T H É R A P E U T I Q U E Les traitements immunosuppresseurs dans les transplantations d’organes solides E. Thervet, Ch. Legendre* RÉSUMÉ. Les dernières années ont été marquées par l’apparition de nouveaux traitements immunosuppresseurs utilisés pour prévenir et/ou traiter les épisodes de rejet aigu. La connaissance des mécanismes immunologiques responsables des phénomènes de rejet a permis de développer ces traitements, d’origine chimique ou biologique, afin de bloquer le plus spécifiquement possible chaque étape de la réponse immune. Cette connaissance permet également une réflexion sur les associations de thérapeutiques les plus judicieuses. Ces avan cées ne doivent pas cacher les difficultés à surmonter pour répondre aux défis de l’avenir : une immunosuppression la plus sélective pos sible, présentant le moins possible d’effets indésirables, et l’amélioration à long terme de la survie des allogreffes. Mots-clés : Transplantation - Immunosuppresseurs. L a transplantation d’organes solides fait partie de l’arsenal thérapeutique permettant de suppléer à l’insuffisance fonctionnelle chronique de nombreux organes comme le rein, le foie ou le cœur. Toutes ces transplantations ont été rendues possibles grâce aux progrès de la connaissance de phénomènes de rejet aigu et au développement de traitement immunosuppresseurs susceptibles de les prévenir ou de les traiter. Malgré cet arsenal thérapeutique, de nombreux problèmes subsistent : manque d’organes à greffer et baisse de la qualité des organes prélevés d’une part ; absence d’amélioration notable des résultats à long terme en raison du rejet chronique et des complications (cardiovasculaires ou carcinologiques) d’autre part. Seule une immunosuppression ciblée ou l’induction d’une tolérance immunologique permettra d’éviter ces complications chroniques, qui sont la première cause de perte de greffon à long terme. Cellule allogénique (greffon) Antigènes Antigène HLA I Antigène HLA II CD4 CD8 IL4 CD8 IL2R IL2R Prolifération Prolifération Différenciation Différenciation CD4 IL2 IL6 activées Cellules B Différenciation IL2R Prolifération Macrophage TRANSPLANTATION D’ORGANES ET PHÉNOMÈNES DE REJET (figure 1) (1) Les mécanismes sont communs à tous les types d’organes greffés, mais leurs conséquences sont spécifiques : augmentation de la créatinine en transplantation rénale, cholestase ou cytolyse en transplantation hépatique, découverte histologique en transplantation cardiaque. Le système immunitaire a pour rôle principal de protéger l’individu contre toute substance étrangère. Cette réponse, néfaste lors d’une transplantation d’organe, doit être inhibée. Les mécanismes immunitaires peuvent se schématiser en différentes phases. La phase de reconnaissance est celle de la présentation de l’antigène étranger, soit le complexe majeur * Service de néphrologie et transplantation rénale, Hôpital Saint-Louis. 1, avenue Claude-Vellefaux, 75475 Paris Cedex 10. 198 Molécules d’adhésion Cellules du greffon Figure 1. Représentation schématique de la réponse allo-immune. d’histocompatibilité (CMH) lui-même (présentation directe), soit des peptides dérivés de celui-ci (présentation indirecte), aux lymphocytes T. La phase d’activation du lymphocyte T auxiliaire entraîne la transcription et la libération de facteurs de coopération cellulaire et la prolifération des cellules. Durant la phase effectrice, les cellules adhèrent à l’endothélium vasculaire du greffon et l’infiltrent pour le détruire. On peut replacer les différents traitements immunosuppresseurs dans ce schéma de l’activation et de la prolifération lymphocytaire (figure 2, p. 199). Le premier signal est celui de la reconnaissance de l’antigène et de l’activation cellulaire, en particulier par des signaux calcium-dépendants de la voie de la calcineurine. L’activation va induire la translocation La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 9 - novembre 1998 nucléaire de facteurs de transcription, tel le NF-AT, et l’induction de la transcription de gènes codant pour des cytokines. Un deuxième signal de costimulation par des molécules comme CD28 est nécessaire. En son absence, un