Observateur, qui se revendique hebdomadaire de gauche (et qui ne fait pas que le revendiquer : qui
suinte le socialisme comme un sport collectif la sueur) fait circuler auprès des média-planning des
analyses discriminantes de son lectorat en insistant sur le nombre élevé de véhicules 4x4 qu'il
possède, ou de semaines aux Bahamas qu'il consomme. Si le petit peuple est mal informé, c'est
parce que les médias le fuient. Vu le contenu des médias, le petit peuple aurait tout lieu de s'en
réjouir. Etre respecté par Nintendo rend sans doute plus heureux que de consommer la presse
gauchiste.
Enfin, dernier principe diabolique : c'est la qualité qui s'ajuste au prix. Si un journal vaut trois euros
et que les recettes publicitaires permettent de le vendre moitié moins cher, soit un euro cinquante,
très rapidement le journal vaudra véritablement un euro cinquante. Car la direction, la rédaction, la
maquette, tout le monde s'ajustera et en donnera bien vite au client lecteur pour autant que le prix
qu'il y met. C'est bien normal : il faut lui faire cracher un euro cinquante ; on lui en donne donc pour
un euro cinquante. La quantité de papier sera peut-être double en effet, mais c'est alors la qualité
rédactionnelle qui sera divisée par quatre. Il n'y aura plus alors qu'à afficher quelques faux scandales
en couverture pour faire exploser les chiffres de vente, mais cette drogue fera comme de juste
descendre chaque jour plus bas le titre. Semaine après semaine, Le Canard Enchaîné s'efforce d'en
donner pour un euro et vingt centimes à ses lecteurs. Pour relever ce challenge, ses salariés sont
parmi les mieux payés de toute la presse française. Les meilleurs caricaturistes se bousculent pour y
coller leurs dessins, et les journalistes des autres journaux viennent y placer leurs scoops.
La pub c'est aussi fun et cool !
Il n'est pas question ici de faire le procès de la publicité. Que les entreprises puissent s'exprimer
librement, défendre leur travail et ajouter leur voix au concert de l'information est à n'en pas douter
une des caractéristiques les plus flagrantes des sociétés ouvertes. Il est souhaitable qu'elles puissent
trouver facilement des vecteurs populaires pour y médiatiser leurs offres ou leurs points de vue sur
le marché ou sur le monde, et la publicité est indiscutablement nécessaire au bon fonctionnement de
la concurrence2. Je n'appelle enfin, vous l'aurez compris, à aucune législation particulière pour
2 Il existe peu d'études économiques rigoureuses de la publicité, mais il serait injuste de ne pas citer l'excellent livre de
Robert B. Ekelund Jr et feu David S. Saurman : Advertising and the Market Process ; 1988 (trad. franç. par Guy
Millière : Publicité et Economie de Marché ; Ed. Litec ; Coll. Liberalia ; 1992). Leur étude, menée aux Etats-Unis
montre, entre autres :
- Que l'information est achetée avec le produit et que l'une et l'autre forment un ensemble indissociable.
- Que la publicité permet au consommateur de satisfaire ses désirs sans se fatiguer à rechercher l'information avec au
final une économie de temps.
- Qu'elle est un moyen d'information nécessaire au bon fonctionnement de la concurrence, qu'elle fait baisser les prix
(même en y intégrant la part consacrée à la publicité) et améliore la qualité des produits et des services.
- Qu'elle ne crée pas de fidélité à la marque (les secteurs les plus investis par la publicité étant ceux où les clients se
montrent les plus versatiles).
Un des enseignements les plus intéressants de ce livre est en effet que contrairement à une idée reçue, la publicité
favorise les petits plutôt que les gros. Ce qu'on voit, bien sûr, c'est qu'un petit nombre de marque : Apple, Samsung,
Volkswagen, etc. semblent "monopoliser" la plus large part de l'espace publicitaire. Ce qui peut laisser l'impression que
de plus petites marques sont comparativement "sous l'éteignoir". Ce qu'on ne voit pas c'est que si moi, Olivier Méresse,
inconnu de tous, je m'offre un spot sur TF1 à 20h00, je vais faire un énorme bond en terme de notoriété puisque des
millions de téléspectateurs vont découvrir mon existence, ou celle de mon offre (et à moi de faire une offre
suffisamment intéressante pour qu'on s'y intéresse) là où la notoriété marginale de Volkswagen, pour un même espace
publicitaire, ne progresserait que de quelques personnes supplémentaires (des enfants trop jeunes pour conduire).
L'accusation selon laquelle la publicité favoriserait la concentration des marchés et fausserait la concurrence ne tient
donc pas. La publicité est au contraire un accélérateur de concurrence qui permet à une nouvelle offre d'atteindre
rapidement un point de notoriété à partir duquel elle pourra éventuellement, si elle rencontre son public, prendre son
envol commercial. Notons que la publicité est loin d'être le seul élément d'une séduction commerciale réussie. Elle n'en
est au contraire que le dernier étage. La stratégie générale suivie par l'entreprise, les innovations qui devraient en
émaner, et le design qui leur donne forme, sont tous trois largement plus décisifs. Seuls les produits qui se vendent tout
seuls se vendent mieux avec de la publicité.