Présentation. Schelling : le Protée de l`idéalisme allemand

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Revue germanique internationale
18 | 2013
Schelling. Le temps du système, un système des
temps
Présentation. Schelling : le Protée de l’idéalisme
allemand
Danielle Cohen-Levinas
Éditeur
CNRS Éditions
Édition électronique
URL : http://rgi.revues.org/1423
ISSN : 1775-3988
Édition imprimée
Date de publication : 10 octobre 2013
Pagination : 5-6
ISBN : 978-2-271-07923-7
ISSN : 1253-7837
Référence électronique
Danielle Cohen-Levinas, « Présentation. Schelling : le Protée de l’idéalisme allemand », Revue
germanique internationale [En ligne], 18 | 2013, mis en ligne le 10 octobre 2016, consulté le 30
décembre 2016. URL : http://rgi.revues.org/1423
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CNRD Éditions - RGI nº 18 - Schelling - 170 x 240 - 10/9/2013 - 15 : 53 - page 5
Présentation
Schelling : Le protée de l’idéalisme allemand
Parmi les philosophes de l’idéalisme allemand, Schelling (1775-1854) fut
exceptionnellement précoce et prolifique. Certes, son œuvre fut longtemps éclipsée
par celle de son contemporain et rival, Hegel, en dépit de l’amitié qui lia les deux
hommes pendant toute une période. Il aura fallu que des personnalités aussi décisives que Kierkegaard, Rosenzweig, Heidegger, Scholem ou Benjamin s’arrêtent
sur cette œuvre singulière, novatrice, aux confins d’un chiasme entre philosophie
négative et philosophie positive, pour que la voix de Schelling se fasse entendre
et s’impose au cœur de la réflexion et des travaux philosophiques en vigueur dans
la seconde moitié du XXe siècle, tant en France qu’en Allemagne, en Italie et aux
États-Unis. Dans un de ses articles, Xavier Tilliette rappelle que Schelling fut
surnommé le « Protée de l’idéalisme allemand »1, que ce dernier n’hésitait pas à
se comparer à un serpent dont la peau mue et se renouvelle régulièrement, au
point que Schelling se vivait lui-même, à l’image de son œuvre, comme un système
vivant. Il y va bien d’une théodicée infinie, telle qu’elle se déploie dans ses Weltalter, là où l’achèvement de la philosophie n’est plus pensé en terme de négativité
magistrale, mais consent à s’empoigner avec une extériorité radicale – ou un Absolu
radical – qui pourrait bien être le moment où l’esprit absolu met un terme au
processus de Gestaltung ; là où commence la philosophie positive de Schelling et
où la différenciation des temps telle qu’elle se pose dans le passage du passé au
présent et du présent à l’avenir n’est plus le résultat d’une logique déductive, d’un
mouvement d’Aufhebung, mais résulte d’un mouvement continu depuis ce qui
demeure résolument caché.
Les études schellingiennes connaissent aujourd’hui un essor exceptionnel et il
nous importe à cet égard d’exprimer notre dette et notre reconnaissance envers
notamment Vladimir Jankélévitch, Xavier Tilliette, Jean-François Marquet et JeanFrançois Courtine2 qui, en France, auront permis, non seulement de faire connaître,
diffuser et transmettre la pensée de celui qui vécut en marge de la grande métaphysique hégélienne, mais de rendre effective la recherche scientifique autour de
cette œuvre, caractérisée par une quête insatiable, ininterrompue, ne se donnant
1. Cf. « Schelling, vue d’ensemble », in Schelling, Les Cahiers d’Histoire de la Philosophie, sous la
direction de Jean-François Courtine, Paris, Les Editions du Cerf, 2010, p. 7.
2. Nous devons aussi ce renouveau à des personnalités telles que Luigi Pareyson, Miklos Vetö,
Walter Schultz.
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Schelling
jamais à lire et à interpréter d’un seul tenant, comme en témoigne le présent
numéro de la Revue Germanique Internationale que nous avons souhaité ouvrir
autant à des jeunes chercheurs, qu’à d’éminents spécialistes français et étrangers.
Il n’est pas toujours de bon ton de comprendre la pensée fondamentale d’un
auteur là où, comme le disait Schelling, « il n’est pas encore parvenu aux conséquences ». Rien d’ostentatoire ou de provocateur dans cette assertion à laquelle
Schelling sera resté fidèle toute sa vie. Les difficultés inhérentes à l’approfondissement de ses textes n’en sont que plus accrues, car ce qui se donne à penser n’est
autre que l’Impensé lui-même, dans toutes ses composantes rigoureusement philosophiques. Heidegger ne s’y sera pas trompé, qui voit dans l’œuvre de Schelling,
tout particulièrement dans les Recherches philosophiques sur l’essence de la liberté
humaine, une conception du temps traversée d’une connaissance obscure qui ne
fait pas l’économie de l’homme et de son exister. Il appartient à notre sagacité
d’ausculter la grandeur de cette œuvre qui déjoue le système et qui se refuse à
construire une cohérence depuis le savoir absolu hégélien ou encore depuis une
philosophie de l’Identité avec laquelle Schelling prendra ses distances. Nous citons
à dessein ce court extrait d’une lettre de Schelling adressée à Hegel, datée du
6 janvier 1795 :
« La philosophie n’est pas encore (parvenue) à sa fin, Kant a fourni les résultats :
les prémisses font encore défaut. Et qui saurait comprendre des résultats sans les prémisses3 ? »
Les textes réunis dans ce volume n’ont pas pour prétention d’englober la
totalité de la recherche internationale, ni de dresser un panorama exhaustif des
études schellingiennes contemporaines. Nous avons plutôt souhaité mettre l’accent
sur les moments névralgiques d’une philosophie en devenir, selon le vœu de Schelling, ce qui signifie que nous avons été attentifs à la manière dont se côtoient des
registres qui, loin de constituer une totalité, ou un système, ou de dessiner une
unité homogène, tirent leur légitimité d’une nécessité inscrite dans la genèse d’une
pensée. Aussi, faut-il voir et faire voir dans le passage d’une philosophie de la
nature et de l’art à une philosophie de la mythologie, en passant par l’idéalisme
transcendantal et les recherches sur la liberté, une pensée qui ne tardera pas à
s’imposer comme une philosophie de la Révélation, laquelle n’est rien d’autre
qu’une interrogation sur l’Absolu. Interrogation que l’on peut considérer à juste
titre comme un dénouement positif de la métaphysique occidentale dont nous
sommes loin d’avoir épuisé le sens et l’énigme.
Paris, 29 avril 2013
Danielle Cohen-Levinas
3. Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling, Briefe und Dokumente, vol. II, H. Fuhrmans (ed.),
Bonn, Bouvier, 1962-1975, p. 57. Citation traduite par Alexander Schnell.
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