Livret de l`exposition

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LA
COLLABO
RATION
1940
1945
ARCHIVES
NATIONALES
HOTEL DE SOUBISE
DU 26 NOVEMBRE 2014
AU 2 MARS 2015
LIVRET
DE VISITE
Ce livret contient la liste des documents
exposés ainsi que des commentaires
sur la plupart d’entre eux.
Le pictogramme identifie les documents
qui font l’objet d’un parcours pédagogique.
(renseignements auprès du Service éducatif,
au 01 40 27 62 62)
À la fin de votre visite, nous vous remercions de
bien vouloir rendre ce livret à la caisse.
En échange, il vous sera remis un cahier du
visiteur, gratuit, qui vous permettra de garder
la trace du parcours ici proposé.
L’ouvrage accompagnant l’exposition, écrit
par Thomas Fontaine et Denis Peschanski,
commissaires scientifiques de l’exposition
et publié aux éditions Tallandier en coédition
avec le ministère de la Défense et les Archives
nationales, est également en vente à la caisse
du Musée.
Enfin, un cycle d’extraits de films de fiction
français réalisés après 1945 vous est proposé
au rez-de-chaussée de l’hôtel de Soubise
(durée du programme 30 mn environ).
LA
COLLABO
RATION
EN 20
DOCU
MENTS
1
24 octobre 1940 : l’entrevue de Montoire
Dans l’esprit du maréchal Pétain, président du
Conseil depuis le 16 juin 1940, la collaboration
est inscrite dans le choix même de l’armistice
signé le 22 juin 1940 à Rethondes. Mais c’est la
rencontre du 24 octobre 1940 entre Adolf Hitler
et le maréchal dans une petite gare du Loiret-Cher qui frappe les esprits et symbolise le
choix des autorités françaises. Hitler revient
d’une rencontre infructueuse avec le général
Francisco Franco, chef de l’État espagnol,
pour évoquer une alliance contre l’Angleterre.
À l’aller, dans cette même ville, il a discuté
avec Pierre Laval, vice-président du Conseil
et secrétaire d’État aux Affaires étrangères.
Pour les partisans français de la collaboration,
la France peut espérer mettre en avant ses
atouts, tels l’Empire ou la flotte, négocier un
assouplissement des contraintes allemandes
prévues par l’armistice et un retour de prisonniers de guerre. Mais, lors de cette première
rencontre au sommet, c’est finalement surtout
le symbole qui prime. Il s’agit d’immortaliser
l’instant plus que de donner du contenu à la
politique de collaboration.
Si la rencontre de Montoire est connue, on
sait moins que quelques heures plus tôt le
maréchal Pétain retrouve avec Pierre Laval, à
la préfecture de Tours, Otto Abetz, ambassadeur d’Allemagne à Paris. Des photos inédites
nous éclairent sur ces heures qui précèdent la
rencontre.
2
Portrait du maréchal Philippe Pétain, affiche de Draeger
© Archives nationales, 72AJ/1033 / Atelier photo des AN
30 octobre 1940 : discours radiodiffusé du
maréchal Pétain dans lequel il explique son
choix d’entrer
« dans la voie de la collaboration »
Le 30 octobre 1940, six jours après sa poignée de mains avec Adolf Hitler à Montoire,
le maréchal Pétain s’adresse à la nation lors
d’un discours radiodiffusé et revendique
la politique de collaboration : « C’est dans
l’honneur et pour maintenir l’unité française,
une unité de dix siècles, dans le cadre d’une
3
activité constructive du nouvel ordre européen, que j’entre aujourd’hui dans la voie de la
collaboration […] Cette politique est la mienne
[…] C’est moi seul que l’histoire jugera. Je
vous ai jusqu’ici tenu le langage d’un père. Je
vous tiens aujourd’hui le langage d’un chef.
Suivez-moi. »
3
Février 1941 : Louis-Ferdinand Céline, Les
Beaux draps
En février 1941, Louis-Ferdinand Céline (18941961), qui s’est fait connaître avec la publication
en 1932 de son Voyage au bout de la nuit, puis
en 1936 de Mort à crédit et de divers pamphlets
entre 1936 et 1938 (Mea culpa, Bagatelles pour
un massacre, L’École des cadavres) publie aux
Nouvelles Éditions françaises son nouveau
pamphlet antisémite, Les Beaux draps. L’un
des plus grands romanciers du XXe siècle ou
l’un des collaborationnistes les plus radicaux
et les plus racistes ? Question récurrente mais
qui n’a guère de sens, car Céline se trouve
être les deux à la fois, comme le montre le
passage présenté des Beaux draps : « C’est
pas mon genre l’hallali, j’ai pas beaucoup
l’habitude d’agresser les faibles, les déchus,
quand je veux me faire les poignes sur le Blum
je le prends en pleine force, en plein triomphe
populaire, de même pour les autres et Mandel.
J’attends pas qu’ils soyent en prison. Je fais
pas ça confidentiellement dans un petit journal
asthmatique. Je me perds pas dans les fauxfuyants, les paraboles allusives. C’est comme
pour devenir pro-allemand, j’attends pas que
la Commandantur [sic] pavoise au Crillon. »
4
4
Mai 1941 : compte rendu des réunions dites
des « protocoles de Paris », négociations
pour l’utilisation par les Allemands des
bases aériennes et navales françaises en
Afrique du Nord et en Syrie
Le 21 mai 1941 s’ouvrent à Paris des négociations entre les Allemands et l’amiral François
Darlan, nouveau vice-président du Conseil
depuis février 1941. Celui-ci a rencontré Adolf
Hitler à Berchtesgaden le 11 mai 1941, et voit
l’opportunité d’imposer la France comme
grande puissance dans une Europe nécessairement allemande. Les protocoles de Paris –
trois accords militaires et un complémentaire,
politique –, sont signés le 28 mai 1941 et
représentent un nouveau pas dans le sens de
la collaboration militaire. L’accord vaut pour
la Syrie et l’Irak, l’Afrique du Nord et l’Afrique
occidentale et équatoriale ; la France s’engageant dans les trois cas à un soutien logistique – la mise à disposition d’aérodromes, la
fourniture de matériel et de vivres à l’Afrika
Korps, l’utilisation du port de Bizerte et de la
voie ferrée Bizerte-Gabès pour acheminer
du ravitaillement vers la Libye. Dans un protocole additionnel, signé d’Otto Abetz, l’amiral François Darlan obtient la contrepartie
politique qu’il recherche, sans toutefois que
celle-ci soit précisée : « Le gouvernement
allemand fournira au gouvernement français,
par la voie de concessions politiques et économiques, les moyens de justifier devant l’opinion publique de son pays l’éventualité d’un
conflit avec l’Angleterre et les États-Unis ».
Mais, le maréchal Pétain veut la collaboration
politique sans la guerre. Côté allemand, Adolf
Hitler et Joachim von Ribbentrop, le ministre
des Affaires étrangères du Reich, demeurent
méfiants et ne partagent pas plusieurs vues
optimistes de leur ambassadeur à Paris. Les
défaites en Irak, puis en Syrie et au Liban en
juin-juillet, rendent caduques tout ou partie
des Protocoles.
5
2 juin 1941 : recueil établi par le
Commissariat général aux questions juives
des textes officiels concernant le statut des
Juifs
Le second statut des Juifs publié au Journal
officiel le 2 juin 1941 remplace le statut du
3 octobre 1940. Il est l’œuvre du nouveau
Commissaire général aux questions juives
(CGQJ), Xavier Vallat, nommé fin mars 1941.
Avec ce texte, l’antisémitisme d’État franchit
une nouvelle étape, et, à l’inverse de l’automne précédent, prend aussi en compte les
initiatives allemandes. Ce texte ajoute des
critères religieux à ceux, raciaux, du premier
statut, précise, en l’élargissant, la définition
de la fonction publique fermée aux Juifs et
multiplie les interdictions professionnelles ;
les contrevenants sont punissables d’internement administratif. De plus, alors que l’aryanisation a été engagée par les Allemands depuis
l’automne 1940, il est également évident pour
Vichy que l’exclusion sociale doit aller de pair
avec l’exclusion économique. L’ambition du
CGQJ est d’accélérer « l’assainissement de
l’économie nationale », tout en marquant, dans
ce domaine comme dans tous, la souveraineté
du gouvernement.
6
28 juillet 1941 : protocole Bergeret-Udet,
directive pour l’exécution d’un programme franco-allemand de construction
aéronautique
Par le protocole signé le 28 juillet 1941 par
le général Jean Bergeret, secrétaire d’État à
l’Aviation, et le général Ernst Udet, ministre
de l’Air du Reich, la France et l’Allemagne
s’engagent dans un programme commun de
construction aéronautique, sur la base d’un
avion français pour cinq avions allemands.
Celui-ci doit permettre de relancer ce secteur
stratégique, durement touché par la défaite
et l’armistice, tout en apportant aux Français
des contreparties. Cet accord illustre la collaboration « constructive » alors voulue par
le gouvernement de Vichy dans le domaine
économique.
7
Septembre 1941 : lettre de dénonciation
reçue par Robert Peyronnet, animateur de
l’émission La Rose des vents sur Radio-Paris,
et son enveloppe
L’émission La rose des vents débute sur RadioParis, la radio de l’occupant, en décembre 1940.
Elle connaît un grand succès, grâce à la forme
d’interactivité établie entre Robert Peyronnet
et ses auditeurs, qui sont invités à lui écrire.
Ces lettres sont lues à l’antenne, avant l’éditorial du journaliste. L’émission fait de la délation son matériau principal. Les informations
recueillies sont transmises au Commissariat
général aux questions juives et aux services
allemands. La Propaganda-Abteilung du ministère de la Propagande du Reich peut en outre
utiliser les 20 000 adresses de Français ainsi
collectées. L’auteur de la lettre présentée
n’hésite pas à la signer, pour dénoncer deux
« juifs » et « francs-maçons ». En fait, la première personne citée est l’ancien amant de
la dénonciatrice. Il ne subvenait plus à ses
besoins depuis plusieurs semaines. Le second
est son neveu. Ni l’un ni l’autre ne sont Juifs et
francs-maçons.
8
Septembre 1941 : liste allemande énumérant les écrivains français pressentis
pour participer au voyage en Allemagne
d’octobre 1941
En octobre 1941, à l’occasion des « rencontres
poétiques » (Dichtertreffen) de Weimar, et à l’invitation du ministre de la Propagande du Reich,
Joseph Goebbels, créateur de ces journées, un
groupe d’écrivains français effectue un voyage
en Allemagne, avec d’autres auteurs de plusieurs nationalités. Début septembre, la liste
des participants est établie précisément par le
Gruppe Schrifttum (« groupe Littérature ») de la
Propaganda-Abteilung : Paul Morand, Jacques
Chardonne, Marcel Arland, Pierre Drieu la
5
Rochelle, Ramon Fernandez, André Fraigneau
et Robert Brasillach sont pressentis. Le choix
s’est porté sur des personnalités « qui toutes
depuis longtemps se sont engagées pour la
collaboration franco-allemande. Elles se sont
saisies depuis l’armistice, dans leurs livres et
leurs contributions à des journaux et revues,
de la question des rapports entre la France
et l’Allemagne, entre les Français et les
Allemands. Presque toutes ont été traduites en
allemand ». L’image du retour, le 1er novembre
1941, résume l’objectif de la propagande allemande qui, jusqu’en 1942, organise plusieurs
voyages du même type. Il faut servir l’image de
l’Allemagne et celle de la collaboration.
de « l’îlot spécial » du camp d’internement de
Châteaubriant (Loire-Atlantique).
Les Allemands suivront en grande partie
ces recommandations : 15 des 21 personnes
citées sont exécutées le 22 octobre, ainsi que
deux autres dont les noms figurent sur une
seconde liste, soit au total 17 des 27 otages
fusillés à Châteaubriant. Ils puiseront encore
neuf otages dans ces listes pour l’exécution
du 15 décembre 1941. Les exécutés du camp
d’internement de Châteaubriant, dont le jeune
Guy Môquet, symbolisent dès la guerre, mais
plus encore après, la barbarie nazie.
9
6 mai 1942 : rencontre entre René Bousquet,
secrétaire général à la police, et Reinhard
Heydrich, chef du Reichssicherheitshauptamt,
office central de la sécurité du Reich
En mai 1942, Reinhard Heydrich, chef du
Reichssicherheitshauptamt (RSHA), effectue
une visite d’une semaine à Paris. Bras droit
d’Heinrich Himmler depuis des années et
responsable des forces de police allemandes,
il vient rencontrer René Bousquet, le nouveau
secrétaire général à la police, homme clé de
Pierre Laval, qui a fait le 18 avril 1942 son
retour comme chef du gouvernement, s’attribuant en outre le portefeuille de l’Intérieur et
ceux des Affaires étrangères et de l’Information. Reinhard Heydrich vient officiellement
introniser Karl Oberg chef suprême de la SS et
de la Police en France occupée. Il a alors deux
objectifs : la répression de la Résistance et la
déportation des Juifs de France. La rencontre
avec René Bousquet est très fructueuse et,
dans la foulée, les négociations débutent pour
une collaboration des polices. Jusqu’à l’automne 1943, René Bousquet demeure l’incontournable interlocuteur des deux responsables
de la SS à Paris, Karl Oberg et Helmut Knochen
voyant en lui un haut fonctionnaire efficace et
un politique imprégné des principes de la collaboration d’État.
20 octobre 1941 : lettre du directeur de cabinet de Pierre Pucheu, ministre de l’Intérieur,
au Militärbefehlshaber in Frankreich, adressant la liste des internés de l’îlot spécial au
camp de Choisel (Châteaubriant) signalés
aux Allemands pour l’exécution d’otages
Après le premier attentat perpétré à Paris le
21 août 1941 à la station de métro Barbès, qui
signifie l’engagement du Parti communiste
clandestin dans la lutte armée, les autorités
allemandes ajoutent à leur arsenal répressif
un nouvel outil : l’exécution d’otages. Une
première ordonnance est prise en ce sens dès
le 22 août et les trois premières exécutions
interviennent le 6 septembre.
Le 28 septembre, le Militärbefehlshaber in
Frankreich (MBF), Otto von Stülpnagel, arrête
un « code des otages ». Le 20 octobre 1941,
un attentat coûte la vie au Feldkommandant
de Nantes ; une cinquantaine d’otages doivent
être trouvés. Sont visés les « anciens députés et dirigeants » communistes, les « intellectuels », ceux qui ont distribué des tracts
et les activistes dangereux. Pierre Pucheu,
ministre de l’Intérieur, intervient pour que
les Allemands choisissent surtout les « communistes dangereux ». C’est ce qu’indique
clairement le courrier adressé par son directeur de cabinet au MBF dès le 20 octobre. Il
comprend notamment une liste d’internés
6
10
11
22 juin 1942 : discours radiodiffusé de Pierre
Laval dans lequel il souhaite la victoire de
l’Allemagne
« Je souhaite la victoire de l’Allemagne parce
que sans elle le bolchevisme demain s’installerait partout. » Cette allocution fait l’effet d’un
véritable coup de tonnerre. Un tel acte de foi
prononcé le 22 juin 1942 ne pouvait gagner
l’estime d’une population qui n’avait jamais
entretenu de sentiments germanophiles. Elle
offre un argument de poids à la Résistance.
La stratégie de Pierre Laval n’est en rien dissimulée : s’il reste fidèle à son engagement
pacifiste, il est convaincu que l’Europe sera
allemande, comme elle l’est largement quand
il parle. Il s’agit de construire dès maintenant
la place de la France dans cette Europe. Cette
position n’est pas nouvelle pour Pierre Laval :
en mai 1941, il en appelait déjà devant des journalistes américains à une « collaboration totale
et sans arrière-pensée avec l’Allemagne » sans
faire alors référence au bolchevisme.
Ce 22 juin 1942, Pierre Laval annonce aussi
une nouvelle étape dans la collaboration : il
lance la Relève, un prisonnier français étant
libéré en échange de trois ouvriers acceptant
d’aller travailler en Allemagne. Autant que
sa phrase sur la collaboration, cette annonce
creuse le fossé avec les Français qui craignent,
à juste titre, au regard des lois ultérieures, que
cette mesure ne se transforme bientôt en travail obligatoire.
12
16 juillet 1942 : registre de recensement des
Juifs établi par le commissariat du 3e arrondissement de Paris et utilisé par la préfecture de police pour la rafle du Vél’d’Hiv’
Le 16 juillet 1942 à 4 heures du matin commence la plus massive rafle de Juifs réalisée
en France pendant la guerre, dite du Vél’d’Hiv’.
13 152 Juifs dont plus de 4 000 enfants sont
arrêtés les 16 et 17 juillet 1942 grâce au
plein concours de plusieurs branches de
l’administration française. Ainsi, ce registre
du « Recensement Israélites et entreprises
juives » du commissariat de police de la rue
de Bretagne (Paris, quartiers des EnfantsRouges et des Arts-et-Métiers) qui enregistre
5 786 personnes et 999 entreprises recensées
en octobre 1940 en application d’une ordonnance des autorités occupantes, a-t-il servi
pour localiser et dénombrer les personnes à
arrêter les 16 et 17 juillet 1942. Les adultes
seuls et les couples sans enfants raflés sont
directement envoyés au camp de Drancy ; les
couples avec enfants sont parqués plusieurs
jours au Vél’d’Hiv’ avant d’être transférés,
provisoirement, dans les camps du Loiret, à
Beaune-la-Rolande et à Pithiviers. L’État français négociait depuis de longues semaines
avec les autorités allemandes l’organisation
des rafles de zone nord, mais aussi de zone
sud, qui jalonneront l’été 1942, point culminant
de la collaboration en matière de persécution.
13
22-24 janvier 1943 : la rafle du Vieux-Port de
Marseille
Début janvier 1943, à la suite d’un double
attentat à Marseille, Adolf Hitler demande des
représailles exceptionnelles pour « nettoyer »
le quartier du Vieux-Port, repaire de francs-tireurs et de « sous-hommes ». Outre la destruction d’une grande partie de la ville, 100 000
arrestations sont envisagées. Un régiment
SS est sur place. René Bousquet, secrétaire
général à la police, propose de mener l’essentiel de l’opération et mobilise 12 000 policiers
envoyés de Lyon, Toulouse ou Paris, quinze
formations de groupes mobiles de réserve,
plusieurs escadrons de gendarmerie et de la
Garde. En échange, il obtient juste de diminuer
le nombre des arrestations. Les opérations
commencent le 22 janvier au matin : plus de
40 000 contrôles d’identité et près de 6 000
arrestations sont effectuées jusqu’au lendemain soir. Un peu plus de 1 600 supposés « criminels », en priorité des étrangers, des NordAfricains et des Juifs, sont choisis et conduits
le 24 janvier au matin en gare d’Arenc pour être
transférés au camp de Compiègne. Le second
7
volet de l’opération débute dès la soirée du
23 janvier avec le bouclage des quartiers du
Vieux-Port, évacués systématiquement le lendemain matin. Plus de 20 000 personnes sont
emmenées en train à Fréjus où, après des
contrôles d’identité, près de 800, considérées
comme « dangereuses », sont transférées à
Compiègne. Le 17 février, la destruction de 14
hectares de la ville de Marseille est achevée
par le service du Génie de l’armée allemande.
Les opérations conduisent à l’extermination
de plus de 700 Juifs déportés à Sobibor, ainsi
qu’à la déportation de plusieurs centaines
d’autres Marseillais au camp de concentration
de Sachsenhausen.
Toutes les photographies des opérations ont
été prises par une compagnie militaire allemande, chargée de faire des reportages de
propagande.
14
Fin janvier 1943 : affiche allemande Ils
donnent leur sang, donnez votre travail
Mis en place à l’été 1942 par Pierre Laval, afin
de répondre aux demandes en main-d’œuvre
du Gauleiter Fritz Sauckel, le dispositif de la
Relève peine à remplir l’objectif fixé. La loi du
4 septembre 1942 autorise pour la première
fois la réquisition : les Français de 18 à 50 ans
et les Françaises célibataires de 21 à 35 ans en
capacité de travailler pourront être « assujettis à effectuer tous travaux que le gouvernement jugera utiles dans l’intérêt supérieur de
la Nation », y compris dans le Reich. Ces dispositions s’appliquent en zone nord comme en
zone sud. Cette affiche, coéditée par les services de Vichy et de la Propaganda-Abteilung,
est placardée sur les murs de France peu avant
l’instauration du Service du travail obligatoire,
par la loi du 16 février 1943. C’est encore une
fois le thème de la défense de l’Europe qui sert
à tenter de convaincre les Français d’aller travailler dans le Reich.
8
15
Janvier 1943 : création de la Milice
La loi du 30 janvier 1943 crée la « Milice française », émanation du Service d’ordre légionnaire (SOL) de Joseph Darnand, constitué par
ceux qui se veulent, depuis des mois, l’élite de
la Légion française des combattants (LFC). La
Milice a deux objectifs : le maintien de l’ordre
en France – un mot d’ordre sans cesse répété
ensuite pour lutter contre le communisme, de
Gaulle, le Juif ou le franc-maçon – ; à terme
l’instauration d’un « régime autoritaire national et socialiste permettant à la France de
s’intégrer dans l’Europe de demain ». La collaboration avec l’Allemagne conditionne la mise
en œuvre de ces deux objectifs. Pierre Laval,
qui signe la loi, accepte de faire de la Milice
une formation reconnue « d’utilité publique »,
œuvrant pour le « redressement » du pays. La
loi précise que « le chef du gouvernement est
le chef de la Milice française » et qu’il nomme
son secrétaire général. Pierre Laval entend
ainsi disposer d’un mouvement qu’il pense
contrôler, pour reprendre la main en matière
de maintien de l’ordre – une exigence de l’occupant – et contenir les collaborationnistes
parisiens. La Milice devient le symbole de la
radicalisation du régime et de la collaboration.
16
1943 : affiche de la Légion des volontaires
français La grande croisade
« Aux armes » crie Pierre Costantini, le chef de
la Ligue française, à l’annonce de l’offensive
allemande en URSS, le 22 juin 1941. Dans le
journal du Parti populaire français (PPF), Le
Cri du Peuple, Jacques Doriot salue l’événement « comme le navigateur qui, après une
nuit de tempête, salue l’aube ». Créée le 8 juillet 1941 sous la forme d’une association, la
Légion des volontaires français (LVF) contre le
bolchevisme est portée par les partis collaborationnistes, dont elle est la vitrine. Deux ans
plus tard, cette affiche célèbre son deuxième
anniversaire.
La LVF permet à des Français d’apporter leur
concours à l’armée allemande sur le front de
l’Est. Sur les 13 400 hommes qui se présentent
tout au long de la guerre pour être recrutés,
5 800 seulement sont engagés. Parmi eux, des
figures emblématiques de la collaboration,
comme Jacques Doriot, chef du Parti populaire français, qui part à plusieurs reprises
combattre en Russie.
Mais malgré ce que laisse voir la propagande de la LVF, malgré la force suggérée de
la « Grande Allemagne » et de ses alliés, la
« guerre éclair » contre l’URSS est un échec.
Les Allemands, qui reculent face à l’Armée
rouge, tirent par ailleurs la conclusion de la
faiblesse militaire de la LVF, mal préparée.
