Sciences au Sud n°80 - Recherches : drépanocytose ( PDF

Recherches
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Consultation d’un patient drépanocytaire dans le cadre du suivi des patients.
© CIRMF / L. Delicat
© IRD / A. Laine
Dépistage, conseil génétique et prévention
Prise en charge du Nord, dénuement du Sud
ieux vaut prévenir que guérir,
particulièrement si on ne sait
pas guérir ou si on ne dispose
pas des moyens suffi sants
pour le faire. Il en va ainsi de la dré-
panocytose, dont l’essentiel des traite-
ments consiste à soulager les malades
par une prise en charge précoce et un
suivi rigoureux, sans les guérir. « Le
dépistage et le conseil génétique sont
les meilleures armes pour limiter l’im-
pact de la maladie pour les patients,
les familles concernées et la société »,
explique l’anthropologue Doris Bonnet.
Ces approches permettent tout à la fois
de prendre en charge précocement les
symptômes, pour améliorer la qualité
et l’espérance de vie des malades, et
de réduire la pression démographique
de la maladie, en prévenant la nais-
sance d’enfants drépanocytaires. En
ce sens, les nouveau-nés issus de
parents originaires des zones à risque
sont systématiquement dépistés en
France métropolitaine depuis 20001
et le diagnostic est également proposé
aux adultes concernés. Le conseil
génétique, seul levier pour infl uer sur
l’épidémiologie de la maladie, prend
plusieurs formes, selon les circons-
tances et les techniques disponibles.
Il consiste en premier lieu à mettre
en garde les porteurs identifi és de la
mutation génétique, sur les risques
d’une union avec un conjoint égale-
ment affecté. Ces couples sont en effet
susceptibles de transmettre une forme
sévère de la maladie à 25 % de leurs
enfants. « Instaurée par les médecins
spécialisés en l’absence de politique
globale de prévention - au Nord comme
au Sud -, ce type de recommandations
est rarement évalué », note pour sa part
l’historienne Agnès Lainé, spécialiste
de la drépanocytose. Quand une gros-
sesse à risque est engagée, le conseil
génétique consiste alors à proposer
un test prénatal 2, pour déterminer le
statut du fœtus, et une interruption
médicale de grossesse si nécessaire.
Au-delà des inévitables considérations
morales engendrées par une telle déci-
sion, interviennent des jeux complexes
de représentation de la maladie. « En
Afrique, les petits malades sont souvent
considérés comme des enfants disparus
qui reviennent, ce qui est bien éloigné
de la notion européenne de handicap
majeur justifi ant une IMG, constate
Doris Bonnet. Le comportement des
femmes suivies dans les hôpitaux fran-
çais diffère d’ailleurs beaucoup, selon
leur adhésion aux normes biomédicales
ou, au contraire, leur attachement aux
valeurs psychoculturelles africaines. »
L’expérience familiale - s’il y a déjà eu
des malades dans la fratrie, la sévérité
de leur état -, contribue également
au choix d’assumer ou non un enfant
atteint de drépanocytose. Touchant
au domaine très sensible de la pro-
création, la démarche de prévention
interfère avec les valeurs familiales,
la pérennité du lignage, les capacités
matrimoniales. « Paradoxalement, la
visibilité accrue de la maladie, associée
aux progrès de la prise en charge et aux
gains en terme de survie des patients,
s’accompagne d’une forte stigmatisa-
tion des malades dans certains pays
d’Afrique. Tenus pour de mauvais partis
matrimoniaux, ils sont de plus en plus
souvent écartés de la vie sociale »,
conclut Agnès Lainé.
O
1. Le dépistage néonatal est antérieur et uni-
versel dans les départements d’Outre-mer.
2. Un examen encore très rare dans les pays
du Sud.
