Consultation d’un patient drépanocytaire dans le cadre du suivi des patients. Association de malfaiteurs Prise en charge du Nord, dénuement du Sud « Le dépistage précoce, le traitement antibiotique continu durant l’enfance, l’utilisation épisodique de transfusions pour gérer l’anémie ou sur des programmes au long cours pour prévenir d’éventuels AVC1 ou leur rechute et l’usage d’un médicament favorisant la production d’hémoglobine fœtale 2 ont permis de prolonger et d’améliorer significativement l’existence des patients », indique-t-il. Grâce à cette prise en charge méthodique, les drépanocytaires des pays industrialisés parviennent à l’âge adulte et peuvent même espérer vivre une cinquantaine d’années. La situation est très différente dans les régions moins bien loties au plan sanitaire. Ainsi, moins de 50 % des enfants drépanocytaires dans les pays du Sud - où vivent 80 % des malades - dépassent l’âge de 5 ans. Mais aujourd’hui, la recherche scientifique et médicale ouvre des perspectives très prometteuses en terme de soins et même de guérison. « La greffe de moelle osseuse permet désormais de guérir cette maladie, considérée depuis toujours comme chronique et incurable », rapporte le spécialiste. La technique reste toutefois délicate, onéreuse et contingentée à la disponibilité de greffons compatibles. Des travaux sur les cellules souches, s’employant à produire des greffons en abondance, pourraient lever ce dernier obstacle. Des recherches en génie génétique visent même à réparer le gène défaillant. Enfin d’autres pistes thérapeutiques, moins radicales mais peut être plus rapidement accessibles, ciblent les complications vasculaires et les effets secondaires des transfusions à répétition3. Fonctionnelles ou attendues, ces approches high-tech demeurent inenvisageables au Sud avant longtemps, faute de moyens matériels et techniques. O 1. Accident vasculaire cérébral, dont le risque est notablement accru chez ces malades. 2. Normalement minime après la naissance, elle réduit la polymérisation. L’hydoxycarbamide est capable de réinduire partiellement son expression. 3. En fabriquant un sang in vitro très compatible avec les sous-groupes des receveurs. Contact [email protected] UMR Inserm U1134, Université Paris Diderot et Département de génétique de l’Hôpital Robert Debré à Paris. ieux vaut prévenir que guérir, particulièrement si on ne sait pas guérir ou si on ne dispose pas des moyens suffisants pour le faire. Il en va ainsi de la drépanocytose, dont l’essentiel des traitements consiste à soulager les malades par une prise en charge précoce et un suivi rigoureux, sans les guérir. « Le dépistage et le conseil génétique sont les meilleures armes pour limiter l’impact de la maladie pour les patients, les familles concernées et la société », explique l’anthropologue Doris Bonnet. Ces approches permettent tout à la fois de prendre en charge précocement les symptômes, pour améliorer la qualité et l’espérance de vie des malades, et de réduire la pression démographique de la maladie, en prévenant la naissance d’enfants drépanocytaires. En ce sens, les nouveau-nés issus de parents originaires des zones à risque sont systématiquement dépistés en France métropolitaine depuis 20001 et le diagnostic est également proposé aux adultes concernés. Le conseil génétique, seul levier pour influer sur l’épidémiologie de la maladie, prend plusieurs formes, selon les circonstances et les techniques disponibles. Il consiste en premier lieu à mettre en garde les porteurs identifiés de la mutation génétique, sur les risques d’une union avec un conjoint également affecté. Ces couples sont en effet susceptibles de transmettre une forme sévère de la maladie à 25 % de leurs enfants. « Instaurée par les médecins spécialisés en l’absence de politique globale de prévention - au Nord comme au Sud -, ce type de recommandations est rarement évalué », note pour sa part l’historienne Agnès Lainé, spécialiste de la drépanocytose. Quand une grossesse à risque est engagée, le conseil génétique consiste alors à proposer un test prénatal 2, pour déterminer le statut du fœtus, et une interruption médicale de grossesse si nécessaire. Au-delà des inévitables considérations morales engendrées par une telle décision, interviennent des jeux complexes de représentation de la maladie. « En Afrique, les petits malades sont souvent considérés comme des enfants disparus qui reviennent, ce qui est bien éloigné de la notion européenne de handicap majeur justifiant une IMG, constate Doris Bonnet. Le comportement des femmes suivies dans les hôpitaux français diffère d’ailleurs beaucoup, selon leur adhésion aux normes biomédicales ou, au contraire, leur attachement aux valeurs psychoculturelles africaines. » L’expérience familiale - s’il y a déjà eu des malades dans la fratrie, la sévérité de leur état -, contribue également au choix d’assumer ou non un enfant atteint de drépanocytose. Touchant au domaine très sensible de la procréation, la démarche de prévention interfère avec les valeurs familiales, la pérennité du lignage, les capacités Laborantine matrimoniales. « Paradoxalement, la visibilité accrue de la maladie, associée aux progrès de la prise en charge et aux gains en terme de survie des patients, s’accompagne d’une forte stigmatisation des malades dans certains pays d’Afrique. Tenus pour de mauvais partis matrimoniaux, ils sont de plus en plus souvent écartés de la vie sociale », conclut Agnès Lainé. O © Inserm Dépistage, conseil génétique et prévention l’heure où les facteurs sociétaux paraissent régner sur la santé, les liens entre drépanocytose et paludisme rappellent le rôle encore prégnant de l’environnement