chamane - unfuturdsaa

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Introduction
I. UN « JE » MULTIPLE
a. Définition, histoire, étymologie
- chamane
- transe et état modifié de conscience - sociologie et fonctionnalisme
b. Le rituel du chamane
- théâtralisation
- costumes et accessoires
- les différents chamanismes dans le monde
c. La transe de vision
- visions sous psychotropes - la transe et l’extase
- le rêve et les visions
d. L’ego et la sensation de dépersonnalisation
- la transe de possession
- chamanisme et sorcellerie - le dédoublement
e. Transformation des perceptions sensorielles
- modification de la perception de l’espace et du temps - à la recherche de vérité
- chamanisme et neuroscience
II. LE LANGAGE CHAMANIQUE
a. La communication avec les esprits
- la conception animisme du monde - inconscient et subconscient
- l’inspiration créative
b. Dessins, chants et gestuelles : symboles et significations
- un art de la parole, un langage du corps - la symbolique des formes
- espace et performance artistique
c. Une langue universelle ?
- conception matérialiste de la communication - art et synesthésies
III. GRAPHISTES ET ARTISTES, CHAMANES DE NOTRE SOCIÉTÉ ?
a. Conscience et dépassement des limites
- de l’invisible au visible, de la matière à l’esprit - entre art et science
- vers la sagesse et la connaissance du chamane
b. Confrontation entre société et tradition
- la création comme thérapie
- rencontre avec l’autre
- vers une nouvelle appréhension de la société
c. Un graphisme sensoriel ? (ou Une expérience perceptive)
- espace / temps
- un spectateur créatif
- de multiples perceptions
Conclusion
4e de couverture
LA TRANSE CHAMANIQUE
Parler de chamanisme, c’est revenir à des origines qui ne nous sont pas forcément familières car cela nous oblige
à nous détourner d’une forme de pensée rationnelle, typiquement occidentale, pour convoquer nos sens et
croire en la faculté de perceptions inouïes. Aujourd’hui, on peut constater un besoin de retour à la nature, la volonté de reconnecter l’intellect avec ce perceptuel ; aussi, en s’appropriant ce thème, le graphisme peut tenter
de répondre avec ses moyens propres à cette requête. Cela revient à se demander comment le graphisme, à
travers l’étude de la transe chamanique, peut-il transformer notre vision du monde et ainsi mieux appréhender
la société qui vient ? Cela étant posé, d’autres questions s’imposent: comment, par l’acte créateur, développer
la conscience et la sensibilité humaine ? Pourquoi un si grand nombre d’artistes se sont-ils intéressés à la transe
chamanique et quelle a été son influence dans leurs créations ?
Le but serait ainsi d’offrir et faire découvrir à tout à chacun cet « autre-monde » en intervenant par exemple dans
l’espace afin de changer la vision que l’on peut avoir de la réalité qui nous entoure et, ce faisant, transformer le
quotidien. Le graphisme associé aux phénomènes que l’on peut observer lors des transes chamaniques pourra
donner une réponse (parmi d’autres) en offrant une expérience perceptive élargie. Ce graphisme extra-sensoriel
pourrait ainsi aider à mieux appréhender notre monde particulièrement complexe et pourrait aboutir à une prise
de conscience, et ainsi « ouvrir les portes de la perception ». La finalité serait de démultiplier les perceptions, de
s’excentrer pour expérimenter de nouvelles perspectives sur l’avenir et le présent en réécoutant notre cerveau
perceptif.
Pour satisfaire à cette exigence, nous devons, dans un premier temps consacré au «JE» multiple, montrer que le
chamanisme implique un grand nombre de rituels, qu’il est souvent caractérisé par des visions, un rapport à l’ego
particulier et une transformation des perceptions sensorielles. Ce premier moment comporte l’indispensable
avantage d’insister sur la complexité et la richesse d’une pratique culturelle délestée des clichés qui trop souvent
la caricaturent. Dans un deuxième temps, l’étude plus spécifique du langage chamanique va permettre de mieux
comprendre la communication avec les esprits et les méthodes utilisées; ce parcours sera pour nous l’occasion
de poser l’hypothèse d’une langue universelle d’un genre très particulier. Enfin, nous nous demanderons, dans
un dernier temps, si les graphistes et plus largement certains artistes ne seraient pas les « chamanes » de notre
société, notamment lorsqu’ils travaillant plus particulièrement sur la conscience et le dépassement des limites
perceptives, à tel point qu’il serait possible d’envisager — ultime, risquée et néanmoins stimulante hypothèse —
la question d’un graphisme extra-sensoriel au service d’une perception élargie.