L’unité est relevée de ses positions dès le
premier semestre 1942. Elle quitte le front
et elle sera désormais utilisée à l’arrière,
notamment contre les partisans. À l’été 1944,
Heinrich Himmler ordonne le démantèlement
de la LVF et l’intégration de ses éléments dans
la Waffen-SS. La dissolution officielle de la LVF
est prononcée le 1er septembre 1944.
17
3 janvier 1944 : discours de Philippe Henriot,
secrétaire d’État à l’Information et à la
Propagande
Après une nouvelle crise avec Philippe Pétain
en novembre 1943, les Allemands imposent
de nouvelles têtes au maréchal. Philippe
Henriot (1889-1944) est nommé le 6 janvier
1944 secrétaire d’État à l’Information et à la
Propagande. Homme politique conservateur
formé dans la très traditionnelle Fédération
nationale catholique du général de Castelnau,
il se radicalise au moment du Front populaire
puis après l’attaque allemande contre l’Union
soviétique. Collaborateur régulier de Je suis
partout, il rejoint la Milice et signe aussi de
nombreux articles dans son journal, Combats.
Pour le nouveau secrétaire d’État à l’Information, « la guerre des ondes », déjà essentielle
depuis l’été 1940, est rendue cruciale par la
guerre totale. De fait, une vraie lutte radiophonique oppose alors Pierre Dac, depuis les
antennes de la BBC, et Philippe Henriot qui,
deux fois par jour, à 12h40 et 19h40, dispose
d’une chronique sur Radio nationale. Ces
éditoriaux sont perçus comme suffisamment
dangereux pour que la Résistance exécute le
secrétaire d’État dans son ministère, à Paris,
le 28 juin 1944.
18
21 février 1944 : affiche Des libérateurs ? La
Libération par l’armée du crime ! (dite L’Affiche
rouge)
Le 21 février 1944, les Allemands exécutent
au Mont-Valérien les 22 francs-tireurs partisans de la Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI)
membres du « groupe Manouchian », qui ont
été jugés du 15 au 21 février par le tribunal
militaire allemand près le commandement
du Grand Paris. La seule femme du procès,
Olga Bancic, responsable du dépôt d’armements, est transférée en Allemagne où elle est
décapitée. Mais comme l’illustre la fameuse
« Affiche rouge », éditée par le Centre d’études
antibolcheviques (financé par la PropagandaAbteilung), le procès des 23 est prétexte à une
énorme opération de propagande. Juste avant
la tenue du procès, l’affiche a été placardée en
milliers d’exemplaires. Un nom et le nombre
d’attentats sont associés à chaque photographie. Cette campagne contre « l’armée du
crime » reprend les thématiques habituelles,
partagées entre les Allemands et le gouvernement de Vichy, de l’anticommunisme, de
l’antisémitisme et de la xénophobie. Lui est
associée une campagne de presse, en zone
sud comme en zone nord. La censure transmet
aux journaux des consignes ; l’Office français
d’information (OFI) envoie des articles pour
publication qui se retrouvent de fait dans de
nombreux journaux. Les collaborationnistes
en rajoutent à Paris. Il s’agit de dresser l’opinion contre la Résistance qui est assimilée à
une bande de criminels juifs, communistes et
étrangers. Pourtant, en février 1944, cette propagande ne prend plus et ces hommes, cette
femme deviennent, de par cette campagne
même, les héros d’un combat clandestin qui
annonce la Libération.
19
5 juillet 1944 : déclaration commune des collaborationnistes sur la situation politique
« L’impuissance des pouvoirs publics n’est plus
ignorée de personne », « nous allons au chaos »,
vers l’« anarchie intérieure » et la « désagrégation de ce qui reste de l’État français »… Alors
que l’armée allemande combat en Normandie
pour retarder son retrait, choqués par l’exécution de leur meilleur propagandiste, Philippe
Henriot, les collaborationnistes ne désarment pas. Le 5 juillet, à l’exception de Joseph
Darnand, tous (dont Jacques Doriot, fondateur
du Parti populaire français, et Marcel Déat, fondateur du Rassemblement national populaire)
rédigent une déclaration très dure contre le
gouvernement de Vichy, réclamant le pouvoir…
alors même que plusieurs signataires ont statut
de ministre de longue date, comme Fernand de
Brinon, Jean Bichelonne ou, plus récemment,
Marcel Déat. « Le mal est d’ordre politique »
avancent-ils. « Il est né d’une absence d’une
définition claire du choix de la France dans le
conflit mondial ». Si l’État français a fait d’emblée le choix de la collaboration, les « ultras »
rappellent ici que l’engagement aurait dû être
total et notamment militaire, servi par un État
national-socialiste. Des « éléments indiscutables » doivent donc entrer au gouvernement.
« C’est seulement à ce prix que l’État français
reprendra figure. C’est seulement à ce prix
que le Reich retrouvera à ses côtés une France
capable de parcourir avec lui la dernière partie
du chemin qui mène à la victoire de l’Europe. »
Mais Pierre Laval déjoue l’initiative et rien ne
bouge durant les quelques semaines que l’État
français a encore à vivre.
20
17 janvier 1945 : lettre de Jacques Doriot à un
ami
C’est de l’île de Mainau, sur le lac de Constance
où il est replié, et non pas à Sigmaringen, que
Jacques Doriot répond aux vœux qui lui ont
été adressés pour l’année 1945 par l’un de
ses amis. Il lui annonce qu’il a pris la tête d’un
« Comité de libération française », le 6 janvier
1945. Le maréchal Pétain refusant obstinément d’assumer ses fonctions, Joachim von
Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères
du Reich, a en effet donné à Jacques Doriot
son accord pour créer ce comité explicitement
inspiré du (contre-) modèle gaullien. Dans sa
petite île de Mainau, il a déjà mis en place un
mouvement structuré et très organisé, avec son
journal (Le Petit Parisien avec toujours Claude
Jeantet, assisté de Pierre-Antoine Cousteau
et André Algarron) et sa radio (Radio-Patrie
avec Jean Hérold-Paquis), formant même des
parachutistes à des actions en France libérée.
Il lui reste à convaincre Marcel Déat, chef du
Rassemblement national populaire, et Joseph
Darnand. Les affaires semblent bien engagées et il doit rencontrer, le 22 février, le chef
du RNP à Mengen, sur ses propres terres, au
siège du PPF, puis se rendre à Sigmaringen
afin de rejoindre Joseph Darnand, avec Marcel
Déat. Mais, sur la route de Mengen, il meurt
sous les balles de deux avions alliés, au
hasard sans doute d’une mission en territoire
allemand.
Compte rendu des réunions dites des « protocoles de Paris », négociations pour l’utilisation par les Allemands des
bases aériennes et navales françaises en Afrique du Nord
et en Syrie, mai 1941 (item 4)
Archives nationales, 3W/110 dossier de Fernand de Brinon
devant la Haute cour de justice
© Archives nationales / Pierre Grand
10
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21
Le bureau du maréchal Pétain
Texte du projet de loi portant sur le statut des
Juifs annoté de la main du maréchal Pétain,
octobre 1940
La loi du 3 octobre 1940 édicte le premier
statut des Juifs établi par les autorités françaises, tandis que les autorités allemandes
ont défini, dans l’ordonnance du 27 septembre
1940, le premier statut allemand des Juifs en
zone occupée. Ce statut français, qui parle de
« race », leur interdit les fonctions publiques
de commandement et limite l’accès pour les
autres. Il vise également les professions censées influencer l’opinion publique, dont les
médias. On y annonce même des quotas dans
les professions libérales. Le maréchal Pétain
annote et modifie le projet de texte du garde
des Sceaux, Raphaël Alibert, en élargissant
les professions interdites aux Juifs dans le
domaine de la justice et de l’enseignement. Il
barre d’un trait de crayon l’alinéa qui prévoyait
d’épargner « les descendants de juifs nés français ou naturalisés avant 1860 ». Ce document
est très proche du texte définitif du 3 octobre
1940, la grande majorité des annotations ayant
été intégrées dans la version définitive publiée
au Journal officiel le 18 octobre 1940.
La mesure n’est pas isolée puisque le lendemain, le 4 octobre, une loi permet l’internement des Juifs étrangers pour la seule raison
qu’ils sont Juifs et étrangers, tandis que le 7
est aboli le décret Crémieux qui avait permis
la naturalisation des Juifs d’Algérie après la
guerre de 1870. Le statut s’inscrit parfaitement dans la logique d’exclusion développée
par le régime de Vichy.
Le séquestre des biens de Philippe Pétain
Le 20 août 1944, peu après le départ de
Philippe Pétain pour Sigmaringen et alors
qu’il n’est pas encore condamné à la confiscation de ses biens (15 août 1945), les premières
mesures confiscatoires sont prises sur ordre
du secrétariat général du Gouvernement provisoire de la République française. Provenant
de l’hôtel du Parc et du château de Charmeil,
12
sa résidence d’été, les objets sont répartis en
deux inventaires : les biens personnels et les
cadeaux officiels. Deux cent cinquante caisses
sont déposées par l’administration des
domaines au Mobilier national en janvier 1945.
L’appartement personnel de l’ancien chef de
l’État français est l’objet d’un autre inventaire
notarié. Le 10 décembre 1946, une partie des
biens de l’appartement est dispersée anonymement en salle des ventes. En 1947, les lots
qui n’ont pas été vendus compte tenu de leur
caractère symbolique et ceux provisoirement
stockés au Mobilier national sont rassemblés
au Palmarium du jardin d’acclimatation du
bois de Boulogne. Le 12 février 1947, un nouvel
inventaire du séquestre répartit les objets en
trois catégories : les biens patrimoniaux, ceux
qui peuvent être aliénés et ceux qui, pour des
raisons politiques, doivent être gardés par
l’État.
En 1949, les biens patrimoniaux sont déposés
dans diverses institutions : la Bibliothèque
de documentation internationale contemporaine (BDIC), le musée de l’Armée, le musée
du conservatoire national des Arts et Métiers
et la manufacture de Sèvres. Les biens aliénables devaient être vendus anonymement le
19 mai 1949, mais l’État renonce finalement
à cette solution et conserve désormais 1 293
lots, qui sont déménagés quatre fois entre
juillet 1949 et 1965. La question du séquestre
Pétain resurgit en 2003. Le 1er juillet 2004,
sous couvert de la Direction de la mémoire du
patrimoine et des archives (DMPA) du ministère de la Défense, le Service historique de la
défense collecte 52 caisses de livres et d’archives dont une partie est ensuite rétrocédée
en 2007 aux Archives nationales. Le musée
de l’Armée en reçoit 52 autres qui ne lui sont
toutefois ni affectées ni même déposées à
proprement parler. À la fin de l’année 2012, la
DMPA entreprend une étude des archives du
séquestre conservées au Service historique de
la défense, permettant d’en dresser un inventaire. En janvier 2014, la manufacture nationale de Sèvres reprend les pièces provenant
de ses ateliers. En juin 2014 enfin, le musée de
l’Armée présente à la commission scientifique
compétente pour les acquisitions des musées
de la Défense un choix des objets qui pourront
être inscrits à l’inventaire de ses collections.
Quant aux autres biens du séquestre, ils ont
été proposés à diverses institutions patrimoniales ou sont destinés à rejoindre les collections du ministère de la Défense.
C’est la première fois que plusieurs objets
issus de ce séquestre sont présentés dans une
exposition à caractère historique.
22
Acte constitutionnel numéro 2 portant la
signature
du maréchal Pétain, 11 juillet 1940
Promulgué au lendemain du vote des députés
et sénateurs attribuant au maréchal Pétain les
pleins pouvoirs, l’acte constitutionnel n° 2 du
11 juillet 1940 fixe les pouvoirs du chef de l’État
français. Il complète l’acte constitutionnel n° 1
du même jour déclarant le maréchal Pétain
chef de l’État et abrogeant l’article 2 de la loi
constitutionnelle du 25 février 1875 qui établissait le principe de l’élection du président
de la République par l’Assemblée nationale. Il
lui attribue la « plénitude du pouvoir gouvernemental » et concentre tous les pouvoirs exécutif et législatif entre ses mains, abrogeant
les dispositions constitutionnelles contraires.
Cet acte signe la mise en place d’un pouvoir
autoritaire.
Le régime peut s’appuyer sur des garants de
son autorité : lors de la cérémonie de prestation de serment de fidélité des préfets au
maréchal Pétain qui a lieu le 19 février 1942, il
leur est rappelé qu’ils doivent être « les guides
politiques de l’opinion, les chefs intellectuels
et moraux de leurs administrés : en un mot, ils
ont le devoir d’accéder à un rôle – dans toute
l’acception du terme – de véritables chefs
spirituels ».
13
23
La Révolution nationale
Les fondements idéologiques de l’État français s’inscrivent dans la tradition de l’extrême
droite française. Outre l’exclusion des prétendus responsables de la défaite (le communiste, le Juif, le franc-maçon), il faut rassembler les éléments dits purs autour des valeurs
traditionnelles : le travail, la famille, la patrie,
la piété et l’ordre. La Révolution nationale, qui
prône la transformation des institutions et des
mentalités, célèbre les figures positives : le
paysan, porteur des valeurs éternelles de la
France et associé à la thématique du retour
à la terre ; l’Ancien combattant, non pour la
revanche, mais pour la reconstruction et le
devoir d’obéissance absolue au Chef, le héros
de Verdun ; la femme au foyer qui élève les
enfants, l’avenir d’une France à reconstruire ;
le préfet, le magistrat et les forces de l’ordre,
qui sont les garants de l’autorité ; l’homme
d’Église, constamment présent, rappelant
la centralité de la piété dans la nouvelle hiérarchie des valeurs et le nécessaire soutien
d’une Église catholique qui se retrouve dans
les valeurs du nouveau régime et se satisfait
de la mise en cause (même provisoire) de la
séparation entre l’Église et l’État.
24
Le culte du maréchal
Sculptures, figurines, images d’Épinal, portraits, bandes dessinées, coloriages : la figure
du Chef est déclinée partout et sur tous les
supports. Au cœur de l’idéologie vichyste se
trouve l’image du Chef, pierre angulaire de
l’édifice, le sauveur qui garantit la continuité et
la cohésion nationales. La population exprime
sa ferveur à travers les cadeaux adressés
spontanément au maréchal, fruits des efforts
des enfants des écoles, d’artisans ou encore
d’associations et groupements divers. Les
voyages du maréchal scandent le culte du Chef.
Entre 1940 et 1942 surtout, le maréchal Pétain
vise ainsi à tisser un lien personnel et direct
avec la population. Il veut aussi faire partager
14
l’illusion d’une France toujours présente, unie,
vivante, la foule communiant dans une forme
de patriotisme minimal. Avec des thématiques
qui peuvent varier, il suit un rituel constant :
il passe à la préfecture, au monument aux
morts, à l’hôpital et à la cathédrale.
25
La Francisque
L’ordre de la Francisque gallique est créé en
mai 1941. Le candidat, homme ou femme, doit
avoir deux parrains eux-mêmes membres de
l’ordre, « présenter des garanties morales
incontestées », avoir pratiqué [avant la guerre]
« une action politique nationale et sociale,
et conforme aux principes de la Révolution
nationale, manifester depuis la guerre un
attachement actif à l’œuvre et à la personne
du maréchal, avoir de brillants états de services militaires ou civiques ». Il doit prêter
le serment de faire don de sa personne au
maréchal Pétain « comme il a fait don de la
sienne à la France ». La distinction est attribuée soit directement par le chef de l’État, soit
par le Conseil de la Francisque. Elle peut être
révoquée. En juillet 1944, l’ordre compte 2 626
titulaires. Bien qu’étant l’insigne du maréchal
Pétain à titre personnel, la francisque est progressivement utilisée sur les documents officiels comme symbole de l’État français.
Quelques heures avant l’entrevue de Montoire, le 24 octobre 1940, le maréchal Pétain, Pierre Laval et Otto Abetz
à la préfecture de Tours.© Archives nationales / Rémi
Champseit et Jean-Yves Le Ridant
Voyage du maréchal Pétain à Clermont-Ferrand, mars
1942 : les anciens combattants
Archives nationales, F/7/16962 © Archives nationales /
Carole Bauer
15
26
La délégation générale dans les territoires
occupés et le rôle de Fernand de Brinon
Avocat, journaliste et homme politique, Fernand
de Brinon (1885-1947) est partisan, dans
les années vingt, d’une entente pacifique et
durable entre la France et l’Allemagne. Il publie
en novembre 1933, dans Le Matin, la première
interview d’Adolf Hitler accordée à un journaliste
français. Proche de Ribbentrop, il rencontre le
Führer à plusieurs reprises entre 1935 et 1937.
Il fonde en 1935 le Comité France-Allemagne
avec Otto Abetz. Fervent défenseur de la collaboration avec l’Allemagne, il est nommé,
le 5 novembre 1940, ambassadeur de France
auprès des autorités allemandes, puis, après
les événements du 13 décembre 1940, délégué général du gouvernement français dans
les territoires occupés. La DGTO devient ainsi
une instance très politique, alors que les questions techniques liées au suivi des conditions
d’armistice sont discutées à Wiesbaden par la
Délégation française auprès de la Commission
allemande d’armistice.
Jusqu’à la fin de l’Occupation, Fernand de Brinon
fait de la DGTO un haut lieu de la Collaboration,
au point que l’on peut se demander, malgré sa
lettre de mission du 20 décembre 1940 signée
du maréchal, de qui il est le représentant. À
plusieurs reprises, son action montre qu’il
partage, avant tout, les intérêts défendus par
l’ambassade d’Allemagne. Après le rappel de
Pierre Laval en avril 1942, Fernand de Brinon
devient par ailleurs secrétaire d’État auprès du
chef du gouvernement. Réfugié à Sigmaringen
en août 1944, il préside jusqu’à la fin du mois
d’avril 1945 la commission gouvernementale faisant office de gouvernement en exil. Il
se rend aux Américains le 8 mai 1945, après
avoir tenté de gagner l’Espagne. Il est jugé et
condamné à mort par la Haute Cour de justice
en mars 1947, puis exécuté le 15 avril 1947 au
fort de Montrouge.
27
Le bureau de Jacques Doriot
Jacques Doriot (1898-1945) entame sa carrière
politique au sein du Parti communiste. Élu
député de Saint-Denis en 1924, puis maire de
cette ville, il est exclu du parti en 1934. Jacques
Doriot évolue vers des positions fascistes,
et fonde, en juin 1936, avec d’autres anciens
membres du Parti communiste, des néo-socialistes, des membres des ligues nationalistes récemment dissoutes et de l’Action française, le Parti populaire français qui s’oppose
au gouvernement du Front populaire. Partisan
radical de la collaboration avec l’Allemagne
nazie, il participe à la création de la Légion des
volontaires français contre le bolchevisme et
s’engage personnellement dans les combats
sur le front russe sous l’uniforme de lieutenant
de l’armée allemande. Réfugié en Allemagne à
l’été 1944, il fonde le 6 janvier 1945 le Comité
de libération française, avant d’être tué, sans
doute par deux avions alliés, le 22 février 1945.
28-29
Le Parti populaire français au travail :
organisation et propagande
Sous l’Occupation, le Parti populaire français,
fondé en juin 1936, est par le nombre de ses
militants le premier parti collaborationniste.
Ses effectifs comptent environ 40 000 adhérents. Selon les chiffres du PPF, un peu plus
de 40 % des délégués présents au « congrès
du pouvoir » n’avaient jamais été encartés
à un parti politique avant de s’engager avec
Jacques Doriot. Plus de 25 % étaient issus
de l’extrême droite, 22 % du PCF et 10 % de
la SFIO et du centre gauche. Au total, le PPF
Joseph Darnand, secrétaire d’État à l’Intérieur, lors d’une
prise d’armes de la Milice dans la cour des Invalides,
juillet 1944. À droite, Helmut Knochen le n° 2 de la police
allemande en France occupée © LAPI / Roger-Viollet
Jacques Doriot lors de la séance d’ouverture du congrès
du Parti populaire français au cinéma
Gaumont-Palace, 4 novembre 1942 Archives nationales,
Z/6/1015 scellés de l’agence Trampus
© Archives nationales / Nicolas Dion
16
17
recrutait surtout à droite, beaucoup chez les
jeunes citadins, les ouvriers métallurgistes
(au moins 20 %) et du bâtiment (10 %), les
commerçants-artisans (près de 10 %) et les
fonctionnaires issus des classes moyennes
(15 %).
La création des Gardes françaises du PPF en
1943-1944, traduisant la volonté du parti de se
militariser et de renforcer la protection de ses
membres, est un échec. Les Groupes d’action
pour la justice sociale, qui doivent à partir de
1944 faire la chasse aux réfractaires au service
du travail obligatoire, finissent par travailler
au profit des services de sécurité allemands.
La propagande du parti s’appuie, outre sur la
revue L’Émancipation nationale et le quotidien
Le Cri du peuple fondé en octobre 1940, sur de
fréquentes réunions publiques et la diffusion
de tracts et brochures.
30
Journal de Marcel Déat
Normalien, journaliste et intellectuel, Marcel
Déat (1894-1955) adhère en 1914 à la SFIO,
dont il devient en 1926 député. Il est exclu
du parti en 1933 en raison de ses doctrines
de plus en plus autoritaires et de son soutien au gouvernement d’Édouard Daladier. Il
participe en novembre 1933 à la fondation du
Parti socialiste de France et devient le chef
de file des « néo-socialistes ». Ses positions
fermement pacifistes le conduisent à approuver en juin 1940 la demande d’armistice
du maréchal Pétain. Marcel Déat est l’allié
politique de Pierre Laval et il cherche dans
un premier temps à unifier les mouvements
collaborateurs de zone nord pour fonder
un parti unique sur le modèle du parti nazi.
Après l’échec de cette tentative, il s’éloigne
du gouvernement de Vichy, qu’il juge trop
timide, pour se rapprocher des Allemands.
Avec l’aide d’Otto Abetz, il crée en février 1941
le Rassemblement national populaire prônant
un régime fasciste et totalitaire.
Outre ses éditoriaux dans L’Œuvre, Marcel Déat
tient, du 7 novembre 1939 au 18 avril 1945, un
journal quotidien, prenant des notes qui sont
18
ensuite dactylographiées pour constituer dix
volumes. Saisi par les Renseignements généraux en 1945, ce journal, inédit dans sa version intégrale, est conservé depuis 1974 aux
Archives nationales.
31
Les publications de propagande du
Rassemblement national populaire
Soutenu par le quotidien de Marcel Déat,
L’Œuvre, le Rassemblement national populaire
publie un hebdomadaire militant, Le National
populaire. Le RNP est la réunion des soutiens
de Déat, venus de la gauche, de l’Union nationale des combattants de Jean Goy (la plus
grande des associations d’anciens « poilus »
de la Grande Guerre) et du Mouvement social
révolutionnaire (MSR) d’Eugène Deloncle et
de ses cagoulards, fondé en octobre 1940. La
fusion initiale avec le Mouvement social révolutionnaire d’Eugène Deloncle, voulue par
les Allemands, est un échec qui prend fin en
octobre 1941. Le MSR quitte le mouvement,
restructuré autour des proches de Déat.
