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Résumé
Ce travail s’emploie à comprendre la série de conflits sociaux dans les secteurs de l’automobile, du
transport routier et des services publics qui se sont déroulés en Grande-Bretagne lors de l’hiver 1978-
1979 et sont connus sous le nom d’« hiver du mécontentement » dans la mémoire collective.
L’hypothèse défendue est que ces conflits prennent sens et trouvent leur portée à condition d’être
analysés à la croisée de trois processus. Le premier est une crise du travaillisme, au sens de fortes
tensions politiques au sein du parti travailliste et plus généralement du mouvement ouvrier : les
orientations politiques et économiques qui s’étaient imposées depuis l’après-guerre sont minées par la
crise économique et la gestion sociale-démocrate de l’économie est contestée à la fois par un
conservatisme remobilisé par les théories néo-libérales, et par une gauche dont l’audience va
croissante. Le deuxième processus est une extension de la conflictualité sociale, non pas au sens où le
portrait traditionnel des années 1970 comme décennie du militantisme triomphant devrait être accepté,
mais dans la mesure où la période est marquée par une syndicalisation croissante et son extension à de
nouveaux secteurs d’activité, par un renforcement des structures syndicales aussi bien au niveau
national qu’au niveau local dans une logique générale de déconcentration des processus de décision,
enfin par l’apprentissage de l’action collective par de nouveaux groupes de travailleurs. La troisième
logique, enfin, est la montée de la droite thatchérienne qui puise un arsenal intellectuel renouvelé dans
les travaux des think tanks néo-libéraux. Son discours est relayé par une presse gagnée par l’anti-
collectivisme de la nouvelle droite. Ces éléments permettent de comprendre ces conflits qui, à l’hiver
1978-1979, opposent, au gouvernement travailliste arc-bouté sur la défense d’une politique de contrôle
des revenus, des groupes de travailleurs et leurs organisations syndicales pourtant pro-travaillistes. Ces
conflits donnent à voir les luttes politiques et idéologiques au sein du mouvement travailliste qui sont
résolues dans les années 1980 en faveur de l’aile droite du parti, et le rôle que la constitution
immédiate des conflits de l’hiver 1978-1979 en un mythe politique de l’« hiver du mécontentement » a
joué dans la légitimation du projet thatchérien et dans le processus de recentrage du parti travailliste.
Abstract: British trade unions in a context of crisis of Labour, extension of industrial disputes and
rise of the New Right: a critical history of the 1978-1979 « Winter of Discontent »
This thesis examines the industrial disputes which took place in the winter of 1978-1979 in a series of
sectors – car-making, road haulage and the public sector – and are remembered in collective memory
as the « Winter of Discontent ». It argues that these industrial disputes can only be properly
understood in a threefold context: first, in the context of the crisis of Labour, that is to say the acute
political and ideological tensions and divisions which emerged in the Labour Party from the beginning
of the 1970s when the political and economic assumptions which had dominated the leadership of the
party since after the War were undermined by the context of economic crisis, the neo-liberal
awakening of the Conservative Right and the resurgence of the Labour Left; secondly, in a context of
extension of industrial unrest outside of traditional trade union strongholds in manufacturing, mining
and printing and into new areas such as the public sector, which experienced a rapid unionisation of its
growing workforce in the 1970s and whose workers were on a militant learning curve throughout
those years, when public sector trade unions encouraged stronger organisation and industrial action at
the local level while battling to gain a hearing from the rest of the trade union movement at the
national level; finally, in the context of the rise of the New Right, as a number of think tanks provided
rightwingers within the Conservative Party with new ideas and arguments to criticise the trade unions,
the welfare State and the Keynesian, tripartite policies pursued in the post-War period, and as these
neo-liberal ideas found an increasing number of advocates in the press. These various elements help us
to understand the disputes of the winter of 1978-1979 as primarily a conflict about economic policy
and priorities within the labour movement as low-paid public sector workers and traditionnally loyal
trade unions were pitted against a Labour government enforcing a reduction in real wages; they also
highlight the transformation of the disputes into the political myth of the « Winter of Discontent », and
the role which this myth played in the eighteen-year rule of the Conservative Party and the so-called
modernisation of the Labour Party from the middle of the 1980s.