Appropriation et transmission des langues et des cultures du monde: Actes du Séminaire Doctoral International 2012 coordonnés par G. Ziegler, I. Schneider, G. Torresin et A. Simpson La lexicographie bilingue d’apprentissage : Le cas des dictionnaires françaispersan The Bilingual Pedagogical Lexicography: The French-Persian Dictionaries Afagh Hamed Hachemi, INALCO - PLIDAM1 1 Institut National des Langues et des Civilisations Orientales – PARIS Equipe de recherche PLIDAM : Pluralité des Langues et des Identités : didactique, acquisition, médiation email: [email protected] Résumé La lexicographie bilingue français-persan/persan-français n’a jamais été l’objet d’une étude approfondie et méthodique. Les dictionnaires français-persan/persan-français traditionnels sont en grande majorité, des ouvrages anciens, élaborés par les pionniers de la lexicographie bilingue en Iran, à vrai dire, les traducteurs persanophones qui avaient également un pied dans l’enseignement traditionnel, mais faute d'être dans le milieu francophone, ils maîtrisaient le français littéraire et écrit au détriment du français courant, et en particulier le français parlé. C’est la raison pour laquelle nous envisageons d’esquisser, à travers de ce travail de recherche, un dictionnaire d’apprentissage français-persan basé sur la lexicographie pédagogique dont l’objectif est de répondre aux besoins des apprenants persanophones de la langue français en Iran. Pour élaborer un tel dictionnaire, nous nous basons sur le fait qu’un dictionnaire n’est pas destiné uniquement à ceux qui savent et ont parfois une doute, mais aussi et surtout à ceux qui sont en train d’apprendre la langue en question. D’autre part, le rôle d’un dictionnaire n’est pas seulement de renseigner sur le sens des mots, comme on le pense généralement, mais aussi de renseigner sur les fonctions grammaticales, et ce pour une simple raison que les variations de forme entraîne aussi fréquemment des variations de sens. Un dictionnaire d’apprentissage tient compte de l’évolution de la linguistique et de la didactique des langues étrangère, ainsi que de l’évolution sociale des deux langues en question. Mots-clés: Lexique, lexicographie, lexicographie bilingue, dictionnaire, dictionnaire d’apprentissage, lexique-grammaire, sémantique, syntaxe, combinatoire, polysémie, synonymie, apprentissage, didactique des langues étrangères, 162 Appropriation et transmission des langues et des cultures du monde: Actes du Séminaire Doctoral International 2012 coordonnés par G. Ziegler, I. Schneider, G. Torresin et A. Simpson Abstract The Persian-French/French-Persian bilingual lexicography has never been the subject of a systematic research. Traditional French-Persian/Persian-French dictionaries are overwhelmingly, old books, developed by the pioneers of bilingual lexicography in Iran; in fact, the Persian translators who also had one foot in traditional education, but lack to be in the French speaking area, they mastered the French literary and writing to the detriment of standard French, and particularly, the spoken French. That is why we plan to sketch, through this research, a French -Persian learner’s dictionary based on the pedagogical lexicography, which aims to meet the needs of Persian-speaker learners of French language in Iran. To develop such a dictionary, we rely on the fact that a dictionary is not intended only for those who know and sometimes have a doubt, but especially to those who are just learning the language. On the other hand, the role of a dictionary is not only to provide information on the meaning of words, as is commonly thought, but also learn about the grammatical functions, for a simple reason that changes shape also causes frequent changes in meaning. A learner’s dictionary reflects the evolution of language and the teaching of foreign languages, and social development of the two languages in question. Keywords: lexicon, lexicography, dictionary, bilingual lexicography, learner’s dictionary semantics, syntax, combinatory, polysemy, synonymy, foreign languages didactic, learning, 163 1. Introduction Nous nous proposons en premier lieu de présenter