D`une anthropologie du chamanisme vers une

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études mongoles & sibériennes
centrasiatiques & tibétaines
D’une anthropologie du chamanisme
vers une anthropologie du croire
Hommage à l’œuvre de Roberte Hamayon
Sous la direction de Katia BUFFETRILLE, Jean-Luc LAMBERT, Nathalie LUCA et Anne de SALES
C e nt r e d’Ét u d e s Mongole s & Sib é r ie n ne s - É c ole P r at iq ue d e s H aut e s Ét u d e s
Sommaire
D’une anthropologie du chamanisme
vers une anthropologie du croire.
Hommage à l’œuvre de Roberte Hamayon
Introduction ........................................................................................................ 13
Bibliographie de Roberte Hamayon . ..................................................... 23
Première Partie
Regards sur le chamanisme
m i c ha e l o p p i t z
Naissance rituelle d’un chamane magar (Népal)...................................................... 45
andr É m ar y
Chamanisme africain et Bwiti New Age................................................................... 47
j e an - l u c la m b e r t
Sans tambour ni costume. Du chamanisme ob-ougrien au chamane......................... 65
g r É g o r y d e la p la c e e t c ar o l i n e h u m p hr e y
Qu’y a-t-il de nouveau dans le « néo-chamanisme » ? Assemblages et identités flottantes à
Ulaanbaatar............................................................................................................ 87
j e an - p i e rr e c ha u m e i l
Une façon d’agir dans le monde. Le chamanisme amazonien.................................. 109
ann e - v i c t o i r e c harr i n
Chamanisme et écrivains de Sibérie, un imaginaire réel......................................... 135
t h i e rr y z ar c o n e
Le chamanisme islamisé au Xinjiang. État de la recherche, témoignages écrits
et visuels.................................................................................................................147
b e rnard salad i n d ’ an g l u r e
À l’ombre de Marcel Mauss, le chamanisme malgré nous........................................ 165
c harl e s s t é p an o f f
Chanceux et héritiers. Deux compréhensions de la compétence en Sibérie...............181
Deuxième Partie
Animaux, chamanes et surnature
j e an - p i e rr e d i g ard
Les animaux peuvent-ils nous apprendre quelque chose des sociétés orientales ?
Contribution à une critique de l’orientalisme......................................................... 199
dan i È l e d e h o u v e
Cerf, maïs et maguey au Mexique......................................................................... 215
f rédér i c la u g rand e t jar i c h o o s t e n
La préfiguration, une clé pour comprendre le rôle du chamanisme dans la chasse à la
baleine (Arctique de l’Est canadien)........................................................................ 235
al e x andra la v r i ll i e r
Du goût du gibier aux jeux des esprits. Ou comment s’articulent les notions de jeux,
d’action rituelle et d’individu................................................................................. 261
sandr i n e r u hl m ann
Quand les âmes errantes des morts se déplacent accrochées aux poils et aux plumes des
animaux sauvages. La vie post mortem des âmes en Mongolie contemporaine...... 283
i sa b e ll e b i an q u i s , f ran ç o i s e a u b i n , s e d e nja v d u la m
Le chien et la bru, deux êtres liminaires en Mongolie............................................. 303
é m i l i e m aj
Le cheval dans les épopées à héroïnes. La plus belle conquête de la femme
iakoute................................................................................................................. 323
ping-tsung li
Le concept d’« âme externe » chez les peuples de l’Asie du Nord............................. 339
Pi-chen liu
Chasse aux têtes, chasse aux cerfs. Échange de vie et fertilité de l’homme chez les
Kavalan de Taiwan............................................................................................... 359
g u i lh e m o l i v i e r
Pratiques divinatoires, rêves et talismans de chasse en Mésoamérique.................. 379
4
Troisième partie
La fabrication du croire et du faire croire
maurice godelier
L’Impossible est possible. Réflexions sur les racines et les formes du croire et des
croyances.............................................................................................................. 411
m ar i a p i a d i b e lla
La chance, entre vertu et destin.............................................................................437
b É n É d i c t e b ra c d e la p e rr i È r e
La nuit de l’énergie birmane. Ou la transmutation des simples en remèdes
