Les traitements immunosuppresseurs dans les transplantations d

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Les traitements immunosuppresseurs
dans les transplantations d’organes solides
E. Thervet, Ch. Legendre*
RÉSUMÉ. Les dernières années ont été marquées par l’apparition de nouveaux traitements immunosuppresseurs utilisés pour prévenir
et/ou traiter les épisodes de rejet aigu. La connaissance des mécanismes immunologiques responsables des phénomènes de rejet a permis
de développer ces traitements, d’origine chimique ou biologique, afin de bloquer le plus spécifiquement possible chaque étape de la
réponse immune. Cette connaissance permet également une réflexion sur les associations de thérapeutiques les plus judicieuses. Ces avan cées ne doivent pas cacher les difficultés à surmonter pour répondre aux défis de l’avenir : une immunosuppression la plus sélective pos sible, présentant le moins possible d’effets indésirables, et l’amélioration à long terme de la survie des allogreffes.
Mots-clés : Transplantation - Immunosuppresseurs.
L
a transplantation d’organes solides fait partie de
l’arsenal thérapeutique permettant de suppléer à
l’insuffisance fonctionnelle chronique de nombreux
organes comme le rein, le foie ou le cœur. Toutes ces transplantations ont été rendues possibles grâce aux progrès de la
connaissance de phénomènes de rejet aigu et au développement de traitement immunosuppresseurs susceptibles de les
prévenir ou de les traiter. Malgré cet arsenal thérapeutique, de
nombreux problèmes subsistent : manque d’organes à greffer
et baisse de la qualité des organes prélevés d’une part ; absence d’amélioration notable des résultats à long terme en raison
du rejet chronique et des complications (cardiovasculaires ou
carcinologiques) d’autre part. Seule une immunosuppression
ciblée ou l’induction d’une tolérance immunologique permettra d’éviter ces complications chroniques, qui sont la première cause de perte de greffon à long terme.
Cellule allogénique
(greffon)
Antigènes
Antigène HLA I
Antigène HLA II
CD4
CD8
IL4
CD8
IL2R
IL2R
Prolifération
Prolifération
Différenciation
Différenciation
CD4
IL2
IL6
activées
Cellules B
Différenciation
IL2R
Prolifération
Macrophage
TRANSPLANTATION D’ORGANES ET PHÉNOMÈNES
DE REJET (figure 1) (1)
Les mécanismes sont communs à tous les types d’organes
greffés, mais leurs conséquences sont spécifiques : augmentation de la créatinine en transplantation rénale, cholestase ou
cytolyse en transplantation hépatique, découverte histologique en transplantation cardiaque.
Le système immunitaire a pour rôle principal de protéger l’individu contre toute substance étrangère. Cette réponse, néfaste lors d’une transplantation d’organe, doit être inhibée. Les
mécanismes immunitaires peuvent se schématiser en différentes phases. La phase de reconnaissance est celle de la présentation de l’antigène étranger, soit le complexe majeur
* Service de néphrologie et transplantation rénale,
Hôpital Saint-Louis. 1, avenue Claude-Vellefaux, 75475 Paris Cedex 10.
198
Molécules d’adhésion
Cellules du greffon
Figure 1. Représentation schématique de la réponse allo-immune.
d’histocompatibilité (CMH) lui-même (présentation directe),
soit des peptides dérivés de celui-ci (présentation indirecte),
aux lymphocytes T. La phase d’activation du lymphocyte T
auxiliaire entraîne la transcription et la libération de facteurs
de coopération cellulaire et la prolifération des cellules.
Durant la phase effectrice, les cellules adhèrent à l’endothélium vasculaire du greffon et l’infiltrent pour le détruire. On
peut replacer les différents traitements immunosuppresseurs
dans ce schéma de l’activation et de la prolifération lymphocytaire (figure 2, p. 199). Le premier signal est celui de la
reconnaissance de l’antigène et de l’activation cellulaire, en
particulier par des signaux calcium-dépendants de la voie de
la calcineurine. L’activation va induire la translocation
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nucléaire de facteurs de transcription, tel le NF-AT, et
l’induction de la transcription de gènes codant pour des cytokines. Un deuxième signal de costimulation par des molécules
comme CD28 est nécessaire. En son absence, un état d’anergie est décrit. Le signal 3 est celui de la fixation de cytokines
sur leur récepteur, qui va faire entrer la cellule en cycle cellulaire.