quelques dictionnaires bilingues français-persan; En deuxième lieu, nous proposons des points pour une mise en norme linguistique des dictionnaires français-persan, en commençant par modifier la présentation de la macrostructure afin de rendre l’accès aux informations plus méthodique et plus sûr ; mais également, par proposer une nouvelle organisation de la microstructure qui permettra d’apporter des solutions aux divers problèmes de communication auxquels les apprenants du français se trouvent confrontés, non seulement en essayant de comprendre cette langue à la réception, mais aussi en la produisant, lors de la mise en discours. Il nous semble indispensable de commencer cet exposé en mettant l’accent sur le fait que : • le persan est une langue indo-européenne mais non pas une langue afroasiatique (sémitique). • Il convient également de préciser que la langue française a un prestige historique en Iran, et elle a eu un rôle essentiel dans le processus de modernisation du pays, qui commence par la création des écoles occidentales ou sur le modèle occidental, où, pour des raisons politiques, la langue française a été choisie comme langue de l’enseignement. • Ainsi, nous considérons l’Iran dans notre étude comme un contexte plurilingue d’apprentissage des langues étrangères vivantes, et écartons les problèmes liés à la francophonie dans le sens large du terme, car l’Iran est un pays francophile mais non-francophone. 2. Présentation du projet de recherche Notre travail de recherche a pour intitulé « conception d’un dictionnaire bilingue d’apprentissage français-persan », et a pour but d’esquisser un dictionnaire bilingue d’apprentissage français-persan qui puisse répondre aux besoins des utilisateurs persanophones, qui apprennent la langue française aussi bien que des traducteurs et des enseignants, en matière de compréhension aussi bien que d’expression. Généralement, la plupart des étudiants iraniens n’apprennent la langue française qu'à l'âge adulte, comme deuxième langue vivante étrangère, après avoir appris 164 Appropriation et transmission des langues et des cultures du monde: Actes du Séminaire Doctoral International 2012 coordonnés par G. Ziegler, I. Schneider, G. Torresin et A. Simpson l’anglais pendant sept ans au collège et au lycée, et ils ne possèdent aucun des automatismes des francophones qui dès leur plus jeune âge ont assimilé la spécificité du français comme une évidence. La lexicographie bilingue français-persan n’a jamais été l’objet d’une étude approfondie et méthodique, malgré l’importance que l’Iran accorde à l’apprentissage des langues étrangères, et à la traduction des œuvres scientifiques, technique, littéraires, historique, etc. depuis le dix-neuvième et le début du vingtième siècle, suite à la création d’écoles par les occidentaux ou sur le modèle occidental Dictionnaire d’étudiant françaispersan Titre Farhang Moaser dictionnaire françaispersan Larousse de poche françaispersan Edition 1ème édition 1999 Téhéran 1ère édition 2001 Téhéran 1ère édition 2004 Ispahan Rédacteur M. T. Ghiassi P. Lessani M. R. Parsayar 604 810 899 15 + 17 0 89 4500 ? 40 000 A profusion 0 0 0 0 0 Nombre de pages A-Z Nombre d’autres pages Nombre d’entrées lexicales Nombre d’exemples Corpus employés Tableau 1 « Quelques dictionnaires bilingues français- persan » Les dictionnaires français-persan traditionnels sont en grande majorité, des ouvrages traditionnels, fruits des travaux solitaires, élaborés par les enseignants persanophones des écoles françaises en Iran ; à vrai dire, les iraniens francophones qui traduisaient des œuvres du français en persan, et qui avaient également un pied dans l’enseignement traditionnel, mais faute d'être dans le milieu francophone, ils maîtrisaient le français littéraire et écrit au détriment du français courant, et en particulier le français parlé. Une étude approfondie des dictionnaires bilingues français-persan nous permet de relever les problèmes suivants : • Dans la lexicographie bilingue persane, l’objectif de communication et le 165 public-cible sont totalement négligés. • Les entrées paraissent avoir été sélectionnées de manière plus ou moins