Cour d`appel Paris Pôle 6, chambre 5 9 Avril 2015 Infirmation N° 14

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Cour d'appel
Paris
Pôle 6, chambre 5
9 Avril 2015
Infirmation
N° 14/07346
SAS CLINIQUE MEDICALE DE VILLIERS SUR ORGE, exerçant sous le nom commercial CENTRE DE REEDU-
CATION CLINALLIANCE DE VILLIERS SUR ORGE représentée par M. François BOUNIOL
Madame Shideh HONORAT
Classement :
Contentieux Judiciaire
Numéro JurisData : 2015-007971
Résumé
La facturation indue et répétée par un médecin spécialiste d'une clinique à des patients hospitalisés d'actes mé-
dicaux pourtant déjà compris dans le forfait jour hospitalier constitue un manquement grave à ses obligations
contractuelles, le médecin ne pouvant ignorer les règles de fonctionnement de la clinique avec la CPAM, ni mé-
connaître les stipulations de son contrat de travail, et caractérise une faute grave justifiant la rupture immédiate
du contrat de travail. La faute est d'autant plus grave qu'elle a été commise par un praticien confirmé au vu du
personnel de soins et vis-à-vis de la clientèle de la clinique, au risque de voir engager la responsabilité civile de
celle-ci.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRÊT DU 09 Avril 2015
(n° 185 , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/07346
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 Juin 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de
LONGJUMEAU - Section encadrement - RG n° 11/00415
APPELANTE
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SAS CLINIQUE MEDICALE DE VILLIERS SUR ORGE, exerçant sous le nom commercial CENTRE DE REEDU-
CATION CLINALLIANCE DE VILLIERS SUR ORGE
représentée par Me Jean-philippe D., avocat au barreau de PARIS, toque : P0542, M. François B. (Président) en vertu
d'un pouvoir général
INTIMEE
Madame Shideh H.
comparante en personne, assistée de Me Georgy A., avocat au barreau de PARIS, toque : R232
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 avril 2015, en
audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère, chargée
d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Martine ROY-ZENATI, Présidente
Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère
Madame Murielle VOLTE, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : M. Franck TASSET, lors des débats
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au
deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Madame Martine ROY-ZENATI, Présidente et par M. Franck TASSET, Greffier à laquelle la minute de la
décision a été remise par le magistrat signataire.
Mme Shideh H., qui avait été engagée le 27 décembre 2001 par la société Clinalliance en qualité de médecin cardio-
logue, a été convoquée le 17 mars 2011 à un entretien préalable à un licenciement avec mise à pied conservatoire, et
licenciée le 29 mars 2011 pour faute grave.
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Elle a saisi la juridiction prud'homale le 12 mai 2011 d'une demande de paiement de diverses sommes au titre de la
rupture.
Par jugement du 22 mai 2014 notifié le 13 juin et rectifié le 25 septembre 2014, le Conseil de prud'hommes de Longju-
meau a condamné la SARL Clinalliance de Villiers-sur-Orge à payer à Mme H. les sommes de :
- 3471,34 euro au titre du salaire de la mise à pied conservatoire
- 347,13 euro au titre des congés payés incidents
- 50 318,58 euro au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
- 5 031,85 euro au titre des congés payés sur préavis
- 56 608,39 euro au titre de l'indemnité de licenciement
- 80 000 euro à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 10 000 euro à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral
- et 1000 euro au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
en ordonnant le remboursement par l'employeur aux organismes concernés des indemnités de chômage dans la limite de
six mois, et en rejetant le surplus des demandes.
La Clinique Médicale de Villiers sur Orge a interjeté appel le 27 juin 2014 de cette décision.
A l'audience du 17 février 2015, la SAS Clinique Médicale de Villiers-sur-Orge a demandé à la Cour d'infirmer le ju-
gement et de débouter Mme H. de ses demandes, en la condamnant à lui restituer la somme de 75 474 euro qui lui a été
versée en exécution des dispositions du jugement assorties de l'exécution provisoire de droit, et à lui payer la somme de
10 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de ses agissements, outre 3000 euro au
titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle expose qu'elle employait Mme H. en qualité de médecin cardiologue salarié pour 138 heures mensuelles mais
qu'elle avait également passé une convention de prestations de service aux termes de laquelle celle-ci pouvait exercer
sur place son activité à titre libéral en dehors de son temps de travail moyennant une redevance fixée en pourcentage des
honoraires perçus à ce titre, outre son activité libérale en cabinet ; qu'elle a découvert incidemment que le docteur H.