souverains............................................................................................................. 451
ann e d e sal e s
Les Maoïstes et les chamanes : balles de fusil, grêle et préjugés.............................. 465
p a t r i c k p la t t e t , v i r g i n i e v a t É , t h i e rr y w e ndl i n g
La prise du don. Jeux rituels et prix dans le Nord-Est sibérien........................... 483
ks e n i a p i m e n o v a
Attirer les faveurs, apaiser la colère. Les deux visages de l’esprit-maître du lieu dans la
tradition orale et la pratique rituelle touva............................................................515
g a ë ll e la c a z e
La fabrique du corps, cuire la chair et souder les os............................................... 539
ann e m ar i e l o s o n c z y e t s i l v i a m e s t u r i n i c a p p o
Incertitudes et malentendu dans la construction de l’interaction rituelle. Réinventions
chamaniques entre Amazonie et Europe................................................................ 559
c hr i s t i an c u las
Éléments d’épistémologie de l’étude de la croyance : dire c’est faire,
faire c’est croire ?................................................................................................. 575
g r É g o i r e s c hl e m m e r
Les « guérisseurs » guérissent-ils ou : pourquoi diviniser ?...................................... 591
na t hal i e l u c a
L’effort d’y croire.................................................................................................. 603
5
Quatrième partie
Variations tibétaines et d’Asie centrale
dan y sa v e ll y
Sous les yeux d’Occident. L’expédition Roerich (1925-1928) vue par les autorités
britanniques......................................................................................................... 623
ann e d u c l o u x
Quand le corps des femmes exprime la douleur du corps social à Samarcande. Pour une
anthropologie des émotions dans une cité d’Asie centrale....................................... 651
f rédér i c lé o t ar e t s e y d i n ä m i rlan
Les conceptions syncrétiques de l’au-delà chez les Karakalpaks de Boukhara. Du
nourrisson-Aquday à l’enfant-bala....................................................................... 673
i sa b e ll e c harl e u x
Le Bouddha qui levait les yeux au ciel. Note d’iconographie bouddhique............... 693
kla u s sa g as t e r
A fortune-teller in Baltistan (Western Tibet)......................................................... 713
S a m t e n G . kar m a y
Le dieu bourdon qui dompte le Petit sri.................................................................. 721
ka t i a b u f f e t r i ll e
Un mariage tibétain en images.............................................................................. 733
Affiliations des auteurs . ............................................................................ 749
Sommaires EMSCAT ..................................................................................... 753
6
Jean-Pierre Chaumeil
Une façon d’agir dans le monde.
Le chamanisme amazonien
Il est des terrains qui vous entraînent vers une recherche spécifique,
comme il est des individus qui vous orientent vers certains domaines
de réflexion. Le chamanisme interroge, il se pratique et agit dans des
sociétés et des environnements bien différents. On le retrouve presque au
quotidien dans les médias, et il fonctionne également au quotidien dans
des corps, des maisons, des villages, des villes, des régions… L’objectif
de cette contribution est d’offrir un aperçu général des recherches
anthropologiques actuelles sur le chamanisme dans les basses terres
d’Amérique du Sud mais aussi, de façon plus marginale, sur ce que l’on
a appelé les « néo-chamanismes » (indigènes et non indigènes) qui se
développent un peu partout en Amérique latine et ailleurs dans le monde.
Toutefois, l’étude de ces néo-chamanismes, qui prennent parfois l’allure
d’une véritable industrie dans certaines régions (comme dans le cas du
tourisme mystique), nécessiterait à l’évidence un travail d’envergure
dépassant de beaucoup les limites de ce texte1.
1 Ce texte est une version adaptée, remaniée et développée d’un article en espagnol paru
en 2012 dans l’ouvrage collectif édité par Pablo Sendón et Pablo Sandoval, No hay país más
diverso. Compendio de Antropología peruana 2, Lima : Instituto de Estudios Peruanos. Merci
à P. Sendón pour avoir autorisé la reproduction de certaines parties de l’article et à Bonnie
Chaumeil pour ses suggestions et sa lecture attentive de la présente version. Merci enfin aux
organisateurs pour leur invitation à participer à ce volume d’hommage.
