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FRANCE – RUSSIE:
LE DIALOGUE SUR LE
CHAMP DU CONSERVATISME
a France reste pour la Russie pratiquement
toujours l’arbitre de l’élégance intellectuelle,
à savoir, de celle à prédominance libérale.
С’était déjà l’usage depuis le XVIII-ème siècle,
lorsque la société russe instruite lisait avec avidité
les œuvres de Voltaire et de Diderot avec qui Cathe-
rine II, en personne, était en relations épistolaires.
Alors que la Russie, par la suite, a préféré emprunter
les idées conservatrices en Allemagne ; pour ce qui
est de Paris, l’intelligentsia russe étudiait, de préfé-
rence la science du progrès et de la révolution. Au
milieu du XIXe siècle, les intellectuels de Saint-Pé-
tersbourg ont découvert le positivisme d’Auguste
Comte comme le dernier mot
de la science européenne, et
à la n du XX-ème siècle, la
classe créative de Moscou a
trouvé les réponses aux der-
nières questions de la vie dans
le postmodernisme philoso-
phique.
Cependant, les pages du
dialogue intellectuel fran-
co-russe ne se bornent pas
à l’expérience de rapprochement des deux pays sur
la base des idées de liberté, d’égalité et de fraternité.
On pourrait commencer en disant que le fondateur
du conservatisme russe en tant que courant idéolo-
gique était un homme qui écrivait en français et s’est
illustré en lançant ses pamphlets contre la Révolu-
tion française. Le nom de cet homme était Joseph de
Maistre. Nous ne pouvons pas le qualier de Fran-
çais, puisque la plupart de sa vie il a été un sujet
du monarque d’un autre pays dont il représentait
les intérêts, y compris en Russie. Néanmoins, il était
certainement un homme de culture française qui se
sentait concerné par la vie politique française. L’exé-
cution de Louis XVI a été, selon lui, le moment de sa
naissance en tant que penseur politique. Et il a réus-
si à transmettre cette énergie antirévolutionnaire
conservatrice aux intellectuels russes, dont la Rus-
sie s’est inspirée toute la première moitié du XIXe
siècle, avant que la trahison de l’Autriche pendant la
guerre de Crimée ne l’amène à prendre conscience
du caractère illusoire de sa fraternité réactionnaire
avec le monde allemand.
Dans cette sixième édition de l’Almanach «La
connaissance de soi», nous voudrions parler de
ces épisodes rares de rapprochement franco-russe
sur la base du conservatisme. L’histoire de Joseph
de Maistre et son inuence sur la pensée philoso-
phique russe occupe une place
prioritaire dans notre sélection
de textes. L’impact des idées
de Joseph de Maistre sur Nico-
las Berdiaev, qui a été noté par
l’auteur de « La philosophie de
l’inégalité » dans cet ouvrage,
n’a besoin d’aucune autre jus-
tication. La situation est plus
compliquée avec un autre per-
sonnage de notre Almanach,
à savoir, Vladimir Solovyov. Il connaissait de toute
évidence les œuvres de Maistre car il a exprimé son
jugement a ce sujet, et, on peut supposer, qu’il en a
subi l’inuence littéraire. Certes, Vladimir Solovyov
s’est montré très critique vis-à-vis de Maistre, il ne
pouvait accepter et partager l’exaltation du penseur
français au sujet du rôle du « bourreau » de la socié-
té ainsi que l’idée de l’importance des « préjugés »
dans la vie publique. Dans une note se rapportant
à son article publié dans notre Almanach, l’auteur
français François-Régis Legros, attire néanmoins
l’attention sur la similitude paradoxale de compo-
sition entre «Les Soirées de Saint-Pétersbourg»
de Maistre et les «Trois conversations» du penseur
LES PAGES DU DIALOGUE
INTELLECTUEL FRANCO-RUSSE NE
SE BORNENT PAS À L’EXPÉRIENCE
DE RAPPROCHEMENT DES
DEUX PAYS SUR LA BASE DES
IDÉES DE LIBERTÉ, D’ÉGALITÉ
ET DE FRATERNITÉ
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