Les traitements immunosuppresseurs dans les transplantations d

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La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 9 - novembre 1998
a transplantation d’organes solides fait partie de
l’arsenal thérapeutique permettant de suppléer à
l’insuffisance fonctionnelle chronique de nombreux
organes comme le rein, le foie ou le cœur. Toutes ces trans-
plantations ont été rendues possibles grâce aux progrès de la
connaissance de phénomènes de rejet aigu et au développe-
ment de traitement immunosuppresseurs susceptibles de les
prévenir ou de les traiter. Malgré cet arsenal thérapeutique, de
nombreux problèmes subsistent : manque d’organes à greffer
et baisse de la qualité des organes prélevés d’une part ; absen-
ce d’amélioration notable des résultats à long terme en raison
du rejet chronique et des complications (cardiovasculaires ou
carcinologiques) d’autre part. Seule une immunosuppression
ciblée ou l’induction d’une tolérance immunologique permet-
tra d’éviter ces complications chroniques, qui sont la premiè-
re cause de perte de greffon à long terme.
TRANSPLANTATION D’ORGANES ET PHÉNOMÈNES
DE REJET (figure1) (1)
Les mécanismes sont communs à tous les types d’organes
greffés, mais leurs conséquences sont spécifiques : augmenta-
tion de la créatinine en transplantation rénale, cholestase ou
cytolyse en transplantation hépatique, découverte histolo-
gique en transplantation cardiaque.
Le système immunitaire a pour rôle principal de protéger l’in-
dividu contre toute substance étrangère. Cette réponse, néfas-
te lors d’une transplantation d’organe, doit être inhibée. Les
mécanismes immunitaires peuvent se schématiser en diffé-
rentes phases. La phase de reconnaissance est celle de la pré-
sentation de l’antigène étranger, soit le complexe majeur
d’histocompatibilité (CMH) lui-même (présentation directe),
soit des peptides dérivés de celui-ci (présentation indirecte),
aux lymphocytes T. La phase d’activation du lymphocyte T
auxiliaire entraîne la transcription et la libération de facteurs
de coopération cellulaire et la prolifération des cellules.
Durant la phase effectrice, les cellules adhèrent à l’endothé-
lium vasculaire du greffon et l’infiltrent pour le détruire. On
peut replacer les différents traitements immunosuppresseurs
dans ce schéma de l’activation et de la prolifération lympho-
cytaire (figure 2, p. 199). Le premier signal est celui de la
reconnaissance de l’antigène et de l’activation cellulaire, en
particulier par des signaux calcium-dépendants de la voie de
la calcineurine. L’activation va induire la translocation
Les traitements immunosuppresseurs
dans les transplantations d’organes solides
E. Thervet, Ch. Legendre*
* Service de néphrologie et transplantation rénale,
Hôpital Saint-Louis. 1, avenue Claude-Vellefaux, 75475 Paris Cedex 10.
RÉSUMÉ.
Les dernières années ont été marquées par l’apparition de nouveaux traitements immunosuppresseurs utilisés pour prévenir
et/ou traiter les épisodes de rejet aigu. La connaissance des mécanismes immunologiques responsables des phénomènes de rejet a permis
de développer ces traitements, d’origine chimique ou biologique, afin de bloquer le plus spécifiquement possible chaque étape de la
réponse immune. Cette connaissance permet également une réflexion sur les associations de thérapeutiques les plus judicieuses. Ces avan -
cées ne doivent pas cacher les difficultés à surmonter pour répondre aux défis de l’avenir : une immunosuppression la plus sélective pos -
sible, présentant le moins possible d’effets indésirables, et l’amélioration à long terme de la survie des allogreffes.
Mots-clés :
Transplantation - Immunosuppresseurs.