Contacts
UMR CEPED (IRD et Université Paris
Descartes)
UMR IMAF (IRD, CNRS, Université Paris
I Panthéon-Sorbonne, EHESS, Ecole pra-
tique des hautes études et Aix-Marseille
Université).
e destin tient souvent à peu de
chose. Celui des malades de
la drépanocytose est funeste-
ment lié à la défaillance d’un
gène codant pour la fabrication de
l’hémoglobine. Cette protéine chargée
de transporter l’oxygène dans le sang
présente, chez eux, des propriétés très
particulières. « Quand elle est désoxy-
génée, après avoir délivré son précieux
chargement dans les tissus, elle tend
à polymériser et à former de longues
fibres qui fragilisent, déforment et
rigidifi ent les globules rouges qui la
contiennent, explique Jacques Elion,
médecin spécialiste de la génétique
et de la clinique de cette maladie. La
destruction consécutive de ces cellules
sanguines provoque une anémie chro-
nique. Leur déformation entraîne une
occlusion des micro-vaisseaux, source
de crises douloureuses très intenses
et, à la longue, de complications sur de
multiples organes. » Ces obstructions
vasculaires répétitives aboutissent
notamment à l’atrophie et au dysfonc-
tionnement de la rate, laissant les
malades très vulnérables aux infec-
tions. Jusque récemment, les médecins
ne pouvaient que soigner les symp-
tômes et prévenir les complications.
« Le dépistage précoce, le traitement
antibiotique continu durant l’enfance,
l’utilisation épisodique de transfusions
pour gérer l’anémie ou sur des pro-
grammes au long cours pour prévenir
d’éventuels AV C 1 ou leur rechute et
l’usage d’un médicament favorisant
la production d’hémoglobine fœtale2
ont permis de prolonger et d’amélio-
rer signifi cativement l’existence des
patients », indique-t-il. Grâce à cette
prise en charge méthodique, les dré-
panocytaires des pays industrialisés
parviennent à l’âge adulte et peuvent
même espérer vivre une cinquantaine
d’années. La situation est très dif-
férente dans les régions moins bien
loties au plan sanitaire. Ainsi, moins
de 50 % des enfants drépanocytaires
dans les pays du Sud - où vivent 80 %
des malades - dépassent l’âge de 5 ans.
Mais aujourd’hui, la recherche scien-
tifi que et médicale ouvre des perspec-
tives très prometteuses en terme de
soins et même de guérison. « La greffe
de moelle osseuse permet désormais
de guérir cette maladie, considérée
depuis toujours comme chronique et
incurable », rapporte le spécialiste.
La technique reste toutefois déli-
cate, onéreuse et contingentée à la
disponibilité de greffons compatibles.
Des travaux sur les cellules souches,
s’employant à produire des greffons
en abondance, pourraient lever ce
dernier obstacle. Des recherches en
génie génétique visent même à réparer
le gène défaillant. Enfi n d’autres pistes
thérapeutiques, moins radicales mais
peut être plus rapidement accessibles,
ciblent les complications vasculaires
et les effets secondaires des transfu-
sions à répétition3. Fonctionnelles ou
attendues, ces approches high-tech
demeurent inenvisageables au Sud
avant longtemps, faute de moyens
matériels et techniques.
O
1. Accident vasculaire cérébral, dont le
risque est notablement accru chez ces
malades.
2. Normalement minime après la nais-
sance, elle réduit la polymérisation. L’hy-
doxycarbamide est capable de réinduire
partiellement son expression.
3. En fabriquant un sang in vitro très
compatible avec les sous-groupes des
receveurs.
Contact
UMR Inserm U1134, Université Paris
Diderot et Département de génétique de
l’Hôpital Robert Debré à Paris.
Maladie héréditaire gravissime de l’hémoglobine, la drépanocytose mine
les populations d’origine africaine et indienne. Affectant 50 millions de personnes
dans le monde et en tuant plus de 200 000 chaque année, elle constitue
un problème majeur pour les malades et leur famille,
la santé publique, la société et le développement des pays du Sud.
En quête de solutions, les scientifi ques de l’
IRD
et leurs partenaires se penchent
sur les aspects humains, sociaux, épidémiologiques et cliniques du fl éau.