I. UN « JE » MULTIPLE
a/ DÉFINITION, HISTOIRE ET ÉTYMOLOGIE
Chamanes
Le chamanisme est un ensemble de pratiques comportant un état de transe. Remontant au paléolithique supérieur à l’ère de l’aurignacien lorsque l’Homme s’est sédentarisé, cette pratique spirituelle traditionnelle s’est
étendue dans l’ensemble de la planète ce qui en fait l’un des plus grands systèmes imaginés par l’esprit humain.
Prêtre, magicien, sorcier, le chamane1 pratique la transe, la divination et les soins médicaux en étant en relation
avec une force supranaturelle — qu’on appelle communément le « sacré » — avec laquelle il entre en contact au
travers d’un voyage mystique. Il donne sens aux événements et agit sur eux, prévient tout déséquilibre et répond
à toutes infortunes (en l’expliquant, en l’évitant ou en la soulageant). En toungouse (Sibérie), « chaman » se dit
« çaman », « ça » signifiant « connaitre ». Une autre approche le traduit par « s’agiter, bondir, danser ». En Amérique
Latine, on parle de « curandero » pour désigner le guérisseur et de « lechicero » ou « brujo » pour le sorcier. Le
chamane esquimau est appelé « angakoq » et enfin aux États-Unis , « chamane » se traduit part « medecine-man
» ou plus commu- nément « shaman ». Le chamane est donc un sage, un thérapeute, un conseiller, un guérisseur,
un voyant, un psychologue, un sociologue, un philosophe, bref quelqu’un de singulier utile à ses semblables.
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Peut aussi s’écrire « chaman » mais étant la plus utilisée, nous ferons le choix de la première écriture tout au long du propos.
Cette activité du spectateur est comme nous l’avons déjà dit, un acte de conscience, qui amène à la réflexion
et permet d’inviter à un changement de mode de pensée et d’action. Le rituel est alors ouvert et un moment de
rassemblement, d’échange. Le spectateur, dans son action, n’est pas un récepteur passif des messages qu’il
reçoit. Ces artistes que nous venons de citer laissent toujours un place pour son public dans la mesure où c’est
à lui qu’il s’adresse.
De multiples perceptions
Il est légitime de dire qu’une des plus grandes similitudes entre Norbert Godon, Demian Conrad, Joseph Beuys et
Tony Oursler est cette volonté d’apporter de multiples perceptions ou au moins une perception élargie.
T. Oursler s’intéresse plus particulièrement au sens de la vision (« voir » de Carlos Castaneda) mais aussi sur les
sensations face à des volumes sur-dimensionnés dans un univers très fantasmagorique. N. Godon rejoint cet
intérêt pour ce sens tout particulier en étudiant la subjectivité de la vision (ce qui pourrait s’étendre à tous les
autres sens). Dans sa vidéo Paysages aseptisés ou il filme l’intérieur d’un gant en latex, il rappelle Brion Gysin
et Ian Sommerville et leur Dream machine qui était une machine à générer des formes et des couleurs hallucinatoires comparables à celles de différents psychotropes. Ce qui est aussi intéressant dans les créations de D.
Conrad, c’est ces différents niveaux de lectures qu’il peut y avoir et les jeux d’apparition, disparition, transformation qui en résultent.