Figure 2. Place des immunosuppresseurs dans la réponse immune
d’allogreffe.
TRAITEMENTS IMMUNOSUPPRESSEURS CHIMIQUES
Inhibiteurs de la synthèse des cytokines (signal 1)
Glucocorticoïdes. L’utilisation des corticoïdes en transplantation remonte au début des années 60. Ils restent encore
très utilisés pour le traitement préventif et curatif de première
intention des épisodes de rejet aigu.
– Mécanismes d’action. Les corticoïdes se fixent sur un
récepteur intracellulaire spécifique, sont ensuite transloqués
dans le noyau et induisent la synthèse d’une protéine IκΒα.
Cette protéine va inhiber la translocation nucléaire de NF-κB,
l’un des facteurs de transcription des cytokines. D’autres
effets sur la réponse immune ont aussi été avancés (2). Les
effets immunosuppresseurs des corticoïdes sont surtout liés à
la diminution de l’expression de cytokines (IL1, IL6 et IL2 et
interféron-γ [INF-γ]). Les effets anti-inflammatoires, par inhibition de la synthèse de prostaglandines et de leucotriènes, les
rendent efficaces pour le traitement des rejets avérés.
Inhibiteurs de la calcineurine [ciclosporine et tacrolimus]. La ciclosporine, isolée à partir de Tolypocladium inflatum gams, et dont Borel mit en évidence les propriétés immunosuppressives en 1972, est utilisée depuis 1978 en transplantation. Elle est devenue au cours du temps, malgré ses
effets indésirables, l’immunosuppresseur de référence. Le
tacrolimus est un antibiotique de la famille des macrolides.
Malgré une structure différente, il a un mode d’action similaire à celui de la ciclosporine.
– Mécanismes d’action (figure 3). La stimulation des lymphocytes T, en présence du signal 2, entraîne une cascade de
réactions intracytoplasmiques qui aboutissent à l’augmentation intracellulaire de calcium. Cela induit l’activation, par la
calmoduline, d’une protéine intracellulaire, la calcineurine.
Cette sérine/thréonine phosphatase a pour substrat le composant cytoplasmique d’un facteur de transcription, le NF-AT.
La déphosphorylation de celui-ci va faciliter sa transduction
dans le noyau où, en s’associant avec le composant nucléaire,
il va induire la synthèse de cytokines. L’action de la ciclosporine et du tacrolimus passe par leur fixation sur leurs cibles
protéiques spécifiques de la famille des immunophilines, respectivement la cyclophiline (CyP) et la FK binding protein 12
(FKBP12). Ces protéines sont des enzymes, ou rotamases, qui
sont impliquées dans l’assemblage des protéines (cette propriété n’est pas impliquée directement dans le mécanisme
d’action). Les complexes ainsi formés se lient à la calcineurine et bloquent son action par interaction allostérique. La synthèse d’IL2 et de produits d’activation précoce (c-myc, IL3,
IL4, GM-CSF, TNF-α et INF-γ) est inhibée.
Kinase
Transcription
Figure 3. Mécanisme d’action des inhibiteurs de la calcineurine.
– Utilisation clinique. Les corticoïdes sont utilisés comme
traitement préventif du rejet à la dose initiale de 1 à 2 mg/kg/j,
dose diminuée progressivement. La dose finale varie entre
5 mg et 15 mg/j. Les corticoïdes peuvent être arrêtés après le
troisième mois. La décision d’arrêt nécessite cependant une
surveillance accrue en raison du risque de rejet, et un doute
subsiste sur les résultats à long terme de tels protocoles. En
traitement curatif, c’est la méthylprednisolone utilisée par
voie i.v. qui est utilisée, avec parfois une augmentation transitoire du traitement per os.
Les effets indésirables liés aux actions glucocorticoïdes et
minéralocorticoïdes sont bien connus.
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– Utilisation clinique. La ciclosporine est utilisée pour la prévention des épisodes de rejet aigu, associée aux autres traitements immunosuppresseurs. La dose initiale per os, comprise
entre 5 et 10 mg/kg/j, est adaptée secondairement aux taux plasmatiques. Même si des discussions existent sur l’utilité d’un
dosage au “pic”, c’est le taux résiduel qui est utilisé en pratique.