À son apogée en 1942, le RNP compte 20 000 à
30 000 membres dont une faible part seulement est réellement active. Les Jeunesses
nationales populaires regroupent environ
2 500 adhérents dans toute la France. Dans
son uniforme, ses chants et sa rhétorique,
le parti use de références au socialisme. Le
Front social du travail, créé en 1942, constitue le syndicat du RNP dans les entreprises,
tandis que l’Union de l’enseignement cherche
en vain à fédérer les enseignants, et le Centre
paysan, le monde agricole. La Ligue de la
pensée française relaie enfin les idées du
RNP dans les milieux intellectuels pacifistes
et laïcs, tout en regrettant l’alignement du
parti sur le parti nazi.
32
La nébuleuse des partis collaborationnistes
Après le Parti populaire français et le
Rassemblement national populaire, le Parti
franciste de Marcel Bucard constitue le troisième parti collaborationniste d’importance.
D’un effectif plus restreint, sans doute moins
de 5 000 adhérents, principalement recrutés
dans la petite bourgeoisie et chez les marginaux, il est, dès l’avant-guerre, un parti
fasciste copié sur le modèle italien, prônant
le culte d’un chef ligueur et héros de 14-18.
La fidélité au maréchal Pétain, le refus d’une
« collaboration bêlante » comme le dit Marcel
Bucard lors d’un meeting en octobre 1941, en
espérant souligner sa différence, complètent
pendant la guerre sa ligne politique.
À côté de ces trois structures existe toute une
nébuleuse de partis et mouvements d’ampleur plus ou moins modeste : le Parti français national-collectiviste de Pierre Clémenti
(ex-Parti français national-communiste), le
Front franc fondé en 1936 par Jean Boissel,
la Ligue française d’épuration, d’entraide
sociale et de collaboration européenne de
Pierre Costantini, ou encore le groupuscule Le Feu de Maurice Delaunay, un ancien
député modéré. Créés ou relancés aux premières heures de l’Occupation, ces partis collaborationnistes sont trop petits pour naître et
exister sans le financement de l’ambassade
d’Allemagne, qui paie et maîtrise du même
coup leur propagande. Créés par et autour
de chefs à qui les militants vouent un culte,
ils diffusent les mots d’ordre extrémistes du
collaborationnisme parisien.
19
34
L’exposition Le bolchevisme contre l’Europe
L’exposition Le bolchevisme contre l’Europe est
inaugurée le 1er mars 1942 à la salle Wagram,
à Paris, par Fernand de Brinon, accompagné
de Paul Marion, secrétaire général à l’Information et à la Propagande, et Rudolf Schleier,
de l’ambassade d’Allemagne. Sur le toit de la
salle Wagram a été installée une statue représentant un couple brandissant la faucille et
le marteau, caricature de celle du pavillon de
l’URSS à l’exposition universelle de Paris en
1937. L’exposition est organisée par le Comité
d’action antibolchevique de Paul Chack, créé à
l’été 1941 pour lutter contre le communisme,
par la diffusion de tracts, brochures et livres.
Elle est financée par la Propaganda-Staffel
(bureau de propagande allemande). De mars
à juin 1942, 370 000 visiteurs se pressent
salle Wagram ; d’autres la verront ensuite,
et cela jusqu’en juin 1944, à Lyon, Marseille,
Bordeaux, Lille ou Toulouse. Ils ont pu découvrir des panneaux édifiants et des reconstitutions ironiques du « paradis soviétique ».
L’URSS et le communisme sont l’ennemi premier des « ultras » parisiens.
36
Inauguration de l’exposition Le bolchevisme contre l’Europe, 1er mars 1942 : l’entrée de la salle Wagram
Archives nationales, 11AR/789, cliché 13237
© Archives nationales / Alain Berry
20
L’exposition Le Juif et la France
« Jamais le Juif n’a pu, ne peut et ne pourra
s’assimiler aux autres peuples » : tel est le
message principal de l’exposition Le Juif et
la France, inaugurée le 5 septembre 1941
au palais Berlitz, à Paris, servie par la scénographie moderne et variée (textes, moulages, fresques, tableaux, etc.) du graphiste
Cerutti. René Péron, célèbre affichiste de
cinéma, signe celle de l’exposition et réalise
la sculpture phare de la pièce principale, baptisée « Monument de l’aryanité terrassant le
judaïsme ». Jusqu’à la clôture de l’exposition,
en janvier 1942, une salle de cinéma projette
les deux documentaires confiés à Robert
Muzard : Les Corrupteurs et Le Péril juif qui est
la version française du film allemand, Le Juif
21
éternel, tourné en 1939 par l’équipe de Leni
Riefenstahl.
Le projet a été préparé par l’Institut d’études
des questions juives à la demande des services de la Sipo-SD et de l’ambassade d’Allemagne. Une grande partie du matériel de
l’exposition provient d’ailleurs de l’exposition
nazie Le Juif éternel. Les visiteurs découvrent
une immense galerie de plusieurs centaines
de portraits, de Français ou d’étrangers,
célèbres ou évocateurs (d’une situation, d’une
profession…), le plus souvent grossièrement
caricaturaux, accompagnés de commentaires
explicites : « Bouche charnue et ouverte,
lèvres épaisses, oreille large, massive et
décollée, nez fortement convexe, mou et à
larges ailes, traits mous ». Plusieurs portraits
de l’exposition, ou la brochure Une histoire
vraie incitant le public à venir, reprennent
enfin la traditionnelle représentation du riche
capitaliste, bagues aux doigts et cigare à la
bouche, datant du XIXe siècle. Plus de 250 000
visiteurs découvrent cette exposition qui est
présentée ensuite à Bordeaux et à Nancy
jusqu’à l’été 1942, pour près de 100 000 entrées
supplémentaires.
Chancre qui a rongé la France, et la publication
de la revue Le Cahier jaune de novembre 1941
à février 1943, dirigée par André Chaumet.
L’IEQJ publie aussi la revue La Question juive
en France et dans le monde, patronne l’exposition Le Juif et la France, et produit les
deux documentaires antisémites français les
plus violents, Le Péril juif et Les Corrupteurs.
Dissous en 1942, il est remplacé en mars 1943
par l’Institut d’études des questions juives et
ethnoraciales (IEQJR) confié au professeur
Georges Montandon, un ethnologue suisse
raciste.
38
Ralph Soupault
Raphaël Soupault, dit Ralph Soupault (19041962), publie sa première caricature dans
L’Humanité en 1921. Après son rapprochement
avec le courant maurassien, il collabore aux
publications nationalistes L’Action française, Le
Charivari, et aux revues satiriques Gringoire et
Le Rire. Il se rallie au Parti populaire français
avant la guerre et devient le dessinateur le
plus en vue du journal Je suis partout. Dans ses
dessins, il prend violemment pour cible tous
les ennemis de la collaboration : les Juifs, les
francs-maçons, les communistes, les hommes
de la IIIe République, les Alliés, les gaullistes
et les résistants. Condamné le 31 janvier 1947
à quinze ans de travaux forcés par la cour de
justice de la Seine, libéré en 1950 pour raisons
de santé, il reprend son activité de dessinateur
dans le journal Rivarol.
L’Institut d’étude des questions juives
(IEQJ)
L’Institut d’études des questions juives est
officiellement inauguré le 11 mai 1941, avec
le soutien de la Propaganda-Staffel (bureau de
propagande allemande). Situé à Paris, 21 rue
de La Boétie, dans un immeuble réquisitionné
appartenant à Paul Rosenberg, l’IEQJ est
un organisme privé directement contrôlé et
financé par les services allemands (le service
d’information de l’ambassade d’Allemagne et
Theodor Dannecker, chef à Paris de la section IV-J de la Gestapo chargé de la « question
juive »), sans lien formel avec le gouvernement
de Vichy. Son secrétariat général est assuré
jusqu’en 1942 par le capitaine Paul Sézille,
auquel succède le journaliste René Gérard.
Sa principale activité est la diffusion de propagande antisémite, comme cette brochure Le
22
39
Enem
Dessinateur prolifique du journal Au Pilori,
Enem publie fréquemment et durant toute
la guerre des caricatures radicalement antisémites. Il en prépare une édition en recueil.
Son sort à la Libération demeure inconnu, à
l’instar des autres caricaturistes du journal,
comme Seyssel, Dassier et Pilo.
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41
Boîte du fichier du recensement des Juifs de
1940 par la préfecture de police de Paris
La première ordonnance allemande du 27 septembre 1940 portant statut des Juifs impose
aux Juifs de la zone nord, français ou étrangers, de se faire recenser avant le 20 octobre
dans les commissariats de police. Chaque chef
de famille établit une déclaration valable pour
toute la famille. Pour le département de la
Seine, les informations centralisées à la préfecture de police sont compilées sur des fiches
individuelles orange pour les Juifs étrangers,
bleues pour les Juifs français, et des fiches
familiales beiges pour les Juifs étrangers,
bleues pour les Juifs français. Ce fichier, dit
« fichier Tulard », du nom du fonctionnaire de
la préfecture de police qui l’a créé, comprend
en outre un fichier par nationalité, un fichier
par domicile et un fichier par profession. Les
déclarations donnent aussi lieu à l’ouverture
d’un « dossier juif » par personne. Le fichier
de la Seine sert de modèle pour les autres
départements. Il est utilisé pour des contrôles
réguliers et les rafles.
Après la fin des travaux de la cour de justice et
des tribunaux militaires, le fichier est en partie
détruit en 1948 et 1949. 60 000 des 150 000
fiches initiales, incluant également des fichiers
de la zone sud et des fichiers de 1940, 1941 et
1942, conservées parce qu’elles permettaient
aux familles des disparus de demander des
renseignements, ou de faire valoir des droits
à réparation, sont redécouvertes en 1991 dans
les archives du secrétariat d’État aux Anciens
combattants. Ces fichiers, versés aux Archives
nationales, sont déposés au Mémorial de la
Shoah.
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Carte d’identité au nom de Dina Rubinsztein,
Aurillac (Cantal), portant le tampon « Juif »,
23 mai 1944
En zone nord, le recensement d’octobre 1940
est rapidement utilisé pour le marquage des
papiers d’identité par un cachet rouge « Juif »
ou « Juive ». Cette mesure est complétée et
renforcée par la huitième ordonnance allemande du 29 mai 1942, entrant en vigueur le
7 juin 1942 et imposant à tous les Juifs âgés de
plus de six ans de porter en public sur le côté
gauche de la poitrine une étoile jaune en tissu
marquée de l’inscription « Juif ». En zone sud,
le gouvernement de Vichy ne donne pas suite
à cette obligation, mais prend l’initiative, par la
loi du 11 décembre 1942, d’ordonner pour les
Juifs français et étrangers l’apposition de la
mention « Juif » sur les cartes d’identité et les
cartes de rationnement. Des contrôles sont
effectués à l’aide des listes de recensement
établies en application du deuxième statut des
Juifs du 2 juin 1941.
43
La Section d’enquêtes et de contrôle du
Commissariat général aux questions juives
Le Commissariat général aux questions juives
(CGQJ) est créé par la loi du 23 mars 1941. Il
est chargé de préparer et proposer au chef de
l’État toutes les mesures législatives concernant les Juifs, de fixer les dates de liquidation
des biens juifs, de désigner les administrateurs séquestres et de contrôler leur activité.
Le CGQJ incarne la dimension administrative
et juridique de l’antisémitisme français. Dirigé
par Xavier Vallat, premier commissaire général
aux questions juives, le CGQJ s’installe place
des Petits-Pères, dans les locaux aryanisés de
l’entreprise juive Louis-Dreyfus et Cie, et dispose également de locaux à Vichy. Il compte
jusqu’à 1 200 employés, la plupart à Paris. En
mai 1942, sous la pression des Allemands,
Xavier Vallat est remplacé par Louis Darquier
de Pellepoix, antisémite virulent et beaucoup
plus pro-allemand.
23
La Police des questions juives (PQJ) qui dépend
dans un premier temps du CGQJ, est rattachée en janvier 1942 au secrétariat général à
la police. Après les dérives de ses membres
durant l’été 1942 et le rappel à l’ordre de son
chef par René Bousquet, la PQJ devient en
août 1942 les Sections d’enquête et de contrôle
du CGQJ dont elles sont le bras armé, sorte
de 2e Bureau multipliant les enquêtes personnelles pour nourrir la machine à interner et à
déporter.
Le rapport de Jacques Schweblin, directeur
des Sections d’enquête et de contrôle (SEC)
de zone nord, adressé au CGQJ, illustre le
tout-venant de l’action des SEC chargées,
alors, d’enquêtes préalables visant les Juifs,
mais aussi de leur arrestation. Il dit tout aussi,
dans l’en-tête même, de la sourde bataille
qui s’est déroulée au sommet de l’État. Les
ratures signent l’ancienne tutelle : ministère de l’Intérieur, Direction générale de la
police nationale, quand les SEC étaient Police
des questions juives dirigée par le même
Schweblin. Le début est tout aussi signifiant
quand est évoquée « La juive ISRAEL ». Dans
une note interne de septembre 1942, Darquier
de Pellepoix a en effet exigé qu’on ne donne
plus du « Monsieur » ou du « Madame, mais de
« Le juif » ou « La juive » car, écrit-il, « un juif
doit être appelé un juif ».
En 1944, Louis Darquier de Pellepoix est renvoyé et remplacé par un nouveau commissaire,
Charles du Paty de Clam, peu actif. Dans les tout
derniers mois de l’Occupation, le secrétaire
général du Commissariat, Joseph Antignac, lui
succède. Le CGQJ est officiellement fermé fin
août 1944, ses biens mis sous séquestre et sont
confiés au ministère des Finances qui crée, le
1er janvier 1945, le Service de restitution des
biens des victimes des lois et mesures de
spoliation.
Première grande rafle de Juifs à Paris, 14 mai 1941
Photographie retouchée par la censure allemande
Archives nationales, Z/6/1015 scellés de l’agence Trampus
© Archives nationales / Alain Berry
24
44
L’aryanisation économique des biens juifs
Le 19 juin 1941, en accord avec les Allemands
qui ont initié l’aryanisation des biens juifs,
un décret intègre le Service du contrôle des
administrateurs provisoires (SCAP), créé en
décembre 1940, au CGQJ. Ce dernier est dorénavant officiellement chargé du contrôle du
processus d’aryanisation. Le 22 juillet 1941,
une loi étend l’aryanisation à la zone non occupée où une nouvelle Direction de l’aryanisation
économique (DAE) est mise en place pour
être l’interlocutrice d’Allemands affichant leur
souhait de contrôler partout le processus. Une
fois nommé nouveau CGQJ en mai 1942, Louis
Darquier de Pellepoix décide la fusion du SCAP
et de la DAE au sein de son administration.
D’abord mise en œuvre par les autorités allemandes, l’aryanisation des biens juifs représente, à partir de 1941, l’activité majeure du
CGQJ. Il s’agit d’« éliminer l’influence juive »
de l’économie française par la vente à des propriétaires « aryens » ou par la liquidation des
entreprises, des commerces et immeubles
appartenant à des personnes considérées
comme juives. Outre les décideurs gouvernementaux, les fonctionnaires des services
du CGQJ et ceux des préfectures, plusieurs
acteurs jouent un rôle essentiel dans le processus d’aryanisation : évidemment les administrateurs provisoires – dont beaucoup furent
zélés – et les acquéreurs des biens spoliés –
très majoritairement attirés par des biens
achetés souvent en dessous de leur valeur –,
mais aussi les notaires, les responsables des
chambres de commerce ou ceux des Comités
d’organisation. Les affiches signalant les
ventes aux enchères de biens juifs rappellent
très régulièrement la réalité de la persécution.
Près de 50 000 procédures d’aryanisation ont
été menées en France, pour un montant de
cinq milliards de francs.
Les archives du CGQJ contiennent 62 000
dossiers d’aryanisation constitués pendant
la guerre et clos par le Service de restitution
des biens créé en 1945. Le premier document du dossier est généralement l’arrêté de
nomination de l’administrateur provisoire, qui
procède à la vente ou à la liquidation du bien.
Outre les rapports de l’administrateur provisoire, le dossier comprend les actes relatifs à
l’aryanisation, puis des documents du Service
de restitution. Il ne comporte pas toujours d’information sur la revendication ou la restitution
du bien à la Libération.
gare d’Austerlitz vers les camps d’internement
sous administration française de Pithiviers et
Beaune-la-Rolande, dans le Loiret. La plupart
seront déportés lors des premiers convois
de l’été 1942 et assassinés à AuschwitzBirkenau. La rafle dite du billet vert est la première grande rafle de Juifs effectuée en zone
occupée.
45
46
La rafle dite du billet vert, printemps 1941
En mai 1941, la police française adresse
à 6 694 Juifs étrangers de la région parisienne âgés de 18 à 60 ans une convocation
pour « examen de situation », - un billet
vert –, les enjoignant de se rendre le 14 mai
1941 dans divers lieux de rassemblement,
accompagnés d’un membre de leur famille ou
d’un ami. Plus de 3 700 d’entre eux, en majorité des Polonais, se rendent à la convocation
et sont immédiatement arrêtés. Ils partent le
jour même par quatre trains spéciaux de la
Les expositions antimaçonniques
En octobre 1940 s’ouvre au Petit Palais, à Paris,
l’exposition gratuite La Franc-maçonnerie
dévoilée, conçue pour démontrer les dangers
du « complot maçonnique », une des causes de
la guerre. Organisée par Jacques de Lesdain,
directeur de L’Illustration, elle est cofinancée
par le gouvernement de Vichy et les Allemands.
Les textes sont l’œuvre de Jean MarquèsRivière, maçon renégat devenu anti-maçon
forcené, auteur de nombreux livres sur le sujet
et scénariste du film Forces occultes, de Paul
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Riche (pseudonyme de Jean Mamy), qui sort en
1943. Les visiteurs de l’exposition découvrent
notamment un cabinet de réflexion, orné d’un
squelette censé inspirer le profane avant l’initiation. Les organisateurs annoncent un million de visiteurs en octobre-novembre 1940.
L’exposition est ensuite présentée à Bordeaux,
à Lille, à Rouen et à Nancy, et enfin à Berlin
en 1942.
47
La politique antimaçonnique de Vichy
Bernard Faÿ (1893-1978) mène une brillante
carrière universitaire, comme professeur au
Collège de France et à l’étranger, avant de
devenir, le 6 août 1940, administrateur général de la Bibliothèque nationale, en remplacement de Julien Cain destitué de ses fonctions
par le gouvernement de Vichy. Bernard Faÿ,
qui souhaite faire de la Bibliothèque nationale
un fer de lance du redressement national,
s’engage par ailleurs activement dans la politique antimaçonnique. Il est nommé le 27 août
1940 directeur du « Musée des sociétés
secrètes » installé dans l’immeuble du Grand
Orient saisi. Il mène avec son service une lutte
acharnée contre les francs-maçons, pillant les
loges, saisissant leurs biens et leurs archives,
en zone nord comme en zone sud, avec l’aide
de la police française, mais aussi de la police
allemande dirigée par l’Untersturmführer
August Moritz. Condamné le 5 décembre 1946
aux travaux forcés à perpétuité et à l’indignité
nationale, Bernard Faÿ parvient à gagner la
Suisse en 1951. Il est grâcié en 1959.
48
Les actions antimaçonniques avec les
Allemands
La lutte contre la franc-maçonnerie s’effectue en étroite liaison avec les Allemands. Le
secrétaire de Bernard Faÿ, William Gueydan
(dit) de Roussel, est rapidement chargé de
mener une délégation allemande en zone sud
pour récupérer la documentation maçonnique.
Comme le montrent ses notes personnelles,
le 8 octobre 1940 la délégation est reçue par
Pierre Laval, qui « ouvre ses portes ». Le lendemain, Marcel Peyrouton, le ministre de l’Intérieur, signe un ordre de mission.
Un service français des sociétés secrètes
est mis en place dans les deux zones pour,
notamment, constituer un immense fichier
des francs-maçons et élaborer des milliers de
listes mises à la disposition des Allemands.
Comme l’avance le rapport de la Sipo-SD,
Bernard Faÿ élabore directement avec les
Allemands le texte de la deuxième grande
loi antimaçonnique, datée du 11 août 1941,
encore plus radicale que la précédente, et qui
décrète la publication au Journal officiel des
noms et rangs de tous les dignitaires de la
franc-maçonnerie.
Quartier juif du Marais pendant l’occupation allemande,
rue Pavée. À droite un magasin portant une affichette
“Jüdisches Geschäft - entreprise juive” à côté de laquelle
on distingue le portrait du maréchal Pétain, 1940
Paris, Mémorial de la Shoah, MIII-396
© Mémorial de la Shoah / CDJC
Exposition antimaçonnique : affichage à Rouen
Archives nationales, Z/6/1898 scellés du service des sociétés secrètes
© Archives nationales / Rémi Champseit
26
27
49
Été 1941. Création des sections spéciales
21 août 1941, à la station de métro Barbès,
Pierre Georges – connu plus tard sous le nom
du colonel Fabien – abat l’aspirant de marine
allemand Alfons Moser. Ce geste, éminemment symbolique en plein Paris, concrétise
l’engagement du Parti communiste français
dans la lutte armée. Il signe aussi la répression immédiate des autorités d’Occupation
qui s’engagent dans une politique d’éxécution
d’otages dont les trois premiers seront abattus dès le 6 septembre au Mont-Valérien. Mais
le commandement militaire allemand exige
aussi une réaction du gouvernement de Vichy.
Le 23 août 1941 paraît ainsi au Journal officiel
une loi antidatée du 14 août (mais envisagée
par Vichy depuis des semaines) instituant une
nouvelle juridiction d’exception, les sections
spéciales. Placées auprès de chaque tribunal
militaire ou maritime, ou auprès d’une section
de la cour d’appel, elles sont chargées de juger,
directement et sans instruction préalable, les
individus arrêtés en flagrant délit d’infraction
pénale résultant d’une activité communiste ou
anarchiste. Instruments d’une justice expéditive et rétroactive, les sections spéciales
prononcent des jugements exécutoires immédiatement, sans aucune possibilité de recours
ou de pourvoi en cassation, et visent des actes
« même s’ils sont antérieurs à la promulgation
[de la loi] » comme le prescrit son article 10.
Le 26 août 1941 est installée, au cours d’une
courte cérémonie, la première des sections
spéciales auprès de la cour d’appel de Paris.
Elle tient sa première audience dès 9 heures
le lendemain matin, examinant le cas de six
dirigeants communistes dont trois seront
condamnés à mort et guillotinés le surlendemain, 28 août. Il s’agit d’Émile Bastard, d’André Bréchet et d’Abraham Trzebucki.
28
50
Printemps 1942. Opération « Donar »
Dès le printemps 1942, les services allemands cherchent à atteindre les groupes de
Résistance installés en zone sud. Ils sont en
cela aidés par Pierre Laval qui, à peine revenu
au pouvoir le 18 avril 1942 comme chef du
gouvernement, fait savoir qu’il ne s’opposera
pas à une opération de repérage des émetteurs clandestins.
Le modus operandi finalement retenu est
celui d’un commando allemand, composé de
membres de la Sipo-SD et de l’Abwehr, suivis,
plus que surveillés, par des policiers Français.
Pour préserver les apparences de la souveraineté de l’État français, de fausses identités sont
attribuées à ces agents allemands maquillés
en « bons français ». Karl Braun, le secrétaire et
chauffeur personnel de Karl Boëmelburg, chef
du service IV de la Sipo-SD en France occupée,
devient ainsi Charles Chevalier, expéditeur à
Paris : c’est le n° 137 dans l’album composé
après la guerre avec les photographies d’une
partie des membres du commando allemand.