C’est dans cette perspective d’une invitation à enrichir ou à réveiller notre vie perceptive que Henri Matisse pouvait écrire1 : « […] tout ce que nous voyons, dans la vie courante, subit plus ou moins la déformation qu’engendrent
les habitudes acquises, et le fait est peut-être plus sensible en une époque comme la nôtre, où cinéma, publicité
et magazines nous imposent quotidiennement un flot d’images toutes faites, qui sont un peu, dans l’ordre de la
vision, ce qu’est le préjugé dans l’ordre de l’intelligence. L’effort nécessaire pour s’en dégager exige une sorte de
courage ; et ce courage est indispensable à l’artiste qui doit voir toutes choses comme s’il les voyait pour la première fois : il faut voir toute la vie comme lorsqu’on était enfant ; et la perte de cette possibilité vous enlève celle
de vous exprimer de façon originale, c’est-à-dire personnelle. »
Citons encore Henri Maldiney qui, en philosophe, insiste sur la nécessité de renouer avec le rythme primordial
qui habite toute chose et nous fait participer de manière littéralement sympathique au tempo du monde par
notre incarnation2 : « La sensation est fondamentalement un mode de communication et, dans le sentir, nous
vivons, sur un mode pathique, notre être-avec-le-monde. Or c’est à un tel monde, donné dans le rapport de communication (et non d’objectivation), qu’appartiennent les éléments fondateurs du rythme. Ils ne sont pas posés
objectivement comme des faits ou phénomènes d’univers. Ils ne sont pas non plus simples vécus matériels de
conscience. Ils appartiennent à ce monde premier et primordial dans lequel, pour la première fois et en chacun
de nos actes, nous avons affaire à la réalité, car la dimension du réel c’est la dimension communicative de l’expérience. »
Le chamane n’est-il pas au fond celui qui, par don autant que par artifice, parvient à renouer contact avec le fond
originaire sur lequel notre perception ordinaire, préoccupée exclusivement par des intérêts pratiques, ne fait que
prélever de maigres indices ? En renouant avec ce fond rythmique c’est toute notre perception qui est enrichie,
diversifiée et intensifiée.
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Propos recueillis par Régine Pernoud, Le Courrier de l’Unesco, vol VI, n°10, octobre 1953 In Écrits et propos sur l’art, Hermann, 1972,
Henri Maldiney, Regard Parole Espace (1973), Lausanne, L’Age d’Homme, 1994, p.164
Conclusion
Nous espérons avoir montré que ce qui peut apparaître comme un thème quelque peu exotique voire franchement mystérieux et étonnant aux yeux d’un sujet formé à l’esprit cartésien s’avère finalement digne d’intérêt, que
ce soit d’un point de vue théorique ou qu’il s’agisse des exigences propres à la création plastique. Bien plus, les
notions, pratiques et phénomènes qui découlent de la transe chamanique peuvent représenter un point d’accès
vers de nouvelles perceptions plus élargies, pourvu qu’on fasse l’effort de les aborder avec le sérieux et la curiosité requises. En effet, après avoir vu que le chamanisme était une forme de savoir qui permet de s’affranchir (pour
mieux y revenir ?) du rationalisme propre à l’occident, puis qu’il pouvait permettre une communion via un langage
universel, nous avons constaté que de nombreux créateurs puisaient dans ces formes d’écriture leurs inspirations qui se prolonge dans une volonté de changer nos modes de pensée et d’action. Dans cette perspective, qui
nous oblige à aller à l’encontre de nos habitudes conceptuelles, le spectateur devient acteur et plus un simple
consommateur d’images ou de signes. Il est donc possible d’imaginer une production graphique participative
ou une intervention par exemple dans l’espace urbain, qui modifierait notre vision du quotidien. Ceci pourrait
se présenter sous formes de plusieurs médiums comme de la photographie aux focales impossibles, des écritures constituées de signes et de symboles extraits de leurs contextes, du graphisme qui n’utiliserait pas les supports habituels et qui sortirait du cadre de l’affiche... Ces expérimentations pourraient aussi se présenter dans
un contexte plus intime et sensible comme par exemple celui de la lecture. Des processus graphiques peuvent
donc découler afin d’élargir nos perceptions. La transe chamanique est une porte d’entrée mais pour aller plus
loin, pour élargir et enrichir notre vie perceptive — notre vie tout court ; elle n’est sans doute pas la seule, d’autres
voies sont possibles et légitimes si on accepte de les aborder avec intérêt et rigueur ; il ne nous appartient pas ici
de les examiner, gageons cependant qu’elles peuvent toutes à leur manière participer de l’épanouissement de
l’humanité en nous, même si cette humanité doit parfois emprunter des chemins qui la mettent en communication avec ce qui a priori transcende nos limites.
4e de couverture
{ EXPLORER DES MONDES }
La transe chamanique est une technique de soi qui convoque notre subjectivité dans sa totalité: corps et âme.
Cette pratique élargit notre rapport au(x) monde(s); elle n’est pas narcissique mais soucieuse d’autrui, dans un
but souvent thérapeutique, qui pourtant n’épuise pas l’univers chamanique.
Tout comme le graphiste, le chamane est un communiquant, qui met en relation le visible et l’invisible. C’est à
ce titre qu’il intéresse particulièrement un jeune créateur aujourd’hui. En nous montrant que notre perception
peut être davantage explorée et exploitée, l’expérience chamanique se révèle être un formidable champ de recherche pour un design exploratoire et aventureux.
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