Colloque 2002 de Marrakech
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1 . L’utilisation des symboles dans l’algèbre arabe
1 . 1 Les recherches antérieures sur les symboles mathématiques arabes
Les recherches sur les symboles mathématiques arabes n'ont pas été nombreuses dans le passé :
en fait, on peut considérer que Woepke1 les a découverts en 1854 et que Cajori2 les a popularisés en
1928. Les travaux de Mohamed Souissi sur al-Qalasādi et la thèse d'Ahmed Djebbar3 sur les
mathématiques maghrébines ont ravivé l'intérêt qu'on leur porte. En revanche, de nombreux historiens
des mathématiques, et en particulier Serfati4 dans sa thèse de doctorat, les ignorent totalement.
Dans ses travaux de 1854, F.Woepke introduit sa découverte des notations algébriques arabes à
partir d'un manuscrit d'al-Qalasādi. Pour Woepke, les traités d'algèbre des Arabes d'Orient "présentent
cette science sous une forme exclusivement discursive et parlée, et qui n'admet aucun genre de
notation, tandis que l'algèbre des Grecs et celle des Indiens nous offrent déjà des commencements
d'une notation algébrique. Je pense donc que la découverte d'une notation algébrique très développée
chez les arabes de l'Occident, peut offrir un certain intérêt pour l'histoire des sciences. Cette notation
est presque aussi complète qu'elle pouvait l'être tant que l'algèbre elle-même restait numérique. Car,
je me hâte de le dire, quelque honneur que l'invention de cette notation puisse faire aux géomètres
arabes, elle ne diminue en rien la gloire de Viète ..."(Notes, page 162)
1 François Woepke, Notes sur les notations employées par les arabes, Académie des sciences, vol. 39, pp. 162-
5 , Paris 1854 et Recherches sur l'histoire des sciences mathématiques chez les orientaux, Journal Asiatique,
5ème série, vol. IV, Paris 1854.
2 Florian Cajori, A History of Mathematical Notations, publié à Chicago en 1928-29. Nous utiliserons la
réédition moderne de cette oeuvre publiée par Dover Publications Inc., New York, 1993.
3 Ahmed Djebbar, Enseignement et recherche mathématiques dans le Maghreb des XIIIème - XIVème siècles,
Thèse de doctorat, Publications mathématiques d'Orsay, 1985, n°81-02.
4 Michel Serfati, La constitution de l'écriture symbolique mathématique, Thèse de doctorat de l'Université Paris
1, 1997. [Sans présenter une analyse systématique de cette thèse, nous lui proposons ici quelques commentaires :
L'auteur introduit une terminologie utile: relation cossique - nombres cossiques pour parler de Clavius (1608).
Cependant sa conception de l'histoire des notations algébriques est assez surprenante: Il passe allègrement des
Egyptiens (le Hau calcul) à Diophante puis à la Renaissance européenne, la parenthèse indienne et arabe étant
qualifiées de temps naïfs (page 42). En fait tout ce qu'il dit au sujet de Clavius s'applique parfaitement aux
algébristes arabes, d'autant plus que l'auteur a tendance à confondre les problématiques liées au concept de
l'inconnue qui permet la mise en place d'une méthode de raisonnement par l'analyse et la représentation de
l'inconnue par un signe qui permet une "mécanique aveugle du calcul". Cette confusion permanente entre le
processus algébrique et l'usage des symboles constitue, d'après nous, une faiblesse caractérisée dans cette thèse.
Quelles sont les limitations des procédés purement rhétoriques? A cette question, on trouve chez Serfati
plusieurs réponses tout au long de la thèse. Page 43, l'auteur pense que l'absence de symboles ne permet pas de
résolution générale des équations étudiées jusqu'au XVIIème siècle, puisque chaque résolution requiert "une
ingéniosité particulière". Il faut en fait nuancer, puisque l'on sait que l'absence de notation symbolique n'a pas
empêché Omar al-Khayyam, ni Sharaf ad-Din at-Tusi de résoudre géométriquement toutes les équations de
degré inférieur ou égal à trois.
L'auteur occulte complètement l'algèbre et la symbolique arabes, même dans les typologies retenues: L'algèbre
arabe n'est explicitement classée ni dans le système diophanto-cossique, ni évidemment dans le système
moderne né avec Viète, Descartes et Leibniz. On y fait allusion de très rares fois. On ne comprend pas pourquoi
occulter al-Karāgi et as-Samaw'al véritables concepteurs d'une symbolique des tableaux répondant aux
caractéristiques établies par l'auteur, ainsi que la symbolique maghrébine elle aussi satisfaisant à d'autres
caractères originaux. Dans le paragraphe illustrant le rôle du changement de variable, aucune allusion à Karāji ou
à Sharaf ad-Din at-Tusi qui en ont fait un outil majeur dans la résolution des équations. L'absence des Arabes
dans cette thèse en fragilise l'argumentation. Elle surprend d'autant plus que les travaux de recherche et les
publications récentes sur l'algèbre arabe sont nombreux et connus.
Concernant le fonctionnement des systèmes symboliques, l'auteur, grâce à son travail d'analyse, a
effectivement fait apparaître plusieurs propriétés des systèmes symboliques, mais là où nous ne pouvons le
suivre, c'est lorsqu'il affirme que ce sont des propriétés caractéristiques de ces systèmes. En effet, il n'est pas
difficile de montrer que certaines de ces propriétés (prédicat absent, changement d'inconnue, délimitants, ...) se
trouvent en fait dans l'algèbre rhétorique arabe, souvent objet de clarifications explicites. ]