Le n° 166, Pierre Féral, est, quant à lui, le capitaine Fischer de l’Ordungspolizei, le chef radio
de l’expédition. Au total, près de 300 agents
allemands franchissent la ligne de démarcation le 21 septembre 1942, dans des dizaines
de voitures de tourisme et seize camionnettes
radio-goniométriques.
Le succès de l’opération reste cependant mitigé
au regard des moyens déployés. Jusqu’en
novembre 1942, une dizaine de postes émetteurs de la Résistance sont saisis et au moins
une cinquantaine de personnes appréhendées
mais, par cette opération, baptisée du nom de
code « Donar », les Allemands pénètrent pour
la première fois en zone sud, avant même l’invasion du 11 novembre 1942.
51
Été 1942. Accords Bousquet-Oberg
L’entretien décisif, le 6 mai 1942, entre le
nouveau secrétaire général à la police, René
Bousquet, et Reinhard Heydrich, chef du
Reichssicherheitshauptamt (RSHA), ouvre la
voie de négociations avec Karl Oberg, chef
suprême de la SS et de la police allemande en
France occupée, en vue d’une collaboration
étroite des polices allemande et française.
Dans une longue note datée du 18 juin 1942,
René Bousquet présente ainsi à Karl Oberg les
« principes nouveaux qui [lui] paraissent devoir
fixer pour l’avenir les modalités de la collaboration indispensable entre les polices ». Deux
principes sont particulièrement affirmés : la
volonté, tout d’abord, clairement exprimée, de
collaborer dans la répression des « ennemis
communs de nos deux pays […] : le terrorisme,
l’anarchisme et le communisme » ; mais aussi
la revendication, sous cet objectif partagé, de
garantir l’indépendance de la police française
et donc la souveraineté du gouvernement de
Vichy dans ce domaine clé.
Karl Oberg met du temps à réagir, ne transmettant sa réponse que le 23 juillet suivant, en
proposant un nouveau texte pour les accords
envisagés. Si l’autonomie d’exécution des services français est précisée et plusieurs souhaits de René Bousquet validés, les objectifs
restent bien fixés par les Allemands.
René Bousquet lui répond dès le 29 juillet
pour obtenir quelques reformulations, mais
l’accord se conclut ensuite très vite. Le 4 août,
Jean Leguay, adjoint de René Bousquet pour
la zone occupée, envoie la dernière version
des accords au référendaire de Karl Oberg. Le
8, le texte définitif est présenté par Karl Oberg
et René Bousquet devant les préfets régionaux de la zone occupée et les commandeurs
régionaux des SS réunis pour l’occasion. Le
13, enfin, René Bousquet rappelle fermement
aux préfets de zone occupée ce qu’il attend
d’eux : « Il ne vous échappera pas que, si la
note de M. le général Oberg donne à la police
française, tant sur le plan moral que matériel,
des moyens d’action qu’elle n’avait pas jusqu’à
29
présent, il importe que par une activité encore
accrue et par les résultats qu’ils obtiendront,
les services de police fassent la preuve de leur
efficacité réelle. Il vous appartiendra de donner
à ces services une impulsion vigoureuse dont
vous sentez comme moi la nécessité dans les
circonstances actuelles ».
La collaboration des polices est ainsi officiellement scellée. Ses conséquences seront
particulièrement importantes dans la répression contre les groupes armés communistes.
Mais pour favoriser cette signature, le gouvernement de Vichy a aussi, dans l’intervalle,
accepté de participer à l’organisation des
grandes rafles de Juifs de l’été 1942, en zone
occupée puis en zone libre, répondant ainsi au
deuxième objectif de Reinhard Heydrich : celui
de la participation de l’État français à la mise
en œuvre de la Solution finale.
René Bousquet, Pierre Laval et le maréchal Pétain à la
sortie du conseil des ministres, Pavillon Sévigné à Vichy,
3 juillet 1942. Laval y a annoncé la participation de l’État
français aux grandes rafles de Paris et de zone non occupée
Archives nationales, Z/6/1015 scellés de l’agence Trampus
© Archives nationales / Alain Berry
30
Le maréchal Pétain, Pierre Laval et
René Bousquet à la sortie du Conseil des
ministres du 3 juillet 1942
Le 2 juillet 1942, est entérinée la collaboration de l’État français dans l’arrestation et la
déportation des Juifs de France lors d’une réunion entre responsables allemands et français
à laquelle participe le secrétaire général à la
police, René Bousquet. Les décisions prises
d’un commun accord sont dès le lendemain,
3 juillet, présentées en Conseil des ministres
par le chef du gouvernement Pierre Laval et
approuvées. La photographie, ici présentée,
montrant le maréchal Pétain, Pierre Laval et
René Bousquet et portant les tampons des
censures française et allemande, immortalise sans doute la sortie de ce Conseil des
ministres crucial.
Dans les jours qui suivent, soit les 4, 7 et
13 juillet, les services de police allemand et
français se réunissent avec, côté allemand, les
représentants de la Sipo-SD, Helmut Knochen
et Theodor Dannecker et, côté français, René
Bousquet ou son représentant en zone occupée, Jean Leguay, mais aussi le nouveau
commissaire général aux questions juives,
Louis Darquier de Pellepoix dont la nomination
a été imposée par les autorités d’Occupation,
et les responsables de la SNCF. Il s’agit maintenant d’organiser de manière concrète la mise
en œuvre de la rafle dite du Vél’d’Hiv’qui se
prépare à Paris et dans sa périphérie. Celle-ci
débutera le 16 juillet à 4 heures du matin avec
le concours de plusieurs administrations françaises pour se terminer le 17 juillet en fin de
journée.
52
20 janvier 1944. Loi n° 38 instituant les cours
martiales
Après avoir renforcé son arsenal répressif
judiciaire en créant, à l’été 1941, trois tribunaux d’exception – les tribunaux spéciaux,
les sections spéciales et le tribunal d’État –,
le gouvernement de Vichy franchit une nouvelle étape en instituant le 20 janvier 1944 les
cours martiales. La création de cette nouvelle
juridiction intervient à un moment où le gouvernement de Vichy se radicalise. Les rênes
de la répression politique viennent d’être
confiées à Joseph Darnand, chef de la Milice,
nommé le 1er janvier 1944 secrétaire général
au Maintien de l’ordre. Le 10 janvier, un décret
lui donne les pleins pouvoirs pour la répression de la Résistance et le 20, il crée les cours
martiales. Le 21 janvier 1944, face aux préfets
et aux intendants de police, Joseph Darnand
énonce clairement la radicalité du nouvel outil
judiciaire mis en place : « J’ai fait paraître ce
matin [signée la veille] une loi nouvelle qui ne
doit pas avoir beaucoup de précédents dans
l’Histoire », explique-t-il. Le 27 décembre,
dans une note à Pierre Laval, le maréchal
Pétain approuve quant à lui la démarche : « Je
vous ai dit depuis longtemps que je ne répugnais pas à la création de cours martiales pour
juger les hommes ayant tué. Il vaut mieux, en
effet, quelques exécutions spectaculaires que
le trouble et l’émeute. »
Pierre Laval discutant avec Karl Oberg, chef de la SS en
France, 1er mai 1943
Coblence, Bundesarchiv-Bildarchiv, Bild 183-H25719
© Bundesarchiv
31
Visant les « individus, agissant isolément ou en
groupes, arrêtés en flagrant délit d’assassinat
ou de meurtre, commis au moyen d’armes ou
d’explosifs, pour favoriser une activité terroriste », le nouveau tribunal mène une justice
expéditive, sans instruction ni défense, et
dont la peine de mort est exécutoire immédiatement. Environ deux cents résistants sont
condamnés à mort et exécutés en l’espace
de six mois, ce qui constitue le bilan le plus
meurtrier de toutes les juridictions instaurées
par le gouvernement de Vichy. S’il s’agit avant
tout de résistants ayant échangé des coups de
feu avec des forces de l’ordre, on compte aussi
beaucoup de maquisards : six cours martiales
sont ainsi réunies à la suite de l’attaque des
Glières, sept autres à Limoges dans la lutte
contre les « maquis Guingouin ». S’ajoutent
enfin les détenus des prisons de Vichy ayant
tenté des rébellions.
53
10 janvier 1944. Instruction allemande
concernant la rafle à mener à Bordeaux et
dans diverses localités du Sud-Ouest
À peine nommé le 1er janvier 1944 à la tête
du secrétariat général au Maintien de l’ordre,
Joseph Darnand change les règles. On sait
combien les autorités et l’administration de
Vichy s’étaient toujours jusqu’ici montrées très
réticentes à participer à l’arrestation de Juifs
français. Face à une nouvelle demande formulée par les Allemands, Pierre Laval et Joseph
Darnand autorisent cependant le préfet régional de Bordeaux à remettre au service de la
Sipo-SD les listes de Juifs français. Maurice
Papon, le secrétaire général de la préfecture, chapeautant, entre autres, un service
des questions juives, est à la manœuvre. Le
10 janvier 1944, à partir de 20 heures comme
indiqué dans les instructions allemandes, 370
Juifs de la région de Bordeaux, dont plus de
220 Français, sont arrêtés par la police française à la demande de l’occupant. Le 12 janvier, un convoi de 364 personnes, dont 35
enfants de six mois à dix ans, escorté par le
32
groupe mobile de réserve Guyenne, part vers
Drancy.
Après ce précédent, le 25 janvier, l’ordre est
donné par le directeur général de la police
nationale à tous les préfets dans la zone sud
comme dans la zone nord de communiquer
aux autorités allemandes la liste des Juifs
étrangers et français.
Traduction de l’allemand :
« Instructions relatives à l’exécution d’une
action contre les Juifs », Bordeaux, 10 janvier
1944. « Il y a lieu de se saisir de tous les Juifs
restant encore, sans considération d’âge »,
lit-on en substance dans le point 2. Le soulignement est dans le texte.
54
30 mai 1944. Registre du camp allemand du
fort de Romainville
Le 21 janvier 1944, dans son discours annonçant le combat contre le « terrorisme » et
l’instauration des cours martiales, Joseph
Darnand, le nouveau secrétaire général au
Maintien de l’ordre, annonce que les internés des prisons françaises sont désormais
« livrables » à l’occupant : « Je ne veux pas
tourner autour du pot. Lorsque les Allemands
veulent des gens qui sont en prison, j’ouvre
les portes et je les laisse faire. » Leur sort : la
déportation dans les camps de concentration.
Les Allemands ont en réalité surtout demandé
d’évacuer des milliers de détenus communistes, dont ils craignent la libération ou les
évasions une fois venue l’heure du débarquement allié. Les membres des groupes armés
communistes étant surtout condamnés à
mort par les tribunaux militaires allemands
et fusillés, c’est cette fois la branche politique
du Parti communiste français qui est visée en
priorité, ses militants se trouvant pour beaucoup internés dans les prisons françaises
depuis leurs condamnations par les Sections
spéciales. Au siège de la Sipo-SD, on baptise
l’opération « Frühlingswind », « Vent de printemps – une expression souvent utilisée à tort
pour dénommer les départs en déportation
de la Solution finale qui suivent la rafle du
Vél’d’Hiv’.
Plus de 2 800 condamnés, principalement
communistes, sont ainsi livrés aux Allemands
entre les mois de février et mai 1944. Parmi
eux se trouvent beaucoup de femmes extraites
de la centrale de Rennes, comme en témoigne
la page du 17 mai 1944 du registre original du
fort de Romainville, camp allemand de transit,
d’où elles sont déportées pour Ravensbrück.
55
Télégrammes du secrétaire général à la
police, René Bousquet
Dans la longue histoire de la France des camps,
l’été 1942 marque un tournant majeur : les
nombreux camps d’internement du Sud de la
France servent dès lors et en priorité de camps
de transit pour les Juifs déportés ensuite vers
Auschwitz-Birkenau, via Drancy.
L’accord a été scellé début juillet 1942 quand
le chef du gouvernement, Pierre Laval, accepte
de livrer des milliers de Juifs de zone non
occupée contre d’improbables contreparties
et la reconnaissance d’un semblant de souveraineté. Entre août et novembre, soit avant
l’invasion de la zone sud par les troupes allemandes, 10 000 Juifs sont ainsi livrés. Ce ne fut
pourtant pas chose facile à organiser.
Le télégramme aux préfets de zone sud du
secrétaire général à la police, René Bousquet,
en date du 22 août en témoigne : il réclame des
préfets régionaux de zone sud la plus grande
fermeté à l’égard de mouvements éventuels de
la population et de lenteurs de fonctionnaires
réticents « afin de libérer totalement votre
région de tous les Juifs étrangers ». Il sait déjà
que l’opinion ne supporte pas le spectacle ou le
récit de ces rafles et déportations de familles
entières.
Le premier convoi de zone sud part de Gurs,
dans les Pyrénées-Atlantiques, le 7 août. Les
internés sont transférés en camions jusqu’à la
gare d’Oloron-Sainte-Marie pour Drancy.
Si un autre télégramme de René Bousquet,
en date du 31 août, commande aux préfets de
diriger les enfants vers le camp de Rivesaltes,
c’est parce que celui-ci a changé de statut. Il
est devenu « centre interrégional de rassemblement des israélites », le « Drancy de zone
sud » pour reprendre l’expression de Serge
Klarsfeld. 2 313 Juifs vont partir de ce camp en
neuf convois. Le premier convoi est formé le
11 août 1942.
Les préfets concernés reçoivent en outre du
cabinet de René Bousquet des instructions
et informations très précises dans plusieurs
séries de télégrammes sur le modus operandi
des transferts de Juifs. Aidés de la gendarmerie, ils doivent avant les départs renforcer la
surveillance des camps d’internement, préparer les listes, prévoir les vivres pour le voyage
et faire préparer les bagages par les internés
eux-mêmes, et désigner parmi eux un service
médical. La veille du départ, les préfets sont
par ailleurs informés que l’escorte chargée
d’accompagner les internés, doit prendre
contact avec le chef de la gare concernée pour
connaître le quai d’embarquement – de préférence « hors gare ». La composition exacte du
train leur est fournie par la SNCF : des wagons
de marchandises (l’expression « wagons à
bestiaux » est utilisée), munis de « seaux
hygiéniques », et une voiture de voyageurs. Un
horaire matinal doit être privilégié pour l’embarquement. En cours de route, l’escorte a
enfin autorité pour empêcher les évasions.
Comme on peut le constater à la lecture de ces
télégrammes, nombre d’administrations et la
SNCF sont impliquées dans la logistique des
transferts des Juifs de France.
56
L’Inspection générale des camps
Le ministère de l’Intérieur décide de renforcer
son autorité sur les camps d’internement, en
créant, par arrêté du 18 septembre 1941, l’Inspection générale des camps. Si l’organisation
matérielle des camps ainsi que la gestion
du personnel restent de la compétence des
bureaux de la direction générale de la police
nationale, de même que les décisions de
libération ou d’internement, les fonctions de
33
l’inspecteur général des camps sont clairement définies. Il s’agit pour ce dernier de s’assurer, par des inspections sur place, du bon
fonctionnement des camps et de proposer, le
cas échéant, au secrétaire général à la police
toutes mesures d’amélioration afin d’assurer
une meilleure gestion, de renforcer la discipline, d’organiser le travail et de sauvegarder
la santé physique et morale du personnel de
surveillance. Entrent aussi dans son champ de
compétence la recherche de lieux susceptibles
d’accueillir de nouveaux camps d’internement,
la surveillance de leur aménagement et, de
manière générale, la définition d’une politique
globale d’hébergement et d’internement.
La responsabilité de l’Inspection générale des
camps est confiée à André Jean-Faure, ancien
préfet de l’Ardèche, qui, dès son arrivée,
affirme sa volonté d’ordonner et de centraliser
l’administration des camps mais aussi d’améliorer les conditions d’internement, s’appuyant
en cela sur les œuvres privées déjà présentes
dans les camps.
Les tournées d’inspection donnent lieu à la
rédaction de rapports précis et documentés,
comme ici, celui du camp de Drancy dont les
photographies et la description présentent
une image idéalisée des conditions d’internement, tout en insistant, en filigrane, sur les
améliorations apportées.
57
Journal intime et album de photographies
de Friedel Bohny-Reiter sur le camp de
Rivesaltes, 1941-1942
Jeune infirmière en pédiatrie d’origine
autrichienne, Friedel Reiter est envoyée en
novembre 1941 par le Secours suisse aux
enfants, dépendant de la Croix-Rouge suisse,
s’occuper du poste de secours créé au camp
de Rivesaltes au mois d’août précédent. Elle
y rédigera un journal intime du 11 novembre
1941 au 25 novembre 1942, veille de la fermeture du camp. Munie dès son arrivée
d’un appareil photo, elle retracera aussi,
par l’image, l’histoire du camp, laissant les
seules photographies à ce jour repérées et
34
conservées d’un des premiers convois de Juifs
rassemblés « avant le départ » pour Drancy.
Témoin privilégié de la déportation des 2 300
Juifs évacués de Rivesaltes en neuf convois
entre août et octobre 1942, elle sauvera
plusieurs enfants en les cachant dans son
entrepôt de produits alimentaires avant de
les envoyer dans un foyer de la Croix-Rouge
suisse au Chambon-sur-Lignon.
Friedel Bohny-Reiter a été honorée du titre de
Justes parmi les nations en 1990.
Traduction en français de son journal à la
date du 19 août 1942 :
« 19 août 1942 Chaleur accablante sur le
camp. Le fil de fer barbelé tiré étroitement
autour des îlots K et F est oppressant. Les
plaintes des gens tourmentés flottent encore
dans l’air. Je les vois sortir en longues files de
leurs baraques haletant sous le poids de leurs
affaires. Les gardiens à leurs côtés. Se mettre
en rang pour l’appel. Attendre des heures
dans un champ exposé au soleil. Puis arrivent
les camions qui les mènent vers les voies de
chemin de fer. Ils sortent des camions entre
deux rangées de gardiens et entrent, les uns
hésitants, les autres apathiques, quelques-uns
d’un air défiant, la tête haute, dans les wagons
à bestiaux. Cela dure des heures jusqu’à ce
que tous soient entassés dans les wagons où il
fait une chaleur étouffante. Je vois des visages
connus à travers les barreaux. Formulant
encore une demande, criant un remerciement.
À chaque ouverture, deux gardiens. J’observe
les visages. Même le désespoir ne s’y trouve
plus dans ces visages, vieillis, délabrés et
mornes. Du dernier wagon on entend un « au
revoir ». Nous nous en allons vers le camp.
Le lendemain matin – il fait encore nuit quand
nous nous rendons vers la voie de chemin de
fer. Le train se met lentement en marche – ils
échappent à une destinée pour s’en aller vers
une autre. Tout s’est déroulé en une semaine. Il
me semble que c’était un mois. »
Au camp de Rivesaltes : photographies clandestines, prises par Tracy Strong, des internés en attente de leur départ, [5 octobre
1942]
Ces quelques photographies ont été prises sur
le vif par un jeune américain de vingt-sept ans,
originaire de Seattle, du nom de Tracy Strong.
Représentant du Young Men’s Christian
Association (YMCA), ce dernier est venu en
France pour rencontrer, le 4 août 1942, le
maréchal Pétain et plaider auprès du chef de
l’État français la cause des Juifs étrangers
dont les déportations ont, dit-il, un effet très
négatif sur l’opinion américaine.
Lors d’un voyage qui le mène de Marseille à
Rivesaltes, il assiste au départ d’un convoi dont
il saisit, avec son appareil photographique,
quelques scènes clandestinement depuis la
fenêtre d’un bâtiment dont l’ombre du châssis
est encore visible sur certaines d’entre elles.
Il s’agirait, selon les indications portées dans
son journal qui n’a pas été publié à ce jour, du
huitième des neuf convois qui quitte le camp
de Rivesaltes le 5 octobre 1942. Avec celles
Internés avec des gardiens du camp en attente de leur
départ
Paris, Mémorial de la Shoah, Centre de documentation
juive contemporaine, FLC 1091, fonds Tracy Strong
© Mémorial de la Shoah / CDJC
de Friedel Bohny-Reiter, il s’agit des seules
photos repérées à ce jour d’un rassemblement
de déportés juifs avant déportation.
58
Témoignage d’Odette Daltroff-Baticle sur la
déportation des enfants à l’été 1942 depuis
le camp de Drancy, janvier 1943
Emprisonnée le 15 juillet 1942 à la prison
des Tourelles, Odette Daltroff est internée au
camp de Drancy à partir du mois d’août d’où
elle sera libérée le 29 mai 1943 grâce à l’intervention de son fiancé. Durant son internement
à Drancy, elle s’occupera des enfants dont elle
décrit l’existence dans un témoignage bouleversant rédigé dès 1943.
Si la déportation des enfants ne figure pas,
dans un premier temps, dans les objectifs
des autorités allemandes, elle est cependant
abordée, dès l’été 1942, par le gouvernement
de Vichy. Le 6 juillet 1942, Theodor Dannecker,
alors responsable de la question juive à la
Sipo-SD, relaie ainsi les propositions de Pierre
Laval auprès des autorités du Reich : « Le
président Laval a proposé, à l’occasion de la
déportation des familles juives de la zone non
occupée, de déporter également les enfants de
35
moins de seize ans. Le problème des enfants
juifs restant en zone occupée ne l’intéresse
pas ». Alors que la déportation des Juifs de
zone libre a été entérinée, le gouvernement
français insiste en effet pour ne pas assumer
la charge d’enfants rendus orphelins par la
déportation de leurs parents. La décision
tarde cependant à venir de Berlin le 30 juillet
suivant et les adultes sont dans un premier
temps transférés, seuls, des camps du Loiret
vers Drancy.
L’obsession d’Heinz Röthke, qui a remplacé
Dannecker, de remplir les objectifs assignés,
soutenu par Jean Leguay, délégué en zone
occupée du secrétaire général à la police René
Bousquet, accélère cependant la déportation
des enfants, « sans aucune considération
d’âge » désormais. Politique que soutiennent
les collaborationnistes tel Robert Brasillach
qui, dans un article paru le 25 septembre 1942
dans Je suis partout, écrit : « Il faut se séparer
des Juifs en bloc et ne pas garder de petits ».
Alors que la rafle du Vél’d’Hiv’des 16 et 17 juillet 1942 touche pour la première fois des
enfants, le premier convoi comptant de jeunes
enfants de moins de douze ans part pour
Auschwitz le 14 août suivant. À partir de cette
date, un nombre important d’entre eux figure
systématiquement dans les trains. Entre le 14
et le 31 août 1942, soit en seulement quinze
jours et huit convois, 3 265 enfants sont ainsi
déportés à Auschwitz où ils sont, sauf exception, immédiatement gazés.
Extrait du témoignage d’Odette Daltroff- Baticle :
« En bas, on s’énervait. Les enfants ne descendaient pas. J’essayais de les prendre un à un
pour les faire descendre. Ils étaient déchaînés,
se débattaient, hurlaient. Les plus petits étaient
incapables de porter leurs petits paquets. Les
gendarmes sont montés et ont bien su les faire
descendre ; ce spectacle en ébranla tout de
même quelques-uns.
Au moment du départ, on pointait chaque déporté.