On retient souvent des taux sur sang total compris entre 150 et
250 ng/ml à la phase initiale et entre 100 et 150 ng/ml à long
terme. Plusieurs facteurs expliquent la grande variabilité interet intra-individuelle. La ciclosporine, molécule lipophile, a une
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biodisponibilité très variable. L’introduction d’une nouvelle
forme galénique de ciclosporine, en micro-émulsion, a l’avantage théorique de permettre l’obtention d’un profil pharmacocinétique plus reproductible entre les patients et pour le même
patient (3). Son utilité clinique, pour la tolérance comme pour
l’efficacité, reste à démontrer. De plus, la ciclosporine est éliminée de la cellule par la P-glycoprotéine, qui agit comme un
canal transmembranaire ATP-dépendant et permet la sortie de
nombreuses substances hydrophobes hors de la cellule. La Pglycoprotéine a une activité et une expression variables.
La ciclosporine est métabolisée dans le foie par un membre de
la famille du cytochrome P450, la forme 3A4, et au moins
24 métabolites ont déjà été isolés. Les nombreuses interférences justifient la prudence et le dosage lors de l’introduction
d’un nouveau traitement (tableau I).
Tableau I. Principales interactions médicamenteuses avec la
ciclosporine.
Augmentent les taux de ciclosporine
Antibiotiques
Antifongiques
Inhibiteurs calciques
Corticoïdes
Contraceptifs oraux
Diurétiques
Macrolides
Céphalosporines
Imidazoles
Nicardipine
Diltiazem
Furosémide
Diminuent les taux de ciclosporine
Antituberculeux
Anticonvulsivants
Sulfamides
Rifampycine
Phénobarbital
Phénytoïne
Carbamazépine
Cotrimoxazole i.v.
Sulfamidine
Possèdent une néphrotoxicité additionnelle
Antifongiques
Aminosides
Anticancéreux
Sulfamides
AINS
Anti-H2
Amphotéricine B
Gentamicine
Tobramycine
Melphalan
Cotrimoxazole per os
Diclofénac
Indométacine
Ranitidine
Initialement réservé au traitement des rejets résistant aux corticoïdes, le tacrolimus a démontré son efficacité dans la prévention du rejet aigu (4). La dose initiale per os est comprise
entre 0,20 et 0,30 mg/kg/j en deux prises. Comme pour la
ciclosporine, la dose initiale doit être adaptée aux taux plasmatiques (15 à 20 ng/ml en période initiale puis 10 à 15
ng/ml). La variabilité provient d’une médiocre hydrosolubilité, d’une absorption faible et variable et du polymorphisme
de la P-glycoprotéine. Le métabolisme hépatique est assuré
par le cytochrome P450 3A4. Plus de 17 métabolites ont déjà
été isolés et les interactions médicamenteuses sont nombreuses.
La toxicité de ces deux molécules est comparable. Elle est liée
en partie à l’inhibition de la calcineurine dans d’autres cellules. On peut citer les complications cutanées (hypertrichose)
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et muqueuses (hypertrophie gingivale) de la ciclosporine et
les effets neurologiques (tremblement) et métaboliques (diabète) du tacrolimus. Une attention particulière doit être portée
aux complications rénales et vasculaires de la ciclosporine (5).
Cette toxicité peut participer à la nécrose tubulaire initiale
après transplantation rénale, se manifester par des épisodes
d’insuffisance rénale aiguë réversibles ou se traduire par une
insuffisance rénale progressive et définitive. Ces manifestations s’expliquent par une vasoconstriction intra-rénale, des
lésions endothéliales directes et/ou l’augmentation de cytokines profibrosantes telles que le TGF-ß. La néphrotoxicité
chronique peut être difficile à différencier du rejet chronique.
L’hypertension artérielle et les troubles lipidiques sont fréquents. La toxicité rénale et vasculaire du tacrolimus est semblable. La moindre proportion des troubles lipidiques induits
mérite d’être soulignées.
Inhibiteurs de la transduction du signal des cytokines (signal 3)
Rapamycine et dérivé. La rapamycine et son dérivé, le
SDZ-RAD (40-0-(2-hydroxyéthyl)-rapamycine), sont en
cours d’évaluation dans des études de phase III pour le traitement préventif des épisodes de rejet aigu.
