CNRD Éditions - RGI nº 18 - Schelling - 170 x 240 - 10/9/2013 - 15 : 53 - page 5
Présentation
Schelling : Le protée de l’idéalisme allemand
Parmi les philosophes de l’idéalisme allemand, Schelling (1775-1854) fut
exceptionnellement précoce et prolifique. Certes, son œuvre fut longtemps éclipsée
par celle de son contemporain et rival, Hegel, en dépit de l’amitié qui lia les deux
hommes pendant toute une période. Il aura fallu que des personnalités aussi déci-
sives que Kierkegaard, Rosenzweig, Heidegger, Scholem ou Benjamin s’arrêtent
sur cette œuvre singulière, novatrice, aux confins d’un chiasme entre philosophie
négative et philosophie positive, pour que la voix de Schelling se fasse entendre
et s’impose au cœur de la réflexion et des travaux philosophiques en vigueur dans
la seconde moitié du XXesiècle, tant en France qu’en Allemagne, en Italie et aux
États-Unis. Dans un de ses articles, Xavier Tilliette rappelle que Schelling fut
surnommé le « Protée de l’idéalisme allemand »1, que ce dernier n’hésitait pas à
se comparer à un serpent dont la peau mue et se renouvelle régulièrement, au
point que Schelling se vivait lui-même, à l’image de son œuvre, comme un système
vivant. Il y va bien d’une théodicée infinie, telle qu’elle se déploie dans ses Weltal-
ter, là où l’achèvement de la philosophie n’est plus pensé en terme de négativité
magistrale, mais consent à s’empoigner avec une extériorité radicale – ou un Absolu
radical – qui pourrait bien être le moment où l’esprit absolu met un terme au
processus de Gestaltung ; là où commence la philosophie positive de Schelling et
où la différenciation des temps telle qu’elle se pose dans le passage du passé au
présent et du présent à l’avenir n’est plus le résultat d’une logique déductive, d’un
mouvement d’Aufhebung, mais résulte d’un mouvement continu depuis ce qui
demeure résolument caché.
Les études schellingiennes connaissent aujourd’hui un essor exceptionnel et il
nous importe à cet égard d’exprimer notre dette et notre reconnaissance envers
notamment Vladimir Jankélévitch, Xavier Tilliette, Jean-François Marquet et Jean-
François Courtine2qui, en France, auront permis, non seulement de faire connaître,
diffuser et transmettre la pensée de celui qui vécut en marge de la grande méta-
physique hégélienne, mais de rendre effective la recherche scientifique autour de
cette œuvre, caractérisée par une quête insatiable, ininterrompue, ne se donnant
1. Cf. « Schelling, vue d’ensemble », in Schelling, Les Cahiers d’Histoire de la Philosophie, sous la
direction de Jean-François Courtine, Paris, Les Editions du Cerf, 2010, p. 7.
2. Nous devons aussi ce renouveau à des personnalités telles que Luigi Pareyson, Miklos Vetö,
Walter Schultz.