Sur les 80 gosses, environ 20 ne savaient pas
leur nom. Tout doucement nous avons essayé
de leur faire dire leur nom, sans résultat. À ce
moment surgit devant moi le maître de toutes ces
destinées, le sous-off allemand Heinrichsohn,
22 ans, très élégant en culotte de cheval. Il venait
à chaque départ assister à ce spectacle qui visiblement lui procurait une immense joie.
Je ne puis oublier la voix de ce petit garçon de 4
ans qui répétait sans arrêt sur le même ton avec
une voix grave, une voix de basse incroyable dans
ce petit corps : « Maman, je vais avoir peur ;
Maman, je vais avoir peur ». »
59
L’antisémitisme
radical
des
partis
collaborationnistes
La politique antisémitisme portée par le gouvernement de Vichy rencontre le soutien des
milieux collaborationnistes, même si, pour
certains d’entre eux, les décisions doivent être
beaucoup plus radicales. Cet antisémitisme,
assumé, est largement revendiqué par la
presse collaborationniste.
Ainsi en est-il d’André Algarron, rédacteur
en chef-adjoint du Petit Parisien, qui, dans
une lettre adressée le 7 décembre 1941 à un
des lecteurs du journal, défend le principe
d’extermination progressive des Juifs de la
vie publique française : « Mon cher Monsieur,
quand on veut se débarrasser d’une maladie
contagieuse, il n’y a pas trente-six moyens : on
isole le bacille, et on le tue ».
De la même manière le journal Au Pilori qui
se revendique « hebdomadaire de combat
contre la judéo-maçonnerie » comme le
proclame son sous-titre, affiche à sa une le
14 mars 1941 un article intitulé « MORT AU
JUIF ! Là ! Le juif n’est pas un homme. C’est
une bête puante. On se débarrasse des poux.
On combat les épidémies. On lutte contre les
invasions microbiennes. On se défend contre
le mal, contre la mort, donc contre les juifs. »
Papillons proférant des menaces à l’encontre de Georges
Koiranski (item 63)
Archives nationales, Z/5/36 dossier 1447
© Archives nationales / Pierre Grand
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L’Appel, le journal de la Ligue française,
sera l’un des rares à rivaliser dans cette
frénésie antisémite, lançant par exemple,
en octobre 1941, un sondage sur le thème :
« Faut-il exterminer les Juifs ? »
60
Les Brigades spéciales
La préfecture de police de Paris est divisée en
trois grandes branches : la police municipale,
de loin la plus nombreuse, la police judiciaire
et les renseignements généraux. Au sein des
Renseignements généraux, les brigades spéciales constituent le fer de lance de la répression anticommuniste à Paris.
La brigade spéciale est créée pendant la
drôle de guerre, en mars 1940, quand la lutte
anticommuniste devient un objectif après la
dissolution du Parti communiste français. La
préfecture de police de Paris s’appuie cependant encore, à l’époque, sur ses structures
traditionnelles. La brigade spéciale est réactivée quand, en août 1941, le Parti communiste
français se lance dans la lutte armée. Elle est
alors placée sous la houlette d’un jeune commissaire, Fernand David, qui mettra quelques
mois pour s’imposer.
En janvier 1942, l’urgence impose le dédoublement de cette brigade spéciale et l’augmentation significative de ses effectifs qui ont
pu atteindre jusqu’à deux cents inspecteurs.
Tandis que la brigade spéciale n° 1 (BS1) se
spécialise dans la répression des propagandistes, la brigade spéciale n° 2 (BS2) concentre
son activité sur la traque des auteurs d’attentats et la lutte « antiterroriste ». Dirigée par
le commissaire René Hénocque, elle va ainsi
mener une lutte à mort contre les groupes
armés du Parti communiste français, à commencer par les FTP-MOI (Francs-tireurs et
partisans – Main-d’œuvre immigrée) de la
région parisienne.
Patriotisme ?
Film réalisé par Georges Jaffé en 1944
Court-métrage en noir et blanc de 15 minutes
Bois d’Arcy, Archives françaises du film
Patriotisme ? montre la lente déchéance de
Pierre, ouvrier renvoyé à plusieurs reprises
de son travail. Après un séjour à la prison de
la Santé, il rejoint une bande de « malfaiteurs
communistes » spécialisée dans le trafic de
tickets de rationnement. Au cours de l’attaque
d’une mairie, Pierre est témoin de la mort de
plusieurs civils innocents. Prenant conscience
de son erreur, il se repent mais trop tard :
la police cerne le repaire des trafiquants et
Pierre meurt dans la charge des policiers.
Produit la même année que Résistance ou
Faits d’armes de Jacques Teisseire par la
société BUSDAC, le court-métrage de Georges
Jaffé s’inscrit dans la mouvance des films de
propagande désignant sans détours les mauvais Français responsables de la guerre et de
la défaite qu’il convient de neutraliser. Ici, les
communistes assimilés à des bandits.
61
Filatures et arrestation du groupe des FTPMOI de la région parisienne par les Brigades
spéciales n° 2 (BS2)
À l’automne 1942, la Brigade spéciale n° 2
(BS2) de la direction des Renseignements
généraux de la préfecture de police de Paris
organise une vaste filature contre les groupes
armés d’obédience communiste, les FTP-MOI
(Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre
immigrée) qui mènent la lutte armée dans la
région parisienne. Les principaux chefs sont
arrêtés à cette occasion.
De janvier à novembre 1943, trois filatures sont organisées, décimant la branche
Affiche Des libérateurs ? La Libération par l’armée du
crime ! (dite L’Affiche rouge), 21 février 1944
Archives nationales, 72/AJ/1008
© Archives nationales / Atelier photo des AN
38
39
politique de la MOI et les FTP-MOI de la
région parisienne.
Parmi les militants suivis se trouve Joseph
Boczor, un ancien des Brigades internationales, chef du détachement des dérailleurs
qui est repéré, la première fois, le 20 septembre 1943 à Ivry, d’où le surnom qui lui est
attribué par la BS2 sur sa fiche individuelle
de filature. La BS2 y consigne jour après
jour les dates, horaires, lieux et personnes
rencontrées par la personne filée. Le 24 septembre à 9h20, « Ivry » rencontre à Bourg-laReine, un certain « Bourg » qui n’est autre
que Missak Manouchian, le chef militaire des
FTP-MOI. De filatures en filatures, les policiers de la BS2 dressent progressivement les
liens entre les différents contacts et le réseau
des FTP-MOI. Missak Manouchian sera suivi
encore pendant près de deux mois avant
d’être arrêté à son tour, le 16 novembre 1943.
Il signe dans le cahier de fouilles la liste de ce
qu’il conserve et ce qui lui est confisqué avant
d’être interrogé par la BS2.
Jugé devant le tribunal militaire allemand
près le commandement du Grand-Paris dans
un procès qui ouvre le 15 février 1944, il sera
condamné à mort avec vingt-deux autres combattants des FTP-MOI. Vingt-deux sont exécutés le 21 février au Mont-Valérien ; l’unique
femme du procès, Olga Bancic, est transférée
en Allemagne pour y être décapitée.
63
Délations et dénonciations
La dénonciation constitue, en France, un fait
de société majeur sous l’Occupation dont les
autorités ne cessent de faire le constat tout en
l’exploitant.
Puisant ses racines dans les fractures exacerbées de la société française héritées des
années 1930, le traumatisme de la défaite et
les difficultés matérielles du quotidien, cette
pratique fait aussi l’objet d’injonctions fortes
de la part des autorités allemandes et du gouvernement de Vichy pour dénoncer les opposants et les « crimes terroristes », au point de
devenir, à la suite de l’affaire des otages de
Nantes, une obligation légale le 25 octobre
1941.
Les circonstances politiques influent de fait
sur les comportements, provoquant, par
exemple, une recrudescence des dénonciations à l’été-automne 1940 lors de la mise
en place de l’appareil d’occupation et les
débuts de la Révolution nationale ou encore à
l’été-automne 1941 alors que souffle, de plusieurs régions de France, le « vent mauvais »
stigmatisé par le maréchal Pétain.
Phénomène massif sous l’Occupation, la
dénonciation a eu des conséquences tragiques
pour des milliers de Français les conduisant à
une mort inéluctable.
65
La censure allemande
Les listes de livres interdits d’auteurs antinazis, anglophiles ou juifs, sont prêtes depuis
longtemps. La première, la « liste Bernhard »,
est publiée dès l’été 1940 : elle comprend 143
titres. Elle a été dressée par les services de la
Propaganda-Abteilung et ceux de l’ambassade
d’Allemagne. En octobre, une seconde, revue
avec l’aide des éditeurs et d’intellectuels collaborationnistes – la première « liste Otto » –
énumère 1 060 ouvrages. Deux autres suivent
en juillet 1942 (1 170 livres) et mai 1943 (934
titres, avec un appendice spécifique consacré
aux auteurs juifs). Au total, plus de deux millions d’ouvrages sont saisis chez les éditeurs et
libraires, pour être pilonnés. Cette censure se
double d’une autocensure en amont, demandée aux éditeurs, tandis que les ouvrages qu’il
faut lire font l’objet d’une large publicité.
66
Cahiers de l’Institut allemand publiés par Karl
Epting
L’Institut allemand, qui ouvre dès septembre 1940, est la première arme de l’ambassade d’Allemagne pour présenter la domination
du Reich sous un jour favorable, « européen »,
et susciter l’adhésion. Karl Epting, âgé de 35
ans, choisi par Otto Abetz pour diriger l’Institut,
illustre parfaitement les deux versants de son
action culturelle : avant-guerre, il avait dirigé à
la fois l’office allemand en France chargé des
échanges universitaires, et une collection –
sous le pseudonyme de Matthias Schwabe –
intitulée « La France contre la Civilisation ».
Le travail de l’Institut est d’abord d’attirer et de
mobiliser une élite intellectuelle, pour mieux
porter le message de la collaboration, mettre
en avant la culture allemande et atteindre le
grand public. Entre octobre 1940 et juillet 1941,
sont ainsi organisées 46 conférences, dont 12
en province (grâce aux annexes de l’Institut),
sur des sujets multiples : littérature, philosophie, histoire, économie, droit, médecine, etc.
S’y ajoutent concerts, pièces de théâtre,
expositions et deux revues. Les Cahiers de l’Institut allemand sont conçus comme une publication de bon niveau. À partir de 1942, l’Institut édite également Deutschland-Frankreich,
dont la couverture porte en effigie la figure
de Charlemagne, « premier unificateur de
l’Occident ».
En novembre 1940, Karl Epting crée une
commission franco-allemande pour choisir
les œuvres à traduire en allemand : 300 classiques seront ainsi édités. Une bibliothèque
de 25 000 volumes est installée dans les salles
de l’Institut, qui propose également des cours
d’allemand : 15 000 personnes sont inscrites
en 1942, un seuil jamais plus dépassé ensuite.
Car cette forme de propagande positive atteint
ses limites au fil des mois de guerre.
ce pamphlet est donc d’abord une critique
féroce et tous azimuts des mous et des tièdes,
à commencer par le gouvernement de Vichy
qui aggrave la « sénélisation » de la France. En
zone sud, le livre est interdit par Vichy.
Réfugié à Sigmaringen à la fin de la guerre,
Lucien Rebatet est arrêté à Feldkirch le 8 mai
1945, et jugé par la cour de justice de la Seine
le 18 novembre 1946 en même temps que ses
collègues Claude Jeantet et Pierre-Antoine
Cousteau. Il est condamné à mort, mais sa
peine est commuée en travaux forcés à perpétuité en avril 1947. Détenu à Clairvaux, il est
libéré le 16 juillet 1952. Il reprend son activité
de journaliste à Rivarol et à Valeurs actuelles.
67-68
Plaques de verre du journal Le Matin :
Rassemblement du Front révolutionnaire
national (FRN) au Vélodrome d’hiver, Paris,
11 avril 1943
Le Matin, quotidien créé en 1883, est, à la
veille de la Grande Guerre, l’un des quatre
grands quotidiens nationaux, tirant un million
d’exemplaires. Racheté par l’homme d’affaires Maurice Bunau-Varilla, il devient dans
l’entre-deux-guerres ouvertement antiparlementaire et anticommuniste. Dans les années
trente, alors qu’il ne tire plus qu’à 300 000
exemplaires, Le Matin affiche des positions
pacifistes favorables aux exigences d’Hitler,
au nom de la défense de la paix à tout prix. Le
17 juin 1940, Maurice Bunau-Varilla reprend
la publication du Matin, qu’il met désormais
à la disposition des occupants allemands.
Nettement collaborationniste, ce quotidien
offre chaque jour à ses lecteurs des reportages photographiques en particulier sur la
vie politique, à l’instar de celui qui est consacré en avril 1943 au rassemblement du Front
révolutionnaire national, qui doit regrouper
les membres du RNP, du MSR, du Groupe
Collaboration, des Jeunes de l’Europe nouvelle, du Comité d’action antibolchevique et
des Francistes. Le Matin se saborde le 17 août
1944, à la Libération, peu de temps après le
Lucien Rebatet
Lucien Rebatet (1903-1972), journaliste à Je
suis partout et critique de cinéma jusque-là
inconnu, publie à l’automne 1942 Les
Décombres, le best-seller de l’Occupation :
65 000 exemplaires vendus dans la zone occupée, peut-être davantage. Si le papier n’avait
pas manqué en ces temps de pénurie, au vu
des demandes auprès de l’éditeur Denoël,
les ventes auraient sans doute approché les
200 000 exemplaires. Le parcours de Lucien
Rebatet illustre ceux de ces nationalistes
maurassiens rompant avec leurs idoles passées pour tomber dans un fascisme pur et dur,
au sein d’une Europe allemande au « magnifique avenir » grâce au « vaste génie » d’Hitler.
« Je souhaite la victoire de l’Allemagne parce
que la guerre qu’elle fait est ma guerre, notre
guerre », écrit-il dans les dernières pages de
l’ouvrage. Le succès des Décombres, qui fait
de son auteur un héraut du monde collaborationniste, c’est aussi, note Rebatet, « celui de
notre équipe, de nos idées, de nos espoirs »,
ceux que l’on retrouve notamment dans les
colonnes de Je suis partout. Après le « diagnostic » d’une « déliquescence », des faillites
de l’avant-guerre et des responsables de la
défaite (la France « judéo-démocratique »),
42
69
décès de Maurice Bunau-Varilla survenu le
1er août 1944.
Les archives du journal sont aujourd’hui
conservées par les Archives nationales, tandis
que le fonds de 200 000 plaques de verre
photographiques, récupérées par le journal
L’Humanité en 1944, est conservé par le Musée
de la Résistance nationale et les Archives
départementales de la Seine-Saint-Denis.
70
Les journaux sous contrôle allemand
Les Allemands contrôlent plusieurs publications, à destination d’un public varié. Ainsi
Le Téméraire, périodique qu’ils financent et
qui est pris en charge par des collaborationnistes, est le seul destiné aux enfants à être
édité à Paris. Attrayant par sa couverture et
plusieurs de ses pages en couleurs, il se veut
proche du format des revues américaines. Par
le rire dans la série « Fulminate et Vorax » ou
la série des aventures de Marc le Téméraire,
jeune policier français luttant contre Ilanine
le « chef en France du service secret soviétique », la série de science-fiction « Vers les
mondes inconnus », les dessins du Téméraire
résument bien l’univers idéologique nazi,
peuplé d’ennemis brossés selon les procédés
racistes habituels et d’amis représentés selon
les canons de la race aryenne. Le discours du
journal en appelle à la formation d’une jeunesse hitlérienne française, que les Cercles
du Téméraire avaient vocation à encadrer.
L’édition française du magazine Signal paraît
à partir de juillet 1940. Ce journal, créé au
début de l’année 1940 par le commandement
supérieur de la Wehrmacht, est traduit en
vingt-cinq langues. Conservant toujours une
partie des textes en allemand, il se compose
d’articles communs à toutes les éditions, traitant des informations générales, puis d’une
partie locale propre à chaque pays. Très axé
sur l’actualité militaire, il fait l’éloge de la
Wehrmacht et de la Waffen-SS, mises en valeur
par la qualité esthétique des reportages photographiques des compagnies de propagande
de l’armée allemande. Réquisitionné en 1941
pour travailler au journal, le photographe français André Zucca y publie de nombreux reportages sur l’occupation allemande à Paris, et la
création de la Légion des volontaires français
contre le bolchevisme.
Le périodique antisémite Revivre est publié
au début du mois de mars 1943, avec un
financement allemand, en remplacement du
Cahier jaune, la revue créée par l’Institut des
questions juives à l’automne 1941. Comme le
proclame son sous-titre, ce journal se veut « le
grand magazine illustré de la race ». Sa nouveauté, c’est précisément ce format de magazine, à la photographie moderne et séduisante.
André Chaumet, journaliste réputé, collaborateur déjà de Paris-Soir et du Matin en assure la
direction, dans la continuité de ses fonctions
au Cahier jaune. « Tendons nos forces pour la
victoire aryenne » demande-t-il dans son premier éditorial. Revivre paraît jusqu’à la fin de
l’Occupation.
71
Radio-Paris
Créée par la Propaganda-Abteilung en juillet 1940 et reprenant le nom d’une chaîne de
radio nationale publique française qui émit
jusqu’au 17 juin 1940, Radio-Paris est dirigée par le Dr Bofinger, un ancien de RadioStuttgart, venu avec une grande partie de
son équipe. Cette station bénéficie d’importantes infrastructures, dont cinq émetteurs.
Elle a d’emblée tenté de « se donner un vrai
visage français », selon un rapport interne
d’octobre 1940, en engageant notamment
des journalistes français ralliés à la cause de
la collaboration, dont le plus connu est Jean
Hérold-Paquis.
Journaliste d’extrême droite qui a commencé
sa carrière radiophonique dans les rangs de
l’Espagne franquiste, il entre comme rédacteur à Radio-Paris en janvier 1942. Il en devient
vite le chef de la rédaction militaire, tenant
chaque soir une chronique. Proche de Jacques
43
Doriot, il le suivra jusqu’en Allemagne et sera
de l’aventure de Radio-Patrie à Sigmaringen.
Pour mieux faire passer son message, RadioParis tenta aussi d’apparaître comme une
radio de divertissement. Les brochures éditées sous le titre Un journaliste allemand vous
parle… semblent confirmer le slogan répété
sur les ondes de la radio londonienne de la
France Libre : « Radio-Paris ment, RadioParis est allemand ».
72
La création de Radio Monte-Carlo
La création de Radio Monte-Carlo est un
exemple peu connu de la collaboration franco-allemande dans la radiodiffusion. L’objet
explicite de la convention de création illustre
la volonté d’Otto Abetz de contrôler les médias.
La fréquence concédée à la Principauté de
Monaco depuis 1933 suscite bien des convoitises et un ami d’Abetz justement, Max Brusset,
propriétaire de Radio Méditerranée, est à la
manœuvre, mais la neutralité officielle de la
Principauté impose de passer par une société
monégasque. Cette société anonyme est créée
le 14 mars 1942 sous le nom de Radio MonteCarlo conjointement détenue par l’organisme
allemand chargé de contrôler les radios hors
Reich et l’OFEPAR, société française créée
ad hoc. La partie allemande doit rapidement
laisser la moitié de ses parts à une société
italienne, armistice franco-italien oblige,
et, côté français, l’OFEPAR passe la main le
11 novembre 1942 à la SOFIRA, toute nouvelle
société créée par Pierre Laval pour que l’État
français contrôle les radios privées. Les premières émissions ont lieu à l’été 1943, consistant d’abord en un programme uniquement
musical. À partir de mars 1944, la radio diffuse les informations de la Propaganda-Staffel.
L’activité de la station cesse en août 1944,
ses installations étant endommagées par les
combats de la libération. Elle reprend officiellement le 1er juillet 1945, après la confiscation des parts allemandes et italiennes dans
la radio par les gouvernements français et
monégasque.
44
73-75
Les voyages d’écrivains et d’artistes en
Allemagne
Le voyage en Allemagne, organisé par le
ministre de la Propagande du Reich, Joseph
Goebbels, en octobre 1941 pour plusieurs
auteurs français, ouvre la voie à d’autres
échanges de cette sorte. Le voyage des sculpteurs et des peintres est le second à être organisé, en novembre 1941, avec des personnalités marquées pour leur traditionalisme, dont
Charles Despiau, le sculpteur le plus connu
après Aristide Maillol, les sculpteurs Henri
Bouchard et Paul Belmondo qui montrent
leurs opinions politiques favorables, les
peintres André Derain, Maurice Vlaminck ou
André Dunoyer de Segonzac. Paul Landowski,
le directeur de l’École nationale des beauxarts, est aussi du voyage.
Dans le monde du cinéma, c’est à l’occasion de la première à Berlin de la comédie
romantique Premier rendez-vous que Danielle
Darrieux, Viviane Romance, Suzy Delair, Junie
Astor et Albert Préjean effectuent un voyage
en Allemagne en mars 1942. Le programme
de ce séjour les conduit des studios de la
UFA à Babelsberg aux studios de la BavariaFilmkunst et de la Wien-Film, en passant par
une rencontre avec des prisonniers de guerre
français, une visite de Munich, de Vienne ou
encore une excursion sur le Wank, et la visite de
l’atelier du sculpteur Josef Thorak. Des délégations d’artistes allemands viennent également en France. Ainsi l’orchestre philharmonique de Berlin, qui effectue en août 1941 une
série de concerts au palais de Chaillot, avec
le jeune chef Herbert von Karajan. Le succès
est tel qu’ils doivent accepter une troisième
soirée. Les plus grands musiciens allemands
se produisent à Paris sous l’Occupation.
Retour d’une partie des écrivains du premier voyage en
Allemagne organisé par le ministère de la
propagande du Reich Paris, gare de l’Est, novembre 1941
Archives nationales, Z/6/731 dossier 5467
© Archives nationales / Alain Berry
74
Au cinéma
Le Crime du père Noël, film de Christian-Jaque
qui sera finalement titré L’Assassinat du père
Noël, est le premier long-métrage produit par
la Continental Films, société à capitaux allemands dirigée par Alfred Greven. Ce dernier
a la haute main sur la production cinématographique allemande en France occupée.
Outre la Continental, maison de production
fondée à l’automne 1940, le réseau mis en
place comprend une société de distribution
(l’Alliance cinématographique européenne),
une société d’exploitation (la Société de gestion et d’exploitation du cinéma, qui achète
des salles), un studio de prises de vue (le
Paris-Studio-Cinéma). Près de 15 % des films
produits sous l’Occupation le sont à l’initiative
d’Alfred Greven qui a pour mission de tenir le
marché et de placer le cinéma français sous
dépendance. Pour y parvenir, il promeut surtout un cinéma de fiction, en étant notamment
à l’initiative de sept films policiers, de onze
comédies ou encore de deux films historiques.
Remerciant Alfred Greven de lui proposer un
rôle dans L’Assassinat du père Noël, Robert Le
Vigan se félicite de participer « au nouvel ordre
des choses entre hommes de race blanche que
nous sommes ! ». Début 1941, c’est un acteur
de premier plan et il a déjà une belle carrière
derrière lui. Il tourne à quatorze reprises
sous l’Occupation. On l’entend également sur
Radio-Paris et il poursuivra cette collaboration jusqu’à Sigmaringen.
