Société d'Ergonomie de Langue Française - 43ème congrès, Ajaccio 17-19 septembre 2008 Concevoir la sécurité : la chaîne de production en radiothérapie Adelaide Nascimento, Pierre Falzon CRTD - Laboratoire d’Ergonomie (Cnam) – 41 rue Gay-Lussac 75005 Paris, France Sylvie Thellier, François Jeffroy Institut de Radioprotection et Sûreté Nucléaire (IRSN) – Fontenay aux Roses, France [email protected] Résumé La radiothérapie est un traitement à visée curative ou palliative, impliqué dans environ 60% des traitements des patients atteints de cancer. La chaîne de traitement relève d’un processus complexe associant 4 métiers (médecin, physicien médical, dosimétriste, manipulateur) dans une succession d’étapes de préparation et d’administration de la dose. A partir de la description de la chaîne de construction du traitement, seront mis en évidence dans ce texte les potentielles sources de dérives et d’erreurs présentes à chaque étape. L’enjeu est de faire en sorte que la production de la sécurité des soins en radiothérapie soit davantage vécue comme une production collective. Dans ce sens, nous nous intéressons à la gestion de risques en considérant les sources de défaillances humaines et organisationnelles, et cela dans toutes les phases du processus, de la prescription à la délivrance de la dose de rayonnement ionisant. Mots-clé : radiothérapie ; sécurité ; coopération ; conception. 1. Introduction La radiothérapie est un traitement à visée curative ou palliative, impliqué dans environ 60% des traitements des patients atteints de cancer. Elle peut - seule ou associée à la chirurgie et/ou la chimiothérapie - combattre un certain nombre de tumeurs malignes, mais aussi soulager les algies dues à des métastases. Parmi les avantages de son utilisation, on retrouve une bonne efficacité car 40% des malades guéris ont été traités par radiothérapie ; un traitement conservateur, évitant les mutilations ; et, un bon rapport coût efficacité (en France, 12 milliards d’euros/an sont destinées au traitement des cancers, dont 0,9 pour la radiothérapie). Etant donné la possibilité de traitements co-adjuvants (radiothérapie, chirurgie, chimiothérapie), la décision thérapeutique pour le traitement d’un cancer, quel qu’il soit, doit être prise en présence d’au moins un chirurgien, un oncologue médical et un oncologue radiothérapeute : ce sont les réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) (Le Bourgeois, 2006). La décision prise d’une radiothérapie, l’oncologue radiothérapeute prend en charge le patient et prescrit les doses et les techniques du traitement. Ces prescriptions seront appliquées et/ou optimisées au fur et à mesure de la préparation du traitement par différents intervenants : les dosimétristes, les physiciens médicaux, les manipulateurs et les radiothérapeutes. Dans les situations les plus fréquentes les techniques de traitement sont protocolaires, c’est-à-dire les paramètres d’irradiation font l’objet de l’application des règles, aboutissant à une solution unique. Or dans certains cas, les choix d’une solution de traitement ne résultent pas de la simples application des règles et cela pour diverses raisons : taille de la tumeur, morphologie du patient, disponibilité des machines, etc. Les différents acteurs de la chaîne doivent ainsi construire une solution optimale pour un cas où la procéduralisation trouve ses limites. On y identifie des caractéristiques d’une activité de conception, au sens où des praticiens différents pourraient produire des solutions différentes, et d’une activité de coopération où la distribution du travail se fait en fonction des connaissances et compétences d’acteurs qui partagent le même but proximal – la délivrance des soins (Schmidt, 1991). Ces activités sont parfois conjointes (physicien/dosimétriste-médecin ; physicien/dosimétriste-manipulateurs ; médecin-manipulateurs) mais le plus souvent séquentielles, comportant des phases de construction, proposition, évaluation et validation des solutions. Le caractère collectif de la construction du traitement peut être à la fois une source de défaillance (Nascimento & Falzon, 2008a, 2008b) et une ressource pour la sécurité (pour un exemple en oncologie cf. Mollo, 2007). L’analyse choisie dans ce texte est plutôt la première : à partir de la description de la chaîne de construction du traitement, seront mis en évidence les potentielles