, il ne varie pas "à sa suite" mais avant : pour autant que le comportement de
la banque centrale soit clair et bien compris, sa décision de modifier son taux a été anticipée et
le marché s'est déjà ajusté.
Précisons tout d'abord que ces opérations ne sont pas réalisées "en blanc" mais sous la
forme déjà rencontrée (CH1, §222) de pensions (repurchase agreement) portant sur des actifs
spécifiés par la banque centrale. Offrir de la liquidité revient à demander des titres ; demander
de la liquidité à offrir des titres. Il s'agit évidemment d'opérations temporaires qui sont dénouées
à l'échéance par l'opération inverse.
La procédure normale du Fed consiste à fixer un objectif pour le niveau des Federal Funds,
le taux d'intérêt du marché interbancaire. Cette valeur objectif est atteinte par des interventions
d'open market conduites, pour le compte du Federal Reserve System, par la banque de réserve
fédérale de New York (NYFRB) : pour que le taux interbancaire augmente (diminue) jusqu'à sa
valeur objectif, il suffit d'emprunter (prêter) aux banques ; une augmentation de la demande de
liquidité fait monter les taux, et inversement.
La procédure normale de la BCE ne passe pas directement par le marché interbancaire mais
par les apports de liquidité hebdomadaires de l'Eurosystème (BC de la zone euro) aux banques.
Ces apports suivent une procédure de marché (appels d'offres) : la liquidité est mise aux
enchères entre les banques demandeuses et allouée à celles qui proposent les taux les plus
2
élevés . La BCE fixe le montant total à distribuer et le taux minimal de soumission (taux de
politique monétaire) : dans les enchères, toutes les demandes doivent se faire à un taux
supérieur au taux directeur. Toute variation du taux directeur entraîne automatiquement une
variation des taux de soumission.
La procédure normale de la BNS combine les deux précédentes : sur la base de sa prévision
d'inflation trimestrielle, la BNS met en œuvre sa politique monétaire en influant sur le niveau des
3
taux d'intérêt du marché monétaire en francs. Pour ce faire, elle pilote le taux à trois mois .
L'objectif de taux est défini par une fourchette, plus ou moins large, à l'intérieur de laquelle la
banque précise le segment visé. Depuis août 2011, l'objectif est 0%-0,25%.
Si le taux du marché est trop haut, la BNS injecte de la liquidité en procédant à un appel
1 Les réserves obligatoires ne sont plus un instrument direct de politique monétaire. Outre leur fonction prudentielle (volant de liquidité) et
opérationnelle (lissage de la liquidité), elles procèdent à un draînage de la liquidité bancaire qui renforce l'efficacité de la politique monétaire : la
liquidité manquante est apportée par la BC, mais à ses conditions. Au contraire, si le système bancaire dans son ensemble a un excédent de
liquidité, il n'a plus besoin de la BC (on dit qu'il est "hors banque") et la politique monétaire ne "mord" plus.
2 Ce n'est pas directement la BCE qui prête la liquidité ; les opérations sont exécutées par les BC nationales auprès des IFM de leur territoire.
C'est donc l'Eurosystème (ensemble des BC de la zone euro) qui est l'agent des interventions.
3 Les instruments ordinaires et les "autres instruments de politique monétaire" (http://www.snb.ch/fr/iabout/monpol/id/monpol_instr) sont fondés
sur les "Directives générales de la BNS sur ses instruments de politique monétaire" (http://www.snb.ch/fr/iabout/snb/legal/id/snb_legal_rules)
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d'offres (à un taux fixé à l'avance ou à taux variable selon une procédure d'enchères). En
général, ces opérations sont conclues pour une semaine, mais elles peuvent aller d'un jour
(overnight) à un an. Les durées sont calculées pour obliger les banques à revenir fréquemment
vers la banque centrale afin de rester exposées à ses conditions. Au contraire, pour retirer la
1
liquidité, la banque pratique des mises en pension (vs prises en pension) ou émet des bons .
La banque centrale n'a pas de moyens directs d'influencer les taux à plus long terme.
Comment, à partir de ce contrôle d'un tout petit segment de la courbe des taux d'intérêt, la
banque centrale joue-t-elle sur le niveau général des prix ? L'effet d'une variation du taux
banque centrale n'est ni automatique, ni instantané. Le mécanisme de transmission de la
politique monétaire (transmission mechanism of monetary policy ou monetary policy
transmission mechanism MPTM) est aussi complexe que conditionnel.
Notons d'abord que ce n'est pas la variation ponctuelle du taux refi qui agit mais ce qu'elle
révèle de la politique monétaire future : une hausse (baisse) de 0,25 point d'intérêt a un
potentiel amplifié si elle laisse prévoir des hausses (baisses) futures. D'une importance toute
particulière sont les changements d'orientation de la politique monétaire : les acteurs bancaires
et financiers scrutent intensément les indices de tels changements. A l'été 2011, après
plusieurs années de taux directeur nul ou très faible qui ont rendu pratiquement gratuit le
refinancement bancaire, on anticipait un durcissement de la politique monétaire, sans savoir
quand, selon quel rythme, et avec quelle amplitude : d'un côté les pressions inflationnistes
militaient pour un durcissement (qu'avait déjà engagé la BCE) ; de l'autre, les lenteurs et
incertitudes de la reprise poussaient à le différer. L'année suivante (été 2012), avec
l'essoufflement de la reprise et la crise des finances publiques en Europe, les craintes sur la
croissance ont pris le dessus et toutes les BC se sont ralliées à l'expansionnisme. A la fin du
1er semestre 2013, la perspective, non pas d'un durcissement, mais d'une diminution de
l'expansionnisme de la politique monétaire américaine a fait plonger les marchés et révélé les
faiblesses de maintes économies émergentes.
Comment une orientation restrictive (expansionniste) de la politique monétaire se transmetelle ? Le mécanisme le mieux établi est celui du "canal du crédit".
Les banques, devant payer la liquidité de plus en plus cher, freinent la croissance de leurs
crédits et augmentent leurs taux débiteurs. De ce fait, pour les emprunteurs, la balance entre
les charges financières et les avantages du financement devient moins favorable et la demande
de crédit est freinée. Les financements accordés à l'économie augmentent moins ou diminuent
et donc aussi la demande qu'ils permettent. Sur les marchés "réels", ce freinage de la demande
allège la pression sur les prix.
En sens inverse : les banques payant de moins en moins cher la liquidité, accélèrent la
croissance de leurs crédits et diminuent leurs taux débiteurs. Pour les emprunteurs, la balance
entre les charges financières et les avantages du financement devient plus favorable et la
demande de crédit est excitée. Les financements accordés à l'économie croissent et donc aussi
la demande qu'ils permettent. Sur les marchés "réels", cette stimulation de la demande
augmente la pression sur les prix.
Complémentairement, si la variation du taux refi se transmet à toute la courbe des taux
d'intérêts ("canal des taux d'intérêt"), ces effets sont amplifiés et redoublés par leur impact sur
les comportements de prêt et d'emprunt à toutes les échéances et sur la valeur des actifs qui
2
varie en sens inverse du taux d'intérêt ("canal des actifs" ). Il s'ensuit un effet de richesse
(wealth effect) : la richesse potentielle des détenteurs d'actifs dépend des variations de la valeur
1 Complémentairement, la BNS peut procéder à des opérations d'open market à proprement parler en plaçant ou acceptant des offres sur la plateforme de négoce électronique d'Eurex Zurich SA pour influer à tout moment sur l'évolution des taux d'intérêt à court terme sur le marché
monétaire lorsque celle-ci prend une tournure indésirable.
2 On compare le taux d'intérêt d'aujourd'hui et le rendement attendu : si le taux d'intérêt augmente (baisse), l'écart diminue (augmente), l'actif est
moins (plus) intéressant, il perd (gagne) de la valeur. La valeur d'un actif étant la somme des valeurs actualisées des flux de revenus futurs qu'il
procure, une hausse (baisse) du taux d'intérêt joue sur le dénominateur du calcul et diminue (augmente) la valeur aujourd'hui des flux futurs.
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de leur patrimoine. Si l'effet des variations de valeur sur la dépense est discuté et difficile à
mettre en évidence, l'impact sur les garanties est automatique car les actifs sont largement
utilisés comme "collatéraux" lors des demandes de financement. Ces garanties, en diminuant le
risque du prêteur, permettent d'obtenir plus facilement des financements et de les payer moins
cher. Si, en conséquence d'une hausse du taux d'intérêt, la valeur calculée des garanties (biens
immobiliers ou actifs financiers) diminue, les conditions de financement deviennent plus dures.
1
Chacun de ces points demanderait de nombreux développements . Il faut retenir que la
politique monétaire n'exerce pas un effet mécanique : elle affecte de nombreuses variables à
travers de multiples "canaux" et tous ces enchaînements sont conditionnels, dans leur existence
(ils peuvent se produire ou non) comme dans leur sens et leur amplitude. La politique monétaire
doit agir dans la même direction suffisamment longtemps de manière suffisamment
compréhensible pour que les agents économiques l'enregistrent et s'adaptent. On estime que le
délai de transmission de la politique monétaire est de l'ordre de 3 à 5 semestres. D'où la
nécessité que les décisions de politique monétaire soient en avance (forward looking) : si, à
deux ans, la banque centrale prévoit une tendance inflationniste, c'est tout de suite qu'elle doit
durcir sa politique monétaire pour que ses effets se fassent sentir à temps. Ayant compris à
présent l'extrême complexité de la transmission (aggravée encore par les effets internationaux
que nous négligeons ici), beaucoup de banques centrales ont renoncé à l'activisme à court
terme au profit de politiques de moyen terme qui ne réagissent pas (et ne doivent pas réagir) à
des déviations temporaires.
Cette visée structurelle contribue à stabiliser les anticipations. Le facteur "psychologique"
(difficilement quantifiable) exerce des effets plus forts et plus directs que tous les mécanismes
compliqués que nous venons d'aborder. En elle-même, une hausse (baisse) des prix n'est pas
de l'inflation (déflation). Elle n'en devient que lorsque le choc exogène qui a provoqué la
variation de prix initiale s'endogénéise à travers les anticipations. C'est alors que le processus
devient auto-entretenu et difficilement réversible. La hantise du "second tour" exprime la crainte
que les agents économiques anticipent une nouvelle hausse des prix de leur inputs et la
répercutent sur les prix de leurs outputs. D'où l'importance du thème de la crédibilité des
banques centrales : si l'assignation de la banque centrale à la stabilité des prix est verrouillée, si
sa détermination et sa capacité à assurer cette stabilité sont publiquement admises (à la suite
de ses explications et de son comportement passé), les anticipations d'inflation des agents
économiques se calent sur l'objectif d'inflation de la banque centrale. A la suite d'un choc
inflationniste (tel qu'une augmentation des prix du pétrole), les agents ne réviseront pas leur
anticipation s'ils croient que la banque centrale empêchera le dérapage inflationniste. De ce fait,
il n'y aura pas de "second tour" et pas de dérapage inflationniste.
