La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 9 - novembre 1998
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métabolisme complexe. L’intervention de la voie du cyto-
chrome P450 3A4 laisse supposer également l’existence de
nombreuses interactions médicamenteuses.
Le dérivé de la rapamycine (SDZ-RAD) est en cours d’éva-
luation dans plusieurs études de phase III. La dose proposée
est de 1,50 ou 3 mg/j, sans adaptation de dose. Des données
préliminaires suggèrent que son maniement serait plus aisé
que celui de la rapamycine.
Inhibiteurs de la synthèse de l’ADN (signal 3)
Ils sont utilisés comme traitements préventifs du rejet aigu.
L’azathioprine (Aza) est utilisée depuis plus de 30 ans et la
mise sur le marché d’une nouvelle molécule, le mycophéno-
late mofétil (MMF), a ravivé l’intérêt du blocage de cette
étape. Le développement est lié à la connaissance des voies de
synthèse des bases puriques. Un déficit en adénosine désami-
nase (ADA) entraîne une déficience des lymphocytes Tet B,
et celui en hypoxanthine-phosphoribosyl transférase
(HGPRTase) entraîne un retard mental sans anomalies des
lymphocytes. Deux voies de synthèse, voie de novo et voie de
sauvetage (figure 4), existent donc. Les lymphocytes utilisent
préférentiellement la première et les neurones exclusivement
la seconde. Le blocage de la voie de novo inhibe la proliféra-
tion des cellules immunitaires.
Azathioprine
–Mécanisme d’action. Synthétisée en 1961 par G. Elion,
l’azathioprine est un dérivé imidazolé de la 6-mercaptopurine,
qui est l’analogue d’une base purique, l’hypoxanthine.
L’action de l’azathioprine porte davantage sur les cellules T
que sur les cellules B. Le mécanisme d’action est complexe,
par inhibition de la synthèse de novo des purines et perturba-
tion de l’interconversion de ces bases bloquant la synthèse
d’ADN et le passage en phase S. Ce sont les différents méta-
bolites de l’azathioprine, surtout l’acide thioinosinique et les
nucléotides dérivés de la 6-thioguanine, qui vont être actifs.
L’acide thioinosinique inhibe par un pseudo-feedback la
phosphoribosyl-pyrophosphate amidotransférase (PRPP) et
d’autres enzymes de l’interconversion des base puriques. La
6-thioguanine et d’autres dérivés sont des pseudo-nucléotides
intégrés à l’ADN qui sont cytotoxiques et entraînent des cas-
sures chromosomiques ainsi que des anomalies des acides
nucléiques.
–Utilisation clinique. L’azathioprine est utilisée comme trai-
tement adjuvant pour la prévention des rejets aigus. À la dose
de 2 à 3 mg/kg/j, elle est administrée en une prise quotidien-
ne. Son intérêt clinique est difficile à préciser. Une méta-ana-
lyse récente n’a pas mis en évidence de diminution de fré-
quence des pertes de greffon et de l’incidence de rejet aigu en
cas d’utilisation d’azathioprine. Cependant, le suivi des don-
nées du registre de transplantation laisse supposer une effica-
cité à long terme d’un traitement double par azathioprine et
ciclosporine.
Sa toxicité est hépatique et médullaire. L’azathioprine est res-
ponsable d’hépatites cholestatiques réversibles, de pélioses,
de maladies veino-occlusives ou d’hyperplasie nodulaire
régénérative. Le rôle favorisant d’une co-infection virale B ou
C est probable. La myélotoxicité porte surtout sur la lignée
blanche mais est aussi responsable d’anémie normocytaire ou
macrocytaire et de thrombopénies. Une diminution des glo-
bules blancs nécessite la diminution, voire l’arrêt, du traite-
ment. Plus rarement, il existe des aplasies médullaires favori-
sées par l’association à l’allopurinol ou la présence d’une acti-
vité basse d’une enzyme du métabolisme, la thiopurine
méthyl transférase (TPMT), chez 0,3 % de la population. La
mesure de l’activité de la TPMT peut servir au suivi pharma-
codynamique de l’azathioprine (7). Enfin, le rôle à long terme
des cassures chromosomiques sur le potentiel cancérigène de
l’azathioprine reste discuté.
Mycophénolate mofétil (8)
–Mécanisme d’action. Le MMF est un inhibiteur réversible,
spécifique et non compétitif de l’enzyme inosine monophos-
phate déshydrogénase (IMPDH). L’IMPDH est une des
enzymes clés de la synthèse de novo des bases puriques.
L’efficacité du MMF repose sur une action antiproliférative
des lignées lymphocytaires Tet B et sur des propriétés comme
l’inhibition de la sécrétion d’anticorps, l’inhibition de la gly-
cosylation des molécules d’adhésion et l’inhibition de la pro-
lifération des cellules musculaires lisses de la paroi vasculaire.
Cette dernière propriété pourrait être intéressante pour la pré-
vention du rejet chronique.
–Utilisation clinique. À la dose de 2 g/j per os en deux prises,
il n’est pas nécessaire, en pratique courante, d’effectuer des
dosages sanguins. Trois études multicentriques, contrôlées,
randomisées et en double aveugle chez plus de 1 500 patients
ont montré que l’utilisation du MMF permet de diminuer
d’environ 50 % l’incidence des rejets aigus, même s’il n’a pas
été mis en évidence d’amélioration statistiquement significa-
tive de la survie des patients et/ou des greffons. Une voie de
recherche particulièrement intéressante est la diminution ou
l’arrêt d’autres traitements immunosuppresseurs, en particu-
lier la ciclosporine, diminuant ainsi la néphrotoxicité chro-
nique. Un suivi à moyen terme de ces patients est cependant
nécessaire avant de tirer des conclusions claires.
En ce qui concerne les effets indésirables, le MMF a un pro-
fil de tolérance identique à celui de l’azathioprine. Une men-
Azathioprine
Thio-MP
Ribose-5P + ATP
PRPP
Voie de novo
Voie de sauvetage
6-MP Acides
nucléiques
Inosine
MP
Xanthosine
MP
Guanosine
MP
PRPP
synthétase
HPGRTase
(Lesch-Nyhan) IMP déshydrogénase
(IMPDH) Adénosine désaminase
(ADA)
GMP synthétase
Adénosine MP
Azathioprine
Guanine
ARN
ARN
ADN
ADN
Acide mycophénolique
Figure 4. Voies de synthèse des bases puriques et mode d’action de
leurs inhibiteurs.