état d’anergie est décrit. Le signal 3 est celui de la fixation de cytokines sur leur récepteur, qui va faire entrer la cellule en cycle cellulaire. Figure 2. Place des immunosuppresseurs dans la réponse immune d’allogreffe. TRAITEMENTS IMMUNOSUPPRESSEURS CHIMIQUES Inhibiteurs de la synthèse des cytokines (signal 1) Glucocorticoïdes. L’utilisation des corticoïdes en transplantation remonte au début des années 60. Ils restent encore très utilisés pour le traitement préventif et curatif de première intention des épisodes de rejet aigu. – Mécanismes d’action. Les corticoïdes se fixent sur un récepteur intracellulaire spécifique, sont ensuite transloqués dans le noyau et induisent la synthèse d’une protéine IκΒα. Cette protéine va inhiber la translocation nucléaire de NF-κB, l’un des facteurs de transcription des cytokines. D’autres effets sur la réponse immune ont aussi été avancés (2). Les effets immunosuppresseurs des corticoïdes sont surtout liés à la diminution de l’expression de cytokines (IL1, IL6 et IL2 et interféron-γ [INF-γ]). Les effets anti-inflammatoires, par inhibition de la synthèse de prostaglandines et de leucotriènes, les rendent efficaces pour le traitement des rejets avérés. Inhibiteurs de la calcineurine [ciclosporine et tacrolimus]. La ciclosporine, isolée à partir de Tolypocladium inflatum gams, et dont Borel mit en évidence les propriétés immunosuppressives en 1972, est utilisée depuis 1978 en transplantation. Elle est devenue au cours du temps, malgré ses effets indésirables, l’immunosuppresseur de référence. Le tacrolimus est un antibiotique de la famille des macrolides. Malgré une structure différente, il a un mode d’action similaire à celui de la ciclosporine. – Mécanismes d’action (figure 3). La stimulation des lymphocytes T, en présence du signal 2, entraîne une cascade de réactions intracytoplasmiques qui aboutissent à l’augmentation intracellulaire de calcium. Cela induit l’activation, par la calmoduline, d’une protéine intracellulaire, la calcineurine. Cette sérine/thréonine phosphatase a pour substrat le composant cytoplasmique d’un facteur de transcription, le NF-AT. La déphosphorylation de celui-ci va faciliter sa transduction dans le noyau où, en s’associant avec le composant nucléaire, il va induire la synthèse de cytokines. L’action de la ciclosporine et du tacrolimus passe par leur fixation sur leurs cibles protéiques spécifiques de la famille des immunophilines, respectivement la cyclophiline (CyP) et la FK binding protein 12 (FKBP12). Ces protéines sont des enzymes, ou rotamases, qui sont impliquées dans l’assemblage des protéines (cette propriété n’est pas impliquée directement dans le mécanisme d’action). Les complexes ainsi formés se lient à la calcineurine et bloquent son action par interaction allostérique. La synthèse d’IL2 et de produits d’activation précoce (c-myc, IL3, IL4, GM-CSF, TNF-α et INF-γ) est inhibée. Kinase Transcription Figure 3. Mécanisme d’action des inhibiteurs de la calcineurine. – Utilisation clinique. Les corticoïdes sont utilisés comme traitement préventif du rejet à la dose initiale de 1 à 2 mg/kg/j, dose diminuée progressivement. La dose finale varie entre 5 mg et 15 mg/j. Les corticoïdes peuvent être arrêtés après le troisième mois. La décision d’arrêt nécessite cependant une surveillance accrue en raison du risque de rejet, et un doute subsiste sur les résultats à long terme de tels protocoles. En traitement curatif, c’est la méthylprednisolone utilisée par voie i.v. qui est utilisée, avec parfois une augmentation transitoire du traitement per os. Les effets indésirables liés aux actions glucocorticoïdes et minéralocorticoïdes sont bien connus. La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 9 - novembre 1998 – Utilisation clinique. La ciclosporine est utilisée pour la prévention des épisodes de rejet aigu, associée aux autres traitements immunosuppresseurs. La dose initiale per os, comprise entre 5 et 10 mg/kg/j, est adaptée secondairement aux taux plasmatiques. Même si des discussions existent sur l’utilité d’un dosage au “pic”, c’est le taux résiduel qui est utilisé en pratique. On