Cela tient à l'endogénéité du processus inflationniste. Tant que la banque centrale contrôle
les facteurs monétaires d'inflation et réagit aux autres facteurs, tant qu'elle convainc, les
anticipations ne bougent pas. Aux débuts de la BCE, beaucoup critiquaient son "biais
désinflationniste" (et nombreux sont ceux qui continuent à le faire) mais la force juridique du
1 En outre, n'oublions pas que les taux d'intérêt jouent dans les deux sens : s'ils déterminent la charge financière des emprunteurs (et donc leur
comportement d'endettement), ils conditionnent les revenus financiers des prêteurs (et donc leur comportement de placement). On se limite
souvent aux premiers, ce qui conduit à souhaiter des taux d'intérêt bas.
Mais, d'abord, des taux bas provoquent une mauvaise allocation des capitaux : à 0% tous les projets paraissent profitables ! S'il est difficile de
calculer la valeur du taux d'intérêt optimal, le taux doit être assez élevé pour éliminer les projets les moins productifs et assez bas pour accorder le
maximum de financement aux projets les plus prometteurs.
Ensuite, des taux bas minorent la rémunération des créanciers. Pour juger de l'effet des variations de taux sur une économie, il faut considérer le
"canal des bilans" : si, dans une économie donnée, les entreprises non financières sont globalement débiteurs nets et les ménages créditeurs
nets, une baisse des taux avantage les premières et nuit aux seconds. Mais on doit tenir compte aussi de la répartition des actifs et des passifs
entre les différents produits financiers (actions ou dettes) et du mode de fixation des taux d'intérêt (fixe ou variable). Enfin, une partie des agents
individuels a une position de bilan opposée à celle de leur secteur agrégé (dans le secteur globalement créditeur "ménages", maints ménages
sont débiteurs) : il faut comparer les comportements de dépense des uns et des autres.
En conclusion, l'effet d'une variation de taux sur l'économie réelle sera d'autant plus grand que les agents sont plus endettées à court terme ou à
TV et que la propension à consommer des débiteurs dépasse celle des créditeurs (affectés en sens inverse).
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traité international qui constitue sa charte, la vigilance de la BCE à l'égard des tendances
inflationnistes et les décisions qu'elle lui a dictées, la cohérence de sa communication et la
rigueur doctrinale de ses dirigeants ont convaincu, sinon de la justesse de sa stratégie, du
moins, et c'est l'essentiel en la matière, de sa crédibilité anti-inflationniste. Toutefois, elle est
soupçonnée de préférences asymétriques et de combattre plus énergiquement l'inflation que la
déflation dont certains analystes voient l'amorce dans la faiblesse actuelle du taux d'inflation,
passé au-dessous de l'objectif de 2% depuis février 2013 et tombé à 0,2% en juillet 2015. Outre
le problème des moyens d'actions, la BCE souligne l'hétérogénéité des situations nationales et
1
l'influence des facteurs exogènes (prix alimentaires et, surtout, énergétiques) .
2. Stratégie active
La crise a entraîné une implication directe et très active des BC, si créative, si ample et si
durable qu'on se demande comment et quand elles pourront revenir à la normale. Si
l'impensable devient la nouvelle normalité (new normal), l'action des BC aggravera l'instabilité
financière.
Au plus chaud de la crise, la BC doit agir agressivement pour restaurer la confiance et
acheter du temps : tous les moyens sont bons. Paradoxalement, c'est le plus facile. Ce qui est
difficile, c'est de déterminer le point d'inflexion, le moment où il faut commencer à réparer le
système financier et les moyens de le faire. Analytiquement, la distinction est claire entre les
politiques de gestion de la crise (crisis management) et les politiques de sortie de crise (crisis
resolution). En pratique, le poids de la crise fait prévaloir la défensive (éviter de replonger) sur
l'offensive.Et le temps passe (sept ans), les instruments, de plus en plus sollicités, perdent de
leur efficacité et induisent de nouveaux déséquilibres. Les BC ont dû se résoudre à
2
l'unsustainable to sustain unsustainable (El-Erian ). Elles ont tordu le concept de banque
centrale au point qu'on ne sait plus trop à quoi il ressemble. Leurs premières interventions ont
eu beaucoup d'effets mais il leur a fallu poursuivre et intensifier leur engagement pour éviter que
la défiance revienne. Comme de l'autre côté du miroir de Lewis Carroll, on doit courir de plus en
plus vite pour rester à la même place. Ce résultat négatif (diminuer la défiance) s'est
accompagné de peu d'effets positifs, comme si l'économie "réelle" ne réagissait plus. Cet
extraordinaire activisme a substitué la BC aux gouvernements et aux agents privés qui étaient
"en panne". La BC n'a pas vocation à porter éternellement le système financier à bout de bras
mais à l'oxygéner, en attendant que agents publics et privés réagissent, ce qui lui permettra de
se désengager. Mais différents indices font craindre un effet pervers car l'action des BC a allégé
la pression et désincité les autres catégories d'acteurs de prendre leurs responsabilités : tous
les gouvernements n'ont pas réellement rééquilibré les finances publiques ni entrepris les
réformes structurelles nécessaires, toutes les institutions financièresn'ont pas réduit
suffisamment leur levier (deleveraging) et leur prise de risque (derisking) et les marchés
monétaires n'ont pas complètement repris. Faute d'ajustement, les acteurs privés et publics
sont de plus en plus dépendants du soutien des BC qui, en retour, se trouvent prise au piège.
3
Dira-t-on plus tard que la crise les a obligées à construire un expansive bridge to nowhere ?
1 Interrogé là-ddessus, Draghi répondait lors de la conférence de presse du 5 juin 2014 : when I've been asked in the past about whether I was
seeing deflation, the answer was, and still is, by the way, we don't see deflation. We don't see that typical feature of a self-fulfilling negative spiral
of self-fulfilling expectations. We don't see households postponing their spending plans and we don't see the various features of this phenomenon
that I have mentioned on other occasions. Let me also say that in the past we said that the main factors of this low inflation were the basically low
growth rate of prices for food and energy and the exchange rate and also, to some extent, the persistent weak demand. Now not much has
changed
2 FRBStL Review, JULY/AUGUST 2012, "Evolution, Impact, and Limitations of Unusual Central Bank Policy Activism", Mohamed A. El-Erian pp.
243-264, http://research.stlouisfed.org/publications/review/article/9321
3 Dans le même sens, mais avec plus de circonspection, le dernier chapitre du rapport annuel 2013 de la BRI (CH VI. La politique monétaire à la
croisée des chemins) s'interrogeait sur ce que peuvent faire les BC : devenues les principaux acteurs des marchés, les difficultés des stratégies
de sortie les empêchent de revenir en arrière et, là où la reprise est hésitante, la perte d'efficacité de l'activisme les poussent à faire plus
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Le §2.1 examine la réaction des banques centrales à la crise d'illiquidité.
Le §2.2 en discute les implications.
2.1 Les BC dans la crise
En 2007, l'éclatement de la crise financière coïncidait avec de fortes pressions inflationnistes
provoquées par l'augmentation des prix des produits de base à la suite de la surchauffe des
économies émergentes. La crise poussait à assouplir la politique monétaire, l'inflation à la
durcir. Le Fed a choisi très vite la première voie et, à partir de l'été 2007, par paliers successifs
(dont certains de grande ampleur) a fait passer son taux directeur de 5% à 2% avant Lehman,
puis à 0,25%. La BCE a réagi différemment et a encore augmenté son taux (de 0,25) à l'été
2008, ce qui lui a valu d'être traitée de "myope" ou de "maniaque". Ces critiques n'étaient pas
justifiées : à la différence des autres banques centrales qui employaient un seul et même
instrument pour la politique monétaire et la politique bancaire (cf. CH1), la BCE avait un cadre
d'action qui dissociait l'injection de liquidité (qu'elle pratiquait déjà massivement) et la politique
macro-monétaire. Aussi l'augmentation du taux directeur ne se faisait-elle pas au détriment de
la liquidité bancaire. Dans le cours de la crise, les autres banques centrales ont improvisé ce
1
"divorce" entre la politique monétaire et la liquidité (divorcing money from monetary policy ).
Taux directeur nominal
Taux directeur réel
BRI, Rapport annuel 2015, Gr. IV.2
Pour faciliter le refinancement des banques, la politique monétaire a été dramatiquement
assouplie. Les taux directeurs nominaux ont été baissés jusqu'à frôler le plancher de 0%
(zero bound). Contrairement aux ( apparences, le zero bound n'est pas un problème
2
technique , la vraie difficulté est que le taux directeur perd son efficacité dans des conditions de
marché anormales. On remplace donc l'action sur le prix de la liquidité par une action sur les
quantités. Au fur et à mesure que les banques centrales épuisaient leurs moyens habituels
d'injection de liquidité, elles en inventaient de nouveaux. C'est ce qu'on a appelé la politique
monétaire "non conventionnelle". Celle-ci avait été expérimentée sans grand succès par la
Banque du Japon autour des années 2000.
A son tour, le taux d'intérêt est devenu un instrument non conventionnel lorsque quelques
Keister, 2008, "Divorcing Money from Monetary Policy", FRBNY, http://www.ny.frb.org/research/epr/08v14n2/0809keis.pdf
Techniquement, le taux d'intérêt nominal peut devenir négatif : il suffit que, dans les opérations de pension de la banque centrale, le prix de
rachat à terme des actifs soit inférieur à leur prix de vente au comptant. Si les actifs sont vendus 100 par la banque emprunteuse et rachetés
99,95 dix jours plus tard, cela correspond à un taux d'intérêt annuel négatif de -1,8%.