Certains films de propagande sont directement
financés par la Propaganda-Abteilung. C’est le
cas pour Forces occultes, œuvre antimaçonnique sortie en mars 1943, du réalisateur Paul
Riche (pseudonyme de Jean Mamy), sur un
scénario de Jean Marquès-Rivière. Ce dernier,
maçon renégat devenu anti-maçon forcené,
était déjà l’auteur des textes de l’exposition de
l’automne 1940 et de nombreux livres sur le
sujet. Les services de la Propaganda-Abteilung
financent largement le projet, lui accordent les
autorisations, dont celle de pouvoir filmer au
palais Bourbon. Car le film relate l’ascension
d’un jeune député devenu franc-maçon, mais
qui finit par dénoncer le complot maçonnique
45
préparant une guerre. On le retrouve assassiné
à la veille du nouveau conflit mondial.
Dans le domaine des actualités cinématographiques, la collaboration va jusqu’à la fusion
des structures au profit de l’occupant. En 1940,
les Allemands diffusent régulièrement en zone
occupée leurs « Actualités mondiales » tout
en imposant à l’agence Havas de leur abandonner le titre « France Actualités ». Repliés
en zone sud, Gaumont et Pathé produisent
ensemble des actualités qui ne sont diffusées
que dans cette zone, jusqu’en juillet 1942,
comprenant notamment les longs reportages
sur les voyages du maréchal. Le 18 août 1941,
Otto Abetz et Fernand de Brinon signent une
convention qui prévoit la création d’une société
d’actualités cinématographiques française en
majorité, mais à participation et sous influence
allemandes. Le 4 juin 1942 une société mixte
franco-allemande voit effectivement le jour
sous le nom de « France Actualités » qui a
le monopole de diffusion sur l’ensemble du
territoire.
76
Le groupe Collaboration
« Pourquoi nous croyons en la collaboration » : tel est le titre d’une des conférences
du groupe Collaboration éditée en brochure
en décembre 1940. Il s’agit de croire dans les
bienfaits d’une réconciliation de deux peuples
complémentaires, d’expliquer la nécessité
d’une Europe conduite par l’Allemagne, seule
à même de lutter contre le communisme, et de
vanter les mérites du régime hitlérien. C’est
le programme que se donne cette association
culturelle composée d’abord d’intellectuels.
Plusieurs académiciens (dont Abel Bonnard ou
le cardinal Baudrillart), des écrivains (comme
Pierre Drieu la Rochelle), des scientifiques
(comme le physicien Georges Claude de l’Institut) forment son comité d’honneur. Elle est
présidée, dès sa création en septembre 1940
et durant toute l’Occupation, par l’écrivain
Alphonse de Châteaubriant, prix Goncourt
1911. Otto Abetz, son inspirateur, souhaite
ainsi donner au principe de la Collaboration
une notoriété et une respectabilité, loin de
l’activisme souvent désordonné des partis
parisiens. À coup de centaines de conférences,
de dizaines de brochures, de manifestations
culturelles, d’interventions régulières dans la
presse, les membres du Groupe (dont beaucoup étaient déjà avant-guerre de l’aventure
du Comité France-Allemagne d’Otto Abetz)
diffusent devant édiles, notables et curieux
des idées venant pour beaucoup de l’ambassade d’Allemagne. Friedrich Grimm, un de
ses conseillers, est d’ailleurs un conférencier
habituel du Groupe.
77
Circuit de transmission d’une information :
des consignes françaises et allemandes
Les informations diffusées en France durant
la guerre sont contrôlées par l’occupant et par
le gouvernement de Vichy. En zone nord, la
Propaganda-Staffel émet un visa pour approuver les documents qui doivent être diffusés.
Comme l’indique le rapport de la PropagandaAbteilung de mai 1941, la mainmise sur les
structures et les finances des stations de radio
et de presse permet d’orienter le contenu des
médias. Du côté du gouvernement de Vichy,
l’Office français d’information (OFI), créé en
novembre 1940 en lieu et place de l’agence
Havas, est l’organe officiel de diffusion des
nouvelles. Il relaie les consignes de censure
émises quotidiennement par le gouvernement
(ministère de l’Information) sous la forme
d’interdictions et d’injonctions, dont l’application est contrôlée par les services de l’État au
niveau national et dans les départements.
L’OFI subit la concurrence de l’AFIP, l’Agence
française d’information de presse… en fait
allemande, qui détient un quasi-monopole en zone occupée et dont les informations lui sont fournies par l’agence du Reich
(Deutsches Nachrichtenbüro, DNB). L’OFI est
aussi concurrencé par des agences privées,
comme l’agence Inter-France, créée à la fin
des années 1930 par des journalistes et des
financiers proches de l’Action française et
dirigée par Dominique Sordet. Depuis 1940,
elle bénéficie des informations internationales
fournies par l’agence allemande Transocéan,
ce qui en fait un auxiliaire apprécié des services allemands. En octobre 1941, la société
se scinde en deux : Inter-France Informations,
subventionné par le ministère de l’Information,
diffuse des dépêches aux journaux, alors que
l’Agence Inter-France leur fournit de la documentation et des articles rédigés. Aidé par ce
type d’agence et finalement sûr de la parole
collaboratrice du gouvernement français, l’occupant peut fermer l’AFIP en octobre 1942, cela
d’autant plus facilement que la DNB conserve
la main sur les informations internationales,
les plus importantes pour raconter l’histoire du
conflit mondial.
78
Le rôle des journalistes : l’exemple d’Émile
Bougère
Émile Bougère dit Vincent ou Deladoutre
(1903-1964), ancien ouvrier aux usines
Renault de Billancourt, commence sa carrière
de journaliste à L’Humanité à la fin des années
vingt, au sein de l’équipe chargée des correspondants ouvriers, ou Rabcors. Exclu du Parti
communiste en 1932, sans doute en raison de
désaccords sur le rôle de ces correspondants,
il travaille ensuite comme rédacteur au Huron
(1932-1934), au Populaire (sous le nom d’Henavent), à Germinal et au Petit journal. Rallié
au Parti populaire français (PPF) de Jacques
Doriot en 1936, il devient secrétaire de rédaction de L’Émancipation nationale (1936-1940)
et rédacteur au journal Jeunesse de France
(qui cesse de paraître en 1938). Il écrit également dans La Liberté, Jeunesse (1941-1942),
La Femme et la vie (1942-1944). Rédacteur en
chef du Cri du peuple de 1940 à 1942, c’est l’un
des dirigeants du bureau central de presse
du PPF. Pendant l’Occupation, Émile Bougère
publie une brochure de 32 pages intitulée
Condition de l’ouvrier en URSS, sous les auspices du bureau de presse de l’exposition Le
Bolchévisme contre l’Europe. Il est condamné
le 22 novembre 1945 à vingt ans de travaux
forcés par la cour de justice de la Seine. Détenu
à Clairvaux, il est libéré en 1951 et reprend
son activité dans l’agence Vietnam Presse.
Combattant le communisme en Afrique, il est,
d’août 1960 à août 1963, directeur du service
de presse du président de la République populaire du Congo, l’abbé Fulbert Youlou.
79
Le contrôle des sociétés d’édition
Les services d’Otto Abetz comprennent immédiatement que le contrôle de la presse et de
l’édition constitue un défi majeur. Gerhard
Hibbelen, conseiller de la légation et dès
avant-guerre au service d’Abetz, est la pièce
maîtresse du dispositif. Il acquiert sa première
maison d’édition, Le Pont, au printemps 1941.
Puis c’est le tour des publications Offenstadt
qui deviennent la Société parisienne d’édition
(SPE) codirigée par Louis Thomas. Par le biais
d’achats massifs d’actions, – en profitant du
cours du mark pour acheter des entreprises
fragilisées, en prêtant de l’argent et en réclamant le moment venu, une participation au
capital ou en utilisant la loi d’aryanisation –,
jusqu’à la création de journaux, Gerhard
Hibbelen fonde un véritable trust connu sous
le nom de « Comptoir financier français ». En
novembre 1942, il possède six quotidiens, onze
hebdomadaires, quatre bimensuels. La liste
des prises impressionne : ainsi Les Ondes, la
revue de Radio-Paris (possédée à 100 %), Ciné
Mondial, Nouvelles continentales, Terres françaises, Revue économique franco-allemande, la
société Vie industrielle, qui publie le quotidien
éponyme et le mensuel économique La France
nouvelle, L’Auto, etc. En 1944, il possède près de
la moitié des capitaux de la presse parisienne,
via une vingtaine de sociétés et une cinquantaine de quotidiens et d’hebdomadaires.
Le 11 février 1942, le conseil d’administration
de la Société parisienne d’édition entérine
l’achat des actions des éditions Offenstadt.
La plupart des personnes nommées sont
françaises ; le rachat des actions Offenstadt
fait réagir le Commissariat général aux
questions juives qui voit dans les acquéreurs
des « hommes de paille », mais ce point de
vue récusé par le conseil d’administration.
Hibbelen est au final très largement majoritaire dans la société. Ce transfert implique
la révocation de l’administrateur provisoire
de la société, chose faite par décision du MBF
(Militärbefehlshaber in Frankreich) le 23 janvier
1942.
80
L’importance des réseaux : l’exemple de Jean
Luchaire
25 juin 1940 : « Otto aimerait beaucoup vous
voir dès votre retour à Paris ». Ces mots sont
ceux de Suzanne Abetz, épouse d’Otto Abetz, à
Jean Luchaire, dont elle fut la secrétaire. Les
liens sont clairement amicaux entre l’ancien
responsable de la Ribbentrop Dienstelle, service du ministère des Affaires étrangères du
Reich chargé de la propagande dans les pays
européens, devenant plus tard l’ambassadeur
d’Allemagne à Paris, et Jean Luchaire. Ce
dernier, journaliste, cofondateur en 1927 de
Notre Temps, ami d’Otto Abetz qu’il rencontre
en 1930, est un des animateurs de son comité
France-Allemagne fondé en novembre 1935,
qui réunit plusieurs intellectuels et écrivains
(dont Jules Romains), artistes (le compositeur
Florent Schmitt), parlementaires (Georges
Scapini) pour dénoncer, en apparence, les
excès du nationalisme, promouvoir une Europe
en paix et l’entente franco-allemande. C’est en
fait un instrument de « normalisation » de la
politique extérieure agressive du Reich nazi,
et un vivier de promoteurs de la collaboration
voulue par Otto Abetz.
Couverture de Ils sont partout de Ralph Soupault, 1944
Archives nationales, Z/6/1050 scellés du dossier 2999
© Archives nationales / Alain Berry
48
81
La vie parisienne : les cabarets à l’heure
allemande
Entre l’été 1940 et l’été 1942, les recettes
des théâtres et music-halls parisiens sont
multipliées par vingt. Paris bei Nacht : pour
la centaine d’établissements de la nuit parisienne, la période de l’Occupation fut bien un
âge d’or. « Les soldats s’amusent ! » titre ainsi
un article du « Guide allemand de Paris », Der
Deutsche Wegleiter für Paris, publié sous le
contrôle de la Kommandantur de Paris à partir
de juillet 1940. Dans ce magazine illustré
bimensuel, au sous-titre évocateur – Wohin
in Paris ? « Que faire à Paris ? » –, le soldat
allemand peut lire de nombreuses informations pour communiquer, circuler, manger,
s’habiller dans Paris, visiter les grands sites
de la capitale et se distraire. Dans les lieux de
divertissement comme dans la vie quotidienne
se croisent ainsi les occupants et les Français.
Toute une palette de sentiments et de relations
peuvent naître de ces rencontres, ce que l’on a
appelé la « collaboration horizontale », et qui
sont souvent demeurés secrets.
82
Rapport pour Jacques Barnaud Avantages
que l’industrie française peut retirer de la
situation actuelle, décembre 1941
La synthèse sur les « avantages que l’industrie
française peut retirer de sa situation actuelle
vis-à-vis de l’industrie allemande », à usage
interne, a été rédigée par René Norguet, haut
fonctionnaire au ministère de la Production
industrielle. Elle propose une vision très optimiste de la collaboration à instaurer, « d’égal à
égal », souvent nourrie d’illusions : « Si l’Allemagne a fait preuve d’un grand désir d’étendre
son influence économique sur l’industrie française par des conseils et des concours apportés presque gratuitement, elle s’est montrée
beaucoup moins pressée que ne l’auraient
été sans doute des pays anglo-saxons, placés
dans la même situation, de prendre des gages
commerciaux. » Plusieurs dirigeants français
espéraient notamment pouvoir bénéficier du
savoir-faire technique allemand et développer
des échanges fructueux pour les industries
mécaniques, électriques et dans le domaine
textile. Par exemple, le 1er mars 1941, François
Lehideux, le responsable du Comité d’organisation de l’automobile, participait à Berlin
à la mise en place d’un « Comité transitoire
pour la collaboration de l’industrie automobile
européenne », avec l’Italie. Seules six sociétés
mixtes franco-allemandes – la forme la plus
aboutie de cette « collaboration constructive » – voient le jour durant cette période :
France-Rayonne en mars 1941 pour fabriquer
des fibres synthétiques ; en mai ce sont les
Gazogènes Imbert puis les Carburants français pour gazogènes ; Francolor en novembre
pour les matières colorantes ; suivent en 1942
France-Actualités et Radio Monte-Carlo.
49
Quatre acteurs clés de la collaboration
économique
Les exigences allemandes s’expriment en premier lieu par la délégation économique de la
Commission allemande d’armistice, dirigée à
Wiesbaden par Johannes Hemmen. Mais c’est
le Dr Elmar Michel, au Militärbefehlshaber
in Frankreich (MBF), qui est l’homme clé du
dispositif.
Yves Bouthillier, ministre des Finances en
1940, symbole de cette élite économique sur
laquelle Vichy s’appuie, est convaincu de l’intérêt de négocier avec le vainqueur. Mais il souhaite en tirer de substantielles contreparties ;
d’où son opposition à Laval qui, a contrario,
tout à la recherche d’un vaste compromis politique, donne des gages au Reich en cédant dès
1940 les mines de Bor et l’or belge conservé
par la Banque de France.
Jacques Barnaud, ancien directeur général de
la maison Worms, appartient en février 1941,
avec Paul Marion, Pierre Pucheu ou François
Lehideux, au groupe dit des « synarques »,
ces techniciens modernisateurs promus par
le gouvernement Darlan. Il prend la direction
de la Délégation générale aux relations économiques franco-allemandes (DGRE), qui doit
dépasser le cadre trop strict de l’armistice
pour promouvoir une politique de collaboration dite constructive.
Jean Bichelonne, major des majors de l’X,
ingénieur des Mines, ministre à plusieurs
reprises dès 1940, incarne la continuité de la
direction industrielle du pays sous Vichy. Celui
qui s’est toujours projeté dans le futur, en
réfléchissant notamment à l’instauration d’un
marché économique européen, est le ministre
qui, pourtant, à partir du printemps 1942, gère
les contraintes allemandes.
50
83
Salon technique et industriel allemand au
Petit Palais, février-octobre 1941
Inauguré
au
Petit
Palais
par
le
Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF) en personne, Otto von Stülpnagel, le salon technique
et industriel est conçu comme une vitrine des
produits dont le Reich a besoin et pour lesquels
il veut passer commande aux entreprises françaises qui se présentent et font des propositions de fabrication. Vichy cautionne l’initiative
qui va dans le sens de la collaboration économique « constructive » qu’il appelle de ses
vœux et qui peut ainsi trouver à se développer
à l’échelle des entreprises. En octobre 1941,
lorsque le salon ferme ses portes, les 12 000
objets exposés intéressant l’armée allemande
ont à 80 % fait l’objet de commandes, souvent
de grandes entreprises. Il en a été de même
pour trois quarts de ceux intéressant le secteur civil, cette fois surtout avec des moyennes
et petites entreprises. Au total, 26 000 propositions de fabrication ont été déposées auprès
du MBF par 10 000 entreprises.
Par ailleurs, en marge du salon, plusieurs
sociétés demandent aux services allemands
l’autorisation de représenter des firmes
allemandes.
84
Les relations entrepreneuriales
Pour beaucoup d’industriels inquiets pour
l’avenir de leur entreprise, dans un contexte
de pénurie de matières premières et de
main-d’œuvre qualifiée et dans un marché
bouleversé par le conflit, il est quasiment
impossible de négliger les commandes allemandes qui font tourner la machine économique française et représentent une part de
la production française qui peut atteindre, par
exemple dans le ciment, jusqu’a 90 %. Aussi
la question de la collaboration avec l’occupant
n’est-elle pas perçue comme une trahison,
le refus de commandes pouvant signifier un
arrêt d’activité. Ce qui n’empêche pas certains
de rechercher un profit plus important grâce à
cette situation, ni de spéculer sur une victoire
allemande. Les motivations idéologiques sont
toutefois plus rares et les patrons s’affichent
finalement peu dans les partis collaborationnistes. Mais ils sont aussi très peu à changer
totalement l’activité de leur entreprise pour
éviter d’avoir à faire avec l’occupant. Comme
le montre ce document, les discussions sont
professionnelles, afin d’assurer la production
et faire tourner les usines françaises, mais
au bénéfice de l’économie allemande. À la
Libération, les sanctions contre les entreprises
seront relativement faibles, se limitant le plus
souvent à des amendes pour profits illicites.
85-86
Le congrès franco-allemand des chambres
de commerce et les voyages économiques
Elmar Michel, l’incontournable responsable économique du Militärbefehlshaber in
Frankreich (MBF), inaugure en septembre 1941
le « premier congrès franco-allemand des
chambres de commerce ».
Dans cette période de la « collaboration
constructive », un grand nombre de chambres
de commerce organisent des voyages d’études
dans le Reich, pour y apprécier techniques
et savoir-faire, comme celui effectué par la
chambre de Rennes dont se félicite son président à son retour.
87
Statuts du Cercle européen, février 1942
Outre les salons et voyages d’études, des structures se donnèrent pour but de « faciliter les
contacts » entre acteurs français et allemands.
Ainsi du Cercle européen ou « Comité de collaboration économique européenne », fondé par
Édouard Chaux en septembre 1941. À l’occasion de conférences et autres séminaires, il
réunit industriels et intellectuels, parmi les
plus importants du monde économique et politique. Lors de la venue, le 10 février 1942, du
Dr Elsner, un dignitaire nazi, la séance est présidée par Elmar Michel, le responsable économique du Militärbefehlshaber in Frankreich
(MBF) ; Pierre Laval est présent dans l’assistance. Mais les patrons ne sont finalement
pas les plus nombreux au Cercle, environ 200
sur les 1 500 adhérents. Son comité d’honneur
comprend notamment Gabriel Cognacq, le
PDG de la Samaritaine, ou René Lalou, le président de Mumm.
88
La Table ronde : les acteurs de la première
collaboration économique
« Les déjeuners de la Table ronde », organisés
de février à octobre 1942 à Paris, à l’hôtel Ritz,
ont le même but. Toutes les trois semaines,
selon un plan de table très étudié alternant
invités français et allemands, ils font se rencontrer des responsables économiques du
Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF), des
industriels allemands en déplacement, des
ministres de Vichy et des responsables des
comités d’organisation, des banquiers, des
grands industriels, des producteurs de vins
et champagnes, des propriétaires de grands
magasins, mais aussi des hommes politiques
et des intellectuels en vue du collaborationnisme parisien. C’est le prince de BeauvauCraon, administrateur de sociétés, qui avait
eu l’idée de ces déjeuners, aidé par François
Dupré, président des Grands Hôtels associés,
directeur du Plazza et du George V, administrateur de Ford, et René de Chambrun, avocat
à la cour d’appel et gendre de Laval. Carl
Schaefer, commissaire allemand auprès de
la Banque de France, avait soutenu l’initiative.
À la Libération, ces « déjeuners de la Table
ronde » symbolisent à eux seuls la collaboration économique et les profits qu’elle a pu
produire.
89
Francolor : un exemple de prise de capital
C’est dans le cadre de la «collaboration économique constructive» voulue par Vichy que
se déroulent les négociations pour la création
d‘une société mixte franco-allemande de colorants. Ce sont les établissements Kuhlmann,
51
entreprise de matières colorantes, qui sont
au cœur des négociations qui se déroulent
entre la DGRE (Délégation générale aux relations économiques franco-allemandes), le
Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF) et les
représentants d’IG Farben, pour la création
de la société Francolor en novembre 1941.
IG Farben prend sa revanche sur les accords
qu’elle avait subis après la Première Guerre
mondiale et assure ainsi sa suprématie
européenne. Francolor est la seule société
mixte franco-allemande où les capitaux allemands sont majoritaires. En 1942, René-Paul
Duchemin, le président des établissements
Kuhlmann, publie cette brochure relatant les
coulisses de cette négociation. Elle n’était pas
destinée à être diffusée.
90
Conventions franco-allemandes
La convention pour l’utilisation des matières
premières textiles, dit « plan Kehrl », est
signée entre le Dr Michel, le responsable économique du Militärbefehlshaber in Frankreich
(MBF), la Délégation générale aux relations
économiques franco-allemandes, et Jean
Bichelonne, alors secrétaire général à l’Industrie et au Commerce intérieur. Elle prend
effet le 1er février 1941. Hans Kehrl, le responsable de toute la planification textile du Reich
et des territoires occupés, cherche à assurer
les besoins militaires de la Wehrmacht. La
convention, qui doit aussi assurer les besoins
civils français, est finalement très déséquilibrée ; en octobre 1941 le bilan sera largement
déficitaire pour la France. Toutefois, Hans
Kehrl est l’un des rares dirigeants allemands
à penser la collaboration avec la France sur le
long terme. D’autres conventions concernant
de nombreux domaines sont signées.
52
91
Le travail en Allemagne
Dès l’automne 1940, des volontaires choisissent de partir travailler en Allemagne où
les conditions sont attrayantes pour une maind’œuvre jeune, sans formation et souvent sans
travail. 185 000 travailleurs volontaires ont
signé un contrat en mai 1942, un chiffre jugé
insuffisant par les Allemands. Voulant éviter
une réquisition impopulaire, Pierre Laval
lance, dans son discours du 22 juin 1942, la
Relève ; un prisonnier français étant libéré en
échange de trois ouvriers acceptant d’aller
travailler en Allemagne. L’opération est un
échec et Vichy doit légiférer. La loi du 4 septembre autorise la réquisition de Français de
18 à 50 ans et de Françaises célibataires de 21
à 35 ans en capacité de travailler. La mesure
s’appliquant sur tout le territoire. Cependant,
Vichy doit aller plus loin et, le 16 février 1943,
instaure un « Service obligatoire du travail » :
le SOT… vite rebaptisé STO qui touche, mais
là systématiquement, les jeunes gens des
classes 1940, 1941 et 1942. Vichy apporte ainsi
un soutien important à l’économie de guerre
allemande : à l’automne 1943, plus de 500 000
travailleurs étaient partis ; cette année-là un
quart au moins des travailleurs étrangers
présents dans le Reich viennent de France. En
1943, le pays fournit aussi 40 % des livraisons
de l’Europe occupée à l’Allemagne.
92-93
Les documents administratifs concernant le
départ en Allemagne et les brochures d’accompagnement du travailleur en Allemagne
Le Service de la main-d’œuvre française en
Allemagne, créé par la loi du 26 mars 1942
et placé sous la responsabilité de Gaston
Bruneton, a avant tout un rôle social. Il s’occupe ainsi des travailleurs volontaires pour
l’Allemagne, puis, après la loi du 4 septembre
1942 relative à l’utilisation et à l’orientation
de la main-d’œuvre en France, des requis.