sources de dérives et d’erreurs présentes à chaque étape. Les pistes d’amélioration de la sécurité des soins sont présentées en section 4. Cette recherche est menée dans le cadre d’un projet de partenariat entre l’Institut de Radioprotection et Sûreté Nucléaire (IRSN) et le Laboratoire d’Ergonomie du Conservatoire National des Arts et Métiers. L’enjeu est de faire en sorte que la production de la sécurité des soins en radiothérapie (production dont l’amélioration est bien l’objectif général de la recherche) soit davantage vécue comme une production collective. Dans ce sens, nous nous intéressons à la gestion de risques en considérant les sources de défaillances humaines et organisationnelles, et cela dans toutes les phases du processus, de la prescription à la délivrance de la dose de rayonnement ionisant. 2. Méthodologie Notre terrain de recherche est un établissement privé participant au service public hospitalier, localisé en région Parisienne. Il s’agit de l'un des plus importants hôpitaux en Europe et le plus important en France dédié à la cancérologie. Une première phase de la recherche était destinée à la familiarisation avec le domaine de la radiothérapie. Pour cette première approche, une méthodologie ethnographique a été privilégiée, permettant de décrire l’ensemble de la chaîne ainsi que d’identifier les dérives et erreurs potentielles à chacune de ses étapes. Elle a consisté : • en 8 semaines d’observations ouvertes (48h) sur les divers postes du plateau technique de radiothérapie de l’hôpital : simulateurs (2 semaines), scanner (3 jours), salles de dosimétrie (2 semaines), salle de consultation médicale (2 jours) et postes d’administration de la dose (3 semaines) ; • à des entretiens informelles réalisés lors des observations avec les différents acteurs responsables de la chaîne de traitement, et • à la participation, en tant qu’observatrice, aux réunions mensuelles du groupe de gestion des événements indésirables (GEI) (5 réunions observées). Ce choix méthodologique nous a permis de repérer les problèmes les plus fréquents relatifs aux dysfonctionnements humains et organisationnels de la chaîne de traitement en radiothérapie, mais pas de les quantifier. Des observations systématiques sur le terrain sont prévues à cette fin. 3. Résultats 3.1 La construction du traitement en radiothérapie La chaîne de traitement relève d’un processus complexe associant 4 métiers (médecin, physicien médical, dosimétriste, manipulateur) dans une succession d’étapes de préparation et d’administration de la dose. L’informatique y est omniprésente et permet des progrès sur les techniques de traitement, la précision et l’efficacité de la dose. Dans ce processus, chaque étape et chaque interface porte un risque de défaillance qui pourra aboutir à un écart entre la dose prescrite par le médecin et celle que sera effectivement délivrée au patient. En connaissance de ces risques imminents, les professionnels de radiothérapie mènent depuis longtemps des démarches autour de l’assurance qualité, que ce soit de la mise en service d’un nouveau système ou au titre des contrôles réguliers des plans de traitement individuels (Rosenwald, 2002). Les accidents1survenus en radiothérapie au cours des dix dernières années ont beaucoup marqué les professionnels du domaine, et ont mis en évidence – au-delà des facteurs techniques – l’influence des facteurs humains et organisationnels dans la sécurité des soins. 3.1.1 La phase de préparation : le flou, les pressions du réel et les déviations à la prescription Des études sur la fiabilité du collectif soulignent que celui-ci peut s’avérer comme un premier facteur de fiabilité surajoutée aux individus, à la fois dans les situations d’entraide, de partage des tâches, d’aide à la décision et dans les situations de détection et récupération d’un nombre important d’erreurs et dérives (Sasou & Reason, 1999). D’une autre part, le collectif peut être « une source d’infiabilité surajoutée à l’infiabilité de ses membres » (Marc et Amalberti, 2002). Dans ce dernier cas, les auteurs citent plusieurs facteurs bien connus depuis longtemps, qui peuvent fragiliser la sécurité du groupe : la qualité et la quantité de la communication dans le groupe, la taille du groupe, les ambiguïtés et le pluri-adressage de la communication, entre autres. La préparation des séances de traitement en radiothérapie