1
2
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banques centrales (Danemark depuis 2002, BCE depuis juin 2014) ont fixé un (faible) taux
négatif sur les réserves libres des banques pour les pousser à prêter la liquidité au lieu de la
stocker sur leur compte à la BC. Le grand saut a été effectué par la Banque nationale suisse
qui, la première dans le monde et dans l'histoire, a fait passer son taux directeur nominal en
zone négative (cf. infra) : le 15 janvier 2015, elle a fixé à -1,25%/-0,25% la marge de fluctuation
du LIBOR 3 mois. Jusqu'à présent, elle n'a été imitée que par la BC suédoise (Riksbank) qui, le
18 février 2015, a réglé son taux directeur (repo rate)à -0,10% (-0,35% depuis le 08/07/15).
a) réponses de la politique monétaire : Etats-Unis et zone euro
Dans le cas des Etats-Unis, le mode de fonctionnement habituel de la politique monétaire
(open market) associe quantités et prix : pour faire baisser le taux monétaire (p), la BC offre de
la liquidité (q). Mais, à partir de l'été 2007 et plus encore à partir de l'automne 2008 (Lehman),
les marchés monétaires sont paralysés par le doute sur la solvabilité des contreparties et sur la
valeur des collatéraux. Le taux directeur ne commande plus le taux du marché monétaire qui
atteint des sommets, sans pour autant équilibrer le marché puisque, en situation d'incertitude, le
prix ne joue plus son rôle : les institutions financières détentrices de liquidité refusent de la
prêter, même à un prix élevé, car elles ne veulent pas prendre un risque inconnu et, d'autre
part, elles préfèrent garder leur liquidité pour elles-mêmes. La demande de liquidité devient
presque infinie pour une offre quasi nulle. Des conditions aussi extrêmes n'affectent pas
seulement le financement de l'économie, elles menacent l'existence même du système
financier : l'illiquidité pousse des institutions financières au défaut, ce qui provoquerait des
pertes irrémédiables pour les autres.
Les banques centrales sont alors sorties de leur rôle habituel et ont, en quelque sorte,
"intermédié" les banques : d'un côté du bilan, elles ont massivement prêté la liquidité
manquante et, de l'autre, elles ont recueilli la liquidité excédentaire. Les créances de la banque
centrale sur les banques (à l'actif du bilan de la BC) ont augmenté en même temps que les
créances des banques sur la banque centrale (au passif du bilan de la BC). Dans des
circonstances normales, la liquidité apportée par la BC au système bancaire est utilisée par les
banques demandeuses et l'excédent redistribué via le marché monétaire : en augmentant la
liquidité de certaines banques, on augmente celle du système bancaire et on stimule le
financement de l'économie. Dans le contexte de 2007/2008, la liquidité ne circulait plus. Les
banques qui en obtenaient de la BC la gardaient par précaution sur leur compte : le gonflement
simultané des deux côtés du bilan de la BC ressemble à une intermédiation (dépôts/crédits)
mais n'en est pas puisque, du fait de son pouvoir monétaire, la BC n'a pas besoin de recevoir
des ressources pour accorder des financements. L'augmentation du montant des créances de
la BC était inquiétante, mais bien plus encore celle de ses dettes qui traduisait la rétention de
liquidité par les banques et la gravité du stress qu'elles subissaient.
La progression des bilans est spectaculaire : Entre juillet 2007 et février 2013, les bilans de
la Réserve fédérale et de la Banque d’Angleterre ont augmenté respectivement de 254 % et de
394 %, contre 130 % pour l’Eurosystème. La BCE, qui a accordé il y a un an plus de 1 000
milliards d’euros de financements directs aux banques de la zone euro dans le cadre de ses
opérations de refinancement à plus long terme (LTRO), a perçu des remboursements anticipés
à hauteur de 224 milliards d’euros. Elle est donc la seule grande banque centrale à avoir vu son
bilan diminuer, le programme OMT restant à ce jour inutilisé. Le bilan de la Banque nationale
suisse s’est lui aussi stabilisé, après avoir franchi la barre des 500 milliards de francs suisses,
soit 83 % du PIB." (BIS, Quaterly Review, 2013/3).
Banques centrales : taille et composition du bilan
en % PIB
(En milliers de milliards de la monnaie d’émission) BRI, RA 2012, Gr IV.3
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BRI, QR 2015/3, Gr 8
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Valeur faciale. MBS=titres adossés à
des hypothèques
(mortgage-backed securities).
2
Obligations sécurisées détenues au titre des
1er et 2eprogrammes d’achat d’obligations
sécurisées (PAOS). 6 Titres détenus au titre
du programme pour les marchés de titres
(PMT).
5
Les choses ont été plus faciles pour la BCE que pour le Fed. Elle avait, dès l'origine, conçu
son dispositif "conventionnel" de manière extensive : une définition extensive des "actifs
éligibles" (collatéraux admis par la BC) se traduit par un volume d’actifs utilisables («gisement»)
considérable, de l'ordre de € 10'000 milliards (dont environ 1/3 directement détenu par les
banques, ce qui équivaut à l'encours de leurs dépôts à vue). D'autre part, la liste des
"contreparties éligibles" est également large : tous les Etablissements de Crédit assujettis aux
Réserves obligatoires ont accès aux opérations de banque centrale, soit environ 1700
Etablissements pour toute la zone euro. Aussi, dès l'été 2007, la BCE a pallié la paralysie de
l'interbancaire en allongeant les échéances de ses apports par la multiplication d'opérations à
3 mois (Long term refinancing operation LTRO) qui stabilisaient la liquidité. De Juillet 2007 à
Septembre 2008, le total de bilan n'augmente pas, c'est la composition des apports qui change,
la part des LTRO passe de 1/4 du total à 2/3. A partir de la panique de septembre 2008
(Lehman), en un mois, entre le 26/09/2008 et le 31/10/2008, le volume des concours de
l’Eurosystème aux banques est pratiquement multiplié par deux (de €487 mm à 839,6mm).
L'aggravation de la situation en Octobre pousse la BCE à assouplir les conditions d'attribution
de la liquidité, désormais à taux fixe, toutes les demandes exprimées étant satisfaites, et à
diminuer la pénalité (de 100 à 50 points de base) pour l'usage de la facilité de prêt marginal
1
2
(liquidité d'urgence) . De plus, la BCE élargit encore la liste des collatéraux acceptés . En mai
2009, elle décide de lancer des opérations de refinancement à 1 an (dont la première, le 25 juin
3
a prêté €442 mm à 1121 établissements au taux fixe de 1%) . Les mesures non
conventionnelles ont été destinées à garantir la liquidité et la profondeur de compartiments du
marché financier en proie à des dysfonctionnements (programme d'achat d'obligations
sécurisées à partir de juin 2009 et, à partir de mai 2010, "programme pour les marchés de
titres" Securities Markets Programme).
De son côté, le Fed a dû improviser l'élargissement des contreparties et des collatéraux à
travers une multitude de programmes ad hoc dont le Troubled Asset Relief Program (TARP) du
3 octobre 2008 consistant en achats temporaires d'actifs aux institutions financières. Le Fed est
aussi intervenu aux côtés du Trésor dans le renflouement d'institutions insolvables. Le
quantitative easing, qui a été qualifié de desperate measures for desperate times, première
génération (QE1), deuxième génération (Q2) et troisième génération (Q3, Sept 2012) en raison
communiqué du 8 octobre 2008
communiqué du 15 octobre 2008
3 De façon encore plus exceptionnelle, elle procède en décembre 2011 et février 2012 à des apports à 3 ans.
1
2
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de la mollesse de la reprise, consistait à racheter massivement des actifs sur les marchés afin
de renflouer les institutions financières et, puisque les taux à court terme sont déjà au
1
minimum, agir sur les taux à long terme en les poussant vers le bas .
Ainsi, on a pu considérer que les BC étaient passées du rôle traditionnel et justifié de prêteur
2
en dernier ressort (lender of last resort) à celui de market maker of last resort , teneur de
marché ultime qui, en achetant des actifs que personne ne veut, fixe une limite à l'effondrement
de leur prix. Ces achats sont directs pour le Fed, indirects pour la BCE (qui, jusqu'en 2015,
passe principalement par les pensions pour acquérir temporairement des actifs sans les acheter
sur leur marché).
b) réponses de la politique monétaire : Suisse
Comme les autres BC, la Banque nationale, pour arrêter la course à la liquidité post
Lehman, a augmenté les quantités (montant des pensions +60% en 2008) et baissé le taux
3
directeur de 3% à 0,5% :
i) 2009/2011 entre le manque et l'excès de liquidité
A partir de 2009, la BNS a diagnostiqué des pressions déflationnistes qui rendaient
nécessaire le recours à des moyens non conventionnels : les achats de devises. Ceux-ci
avaient deux visées convergentes, injecter des liquidités (ventes de francs contre devises) et
freiner l'appréciation du franc. Pour avoir un effet, les montants ont dû être si élevés que la
liquidité est devenue excessive : la banque a alors suspendu les pensions et procédé à des
opérations de résorption de liquidité. Cette stratégie n'ayant pas pleinement réussi, la
dépréciation ultérieure des devises acquises a coûté cher à la BNS. Ses résultats financiers de
4
2010 ont été négatifs à - 19,171 mm de francs, à la suite de pertes de change . En 2010, la
1 When the Great Recession ended in June 2009, the Fed was in the midst of purchasing a substantial quantity of MBS and agency securities, and
these purchases continued well into 2010. This program was part of what is sometimes called QE1. Another element of QE—reinvestment of
maturing securities—began in August 2010 and continues today. From November 2010 until June 2011, the Fed purchased a stock of about $600
billion in long-maturity Treasury securities in an asset purchase program sometimes called QE2. Then from September 2011 until December 2012,
the Fed engaged in “Operation Twist,” which involved swaps by the Fed of short-maturity Treasury securities for long-maturity Treasury
securities.1 Finally, purchases of MBS resumed in September 2012: From January 2013 to October 2014, the Fed purchased a large quantity of
MBS and long-maturity Treasury securities in what is sometimes called QE3 (Williamson, Stephen D., Monetary Policy Normalization in the United
States, Federal Reserve Bank of St. Louis Review, Second Quarter 2015, 97(2), pp. 87-108).
2 Buiter, 2007, "Central banks as market makers of last resort", http://blogs.ft.com/maverecon/2007/08/central-banks-ahtml/ - axzz1SZeMxIsq
3 Complémentairement, la banque nationale a participé aux swaps entre banques centrales qui lui ont permis d'emprunter des dollars pour les
prêter aux banques suisses et, dans l'autre sens, elle a noué des swaps pour alimenter, via leur BC, la liquidité en francs des banques
autrichiennes et est-orientales (Pologne, Hongrie).
