constituée par l'ensemble des articles consacrés à la recherche sans bénéfice individuel
direct :celle-ci est certes reconnue, identifiée et autorisée, ce qui est une avancée
majeure, mais à travers un dispositif exclusivement conçu pour le volontaire sain. La
simple énumération des dispositions prévues dans le titre IV de la loi du 20.12.1988
(tableau 1) montre assez que la possibilité qu'une recherche physiopathologique ou
cognitive soit désormais appliquée à des malades n'a simplement pas effleuré les
rédacteurs de la loi.
b) la tradition juridique française et le consentement éclairé :
Dans les premiers commentaires qu'ils ont consacré à la loi de 1988, les juristes ont
d'emblée rappelé la prééminence dans la jurisprudence française de l'inviolabilité du
corps humain (nul ne peut y porter atteinte) et de son indisponibilité (on ne peut "disposer"
de son corps, même du sien ; le corps ne peut faire l'objet de conventions, qui s'appliquent
aux choses, car le corps est indissociable de la personne). La seule justification de l'acte
médical, qui, clairement porte atteinte au principe de l'inviolabilité du corps humain, est sa
finalité thérapeutique : c'est pour le bien du patient et à sa demande, bien qu'elle soit le
plus souvent implicite, que le praticien va être autorisé à intervenir sur son corps. Ce n'est
que tout récemment que la jurisprudence de la Cour de Cassation a mis l'accent sur le
consentement "éclairé" aux soins. Le consentement ressort en effet bien plus de la
tradition anglo-saxonne et de son respect de l'autonomie individuelle, qui remonte sans
doute à l'"habeas corpus" anglais (3). Un des 9 juges de la Cour Suprême, "justice"
Cardoso, n'a-t-il pas dit : "ever human being of adult years and sound mind has a right to
determine what will be done with his own body…" (4). Ce concept est devenu la véritable
pierre angulaire de la recherche clinique, présent dans tous les grands textes
internationaux, du Code de Nuremberg (1947) à la convention bioéthique de Strasbourg
(1997), en passant par la déclaration d'Helsinki-Tokyo (1956-1975) et les
recommandations de la CIOMS (1993). "Universel" depuis le code de Nuremberg sous la
forme "le consentement du sujet est absolument essentiel", ce principe avait en fait été
inclus dans une déclaration de l'American Medical Association de décembre 1946 pour
être proposé quelques semaines plus tard au tribunal de Nuremberg par le Pr. Ivy,
physiologiste renommé de Chicago, qui l'avait rédigée (5).
Or, à la différence du droit anglo-saxon, le consentement dans la tradition juridique
française n'est pas au premier plan : la victime peut être consentante, ce qui n'exonère
certainement pas son bourreau de sa responsabilité. Cette limitation s'applique également
à la médecine, comme la Cour de Cassation l'avait exprimé dans l'arrêt dit des "stérilisés
de Bordeaux" (2). Ainsi s'explique que le législateur français ait autorisé la recherche sans
consentement dans les situations d'urgence, à condition (article 209-9) qu'on puisse en
"attendre un bénéfice direct et majeur (pour les sujets qui seront sollicités)". Une
autorisation en apparence si surprenante de la recherche sans consentement était déjà
présente dans le rapport du Conseil d'Etat, "de l'éthique au droit" (6), en 1988, alors qu'il
n'a été autorisé par la FDA Nord-Américaine qu'en 1996 (7). Cette justification de la
recherche médicale par l'existence d' un BID a été encore renforcée dans la convention
bioéthique de Strasbourg (8). Elle traduit pourtant une incompréhension majeure et
obstinée du législateur sur la nature profonde de la recherche médicale, qui est de
"produire de la connaissance généralisable", et non d'en faire bénéficier le patient
individuel qui y est soumis (9).
Le corollaire est évidemment que la recherche sans BID, tenue en haute suspicion,
est sévèrement encadrée même lorsqu'elle s'accompagne d'un consentement. Elle est
impossible pour certaines populations "vulnérables", les détenus, les patients en situation
d'urgence. Pour les autres, l'exigence du consentement est essentielle. Cette difficulté est
évidemment aggravée par l'incapacité de notre droit à reconnaître l'existence du patient
"incompétent" (sédaté, comateux, encéphalopathe, dément, etc.), bien que capable
juridiquement.
F. LEMAIRE 2