arbitraire, et le critère de choix des acceptions demeure souvent obscur, puisque beaucoup des sens sont ignorés sans être désuets; • Le manque d'exemples d'usage (mise en contexte), l'absence d'indicateurs sémantiques (registre de langue) et de champ lexical (technique, science, médecine, art, littérature, sport, cuisine, …) laisse l'utilisateur persanophone perplexe quant aux comportements syntaxique et sémantique des unités lexicales. Dans l’objectif de nous fonder sur les insuffisances repérées dans les dictionnaires français-persan, et non pour jeter le discrédit sur ces derniers, nous avons sélectionné, au hasard, une entrée lexicale polysémique d’un dictionnaire françaispersan: 1. Donateur, Donatrice, n. ﻭوﺍاﻫﮬﮪھﺐ،٬ﺏب( ]ﺣﻘﻮﻗﯽ [ﻫﮬﮪھﺒﻪﮫ ﮐﻨﻨﺪﻩه ﺩدﻫﮬﮪھﻨﺪﻩه،٬ ﺍاﻟﻒ[( ﺍاﻫﮬﮪھﺪﺍاﮐﻨﻨﺪﻩه 2. Donneur, Donneuse, n. ﺟﺎﺳﻮﺱس،٬ ﺧﺒﺮ ﭼﻴﯿﻦ،٬ ﺍاﻟﻒ( ﺩدﻫﮬﮪھﻨﺪﻩه ﺏب( ﻟﻮ ﺩدﻫﮬﮪھﻨﺪﻩه Dans les deux entrées, l’auteur propose le même équivalent ﺩدﻫﮬﮪھﻧﺩدﻩه, sans indiquer le champ lexical, et sans éclaircir la nuance à laide d’exemples, qui jouent à la fois un rôle pédagogique et culturel. Il nous semble plus logique de présenter cette entrée sous la forme suivante : 1-Donateur, Donatrice, n. ﺛﺮﻭوﺕت [ ﺍاﻫﮬﮪھﺪﺍا ﮐﻨﻨﺪﻩه،٬]ﺩدﺍاﺭرﺍاﻳﯾﯽ Dans ce musée, il y a quelques tableaux au nom d’une généreuse donatrice. . ﭼﻨﺪﻳﯾﻦ ﺗﺎﺑﻠﻮ ﺍاﺯز ﺳﻮﯼی ﻳﯾﮏ ﺑﺎﻧﻮﯼی ﺳﺨﺎﻭوﺗﻤﻨﺪ ﺍاﻫﮬﮪھﺪﺍا ﺷﺪﻩه ﺍاﺳﺖ،٬ﺩدﺭر ﺍاﻳﯾﻦ ﻣﻮﺯزﻩه 2- Donneur, Donneuse, n. ﺍاﻟﻒ]ﭘﺰﺷﮑﯽ [ ﺩدﻫﮬﮪھﻨﺪﻩه Donneur de sang Donneur de moelle ﺩدﻫﮬﮪھﻨﺪﮤۀ ﺧﻮﻥن ﻣﻐﺰ ﺍاﺳﺘﺨﻮﺍاﻥن ِ ﺩدﻫﮬﮪھﻨﺪﮤۀ ﺏب ] ﺍاﻋﻀﺎﯼی ﺑﺪﻥن[ ﺍاﻫﮬﮪھﺪﺍا ﮐﻨﻨﺪﻩه Le cœur a été pris sur le corps d’un donneur tué dans un accident de voiture. . ﺑﺮﺩدﺍاﺷﺘﻨﺪ،٬ﻗﻠﺐ ﺭرﺍا ﺍاﺯز ﺟﺴﺪ ﺍاﻫﮬﮪھﺪﺍاﮐﻨﻨﺪﻩه ﺍاﯼی ﮐﻪﮫ ﺩدﺭر ﺳﺎﻧﺤﮥ ﺍاﺗﻮﻣﺒﻴﯿﻞ ﮐﺸﺘﻪﮫ ﺷﺪﻩه ﺑﻮﺩد ﺟﺎﺳﻮﺱس،٬ ﭖپ( ﺧﺒﺮﭼﻴﯿﻦ Je ne suis pas un donneur (mouchard). .ﻣﻦ ﺧﺒﺮﭼﻴﯿﻦ ﻧﻴﯿﺴﺘﻢ 166 Appropriation et transmission des langues et des cultures du monde: Actes du Séminaire Doctoral International 2012 coordonnés par G. Ziegler, I. Schneider, G. Torresin et A. Simpson Comme nous le constatons sur ce schéma que la lexicographie bilingue français – persan, comme toute autre lexicographie bilingue conventionnelle, constitue un système de mise en relation d’un item lexical appartenant à une langue source avec un ou plusieurs items lexicaux d’une langue cible, par un rapprochement uniquement basé sur le sémantisme. Les présupposés linguistiques de la lexicographie conventionnelle Une organisation lexicosémantique De la langue source Une organisation lexicosémantique De la langue cible Basée sur l’axe paradigmatique uniquement ↓ Excluant des possibilités de combinaisons de ces items de Ls et ceux de Lc sauf dans les expression figées ↓ Les équivalents traductifs d’une unité polysémique en Lc ont pour base principale la sémantique La syntaxe n’y joue aucun rôle Schéma 1 « Les présupposés linguistiques de la lexicographie conventionnelle » Lépinette (1996: 54) fait bien remarquer le fait que « le dictionnaire bilingue traditionnel suppose d’une manière toute aussi implicite, l’existence d’une organisation lexico-sémantique en langue source fondamentalement parallèle à celle de langue cible. Cette mise en regard des deux unités lexicales appartenant à deux langues différentes concerne uniquement l’axe paradigmatique et exclue la prise en considération des possibilités de combinaisons de ces items de langue source et langue cible dans des phrases ou dans des syntagmes, sauf dans le cas particulier des constructions figées. » De même, on ne peut pas manquer de constater que dans la lexicographie bilingue français-persan, les environnements et les constructions sont rarement présents, et quand ils le sont, ils apparaissent toujours en tant qu’un simple élément secondaire 167 de la description sémantique. Ainsi, l’organisation des différents équivalents traductifs en langue cible d’une unité polysémique de langue source sont basés principalement sur la sémantique, et la syntaxe n’y joue aucun rôle, les informations syntaxico-grammaticales sont totalement exclues de l’article de dictionnaires bilingues persans. La phraséologie exemplificatrice qui constitue la véritable richesse d’un dictionnaire est absente des dictionnaires