4 Philipp Hildebrand, président de la Direction générale de la Banque nationale suisse, Club of Rome Forum, Zurich, 20.01.2011 : "Face à ce
résultat, il est tentant d’objecter que la Banque nationale n’aurait pas dû procéder à de tels achats. Mais celle-ci n’a pas pour mission de réaliser
un bénéfice. Pour déterminer s’il convient de prendre des mesures de politique monétaire et d’acheter des devises, elle se base sur une
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BNS s'est employée à résorber l'excès de liquidité du système bancaire au moyen de reverse
1
repos et surtout d'émissions de bons de la BNS souscrits par les banques . Cet instrument
préexistant a été activé pour la première fois en octobre 2008. A partir du 25 mai 2010, les
appels d’offres ont eu lieu toutes les semaines, portant généralement sur des Bons d’une durée
de 28 jours (une partie des bons est émise à 84, 168 ou 336 jours). L’encours des Bons de la
BNS est passé de 41,1 milliards de francs en mai à 107,9 milliards en décembre 2010 : la BNS
paie des intérêts aux banques au lieu d'en recevoir et compense ce coût par le rendement plus
élevé des placements en devises (sous réserve de moins values de change). En 2011,
l'appréciation du franc et la crainte de tendances déflationnistes ont conduit la BNS à cesser de
reprendre de la liquidité et à adopter une nouvelle stratégie, le taux plancher.
ii) Politique de taux plancher (2011/2015) et explosion du bilan
En effet, pour une petite économie ouverte financièrement intégrée (SOFIE), la politique
monétaire doit tenter de concilier les impératifs internes et la contrainte de change. L'excédent
structurel de la balance courante d'une part, le rôle de refuge (safe haven) en période de
turbulences d'autre part entraînent une tendance à l'appréciation du franc qui diminue les prix
d'importation et augmente les prix d'exportation, proportionnellement au degré d'ouverture : les
exportations de biens/services représentant 49% du PIB suisse et les importations 42%, les
effets sont importants. Or les deux allaient dans le mauvais sens en 2011 : la baisse des prix
d'import aggravait les tendances déflationnistes et la hausse des prix d'export, en dégradant la
compétitivité, pesait sur la production et l'emploi. L'appréciation du taux de change équivaut à
un durcissement de la politique monétaire dont l'économie suisse n'avait nul besoin à ce
moment.
Le diagnostic de la BNS fut le suivant :
A la suite de la détérioration de l’environnement conjoncturel international et de la
revalorisation du franc, la croissance de l’économie suisse s’est nettement ralentie au cours
de l’année. Du côté des branches fortement exportatrices, la création de valeur ajoutée s’est
repliée et, pour la première fois depuis deux ans, le chômage a de nouveau augmenté
légèrement durant les derniers mois de 2011
En conséquence, en septembre 2011, la BNS prit la décision extraordinaire de bloquer
2
l'appréciation du CHF:EUR en fixant un cours plancher de l'euro à 1,20 fr contre 1€ . Pour
cela, il lui faut massivement acheter de l'euro contre franc. Si l'inverse, combattre la
dépréciation du taux de change en achetant sa monnaie contre devises, se heurte à
l'épuisement des réserves et des capacités d'emprunt de devises, combattre l'appréciation, ne
rencontre (théoriquement) aucune limite puisque la BC n'a besoin que de francs et que c'est elle
qui les "fabrique".
Ces achats de devises gonflent le bilan de la Banque nationale qui passe de 20% PIB à
80%. Le graphique ci-après (en millions de francs) retrace le total (fin d'année et fin juin 2015).
La crise avait fait passer le total du bilan de 100 mm à 200mm, la politique de cours plancher l'a
propulsé à près de 600mm:
appréciation du risque de déflation et du degré d’expansionnisme nécessaire, au niveau de la politique monétaire, pour le contrer. Il était hors de
question pour la Banque nationale de rester inactive durant les périodes dramatiques de 2009 et de 2010."
1 Les appels d’offres visant à placer des Bons de la BNS se font à taux variable selon une procédure d'enchères qui révèle la propension à payer
des acteurs du marché et permet de résorber des liquidités aux prix du marché.
2 " la Banque nationale a fixé, le 6 septembre 2011, un cours plancher de 1,20 franc pour un euro. Elle a souligné qu’elle ferait prévaloir ce cours
plancher avec toute la détermination requise et qu’à cette fin, elle était prête à acheter des devises en quantité illimitée."
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Comme les banques n'ont pas l'emploi de cette liquidité accrue, elles en laissent la plus
grande partie à la BNS (comptes de virement : barres grises). Aujourd'hui, l'actif de la BNS est
composé à 90% de devises et le passif à 60% de dépôts des banques.
Les résultats sur le taux de change furent aussi automatiques que spectaculaires : l'euro qui
était tombé à CHF 1,10 est remonté à 1,20 et s'est stabilisé, sans pourtant repartir durablement
à la hausse, alors que, depuis milieu 2012, il s'est apprécié de plus de 10% contre le dollar. La
BNS observe que le CHF reste surévalué et se déclare prête à prendre d'autres mesures si les
1
perspectives économiques et les risques déflationnistes l’exigeaient .
Compte tenu de sa taille en valeur absolue, le bilan de la BNS (comme, d'ailleurs, celui de la
Banque d'Angleterre) s'aperçoit à peine sur un graphique mondial. Mais, en valeur relative, à
plus de 80%PIB, le bilan BNS dépasse toutes les banques centrales (p 111, graphique de
droite), même la Banque du Japon (autour de 60%PIB).
La composition du bilan est aussi une particularité. Les autres BC des économies avancées
accumulent des actifs libellées dans leur monnaie alors que ceux de la BNS sont en devises :
curieusement, son bilan ressemble davantage à celui de la Banque Populaire de Chine
(52,3%PIB dont 78% d'avoirs en devise) qu'à celui des BC de la zone OCDE. Les BC des
économies émergentes accumulent des devises par précaution. Si ce motif est étranger à la
BNS, la politique de taux-plancher lui fait partager avec la Banque Populaire de Chine le souci
d'éviter (freiner) l'appréciation de sa monnaie.
Que faire des devises acquises ? les conserver "cash" ne rapporterait rien et ne paierait pas
le risque de change. Elles sont donc placées en actifs rémunérateurs étrangers qui, autant que
1 En ajoutant aux tendances réelles, internationales et nationale, la faiblesse de l'inflation, l'examen de la politique monétaire du 19/06/2014
concluait prudemment : Dans l’ensemble, l’environnement demeure extrêmement difficile pour l’économie suisse et pour notre politique monétaire.
La Suisse étant un petit pays étroitement lié au reste du monde, elle est fortement exposée aux évolutions qui touchent l’ensemble des pays et
ses voisins en particulier...le cadre monétaire demeure très complexe en raison du bas niveau des taux d’intérêt en Europe et dans le reste du
monde, mais aussi de la force du francThomas Jordan, introduction à la conférence de presse :
http://www.snb.ch/fr/mmr/speeches/id/ref_20140619_tjn/source/ref_20140619_tjn.fr.pdf
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possible doivent être sûrs et liquides. Les euros achetés sont, en partie, convertis entre d'autres
monnaies. Début 2015, les réserves de devises de la BNS se composaient à 32% d'actifs en
dollar, 42% en euro, 7% en sterling, 8% en Yen, 4% en dollar canadien. Ils étaient investis en
obligations d'Etat (72%), autres obligations (11%) et en actions (17%) libellées dans ces
monnaies. De ce fait, la BC s'expose au risque de change puisqu'une dépréciation par rapport
au franc de la monnaie de placement diminue la valeur des actifs. Elle prend, de plus, un risque
de marché : toute baisse des cours se traduit par des moins-values. Enfin, ultérieurement, il
sera difficile de dégonfler le bilan sans déstabiliser les marchés et subir des pertes, quoique la
BC ait l'avantage de pouvoir choisir son moment puisque, par définition, elle ne subit pas de
contrainte de liquidité.
iii) Une balance coût/avantage défavorable (2015)
Dans l'abstrait, une BC est toute puissante et le public le croit d'autant mieux que, pour être
crédible, la BC tient un discours convaincu. On ne sait pas quelles valeurs critiques s'était fixées
la Banque nationale mais, sans le dire (cela aurait décrédibilisé le taux plancher), elle était
consciente des limites de ses capacités. Après avoir acheté €300mm pour maintenir trois ans
l'euro à 1,20fr, la BNS a surpris le monde entier en abandonnant cette politique le 15 janvier
2015, avec, pour résultat immédiat un spectaculaire plongeon de l'euro au-dessous de 1fr :
L'abandon de l'outil quantitatif réactive les instruments prix : pour autant que les flux de
capitaux dépendent des taux d'intérêt, les investisseurs empruntent les monnaies dont les taux
sont les plus faibles et placent dans les monnaies dont les taux sont supérieurs, ce qui fait
baisser le taux de change des premières. Mais comme les taux d'intérêt dans la zone euro sont
déjà très faibles, pour être au-dessous, il faut passer en négatif. Ainsi, dans l'espoir que le
différentiel de taux d'intérêt incite aux placements en devises, la Banque nationale a fait passer
son taux directeur dans la zone négative (LIBOR -1,25%/-0,25%) et, complémentairement,
1
instauré un taux négatif de -0,75% sur l'excès de réserves des banques déposés à la BC .
Comme les investisseurs prennent en compte à la fois l'écart présent de taux d'intérêt et
l'évolution future du taux de change, il n'est pas certain que le différentiel actuel suffise (placer
des euros en francs à -1% est gagnant dès que l'euro se déprécie de plus de 1%). La BNS
1 (Le taux d’intérêt négatif) est appliqué à tous les avoirs à vue qui sont détenus à la BNS par les banques et d’autres intervenants sur les
marchés financiers et qui excèdent un certain montant exonéré .. Les exonérations s’élèvent au total à 300 milliards de francs approximativement.
Ainsi, sur les quelque 455 milliards de francs que représentent actuellement les avoirs à vue, environ 155 milliards sont soumis au taux d’intérêt
négatif. Celui-ci a généré, jusqu’ici, des intérêts d’à peu près 100 millions de francs par mois. .. En appliquant un taux d’intérêt négatif aux avoirs à
vue qui excèdent un certain montant, nous incitons l’ensemble du système financier à préférer les placements en monnaies étrangères aux
placements en francs et à limiter ainsi les nouveaux afflux de fonds (Zurbrügg, cfce de presse de la BNS, 18 juin 2015).
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devra-t-elle pousser ses taux de plus en plus loin dans la zone négative ? (et avec quelles
conséquences sur le crédit intérieur et le système monétaire ?).
La décision apparemment soudaine de renoncer au taux plancher a d'autant plus traumatisé
les acteurs économiques et le public que rien dans la communication de la BNS ne la laissait
pressentir (aucun signal ne pouvait être donné par avance pour ne pas ruiner le taux plancher).
La politique de taux-plancher constituait pour la Banque nationale une prise de risque qui
augmentait avec la taille du bilan : outre le problème de la normalisation, les résultats financiers
de la BNS dépendaient des marchés (marchés des actifs de placement et taux de change) et
leur amplitude, comme leur variabilité, augmentait. La BNS s'exposait à des pertes pouvant
dépasser ses fonds propres (à la fin du 1er semestre 2015, les pertes de 50mm ont absorbé
60% des fonds propres de la BNS). Théoriquement, une BC est la seule entreprise qui reste
viable avec des fonds propres négatifs mais, en pratique, cela affecterait sa crédibilité et la
différence d'échelle entre les opérations de la BC (90%PIB) et les finances publiques (33%PIB)
poserait des problèmes financiers. Enfin et surtout, ces difficultés croissent exponentiellement :
plus la taille du bilan est élevée, plus il faut l'augmenter pour exercer une action additionnelle.