L
Cellule allogénique
(greffon)
Antigène HLA I Antigène HLA II
Différenciation Différenciation
Différenciation
Macrophage
Molécules d’adhésion Cellules du greffon
Prolifération
Prolifération
IL2R
IL6
IL2R IL2R
IL2
IL4
CD
4
CD
4
CD
8
CD
8
Prolifération
Cellules B activées
Antigènes
Figure 1. Représentation schématique de la réponse allo-immune.
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nucléaire de facteurs de transcription, tel le NF-AT, et
l’induction de la transcription de gènes codant pour des cyto-
kines. Un deuxième signal de costimulation par des molécules
comme CD28 est nécessaire. En son absence, un état d’aner-
gie est décrit. Le signal 3 est celui de la fixation de cytokines
sur leur récepteur, qui va faire entrer la cellule en cycle cellu-
laire.
TRAITEMENTS IMMUNOSUPPRESSEURS CHIMIQUES
Inhibiteurs de la synthèse des cytokines (signal 1)
Glucocorticoïdes. L’utilisation des corticoïdes en trans-
plantation remonte au début des années 60. Ils restent encore
très utilisés pour le traitement préventif et curatif de première
intention des épisodes de rejet aigu.
Mécanismes d’action. Les corticoïdes se fixent sur un
récepteur intracellulaire spécifique, sont ensuite transloqués
dans le noyau et induisent la synthèse d’une protéine IκΒα.
Cette protéine va inhiber la translocation nucléaire de NF-κB,
l’un des facteurs de transcription des cytokines. D’autres
effets sur la réponse immune ont aussi été avancés (2). Les
effets immunosuppresseurs des corticoïdes sont surtout liés à
la diminution de l’expression de cytokines (IL1, IL6 et IL2 et
interféron-γ[INF-γ]). Les effets anti-inflammatoires, par inhi-
bition de la synthèse de prostaglandines et de leucotriènes, les
rendent efficaces pour le traitement des rejets avérés.
Utilisation clinique. Les corticoïdes sont utilisés comme
traitement préventif du rejet à la dose initiale de 1 à 2 mg/kg/j,
dose diminuée progressivement. La dose finale varie entre
5mg et 15 mg/j. Les corticoïdes peuvent être arrêtés après le
troisième mois. La décision d’arrêt nécessite cependant une
surveillance accrue en raison du risque de rejet, et un doute
subsiste sur les résultats à long terme de tels protocoles. En
traitement curatif, c’est la méthylprednisolone utilisée par
voie i.v. qui est utilisée, avec parfois une augmentation transi-
toire du traitement per os.
Les effets indésirables liés aux actions glucocorticoïdes et
minéralocorticoïdes sont bien connus.
Inhibiteurs de la calcineurine [ciclosporine et tacroli-
mus]. La ciclosporine, isolée à partir de Tolypocladium infla-
tum gams, et dont Borel mit en évidence les propriétés immu-
nosuppressives en 1972, est utilisée depuis 1978 en trans-
plantation. Elle est devenue au cours du temps, malgré ses
effets indésirables, l’immunosuppresseur de référence. Le
tacrolimus est un antibiotique de la famille des macrolides.
Malgré une structure différente, il a un mode d’action similai-
re à celui de la ciclosporine.
Mécanismes d’action (figure 3). La stimulation des lym-
phocytes T, en présence du signal 2, entraîne une cascade de
réactions intracytoplasmiques qui aboutissent à l’augmenta-
tion intracellulaire de calcium. Cela induit l’activation, par la
calmoduline, d’une protéine intracellulaire, la calcineurine.
Cette sérine/thréonine phosphatase a pour substrat le compo-
sant cytoplasmique d’un facteur de transcription, le NF-AT.