– Mécanismes d’action. La rapamycine (ou sirolimus) est un
macrolide dont la structure est très proche de celle du tacrolimus, mais son mécanisme d’action est complètement différent. En se fixant sur le FKBP12, elle inhibe la prolifération
cellulaire induite par les cytokines telles que l’IL2, l’IL3,
l’IL4 et l’IL6 par une voie indépendante du calcium. Elle inhibe aussi la prolifération stimulée par le CD28, c’est-à-dire le
signal 2. Elle bloque le cycle cellulaire en phase G1. Le complexe rapamycine-FKBP se lie à une protéine mammalian tar get of rapamycin (mTOR), appelée aussi FRAP ou RAFT.
Cette protéine a une activité d’autophosphorylation sur les
résidus sérines. Elle contrôle l’activité d’une protéine kinase,
la p70S6k, et la phosphorylation d’une protéine qui inhibe le
début de la traduction, la 4E-BP1. Le blocage de p70S6k, qui
phosphoryle la protéine ribosomique S6 impliquée dans l’activation de l’étape d’initiation, est responsable de l’inhibition
de la traduction des ARNm comprenant un domaine riche en
polypyrimidine à leur extrémité 5’. La protéine 4E-BP1, sous
sa forme phosphorylée, se dissocie de eIF4E, qui peut alors se
lier à la coiffe et mettre en route la traduction des ARNm.
La rapamycine inhibe l’induction de la phosphorylation de
4E-BP1 par les facteurs de croissance et augmente ainsi la
fraction eIF4E séquestrée, inactive dans la cellule (6).
– Utilisation clinique. Une étude de phase III chez des receveurs d’allogreffe rénale a montré que l’adjonction de rapamycine à un traitement comportant de la ciclosporine et des
corticoïdes réduit l’incidence des rejets aigus. D’autres études
sont en cours afin de vérifier cette efficacité. La dose initiale
habituellement utilisée est de 2 mg/j, ajustée aux taux sanguins compris entre 10 et 20 ng/ml. La rapamycine connaît
une grande variabilité inter- et intra-individuelle. Cette variabilité est liée à une absorption irrégulière, avec une possible
interaction avec le système des P-glycoprotéines, et à un
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métabolisme complexe. L’intervention de la voie du cytochrome P450 3A4 laisse supposer également l’existence de
nombreuses interactions médicamenteuses.
Le dérivé de la rapamycine (SDZ-RAD) est en cours d’évaluation dans plusieurs études de phase III. La dose proposée
est de 1,50 ou 3 mg/j, sans adaptation de dose. Des données
préliminaires suggèrent que son maniement serait plus aisé
que celui de la rapamycine.
Inhibiteurs de la synthèse de l’ADN (signal 3)
Ils sont utilisés comme traitements préventifs du rejet aigu.
L’azathioprine (Aza) est utilisée depuis plus de 30 ans et la
mise sur le marché d’une nouvelle molécule, le mycophénolate mofétil (MMF), a ravivé l’intérêt du blocage de cette
étape. Le développement est lié à la connaissance des voies de
synthèse des bases puriques. Un déficit en adénosine désaminase (ADA) entraîne une déficience des lymphocytes T et B,
et celui en hypoxanthine-phosphoribosyl transférase
(HGPRTase) entraîne un retard mental sans anomalies des
lymphocytes. Deux voies de synthèse, voie de novo et voie de
sauvetage (figure 4), existent donc. Les lymphocytes utilisent
préférentiellement la première et les neurones exclusivement
la seconde. Le blocage de la voie de novo inhibe la prolifération des cellules immunitaires.
Azathioprine
Voie de novo
Ribose-5P + ATP
6-MP
PRPP
synthétase
ARN
PRPP
Thio-MP
Acides
nucléiques
ARN
Voie de sauvetage
Xanthosine
Guanosine
Inosine
Guanine
Adénosine MP
MP
MP
MP
HPGRTase
IMP déshydrogénase
Adénosine désaminase
GMP
synthétase
(Lesch-Nyhan)
(IMPDH)
(ADA)
Azathioprine
Acide mycophénolique
ADN
ADN
Figure 4. Voies de synthèse des bases puriques et mode d’action de
leurs inhibiteurs.