On peut supposer que, dès 2011, la Banque nationale avait conscience que, dans la durée,
le taux-plancher pouvait finir par la piéger. Elle n'a pas voulu un taux fixe de 1,20 pour l'éternité
mais a pensé faire face à un déséquilibre temporaire : tant que l'euro s'appréciait contre le dollar
et que la politique monétaire de la BCE semblait devoir se normaliser, on pouvait espérer que le
taux de change EUR:CHF finirait par se stabiliser de lui-même et que les interventions
deviendraient marginales. Mais la Banque nationale a été prise à contre-pied : fin 2014, à partir
du moment où la banque centrale européenne adoptait un programme de rachats d'actifs (à
hauteur de €60mm/mois) et où la divergence des politiques monétaires s'aggravait entre l'euro
(assouplissement renforcé) et le dollar (perspectives de normalisation), la baisse du taux de
change de l'euro contre dollar allait exercer une pression accrue sur le taux de change
euro:franc, ce qui obligerait la BNS à accroître encore son bilan et donc son exposition aux
risques. Le piège se refermait. Avec un bilan déjà à près de 90% PIB, la Banque nationale n'a
pas voulu assumer le déséquilibre de la balance entre des coûts de plus en plus grands (prise
de risque) et des avantages limités (l'impact antidéflationniste reste incertain) :
tout accroissement supplémentaire de notre bilan revient à «exercer une option», pour
utiliser le langage financier. Un tel choix, quel que soit le moment où il est fait, réduit la marge
de manoeuvre de la BNS: il place en effet la barre encore plus haut pour toute utilisation
ultérieure du bilan à des fins de politique monétaire... la seconde raison expliquant que le
maintien du cours plancher aurait fortement accru les risques: toute expansion du bilan entraîne
1
une augmentation des risques financiers pour la BNS et pour le pays .
c) revenir à la normalité ?
Avec un indice des prix stable ou en baisse (-0,7% en juillet 2015), on ne craint pas l'effet
inflationniste de la dilatation du bilan de la banque centrale (on l'espérerait plutôt) : en effet, la
multiplication de la base monétaire (×10 en Suisse, de 2007 à 2015) ne s'est pas transmise à
la masse monétaire (en Suisse, M3 × 1,6) puisque la plupart des fonds injectés directement ou
indirectement par la banque centrale lui sont revenus sous forme de dépôts sans pénétrer dans
l'économie. En effet, pour que la masse monétaire augmente, il faut que les banques accordent
des financements au secteur non monétaire (ce qui est le but visé par la BC) : jusqu'à présent,
si les financements ne se sont pas effondrés (grâce à ce soutien ?), ils n'ont pas augmenté de
manière importante. Toutefois, ils pourraient le faire si l'économie redevenait normale. Cette
formidable réserve de liquidité aurait un potentiel inflationniste dans le cas où une éventuelle
explosion du crédit serait couplée avec une envolée des prix des produits de base.
1 Danthine, Jean-Pierre, 2015, Politique monétaire suisse: passer des idées reçues aux faits avérés, Swiss Finance Institute Evening Seminar,
Genève, le 19 mai 2015 : http://www.snb.ch/fr/mmr/speeches/id/ref_20150519_jpd
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On s'inquiète aussi de la dégradation des bilans des banques centrales, on l'a vu avec la
Banque nationale. Habituellement (cf. supra CH1 §22b), les BC n'acceptent que des actifs de
première qualité, dans le double but d'inciter les banques à les rechercher (puisque ce sont des
réserves de liquidité) et de ne pas s'exposer elles-mêmes au risque. L'augmentation du bilan
s'est faite contre des actifs de qualité inférieure, les banques gardant les meilleurs pour rendre
leur bilan plus robuste et, éventuellement, les utiliser sur le marché interbancaire. En achetant
des actifs qui n'avaient plus de prix de marché, les BC ont soutenu le marché et pris les risques
associés. Elles s'exposent à des pertes qui pourraient donner naissance à des doutes juridiques
(n'ont-t-elles pas dépassé leur mandat ?) et à des incertitudes institutionnelles : dans quelle
mesure un soutien budgétaire à la BC affecterait-il son indépendance ? Que la BC fasse des
1
bénéfices choque parfois l'opinion publique , qu'elle soit en perte est traumatisant, tant pour
2
l'Etat qui est privé de dividendes et d'impôts, que pour l'image de la BC.
Toutefois, dès avant la crise, les BC avaient apporté une attention croissante à leur bilan et à
3
leur gestion du risque des collatéraux . Bien sûr, le risque est plus grand lorsque la BC achète
directement les actifs sur leur marché car, dans ce cas, l'opération est définitive et le risque
intégral. Ceci dit, le risque ne s'est pas concrétisé : au contraire, le Fed a réalisé un
4
remarquable bénéfice de près de 80 milliards en 2010, réitéré en 2011, 2012, 2013 et 2014 ,
principalement grâce aux intérêts reçus des actifs en portefeuille. De même, jusqu'à présent, la
plupart des autres BC ont gagné et non perdu de l'argent. Les actifs rachetés en catastrophe
ont été payés au plus bas et revendus quand les conditions de marché se sont améliorées :
ainsi, ex post, le sauvetage d'AIG a rapporté $17,7mm au Fed ; quant à l'opération UBS, elle a
rapporté à la BNS $1,6 mm d'intérêts plus $3,762 mm lorsque, en 2013, UBS lui a racheté le
Stabfund...Cependant les bilans des BC dépendent à présent des marchés autant que les
marchés des BC. Or le dégonflement des bilans des BC ne restera pas sans effet sur les
marchés qui, déjà, surréagissent à chacune de leurs initiatives, possibilité ou rumeur d'initiative.
Comme les mesures exceptionnelles, le retour à la normale a deux aspects : mettre fin aux
injections de liquidité et retrouver des taux directeurs positifs. C'est le problème de la stratégie
de sortie (exit strategy). La norme idéale avait été formulé Trichet, alors président de la BCE,
qui réclamait que les mesures exceptionnelles soient "TTT" (timely, targeted, temporary) et que
les conditions de réversibilité soient fixées par avance, de manière à ce que les marchés et le
public connaissent les règles du jeu, et aussi que la BC soit contrainte par ces règles. Lorsque
la liquidité est passée par des prêts, la réversibilité est automatique à l'échéance (même
lointaine) : la BCE est la seule BC dont le bilan a diminué nettement (plus de 30%) à la suite
des remboursements des banques. Au contraire, lorsque la liquidité passe par des achats
d'actifs, des décisions sont nécessaires et elles sont difficiles à prendre. Il est hasardeux pour
une banque centrale de faire le premier pas en arrière, tant que l'économie hésite entre reprise
et rechute et qu'il existe des fragilités financières. L'alternative "trop tard ou trop tôt" est
paralysante. Comme le système bancaire et les marchés ont été "dopés", mais non guéris, par
la banque centrale, toute perspective de changement de stratégie en vue d'un retour progressif
à la normale inquiète ou affole les opérateurs financiers. Paradoxalement, les efforts accomplis
1 Rien de plus normal pourtant puisque la BC prête à n% de la liquidité qui ne lui coûte rien. C'est le revenu du "seigneuriage", le pouvoir de
"battre monnaie". Après alimentation des réserves, cette rente est rétrocédée à l'Etat et aux autres actionnaires éventuels.
2 Ainsi, suite aux pertes de change de la BNS en 2010 et à l'éventualité de ne pas recevoir de versement les mauvaises années, les cantons ont
fortement protesté. Voir Le Temps 7 janvier 2011 «Les cantons ont besoin des dividendes de la Banque nationale suisse».
3 Lorsqu'elles prêtent des liquidités aux banques, les risques des collatéraux proposés sont analysés : si leur prix de marché est inexistant ou peu
significatif, le pricing to model est opéré par la BC elle-même qui, ensuite, applique des haircuts proportionnels au risque. En outre, pendant la
durée de l'opération, la BC surveille les déviations du prix des actifs par rapport à leur prix initial et procède à des appels de marge (margin call)
en cas de diminution et à des remises de marge dans le cas inverse : le montant du collatéral varie donc en continu avec son prix.
4 En 2010, le bénéfice a été de $81mm dont 79,3 ont été reversés au trésor). En 2011 de 78,9mm dont 76,9 reversés. En 2012 de 91mm. En
2014 la Fed a encaissé 115,9 milliards de dollars d'intérêts sur les obligations et les prêts hypothécaires titrisés rachetés ces dernières années
dans le cadre de ses trois plans d'assouplissement quantitatif successifs. Le Fed a versé $96,9 mm à l'Etat fédéral auxuqels s'ajoutent les
dividendes payés à l'Etat par "Fannie" (Federal National Mortgage Association) et "Freddie" (Federal Home Loan Mortgage Corporation). Au total,
ils se montent à 134,5mm pour Fannnie (pour 116,1mm d'aides reçues) et 91mm pour Freddie (71,3mm).
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par les BC pour diminuer l'incertitude pendant la crise, engendrent aujourd'hui de l'incertitude.
Tout le monde sait que la respiration artificielle empêche de vivre normalement mais personne
n'est sûr de pouvoir respirer par lui-même.
Dans le but d'éviter un choc monétaire et de stabiliser les anticipations concernant le futur de
la politique monétaire, les banques centrales ont recouru à une nouvelle technique de
communication, intensivement pour la Banque d'Angleterre ou le Fed, activement pour la BCE
et modestement pour la BNS : l'orientation prospective (forward guidance). Ce pilotage des
anticipations vise à expliciter le mécanisme de décision de la BC en exposant les conditions
requises pour commencer la normalisation. Ainsi les opérateurs, en observant les données,
peuvent déterminer la BC se rapproche ou s'éloigne de la normalisation. Comme beaucoup de
1
bonnes idées, celle-ci pose autant de problèmes qu'elle en résout :
• les conditions doivent être énoncées clairement, ce qui est difficile sans simplifier la
réalité et donc s'exposer à des révisions ou explications qui produiront de la confusion ;
• la BC doit être convaincante sans pour autant se lier les mains à l'avance, ce qui est
contradictoire ;
• même si l'opinion comprend les conditions et y croit, il faut qu'elle les interprète dans le
sens désiré : un message rassurant peut être pris comme l'indice d'une situation plus
grave qu'on ne le pensait et produire l'effet inverse.