retient souvent des taux sur sang total compris entre 150 et 250 ng/ml à la phase initiale et entre 100 et 150 ng/ml à long terme. Plusieurs facteurs expliquent la grande variabilité interet intra-individuelle. La ciclosporine, molécule lipophile, a une 199 T H É R A P biodisponibilité très variable. L’introduction d’une nouvelle forme galénique de ciclosporine, en micro-émulsion, a l’avantage théorique de permettre l’obtention d’un profil pharmacocinétique plus reproductible entre les patients et pour le même patient (3). Son utilité clinique, pour la tolérance comme pour l’efficacité, reste à démontrer. De plus, la ciclosporine est éliminée de la cellule par la P-glycoprotéine, qui agit comme un canal transmembranaire ATP-dépendant et permet la sortie de nombreuses substances hydrophobes hors de la cellule. La Pglycoprotéine a une activité et une expression variables. La ciclosporine est métabolisée dans le foie par un membre de la famille du cytochrome P450, la forme 3A4, et au moins 24 métabolites ont déjà été isolés. Les nombreuses interférences justifient la prudence et le dosage lors de l’introduction d’un nouveau traitement (tableau I). Tableau I. Principales interactions médicamenteuses avec la ciclosporine. Augmentent les taux de ciclosporine Antibiotiques Antifongiques Inhibiteurs calciques Corticoïdes Contraceptifs oraux Diurétiques Macrolides Céphalosporines Imidazoles Nicardipine Diltiazem Furosémide Diminuent les taux de ciclosporine Antituberculeux Anticonvulsivants Sulfamides Rifampycine Phénobarbital Phénytoïne Carbamazépine Cotrimoxazole i.v. Sulfamidine Possèdent une néphrotoxicité additionnelle Antifongiques Aminosides Anticancéreux Sulfamides AINS Anti-H2 Amphotéricine B Gentamicine Tobramycine Melphalan Cotrimoxazole per os Diclofénac Indométacine Ranitidine Initialement réservé au traitement des rejets résistant aux corticoïdes, le tacrolimus a démontré son efficacité dans la prévention du rejet aigu (4). La dose initiale per os est comprise entre 0,20 et 0,30 mg/kg/j en deux prises. Comme pour la ciclosporine, la dose initiale doit être adaptée aux taux plasmatiques (15 à 20 ng/ml en période initiale puis 10 à 15 ng/ml). La variabilité provient d’une médiocre hydrosolubilité, d’une absorption faible et variable et du polymorphisme de la P-glycoprotéine. Le métabolisme hépatique est assuré par le cytochrome P450 3A4. Plus de 17 métabolites ont déjà été isolés et les interactions médicamenteuses sont nombreuses. La toxicité de ces deux molécules est comparable. Elle est liée en partie à l’inhibition de la calcineurine dans d’autres cellules. On peut citer les complications cutanées (hypertrichose) 200 E U T I Q U E et muqueuses (hypertrophie gingivale) de la ciclosporine et les effets neurologiques (tremblement) et métaboliques (diabète) du tacrolimus. Une attention particulière doit être portée aux complications rénales et vasculaires de la ciclosporine (5). Cette toxicité peut participer à la nécrose tubulaire initiale après transplantation rénale, se manifester par des épisodes d’insuffisance rénale aiguë réversibles ou se traduire par une insuffisance rénale progressive et définitive. Ces manifestations s’expliquent par une vasoconstriction intra-rénale, des lésions endothéliales directes et/ou l’augmentation de cytokines profibrosantes telles que le TGF-ß. La néphrotoxicité chronique peut être difficile à différencier du rejet chronique. L’hypertension artérielle et les troubles lipidiques sont fréquents. La toxicité rénale et vasculaire du tacrolimus est semblable. La moindre proportion des troubles lipidiques induits mérite d’être soulignées. Inhibiteurs de la transduction du signal des cytokines (signal 3) Rapamycine et dérivé. La rapamycine et son dérivé, le SDZ-RAD (40-0-(2-hydroxyéthyl)-rapamycine), sont en cours d’évaluation dans des études de phase III pour le traitement préventif des épisodes de rejet aigu. – Mécanismes d’action. La rapamycine (ou sirolimus) est un macrolide dont la structure est très proche de celle du tacrolimus, mais son mécanisme d’action est complètement différent. En se fixant sur le FKBP12, elle inhibe la