s'était fait régler un acte médical par une patiente qui était en hospitalisation de jour et donc intégralement prise en
charge par la clinique dans le cadre du 'prix de journée' réglé par la CPAM, et qu'il s'agissait d'une pratique répétée de sa
part. Elle ajoute qu'au lieu de procéder elle-même à des examens médicaux que la clinique était parfaitement en mesure
de réaliser sur des patients hospitalisés en ambulatoire, Mme H. a adressé ces derniers à son confrère Melliani, qui ve-
nait d'être mis à pied, pour qu'il les effectue dans son cabinet dans le cadre de son activité libérale, alors que ces presta-
tions étaient donc couvertes par le 'prix de journée'. Elle souligne que ces agissements sont très graves car la clinique
aurait pu être considérée comme complice par la CPAM et que le jugement de relaxe au bénéfice du doute des faits
d'escroquerie rendu par le tribunal correctionnel d'Evry en faveur de Mme H. et dont elle a relevé appel sur les intérêts
civils est sans incidence sur leur appréciation par la juridiction prud'homale. Elle rappelle que quelle qu'ait été l'heure de
l'examen, dès lors que le patient était alors en hospitalisation de jour, aucune prestation de soin ne pouvait lui être fac-
turée, si bien que la salariée ne peut prétendre qu'elle agissait alors en libéral. Elle conteste en tout état de cause les
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indemnités réclamées par l'intimée qui a poursuivi son activité dans son cabinet libéral puis s'est fait embauchée par une
clinique concurrente, faisant valoir que c'est elle-même qui a subi un préjudice compte tenu de la pénurie de médecins
cardiologues.
Mme H. demande pour sa part à la Cour de confirmer le jugement et de condamner la société Clinalliance à lui payer
une somme de 3000 euro au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient que les griefs invoqués, qui ont donné lieu à relaxe, n'ont jamais existé, dès lors que son contrat d'exercice
libéral lui permettait, en dehors des heures pendant lesquelles elle était au service de la clinique, de recevoir des patients
à titre privé et de facturer librement ces derniers, et qu'il ne pourrait y avoir faute que si elle avait fait payer ces patients
pendant son temps de travail salarié. Or elle considère que la lettre de licenciement, qui ne précise pas à quel moment
elle aurait effectué sa prétendue double facturation, n'est pas vérifiable, d'autant que l'employeur ne disposait pas au
moment du licenciement de la preuve des faits invoqués. Elle fait valoir que les prétendus relevés établis par la CPAM
n'établissent aucunement qu'elle aurait perçu la moindre somme sur son compte personnel et, s'agissant du second grief,
qu'il n'est pas établi que la clinique possédait à l'époque des faits l'appareil nécessaire pour l'examen litigieux ni qu'un
praticien réalisait des dopplers sur artères rénales à la clinique, lesquels nécessitaient en tout état de cause un ren-
dez-vous préalable, si bien que rien ne permettait de dire que les patients se trouveraient ce jour-là en hospitalisation de
jour. Elle souligne que le fait d'adresser un patient à un confrère est une pratique extrêmement courante entre praticiens
et estime que le licenciement a été pris pour de purs motifs économiques ainsi que le démontrent les pressions dont elle
a fait l'objet auparavant afin qu'elle démissionne.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières
conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS
Attendu que les termes de la lettre de licenciement fixant les limites du litige, il convient de rappeler que Mme H. a été
licenciée pour faute grave par lettre de la société Clinique médicale de Villiers-sur-Orge du 29 mars 2011 aux motifs
suivants :
'Nous avons appris le 16 mars 2011 que vous facturiez à la CPAM et autres organismes d'assurance maladie des exa-
mens faits à des patients hospitalisés à la clinique en hôpital de jour, ce qui est formellement interdit.
De surcroît courant mars 2011, au lieu de faire vous-même des examens demandés par vos confrèresde la clinique pour
des patients hospitalisés en ambulatoire à la clinique, vous les avez adressés au cabinet libéral de votre confrère le Doc-
teur M., à Villejuif alors que ces actes auraient dû être faits en interne, puisque ceux-ci sont inclus dans le prix de jour-
née 'tout compris' perçu par la clinique.
Nous avons dû déposer plainte à votre encontre.