Sans pouvoir entrer dans les détails de ce dialogue compliqué entre la BC et l'opinion,
illustrons le par le cas du Fed. Sa politique avait deux volets, un taux directeur proche de 0% et
2
de massifs achats d'actifs . En décembre 2012, Bernanke et le comité monétaire ont lié la
diminution ou l'arrêt de ces achats à la stabilisation du marché du travail dans un contexte de
stabilité des prix, ce qui, quoique compréhensible pour les citoyens et économiquement
3
défendable, restait statistiquement flou . Concernant le taux directeur, la déclaration fut qu'il
resterait à son minimum tant que le taux de chômage serait supérieur à 6,5%. Mais, comme
l'économie américaine sortait du marasme, la diminution du taux de chômage a fait craindre la
fin de ces achats et le début de l'augmentation du taux directeur. Dans cette phase hésitante de
la reprise, le FOMC a multiplié les signaux pour rassurer, en psalmodiant le mantra que 6,5%
était un threshold pas un trigger, un indicateur pas un seuil de déclenchement. Dans l'autre
sens, il fallait maintenir la possibilité de normalisation et Bernanke, alors président du Fed, a
provoqué la confusion et perturbé les marchés en juin 2013 en déclarant que l'amélioration de
4
l'économie pouvait permettre d'envisager une diminution des achats d'actifs ...diminution qui ne
fut pas décidée lors de la réunion suivante du comité (septembre), aggravant l'opacité. Lors de
la conférence de presse du 18 septembre, un journaliste lance que le message est confusing
investors and sending mixed signals.
Alors que la référence au chômage conduit l'opinion à confondre tapering et relèvement du
taux d'intérêt, le comité s'efforce de les dissocier : le passage du chômage au-dessous de 6,5%
n'entrainera pas automatiquement un relèvement du taux directeur, il déclenchera le processus
5
d'examen des conditions qui pourraient conduire à un tel accroissement . Bernanke ajoute, en
septembre 2013, que, même après la fin des achats d'actifs, la politique monétaire restera
Filardo Andrew & Hofmann Boris, 2014, Forward guidance at the zero lower bound, BIS Quarterly Review, March 2014
Sous le QE3 depuis septembre 2012, achats mensuels de €85mm d'actifs à long terme sur le marché, répartis à peu près pour moitié entre dette
publique et dette hypothécaire, soit 1020mm par an
3 Outre les problèmes de méthodologie de la mesure, le taux de chômage ne traduit pas mécaniquement l'état de l'économie, notamment parce
que des sans-emploi se retirent du marché du travail ou y reviennent. Il faut le compléter par une batterie d'indicateurs, ce qui rend sa signification
beaucoup moins lumineuse.
4 Although the Committee left the pace of purchases unchanged at today’s meeting, it has stated that it may vary the pace of purchases as
economic conditions evolve....If the incoming data are broadly consistent with this forecast, the Committee currently anticipates that it would be
appropriate to moderate the monthly pace of purchases later this year (June 19, 2013).
5 Conf. de presse 18/09/2013: a decline in the unemployment rate to 6 1/2 percent would not lead automatically to an increase in the federal funds
rate target, but would, instead, indicate only that it had become appropriate for the Committee to consider whether the broader economic outlook
justified such an increase. The Committee would be unlikely to increase rates if inflation were projected to remain below our 2 percent objective for
some time, for example
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fortement accommodante pendant une longue période. Il répète (comme l'a fait sans cesse la
BoE) que la décision est liée aux données (data dependant) et qu'il n'y a pas de calendrier.
Quoique le raisonnement de la BC soit parfaitement compréhensible, il se prête mal à une
communication convaincante. En décembre 2013, comme le taux de chômage baisse encore, le
comité monétaire ne décide pas l'arrêt des achats d'actifs, encore moins la revente des actifs en
1
portefeuille , il décide prudemment que, si la situation continue à s'améliorer, les achats d'actifs
diminueront de €10mm chaque mois. L'opinion, bien préparée, comprend la décision qui,
néanmoins, lui fait craindre un relèvement du taux directeur. Le comité précise alors que, si
l'inflation reste au-dessous de 2%, les taux resteront à zéro well past the time that the
unemployment rate declines below 6½ percent, ce qui fait passer d'une guidance quantitative
2
problématique à une guidance qualitative qui l'est encore davantage . Les 15 et 16 juillet 2014,
dans son rapport semestriel au Congrès, Yellen déclare que la reprise économique américaine
reste inachevée et que la fragilité du marché comme la stagnation des salaires justifient pour
l'instant le maintien d'une politique monétaire ultra accommodante, mais elle ajoute : «Si le
marché du travail continue à s'améliorer plus rapidement qu'anticipé (...), les hausses du taux
directeur pourraient probablement intervenir plus tôt et être plus rapides que ce qui est
actuellement envisagé»...La dernière réunion du FOMC (juillet 2015) a laissé le taux inchangé
et jugé que, malgré la baisse du chômage (5,3%), il faut encore attendre : l'inflation est audessous de l'objectif (+0,2% en mai) et l'appréciation du dollar durcit déjà les conditions
monétaires.
La guidance qualitative manque de persuasion mais la guidance quantitative, si elle est
contraignante, lie les mains de la BC ; si elle n'est pas contraignante, la conditionnalité entraîne
la complexité et la communication perd en efficacité. En outre, elle peut affecter la crédibilité de
la stabilité des prix en donnant l'impression que celle-ci est devenue un objectif secondaire par
rapport à l'état de l'économie "réelle". Enfin, elle crée un feedback pervers en cherchant à éviter
des réactions adverses des marchés (financial capture).
2.2 Les BC post crise
La prise en compte de la stabilité financière par la BC lui pose des problèmes (a) mais si les
pompiers continuent à inonder après l'incendie, ils feront plus de mal que de bien (b). Peut-être
faudrait-il repenser le cadre de politique monétaire (c).
a) politique monétaire et stabilité financière : a more complicated game 3
Les BC sont impliquées dans le renforcement prudentiel à travers la supervision et les stress
tests, ce qui se justifie, même d'un point de vue étroit, puisque la politique monétaire a besoin
de canaux de transmission fluides. Il n'est plus possible aujourd'hui d'admettre l'ancienne
division du travail qui confiait à la banque centrale la liquidité et au régulateur la solvabilité. Mais
la prise en charge de la stabilité financière par les BC brouille leur statut, leur message et peutêtre leur crédibilité. Leur responsabilité macro-prudentielle ouvre un débat sur la nature des
4
BC "postcrise" . L'intrication des banques et des marchés se transmet aux BC, ce que leurs
apports de liquidité ont bien traduit. D'autre part, la politique monétaire n'est pas sans lien avec
1 Les actifs précédemment achetés restent en portefeuille et les revenus qui en découlent continuent à être réinvestis en achats d'actifs. C'est
donc une diminution de l'augmentation, pas un arrêt, encore moins une diminution du portefeuille d'actifs détenus par le Fed.
2 Lors de la conférence de presse de Yellen le 19/03/2014 un journliste demande : given that the new qualitative guidance doesn’t give any
information about how you will trade off your unemployment and inflation objectives, does it actually give us any information?
3 The Economist, 17 Feb 2011, http://www.economist.com/node/18178251. Voir : CAE, 2011, Banques centrales et stabilité financière, Rapport
n° 96 (Betbèze et al), 26 avril, http://www.cae.gouv.fr/spip.php?article180
4 D'autre part, si les infrastructures de règlement ont bien résisté, les marchés de gré à gré (over the counter, OTC) ont montré des défaillances
qu'on tente de corriger en développant les "contreparties centrales" qui, s'interposant entre les deux côtés de la transaction annulent le risque de
contrepartie. Cet objectif passe par la standardisation des contrats, la sécurisation de la contrepartie centrale elle-même et son accès à la liquidité
de banque centrale.
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la stabilité financière , même si ce lien est problématique. Enfin, si micro et macro-prudentiel
sont des champs différents, leur interaction réclame la coopération des instances de
surveillance respectives. La Suisse, avec ses 2 majors est un cas extrême de chevauchement
2
du micro-prudentiel et du macro-prudentiel .
On l'a vu, l'indépendance des banques centrales est une dimension stratégique des
politiques de stabilité des prix. Elle n'exclut pas les échanges de vue avec le Trésor mais elle
répartit les responsabilités, le Trésor n'ayant ni la possibilité ni le droit d'influencer la politique
monétaire. Cette indépendance est garantie par l'autonomie financière de la banque
centrale : celle-ci tire ses revenus de son activité et, ne dépendant pas des fonds publics, ne
tombe pas sous l'influence du gouvernement. Aujourd'hui, les risques financiers auxquels se
sont exposées les banques centrales rendent cette occurrence possible, même si elle est peu
probable. Lorsque, pendant la crise, la banque centrale a pu se limiter à son rôle de fournisseur
de liquidité, la division du travail avec le Trésor est restée claire : ce dernier avait la charge de
décider du renflouement des banques insolvables et de mobiliser les fonds publics sous une
forme ou une autre. Mais lorsque le Trésor et la banque centrale se sont associés pour
renflouer une institution, le premier plutôt en capital, la seconde plutôt en financement, comme
ce fut le cas aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Suisse, la frontière a bougé. Dans certains
cas le Trésor a apporté des fonds publics à la banque centrale pour qu'elle les mobilise au
mieux ou s'est engagé à couvrir les pertes qui en résulteraient. Cette coopération est inévitable
dès lors que la banque centrale est impliquée dans le renflouement. Reprendre de la distance
3
n'est pas si facile car les nouvelles responsabilités de la BC affectent son paradigme .
Idéalement, une parfaite "résolvabilité" (resolvability) des banques mettrait les fonds publics à
l'abri (CH4, §2.2) et simplifierait le tableau. Mais ce sera dans longtemps — ou jamais.
Sans cibler directement les prix d'actifs pour éviter leur déviation, faut-il intégrer à la fonction
de réaction de la BC, les effets macro-financiers des décisions monétaires ? La stabilité des prix
et la stabilité financière ont des temporalités et des mécanismes différents. Et, puisque les
finances publiques nationales sont devenues le garant ultime du système financier, la mission
de stabilité financière ne pourrait pas ignorer leurs difficultés : la politique de stabilité des prix, et
la banque centrale avec elle, risquent d'être capturées.
Dans "l'ancien monde" d'avant la crise, il y avait adéquation entre l'indépendance des
banques centrales et leur mission de stabilité des prix : différences d'horizons et de fonctions de
préférences entre le gouvernement et la banque centrale ; caractère de "bien public" de
l'objectif ; pertinence du levier monétaire de la BC ; objectif traduisible en termes opérationnels
(∆IPC<2%) et résultats vérifiables ; corrélativement, responsabilité de la BC. Par contre, ajouter
à la stabilité des prix un objectif direct de "stabilité financière" soulève trois séries d'objections :
1)
indétermination : on reconnaît l'instabilité financière quand elle est là, la
4
stabilité financière ne se laisse pas aisément exprimer en termes opérationnels .