prolifération cellulaire induite par les cytokines telles que l’IL2, l’IL3, l’IL4 et l’IL6 par une voie indépendante du calcium. Elle inhibe aussi la prolifération stimulée par le CD28, c’est-à-dire le signal 2. Elle bloque le cycle cellulaire en phase G1. Le complexe rapamycine-FKBP se lie à une protéine mammalian tar get of rapamycin (mTOR), appelée aussi FRAP ou RAFT. Cette protéine a une activité d’autophosphorylation sur les résidus sérines. Elle contrôle l’activité d’une protéine kinase, la p70S6k, et la phosphorylation d’une protéine qui inhibe le début de la traduction, la 4E-BP1. Le blocage de p70S6k, qui phosphoryle la protéine ribosomique S6 impliquée dans l’activation de l’étape d’initiation, est responsable de l’inhibition de la traduction des ARNm comprenant un domaine riche en polypyrimidine à leur extrémité 5’. La protéine 4E-BP1, sous sa forme phosphorylée, se dissocie de eIF4E, qui peut alors se lier à la coiffe et mettre en route la traduction des ARNm. La rapamycine inhibe l’induction de la phosphorylation de 4E-BP1 par les facteurs de croissance et augmente ainsi la fraction eIF4E séquestrée, inactive dans la cellule (6). – Utilisation clinique. Une étude de phase III chez des receveurs d’allogreffe rénale a montré que l’adjonction de rapamycine à un traitement comportant de la ciclosporine et des corticoïdes réduit l’incidence des rejets aigus. D’autres études sont en cours afin de vérifier cette efficacité. La dose initiale habituellement utilisée est de 2 mg/j, ajustée aux taux sanguins compris entre 10 et 20 ng/ml. La rapamycine connaît une grande variabilité inter- et intra-individuelle. Cette variabilité est liée à une absorption irrégulière, avec une possible interaction avec le système des P-glycoprotéines, et à un La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 9 - novembre 1998 métabolisme complexe. L’intervention de la voie du cytochrome P450 3A4 laisse supposer également l’existence de nombreuses interactions médicamenteuses. Le dérivé de la rapamycine (SDZ-RAD) est en cours d’évaluation dans plusieurs études de phase III. La dose proposée est de 1,50 ou 3 mg/j, sans adaptation de dose. Des données préliminaires suggèrent que son maniement serait plus aisé que celui de la rapamycine. Inhibiteurs de la synthèse de l’ADN (signal 3) Ils sont utilisés comme traitements préventifs du rejet aigu. L’azathioprine (Aza) est utilisée depuis plus de 30 ans et la mise sur le marché d’une nouvelle molécule, le mycophénolate mofétil (MMF), a ravivé l’intérêt du blocage de cette étape. Le développement est lié à la connaissance des voies de synthèse des bases puriques. Un déficit en adénosine désaminase (ADA) entraîne une déficience des lymphocytes T et B, et celui en hypoxanthine-phosphoribosyl transférase (HGPRTase) entraîne un retard mental sans anomalies des lymphocytes. Deux voies de synthèse, voie de novo et voie de sauvetage (figure 4), existent donc. Les lymphocytes utilisent préférentiellement la première et les neurones exclusivement la seconde. Le blocage de la voie de novo inhibe la prolifération des cellules immunitaires. Azathioprine Voie de novo Ribose-5P + ATP 6-MP PRPP synthétase ARN PRPP Thio-MP Acides nucléiques ARN Voie de sauvetage Xanthosine Guanosine Inosine Guanine Adénosine MP MP MP MP HPGRTase IMP déshydrogénase Adénosine désaminase GMP synthétase (Lesch-Nyhan) (IMPDH) (ADA) Azathioprine Acide mycophénolique ADN ADN Figure 4. Voies de synthèse des bases puriques et mode d’action de leurs inhibiteurs. Azathioprine – Mécanisme d’action. Synthétisée en 1961 par G. Elion, l’azathioprine est un dérivé imidazolé de la 6-mercaptopurine, qui est l’analogue d’une base purique, l’hypoxanthine. L’action de l’azathioprine porte davantage sur les cellules T que sur les cellules B. Le mécanisme d’action est complexe, par inhibition de la synthèse de novo des purines et perturbation de l’interconversion de ces bases bloquant la synthèse d’ADN et le passage en phase S. Ce sont les différents métabolites de l’azathioprine, surtout l’acide thioinosinique et les nucléotides dérivés de la 6-thioguanine, qui vont être actifs. L’acide