Devant l’élargissement du recrutement des
travailleurs, ce service est transformé en
Commissariat général à la main-d’œuvre
française en Allemagne par la loi du 6 février
1943 et placé sous l’autorité du Comité interministériel à la main-d’œuvre. Il concerne les
requis du travail obligatoire et les prisonniers
transformés en travailleurs libres. En janvier 1944, signe de l’importance des enjeux
et du nombre de personnes concernées, il
prend le nom de Commissariat général à l’action sociale pour les Français travaillant en
Allemagne (CGASFT). Demande de passeport,
certificat d’embauche (qui spécifie le lieu et
l’usine d’emploi) et carte de prime d’équipement d’un jeune requis du STO sont quelquesuns des documents délivrés par ce service.
Il édite aussi des brochures rendant compte
des conditions de vie et de travail des requis
de la loi de septembre 1942 et du STO. Ainsi
la propagande du ministère de l’Information
à Vichy ne s’arrête pas aux frontières du pays
mais accompagne les travailleurs partis dans
le Reich.
94
La Relève
Le 21 mars 1942, Fritz Sauckel, un proche d’Adolf
Hitler qui lui laisse carte blanche, est nommé
Generalbevollmächtiger für den Arbeitseinsatz
(GBA, plénipotentiaire général chargé de la
main-d’œuvre) : non seulement la recherche
de main-d’œuvre devient un problème essentiel du Reich, mais sa politique en la matière
va se durcir. Quelques semaines à peine après
sa prise de fonction, Fritz Sauckel demande
à la France 350 000 travailleurs, dont 150 000
spécialistes. Pierre Laval, à peine revenu au
pouvoir, veut éviter une réquisition forcément
impopulaire : il obtient de Sauckel l’envoi de
150 000 ouvriers spécialisés, « seulement »,
contre le retour de 50 000 prisonniers de guerre,
soit un rapport d’un à trois. Le 22 juin, le chef
du gouvernement explique aux Français l’importance de ce qu’il appelle la Relève et le rôle
que la France peut tenir à cette occasion. Le
11 août, en présence de Julius Ritter, le représentant de Fritz Sauckel, Pierre Laval est en
gare de Compiègne pour accueillir le premier
retour de 1 300 prisonniers. Une « masse » que
les images de la propagande savent montrer,
mais un petit groupe en réalité qui traduit le
faible nombre d’ouvriers partis pour la Relève :
ils ne sont que 17 000 au 1er septembre. Autant
dire que l’opération est un échec cuisant. Vichy
ne va plus pouvoir échapper à la réquisition
forcée de travailleurs.
À l’automne 1942, en intégrant les chiffres
de la Relève, le chiffre de 200 000 travailleurs
volontaires est atteint.
95
Proposition d’entreprises à classer «S»
dans le Nord, avril 1944, et tableau listant
les entreprises avec leur part de commandes pour l’Allemagne
Jugeant les ponctions massives de maind’œuvre contre-productives, Albert Speer,
ministre de l’Armement du Reich, et Jean
Bichelonne, ministre de la Production industrielle s’entendent à Berlin le 15 septembre
1943 pour les remplacer par une production
accrue et davantage concentrée en France
occupée au service du Reich. Les entreprises
travaillant au moins à 75 % pour l’économie
de guerre allemande sont désormais « protégées » de toute réquisition de leur personnel et
bénéficient de facilités d’approvisionnement –
des Sperr-Betriebe, vite surnommées des
« Speer-Betriebe ». Le secteur des entreprises
protégées s’accroît, en même temps que la
part de l’économie française travaillant pour
le Reich. Après ces accords, en janvier 1944,
13 000 entreprises étaient classées S-Betriebe,
pour un total de plus d’un million d’employés.
L’économie française se trouvait de fait divisée
en deux grands secteurs : les grandes entreprises travaillant en partie pour l’Allemagne
et les autres qui subissent davantage le poids
de l’Occupation. Par ces accords, Speer résout
ainsi une bonne partie des inconvénients
des réquisitions forcées et adapte davantage
l’offre productive française aux demandes
allemandes. Bichelonne remporte une victoire
politique en faisant baisser la pression du STO.
53
96
Les commandes militaires : tableaux de
livraison de moteurs d’avion de juillet 1942 à
juin 1943
La défaite et l’armistice ont été de rudes
coups pour l’industrie aéronautique française,
fleuron industriel dans l’avant-guerre. Les
Allemands sont évidemment intéressés par
une relance de ce secteur stratégique. Côté
français, on veut éviter une mainmise et l’on
espère des contreparties. Un bel exemple
souhaité d’une collaboration « constructive ».
La négociation est menée au niveau gouvernemental. Un important protocole pour un programme commun de fabrication est signé le
28 juillet 1941, sur la base d’un avion français
pour cinq allemands. Sans atteindre les objectifs fixés, la France n’en livrera pas moins 1 500
avions (de transport surtout) et plus de 4 000
moteurs. Ces derniers furent produits, pour
beaucoup, sous licence BMW par la société
Gnome et Rhône qui fabrique des moteurs
d’avion depuis le début du XXe siècle et est, à la
veille de la guerre, l’un des leaders européens.
À la Libération, Gnome et Rhône sera, avec
Renault, l’une des rares entreprises nationalisées pour ses « faits de collaboration ».
97
Le mur de l’Atlantique
Plus de 2 000 Blockhaus et constructions militaires étalés sur 1 500 kilomètres de côtes,
18 millions de mètres cubes de béton coulés,
des milliers d’entreprises françaises concernées, près de 750 000 personnes employées
sur les différents chantiers (en comptant les
requis) : le « mur de l’Atlantique » est un des
lieux majeurs de la collaboration économique.
Ce sont les Allemands, par l’entremise de
l’organisation Todt (OT), qui sont demandeurs,
laissant peu de marge à des acteurs français
qui toutefois répondent présents. À partir des
cahiers des charges de l’armée allemande,
l’OT attribue les marchés à de grandes
entreprises allemandes qui, le plus souvent,
sous-traitent les travaux à des entreprises
54
françaises. L’OT se charge de veiller à l’approvisionnement en matériaux et de fournir les
moyens de transport. En 1944, les entreprises
françaises du bâtiment et des travaux publics
(BTP) travaillent donc essentiellement pour
l’Allemagne : leurs patrons sont peu engagés
idéologiquement, leurs ouvriers mieux payés
qu’ailleurs et l’entrepreneur peut arguer de
l’hégémonie des commandes allemandes s’il
ne veut pas fermer. Mais la situation permet
aussi à certains de faire des profits gigantesques. Au fil des mois cette « collaboration »
se transforme en une pression brutale qui
multiplie les réquisitions forcées et bouleverse
les économies locales.
98-99
Le cas Joinovici
C’est l’autre histoire de la collaboration économique, ou comment amasser des millions.
Intermédiaires, hommes de paille, petits
escrocs ou grands truands, beaucoup ont
compris très vite que l’argent coule à flots
dans les bureaux d’achat allemands, ces véritables « institutions » créées par l’occupant
pour se payer – avec l’argent des frais d’occupation, versé par le Trésor français – toutes les
marchandises souhaitées. Si c’est l’Abwehr,
le service du contre-espionnage nazi, qui a
le premier ouvert un bureau, chaque service
allemand installé en zone occupée a le sien.
La plupart ouvrent leurs portes dès l’hiver
1940-1941. Les prix s’envolent, les profits des
intermédiaires français aussi. À ce jeu, Joseph
Joinovici devient un expert, sans doute celui
qui a amassé la plus grosse fortune de toute
l’Occupation – peut-être quatre milliards de
chiffre d’affaires. Pour cela, sa petite entreprise de chiffonnier-ferrailleur d’avant-guerre
s’est transformée en une véritable firme spécialisée dans le trafic avec l’occupant : avec ses
employés, dont Lucie Bernard – dite « LucieFer », également la maîtresse de Joinovici –,
ses hommes de main pour toutes les basses
œuvres, les indispensables prête-noms des
multiples sociétés-écrans, la famille enfin…
qui entoure le « Parrain » – Mordhar, son frère,
est l’homme de confiance de Joseph. C’est
en particulier avec le plus gros des bureaux
d’achat, le fameux « bureau Otto », géré par
l’industriel-espion Hermann Brandl, qui gérait
près de 400 employés au printemps 1941 et qui
fit sans doute plus de cinquante milliards de
chiffre d’affaires, que Joinovici gagna le plus
d’argent. Le règne des bureaux d’achat connut
son apogée fin 1942, avant que les Allemands
ne limitent eux-mêmes ce pillage interlope à
l’heure de la « guerre totale ».
Pour livrer autant de marchandises, il faut
pouvoir les stocker. Dès 1941, plusieurs
docks de Saint-Ouen – entourés sur ce plan –
deviennent les entrepôts du « bureau Otto »,
où les camions de Joinovici sont des habitués.
Près de trois hectares de quais et de magasins
sont ainsi utilisés.
La Rohstoffhandelsgesellshaft (ROGES) est une
société allemande créée en janvier 1941 pour
l’achat de matières premières. Elle passait
commande aux bureaux d’achat et répartissait
les marchandises auprès des entreprises allemandes. L’antenne parisienne de la ROGES
emploie en 1942 jusqu’à 250 personnes, dont
une soixantaine de Français. On le constate à
la lecture de cette facture de Joinovici, celui-ci
négocie aussi directement avec la ROGES.
La lettre est adressée au chef du service des
affaires juives de la Sipo-SD, Heinz Röthke, et
elle concerne les frères Joinovici. Si, aux yeux
des services policiers, la famille est bien juive
et devrait donc être arrêtée – on est le 28 juillet
1942 et les déportations massives débutent –,
pour le Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF)
et les services allemands qui utilisent les
talents du chiffonnier-ferrailleur, l’analyse est
toute autre : « Les frères Joinovici travaillent
depuis des années pour l’armée allemande
et procurent mensuellement en moyenne 500
tonnes de métaux importants pour l’armée
allemande. » Joseph Joinovici est trop utile.
Planches de photographies anthropométriques du « clan »
Joinovici : Les frères Joinovici (Joseph et Mordhar)
Archives nationales, Z/6/845 dossier 5751
© Archives nationales / Alain Berry
55
100
Du Service d’ordre légionnaire à la Milice
Le 30 janvier 1943, à Vichy, les chefs départementaux et régionaux du Service d’ordre
légionnaire (SOL), émanation de la Légion
française des combattants (LFC), les « troupes
de choc de la Révolution nationale », sont
réunis devant leur chef, Joseph Darnand. Le
SOL devient la « Milice française » annonce
ce dernier, une formation qui doit maintenir
l’ordre en France et faciliter l’instauration
d’un « régime autoritaire national et socialiste permettant à la France de s’intégrer
dans l’Europe de demain ». La collaboration
avec l’Allemagne accompagne, conditionne
même la mise en œuvre de ces deux objectifs.
Pierre Laval, le chef du gouvernement, est à
la tribune, au côté de Joseph Darnand. Il vient
d’accepter de faire de la Milice une formation
reconnue « d’utilité publique », œuvrant pour
le « redressement » du pays.
Les valeurs radicales du SOL, les « 21 points »,
ne rencontrent pas l’adhésion de l’opinion :
les assemblées constitutives de la Milice, qui
se déroulent partout en province, sont des
échecs. La publicité faite autour des adhésions
ne masque pas un recrutement décevant, où
même plusieurs anciens du SOL, pourtant inscrits d’office, manquent à l’appel. En France,
les plus lucides voient déjà dans la création de
la Milice et dans son obsession du maintien de
l’ordre les risques d’une guerre civile.
101
Les engagements dans la Milice
Légion française des combattants, SOL et
maintenant Milice : Édouard Leriche, adhérent
des Basses-Alpes, suit le parcours de beaucoup des cadres du mouvement. Il illustre aussi
le profil de ces petits notables provinciaux,
venus de l’extrême droite, souvent anciens du
Parti social français ou de l’Action française,
pour beaucoup issus des rangs du catholicisme intégriste et contre-révolutionnaires,
devenus des pétainistes purs et durs, désireux
de radicaliser la Révolution nationale.
56
Les miliciens – on compte peu de miliciennes – sont d’abord issus de la petite et
moyenne bourgeoisie urbaine. Ce sont surtout
des employés (au moins un cinquième), des
artisans-commerçants et des cadres, auxquels s’associent des jeunes à la recherche
d’autorité et souvent d’un idéal de virilité ;
d’un emploi aussi pour ceux qui cherchent à
devenir des permanents. En 1944, la Milice
recrutera davantage encore de jeunes finalement peu politisés, en rupture de ban, des
marginaux, des ouvriers et des prolétaires du
monde rural, attirés notamment par une solde
confortable. Les fameux « Lacombe Lucien »,
du nom du personnage principal du film de
Louis Malle.
Au total, si la Milice visa les 30 000 adhérents, elle n’en compta sans doute pas beaucoup plus de la moitié, dont au moins 4 000
Francs-Gardes.
102
La Franc-Garde, bras armé de la Milice
La Franc-Garde permanente, le bras armé de
la Milice, est officiellement mise en place le
2 juin 1943 ; elle est opérationnelle à partir
de septembre. Son rôle consiste à soutenir la
Révolution nationale en participant surtout au
maintien de l’ordre. Cette formation paramilitaire est encasernée et porte l’uniforme, celui
du SOL, inspiré des chasseurs alpins : pantalon de ski et blouson foncé, chemise kaki,
cravate noire, un brassard au bras gauche, un
insigne en métal à la boutonnière, un autre sur
le béret bleu. Si elle est armée, les Allemands
refusent l’équipement lourd demandé par
Joseph Darnand. La Franc-Garde recrute
des hommes de 18 à 45 ans, des adhésions
que l’exemption au travail obligatoire en
Allemagne cherche à faciliter. Les plus jeunes,
de 14 à 17 ans, peuvent intégrer l’Avant-Garde.
En structurant également ses sections locales
composées des adhérents maintenus dans la
vie civile, la Milice apparaît donc comme fortement hiérarchisée, de type militaire, où les
chefs ne manquent pas.
103
Cours de la première promotion des cadres
de la Milice, à Uriage
Comme tout mouvement ambitionnant de
gouverner, la Milice forme ses cadres. L’École
nationale des cadres de la Milice s’installe le
1er mars 1943 dans un château de la vallée
d’Uriage, là où, quelques semaines plus tôt,
on formait les jeunes de la Révolution nationale. Le premier stage débute quelques jours
plus tard. Les futurs chefs des services départementaux de la Milice y suivent avant tout des
cours de formation politique et militaire. On les
voit sur cette photographie datée du 15 mars
1943. S’ajoutent pour ceux appelés à devenir
des cadres de la Franc-Garde une formation
au maniement des armes, aux combats de
rue et à la lutte contre les maquis. Jusqu’à
son éviction à l’été 1943, l’école est dirigée
par Pierre-Louis de La Noüe du Vair, puis
par Jean de Vaugelas, remplacé en avril 1944
par Alfred Giaume. Elle édite une revue : les
Cadres d’Uriage. La Milice évacue l’École en
juillet 1944.
104
Procès-verbal de la réunion qui décide de
la nomination de Joseph Darnand comme
secrétaire général au Maintien de l’ordre,
rédigé par les services allemands
En décembre 1943, c’est entendu, les
Allemands – la Sipo-SD chargée du maintien
de l’ordre en tête – ont pris leur décision.
L’heure est à la radicalisation et à un changement gouvernemental à Vichy, pour les ministères clés : l’Intérieur et l’Information.
Pierre Laval tente bien de s’opposer à la nomination de Joseph Darnand, avançant que la
nomination d’un milicien, a fortiori gradé dans
la SS, pouvait favoriser la désobéissance dans
les rangs policiers. Il obtient la nomination
d’Antoine Lemoine au secrétariat à l’Intérieur,
c’est-à-dire comme supérieur théorique de
Darnand qui est nommé, lui, secrétaire général au Maintien de l’ordre (SGMO) – Pierre
57
Laval demeurant en titre le ministre de l’Intérieur. Mais la réunion du 5 janvier 1944, qui fixe
les attributions du nouveau SGMO, montre que
Joseph Darnand a la main et qu’il recevra les
ordres de la Sipo-SD. Oberg en fait le compte
rendu ! Limpide également la feuille de route :
le SGMO devra être implacable pour maintenir
l’ordre et des cours martiales sont annoncées.
Le 21 janvier, dans son premier discours
aux préfets et intendants de police, Joseph
Darnand demande de « répondre au feu par le
feu et immédiatement. Je ne vous demande
pas d’amener des gens, je vous demande de
dire : «Nous avons abattu des terroristes.
[…] Nous parlons de gens extrêmement dangereux, nous parlons de tous ces individus
armés, aussi bien des communistes, des
anarchistes, que des gens qui feraient partie
de l’armée secrète. […] Je les mets tous dans
le même sac. »
Un décret du 10 janvier 1944 donne autorité à
Darnand sur l’ensemble des forces de police
et de sécurité de l’État, au total plus de 150 000
hommes. Dans les semaines qui suivent, des
miliciens sont nommés à la tête de plusieurs
postes clés de la haute administration. Tout
un symbole, Jean Degans, le chef du 2e service
de la Milice, son officine de renseignement et
celui chargé des exécutions, prendra la tête
des Renseignements généraux. Max Knipping
est le délégué du SGMO pour la zone occupée.
Sur le terrain, les miliciens se sentent investis
de tous les pouvoirs et multiplient les actions
arbitraires.
105.
« Les miliciens dans le maquis savoyard »,
Combats, n° 48, 8 avril 1944
Le reportage est signé d’Henry Charbonneau,
neveu de Joseph Darnand et directeur de
Combats, l’hebdomadaire de la Milice qui
paraît depuis le 8 mai 1943. L’article rend hommage aux miliciens engagés depuis fin mars
aux côtés des troupes allemandes contre le
maquis, sur le plateau des Glières, en HauteSavoie. Sous la direction du milicien Joseph
Darnand, l’engagement des forces de l’ordre
58
françaises va donc jusqu’au combat militaire
aux côtés de l’occupant contre la Résistance.
Le plateau des Glières est le premier symbole
de cette collaboration. La caricature qui illustre
cette Une de Combats est significative du portrait dressé des « terroristes », forcément bolcheviques, Juifs et/ou encore gangsters.
Mais les télégrammes de la Sipo-SD de cette
période témoignent surtout que les Allemands
confèrent à la Milice la mission de boucler et
de surveiller les zones des combats.
106
Affaire contre X homicide volontaire sur la
personne de M. Mandel Georges, Versailles,
7 juillet 1944
Depuis l’accession aux responsabilités de leur
chef, les miliciens multiplient les entorses à
la loi pour « maintenir l’ordre » : vérifications
d’identité massives, arrestations arbitraires,
perquisitions sauvages et pillages, meurtres
gratuits de suspects dénoncés mais souvent
innocents. L’assassinat de Georges Mandel
est d’une autre nature : c’est un meurtre
politique. Il est vraisemblable qu’il a été exécuté à la demande des plus hautes autorités
du Reich, qui procèdent au retour en avion
de l’ancien ministre déporté en Allemagne.
Transféré à la prison de la Santé, il est pris en
charge quelques heures plus tard par un commando de miliciens pour un pseudo-transfert, et exécuté au bord d’une route, près de
Fontainebleau. La Milice avait déjà commis
d’autres meurtres politiques. Le 2 décembre
1943, elle avait assassiné Maurice Sarraut, le
patron de La Dépêche de Toulouse et ancien
parlementaire. Le 10 janvier 1944, elle tue le
président de la Ligue des droits de l’Homme,
Victor Basch, et son épouse Hélène, âgés respectivement de 80 et 79 ans. Le 21 juin 1944,
autre assassinat très symbolique, celui de
Jean Zay, l’ancien ministre du Front populaire.
L’assassinat de Georges Mandel est sans doute
une mesure de représailles qui a suivi l’exécution de Philippe Henriot. Le rapport d’enquête
rapidement établi comprend les photographies
de la traction avant noire Citroën qui a servi à
l’expédition, avec les impacts des balles qui
ont tué Georges Mandel.
107
Au front avec la Légion des volontaires
français
Le 5 octobre 1941, en Pologne, 800 soldats
et 25 officiers de la Légion des volontaires
français (LVF) intégrés dans le 638e régiment
d’infanterie allemand, prêtent serment à Adolf
Hitler. Trois semaines plus tard, ils partent
pour le front où le premier engagement est
meurtrier pour une LVF mal formée, mal équipée et mal dirigée. Après la déroute militaire
de l’hiver, l’unité sera désormais utilisée à
l’arrière, notamment contre les Partisans.
108
Les cadres de la Légion des volontaires
français
Edgar Puaud est né le 29 octobre 1889 à
Orléans (Loiret). Sous-lieutenant durant la
Première Guerre mondiale, il suit la carrière
classique d’un officier de la Légion étrangère.
Promu lieutenant-colonel dans l’armée d’armistice, il rejoint la Légion tricolore, mais à la
suite de l’échec de cette formation, il s’engage
dans la Légion des volontaires français (LVF).
Il est immédiatement placé à la tête de trois
bataillons français rassemblés en Biélorussie
dans la lutte contre les partisans soviétiques.
En avril 1942, il est nommé commandant de
la LVF en remplacement du colonel Labonne.
Après la campagne de l’hiver 1943-1944, il
revient en France pour une tournée de propagande en faveur de la LVF. À cette occasion il
est promu général de brigade et élevé au grade
de commandeur de la Légion d’honneur. Au
printemps 1944, il retourne sur le front de l’Est
où il rassemble les survivants de la LVF et les
intègre à la Waffen-SS pour former une division française, la division Charlemagne dont
il prend le commandement. Il reçoit alors le
grade d’Oberführer et mène ses troupes dans
les combats de Poméranie où il disparaît en
mars 1945.
Roger Henri Labonne est né le 9 février 1881.
Au cours de sa carrière d’officier, il a fait l’objet
de nombreuses citations. Colonel de l’armée
d’active, il se trouve en Tunisie en 1940. Mis à
la retraite, il rentre en France et contribue au
cours de l’été 1941 à l’organisation de la Légion
des volontaires français contre le bolchevisme
(LVF) dont il prend le commandement. Il se
rend en Pologne pour accueillir les premiers
contingents, assure le commandement effectif des troupes sous l’uniforme allemand et
reçoit la croix de fer de 2e classe. Mais trop
effacé pour stopper les intrigues politiques qui
gangrènent la LVF, il est relevé de ses fonctions en avril 1942 et remplacé par le général
Puaud. Il n’en continue pas moins à jouer un
rôle dans la LVF en participant à diverses manifestations, écrivant des articles, prononçant
des conférences et des allocutions à la radio.
Il quitte Paris le 20 août 1944 et se réfugie en
Allemagne. Arrêté, il est jugé par la cour de
justice de la Seine et condamné à la réclusion
à perpétuité, à la confiscation de ses biens et la
dégradation nationale. Il meurt en 1966.