L'indépendance de la BC est requise et justifiée pour atteindre un objectif vérifiable (et il
n'est pas sans importance que l'indice des prix soit établi par une autre institution que la
Janet L. Yellen, October 11, 2010, "Macroprudential Supervision and Monetary Policy in the Post-crisis World"
http://www.federalreserve.gov/newsevents/speech/yellen20101011a.htm
2 "Our macroprudential oversight is largely complementary to the microprudential oversight carried out by FINMA. However, in Switzerland,
overlaps occur naturally between the microprudential and macroprudential perspectives due to the systemic importance of the two big banks."
(Current state of the financial system in Switzerland - Introductory remarks by Mr Philipp Hildebrand, Vice-Chairman of the Governing Board of the
Swiss National Bank, at the half-yearly media news conference, Berne, 20 June 2009. http://www.bis.org/review/r070620b.pdf).
3 Alors que les banques centrales devaient se rapprocher des autres autorités gouvernementales en temps d'urgence, maintenant que la crise a
été circonscrite, un peu plus de distance est de rigueur ...It was right and important, during the recent crisis, for central banks around the world to
work closely with governments. However, the risk now is that false expectations have been raised amongst politicians. Central banks need to
remain firm and concentrate on their monetary policy mandate. While it was necessary to be close to other government authorities at a time of
emergency, now that the crisis has been confined, a little more distance is in order. Hildebrand, 2011, "The independence of the Swiss National
Bank", op. cit.
4 Déjà la "stabilité des prix", aussi simple et spécifié qu'apparaisse aujourd'hui cet objectif, a suscité en son temps d'âpres débats concernant le
choix de l'indicateur, la valeur critique, la période de référence, la pondération à lui accorder et la symétrie. Ce n'est que peu à peu que la plupart
des banques centrales ont fait admettre leurs spécifications.
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banque centrale). Comment les citoyens (directement et à travers leurs représentants)
évalueront-ils l'efficacité de l'action de stabilité financière de la BC si cette stabilité est un
mystère ou si elle est mesurée par la BC elle-même ? Plus la banque centrale a de
pouvoir discrétionnaire, plus elle doit être contrôlée (cf. l'indépendance stratégique du
Fed et sa dépendance à l'égard du Congrès). En la matière, l'indépendance est rendue
impossible par les conséquences budgétaires de l'instabilité financière. Le Trésor (et,
derrière lui, le contribuable) sont concernés. Or, si l'action de stabilité financière de la BC
est contrôlée, comme cette stabilité a des liens avec la politique monétaire, où s'arrêterat-on ? Ne va-t-on pas voir se défaire le paradigme d'indépendance et revenir à une
intrication BC/Trésor qui (s'en souvient-on encore ?) fut l'un des facteurs institutionnels et
monétaires de la grande inflation ?
2)
instrument : l'instrument de la politique monétaire est le taux d'intérêt (taux de
refinancement). Utiliser un même instrument pour deux fonctions différentes expose à
l'incohérence. La BC ne peut pas employer le taux d'intérêt pour "piloter" la sécurité
financière car i) cela se ferait au détriment de la stabilité des prix ; ii) l'instrument a une
portée si générale qu'il affecterait indûment l'économie réelle ; iii) il ne mordrait pas, ou
pas toujours, sur les agents visés. Il vaudrait donc mieux préférer des instruments
spécifiques, tels que des fonds propres contracycliques qui pourraient être imposés à tout
1
instant aux banques et, c'est essentiel, aux non banques. Toutefois ces instruments en
train d'être inventés, s'ils renforcent automatiquement la robustesse des établissements,
ont des effets incertains sur le cycle financier.
3)
capture : les fonds publics sont à l'arrière-plan de la stabilité financière. A
présent, on cherche à les mettre à l'abri par une action préventive ou un bail in qui évite
de devoir renflouer des établissements en déroute. Les contribuables ne peuvent pas
abandonner leur défense à une institution "irresponsable" qui, si elle est toute puissante
en matière monétaire, ne l'est pas et ne le sera jamais en matière de stabilité financière.
Des modalités de coopération et de codécision permanents devront être institués avec le
Trésor, on l'a déjà évoqué. Mais il n'y a pas que le Trésor qui puisse "capturer" la banque
centrale et, pour qu'elle assure sa mission de production de biens publics, son
indépendance doit rester générale : l'influence de l'industrie financière, diffuse et
puissante, s'exerce par de multiples canaux, en amont comme en aval (financial capture).
Certes, les décisions en matière de stabilité des prix ont aussi des effets sur l'industrie
financière mais la stricte définition du mandat de la BC protège la politique monétaire, si
et tant que cette politique vise la stabilité des prix. La pluralité d'objectifs du Fed l'a fait
accuser, non sans vraisemblance, d'oublier main street au profit de Wall Street. Elargir le
mandat des banques centrales à la stabilité financière et les charger de cette mission
floue aux conditions changeantes les affaiblirait.
Ainsi, les BC ne peuvent ni ignorer ni assumer l'objectif de stabilité financière dont elles
craignent les implications sur leur gouvernance et leur capacité à respecter leur mandat de
2
stabilité des prix .
1 Ainsi, la "bulle immobilière" suisse présentant des dangers pour le système financier, la BNS a proposé au Conseil fédéral, qui l'a décidé le 13
février 2013, d'activer le volant anticyclique de fonds propres à hauteur de 1 % dans le segment des crédits garantis par des immeubles
d'habitation en Suisse. La FINMA est chargée de l'application de ce volant anticyclique dans le cadre de son activité de surveillance.
2 Lors des travaux du Central Bank Governance Group dans le cadre de la BRI 2, Goodhart a suggéré de sanctuariser la stabilité des prix en la
retirant aux banques centrales du nouveau type (post crisis mandate) et en la confiant à un comité de sages ! On peut supposer que c'est une
plaisanterie car le problème ne serait pas résolu : la stabilité des prix et la liquidité interfèrent, la liquidité et la stabilité financière interfèrent. Il
paraît plus habile de faire l'inverse : sanctuariser la banque centrale et reporter sa mission de stabilité financière à l'extérieur, dans un cadre où
toutes les autorités concernées coopèrent pour surveiller et maintenir la stabilité financière De ce point de vue, la solution adoptée par l'Union
européenne ne paraît pas mauvaise : la stabilité financière est confiée à un comité (ECSR) associant les BC et les régulateurs. Toutefois, dans le
cas de l'UE qui mêle plusieurs territoires monétaires dans le cadre d'une intégration financière imparfaite, on peut s'interroger sur l'efficacité du
comité. En outre, si l'exclusion des Trésors protège l'indépendance des BC, elle laisse sans réponse la question des modalités de coopération
entre BC et Trésors.
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b) plus de mal que de bien ?
On comprend que les BC hésitent devant la récession économique, la fragilité de certaines
institutions financières, les hauts niveaux de chômage (et, dans la zone euro, la crise
additionnelle des finances publiques), Mais voilà sept ans que les politiques monétaires
hyperexpansionnistes des pays avancés inondent la planète financière de liquidité gratuite, ce
qui ne peut pas rester sans effets, qui ne sont pas toujours ceux qui étaient souhaités. N'est-il
pas surprenant que les marchés financiers aient retrouvé les plus hauts sommets d'avant
crise ? La hausse concerne les actions (graphique de droite) mais aussi les obligations dont les
cours montent et donc les rendements baissent ((à gauche).
BRI, RA 2015, Gr. II.1
Les taux d'intérêt à court terme quasiment nuls et les achats d'actifs de certaines BC,
poussent les taux à long terme de référence (dette publique) à des minima historiques :
plusieurs milliers de dollar de dette ont même un rendement négatif. Où trouver du rendement
sinon en investissant dans des actifs à risque ? : actions, dettes de qualité inférieure,
emprunteurs émergents. Le résultat est, d'une part, l'abondance de financement au profit des
opérateurs les plus risqués, d'autre part la diminution des primes de risque des actifs de
moindre qualité, à la fois pour la dette corporate et pour la dette publique : paradoxalement les
pays périphériques de la zone euro qui avaient provoqué la panique en 2010/2011 ont vu leur
taux baisser fortement alors que leurs fondamentaux ne s'étaient pas améliorés dans une telle
proportion. Parallèlement, la moyenne mondiale des obligations corporate à haut rendement (et
haut risque) a vu sa prime de risque se réduire de 900 points de base (9 points d'intérêt) milieu
2011 à 400 milieu 2014.
Outre ces effets directs, les politiques monétaires des pays avancés ont débordé sur les
économies émergentes, d'une part en rendant peu coûteux et facile l'endettement en devises
des agents privés, d'autre part en mettant la BC devant la nécessité d'assouplir à son tour sa
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politique monétaire pour éviter une appréciation du taux de change dommageable aux
exportations. Ainsi, quand le 22 mai 2013 Bernanke déclare que le Comité de politique
monétaire pourrait envisager de ralentir le rythme des rachats d’actifs, cette annonce,
interprétée comme le début de la normalisation, affecte les pays émergents. Le reflux des fonds
entraîne une remontée des rendements, une chute des indices boursiers, une importante
dépréciation du taux de change et une réévaluation du risque : on découvre le ralentissement
de la croissance des émergents, les déséquilibres de leurs balance extérieure et leurs fragilités
financières.
Fondamentalement, la crise a été provoquée par un endettement excessif et celui-ci, loin de
résrober, s'aggrave :
BRI, 2015, RA
Analysant l'écart (gap) entre le ratio crédit/PIB et sa tendance à long terme qui représente
un des indicateurs avancés de crise bancaire intérieure, la BRI (RA 2014) avertit :
Dans de nombreuses économies émergentes 1 ainsi qu’en Suisse, l’écart du ratio
crédit/PIB (déviation du ratio crédit/PIB par rapport à sa tendance à long terme) se situe
largement au-dessus du seuil annonçant d’éventuels problèmes
Cette paradoxale euphorie financière s'est dirigée vers l'immobilier, notamment en
Angleterre et en Suisse : les emprunteurs pouvant trouver facilement des fonds à bas prix ont
acheté, les prix ont monté, le marché est devenu encore plus attractif, le crédit plus facile etc.
C'est la bulle la plus traditionnelle, la plus primitive et la plus dangereuse. Le cas anglais est
2
particulièrement critique puisque le marché immobilier y avait été (comme aux Etats-Unis,
Irlande, Espagne) le moteur de la crise. Chat échaudé ne craint pas toujours l'eau froide ! Le
risque est double : retournement du marché et risque de taux. Si le taux est variable
(Angleterre), le risque concerne les emprunteurs qui, en cas de remontée des taux se
trouveraient étranglés ; si le taux est fixe (Suisse), le risque concerne les prêteurs qui auraient
une marge d'intermédiation négative.
