Éric-Emmanuel Schmitt : « Cultiver la joie »
Par Armelle Heliot, le 07/05/2012 à 12:30.
Éric-Emmanuel Schmitt sort son dernier livre, Les dix enfants que madame Ming n'a jamais eus, et joue, certains
soirs, au Rive-Gauche, le théâtre qu'il vient d'acquérir.
Crédits photo : Jean-Christophe MARMARA/JC MARMARA/LE FIGARO
INTERVIEW - Depuis vingt ans, il est l'un des écrivains
français les plus prolifiques. Sa notoriété est mondiale,
mais cet homme de foi amoureux de la musique est d'une
simplicité profonde.
LE FIGARO.- Quand on travaille autant que vous, comment résiste-t-on à
l'éparpillement?
Éric-Emmanuel SCHMITT.- Je vis vraiment avec le sentiment que c'est chaque fois la
première fois. La première fois que j'écris un livre, qu'il est publié, la première fois qu'une
pièce est créée, la première fois que je rencontre quelqu'un. Je continue de m'émerveiller
devant la beauté de la vie, des êtres, devant la complexité du monde… et la chance
extraordinaire que j'ai.
Lorsque vous avez débuté, il y a une vingtaine d'années, imaginiez-vous atteindre cette
popularité planétaire?
Non, bien sûr. Je doutais beaucoup. Les études solides que j'ai faites, la fréquentation des
grands textes, la discipline que j'avais choisie - la philosophie-, l'amour que je portais à la
musique, tout cet univers de beauté et de rigueur dans lequel j'ai grandi, j'ai mûri… Tout cela
rend modeste. J'ai eu la chance d'avoir sur mon chemin des êtres merveilleux qui m'ont donné
confiance. Edwige Feuillère a été déterminante. D'autres ensuite m'ont aidé.
Comment trouve-t-on en soi et l'énergie et l'imagination?
Si j'avais une constante à définir en moi, je dirais que j'ai décidé de cultiver la joie plutôt que
la tristesse. Le bonheur que j'ai à écrire ne s'est jamais démenti pas plus que mon désir de
donner vie à des personnages, de raconter des histoires ne s'est tari.
Comment choisissez-vous, selon les histoires que vous nous racontez, entre pièce de
théâtre, nouvelle, conte et roman?
J'ai l'impression d'être un verger qui porte des fruits différents. C'est par le théâtre que j'ai
débuté. Depuis l'orée des années 1990, j'ai écrit une pièce par an et elle a été jouée. Je sais
intuitivement que certaines histoires ont besoin du dialogue et de l'incarnation scénique. Les
romans sont venus ensuite parce que, sans doute, je pouvais aller plus clairement du côté de
l'introspection. Quant aux textes plus brefs, je dirais que le conteur est en moi… J'adore les
histoires - histoires tristes, gaies - et j'aime plus que tout les raconter…
Comment accueillez-vous votre popularité et, en France, son corollaire la circonspection
d'une partie de la critique?
C'est une chance extraordinaire que de s'adresser à un public large. J'ai le privilège d'avoir des
lecteurs très cultivés et des lecteurs qui n'ont pas fait d'études poussées. Mais ils reconnaissent
dans ce que j'écris des émotions, des vérités qui les touchent. C'est un privilège. Quant aux
critiques, elles peuvent blesser. Elles peuvent faire réfléchir. Il m'est arrivé de douter, mais je
n'ai pas besoin des critiques pour cela… Depuis dix ans que je voyage et rencontre les lecteurs
dans le monde entier, j'ai des raisons d'être heureux…
Y a-t-il des pays où vous êtes encore mieux compris, aimé?
Paris demeure une place observée! C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles j'ai choisi
d'y avoir un théâtre! Mais c'est comme si j'avais deux carrières étanches. Ainsi, chaque année,
dans le monde, mes pièces font l'objet de trois cents productions différentes… En Russie
comme en Allemagne, ces pièces sont inscrites au répertoire de très grands établissements.
Avec deux amis, Bruno Metzger et Francis Lombrail, vous venez d'acquérir le Théâtre
Rive Gauche. Qu'allez-vous y faire?
Nous souhaitons nous consacrer au répertoire contemporain. Nous avons mené une première
campagne de travaux, et nous allons encore améliorer le confort de la salle et refaire sa
façade. En ce moment se donne La Fille à marins, qu'Alain Mallet avait programmé, et je suis
heureux d'accueillir Jérôme Savary et sa fille. En deuxième partie de soirée, Anne Bourgeois
met en scène Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran . Mais ne croyez pas que ne seront à
l'affiche que mes propres pièces! Francis Lalanne m'a dit un jour son désir de reprendre ce
texte et il était libre à partir d'avril.
Vous assurez vous-même quelques représentations quand il doit honorer des concerts.
Y a-t-il plus de joie que d'appréhension à jouer?
Je suis terrorisé, tétanisé… Mais je ne me serais pas jeté dans cette aventure si je n'avais pas
connu l'expérience de moments très heureux. À Grignan, j'ai lu Ma vie avec Mozart et j'ai
renouvelé cet exercice angoissant et exaltant à Bruxelles, dans le foyer de l'Opéra,
accompagné par un orchestre, et au Canada. Lorsque Le Visiteur a été créé, Jean-Claude
Brialy m'avait conseillé de reprendre la tradition de l'auteur-acteur à la Dubillard, à la
Billetdoux…
La musique tient une place essentielle dans votre vie. Auriez-vous aimé être
compositeur?
Oui. J'ai la nostalgie du compositeur que je n'ai pas été. J'ai raconté souvent comment, à 15
ans, Mozart m'a sauvé du suicide. La musique modifie nos états d'âme, elle donne accès
directement à l'émotion. Schubert dit tout de la condition humaine, plus profondément que
bien des traités philosophiques…
La philosophie vous a construit, l'expérience du désert vous a donné la foi. Comment la
vivez-vous aujourd'hui?
J'habite le mystère avec confiance, avant je l'habitais avec angoisse. Cela m'a raffermi dans la
patience, la tolérance, la compassion. Ce sont des vertus chrétiennes, mais ce sont aussi les
vertus que j'ai retrouvées dans les religions du Livre et les religions orientales.
Comment voyez-vous l'avenir?
Des jours entiers dans la musique, les livres, l'amitié, les voyages, des jours entiers au
théâtre… Et, dans quelques mois, la création, dans une mise en scène de Steve Suissa et avec
Francis Huster dans le rôle du père, Otto, la pièce qui m'a été inspirée par le destin d'Anne
Frank et le mystère du Journal
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