La déphosphorylation de celui-ci va faciliter sa transduction
dans le noyau où, en s’associant avec le composant nucléaire,
il va induire la synthèse de cytokines. L’action de la ciclospo-
rine et du tacrolimus passe par leur fixation sur leurs cibles
protéiques spécifiques de la famille des immunophilines, res-
pectivement la cyclophiline (CyP) et la FK binding protein 12
(FKBP12). Ces protéines sont des enzymes, ou rotamases, qui
sont impliquées dans l’assemblage des protéines (cette pro-
priété n’est pas impliquée directement dans le mécanisme
d’action). Les complexes ainsi formés se lient à la calcineuri-
ne et bloquent son action par interaction allostérique. La syn-
thèse d’IL2 et de produits d’activation précoce (c-myc, IL3,
IL4, GM-CSF, TNF-αet INF-γ) est inhibée.
Utilisation clinique. La ciclosporine est utilisée pour la pré-
vention des épisodes de rejet aigu, associée aux autres traite-
ments immunosuppresseurs. La dose initiale per os, comprise
entre 5 et 10 mg/kg/j, est adaptée secondairement aux taux plas-
matiques. Même si des discussions existent sur l’utilité d’un
dosage au “pic”, c’est le taux résiduel qui est utilisé en pratique.
On retient souvent des taux sur sang total compris entre 150 et
250 ng/ml à la phase initiale et entre 100 et 150 ng/ml à long
terme. Plusieurs facteurs expliquent la grande variabilité inter-
et intra-individuelle. La ciclosporine, molécule lipophile, a une
Figure 2. Place des immunosuppresseurs dans la réponse immune
d’allogreffe.
Figure 3. Mécanisme d’action des inhibiteurs de la calcineurine.
Transcription
Kinase
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biodisponibilité très variable. L’introduction d’une nouvelle
forme galénique de ciclosporine, en micro-émulsion, a l’avan-
tage théorique de permettre l’obtention d’un profil pharmacoci-
nétique plus reproductible entre les patients et pour le même
patient (3). Son utilité clinique, pour la tolérance comme pour
l’efficacité, reste à démontrer. De plus, la ciclosporine est éli-
minée de la cellule par la P-glycoprotéine, qui agit comme un
canal transmembranaire ATP-dépendant et permet la sortie de
nombreuses substances hydrophobes hors de la cellule. La P-
glycoprotéine a une activité et une expression variables.
La ciclosporine est métabolisée dans le foie par un membre de
la famille du cytochrome P450, la forme 3A4, et au moins
24 métabolites ont déjà été isolés. Les nombreuses interfé-
rences justifient la prudence et le dosage lors de l’introduction
d’un nouveau traitement (tableau I).
Initialement réservé au traitement des rejets résistant aux cor-
ticoïdes, le tacrolimus a démontré son efficacité dans la pré-
vention du rejet aigu (4). La dose initiale per os est comprise
entre 0,20 et 0,30 mg/kg/j en deux prises. Comme pour la
ciclosporine, la dose initiale doit être adaptée aux taux plas-
matiques (15 à 20 ng/ml en période initiale puis 10 à 15
ng/ml). La variabilité provient d’une médiocre hydrosolubi-
lité, d’une absorption faible et variable et du polymorphisme
de la P-glycoprotéine. Le métabolisme hépatique est assuré
par le cytochrome P450 3A4. Plus de 17 métabolites ont déjà
été isolés et les interactions médicamenteuses sont nom-
breuses.
La toxicité de ces deux molécules est comparable. Elle est liée
en partie à l’inhibition de la calcineurine dans d’autres cel-
lules. On peut citer les complications cutanées (hypertrichose)
et muqueuses (hypertrophie gingivale) de la ciclosporine et
les effets neurologiques (tremblement) et métaboliques (dia-
bète) du tacrolimus. Une attention particulière doit être portée
aux complications rénales et vasculaires de la ciclo
sporine (5).
Cette toxicité peut participer à la nécrose tubulaire
initiale
après transplantation rénale, se manifester par des épisodes
d’insuffisance rénale aiguë réversibles ou se traduire par une
insuffisance rénale progressive et définitive. Ces manifesta-
tions s’expliquent par une vasoconstriction intra-rénale, des
lésions endothéliales directes et/ou l’augmentation de cyto-
kines profibrosantes telles que le TGF-ß. La néphrotoxicité
chronique peut être difficile à différencier du rejet chronique.