Chine, Hong-Kong RAS, Indonésie, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande ; Brésil ; Turquie
Haldane, le nouveau chief economist de la Banque d'Angleterre : He also sounded a warning on the U.K. housing market, saying any
deterioration in lending standards could burden households with hard-to-service debts and ultimately hurt growth. Real-estate prices in parts of the
U.K. are rising fast, stoking concern over a possible bubble (Apr 30, 2014). Les dernières conférences de presse trimestrielles se sont de plus en
plus focalisées sur l'immobilier, la pression que sa surchauffe met sur la politique monétaire et les dangers pour la stabilité financière.
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Au total, la politique monétaire a rendu les marchés d'actifs "liquido-dépendants" 1. Ils sont
donc d'une sensibilité extrême à ses variations anticipées et deviennent d'autant plus fragiles
que les pays sont à des stades différents du cycle économique et du cycle financier : dans les
pays où le boom financier est récent, les banques peuvent être plus faibles qu’il ne semble. Le
dilemme est alors : normaliser au risque de provoquer l'instabilité financière que la BC a mission
d'éviter ou bien attendre et aggraver les déséquilibres financiers qui, inévitablement, produiront
plus tard une instabilité financière encore plus grande.
c) un nouveau cadre de politique monétaire ?
L'an dernier, dans son rapport annuel 2014, la BRI, comme souvent, tirait la cloche
d'alarme. Sur la base de l'analyse du cycle financier (CH4 du rapport), le CH5 La politique
2
monétaire aux prises avec la normalisation s'interroge sur la capacité de la politique monétaire
3
à stimuler la reprise au sortir d’une récession de bilan . Pour ne pas tomber dans une longue
stagnation (unfinished recession), il faut que tous les agents économiques diminuent leur
endettement et donc qu'on les incite et qu'on les aide à le faire. Sortir d'une récession de bilan
4
demande plus de temps et d'efforts que la reprise après une simple récession économique et
ne doit pas être contrarié par des politiques de soutien de la demande inappropriées : injecter
des fonds dans l'économie réelle (ménages, entreprises), indirectement par la politique
monétaire ou directement par la politique budgétaire, ne déclenche pas de demande réelle
additionnelle. C'est une erreur de traiter comme un simple problème macro-économique une
question macro-financière. Tout ce qui freine l'ajustement des bilans retarde la sortie de crise et
la fragilise car la lenteur du processus de normalisation contribue à une forte expansion des
marchés d'actifs qui menace d'une nouvelle crise financière.
Après la publication de ce rapport, lors de sa conférence de presse du 03/07/2014, Draghi a
été interpelé deux fois par les journalistes à propos de ces conclusions. Il a répondu que, d'une
part les politiques monétaires font au mieux dans une situation difficile où elles perdent de
5
l'efficacité et que, d'autre part, les banques centrales, la BCE en particulier, sont conscientes
de la présence de risques potentiels pour la stabilité financière qu'elles traitent par d'autres
instruments que la politique monétaire, comme la revue de la qualité des actifs des banques
(AQR) entreprise par la BCE, les outils macro-prudentiels et l'exclusion des crédits immobiliers
6
du nouveau dispositif de stimulation du crédit (TLTRO) .
Ce type de réponse (que font ou pourraient faire d'autres banquiers centraux) ne convainc
7
pas la BRI. Le rapport 2015 (Don't let the unthinkable become the new normal ) poursuit et
durcit l'analyse antérieure :
La persistance, huit ans après le début de la crise financière, d’une politique monétaire
extrêmement accommodante amène à s’interroger sur son efficacité et, en dernière analyse,
sur la pertinence des cadres de politique monétaire actuels...le grand défi consiste à résoudre
les tensions entre stabilité des prix et stabilité financière, afin d’éviter aux économies de
rencontrer les mêmes problèmes qu’à la veille de la crise financière.
Et si la perfusion monétaire était irréversible ? LE MONDE | 12.10.2013
http://www.bis.org/publ/arpdf/ar2014_5_fr.htm
3 Cf. Borio, Claudio, 2012, The financial cycle and macroeconomics: What have we learnt?, BIS Working Papers No 395, December 2012 ; Borio,
Claudio, 2014, Monetary policy and financial stability: what role in prevention and recovery?, BIS Working Papers No 440, January 2014.
4 A cela s'ajoute la crainte que les sentiers de croissance des économies soient durablement au-dessous de leur niveau d'avant crise (qui avait
peut-être été surestimé).
5 "Are we ignoring the financial risk that could be produced because of the abundant liquidity, the very low risk spreads, risk premiums, the very
low spreads, the very narrow spreads? No, we are not, and I've listed a series of measures that we've already taken. And with the entering into
force of the Financial Stability Committee, there will be an explicit institutional attention to macro-prudential tools in the ESCB, so by the ECB and
also by the national central banks and by the supervisors."
6 Thomas Jordan, pour sa part, indiquait (Conférence de presse Berne,19 juin 2014) : nous restons préoccupés par les déséquilibres que nous
observons sur les marchés hypothécaire et immobilier. La crise financière a révélé les graves répercussions que les problèmes du secteur
financier peuvent avoir sur l’ensemble de l’économie. Or, précisément dans le contexte actuel de taux d’intérêt bas au niveau mondial, le risque
de déséquilibres sur les marchés financiers est particulièrement élevé.
7 http://www.bis.org/press/p150628.htm
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Si les politiques monétaires hyperexpansionnistes engendrent des déséquilibres financiers
dangereux, ce n'est pas comme effet collatéral négatif de décisions justifiées, mais en raison de
décisions erronées cumulatives qui provoquent un rétrécissement progressif de la marge de
manoeuvre dont disposent les politiques budgétaire et monétaire. Le "cadre" de politique
monétaire est inapproprié. Il est aujourd'hui le même qu'avant la crise, hérité de la macroéconomie "financeless" de Bretton Woods, alors que le cycle financier est de retour, ce qui
nécessite une remise en cause : i) le cycle financier est beaucoup plus long que le cycle
économique ; ii) l'objectif production/inflation ne suffit plus ; iii) l'optique nationale des mandats
et des pratiques de BC est inadaptée et contreproductive.
Non seulement les ombres longues de la crise sont toujours sur nous mais les facteurs qui
ont engendré la crise se sont renforcés : le piège des taux d'intérêt bas s'est refermé. Les taux
nuls ou négatifs diminuent la valeur actualisée des bilans et affectent la rentabilité des
Institutions financières : Loin d’être le simple reflet de l’atonie actuelle, ils en sont peut-être l’une
des causes, dans la mesure où ils alimentent de coûteux épisodes d’expansion-contraction.
L'efficacité de la politique monétaire sur les variables réelles diminue car celles-ci sont de
plus en plus déterminées par le cycle financier (notamment à travers la mauvaise allocation des
capitaux et son impact sur la productivité). Ce cycle est devenu mondial en raison de
l'interdépendance et surtout, du débordement des politiques monétaires centrales et des
interconnexions de bilan (endettement en dollar) que masque l'agrégation nette à laquelle
1
procèdent les balances des paiements . Le système monétaire et financier international (SMFI)
est moins coupable de ne pas rééquilibrer les balances courantes que de son excessive
élasticité financière qui renforce le risque d’apparition de déséquilibres financiers.
Alors que les banques des pays avancés ne sont pas encore sorties d'affaire, les tensions
2
3
s'accumulent dans les non banques et les pays émergents . Et cette "périphérie" pèse de plus
en plus : en dix ans, les EME sont passées de 1/3 à 1/2 PIB mondial et le montant total de la
gestion d'actifs a doublé (d’environ $35 000 mm en à 75 000mm). Et les deux phénomènes se
cumulent du fait de la dépendance accrue des EME aux financements de marché, fournis par
des gestionnaires d’actifs opérant à l’échelle internationale.
La BRI souligne les tensions croissantes entre stabilité des prix et stabilité financière. On ne
peut plus se contenter d'assigner la politique monétaire à la première et la politique
macroprudentielle à la seconde. Lorsqu'elles divergent (Suisse), elles se combattent au lieu de
se renforcer. Elles doivent aller dans le même sens. Comment ? s'il n'est pas question que la
politique monétaire cible les prix d'actifs, les données empiriques montrent que le crédit et les
prix immobiliers sont des indicateurs et des symptômes du cycle financier. Or les BC disposent
de moyens d'actions sur le crédit. Si, comme dans les années 90/00, elles restent obnubilées
par l'inflation, une faible inflation les rend indifférentes à une expansion exagérée du crédit et
aux déséquilibres financiers qu'elle traduit et provoque.
Mais alors, n'y-a-t-il pas conflit d'objectifs ? Non, répond la BRI, il faut reformuler l'objectif.
D'une part les politiques monétaires perdent de l'efficacité pour agir sur la production et
4
l'inflation qui relèvent de plus en plus de facteurs mondiaux ; d'autre part, l'inflation n'est plus
un indicateur fiable de la viabilité du système financier. Les BC devraient donc relativiser
l'objectif d'inflation à court terme et prendre en compte directement l'objectif de stabilité
1 Ce sont moins les données nettes que les données brutes qui importent. Si les administrations et entreprises d'EME ont des positions en
devises équivalentes mais opposées, la position nette peut paraître satisfaisante alors que, dans les faits, les positions ne s'additionnent pas et il
existe un risque financier. On pourrait toutefois soutenir que l’accent mis sur les paiements courants et les flux nets de ressources associés élude
les faiblesses fondamentales du SMFI.
2 la croissance de l'intermédiation de marché (gestion d'actifs) fait surgir la question de l'impact du comportement collectif de ces fonds sur la
stabilité du système, au travers du prix des actifs, de la liquidité du marché et des conditions de la collecte de ressources). Quelle est la capacité
d'absorption des pertes des gestionnaires d'atifs ?
3 Turner, Philip,The global long-term interest rate, financial risks and policy choices in EMEs, BIS Working Papers No 441, February 2014
4 des données – souvent négligées – tendent de plus en plus à démontrer que l’inflation réagit désormais moins à l’activité économique intérieure
et davantage aux variations mondiales
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financière à long terme dans une perspective mondiale : cette stratégie appelle à davantage de
tolérance à l’égard d’une déviation persistante par rapport à l’objectif d’inflation, en particulier
lorsque la désinflation résulte de forces positives du côté de l’offre.
Il est à craindre que cette adaptation ne se fasse pas ou qu'elle ait lieu trop tard :
Malheureusement, les progrès accomplis pour corriger ces erreurs ont été décevants. Les
facteurs financiers semblent encore cantonnés à la périphérie de la pensée
macroéconomique... Malgré l’expérience récente, le rôle à accorder aux questions de stabilité
financière dans la politique monétaire suscite encore des désaccords majeurs. Il est
communément admis que les politiques macroprudentielles doivent être la première ligne de
défense contre les déséquilibres financiers.
Et la prise en compte de la dimension mondiale se heurte aux mandats (et responsabilités)
nationaux des BC. Aussi, les grandes banques centrales émettrices de monnaies de réserve
restent confinées à un domaine d'action moins large que le champ occupé par leur monnaie.
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