thioinosinique inhibe par un pseudo-feedback la phosphoribosyl-pyrophosphate amidotransférase (PRPP) et d’autres enzymes de l’interconversion des base puriques. La 6-thioguanine et d’autres dérivés sont des pseudo-nucléotides intégrés à l’ADN qui sont cytotoxiques et entraînent des cassures chromosomiques ainsi que des anomalies des acides La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 9 - novembre 1998 nucléiques. – Utilisation clinique. L’azathioprine est utilisée comme traitement adjuvant pour la prévention des rejets aigus. À la dose de 2 à 3 mg/kg/j, elle est administrée en une prise quotidienne. Son intérêt clinique est difficile à préciser. Une méta-analyse récente n’a pas mis en évidence de diminution de fréquence des pertes de greffon et de l’incidence de rejet aigu en cas d’utilisation d’azathioprine. Cependant, le suivi des données du registre de transplantation laisse supposer une efficacité à long terme d’un traitement double par azathioprine et ciclosporine. Sa toxicité est hépatique et médullaire. L’azathioprine est responsable d’hépatites cholestatiques réversibles, de pélioses, de maladies veino-occlusives ou d’hyperplasie nodulaire régénérative. Le rôle favorisant d’une co-infection virale B ou C est probable. La myélotoxicité porte surtout sur la lignée blanche mais est aussi responsable d’anémie normocytaire ou macrocytaire et de thrombopénies. Une diminution des globules blancs nécessite la diminution, voire l’arrêt, du traitement. Plus rarement, il existe des aplasies médullaires favorisées par l’association à l’allopurinol ou la présence d’une activité basse d’une enzyme du métabolisme, la thiopurine méthyl transférase (TPMT), chez 0,3 % de la population. La mesure de l’activité de la TPMT peut servir au suivi pharmacodynamique de l’azathioprine (7). Enfin, le rôle à long terme des cassures chromosomiques sur le potentiel cancérigène de l’azathioprine reste discuté. Mycophénolate mofétil (8) – Mécanisme d’action. Le MMF est un inhibiteur réversible, spécifique et non compétitif de l’enzyme inosine monophosphate déshydrogénase (IMPDH). L’IMPDH est une des enzymes clés de la synthèse de novo des bases puriques. L’efficacité du MMF repose sur une action antiproliférative des lignées lymphocytaires T et B et sur des propriétés comme l’inhibition de la sécrétion d’anticorps, l’inhibition de la glycosylation des molécules d’adhésion et l’inhibition de la prolifération des cellules musculaires lisses de la paroi vasculaire. Cette dernière propriété pourrait être intéressante pour la prévention du rejet chronique. – Utilisation clinique. À la dose de 2 g/j per os en deux prises, il n’est pas nécessaire, en pratique courante, d’effectuer des dosages sanguins. Trois études multicentriques, contrôlées, randomisées et en double aveugle chez plus de 1 500 patients ont montré que l’utilisation du MMF permet de diminuer d’environ 50 % l’incidence des rejets aigus, même s’il n’a pas été mis en évidence d’amélioration statistiquement significative de la survie des patients et/ou des greffons. Une voie de recherche particulièrement intéressante est la diminution ou l’arrêt d’autres traitements immunosuppresseurs, en particulier la ciclosporine, diminuant ainsi la néphrotoxicité chronique. Un suivi à moyen terme de ces patients est cependant nécessaire avant de tirer des conclusions claires. En ce qui concerne les effets indésirables, le MMF a un profil de tolérance identique à celui de l’azathioprine. Une men201 T H É R A P tion particulière doit être noter pour les troubles digestifs à type de douleurs et/ou de troubles du transit, habituellement réversibles à l’arrêt ou à la diminution des doses. Le mécanisme de ces troubles n’est pas connu. Le MMF peut être utilisé sans risque en association avec l’allopurinol. TRAITEMENTS IMMUNOSUPPRESSEURS BIOLOGIQUES Les agents immunosuppresseurs biologiques sont utilisés par voire parentérale. Ils sont réservés au traitement d’induction, c’est-à-dire à la prévention initiale des épisodes de rejet aigu, et au traitement des épisodes de rejet grave, résistant au traitement corticoïde initial. Il s’agit soit d’anticorps