L’hypertension artérielle et les troubles lipidiques sont fré-
quents. La toxicité rénale et vasculaire du tacrolimus est sem-
blable. La moindre proportion des troubles lipidiques induits
mérite d’être soulignées.
Inhibiteurs de la transduction du signal des cytokines (signal 3)
Rapamycine et dérivé. La rapamycine et son dérivé, le
SDZ-RAD (40-0-(2-hydroxthyl)-rapamycine), sont en
cours d’évaluation dans des études de phase III pour le traite-
ment préventif des épisodes de rejet aigu.
Mécanismes d’action. La rapamycine (ou sirolimus) est un
macrolide dont la structure est très proche de celle du tacroli-
mus, mais son mécanisme d’action est complètement diffé-
rent. En se fixant sur le FKBP12, elle inhibe la prolifération
cellulaire induite par les cytokines telles que l’IL2, l’IL3,
l’IL4 et l’IL6 par une voie indépendante du calcium. Elle inhi-
be aussi la prolifération stimulée par le CD28, c’est-à-dire le
signal 2. Elle bloque le cycle cellulaire en phase G1. Le com-
plexe rapamycine-FKBP se lie à une protéine mammalian tar -
get of rapamycin (mTOR), appelée aussi FRAP ou RAFT.
Cette protéine a une activité d’autophosphorylation sur les
résidus sérines. Elle contrôle l’activité d’une protéine kinase,
la p70S6k, et la phosphorylation d’une protéine qui inhibe le
début de la traduction, la 4E-BP1. Le blocage de p70S6k, qui
phosphoryle la protéine ribosomique S6 impliquée dans l’ac-
tivation de l’étape d’initiation, est responsable de l’inhibition
de la traduction des ARNm comprenant un domaine riche en
polypyrimidine à leur extrémité 5’. La protéine 4E-BP1, sous
sa forme phosphorylée, se dissocie de eIF4E, qui peut alors se
lier à la coiffe et mettre en route la traduction des ARNm.
La rapamycine inhibe l’induction de la phosphorylation de
4E-BP1 par les facteurs de croissance et augmente ainsi la
fraction eIF4E séquestrée, inactive dans la cellule (6).
Utilisation clinique. Une étude de phase III chez des rece-
veurs d’allogreffe rénale a montré que l’adjonction de rapa-
mycine à un traitement comportant de la ciclosporine et des
corticoïdes réduit l’incidence des rejets aigus. D’autres études
sont en cours afin de vérifier cette efficacité. La dose initiale
habituellement utilisée est de 2 mg/j, ajustée aux taux san-
guins compris entre 10 et 20 ng/ml. La rapamycine connaît
une grande variabilité inter- et intra-individuelle. Cette varia-
bilité est liée à une absorption irrégulière, avec une possible
interaction avec le système des P-glycoprotéines, et à un
Augmentent les taux de ciclosporine
Antibiotiques Macrolides
Céphalosporines
Antifongiques Imidazoles
Inhibiteurs calciques Nicardipine
Diltiazem
Corticoïdes
Contraceptifs oraux
Diurétiques Furosémide
Diminuent les taux de ciclosporine
Antituberculeux Rifampycine
Anticonvulsivants Phénobarbital
Phénytoïne
Carbamazépine
Sulfamides Cotrimoxazole i.v.
Sulfamidine
Possèdent une néphrotoxicité additionnelle
Antifongiques Amphotéricine B
Aminosides Gentamicine
Tobramycine
Anticancéreux Melphalan
Sulfamides Cotrimoxazole per os
AINS Diclofénac
Indométacine
Anti-H
2
Ranitidine
Tableau I. Principales interactions médicamenteuses avec la
ciclosporine.