bilingues persans même les plus récents. Nous rappelons que la présence d’un exemple permet d’illustrer de manière appropriée un fait grammatical même banal (par exemple un pluriel irrégulier), ou bien d’articuler le champ sémantique d’un mot de façon à en dégager toute les valeurs jusqu’aux nuances les plus subtiles (Ibrahim, 1989: 83). A travers des exemples, on a également la possibilité de transmettre des informations de type encyclopédique ou culturel, et de faire découvrir aux apprenants la mentalité et les croyances de la communauté qui la parle. Mais aux exemples indispensables viennent s’ajouter toutes les locutions, toutes les expressions idiomatiques et les constructions figées qui caractérisent une langue en montrant ce qu’elle a de plus spécifique. La langue parlée, en particulier, est riche en locutions et expressions qui sont rarement consignées dans des textes, et qui risquent fort de ne jamais être connues en dehors de la communauté en question. Dans la mesure où le permettent les restrictions d’espace imposées au lexicographe, il convient d’introduire dans la phraséologie un maximum de locutions et d’expressions en usage dans le langage courant. Concernant le registre de langue, les auteurs de dictionnaires monolingues et bilingues sont d’accord sur la nécessité de préciser le registre de langue dont relève un mot, une acception ou une locution. Cette indication, fort utile lorsqu’il s’agit de sa propre langue qu’on ne connaît jamais assez bien, devient indispensable lorsqu’on apprend une langue étrangère (Ibrahim, 1989: 83). Or, le dictionnaire de langue est ainsi défini dans le dictionnaire de linguistique comme « un objet culturel qui présente le lexique d'une (ou plusieurs) langue sous forme alphabétique [ou analogique] », en précisant qu’ « il fournit sur chaque terme un certain nombre d'informations (prononciation, étymologie, catégorie grammaticale, définition, construction, exemples d'emploi, synonymes, idiotismes ; ces informations visent à permettre au lecteur de traduire d'une langue dans une autre ou de combler les lacunes qui ne lui permettaient pas de comprendre un texte dans sa propre 168 Appropriation et transmission des langues et des cultures du monde: Actes du Séminaire Doctoral International 2012 coordonnés par G. Ziegler, I. Schneider, G. Torresin et A. Simpson langue. Et lui permettra de produire dans la langue en question » (J. Dubois, Larousse, 1994: 146). Cette définition a l'avantage d'englober à la fois les dictionnaires monolingues et bilingues et de nous montrer clairement leur utilité. Ou plus généralement, « Les dictionnaires de langue ont pour objectif prioritaire d’apporter des informations sur le mot, c’est-à-dire, sur sa nature et son genre grammatical, sur sa forme graphique (orthographe) et sonore (prononciation), son étymologie, ses divers sens, ses valeurs expressives, son mode d’emploi, son degré de spécialisation, son appartenance à tel ou tel registre de langue, mais également ses relations avec d’autres mots» (Pruvost, 2006: 125). Il convient de préciser que l’élaboration d’un dictionnaire de langue implique tout d’abord de définir le type de lecteur auquel s’adresse le dictionnaire et, par conséquent, le type de questions auxquelles les lexicographes doivent fournir des réponses. Dans le cas des dictionnaires bilingues, il ne faut jamais perdre de vue que : • l’utilisateur moyen d’un dictionnaire bilingue possède, au mieux, une compétence de locuteur natif uniquement dans une seule des deux langues en question, et qu’il sera, en toute probabilité, à la recherche des usages prototypiques « normales », des informations sur le plan paradigmatique et syntagmatique plutôt que des usages « anormaux » et « déviants ». (Szende, 2006: 112) • le dictionnaire bilingue n’est pas un ouvrage destiné uniquement à ceux qui savent et qui ont parfois un doute, mais aussi et surtout c’est un outil indispensable à ceux qui sont sur la voix d’apprentissage d’une langue. • le rôle d’un dictionnaire n’est pas seulement de renseigner sur le sens des mots, comme on le pense généralement, mais aussi de renseigner sur les fonctions grammaticales