Azathioprine
– Mécanisme d’action. Synthétisée en 1961 par G. Elion,
l’azathioprine est un dérivé imidazolé de la 6-mercaptopurine,
qui est l’analogue d’une base purique, l’hypoxanthine.
L’action de l’azathioprine porte davantage sur les cellules T
que sur les cellules B. Le mécanisme d’action est complexe,
par inhibition de la synthèse de novo des purines et perturbation de l’interconversion de ces bases bloquant la synthèse
d’ADN et le passage en phase S. Ce sont les différents métabolites de l’azathioprine, surtout l’acide thioinosinique et les
nucléotides dérivés de la 6-thioguanine, qui vont être actifs.
L’acide thioinosinique inhibe par un pseudo-feedback la
phosphoribosyl-pyrophosphate amidotransférase (PRPP) et
d’autres enzymes de l’interconversion des base puriques. La
6-thioguanine et d’autres dérivés sont des pseudo-nucléotides
intégrés à l’ADN qui sont cytotoxiques et entraînent des cassures chromosomiques ainsi que des anomalies des acides
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nucléiques.
– Utilisation clinique. L’azathioprine est utilisée comme traitement adjuvant pour la prévention des rejets aigus. À la dose
de 2 à 3 mg/kg/j, elle est administrée en une prise quotidienne. Son intérêt clinique est difficile à préciser. Une méta-analyse récente n’a pas mis en évidence de diminution de fréquence des pertes de greffon et de l’incidence de rejet aigu en
cas d’utilisation d’azathioprine. Cependant, le suivi des données du registre de transplantation laisse supposer une efficacité à long terme d’un traitement double par azathioprine et
ciclosporine.
Sa toxicité est hépatique et médullaire. L’azathioprine est responsable d’hépatites cholestatiques réversibles, de pélioses,
de maladies veino-occlusives ou d’hyperplasie nodulaire
régénérative. Le rôle favorisant d’une co-infection virale B ou
C est probable. La myélotoxicité porte surtout sur la lignée
blanche mais est aussi responsable d’anémie normocytaire ou
macrocytaire et de thrombopénies. Une diminution des globules blancs nécessite la diminution, voire l’arrêt, du traitement. Plus rarement, il existe des aplasies médullaires favorisées par l’association à l’allopurinol ou la présence d’une activité basse d’une enzyme du métabolisme, la thiopurine
méthyl transférase (TPMT), chez 0,3 % de la population. La
mesure de l’activité de la TPMT peut servir au suivi pharmacodynamique de l’azathioprine (7). Enfin, le rôle à long terme
des cassures chromosomiques sur le potentiel cancérigène de
l’azathioprine reste discuté.
Mycophénolate mofétil (8)
– Mécanisme d’action. Le MMF est un inhibiteur réversible,
spécifique et non compétitif de l’enzyme inosine monophosphate déshydrogénase (IMPDH). L’IMPDH est une des
enzymes clés de la synthèse de novo des bases puriques.
L’efficacité du MMF repose sur une action antiproliférative
des lignées lymphocytaires T et B et sur des propriétés comme
l’inhibition de la sécrétion d’anticorps, l’inhibition de la glycosylation des molécules d’adhésion et l’inhibition de la prolifération des cellules musculaires lisses de la paroi vasculaire.
Cette dernière propriété pourrait être intéressante pour la prévention du rejet chronique.
– Utilisation clinique. À la dose de 2 g/j per os en deux prises,
il n’est pas nécessaire, en pratique courante, d’effectuer des
dosages sanguins. Trois études multicentriques, contrôlées,
randomisées et en double aveugle chez plus de 1 500 patients
ont montré que l’utilisation du MMF permet de diminuer
d’environ 50 % l’incidence des rejets aigus, même s’il n’a pas
été mis en évidence d’amélioration statistiquement significative de la survie des patients et/ou des greffons. Une voie de
recherche particulièrement intéressante est la diminution ou
l’arrêt d’autres traitements immunosuppresseurs, en particulier la ciclosporine, diminuant ainsi la néphrotoxicité chronique. Un suivi à moyen terme de ces patients est cependant
nécessaire avant de tirer des conclusions claires.
En ce qui concerne les effets indésirables, le MMF a un profil de tolérance identique à celui de l’azathioprine. Une men201
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tion particulière doit être noter pour les troubles digestifs à
type de douleurs et/ou de troubles du transit, habituellement
réversibles à l’arrêt ou à la diminution des doses. Le mécanisme de ces troubles n’est pas connu. Le MMF peut être utilisé
sans risque en association avec l’allopurinol.