Sur le front de la
drépanocytose
© Inserm
Laborantine
Couverture d’un support pédagogique sur la drépanocytose élaboré pour le Mali, en
langue Bambara.
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 80 - août / septembre / octobre 2015
l’heure où les facteurs
sociétaux paraissent régner
sur la santé, les liens entre
drépanocytose et paludisme
rappellent le rôle encore prégnant de
l’environnement sur le génome humain.
Bien connus depuis des décennies -
c’est même un cas d’école pour tous
les étudiants en biologie et génétique -,
ils sont revisités aujourd’hui par un
travail novateur de l’IRD. « Maladie
héréditaire1 liée à la mutation d’un
gène, la drépanocytose affecte les
enfants nés de deux parents porteurs
sains. En probabilité, ¼ d’entre eux
seront malades, ¼ indemnes et la
moitié porteurs sains à leur tour »,
rappelle le statisticien Eric Elguero.
Pour les infortunés malades, la vie sera
très dure, avec une anémie chronique
sévère, des douleurs terribles, des
lésions articulaires invalidantes et
une susceptibilité accrue aux infec-
tions obérant très signifi cativement
leur espérance de vie. Logiquement,
une telle mutation, aux effets aussi
délétères, aurait dû disparaître depuis
longtemps, contre-sélectionnée par
les mécanismes de l’évolution. Mais,
la condition de porteur sain procure
une protection contre les formes graves
de paludisme2. Cet « avantage » para-
doxal a hélas permis à la maladie de se
maintenir, au fi l des générations, dans
les zones où sévit le parasite. Ainsi,
une affection génétique mortelle se
trouve sélectionnée par une maladie
infectieuse non moins mortelle. Cette
funeste synergie, que le biologiste de
l’évolution François Renaud n’hésite
pas à qualifi er « d’association de mal-
faiteurs », a été mise en évidence en
comparant la répartition géographique
du parasite du paludisme et celle de la
mutation délétère dans les populations
à l’échelle du continent africain.
L’étude menée de nos jours, par les
scientifi ques de l’IRD et leurs collègues3,
s’attache à caractériser ce couplage
en temps réel. La présence de la
mutation et de la charge parasitaire est
ainsi contrôlée dans les échantillons
de sang issus d’une cohorte de 4 000
personnes couvrant tout le territoire
du Gabon. « Compte tenu de la prise
en charge répandue du paludisme,
de la baisse de la mortalité infantile
et des mouvements de populations
contemporains - autant de facteurs
susceptibles d’avoir brouillé le signal
sélectif - la question se pose de savoir
si le phénomène persiste », explique
le biologiste. De fait, il existe bien et
perdure. L’analyse du génotype des
participants et de leur état d’infection
au parasite confi rme sans équivoque le
lien étroit entre les deux affections. Ces
données révèlent aussi la structuration
géographique comparable de leur pré-
valence à l’échelle du territoire. « Il y a
21% de porteurs sains au Gabon, donc
1,1 % des enfants nés ou à naître dans
le pays sont drépanocytaires4, indique
Eric Elguero. Et si la pression du
paludisme s’accroît, leur nombre peut
augmenter en proportion. » Ces résul-
tats incitent à promouvoir des actions
couplées de prévention, de surveillance
épidémiologique et de prise en charge
des deux maladies. « La lutte contre
le paludisme peut infl échir le poids
de la drépanocytose, estime François
Renaud. Pour preuve, l’incidence de
la maladie a nettement décru dans
la population américaine d’origine
africaine, qui n’est plus soumise à la
pression du paludisme depuis plusieurs
siècles ».
O
1. A transmission autosomique récessive.
2. A Plasmodium falciparum, une maladie
sévère et répandue.
3. CNRS, CIRMF-Gabon et Université de
Californie.
4. Selon la probabilité de transmission
d’un gène récessif.
Contacts
UMR Mivegec (IRD, CNRS et Université
de Montpellier).
Association de malfaiteurs
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