
« capitalisme, libéralisme,altermondialisme », Jeudi 24 Avril 2008, Caudan (56) 5
Peut-on opposer à un capitalisme anti-libéral qui nous gou-
vernerait de fait un libéralisme anti-capitaliste qui nous
permettrait de nous réapproprier l’économie ? A priori, cette
question a de quoi surprendre les français, largement habi-
tués au discours antilibéral qui domine la scène publique. Et
pourtant, elle mérite d’être prise au sérieux ; il se pourrait
en effet que l’altermondialisme se trompe en désignant
prioritairement le libéralisme comme ennemi et non le ca-
pitalisme, en faisant l’amalgame entre ces deux termes et
en refusant finalement de voir ce qui les sépare. C’est en
tous cas la thèse que j’ai voulu défendre dans le libéralisme
contre le capitalisme .
Cette thèse part d’un triple constat sur l’économie contem-
poraine qu’elle confronte avec la théorie libérale des origi-
nes.
Le travail est a priori la référence cardinale de nos sociétés,
mais, si l’on y regarde de plus près, cette position morale ne
trouve pas sa traduction dans les règles qui font fonctionner
l’économie au quotidien : dans les comptes des entreprises,
le travail n’a tout simplement pas de valeur. Les résultats
des entreprises sont en effet établis dans la perspective
de celui qui apporte ses capitaux, le « capitaliste », et en
aucun cas dans celle du salarié. Le travail figure en consé-
quence dans les charges des entreprises et non pas dans
les valeurs qui constituent leur patrimoine. Selon le bilan qui
s’appelle d’ailleurs compte de capital, seul le capital crée de
la valeur.
Or, cette situation n’est pas un héritage du libéralisme : son
théoricien fondateur, Adam Smith, pose au contraire dès les
Contribution
de Valérie Ch a r o l l e s
premiers mots de l’introduction de la Richesse des nations
que le travail est la source de toute richesse en économie
et poursuit ainsi « la plus sacrée et la plus inviolable des
propriétés est celle de son propre travail, parce qu’elle est
la source originaire de toutes les autres propriétés ». L’ab-
sence de pouvoir du salarié face à l’actionnaire est le fruit de
normes comptables qui se sont sédimentées bien avant que
le libéralisme ne soit inventé : le capitalisme a largement
précédé le libéralisme et il constitue toujours la perspective
dans laquelle sont orientés les comptes des entreprises.
De fait, ce sont ces principes qui poussent les chefs d’entre-
prises à réduire le poids de leur masse salariale et à fonder
leurs espoirs de gains sur les marchés financiers. Les règles
comptables sont pourtant en décalage avec une « économie
de la connaissance » de plus en plus clairement fondée sur
l’innovation et la créativité, sur le « capital humain ». Mais
cette contradiction n’est relevée que dans des cas très par-
ticuliers : les joueurs de football, que leurs clubs cherchent
à comptabiliser dans leur richesse, les traders et les chefs
d’entreprises dont la valeur se matérialise par des revenus
dont les montants suscitent désormais la polémique, ou en-
core le « goodwill » parfois établi par les banques conseils
pour valoriser les sociétés au moment de leur vente.
Véritable grammaire de l’économie, la comptabilité recèle
ainsi la nature réelle de nos économies, puisque c’est elle
qui fixe ce qui est une perte ou un profit dans l’entreprise.
C’est en quelque sorte le disque dur de l’économie au quoti-
dien, un disque dur qui place la sphère financière au centre
du dispositif économique, en contradiction avec la théorie
libérale et avec la réalité profonde des mécanismes de créa-