LA TRANSE CHAMANIQUE
Parler de chamanisme, c’est revenir à des origines qui ne nous sont pas forcément familières car cela nous oblige
à nous détourner d’une forme de pensée rationnelle, typiquement occidentale, pour convoquer nos sens et
croire en la faculté de perceptions inouïes. Aujourd’hui, on peut constater un besoin de retour à la nature, la vo-
lonté de reconnecter l’intellect avec ce perceptuel ; aussi, en s’appropriant ce thème, le graphisme peut tenter
de répondre avec ses moyens propres à cette requête. Cela revient à se demander comment le graphisme, à
travers l’étude de la transe chamanique, peut-il transformer notre vision du monde et ainsi mieux appréhender
la société qui vient ? Cela étant posé, d’autres questions s’imposent: comment, par l’acte créateur, développer
la conscience et la sensibilité humaine ? Pourquoi un si grand nombre d’artistes se sont-ils intéressés à la transe
chamanique et quelle a été son influence dans leurs créations ?
Le but serait ainsi d’offrir et faire découvrir à tout à chacun cet « autre-monde » en intervenant par exemple dans
l’espace afin de changer la vision que l’on peut avoir de la réalité qui nous entoure et, ce faisant, transformer le
quotidien. Le graphisme associé aux phénomènes que l’on peut observer lors des transes chamaniques pourra
donner une réponse (parmi d’autres) en offrant une expérience perceptive élargie. Ce graphisme extra-sensoriel
pourrait ainsi aider à mieux appréhender notre monde particulièrement complexe et pourrait aboutir à une prise
de conscience, et ainsi « ouvrir les portes de la perception ». La finalité serait de démultiplier les perceptions, de
s’excentrer pour expérimenter de nouvelles perspectives sur l’avenir et le présent en réécoutant notre cerveau
perceptif.
Pour satisfaire à cette exigence, nous devons, dans un premier temps consacré au «JE» multiple, montrer que le
chamanisme implique un grand nombre de rituels, qu’il est souvent caractérisé par des visions, un rapport à l’ego
particulier et une transformation des perceptions sensorielles. Ce premier moment comporte l’indispensable
avantage d’insister sur la complexité et la richesse d’une pratique culturelle délestée des clichés qui trop souvent
la caricaturent. Dans un deuxième temps, l’étude plus spécifique du langage chamanique va permettre de mieux
comprendre la communication avec les esprits et les méthodes utilisées; ce parcours sera pour nous l’occasion
de poser l’hypothèse d’une langue universelle d’un genre très particulier. Enfin, nous nous demanderons, dans
un dernier temps, si les graphistes et plus largement certains artistes ne seraient pas les « chamanes » de notre
société, notamment lorsqu’ils travaillant plus particulièrement sur la conscience et le dépassement des limites
perceptives, à tel point qu’il serait possible d’envisager — ultime, risquée et néanmoins stimulante hypothèse —
la question d’un graphisme extra-sensoriel au service d’une perception élargie.
I. UN « JE » MULTIPLE
a/ DÉFINITION, HISTOIRE ET ÉTYMOLOGIE
Chamanes
Le chamanisme est un ensemble de pratiques comportant un état de transe. Remontant au paléolithique su-
périeur à l’ère de l’aurignacien lorsque l’Homme s’est sédentarisé, cette pratique spirituelle traditionnelle s’est
étendue dans l’ensemble de la planète ce qui en fait l’un des plus grands systèmes imaginés par l’esprit humain.
Prêtre, magicien, sorcier, le chamane1 pratique la transe, la divination et les soins médicaux en étant en relation
avec une force supranaturelle — qu’on appelle communément le « sacré » — avec laquelle il entre en contact au
travers d’un voyage mystique. Il donne sens aux événements et agit sur eux, prévient tout déséquilibre et répond
à toutes infortunes (en l’expliquant, en l’évitant ou en la soulageant). En toungouse (Sibérie), « chaman » se dit
« çaman », « ça » signifiant « connaitre ». Une autre approche le traduit par « s’agiter, bondir, danser ». En Amérique
Latine, on parle de « curandero » pour désigner le guérisseur et de « lechicero » ou « brujo » pour le sorcier. Le
chamane esquimau est appelé « angakoq » et enfin aux États-Unis , « chamane » se traduit part « medecine-man
» ou plus commu- nément « shaman ». Le chamane est donc un sage, un thérapeute, un conseiller, un guérisseur,
un voyant, un psychologue, un sociologue, un philosophe, bref quelqu’un de singulier utile à ses semblables.
1 Peut aussi s’écrire « chaman » mais étant la plus utilisée, nous ferons le choix de la première écriture tout au long du propos.
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