TRAITEMENTS IMMUNOSUPPRESSEURS BIOLOGIQUES
Les agents immunosuppresseurs biologiques sont utilisés par
voire parentérale. Ils sont réservés au traitement d’induction,
c’est-à-dire à la prévention initiale des épisodes de rejet aigu,
et au traitement des épisodes de rejet grave, résistant au traitement corticoïde initial. Il s’agit soit d’anticorps polyclonaux
antilymphocytaires (sérum antilymphocytaire ou SAL) soit
d’anticorps monoclonaux (AcMo) natifs, chimériques ou
humanisés.
Le SAL est produit en immunisant un animal, lapin ou cheval,
avec des thymocytes, des lymphocytes du canal thoracique ou
des lymphoblastes humains. Après immunisation, les anticorps produits sont purifiés et la fraction IgG est en règle utilisée. C’est un mélange d’anticorps dont les cibles antigéniques ne sont pas bien définies. Les AcMo reconnaissent,
eux, un seul épitope. Ils sont produits en immunisant un animal, souvent une souris, avec un antigène spécifique. Les
lymphocytes B sont ensuite fusionnés in vitro avec des cellules myélomateuses afin d’obtenir une lignée stable, ou
hybridome. Chaque hybridome produira ainsi un seul type
d’anticorps de spécificité et d’affinité connues. Afin de pallier
le risque d’immunisation contre les fractions “animales” des
anticorps, la modification génétique des anticorps est effectuée en incluant des fractions d’origine humaine. Pour les
anticorps chimériques, les régions constantes d’origine
humaine sont associées aux régions variables d’origine animale. Pour les anticorps humanisés, seules les régions hypervariables impliquées directement dans la reconnaissance de
l’antigène (complementary-determining regions ou CDRs)
sont d’origine animale (figure 5).
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Anticorps polyclonaux antilymphocytaires (SAL)
Il s’agit d’un “mélange” d’anticorps intervenant à différentes
étapes de la réponse immunitaire, principalement la reconnaissance et l’activation du lymphocyte T (signal 1) mais
aussi dans la transduction du message prolifératif (signal 3).
– Mécanismes d’action. Le SAL entraîne une lymphopénie
portant essentiellement sur les cellules T. Le mécanisme principal d’élimination est l’opsonisation des lymphocytes T et
leur phagocytose par le système réticulo-endothélial. Une
inactivation cellulaire par recouvrement et/ou modulation
antigénique (disparition des récepteurs de la surface cellulaire) peut également intervenir. Par ailleurs, une inhibition des
phénomènes d’adhésion et de transduction du signal participe
à l’action immunosuppressive.
– Utilisation clinique. En traitement préventif, le SAL est perfusé dans une veine centrale pendant une à trois semaines
après la transplantation. Les doses sont variables selon les
équipes et le SAL utilisé. Une adaptation est possible selon le
taux circulant de lymphocytes, totaux ou sous-population,
afin de diminuer le risque de “sur-immunosuppression”. En
traitement curatif d’un épisode de rejet grave, le même schéma thérapeutique est utilisé pour une durée de dix jours.
Les effets indésirables sont nombreux. Ils sont secondaires à
l’injection d’une molécule xénogénique (réactions fébriles
jusqu’à la maladie sérique par dépôt des complexes immuns
circulants) ou liés à la puissance immunosuppressive (augmentation du risque d’infection, surtout virale, et en particulier à CMV).
Anticorps monoclonaux
Anticorps anti-CD3 (OKT3). Cet AcMo a longtemps été le
seul utilisé en clinique humaine. Indiqué dans les rejets corticorésistants, il est utilisé comme traitement préventif initial de
rejet, surtout en Amérique du Nord.
– Mécanismes d’action. Il s’agit d’un AcMo d’origine murine
dirigé contre la chaîne ε du complexe CD3. La disparition
rapide, en périphérie, de toutes les cellules CD3+ est due en
partie à une déplétion mais aussi à un recouvrement et à une
modulation antigénique.
Figure 5. Production et modification des anticorps polyclonaux et
monoclonaux.