Vos actes illicites et contraires à probité sont extrêmement graves puisqu'ils sont susceptibles de nous rendre complices
et d'entraîner la fermeture de notre clinique. Ils exigent votre départ immédiat. (...)' ;
Attendu en premier lieu que la lettre de licenciement comporte l'énoncé de faits suffisamment précis pour pouvoir être
matériellement vérifiables ;
Attendu ensuite que la décision de relaxe des faits d'escroquerie intervenue, au bénéfice du doute, au profit de Mme H.,
suivant jugement du tribunal correctionnel d' Evry du du 4 juillet 2013 , dont il a au surplus été relevé appel par les
parties civiles sur les intérêts civils, les dispositions pénales sont définitives, est sans portée sur l'appréciation des fautes
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qui sont reprochées à la salariée qui doivent être examinées par la Cour au regard de ses obligations contractuelles et
non de qualifications pénales ;
Attendu que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent
une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle
justifie la rupture immédiate du contrat de travail ; que la preuve de la faute grave incombe à l'employeur qui l'invoque;
Attendu que Mme C., responsable de facturation de la clinique, vient attester qu'elle s'est étonnée d'un remboursement
qui ne concernait pas la clinique effectué par virement de la société d'assurance Yvelin qui figure sur le relevé bancaire
de la clinique du mois de décembre 2010, relatif à un acte effectué le 13 octobre 2010 sur Edith P. ; que la facture éta-
blie par la clinique relative à cette patiente fait apparaître qu'elle était en hospitalisation de jour à cette date, et que son
dossier médical fait état du doppler veineux effectué sur elle le 13 octobre 2010 à la clinique par le Dr H. ; qu'il ressort
de ces éléments que l'acte médical a donné lieu à facturation par le médecin alors même qu'il se trouvait couvert par le
forfait jour payé par la CPAM à la Clinique ; que lors de l'enquête de police effectuée à la demande de l'employeur,
plusieurs membres du personnel soignant, qui ont également attesté, ont expliqué que Mme H. pratiquait souvent ainsi,
un infirmier, M. C., précisant qu'il ne pouvait y avoir confusion avec les patients reçus par le médecin dans le cadre de
son activité libérale parce que, arrêtant de travailler à 16h45, il n'avait affaire qu'à des patients accueillis en hôpital de
jour, ce qu'indique également Mme A., aide soignante dans le service de l'hôpital de jour ; qu'ils s'en étaient étonnés
mais que le Dr H. avait répondu à l'un d'eux qu'il s'agissait d'un accord avec la direction ; qu'entendue dans le cadre de
cette enquête, l'intéressée a effectivement reconnu qu'il lui était arrivé de demander la carte vitale mais uniquement
lorsque l'acte intervenait après 16h et parce que les forfaits hospitaliers de jour en orthopédie ne comprennent pas les
examens cardiologiques qu'elle effectuait à la demande de ses confrères, c'est-à-dire des dopplers veineux ; qu'à l'au-
dience, elle a précisé qu'elle réclamait les cartes vitales non pour se faire payer mais parce qu'elles constituaient une
sorte de carte d'identité médicale des patients contenant toutes sortes d'informations sur eux ; que cependant, d'une part
il ressort de l'avenant tarifaire établi par la CPAM avec la Clinique que 'ne peuvent être pris en charge, en sus du prix de
journée et sur justificatif, que les dépenses de dialyses, de chimiothérapie, de radiothérapie et les frais de transport y
afférents', si bien que les examens cardiologiques demandés par ses confrères d'autres spécialités entraient bien dans le
forfait jour, ce qu'est venue confirmer la responsable de la lutte contre la fraude à la CPAM devant les services de police
; que d'autre part, il ressort des témoignages susvisés du personnel de jour et des recherches effectuées par ladite res-
ponsable à partir du croisement des noms des patients à la clinique que des actes ont été facturés à plusieurs patients en
hôpital de jour et qu'il ne s'agissait donc pas de la clientèle privée du Dr H. qu'elle ne pouvait recevoir, au vu des ho-
raires indiqués sur son contrat de travail, que postérieurement à 17h ; que la CPAM a établi la liste des actes ainsi factu-
rés irrégulièrement par le Dr H. pour un montant de 1895 euro depuis janvier 2009 ; qu'il s'agit bien là d'un manquement
grave à ses obligations contractuelles, le médecin ne pouvant ignorer les règles de fonctionnement de la clinique avec la
CPAM ni méconnaître les stipulations de son contrat de travail ; que le fait que certains de ces éléments de preuve aient
été découverts postérieurement à la lettre de licenciement est sans conséquence sur le bien-fondé de la mesure, l'em-
ployeur prenant le risque de voir confirmer ou non l'ampleur des agissements découverts ; que la faute est d'autant plus
grave qu'elle a été commise par un praticien confirmé au vu du personnel de soins et vis-à-vis de la clientèle de la cli-
nique, au risque de voir engager la responsabilité civile de celle-ci ; qu'il convient donc d'infirmer le jugement, ces seuls
faits justifiant la rupture immédiate du contrat de travail, sans qu'il y ait lieu d'examiner le second grief relatif à l'envoi
de certains patients en hôpital de jour à la clinique à son ancien collègue cardiologue qui venait d'être mis à pied ; que
Mme H. sera donc déboutée de l'ensemble de ses demandes afférentes à la rupture ;
Attendu, s'agissant de la demande reconventionnelle de la société, que la responsabilité d'un salarié ne peut être engagée
à l'égard de son employeur dans le cadre de ses fonctions qu'en cas de démonstration d'une faute lourde, laquelle sup-
pose l'intention de nuire à l'employeur ; que la société ne l'a pas retenue dans le cadre du licenciement et n'en fait pas
davantage la preuve aujourd'hui ; que la demande indemnitaire sera en conséquence rejetée ;
Que par ailleurs le présent arrêt infirmatif constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécu-
tion du jugement, sans qu'il y ait lieu d'ordonner la restitution ; que les sommes devant être restituées portent intérêt au
taux légal à compter de la notification, valant mise en demeure, de la présente décision ouvrant droit à restitution;
Et attendu qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de l'appelante ses frais de procédure ;
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