SANTÉ ANIMALE Les bactéries de la mammite UN MARIAGE COMPLEXE En plus de ne pas faire bon ménage avec vous et vos vaches, les bactéries de la mammite interagissent entre elles et elles ne filent pas toujours le parfait amour. Grâce à l’imposante collection de données du Réseau canadien de recherche sur la mammite bovine (RCRMB), les chercheurs commencent à voir clair dans leurs relations… Plus d’une centaine de microorganismes sont inscrits sur la longue liste des suspects potentiels pouvant causer la mammite, mais seulement quelques espèces de staphylocoques, de streptocoques et de coliformes ont un réel impact économique. Les troupeaux qui ont un faible comptage des cellules somatiques (CCS) pourraient être plus sujets à la mammite environnementale causée par Escherichia coli, dont on constate une augmentation des cas, alors que les infections par Streptococcus agalactiae sont en rapide décroissance. On remarque aussi que certaines bactéries, jusqu’à maintenant considérées comme non pathogènes, deviennent peu à peu la cause Par KRISTEN REYHER, médecin vétérinaire, doctorante, et IAN DOHOO, médecin vétérinaire, Atlantic Veterinary College, Université de l’Île-du-Prince-Édouard, et DANIEL SCHOLL, médecin vétérinaire, Faculté de médecine vétérinaire, Université de Montréal la plus fréquente des infections mammaires. Ces bactéries incluent les staphylocoques à coagulase négative (SCN) et Corynebacterium bovis. Au fil des années, de multiples recherches ont été réalisées sur les interactions qui existent entre les différentes bactéries de la mammite. Plusieurs études récentes portant sur les relations entre les bactéries dites «mineures» et les bactéries «majeures » de la mammite révèlent d’intéressantes conclusions. Bien que les infections du pis par les bactéries de la mammite affectent généralement le CCS, il a été démontré que des infections par certaines bactéries pourraient s’avérer être des protectrices contre des infections causées par des bactéries encore plus virulentes. LE RCRMB PLONGE DANS LE DÉBAT Plusieurs études ont été réalisées depuis les 30 dernières années pour différencier les effets des bactéries mineures sur les infections causées par les bactéries majeures. En situation de recherche, la plupart des études mentionnent que la présence de bactéries mineures dans le pis agit comme une protection contre le développement d’une infection par une bactérie Actuellement, les staphylocoques à coagulase négative constituent le groupe de bactéries mineures le plus communément retrouvé dans le pis des vaches en lactation, au Canada et dans plusieurs pays. 38 SEPTEMBRE 2010 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS majeure qu’on aurait introduite volontairement; cependant, une infection naturelle pourrait se comporter différemment. Comme la question sur l’effet des bactéries mineures sur les infections causées par des bactéries majeures est toujours débattue, le but de la recherche de la D re Kristen Reyher, de l’Atlantic Veterinary College, de l’Université de l’Île-duPrince-Édouard, et de ses collègues est de mettre en lumière ce sujet. Pour ce faire, ils utilisent la quantité imposante de données collectées sur les fermes canadiennes, dans le cadre du programme de recherche du RCRMB, pour examiner si les infections occasionnées de manière naturelle par des bactéries mineures préviennent le développement de nouvelles infections causées par des bactéries majeures. LA PRÉSENCE DE SCN : UN PRÉSAGE D’UNE INFECTION À STAPHYLOCOCCUS AUREUS? De récentes analyses indiquent que la présence d’une infection aux SCN TABLEAU 1 EFFETS DES BACTÉRIES MINEURES SUR LES INFECTIONS CAUSÉES PAR DES BACTÉRIES MAJEURES LA PRÉSENCE DE STAPHYLOCOQUES À COAGULASE NÉGATIVE (SCN) LA PRÉSENCE DE CORYNEBACTERIA SPP. Élève le risque de développer une infection à : • Staphylococcus aureus • Streptococcus uberis • Escherichia coli Pourrait protéger contre : • Streptococcus dysgalactiae • Streptococcus spp. • Klebsiella spp. Élève le risque de développer une infection à: • Streptococcus spp. • Klebsiella spp. dans un quartier est associée à un plus grand risque de développer une nouvelle infection à Staph. aureus, particulièrement vers la mi-lactation et juste avant le tarissement. Les infections aux SCN sont également associées au risque de développer de nouvelles infections à Streptococcus uberis et à E. coli chez les vaches fraîchement Pourrait protéger contre : • Staphylococcus aureus • Streptococcus uberis • Escherichia coli • Streptococcus dysgalactiae vêlées. D’un autre côté, les analyses semblent démontrer que la présence d’une infection aux SCN pourrait protéger contre le développement d’une nouvelle infection causée par Strep. dysgalactiae, des espèces de streptocoques autres que Strep. uberis et Strep. dysgalactiae (classifiées comme Strep. spp.) et par Klebsiella