et syntaxiques car les variations de forme entraînent aussi fréquemment des variations de sens (Ibrahim, 1989: 82). Ces informations sont d’autant plus importantes quand il s’agit de production ou d’encodage en langue cible. Et dans le cadre de notre travail, il faut bien ajouter l’objectif d’apprentissage. Un dictionnaire d'apprentissage a comme mission principale d'apporter une solution aux divers problèmes de communication auxquels les apprenants se trouvent confrontés, non seulement en essayant de comprendre une langue étrangère à la réception, 169 mais également en la produisant, lors de la mise en discours. Les apprenants du français langue étrangère ne possèdent aucun des automatismes des francophones qui dès leur plus jeune âge ont assimilé la spécificité du français comme une évidence. Par conséquent, ce type de dictionnaire doit fournir à la fois toutes les informations morphologiques, sémantiques, syntagmatiques, syntaxiques, paradigmatiques et pragmatiques dont ces apprenants ont besoin. Comme le fait remarquer Schneider pour l'apprenant d'une Langue Etrangère Seconde (LES) rien n'est prévisible, rien ne va de soi (1998: 73). Or, il existe une convergence des préoccupations entre l'approche du lexicographe et celle du professeur de LES, mais la divergence entre deux domaines de recherches sur l'apprentissage et l'enseignement du vocabulaire et de l'autre qui portent sur la lexicographie, est frappante. Le lexicographe qui veut pratiquer avec succès la lexicographie pédagogique se doit de son côté didacticien. Pour bien sélectionner, organiser et présenter le vocabulaire à la fois sur le plan linguistique et conceptuel, il lui faut bien connaître les besoins réceptifs et productifs et les difficultés des apprenants, avoir une idée de processus d'acquisition du vocabulaire et savoir comment le vocabulaire s'enseigne. 3. Le type de dictionnaire Notre travail consiste à esquisser un dictionnaire d'apprentissage bilingue françaispersan qui fixe explicitement son objectif de favoriser l'acquisition du lexique français, dans un milieu non-francophone, à travers des comportements syntaxiques et sémantiques liés à son fonctionnement, en sélectionnant les informations et les exemples, et en les organisant de manière à faciliter l'intégration et l'apprentissage du lexique, aussi bien à l'encodage qu'au décodage. Nous justifions notre démarche en mettant l’accent sur l’inadéquation des dictionnaires de la langue maternelle pour un public d’apprenant du français langue étrangère. Nous nous joignons à Binon, Verlande et Selva (1999: 453), qu’en tant que lexicographe, il importe d'être à la fois lexicographe et enseignant. Il faut être plurilingue, avoir une idée de la notion d’ « apprendre une langue étrangère », 170 Appropriation et transmission des langues et des cultures du monde: Actes du Séminaire Doctoral International 2012 coordonnés par G. Ziegler, I. Schneider, G. Torresin et A. Simpson connaître, autant que possible, la langue maternelle des apprenants, les interférences potentielles, les besoins et difficultés de son public. Dans ce modèle, nous mettons l'accent sur le rôle de la syntaxe dans l’apprentissage du lexique afin de mieux distinguer les différentes acceptions d'un vocable, et le rôle des exemples authentiques pour illustrer leur utilisation. 4. Processus en production en langue étrangère (LE) Dans chaque processus de production en langue étrangère, il y a une idée à exprimer et à formuler. Pour cela, le locuteur non-natif possède déjà des ressources lexicales plus importantes en langue maternelle, mais également des ressources lexicales en langue étrangère, et à partir de ces ressources lexicales et de ses connaissances grammaticales, il est sensé de produire des phrases non seulement correctes de point de vue grammatical mais acceptables pour les locuteurs natifs de la langue concernée. C’est à ce stade que le dictionnaire de langue devient un outil d’apprentissage indispensable qui doit proposer toutes les informations nécessaires à l’encodage qui elle-même se réalise en deux étapes : 1. Identification des mots justes qui relève des rapports paradigmatiques ; 2. Organisation de l’énoncé à partir d’une mise en contextes des mots identifiés, qui relève des rapports syntagmatiques mais aussi de la combinatoire lexicale. Il est à souligner que pour présenter le complément d’information dans un dictionnaire d’apprentissage, le lexicographe n’est pas toujours tenu à une présentation en style télégraphique, et peut le varier selon les types de classes grammaticales traitées, pour la simple raison que l’analyse sémantique ne peut pas être coupée de l’approche distributionnelle et que les signifiés sont intimement liés aux possibilités combinatoires du signe. Après un verbe, par exemple, cette information peut consister en une série de substantifs désignant la personne ou la chose qui subit l’action. (Szende, 2000: 78) De même, il existe des unités de langue qui sont seulement traductives si elles sont intégrées dans une phrase. Par exemple, « la construction du sens d’un adjectif consiste à le situer sur le plan référentiel, puisque l’adjectif ne possède pas 171 d’existence référentielle autonome (Riegel, 1993). Par exemple la propriété d’être froid ne peut être définie sans savoir s’il s’agit d’un café froid, d’un homme froid ou d’un accueil froid. Cette première étape se fait par l’attachement d’un adjectif à un type de propriété et, par la suite à un ensemble qui en découle. » (IzabellaThomas, http://www.atala.org/doc/JE_050312/Lexsynt-Thomas.pdf) Dans le cadre d’une lexicographie bilingue, il est possible de renouveler les bases lexicographiques conventionnelles avec l’analyse syntaxique contrastive ; « dans ce cadre d’analyse, les unités de langue source sont considérées en tant qu’éléments intégrés dans une phrase susceptibles de se distinguer par leur comportement syntaxique plutôt que par leur contenu sémantique. Dans ce cas, les critères de distinction des sous-unités lexicographiques traductives sont des caractéristiques syntaxiques différenciées dans chaque cas, et l’unité d’équivalence lexicographique traductive est la phrase entière (libre ou figée) qui inclut cette unité » (Lépinette, 1996 :60). Prenons cette phrase : • Max Abat l’arbre / l’avion / le bœuf dans lequel « abat » aura trois phrases comme équivalents traductifs en persan : .ﻗﻄﻊ ﻣﯽ ﮐﻨﺪ .ﺳﺮﻧﮕﻮﻥن ﻣﯽ ﮐﻨﺪ .ﺫذﺑﺢ ﻣﯽ ﮐﻨﺪ ﺩدﺭرﺧﺖ ﺭرﺍا ﻫﮬﮪھﻮﺍاﭘﻴﯿﻤﺎ ﺭرﺍا ﮔﺎﻭو ﺭرﺍا ﻣﺎﮐﺲ ﻣﺎﮐﺲ ﻣﺎﮐﺲ Un utilisateur qui recourt au dictionnaire doit avoir toutes les données indispensables pour réaliser l’opération de traduction. Il ne doit pas avoir à choisir à l’aveugle entre plusieurs équivalents proposés en masse. S’il y a plusieurs équivalents traductifs proposés en face de la même entrée lexicale, le dictionnaire ne facilite qu’en partie le processus de traduction. La condition idéale est la présence d’un équivalent unique en face de chacune des sous-entrées, et une mise en correspondance sans équivoque. La perspective contrastive du dictionnaire suppose que l’analyse des sous-entrées d’un vocable de langue source ne se base pas uniquement sur des schémas syntaxiques des phrases dans lesquelles il peut être inclus. Il faut tenir compte d’un autre critère qui est l’organisation lexico-sémantique de la langue cible. « Dans un dictionnaire bilingue, l’analyse des termes doit être basée dans une perspective, 172 Appropriation et transmission des langues et des cultures du monde: Actes du Séminaire Doctoral International 2012 coordonnés par G. Ziegler, I. Schneider, G. Torresin et A. Simpson s’écartant de l’analyse de sens que celles qui se dégagent dans les dictionnaires monolingues. Des sens voisins peuvent ne pas être séparés dans les dictionnaires monolingues et, inversement, des distinctions monolingues peuvent également paraître inutiles dans le bilingue. Si, dans le cas de termes initialement monosémiques, le traducteur n’aura a priori pas de difficulté de lecture et d’identification, le choix pour sa traduction peut lui réserver des surprises » (Szende, 2000 : 74). Schéma 2 « L’information sémantique en lexicographie bilingue persan - français » A titre d’exemple, l’entrée pust (la peau) fait l’objet d’un article réduit dans le dictionnaire monolingue persan. Cette entrée, pour le lecteur du