CNRD Éditions - RGI nº 18 - Schelling - 170 x 240 - 10/9/2013 - 15 : 53 - page 134
Le motif de la « révolution » est, on le sait, déjà mobilisé par Kant dans la
Critique de la raison pure pour caractériser la nouveauté apportée par la philosophie
critique par rapport à la philosophie qui la précède3. Il n’est d’ailleurs pas difficile
de reconnaître que la « première révolution » à laquelle Schelling se réfère dans
le passage ci-dessus n’est autre que la révolution kantienne en philosophie4. Dans
ce cadre, Schelling donne à entendre, avec l’idée d’une « seconde révolution »,
que la nouvelle philosophie prolonge la radicalité de la philosophie kantienne,
comprise comme « première révolution », tout en instaurant une nouvelle rupture
avec elle. Le motif d’une seconde révolution exprime, en effet, l’exigence, conjointe,
de continuité et de rupture avec la première révolution kantienne5.
Cette exigence est aussi exprimée par la distinction, dans Du Moi, entre le
« criticisme inachevé », c’est-à-dire le criticisme kantien, et le « criticisme achevé »
que Schelling prétend élaborer dans le sillage de Fichte. La seconde révolution en
philosophie signifie ainsi l’accomplissement du criticisme en un criticisme achevé
et elle constitue la réponse du jeune Schelling à la question de savoir quelle
philosophie demeure possible après la Critique kantienne6.
l’inconditionné dans le savoir humain (désormais cité Du Moi), in : F. W. J. Schelling. Premiers écrits
(1794-1795) (désormais cité PE), trad. Jean-François Courtine, Paris, PUF, 1987, p. 55-56. Éditions
allemandes : Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling, Vom Ich als Princip der Philosophie oder über
das Unbedingte im menschlichen Wissen, in : Friedrich Wilhelm Joseph Schelling, Sämtliche Werke,
éd. K. F. A. Schelling, 14 Bde., Stuttgart/Augsburg, Cotta, 1856-1861 (désormais cité SW), I, p. 156-
157 ; et in : Friedrich Wilhelm Joseph Schelling, Historisch-Kritische Ausgabe, im Auftrag der Schel-
ling-Komission der Bayerischen Akademie der Wissenschaften, éds. H. M. Baumgartner, W. G. Jacobs,
H. Krings, H. Zeltner, Stuttgart, Frommann-Holzboog, 1976 sq. (désormais cité HKA), I, 2, p. 77.
3. Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, « Préface de la seconde édition », (désormais cité
CRP), in : Immanuel Kant. Œuvres philosophiques, trad. A. J.-L. Delamarre et F. Marty, Paris, Galli-
mard, 1980, (désormais cité OP), p. 743. Édition allemande : Immanuel Kant, Kritik der reinen
Vernunft,in:Kants Gesammelte Schriften, éd. Preussische Akademie der Wissenschaften, Berlin,
G. Reimer, 1902 (désormais cité AK), tome III, p. 32, p. 15. Pour une analyse détaillée de la « fiction
copernicienne de la Critique », on pourra consulter Martial Guéroult, La philosophie transcendantale
de Salomon Maïmon, Paris, F. Alcan, 1929, p. 15-20.
4. Le thème de la révolution kantienne constitue un motif courant lorsque Schelling rédige ses
premiers textes philosophiques. Cf. par exemple la lettre de Hegel à Schelling datée du 16 avril 1795
in F. W. J. Schelling. Briefe und Dokumente, éd. Horst Fuhrmans, Bonn, Bouvier Verlag Herbert
Grundmann, 1973, Band II : 1775-1803 : Zusatzband, p. 67. La référence postkantienne au motif de
la révolution n’est pas sans rapport avec la Révolution française de 1789. Schelling y fait référence
explicitement, dans la notice qu’il rédige en 1804 à l’occasion de la mort de Kant. Le parallèle entre
les deux révolutions se justifie à ses yeux à partir de l’unité d’une époque et de sa philosophie. Dans
ce cadre, Schelling rapproche la philosophie kantienne qui, comme révolution idéale, se présente
comme solution insatisfaisante au conflit entre abstraction et réalité, de son pendant réel qu’est la
Révolution française. Cf. Schelling, Immanuel Kant, trad. Pascal David in : Philosophie 22, 1989
(p. 3-10), p. 4 ; SW, IV, p. 4-5.
5. Schelling, Du Moi, p. 55-56 ; SW, I, p. 156-157 ; HKA, I, 2, p. 24.
6. Pour une reconstruction de la genèse de la pensée de Schelling jusqu’en 1800 moyennant le fil
conducteur de l’achèvement du projet kantien de fondation du système du savoir, on pourra se
rapporter à Emmanuel Cattin, Transformations de la métaphysique. Commentaires sur la philosophie
transcendantale de Schelling, Paris, Vrin, 2001. On pourra aussi consulter l’ouvrage d’Alexander
Schnell, Réflexion et Spéculation. L’idéalisme transcendantal chez Fichte et Schelling, Grenoble,
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