se fait à travers une succession d’étapes de natures différentes, engageant les professionnels de quatre métiers (médecins, physiciens médicaux, dosimétristes et manipulateurs). Elle constitue une traduction successive de la prescription médicale par chaque métier, et englobe 11 étapes2, comme suit : 1 L’accident d’Epinal, devenu public en septembre 2006, est considéré comme étant le plus grave de l’histoire de la radiothérapie : les défaillances técnico-organisationnelles dateraient de 1989, depuis l’installation du service. Environ 4500 patients traités pour le cancer de la prostate seraient susceptibles d’avoir reçu un surdosage de 7%, i.e. 2% supérieur à la limite tolérée. Parmi eux 24 ont reçu un surdosage plus sévère (>20%) et 5 sont décédés. 2 Données issues du terrain. L’organisation des étapes peut différer selon les établissements de soins. Etape 1 Acquisition des données anatomiques et de positionnement patient du Professionnel Manipulateurs – poste de simulation Dosimétriste 2 Préparation du dossier informatique pour le médecin 3 Choix du volume à irradier Médecin 4 Conception de la dosimétrie Dosimétriste 5 Evaluation et validation de la dosimétrie Médecin 6 Evaluation et validation de la dosimétrie Physicien médical 7 Transfert des données vers le poste de traitement Physicien médical 8 Ajout des données sur le positionnement du patient en poste de traitement + appropriation du dossier Manipulateurs – poste d’administration 9 Deuxième contrôle sur la dosimétrie 2ème physicien médical 10 Image de contrôle de positionnement du patient en poste de traitement - séance 0, sans irradiation Manipulateurs - poste d’administration 11 Evaluation et validation de l’image de contrôle Médecin Tableau 1 : Phase de préparation du traitement La méconnaissance du contenu et/ou rythme de l’ensemble des actions à réaliser pourra conduire à des retards qui se répercuteront sur toute la chaîne de production. Il a été constaté dans nos observations que la durée de 8 à 10 jours, théoriquement fixée pour la préparation du dossier, n’est que rarement respectée. On retrouve des cas extrêmes où les 11 étapes sont réalisées sur une seule journée. Cela peut être dû à l’introduction imprévue d’un nouveau patient, à des pannes d’appareils ou à l’accumulation des retards. Le dernier exemple semble le plus fréquent. Les risques d’erreurs et dérives, déjà considérables en situation normale, se multiplient dans ce type de situation dégradée. Toute la chaîne de traitement sera bouleversée, mobilisant les divers acteurs sur une période de temps très courte et différente de celle initialement prévue. La prise en charge du patient sera réalisée au détriment des conditions organisationnelles établies au départ. Les dossiers seront remplis dans l’urgence, leurs contrôles successifs seront réalisés rapidement, voire pas réalisés, l’étape d’appropriation du dossier par les manipulateurs en poste (théoriquement fixée à 24 heures avant le début de traitement) ne sera pas effectuée dans les bons délais. Les images de contrôle risquent de ne pas être validées à temps par le médecin. Ainsi, il apparaît clairement dans nos observations que la situation idéale pour l’application des procédures explicites n’est pas celle quotidiennement vécue. Le grand nombre de patients à traiter, la nécessité de court-circuiter certaines étapes afin de satisfaire les besoins thérapeutiques, l’implication des personnels dans des tâches multiples obligent à des déviations aux règles et ne favorisent pas le partage entre acteurs de la santé. L’attribution des causes d’accidents à des facteurs organisationnels était déjà présente dans l’ouvrage de Reason sur l’erreur humaine (Reason, 1990) et dans les travaux de Rasmussen (1997) sur les migrations organisationnelles. Ce dernier propose un constat : au cours du temps, tout système tend à dériver vers la violation des règles mises en place au moment de sa création. Selon Rasmussen, la dérive provient d’une tendance générale à un accroissement de la performance globale du système et la recherche de plus d’avantages individuels. A l’heure actuelle, les migrations organisationnelles vers des pratiques risquées apparaissent comme le nouvel horizon de la fiabilité. Par ailleurs, il a été observé sur notre terrain que les procédures ne sont pas toujours bien définies et/ou explicitées. Nous prenons l’exemple de