dictionnaire monolingue, ne pose pas de problème de compréhension, il s’agit de : 1. la peau (homme, animal) 2. l’enveloppe de certains fruits et légumes et produits alimentaires 173 Mais, une fois transposé dans l’univers de lexicographie bilingue persan - français, l’article consacré à pust nécessite une organisation sémantique infiniment plus élaborée concernant sa deuxième acception. Comme nous le constatons dans ce schéma, à partir d’une entrée lexicale monosémique dans le dictionnaire monolingue, le dictionnaire bilingue découpe la réalité extérieure de manière à discerner des subdivisions sémantiques là où il n’y en avait pas à l’origine, et on est en face d’une déstructuration de signifiés, selon Szende (2000: 75) dans le sens persan-français. Schéma 3 « L’information sémantique en lexicographie bilingue français - persan » Pour réaliser ce schéma, je me suis basée essentiellement sur l’article de Szende Th., « L’information sémantique en lexicographie bilingue (hongrois-français) » dans Dictionnaire bilingue, méthodes et contenus, 2000 : 74. Cette entrée présentée dans le dictionnaire bilingue persan-français de la manière suivante laisse l’utilisateur perplexe devant plusieurs équivalents présentés en masse qui ne sont pas pourtant interchangeables. Or, l’un des principaux problèmes rencontrés par l’apprenant d’une langue étrangère est de savoir faire la distinction entre des mots de la langue étrangère dont le sens est très proche sans toutefois être identiques, en particulier lorsque ces mots n’ont pas d’équivalents exacts dans sa langue maternelle. 174 Appropriation et transmission des langues et des cultures du monde: Actes du Séminaire Doctoral International 2012 coordonnés par G. Ziegler, I. Schneider, G. Torresin et A. Simpson Il peut y avoir également une restructuration des signifiés de la langue source selon les impératifs de la langue cible. C’est le cas de liens de parenté en persan et en français. Il est à remarquer que si une telle construction conceptuelle porte un nom et en quelque sorte est solidifiée par un nom, elle prouve l’intérêt que lui porte la communauté linguistique, alors que telle autre ne peut s’exprimer que de façon analytique et indirecte (Szende, 1996). Un dictionnaire bilingue traditionnel comme les Dictionnaires français-persan propose la même traduction ou équivalent en persan pour deux ou trois mots en français sans apporter aucune précision qui montre que ces mots ne sont pas interchangeables. De ce fait, l’apprenant persanophone qui a à consulter l’un des dictionnaires persanfrançais/français-persan, dès son premier recours à cet outil indispensable et irremplaçable, se trouve face à une liste parfois très longue d’équivalents répétitifs proposée en masse. La difficulté est d’autant plus grande que, dans une lexicographie qui n’est pas basé sur le corpus, l’ordre de proposition des équivalents est intuitif, et ne peut aider en aucune manière l’apprenant ni à trouver l’équivalent exact du mot en question, ni à le sensibiliser aux nuances sémantiques, ni à sa mise en contexte syntaxique. Une production correcte et appropriée nécessite : • sur le plan paradigmatique, une maîtrise sémantique parfaite de l’unité lexicale ainsi que ses relations avec d’autres unités : synonymie, antonymie, hyponymie, etc. ; • sur le plan syntagmatique, une maîtrise des propriétés syntaxiques et combinatoires lexicales. 5. Conclusion En partant de ce principe, nous envisageons de proposer une nouvelle organisation pour un dictionnaire bilingue français-persan, pour en faire un outil fiable d’apprentissage, en nous nous basons sur les points suivants relevés par Binon Verlinde et Selva: 175 1. « Pour le locuteur natif, tout va de soi, tout est évident et prévisible grâce à son intuition langagière, et sa bonne capacité inférentielle, prévisionnelle mais aussi grâce à son exposition à la langue et sa pratique permanente », tandis que pour les locuteurs non-natifs et « les apprenants d’une langue étrangère rien ne va de soi, rien n’est prévisible » ; cela est dû à son « intuition faible ou absente, sa faible capacité inférentielle, prévisionnelle mais le plus important faute d’être en contact permanent, c’est d’avoir une pratique limitée et intermittente ». 