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métabolisme complexe. L’intervention de la voie du cyto-
chrome P450 3A4 laisse supposer également l’existence de
nombreuses interactions médicamenteuses.
Le dérivé de la rapamycine (SDZ-RAD) est en cours d’éva-
luation dans plusieurs études de phase III. La dose proposée
est de 1,50 ou 3 mg/j, sans adaptation de dose. Des données
préliminaires suggèrent que son maniement serait plus aisé
que celui de la rapamycine.
Inhibiteurs de la synthèse de l’ADN (signal 3)
Ils sont utilisés comme traitements préventifs du rejet aigu.
L’azathioprine (Aza) est utilisée depuis plus de 30 ans et la
mise sur le marché d’une nouvelle molécule, le mycophéno-
late mofétil (MMF), a ravivé l’intérêt du blocage de cette
étape. Le développement est lié à la connaissance des voies de
synthèse des bases puriques. Un déficit en adénosine désami-
nase (ADA) entraîne une déficience des lymphocytes Tet B,
et celui en hypoxanthine-phosphoribosyl transrase
(HGPRTase) entraîne un retard mental sans anomalies des
lymphocytes. Deux voies de synthèse, voie de novo et voie de
sauvetage (figure 4), existent donc. Les lymphocytes utilisent
préférentiellement la première et les neurones exclusivement
la seconde. Le blocage de la voie de novo inhibe la proliféra-
tion des cellules immunitaires.
Azathioprine
Mécanisme d’action. Synthétisée en 1961 par G. Elion,
l’azathioprine est un dérivé imidazolé de la 6-mercaptopurine,
qui est l’analogue d’une base purique, l’hypoxanthine.
L’action de l’azathioprine porte davantage sur les cellules T
que sur les cellules B. Le mécanisme d’action est complexe,
par inhibition de la synthèse de novo des purines et perturba-
tion de l’interconversion de ces bases bloquant la synthèse
d’ADN et le passage en phase S. Ce sont les différents méta-
bolites de l’azathioprine, surtout l’acide thioinosinique et les
nucléotides dérivés de la 6-thioguanine, qui vont être actifs.
L’acide thioinosinique inhibe par un pseudo-feedback la
phosphoribosyl-pyrophosphate amidotransférase (PRPP) et
d’autres enzymes de l’interconversion des base puriques. La
6-thioguanine et d’autres dérivés sont des pseudo-nucléotides
intégrés à l’ADN qui sont cytotoxiques et entraînent des cas-
sures chromosomiques ainsi que des anomalies des acides
nucléiques.
Utilisation clinique. L’azathioprine est utilisée comme trai-
tement adjuvant pour la prévention des rejets aigus. À la dose
de 2 à 3 mg/kg/j, elle est administrée en une prise quotidien-
ne. Son intérêt clinique est difficile à préciser. Une méta-ana-
lyse récente n’a pas mis en évidence de diminution de fré-
quence des pertes de greffon et de l’incidence de rejet aigu en
cas d’utilisation d’azathioprine. Cependant, le suivi des don-
nées du registre de transplantation laisse supposer une effica-
cité à long terme d’un traitement double par azathioprine et
ciclosporine.
Sa toxicité est hépatique et médullaire. L’azathioprine est res-
ponsable d’hépatites cholestatiques réversibles, de pélioses,
de maladies veino-occlusives ou d’hyperplasie nodulaire
régénérative. Le rôle favorisant d’une co-infection virale B ou
C est probable. La myélotoxicité porte surtout sur la lignée
blanche mais est aussi responsable d’anémie normocytaire ou
macrocytaire et de thrombopénies. Une diminution des glo-
bules blancs nécessite la diminution, voire l’arrêt, du traite-
ment. Plus rarement, il existe des aplasies médullaires favori-
sées par l’association à l’allopurinol ou la présence d’une acti-
vité basse d’une enzyme du métabolisme, la thiopurine
méthyl transférase (TPMT), chez 0,3 % de la population. La
mesure de l’activité de la TPMT peut servir au suivi pharma-
codynamique de l’azathioprine (7). Enfin, le rôle à long terme
des cassures chromosomiques sur le potentiel cancérigène de
l’azathioprine reste discuté.