sur le génome humain. Bien connus depuis des décennies c’est même un cas d’école pour tous les étudiants en biologie et génétique -, ils sont revisités aujourd’hui par un travail novateur de l’IRD. « Maladie héréditaire1 liée à la mutation d’un gène, la drépanocytose affecte les enfants nés de deux parents porteurs sains. En probabilité, ¼ d’entre eux seront malades, ¼ indemnes et la moitié porteurs sains à leur tour », rappelle le statisticien Eric Elguero. Pour les infortunés malades, la vie sera très dure, avec une anémie chronique sévère, des douleurs terribles, des lésions articulaires invalidantes et une susceptibilité accrue aux infections obérant très significativement leur espérance de vie. Logiquement, une telle mutation, aux effets aussi délétères, aurait dû disparaître depuis longtemps, contre-sélectionnée par les mécanismes de l’évolution. Mais, la condition de porteur sain procure une protection contre les formes graves de paludisme2. Cet « avantage » paradoxal a hélas permis à la maladie de se maintenir, au fil des générations, dans les zones où sévit le parasite. Ainsi, une affection génétique mortelle se trouve sélectionnée par une maladie infectieuse non moins mortelle. Cette funeste synergie, que le biologiste de l’évolution François Renaud n’hésite pas à qualifier « d’association de malfaiteurs », a été mise en évidence en comparant la répartition géographique du parasite du paludisme et celle de la mutation délétère dans les populations à l’échelle du continent africain. L’étude menée de nos jours, par les scientifiques de l’IRD et leurs collègues3, s’attache à caractériser ce couplage en temps réel. La présence de la 7 mutation et de la charge parasitaire est ainsi contrôlée dans les échantillons de sang issus d’une cohorte de 4 000 personnes couvrant tout le territoire du Gabon. « Compte tenu de la prise en charge répandue du paludisme, de la baisse de la mortalité infantile et des mouvements de populations contemporains - autant de facteurs susceptibles d’avoir brouillé le signal sélectif - la question se pose de savoir si le phénomène persiste », explique le biologiste. De fait, il existe bien et perdure. L’analyse du génotype des participants et de leur état d’infection au parasite confirme sans équivoque le lien étroit entre les deux affections. Ces données révèlent aussi la structuration géographique comparable de leur prévalence à l’échelle du territoire. « Il y a 21 % de porteurs sains au Gabon, donc 1,1 % des enfants nés ou à naître dans le pays sont drépanocytaires4, indique Eric Elguero. Et si la pression du paludisme s’accroît, leur nombre peut augmenter en proportion. » Ces résultats incitent à promouvoir des actions couplées de prévention, de surveillance épidémiologique et de prise en charge des deux maladies. « La lutte contre le paludisme peut infléchir le poids de la drépanocytose, estime François Renaud. Pour preuve, l’incidence de la maladie a nettement décru dans la population américaine d’origine africaine, qui n’est plus soumise à la pression du paludisme depuis plusieurs siècles ». O 1. A transmission autosomique récessive. 2. A Plasmodium falciparum, une maladie sévère et répandue. 3. CNRS, CIRMF-Gabon et Université de Californie. 4. Selon la probabilité de transmission d’un gène récessif. Contacts [email protected] [email protected] UMR Mivegec (IRD, CNRS et Université de Montpellier). 1. Le dépistage néonatal est antérieur et universel dans les départements d’Outre-mer. 2. Un examen encore très rare dans les pays du Sud. Contacts [email protected] UMR CEPED (IRD et Université Paris Descartes) [email protected] UMR IMAF (IRD, CNRS, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, EHESS, Ecole pratique des hautes études et Aix-Marseille Université). © IRD / A. Laine e destin tient souvent à peu de chose. Celui des malades de la drépanocytose est funestement lié à la défaillance d’un gène codant pour la fabrication de l’hémoglobine. Cette protéine chargée de transporter l’oxygène dans le sang présente, chez eux, des propriétés très particulières. « Quand elle est désoxygénée, après avoir délivré son précieux chargement dans les tissus, elle tend à polymériser et à former de longues fibres qui fragilisent, déforment et rigidifient les globules rouges qui la contiennent, explique Jacques Elion, médecin spécialiste de la génétique et de la clinique de cette maladie. La destruction consécutive de ces cellules sanguines provoque une anémie chronique. Leur déformation entraîne une occlusion des micro-vaisseaux, source de crises douloureuses très intenses et, à la longue, de complications sur de multiples organes. » Ces obstructions vasculaires répétitives aboutissent notamment à l’atrophie et au dysfonctionnement de la rate, laissant les malades très vulnérables aux infections. Jusque récemment, les médecins ne pouvaient que soigner les symptômes et prévenir les complications. Recherches Maladie héréditaire gravissime de l’hémoglobine, la drépanocytose mine les populations d’origine africaine et indienne. Affectant 50 millions de personnes dans le monde et en tuant plus de 200 000 chaque année, elle constitue un problème majeur pour les malades et leur famille, la santé publique, la société et le développement des pays du Sud. En quête de solutions, les scientifiques de l’IRD et leurs partenaires se penchent sur les aspects humains, sociaux, épidémiologiques et cliniques du fléau. © CIRMF / L. Delicat Sur le front de la drépanocytose Couverture d’un support pédagogique sur la drépanocytose élaboré pour le Mali, en langue Bambara. Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 80 - août / septembre / octobre 2015