2. Les utilisateurs non natifs et les apprenants d’un dictionnaire bilingue sont à la recherche des caractéristiques essentielles, et des régularités de la langue, tandis que les natifs consultent souvent un dictionnaire de langue maternelle pour y trouver les particularités de la langue. 3. Un dictionnaire bilingue n’a pas seulement pour objectif de répondre aux questions de décodage et compréhension; Il est le plus souvent consulté pour faciliter l’encodage et la production de la langue étrangère concernée ; donc, il doit être considéré comme un outil d’« (auto-)apprentissage, et son organisation, au niveau de la macrostructure ainsi que la microstructure, doit être basée sur cette fonction. Cela nécessite la réduction des entrées lexicales au profit d’une microstructure plus riche en informations qui propose « moins de sens » et s’organise plutôt autour « des définitions descriptives, différenciation des synonymes (avec une approche distinctive, contextuelle, contrastive), un nombre limité des expressions mais très riche en collocations ». (Binon, Verlinde et Selva, Influences internationales sur la lexicographie pédagogique du FLE, http://www.virom.be/pdf/034lexico.pdf) En nous basant sur les faits indiqués ci-dessus, et avec notre expérience d’apprenant du français langue étrangère dans un milieu non francophone comme l’Iran, nous sommes convaincue que les dictionnaires de langue maternelle, ne sont pas appropriés pour servir de base aux dictionnaires bilingues, car ils s’organisent, généralement, autour d’ « un nombre d’entrées lexicales considérable et chaque entrée propose beaucoup trop de sens, et des définitions de type encyclopédiques, accumulations des synonymes sans les différencier et un grand nombre d’expressions » qui ne facilite certainement ni la compréhension ni la production de la langue en question (Binon, Verlinde et Selva). 176 Appropriation et transmission des langues et des cultures du monde: Actes du Séminaire Doctoral International 2012 coordonnés par G. Ziegler, I. Schneider, G. Torresin et A. Simpson Nous nous joignons à Binon, Verlinde et Selva (éla, n°116, 1999 :227) que « pour pratiquer une lexicographie pédagogique au service des apprenants et pour réaliser des dictionnaires d’apprentissage susceptibles de les aider vraiment à résoudre leurs problèmes de communication. Ainsi, il importe d’intégrer de façon critique les acquisitions les plus récentes de la lexicographie internationale. Il faut oser s’affranchir des modèles et des procédés existants, s’aventurer hors des sentiers dictionnairiques battus, innover, voire même oser jouer un rôle de pionnier ». 5. Bibliographie 1. Binon J., Verlinde, S. (1999). La contribution de la lexicographie pédagogique à l’apprentissage et à l’enseignement d’une langue étrangère ou seconde. Etudes de linguistique appliquée 116, 453-468. 2. Binon, J., Verlinde, S. et Selva, T. (2001). Lexicographie pédagogique et enseignement/apprentissage du vocabulaire en français langue étrangère ou seconde (FLES). Un mariage parfait. Dans Cahiers de lexicologie 1, (2001), revue internationale de lexicologie et lexicographie, publiés par l’Institut de linguistique française (CNRS), 78, 41-63. Paris : Honoré Champion. 3. Binon et J., Verlinde, S. et Selva, T. Influences internationales sur la lexicographie pédagogique du FLE from http://www.virom.be/pdf/034lexico.pdf 4. Bogaards, P. (1991). Dictionnaires pédagogiques et apprentissage du vocabulaire. Cahiers de lexicologie 59-2, 93-107. 5. Bogaards, P. (1994). Le vocabulaire dans l’apprentissage des langues étrangères. Coll. Langues et apprentissage des langues. Paris: Crédif- Hatier/Didier. 6. Bogaards, P. (1998). Des dictionnaires au service de l’apprentissage du français langue étrangère. Cahiers de lexicologie 72/1, 127-167. 7. Dubois, J. et Dubois, C. (1971). Introduction à la lexicographie. Coll. Langue et langage. Paris Vie: Librairie Larousse. 8. Dubois, J. (1994). Dictionnaire de linguistique. Larousse 177 9. Duval, A. (2000). 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