Mycophénolate mofétil (8)
Mécanisme d’action. Le MMF est un inhibiteur réversible,
spécifique et non compétitif de l’enzyme inosine monophos-
phate déshydrogénase (IMPDH). L’IMPDH est une des
enzymes clés de la synthèse de novo des bases puriques.
L’efficacité du MMF repose sur une action antiproliférative
des lignées lymphocytaires Tet B et sur des propriétés comme
l’inhibition de la sécrétion d’anticorps, l’inhibition de la gly-
cosylation des molécules d’adhésion et l’inhibition de la pro-
lifération des cellules musculaires lisses de la paroi vasculaire.
Cette dernière propriété pourrait être intéressante pour la pré-
vention du rejet chronique.
Utilisation clinique. À la dose de 2 g/j per os en deux prises,
il n’est pas nécessaire, en pratique courante, d’effectuer des
dosages sanguins. Trois études multicentriques, contrôlées,
randomisées et en double aveugle chez plus de 1 500 patients
ont montré que l’utilisation du MMF permet de diminuer
d’environ 50 % l’incidence des rejets aigus, même s’il n’a pas
été mis en évidence d’amélioration statistiquement significa-
tive de la survie des patients et/ou des greffons. Une voie de
recherche particulièrement intéressante est la diminution ou
l’arrêt d’autres traitements immunosuppresseurs, en particu-
lier la ciclosporine, diminuant ainsi la néphrotoxicité chro-
nique. Un suivi à moyen terme de ces patients est cependant
nécessaire avant de tirer des conclusions claires.
En ce qui concerne les effets indésirables, le MMF a un pro-
fil de tolérance identique à celui de l’azathioprine. Une men-
Azathioprine
Thio-MP
Ribose-5P + ATP
PRPP
Voie de novo
Voie de sauvetage
6-MP Acides
nucléiques
Inosine
MP
Xanthosine
MP
Guanosine
MP
PRPP
synthétase
HPGRTase
(Lesch-Nyhan) IMP déshydrogénase
(IMPDH) Adénosine désaminase
(ADA)
GMP synthétase
Adénosine MP
Azathioprine
Guanine
ARN
ARN
ADN
ADN
Acide mycophénolique
Figure 4. Voies de synthèse des bases puriques et mode d’action de
leurs inhibiteurs.
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La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 9 - novembre 1998
tion particulière doit être noter pour les troubles digestifs à
type de douleurs et/ou de troubles du transit, habituellement
réversibles à l’arrêt ou à la diminution des doses. Le mécanis-
me de ces troubles n’est pas connu. Le MMF peut être utilisé
sans risque en association avec l’allopurinol.
TRAITEMENTS IMMUNOSUPPRESSEURS BIOLOGIQUES
Les agents immunosuppresseurs biologiques sont utilisés par
voire parentérale. Ils sont réservés au traitement d’induction,
c’est-à-dire à la prévention initiale des épisodes de rejet aigu,
et au traitement des épisodes de rejet grave, résistant au trai-
tement corticoïde initial. Il s’agit soit d’anticorps polyclonaux
antilymphocytaires (sérum antilymphocytaire ou SAL) soit
d’anticorps monoclonaux (AcMo) natifs, chimériques ou
humanisés.