polyclonaux antilymphocytaires (sérum antilymphocytaire ou SAL) soit d’anticorps monoclonaux (AcMo) natifs, chimériques ou humanisés. Le SAL est produit en immunisant un animal, lapin ou cheval, avec des thymocytes, des lymphocytes du canal thoracique ou des lymphoblastes humains. Après immunisation, les anticorps produits sont purifiés et la fraction IgG est en règle utilisée. C’est un mélange d’anticorps dont les cibles antigéniques ne sont pas bien définies. Les AcMo reconnaissent, eux, un seul épitope. Ils sont produits en immunisant un animal, souvent une souris, avec un antigène spécifique. Les lymphocytes B sont ensuite fusionnés in vitro avec des cellules myélomateuses afin d’obtenir une lignée stable, ou hybridome. Chaque hybridome produira ainsi un seul type d’anticorps de spécificité et d’affinité connues. Afin de pallier le risque d’immunisation contre les fractions “animales” des anticorps, la modification génétique des anticorps est effectuée en incluant des fractions d’origine humaine. Pour les anticorps chimériques, les régions constantes d’origine humaine sont associées aux régions variables d’origine animale. Pour les anticorps humanisés, seules les régions hypervariables impliquées directement dans la reconnaissance de l’antigène (complementary-determining regions ou CDRs) sont d’origine animale (figure 5). E U T I Q U E Anticorps polyclonaux antilymphocytaires (SAL) Il s’agit d’un “mélange” d’anticorps intervenant à différentes étapes de la réponse immunitaire, principalement la reconnaissance et l’activation du lymphocyte T (signal 1) mais aussi dans la transduction du message prolifératif (signal 3). – Mécanismes d’action. Le SAL entraîne une lymphopénie portant essentiellement sur les cellules T. Le mécanisme principal d’élimination est l’opsonisation des lymphocytes T et leur phagocytose par le système réticulo-endothélial. Une inactivation cellulaire par recouvrement et/ou modulation antigénique (disparition des récepteurs de la surface cellulaire) peut également intervenir. Par ailleurs, une inhibition des phénomènes d’adhésion et de transduction du signal participe à l’action immunosuppressive. – Utilisation clinique. En traitement préventif, le SAL est perfusé dans une veine centrale pendant une à trois semaines après la transplantation. Les doses sont variables selon les équipes et le SAL utilisé. Une adaptation est possible selon le taux circulant de lymphocytes, totaux ou sous-population, afin de diminuer le risque de “sur-immunosuppression”. En traitement curatif d’un épisode de rejet grave, le même schéma thérapeutique est utilisé pour une durée de dix jours. Les effets indésirables sont nombreux. Ils sont secondaires à l’injection d’une molécule xénogénique (réactions fébriles jusqu’à la maladie sérique par dépôt des complexes immuns circulants) ou liés à la puissance immunosuppressive (augmentation du risque d’infection, surtout virale, et en particulier à CMV). Anticorps monoclonaux Anticorps anti-CD3 (OKT3). Cet AcMo a longtemps été le seul utilisé en clinique humaine. Indiqué dans les rejets corticorésistants, il est utilisé comme traitement préventif initial de rejet, surtout en Amérique du Nord. – Mécanismes d’action. Il s’agit d’un AcMo d’origine murine dirigé contre la chaîne ε du complexe CD3. La disparition rapide, en périphérie, de toutes les cellules CD3+ est due en partie à une déplétion mais aussi à un recouvrement et à une modulation antigénique. Figure 5. Production et modification des anticorps polyclonaux et monoclonaux. 