la feuille d’irradiation, qui représente la traçabilité de la construction collective de la thérapeutique. Celle-ci doit être soigneusement remplie avant son arrivée en poste de traitement, car elle représente la prescription du traitement et comporte des données complémentaires par rapport au logiciel informatique. Néanmoins, cette feuille peut arriver vierge au poste de traitement : les opérateurs parfois se reposent sur leurs collègues des étapes suivantes en ce que concerne le remplissage des feuilles, puisque la procédure de remplissage ne spécifie pas clairement ni les acteurs ni les étapes concernés. Cette situation met en évidence deux autres questions sur l’implicite dans la prescription. D’une part, au même temps que la feuille papier semble un élément important pour le traitement, elle pourrait arrivée au poste d’administration sans contenir aucune donnée. Devant cette situation, il n’existe pas un consensus sur le fait que les manipulateurs aient le droit de réaliser les traitements fondés uniquement sur le dossier informatique (sans la feuille d’irradiation). D’autre part, la double source d’information (dossier papier/dossier informatique) peut en soi constituer une source d’erreur. Dans le service observé, dans les cas où des divergences entre les données papier/logiciel échapperont aux contrôles de dossiers, il n’existe pas une référence explicite sur l’information à suivre pour exécuter le traitement. En effet, un manipulateur peut réaliser un traitement muni du dossier informatique mais sans avoir la feuille d’irradiation. Certes l’existence de procédures bien formalisées ne constitue pas une garantie de sécurité car d’une part toute procédure comporte une part d’incomplétude liée au caractère imprévu des situations, et d’autre part le non-suivi des procédures seul ne conduit pas nécessairement à l’accident. Or en l’absence d’une règle explicite, en présence d’une nécessité fonctionnelle immédiate, chacun aura tendance à construire ses propres règles, basées sur son expérience professionnelle et/ou personnelle, son éthique, sa représentation du risque. Un problème de gestion de la sécurité peut se poser lorsque l’opérateur ne connaît pas suffisamment les résultats de son action d’invention, d’adaptation (Dekker, 2003), ou encore quand cet ensemble de “normes” construites individuellement n’est pas mis en commun, discuté, collectivement (Falzon, 2007). 3.1.2 La phase d’administration : entre automatismes et variabilité Les manipulateurs sont les responsables de la délivrance des soins. Sur le poste d’administration, ils suivent les procédures résultant de la prescription médicale. Le travail en binôme est prescrit par l’organisation et vise au-delà du partage de tâches, le contrôle mutuel. En début de séance, des contrôles sont réalisés sur le dossier afin de s’assurer que le traitement à effectuer correspond bien à la prescription et aux données dosimétriques. Ces vérifications servent également comme ressources pour l’action. Des images de contrôle de positionnement sont réalisées lors des séances 1, 2 et 3, puis une fois par semaine. Une séance de radiothérapie dure environ 15 minutes. Dix minutes sont destinées à la mise en place du patient en salle d’irradiation. Les 5 minutes restantes concernent l’activation des faisceaux programmés informatiquement. Cette manipulation se fait entre l’ordinateur et le pupitre de la salle de commande. Pour la majorité des cas, entre chaque faisceau, les manipulateurs reviennent en salle d’irradiation, l’objectif étant le réglage des paramètres (position de la table, par ex.) pour le faisceau suivant. Le traitement ne pourra pas commencer si les paramètres mis en place manuellement en salle d’irradiation ne sont pas les mêmes présentés sur le dossier électronique du patient (système de contrôle de paramètres, demande de mot de passe). Cette situation peut arriver car la position du patient prévue au simulateur n’est pas toujours réalisable sur l’appareil de traitement. Des adaptations dans l’hauteur de la table notamment (distance source de faisceau/peau ou tumeur) sont possibles aux manipulateurs via un mot de passe. Dekker (2003) suppose que la sécurité des pratiques est le résultat d’opérateurs qui sont capables de juger quand il faut (et quand il ne faut pas) adapter les procédures aux circonstances et comment les adapter. Cette assertion