spp. SEPTEMBRE 2010 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS 39 SANTÉ ANIMALE QU’EST-CE QUI DISTINGUE LES BACTÉRIES MINEURES DES BACTÉRIES MAJEURES? À première vue, les bactéries majeures sont généralement considérées comme étant des bactéries plus virulentes (voir le tableau 2). Elles causent davantage de lésions au niveau des quartiers et du pis que les bactéries mineures. Les bactéries mineures ne causent habituellement qu’une faible augmentation du CCS et une légère inflammation du pis. Actuellement, les SCN constituent le groupe de bactéries mineures le plus communément retrouvé dans le pis des vaches en lactation, au Canada et dans plusieurs pays. La mammite causée par les SCN est typiquement légère, soit une réaction subclinique (sans signe visible) normalement associée à une hausse du CCS. De façon similaire, les infections causées par les Corynebacteria spp., une autre bactérie mineure commune, provoquent une hausse modérée du CCS, accompagnée ou non d’une faible perte de production laitière. TABLEAU 2 CARACTÉRISTIQUES DES BACTÉRIES MINEURES ET MAJEURES DE LA MAMMITE BACTÉRIES MAJEURES BACTÉRIES MINEURES Peuvent causer de sévères réactions, une forte hausse du CCS, une baisse de production de lait et même la mort de la vache • Staphylococcus aureus • Streptococcus uberis • Escherichia coli • Streptococcus dysgalactiae • Klebsiella spp. • Streptococci spp. Causent une réaction légère, une faible hausse du CCS, une faible baisse de production de lait, parfois même une légère hausse de production • Staphylocoques à coagulase négative • Corynebacteria spp. Les interrelations avec les bactéries majeures lors d’infections causées par les Corynebacteria spp. ont aussi été investiguées. Les infections à Corynebacteria spp. sont significativement associées au risque d’acquérir de nouvelles infections causées par les Strep. spp. autour de la mi-lactation et auraient aussi tendance à être associées à un plus grand risque de développer une infection à Klebsiella spp. dans un quartier. Cependant, les infections à Corynebacteria spp. sont aussi associées à une protection contre les infections à Staph. aureus, Strep. 40 SEPTEMBRE 2010 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS uberis, Strep. dysgalactiae et E. coli. En bref, tous ces résultats indiquent que les infections dues aux bactéries mineures ont un effet mixte sur l’acquisition de nouvelles infections causées par des bactéries majeures (tableau 1). La plupart des études indiquent que les SCN et les Corynebacteria spp. ont un effet protecteur contre Staph. aureus. Mais les résultats présentés ici montrent plutôt le contraire, soit un risque significatif de développer une nouvelle infection à Staph. aureus dans les quartiers atteints par une infection aux SCN. Et ce risque est particulièrement significatif vers la mi-lactation et juste avant le tarissement, ce qui indique que les infections aux SCN survenant vers la moitié et la fin de la lactation pourraient mettre le quartier à plus haut risque de développer une infection à Staph. aureus. ET LES INFECTIONS CAUSÉES PAR LES COLIFORMES? Des études antérieures ont aussi démontré une absence d’effet des bactéries mineures sur les bactéries environnementales telles qu’E. coli, avec quelques exceptions. Or, les analyses actuelles montrent que la présence de SCN chez les vaches fraîchement vêlées est associée à un plus grand risque de développer une nouvelle infection à E. coli. Conséquemment, il est possible que les vaches fraîchement vêlées qui contractent une infection aux SCN soient plus susceptibles aux infections à E. coli durant cette période où l’immunité de la vache est plus faible. Comme les infections aux coliformes, à ce moment du cycle de production de la vache, sont plutôt dévastatrices, cette découverte est certainement préoccupante et mérite un examen plus approfondi. Il semble donc que le débat est loin d’être terminé! Ces résultats montrent cependant que les producteurs et leurs médecins vétérinaires doivent demeurer très vigilants face aux infections mammaires causées par les bactéries mineures et qu’ils devraient poursuivre le traitement des vaches pour tous types d’infections intramammaires. La thérapie au tarissement, les traitements en cours de lactation et le traitement des vaches avec un CCS élevé sont toujours recommandés. Comme la recherche se poursuit, nous espérons un jour avoir plus de réponses sur les rôles des bactéries mineures et de faire enfin toute la lumière sur leurs complexes relations. Pour suivre l’évolution du projet de la Dre Reyher et pour plus d’information et de ressources pratiques sur la santé du pis, visitez le nouveau site Web du RCRMB au www.reseau mammite.org, et inscrivez-vous en ligne à notre bulletin électronique Flash-mammite dès maintenant! C’est gratuit, facile et sans obligation de votre part! ■