202 – Utilisation clinique. C’est un immunosuppresseur extrêmement puissant utilisé à la dose de 5 mg/j pendant 10 à 15 jours. Son efficacité peut être vérifiée par la recherche d’anticorps libres et/ou par l’absence de cellules CD3+ dans le sang périphérique. Parmi les effets indésirables peut survenir une immunisation dès le huitième jour, avec un pic de fréquence vers le vingtcinquième jour. Cette immunisation, retrouvée chez 40 à 80 % des patients, peut rendre le traitement inefficace. D’autres effets indésirables peuvent être observés. Il s’agit surtout d’une réaction initiale après les premières injections, se caractérisant par la survenue d’une fièvre, de frissons, de vomissements et de céphalées. Cette réaction de “première La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 9 - novembre 1998 dose” est secondaire à une activation lymphocytaire transitoire induisant la production et le relargage de nombreuses cytokines (9). Les AcMo anti-CD3 sont responsables d’une immunosuppression intense associée à une augmentation du risque infectieux, en particulier viral. Anticorps anti-récepteur de l’IL2 (IL2R) (basiliximab, daclizumab) – Mécanismes d’action. Le récepteur de l’IL2 est composé de trois chaînes associées à la surface pour former un récepteur de haute affinité. Ces anticorps se fixent sur la chaîne α du récepteur et inhibent ainsi le signal 3 en bloquant le signal de prolifération. – Utilisation clinique. On savait que des AcMo d origine animale dirigés contre cette cible étaient efficaces pour prévenir le rejet aigu avec une bonne tolérance. L’immunisation contre la partie animale de l’AcMo limitait l’intérêt clinique de ces produits. Deux anticorps, l’un chimérique (basiliximab) et l’autre humanisé (daclizumab), ont récemment démontré leur excellente efficacité et tolérance dans des études de phase III. Ils diminuent significativement l’incidence des rejets aigus, sans augmentation des événements indésirables (10, 11). Ils sont actuellement en cours d’enregistrement, et il est trop tôt pour connaître leur place exacte dans l’arsenal du traitement initial pour la prévention du rejet. Fait remarquable, ils ne sont pas responsables d’une augmentation des effets indésirables liés au pouvoir immunosuppresseur, s’approchant pour la première fois d’une immunosuppression plus spécifique. poser des traitements spécifiques de chaque étape de cette réponse. La modulation d’autres voies est en cours d’exploration, en particulier celle de la costimulation par une protéine de fusion, le CTLA4Ig. Avant que les protocoles d’induction de tolérance deviennent efficaces, trois points sont particulièrement sensibles. Tout d’abord, les traitements devront démontrer leur bonne tolérance, tant en période aiguë qu’à long terme. Ensuite, une définition des associations synergiques ou antagonistes d’immunosuppresseurs est nécessaire. Enfin, la puissance doit s’accompagner d’une surveillance. Cette surveillance n’est actuellement que pharmacocinétique, par des taux sanguins. Un véritable suivi pharmacodynamique est nécessaire afin de proposer une immunosuppression “à la carte”, adaptée aux caractéristiques de chaque patient greffé. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Halloran P.F. The immune response to an organ transplant. In : Wood K. (éd.). The handbook of transplant immunology. MedSci Publications 1995 ; 23-55. 2. Wilckens T., De Rijk R. Glucocorticoids and immune function : unknown dimensions and new frontiers. Immunol Today 1997 ; 18 : 418-24. 3. Holt D.W., Johnston A. Cyclosporine microemulsion. A guide to usage and monitoring. Biodrugs 1997 ; 7 : 175-97. 4. 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Cette amélioration a porté sur la prévention et le traitement des épisodes de rejet aigu. Elle devra démontrer son influence sur la survie des patients et des greffons à long terme. L’amélioration des connaissances immunologiques a permis de mieux disséquer la réponse immunitaire pour pro- La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 9 - novembre 1998 signalisation des facteurs de croissance, réglant le début de la traduction. Med Sci 1998 ; 14 : 600-2. 7. Mircheva J., Legendre CH., Soria-Royer C., Thervet E., Beaune P, Kreis H. Monitoring of azathioprine-induced immunosuppression with thiopurine methyl transferase activity in kidney transplant recipients. Transplantation 1995 ; 60 : 639-42. 8. Fulton B, Markham A. Mycophenolate mofetil. A review of its pharmacodyna mic and pharmacokinetic properties and clinical efficacy in renal transplantation. Drugs 1996 ; 51 : 278-298. monoclonal antibody for acute rejection of cadaveric renal transplants. N Engl J Med 1985 ; 313 : 337-42. 10. 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