202
– Utilisation clinique. C’est un immunosuppresseur extrêmement puissant utilisé à la dose de 5 mg/j pendant 10 à 15 jours.
Son efficacité peut être vérifiée par la recherche d’anticorps
libres et/ou par l’absence de cellules CD3+ dans le sang périphérique.
Parmi les effets indésirables peut survenir une immunisation
dès le huitième jour, avec un pic de fréquence vers le vingtcinquième jour. Cette immunisation, retrouvée chez 40 à
80 % des patients, peut rendre le traitement inefficace.
D’autres effets indésirables peuvent être observés. Il s’agit
surtout d’une réaction initiale après les premières injections,
se caractérisant par la survenue d’une fièvre, de frissons, de
vomissements et de céphalées. Cette réaction de “première
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dose” est secondaire à une activation lymphocytaire transitoire induisant la production et le relargage de nombreuses
cytokines (9). Les AcMo anti-CD3 sont responsables d’une
immunosuppression intense associée à une augmentation du
risque infectieux, en particulier viral.
Anticorps anti-récepteur de l’IL2 (IL2R) (basiliximab,
daclizumab)
– Mécanismes d’action. Le récepteur de l’IL2 est composé de
trois chaînes associées à la surface pour former un récepteur
de haute affinité. Ces anticorps se fixent sur la chaîne α du
récepteur et inhibent ainsi le signal 3 en bloquant le signal de
prolifération.
– Utilisation clinique. On savait que des AcMo d origine animale dirigés contre cette cible étaient efficaces pour prévenir
le rejet aigu avec une bonne tolérance. L’immunisation contre
la partie animale de l’AcMo limitait l’intérêt clinique de ces
produits. Deux anticorps, l’un chimérique (basiliximab) et
l’autre humanisé (daclizumab), ont récemment démontré leur
excellente efficacité et tolérance dans des études de phase III.
Ils diminuent significativement l’incidence des rejets aigus,
sans augmentation des événements indésirables (10, 11). Ils
sont actuellement en cours d’enregistrement, et il est trop tôt
pour connaître leur place exacte dans l’arsenal du traitement
initial pour la prévention du rejet. Fait remarquable, ils ne
sont pas responsables d’une augmentation des effets indésirables liés au pouvoir immunosuppresseur, s’approchant pour
la première fois d’une immunosuppression plus spécifique.
poser des traitements spécifiques de chaque étape de cette
réponse. La modulation d’autres voies est en cours d’exploration, en particulier celle de la costimulation par une protéine
de fusion, le CTLA4Ig.
Avant que les protocoles d’induction de tolérance deviennent
efficaces, trois points sont particulièrement sensibles. Tout
d’abord, les traitements devront démontrer leur bonne tolérance, tant en période aiguë qu’à long terme. Ensuite, une
définition des associations synergiques ou antagonistes d’immunosuppresseurs est nécessaire. Enfin, la puissance doit
s’accompagner d’une surveillance. Cette surveillance n’est
actuellement que pharmacocinétique, par des taux sanguins.
Un véritable suivi pharmacodynamique est nécessaire afin de
proposer une immunosuppression “à la carte”, adaptée aux
caractéristiques de chaque patient greffé.
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5. Thervet E., Legendre C. Complications vasculaires de la ciclosporine. Sang
Thrombose Vaisseaux 1998 ; 10 : 158-65.
Autres anticorps monoclonaux. De nombreux anticorps
dirigés contre différents déterminants de la réponse immunitaire sont en cours d’évaluation. Parmi ceux-ci, on peut citer
un anticorps anti-LFA1 qui est dirigé contre une molécule
d’adhésion présente à la surface du lymphocyte T.
L’importance de ces molécules pour les phénomènes de rejet
aigu et les lésions d’ischémie laisse espérer une bonne efficacité.
6. Beretta L., Grolleau A. La rapamycine : identification d’une nouvelle voie de
CONCLUSION
9. Ortho multicenter transplant study group. A randomized clinical trial of OKT3
L’arsenal immunosuppresseur s’est élargi au cours des dernières années. Cette amélioration a porté sur la prévention et
le traitement des épisodes de rejet aigu. Elle devra démontrer
son influence sur la survie des patients et des greffons à long
terme. L’amélioration des connaissances immunologiques a
permis de mieux disséquer la réponse immunitaire pour pro-
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 9 - novembre 1998
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