est proche de la consigne orale souvent rappelé dans le service : les manipulateurs sont « autorisés » à s’écarter des paramètres prescrits sous la condition qu’ils comprennent bien la logique de ces écarts. La question est alors celle des moyens permettant de favoriser la capacité de jugement et de compréhension des opérateurs. Les patients sont distribués sur les postes en conséquence de leur type de cancer. Pour les traitements protocolaires (le cancer de la prostate, par ex.), les manipulateurs réalisent un ensemble d’opérations communes à presque tous les patients. Le caractère répétitif des situations conduit à une activité fortement automatique. Les erreurs rencontrées dans des telles situations ont été étudiées par Norman (1981) et repris par Reason (1990) et correspondent aux erreurs provenant d’actions non intentionnelles. Elles sont le résultat d’un défaut d’attention, au inversement, d’une attention excessive. Dans le premier cas, on peut citer l’exemple des omissions associées à une interruption : le manipulateur s’apprête à mettre en place la contention du patient, le téléphone sonne, il répond. En revenant vers le patient, il ajuste la table et sort de la salle pour activer le faisceau sans avoir mis la contention. Un deuxième exemple représente l’introduction d’un traitement non habituel parmi les traitements routiniers : après avoir traité dans la journée 10 patients avec un cancer de la prostate (qui ne nécessitent pas de caches crâne), les manipulateurs reçoivent un patient atteint d’un cancer de l’œil et vont oublier de mettre les caches correspondants. Concernant les écarts volontaires à la prescription (violations), les manipulateurs seront également soumis à la déviation des règles. Pour garantir l’exécution du traitement dans des cas d’urgence, ils ne pourront pas attendre la validation de la dosimétrie par le médecin et réaliseront le traitement avec seulement la signature du physicien médical. Il s’agit d’une deuxième violation, dans la mesure où le physicien médical a déjà lui-même transféré le dossier vers le poste de traitement sans la signature du médecin. Il pourrait s’agir encore d’une troisième, si le médecin lui-même avait volontairement choisi de ne pas signer la dosimétrie car il n’avait pas le temps ou parce qu’il fait totalement confiance au physicien médical en question. Comme discuté précédemment, les successions d’étapes dans la chaîne de traitement sont porteuses de sources d’erreurs et de dérives. Le danger se présente quand elles se cumulent et ne sont pas rattrapées par les barrières du système, ou quand ces barrières sont transformées du fait de la pression du réel. Quant aux déviations volontaires à la norme, comme pour la construction de règles individuelles, le risque se présente quand celles-là ne sont pas partagées collectivement ni prises en compte/établies par l’organisation. 4. Discussion et conclusion Les erreurs et dérives peuvent arriver dans toutes les phases du processus. Les systèmes de retour d’expérience doivent être en mesure d’identifier, mesurer et réduire les risques de survenue de ces événements. Or, le champ pris en compte par le groupe de gestion des événements indésirables (GEI) de l’hôpital délimite le recueil d’information aux événements survenus au cours de séances de traitement, en excluant tout autre écart rencontré dans la phase de préparation du dossier. Cette focalisation sur les écarts de dose détectés dans la phase d’administration du traitement peut donner la fausse impression de que l’origine des erreurs se retrouve uniquement dans cette phase-là. Pour autant, les erreurs ayant conduit à un écart de dose peuvent représenter, au contraire, le bon suivi d’une prescription erronée depuis sa préparation. Certes, le poste d’administration joue un rôle important pour la récupération des erreurs. En 4 ans d’activité du groupe GEI, aucun écart de dose détecté n'a eu de conséquence clinique notable et dans plus de 80% des cas, l’erreur n’a eu des conséquences que sur une seule séance. Néanmoins, dans une approche plus préventive, le retour d’expérience doit s’attacher également à identifier les événements précurseurs, i.e. tout écart par rapport à ce qui est attendu dans toutes les phases de la production, quelles que soient leurs conséquences (immédiates ou pas). Or une meilleure conscience des défaillances du système ne peut pas