3
Sociétal
N° 41
3etrimestre
2003
122
Editorial
D’un empire à l’autre
l Bernard Cazes
123
Les marchés expliqués
aux marchands
l Roger Guesnerie
125
Le Robin des Bois
de Wall Street
l Charles Le Lien
130
Quand Paris
était capitale du monde
l Thierry Paquot
134
Marions-nous pour être
riches et heureux ?
l Julien Damon
138
La « culture »,
un bagage génétique ?
l Dominique Guillo
142
L’historien face
à l’abominable
l Jean-Louis Margolin
LE BILLET DE GÉRARD MOATTI
LES LIVRES ET LES IDÉES
Grèves, manifs, réformes : un printemps pourri pour l’économie
française, comme prix à payer pour un indispensable changement.
On peut, selon l’humeur, se réjouir du résultat ou déplorer son coût.
En tout cas, ces semaines pesantes nous auront peut-être appris
quelque chose sur la politique, les syndicats, et la société française.
En politique, une confirmation : vouloir faire passer plusieurs réformes
à la fois – on l’avait déjà vu en 1995 –, c’est s’exposer au risque d’offrir
aux adversaires l’occasion de faciles amalgames.
Les retraites, plus la décentralisation de quelque
110 000 fonctionnaires, plus l’autonomie des
universités, c’était beaucoup. En outre, cet encom-
brement a brouillé la perception des véritables
motivations des contestataires. Mobilisés pour
défendre leurs futures pensions, les enseignants
grévistes ont pu mettre en avant la régionalisation
(au demeurant parfaitement justifiée) d’agents
– non enseignants – en criant au « démantèlement
de l’éducation nationale ». Mais, au-delà des pré-
textes contestables, l’ampleur de leur mouvement,
les formes surprenantes, parfois désespérées qu’il a prises, n’expri-
maient-elles pas surtout le malaise d’une profession en mal de recon-
naissance sociale et doutant de ses missions ?
Les syndicats du « front du refus », eux, avaient des motivations claires.
Ceux de l’éducation nationale détestent la décentralisation, parce
que tout ce qui contrarie la « massification » de leurs troupes ébrèche
leur pouvoir. Ceux des entreprises publiques ont bien compris que
le régime de retraite des fonctionnaires était un précieux rempart
pour défendre les avantages de leurs propres régimes. Mais le prin-
cipal échec des grandes centrales réfractaires – outre leur impuis-
sance à mobiliser les salariés du privé – est d’avoir été manifestement
dépassées par une partie de leur base. Sans doute ont-elles éprouvé,
plus que jamais, la nécessité de renforcer leur légitimité pour être
des interlocuteurs forts et fiables : sur ce point, les projets de la
CGT et de la CFDT (fondant la représentativité des syndicats, pour
la signature des accords, sur les résultats des élections profession-
nelles) sont assez proches. L’expérience de juin va peut-être servir à
accélérer leur mise en œuvre.
Enfin, sur un plan plus général, la société française a commencé à
sortir du « quant-à-soi » que nous évoquions récemment dans ces
colonnes (n° 39). La devise « chacun pour soi, l’Etat pour tous » perd
de sa force quand l’avantage dont bénéficie une catégorie rompt
l’équité de façon trop voyante, et se traduit par un désavantage patent
pour d’autres catégories : c’est le cas des retraites des fonction-
naires, puisqu’elles sont directement à la charge du budget de l’Etat.
On a constaté, pour la première fois, que le soutien apporté par
l’opinion aux grévistes – naguère assez général – se fissurait sérieu-
sement. Il y a peut-être là, comme le craint le Premier ministre, le
risque d’une « déchirure sociale ». Mais aussi le signe d’une meilleure
Leçons
de printemps
Les grands syndicats
ont éprouvé, plus que
jamais, la nécessité de
renforcer leur légitimité
pour être des interlocu-
teurs forts et fiables.
I R E