Jean Marie Pierre Louis de Mayol de Lupé est
né le 21 janvier 1873, au sein d’une famille
aristocratique de tradition monarchiste. Après
ses études il est ordonné prêtre. Lors de la
Première Guerre mondiale, il sert comme
aumônier militaire. Fait prisonnier en 1914, il
reste deux ans en captivité. Libéré, il retourne
au front où il est grièvement blessé. Il est plusieurs fois cité et décoré. Il quitte l’armée en
1927 pour cause de maladie. En 1938, il se rend
au Congrès de Nuremberg et est séduit par
le national-socialisme. À cause de son âge, il
n’est pas mobilisé en 1939, mais à la création
de la Légion des volontaires français (LVF) en
1941, il se porte volontaire et en devient l’aumônier, portant l’uniforme allemand sur le
front de l’Est. Il est décoré de la croix de fer de
2e classe en 1943 et fait la couverture d’une édition du journal de propagande Signal. En 1944,
il intègre la Division SS Charlemagne, mais
trop vieux, il reste en Allemagne et s’installe
à Munich. Arrêté en 1945, il est condamné par
59
la cour de justice de la Seine à quinze ans de
réclusion, à la confiscation de ses biens et la
dégradation nationale. Il bénéficie d’une libération conditionnelle en 1951 et meurt en 1955.
André Demessine est né le 5 mai 1908 à
Paris. Instituteur, puis professeur d’éducation physique, il est mobilisé en 1939 et participe comme officier des chasseurs alpins à
la campagne de Norvège et à la campagne de
France. Démobilisé, il retourne à la vie civile. Il
s’engage dans la Légion des volontaires français (LVF) en septembre 1941. Entré avec le
grade de capitaine, il combat sur le front russe
entre 1941 et 1942 et est décoré de la croix de
fer de 2e classe le 16 juin 1942. Ambitieux, peu
aimé de ses camarades, il critique volontiers
ses supérieurs, adressant lettres et rapports
sans respect de la hiérarchie, écrivant notamment directement à Adolf Hitler. En conflit avec
les Allemands, il est rayé des cadres début 1943
et nommé en septembre directeur de la propagande de la LVF où il fait preuve d’une intense
activité. Fin avril 1944, il abandonne ce poste à
la demande des Allemands. Arrêté fin 1944, il
est condamné le 21 février 1945 à la peine de
mort par la cour de justice de la Seine et fusillé
le 15 mars 1945.
109
La propagande de la Légion des volontaires
français et le soutien à la LVF
La création de la LVF s’accompagne d’un
effort intense de propagande destiné à
favoriser les engagements que ce soit par
la création d’associations comme Les Amis
de la LVF avec ses nombreuses antennes
locales ou l’organisation de rassemblements au cours desquels les plus hautes
instances de la LVF prennent la parole, tel
à Paris le 16 avril 1944, ou par la diffusion
de messages sur les supports les plus
divers, du plus courant (tract, affiche) au
plus original. Ainsi ce calendrier européen,
sur le modèle du calendrier des postes, à
la couverture très suggestive. À l’intérieur,
chaque mois est consacré à un pays allié de
l’Allemagne dans la guerre contre l’URSS.
Pour la France, c’est le mois de juillet, sans
doute à cause de la Fête nationale montrant
des soldats français sous uniforme allemand prêtant serment, accompagné d’une
phrase du maréchal Pétain, ou bien un lot de
cartes postales avec sa pochette montrant
des engagés dans leur vie quotidienne.
Plus surprenante, cette urne de la Légion
française des combattants portant cette inscription « ici est déposée la terre limousine
recueillie par la légion de la Haute-Vienne »
sans doute destinée à accompagner des
engagés du Limousin dans la LVF sur le
front.
110-111
L’incorporation dans la Légion des volontaires français
Début juillet 1941, plusieurs anciens commerces juifs sont réquisitionnés par des militants collaborationnistes pour servir de bureau
de recrutement à la toute nouvelle Légion des
volontaires français (LVF). Les volontaires
viennent signer leur « contrat d’engagement »,
compléter leur dossier individuel. Plus tard,
une fois leur formation terminée, loin de la
France, ils recevront leur brassard à l’emblème de la LVF et leur Soldbuch (livret militaire), comme membre d’une unité allemande.
Sans doute au moins 9 000 candidats se présentèrent en 1941 pour intégrer la LVF, désireux de combattre le communisme, en rupture
de ban ou attirés par des soldes alléchantes.
Mais beaucoup sont recalés après la visite
médicale et au cours de la période de formation, faite d’exercices physiques et de cours
théoriques, à la caserne Borgnis-Desbordes
à Versailles. Certains le furent aussi du fait
de leurs antécédents judiciaires. Moins de
3 700 Français ont alors revêtu l’uniforme de
la Wehrmacht, pour former les premiers éléments de la LVF.
Malgré les meetings organisés début 1944 pour
susciter les adhésions, on ne compte que 2 300
légionnaires à l’été 1944. En septembre 1944,
les restes de la LVF sont intégrés à la division
SS Charlemagne.
112-114
Dans la Waffen-SS
La loi du 22 juillet 1943 autorise les citoyens
français à s’engager dans la Waffen-SS. Ils
seront 3 000 recrues jusqu’à l’été 1944, le
double s’étant porté candidat ; des volontaires
majoritairement issus des milieux populaires,
l’adhésion idéologique n’étant pas la règle.
De leur côté, plusieurs cadres de la Milice
souscrivent, à tour de rôle, un engagement
limité dans le temps dans les rangs d’une
première Brigade d’assaut, la Sturmbrigade
Frankreich. Jusqu’à l’été 1944, environ 9 000
Français ont été engagés dans des unités de
combat sous l’uniforme allemand, d’abord
dans la LVF puis dans la Waffen-SS. La France
a fourni proportionnellement à sa population
le moins de volontaires. En septembre 1944,
Himmler décide de faire des différentes
unités une seule brigade, puis division, de la
Waffen-SS : la division Charlemagne. Viennent
s’y ajouter environ 2 500 miliciens qui ont
choisi de suivre l’Occupant lorsqu’il quitte la
France. En février 1945, un contingent de 4 500
hommes est formé et envoyé en Poméranie.
Le 25 février, il subit l’offensive soviétique,
lors de deux jours de combats violents où les
pertes sont très lourdes. Début avril 1945, ils
ne sont plus qu’un millier à encore combattre
sur la Baltique. Trois semaines plus tard, ils
ne sont sans doute pas plus d’une centaine à
être décorés de la croix de fer dans les ruines
de Berlin.
113
Devenir
Devenir est le journal des engagés français
dans la Waffen-SS. L’éditorial du premier
numéro du 1er février 1944 est signé de
Joseph Darnand, le chef de la Milice, qui,
écrit-il, « a rompu ». Celui qui, en août 1943,
a prêté serment au Führer et est entré dans la
SS, montre ici clairement la direction choisie,
celle qui consiste à imposer en France un
régime national-socialiste. Il se revendique
de l’esprit SS, d’un même « idéal » habillé aux
couleurs de l’Europe.
Paul-Marie Gamory-Dubourdeau, cadre du
PPF, tout juste entré dans la SS, suit cette
direction. Il devient très vite un cadre de la
Sturmbrigade Frankreich, qu’il commande
en Bohême au printemps 1944. Il assume
d’importantes responsabilités ensuite dans
la division Charlemagne, jusqu’à la fin et sa
capture. »
115
Engagement dans d’autres unités
En dehors des unités de combat, 10 000
Français ont porté un uniforme allemand,
cette fois dans des unités auxiliaires ou dans
des corps spécifiques. Dans les deux cas, il
s’agit avant tout de jeunes, souvent peu instruits, défavorisés ou déclassés socialement,
généralement marqués par la propagande
nazie. Quel que soit leur faible passé politique
jusque-là, ils n’en ont pas moins perçu la force
de cet engagement. Dans la Kriegsmarine, au
Nationalsozialistische Kraftfahrkorps (NSKK) ou
comme gardes armés des chantiers Todt, tous
servaient le Reich.
La Kriegsmarine
Près de 2 000 Français se retrouvèrent dans la
Kriegsmarine, dans des services d’entretien et
pour la garde des bases navales.
Le Nationalsozialistische Kraftfahrkorps
Le Nationalsozialistische Kraftfahrkorps (NSKK)
est un corps motorisé du parti nazi, dont les
engagés furent utilisés à des tâches militaires
de transport de troupes et de manœuvre. On
y compta près de 3 000 Français, beaucoup
pour éviter le travail obligatoire. Comme les
membres de la Légion des volontaires français
(LVF), les Français du NSKK ou des chantiers
Todt portent un écusson tricolore sur leur uniforme allemand.
116
Les agents de l’Abwehr de Paris
L’Abwehr, l’antenne du service de renseignement allemand, est la première à employer
des agents français. Durant la plus grande
partie de la période, elle est en pointe dans
la lutte contre les mouvements et surtout les
réseaux de la Résistance.
Les archives conservent la trace de l’engagement de ces agents français : dossiers individuels, fiches d’engagement, rapports d’enquête et remboursements de frais.
117
Cahier de service du Sicherheitsdienst de
Marseille mentionnant l’arrestation de Juifs,
30 septembre 1943
« Les Français Garette et Haon qui travaillent
pour la Sipo-SD de Nîmes se présentent au
service… » : le quotidien d’un bureau de la
Sipo-SD en France occupée, consigné dans
un registre du service régional de Marseille.
Les deux agents livrent 20 Juifs : sept
femmes, onze hommes et deux enfants, qu’ils
viennent d’arrêter à Vals-les-Bains. Ils ont
agi, déclarent-ils, sur ordre du Kommandeur
de la Sipo-SD de Marseille en personne, Rolf
Mühler, un cadre expérimenté du SD, muté en
France dès 1940, ancien responsable régional
à Rouen et Lyon, n° 2 de l’opération « Donar »
et qui avait aussi supervisé les rafles du VieuxPort en janvier 1943. L’autre référent de ces
deux agents français est August Moritz, l’ancien responsable de la lutte antimaçonnique à
Paris, devenu le chef de la section VI dans le
ressort de la Sipo-SD de Marseille. Il sera, le
mois suivant, muté à Lyon.
L’un de ces deux agents, Joseph Garette (dont
le nom est souligné en rouge sur le registre),
est le président du groupe Collaboration de
Nîmes. Il est spécialisé dans l’arrestation
des Juifs. La Sipo-SD régionale dispose de
plusieurs dizaines d’agents recrutés dans les
cercles collaborationnistes, notamment ceux
du Parti populaire français (PPF) de Simon
Sabiani, liés au « milieu » marseillais.
118
Caricatures des membres et des agents de
la Gestapo de Metz
Le SS-Hauptsturmführer Heinz Lautenschläger
aimait sans doute les caricatures ! Mais en
1945, le contre-espionnage français ne s’y est
pas trompé : l’intérêt premier des planches
qu’il compose à l’occasion des fêtes de la fin
de l’année 1943 est de présenter les policiers
allemands et les agents français à leur service. Sur la planche présentée ici, plusieurs
caricatures concernent des agents doubles de
la Gestapo de Metz. Le n° 81 représente Jean
Schoving, ici soutenu par Heinrich Fanelsa,
le chef du service VI de la Sipo-SD, celui spécialement chargé de la gestion des « hommes
de confiance ». Habillé d’une soutane parce
que Schoving avait envisagé d’entrer dans
les ordres, il porte une croix de Lorraine sans
doute pour rappeler sa contribution à la chute
de plusieurs groupes de résistance. Alphonse
Scherer est son compère de contre-espionnage, représenté ici sous le n° 75, au côté de
la secrétaire du service VI. Âgé seulement de
22 ans lorsqu’il est recruté, à sa demande,
il devient un spécialiste de l’infiltration des
organisations de résistance, généralement en
se faisant passer pour un agent britannique. À
les voir ainsi représentés aux côtés des policiers allemands, on mesure leur importance
dans la lutte contre la Résistance.
119
Trois amis engagés dans le Nationalsozialistische Kraftfahrkorps (NSKK), corps motorisé du parti nazi utilisé à des
tâches militaires de transport de troupes, de manœuvre et
au service de l’organisation Todt
Archives nationales, Z/6/900 scellés du dossier 306
© Archives nationales / Alain Berry
Brigade nord-africaine de la Gestapo
de la rue Lauriston et membres du
Sicherheitsdienst : intervention en Dordogne
Le 12 mars 1944, grâce à un accord passé avec
les chefs de la SS en France, Henri Lafont, le
patron de la « Carlingue », la « Gestapo française de la rue Lauriston », qui rêve d’opérations militaires, quitte Paris à la tête de
« sa » Brigade nord-africaine pour aider l’occupant dans sa lutte contre les maquis de la
Résistance.
Elle est composée de Nord-Africains recrutés
dans les quartiers pauvres parisiens et attirés
par les salaires élevés. Marcel Déat fournit
également une cinquantaine de militants.
Équipés et armés par Joseph Joinovici, qui
avait obtenu le marché auprès de la Sipo-SD
et après une instruction sommaire, seuls 200
sont retenus et répartis en cinq sections, encadrés par des truands de « la Carlingue », dont
l’ancien international de football Alexandre
Villaplana. À défaut de lutter efficacement
contre les maquis, son action se résumera
jusqu’en août 1944 à celle d’une police auxiliaire des Allemands, se livrant à des pillages,
des sévices contre des centaines de suspects
et des exécutions.
121-122
Le parcours dans la collaboration d’un père
et de son fils
121
Le parcours du fils : des partis collaborationnistes au front de l’Est
Né le 24 avril 1920, le fils adhère fin août 1941
au Rassemblement national populaire (RNP)
dans lequel il occupe des fonctions de responsable local, puis s’engage dans la Légion
des volontaires français (LVF). Il fait partie du
premier contingent parti fin août de France et
regroupé début octobre au camp de Deba, en
Pologne, d’où, peut-être, il écrit à son père
le 12 octobre 1941 cette lettre qui traduit les
sentiments mélangés de jeunes engagés.
L’attente du départ, l’ennui, la camaraderie,
l’hiver qui approche… Deux mois plus tard, le
11 décembre 1941, il est tué devant Moscou.
Outre cette lettre, on trouve, parmi les papiers
saisis au domicile de son père à la Libération,
d’autres traces de cet engagement sous la
forme d’un brassard et d’un écusson de la
Légion des volontaires français (LVF), de plusieurs médailles, la médaille allemande de la
bataille d’hiver à l’Est et deux croix de guerre
légionnaire, un diplôme en allemand signé
Adolf Hitler et un diplôme de la médaille militaire à titre posthume portant la mention Mort
pour la France.
122
Le parcours du père : des partis collaborationnistes à la Gestapo
Clerc de notaire à Aubervilliers, marié, deux
enfants, versé dans la défense passive de
1940 à 1943, le père est apparemment un
citoyen sans histoire. Profondément marqué,
semble-t-il, par la mort de son fils, et désireux d’obtenir des renseignements sur sa
mort, il fréquente les bureaux de la Légion
des volontaires français (LVF). Il adhère au
Rassemblement national populaire (RNP) en
1942 puis au service d’ordre du RNP, il obtient
alors un poste dans les cadres civils de la LVF.
Fin 1943, il est nommé secrétaire régional
de la LVF à Dijon où il s’occupe de la propagande pour le recrutement des légionnaires. Il
adhère ensuite à la LVF en 1944, puis au Parti
populaire français (PPF) et à la Milice révolutionnaire nationale (MRN). Début 1944, on le
retrouve titulaire d’un laissez-passer allemand
avec autorisation de port d’arme. Dénoncé par
un voisin, il est arrêté fin 1944 et condamné
le 14 novembre 1945 par la cour de justice de
la Seine à cinq ans de prison et à dix ans de
dégradation nationale. Les saisies effectuées
à son domicile ont permis de retrouver un
grand nombre de documents attestant de ces
divers engagements dans les partis collaborationnistes (LVF, RNP, PPF, Amis de la Légion,
MRN, Front social du travail), sous forme de
cartes d’adhésion ou de publications, tracts et
brochures divers.
REMER
CIE
MENTS
COMMISSARIAT SCIENTIFIQUE
DE L’EXPOSITION
Thomas Fontaine
Chercheur associé au Centre
d’histoire sociale du XXe siècle
Docteur en histoire
de l’Université Paris I
Panthéon-Sorbonne
Denis Peschanski
Directeur de recherche au
CNRS, Président du conseil
scientifique du Mémorial de
Caen
COMMISSARIAT ASSOCIÉ
Violaine Challéat-Fonck
Conservateur du patrimoine,
Archives nationales,
département de la Justice
et de l’Intérieur
Pascal Raimbault
Secrétaire de documentation,
Archives nationales,
département de la Justice
et de l’Intérieur
Marion Veyssière
Conservateur en chef,
Archives nationales, responsable
du département de la Justice
et de l’Intérieur
COORDINATION GÉNÉRALE,
COMMISSARIAT TECHNIQUE,
RÉGIE
Archives nationales
Département de l’Action
culturelle et éducative :
Cécile Billard
Anne Dumazert
Régis Lapasin
Sous la direction de Pierre
Fournié, conservateur général
du patrimoine
SCÉNOGRAPHIE
Agence Point de Fuite
Frédéric Chauvaux
Anne-Laure Le Dissès
Sophie Pélisset
Morgane Perrin
Juliette Poirier
Adrien Stalter
CONCEPTION
AMBIANCES SONORES
Capitaine Fracasse
François Paillet
AGENCEUR
SED
Philippe Delorme
Isabelle L’Hullier
GRAPHISME
Saluces et l’Atelier
Xavier Bonillo
Jean-Paul Camargo
Christophe Montagnier
ÉCLAIRAGE
Temlight
Thierry d’Oliveira
AUDIOVISUEL
Attitude multimédia et Clap35
Valérie Bund
Christian Durix
Jean-Pierre François
Christine Hostache
Patrice Long
Manolis Makridakis
RESTAURATION
Archives nationales,
Département de la conservation,
atelier de restauration, de
reliure
et de dorure
Amandine Bellet
Patricia Coste
Nathalie Debrisay
Florence Foucart
Virginie Duverney
Marc Gacquière
Audrey Guillet
Eric Laforest
Ludivine Leroy-Banti
Sara Ortégo Boldo
Bertrand Sainte Marthe
Karine Testard
MONTAGE DES DOCUMENTS
Archives nationales, atelier
du Département de l’Action
culturelle et éducative
Agathe Castellini
Raymond Ducelier
Christophe Guilbaud
Jean-Hervé Labrunie
PHOTOGRAPHIES
Archives nationales,
Département de la conservation,
atelier de photographie
Carole Bauer
Alain Berry
Rémi Champseit
Nicolas Dion
Pierre Grand
Céline Gaudon
Jean-Yves Le Ridant
Stéphane Méziache
Marc Paturange
COMMUNICATION
Pauline Berni
Laurent Champion-Sasiain
Magalie Schickelé
ARCHIVES
NATIONALES
José Albertini
Chay Amozig
Michèle Arigot
Pascale Bailly
Claire Béchu
Guy Bernard
Romain Bernard
Pauline Berni
Sylvie Bigoy
Ghislain Brunel
Anthony Burban
Corinne Charbonnier
Sidney Guez
Alexandra Hauchecorne
Éric Landgraf
Nathalie Le Bec
Monique Leblois-Pechon
Mathieu Pétrignani
Marjorie Renaut
Emmanuel Rousseau
PRÊTEURS
Archives départementales
de la Gironde
Anne Detot
Cyril Olivier
Agnès Vatican
Archives départementales
de la Haute-Vienne
Anne Gérardot
Pascale Marouseau
Archives départementales
de Meurthe-et-Moselle
Christel Jajoux
Hélène Say
Archives départementales du Var
Alain Droguet
Emmanuelle Fitoussi
Benoît Jégouzo
Archiv für Zeitgeschichte
(Zürich)
Michael Schaer Rodenkirch
Gregor Spuhler
Bibliothèque de Documentation
internationale contemporaine
(BDIC)
Magali Gouiran
Valérie Tesnière
Bibliothèque nationale de France
(BnF)
Franck Bougamont
Thierry Grillet
Odile Mallet
Anne Mary
Bruno Racine
Julien Spinner
Ministère de la Défense, Service
historique de la Défense (SHD)
Alain Alexandra
Gilles Bon
Antoine Boulant
Agnès Chablat-Beylot
Bertrand Fonck
Jean-Noël Liabeuf
Général Vincent Leroi
Frédéric Queguineur
Valérie Reist
Hélène Servant
Véronique de Touchet
Henri Zuber
Musée de l’Armée
Général Christian Baptiste
Jordan Gaspin
David Guillet
Laure-Alice Viguier
Musée de la Résistance
nationale (MRN)
Xavier Aumage
Agathe Demersseman
Céline Heytens
Guy Krivopissko
Charles Riondet
Préfecture de Police,
Service de la mémoire et
des affaires culturelles du
département patrimonial
Françoise Gicquel
Nathalie Minart
Sèvres – Cité de la Céramique
David Caméo
Soazig Guilmin
Hélène Lidin
AUDIOVISUELS
Institut national de l’audiovisuel
(INA)
Dies Blau
StudioCanal
Caroline Grangié
Dominique Hascoet-Brunet
Léa Sansonetti
TF1 Droits audiovisuels
Michel Gastard
REPRODUCTIONS
PHOTOGRAPHIQUES
Bibliothèque de Documentation
internationale
contemporaine (BDIC)
Aline Theret
Bibliothèque nationale de France
(BnF)
Georgette Ballez
Franck Bougamont
Dominique Versavel
Bundesarchiv de Coblence
Martina Caspers
Berit Walter
Collection Roger Schall
Jean-Frédéric Schall
Établissement de
communication et de production
audiovisuelle de la Défense
(ECPAD)
Vincent Blondeau
Patricia Schneider
Fédération nationale des
déportés et internés résistants
et patriotes (FNDIRP)
Lionel Camelin
Collections particulières
Institut Mémoires de l’édition
contemporaine (IMEC)
Nathalie Léger
Caroline Louvet
Yoann Thommerel
Mémorial de la Shoah, Centre
de documentation juive
contemporaine (CDJC)
Jacques Fredj
Karen Taïeb
Ministère des Affaires
étrangères, Archives
diplomatiques
Richard Boidin
Isabelle Nathan
Luc Vandenhende
Ministère de la Défense,
Direction de la mémoire, du
patrimoine et des archives
(DMPA)
Mathilde Meyer-Pajou
Philippe Navelot
Alexis Neviaski
Laurent Veyssière
Centre national du cinéma et
de l’image animée (CNC)
Éric Le Roy
Caroline Patte
Éclair Group
Pierre Boustouller
Laurent Lopéré
Stanislas Praud
Galatee Films
Nicolas Elghozi
Jean-Luc Tesson
Gaumont
Linda Labrude
Getty Images
Ruth Msika
Mémorial de la Shoah, Centre
de documentation juive
contemporaine (CDJC)
Cécile Fontaine
Lior Lalieu-Smadja
Musée de la Résistance
nationale (MRN)
Agathe Demersseman
Parisienne de Photographie
Perrine Latrive
AUTRES
GMT Productions
Zohra Baudart
Lise Bouley
Horia Iboudraren
Artrans
Karine Arnaldi
Ludivine Barthel
Carlos Azevedo
Gras Savoye
Didier Carreras
Maître François Gibault, avocat
François Le Goarant de Tromelin
66
Portrait d’Adolf Hitler
© Archives nationales, Z/6 /994 / Atelier
photo des AN
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