être effective en l’absence d’une culture sécurité dans l’organisation (Pronovoxt et Sexton, 2005). Nos observations montrent que les services de radiothérapie ne présentent pas un niveau de culture sécurité aussi élevé que dans d’autres domaines de la médecine comme l’Anesthésie notamment (considérée comme un système ultra-sur dans la taxonomie proposée par Amalberti et al, 2005) ou comme d’autres secteurs à risque, notamment le nucléaire et l’aéronautique. En effet, l’analyse de la chaine de production en radiothérapie a permis de mettre en évidence des dérives et erreurs potentielles en chaque phase du traitement. A partir de ces constats, et de leur mise en débat dans le groupe GEI dans l’hôpital où l’étude a été réalisée, nous arrivons à une recommandation relative à l’augmentation du niveau de culture sécurité en radiothérapie. Ceci signifie d’un côté la prise de conscience des risques de défaillance du système et leur gestion quotidienne, et d’un autre côté la préparation à la surprise (planning to surprise), si l’on reprend les termes de Rochlin (1999) ou encore la préparation à la gestion de la variabilité si l’on utilise le concept de résilience développé par Hollnagel (2008). Pour ce faire nous nous inspirons des travaux qui proposent une pratique réflexive au travail (Pidgeon & O’Leary (1994) ; Mollo & Falzon, (2004)), « dans laquelle l’opérateur se donne comme objet de travail sa propre activité de travail » (Falzon & Teiger, 1995). Ces pratiques peuvent se réaliser individuellement ou collectivement, avec ou sans l’intervention de l’ergonome. Dans notre contexte, ces pratiques se dérouleront dans un format de séances collectives, l’objectif étant que la promotion de la sécurité soit vécue plus collectivement. Ainsi, nous envisageons des séances collectives, initialement de formation, qui comprendront une présentation des concepts de base de la fiabilité humaine et organisationnelle, un panorama sur l’utilisation du retour d’expérience dans les milieux médicaux, de l’aviation et du nucléaire, ainsi que des travaux pratiques autour des techniques de recueil et d’analyse d’incidents et d’accidents. Ultérieurement, les séances seront fondées sur la diffusion et discussion de « cas d’école », c’est-à-dire des événements porteurs d’enseignements qui seront sélectionnés au préalable à partir de la base de données du groupe GEI. Elles visent à favoriser des lieux de partage de l’information et devront se réaliser dans un climat de confiance, sans jugement. Les discussions autour de cas ne visent ni la recherche de responsables, ni la réaffirmation des règles, mais la compréhension des facteurs individuels, collectifs ou organisationnels qui peuvent concourir à l’occurrence d’incidents. Ce genre de réunion-débat est similaire aux réunions observées par Mhamdi (1997) au cours de l’analyse de l’activité des agents électriciens. Ces réunions permettent aux différents participants (opérateurs et hiérarchie de proximité) d’analyser collectivement le travail réel, de combler le vide entre les procédures et les pratiques réelles de travail et de développer la capacité de jugement sur quand et comment s’adapter à l’implicite des procédures ou à l’imprévu des situations (Dekker, 2003). Elles peuvent également être l’occasion de coconstruire de nouvelles règles ou procédures de travail. Notre objectif majeur est d’installer une dynamique d’activité réflexive, intégrée au temps de travail, qui s’alimentera des cas collectés dans le terrain et qui dépassera la temporalité limitée de notre recherche. Bibliographie Amalberti, R., Auroy, Y., Berwick, D., Barach, P. et al (2005). Five systems barriers to achieving ultrasafe healthcare. Ann Inter Med. 2005;142;756-764. Darses, F. & Falzon, P. (1996). La conception collective : une approche de l’ergonomie cognitive. In : de G. Terssac & E. Friedberg (Eds.). Coopération et conception (123-135). Toulouse: Octarès. Dekker, S. (2003). Faillure to adapt or adaptations that fail: contrasting models on procedures and safety. Applied Ergonomics, 34 (3), 233-238. Falzon, P. & Teiger, C. (1995). Construire l’activité. Performances Humaines et Techniques. Septembre, n° hors-série, 34-40. Falzon, P. (2007) Enabling safety: issues in design and continuous design. Cognition, Technology and Work. Publish online 4 april 2007. 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