Le SAL est produit en immunisant un animal, lapin ou cheval,
avec des thymocytes, des lymphocytes du canal thoracique ou
des lymphoblastes humains. Après immunisation, les anti-
corps produits sont purifiés et la fraction IgG est en règle uti-
lisée. C’est un mélange d’anticorps dont les cibles antigé-
niques ne sont pas bien définies. Les AcMo reconnaissent,
eux, un seul épitope. Ils sont produits en immunisant un ani-
mal, souvent une souris, avec un antigène spécifique. Les
lymphocytes B sont ensuite fusionnés in vitro avec des cel-
lules myélomateuses afin d’obtenir une lignée stable, ou
hybridome. Chaque hybridome produira ainsi un seul type
d’anticorps de spécificité et d’affinité connues. Afin de pallier
le risque d’immunisation contre les fractions “animales” des
anticorps, la modification génétique des anticorps est effec-
tuée en incluant des fractions d’origine humaine. Pour les
anticorps chimériques, les régions constantes dorigine
humaine sont associées aux régions variables d’origine ani-
male. Pour les anticorps humanisés, seules les régions hyper-
variables impliquées directement dans la reconnaissance de
l’antigène (complementary-determining regions ou CDRs)
sont d’origine animale (figure 5).
Anticorps polyclonaux antilymphocytaires (SAL)
Il s’agit d’un “mélange” d’anticorps intervenant à différentes
étapes de la réponse immunitaire, principalement la recon-
naissance et l’activation du lymphocyte T(signal 1) mais
aussi dans la transduction du message prolifératif (signal 3).
Mécanismes d’action. Le SAL entraîne une lymphopénie
portant essentiellement sur les cellules T. Le mécanisme prin-
cipal d’élimination est l’opsonisation des lymphocytes T et
leur phagocytose par le système réticulo-endothélial. Une
inactivation cellulaire par recouvrement et/ou modulation
antigénique (disparition des récepteurs de la surface cellulai-
re) peut également intervenir. Par ailleurs, une inhibition des
phénomènes d’adhésion et de transduction du signal participe
à l’action immunosuppressive.
Utilisation clinique. En traitement préventif, le SAL est per-
fusé dans une veine centrale pendant une à trois semaines
après la transplantation. Les doses sont variables selon les
équipes et le SAL utilisé. Une adaptation est possible selon le
taux circulant de lymphocytes, totaux ou sous-population,
afin de diminuer le risque de “sur-immunosuppression”. En
traitement curatif d’un épisode de rejet grave, le même sché-
ma thérapeutique est utilisé pour une durée de dix jours.
Les effets indésirables sont nombreux. Ils sont secondaires à
l’injection d’une molécule xénogénique (réactions fébriles
jusqu’à la maladie sérique par dépôt des complexes immuns
circulants) ou liés à la puissance immunosuppressive (aug-
mentation du risque d’infection, surtout virale, et en particu-
lier à CMV).
Anticorps monoclonaux
Anticorps anti-CD3 (OKT3). Cet AcMo a longtemps été le
seul utilisé en clinique humaine. Indiqué dans les rejets corti-
corésistants, il est utilisé comme traitement préventif initial de
rejet, surtout en Amérique du Nord.
Mécanismes d’action. Il s’agit d’un AcMo d’origine murine
dirigé contre la chaîne εdu complexe CD3. La disparition
rapide, en périphérie, de toutes les cellules CD3+ est due en
partie à une déplétion mais aussi à un recouvrement et à une
modulation antigénique.
Utilisation clinique. C’est un immunosuppresseur extrême-
ment puissant utilisé à la dose de 5 mg/j pendant 10 à 15 jours.
Son efficacité peut être vérifiée par la recherche d’anticorps
libres et/ou par l’absence de cellules CD3+ dans le sang péri-
phérique.
Parmi les effets indésirables peut survenir une immunisation
dès le huitième jour, avec un pic de fréquence vers le vingt-
cinquième jour. Cette immunisation, retrouvée chez 40 à
8 0 % des patients, peut rendre le traitement ineff i c a c e .
D’autres effets indésirables peuvent être observés. Il s’agit
surtout d’une réaction initiale après les premières injections,
se caractérisant par la survenue d’une fièvre, de frissons, de
vomissements et de céphalées. Cette réaction de “première
Figure 5. Production et modification des anticorps polyclonaux et
monoclonaux.
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