dysphagie 20/04/04 12:57 Page 45 La dysphagie, expression d’un trouble comportemental ● E. Duaux*, G. Saba*, J.P. Olie* L e diagnostic de dysphagie “comportementale” est un diagnostic d’exclusion. La présence d’un contexte psychiatrique ne doit pas exclure la recherche de causes organiques. Elle touche préférentiellement les femmes. La gravité s’échelonne entre la “boule œsophagienne” ou “globus pharyngis” et la dysphagie totale. Le “globus” (sensation persistante de la présence d’un corps étranger dans la gorge) représente 4 % des motifs de consultation en ORL (1). LA PSYCHOPATHOLOGIE Dysphagie et trouble anxieux La dysphagie et/ou le globus sont des expressions fréquentes de l’anxiété. Les sujets parlent volontiers de “boule dans la gorge” ou de “boule œsophagienne” qui accompagne les palpitations, la sensation de “souffle coupé”, la gêne thoracique, les vertiges et autres signes. Cette sensation étant liée à l’anxiété, elle peut occasionnellement survenir en dehors de tout contexte psychopathologique avéré. Toutefois, il peut s’agir de l’expression paroxystique de l’anxiété dans le cadre d’un trouble panique (2) ou de l’expression d’une anxiété plus permanente dans le cadre d’un trouble anxieux généralisé. La dysphagie peut se rencontrer également dans le trouble obsessionnel-compulsif. Dans ce cas, ce symptôme se comprend comme une obsession idéative avec phobie de la déglutition. Le patient rapporte alors ses peurs sous-jacentes : peur d’une contamination, d’une fausse-route, etc. Dysphagie et somatisation (conversion hystérique) La dysphagie et/ou le globus peuvent être le symptôme somatique résultant de la conversion inconsciente d’un conflit intrapsychique anxiogène : dans la littérature, le globus a souvent été rapporté sous le terme de “globus hystericus” (3, 4). Dans ce contexte, la dysphagie fonctionnelle se présente rarement sous une forme isolée : il faut rechercher d’autres symptômes de conversion et des éléments anamnestiques caractéristiques. Il n’est pas rare de retrouver dans la dysphagie-conversion une “épine irritative” sous-jacente : des arguments somatiques actuels ou anciens peuvent contribuer à la symptomatologie. Dysphagie et trouble dépressif La dysphagie comme somatisation du mal-être psychique se *Hôpital Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75014 Paris. rencontre également dans le trouble dépressif (5, 6). Là encore, ce symptôme est rarement isolé et il faut rechercher une symptomatologie dépressive associée : humeur triste, idées suicidaires, agitation ou ralentissement psycho-moteur, troubles du sommeil, perte ou gain de poids, etc. Exceptionnellement, la dysphagie peut s’intégrer à une symptomatologie délirante, congruente à l’humeur des mélancolies délirantes : l’exemple est celui du syndrome de Cotard. Le patient ne peut plus manger car il a la conviction délirante de ne plus avoir d’œsophage ou encore que son œsophage est “bouché”. Dysphagie et schizophrénie Le symptôme dysphagique est ici la conséquence directe ou indirecte d’une construction délirante. Les mécanismes peuvent être hallucinatoires, la dysphagie étant la conséquence directe de sensations cenesthésiques délirantes entravant la déglutition (sensation de corps étranger, d’un étranglement, etc.) ou alors la conséquence indirecte d’ordres hallucinatoires interdisant la prise orale de tout aliment ou liquide. LA THÉRAPEUTIQUE L’orientation thérapeutique aura pour objectif de traiter la psychopathologie dont la dysphagie fonctionnelle n’est qu’un des symptômes. Dysphagie et trouble anxieux L’anxiété généralisée et l’anxiété paroxystique répondent bien aux tranquillisants simples comme les benzodiazépines. En revanche, les benzodiazépines sont généralement inefficaces dans la prévention des attaques de panique, indication dans laquelle les antidépresseurs tricycliques ont prouvé leur efficacité. La pathologie obsessionnelle-compulsive, quant à elle, répond favorablement à des traitements antidépresseurs soit sérotoninergiques, soit tricycliques souvent à des posologies hautes. Les benzodiazépines ou les neuroleptiques à faibles doses peuvent être des traitements d’appoint de l’anxiété. Les psychothérapies cognitivo-comportementales et les psychothérapies psychanalytiques apportent une aide aux patients. Dysphagie et somatisation (conversion hystérique) Le traitement pharmacologique permet quelquefois de corriger symptomatologie dépressive et anxiété. La compréhension du malade, de sa situation par rapport à son entourage, de ses conflits ou frustrations est la première approche thérapeutique. La Lettre d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 231 - mars 1998 45 dysphagie 20/04/04 D 12:57 Y S Page 46 P H A G I E S La psychothérapie psychanalytique est le traitement de choix de ce trouble. Dysphagie et trouble dépressif Un traitement antidépresseur standard est indiqué. On préfèrera les antidépresseurs plus sédatifs si l’anxiété est au premier plan (antidépresseurs tricycliques, miansérine, fluvoxamine, paroxétine, etc.). La mise en place d’une chimiothérapie ne doit pas faire négliger toute la part d’un nécessaire soutien psychologique. Dysphagie et schizophrénie Le traitement est d’abord une chimiothérapie neuroleptique. Un neuroleptique antihallucinatoire comme l’halopéridol peut être envisagé. Il faut ensuite examiner ce que doit être la prise en charge au long cours de ce patient. H A U T E S Ce symptôme se retrouve dans différents tableaux psychopathologiques : anxiété, conversion hystérique, dépression ou schizophrénie. Il est important d’en faire le diagnostic et de l’intégrer dans la psychopathologie concernée afin de choisir au mieux une stratégie thérapeutique. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Moloy P.J., Charter R. The globus symptom. Arch Otolaryngol Head Neck Surg 1982 ; 108 : 740-4. 2. Liebowitz M.R. Globus hystericus and panic attacks. Am J Psychiat Letter 1987 ; 144 : 390-1. 3. Wilson J.A., Deary I.J., Maran A.G.D. Is Globus hystericus ? Brit J Psychiat 1988 ; 153 : 335-9. 4. Bovier P., Hilleret H., Tissot R. À propos d’un cas de dysphagie fonctionnelle. Arch Suisses Neurol Psychiat 1988 ; 139 : 5-12. CONCLUSION 5. Deary I.J., Wilson J.A., Kelly S.W. Globus pharyngis, personnality, and psychological distress in the general population. Psychosomatics 1995 ; 36 : 570-7. La dysphagie comme expression d’un trouble comportemental est un trouble fréquent, qui touche plus volontiers les femmes. 6. Ravich W.J., Wilson R.S., Jones B., Donner M.W. Psychogenic dysphagia and globus : reevaluation of 23 patients. Dysphagia 19 ; 4 : 35-8. Réservé aux abonnés 46 La Lettre d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 231 - mars 1998