jean-pierre chaumeil
Avant de me consacrer à cette tâche dans ces quelques pages, il me
tient à cœur de rendre hommage à Roberte Hamayon. Au retour de mon
terrain amazonien, dans le cadre d’un travail académique qui m’avait
conduit à côtoyer des chamanes yagua, je me devais de rencontrer
à Paris la spécialiste du domaine des études sur le chamanisme. Ses
enseignements à l’EPHE sur le chamanisme sibérien, ses conseils
tout comme les perspectives d’analyse qu’elle a ouvertes pour l’étude
comparée du chamanisme (Hamayon 1990, 2003) ont été une constante
source d’inspiration et de stimulation non seulement dans mes recherches
sur le chamanisme sud-amérindien, mais aussi, tout simplement, dans
ma formation d’anthropologue. C’est ainsi que durant deux années
consécutives (1984 et 1985), j’ai eu le privilège d’assurer une charge
de conférence complémentaire dans le cadre de sa direction d’étude à
l’EPHE, et je la remercie vivement pour cette marque de confiance. La
première année fut consacrée à l’étude des rapports entre chamanisme,
chasse et guerre, la seconde à celle du chamanisme comme phénomène
de résistance dans les basses terres sud-amérindiennes2 . C’était ma
première expérience d’enseignement largement nourrie des matériaux
et des discussions présentés dans son séminaire. Par la suite, j’ai eu
l’honneur et le plaisir de collaborer avec Roberte Hamayon à l’occasion
des conférences et des publications qui ont suivi. La comparaison des
systèmes chamaniques et par extension des mouvements religieux nous
ont fait nous retrouver, particulièrement dans le cadre des nombreuses
rencontres, conférences et publications qu’elle a organisées : le colloque
« Le chamanisme : perspectives religieuses et politiques » qui s’est déroulé
en 1997 et dont les Actes ont été publiés en 2000 sous le titre « La politique
des esprits. Chamanismes et religions universalistes » (Chaumeil et alii.
2000), le numéro spécial de la revue Diogène (2003 [1992]) consacré aux
« chamanismes au seuil du nouveau millénaire », ou encore le numéro
spécial « chamanismes » de Religion et histoire paru en 2005.
Le chamanisme jouit en Amérique du Sud d’une belle vitalité, d’une
large diffusion et d’une certaine homogénéité, sans pour autant être
uniformisé. Réaliser un bilan des recherches le concernant est cependant
une tâche complexe, et ce pour plusieurs raisons. La première tient à la
persistance du flou entourant la définition même du chamanisme sur
2 Ces conférences sont publiées dans l’Annuaire de l’EPHE XCII (1983-84, 123-131) et XCIII
(1984-85, 99-105).
110
une façon d’agir dans le monde
laquelle les spécialistes sont loin de s’accorder ; d’où un usage souvent
incontrôlé du concept appliqué aujourd’hui à un très grand nombre de
pratiques et dans des contextes fort variés (Francfort et Hamayon 2001).
Le chamanisme (ou ce que l’on a convenu de désigner sous ce terme)
connaît en effet non seulement un regain d’intérêt parmi les spécialistes
(ethnologues et historiens des religions), mais sa popularité en Occident
auprès du grand public en quête de nouvelle spiritualité ne cesse de croître,
générant une abondante littérature. La tendance actuelle à qualifier de
chamaniques toutes sortes de pratiques, jusqu’aux plus hétéroclites, a
passablement brouillé le concept initial, entraînant bien des confusions
dans son emploi. Le monde académique n’a pas échappé à cette tendance.
Certains archéologues et ethnologues américanistes ont alors cherché
à interpréter ou à lire l’art indigène (précolombien et actuel) en termes
de transformations chamaniques. Dans son essai d’interprétation de
l’orfèvrerie précolombienne, l’anthropologue Reichel-Dolmatoff (1989)
a proposé, à partir de ses recherches au musée de l’Or de Colombie,
l’hypothèse selon laquelle la plupart des représentations figuratives
des pièces en or constituaient un ensemble cohérent et articulé de l’art
chamanique sous toutes ses transformations. Il en a dégagé le motif de
l’homme-oiseau comme figure centrale, symbolisant selon lui le « vol
chamanique ». Divers commentaires et critiques se sont élevés face à
ces sur-interprétations du tout-chamanique, qualifiant au passage de
« shamanitis » la nouvelle obsession ou « maladie » des historiens et
des archéologues dans l’interprétation de l’art précolombien (Klein et al.
2001, 2002). Si la critique semble pertinente, l’idée qu’il existerait un
chamanisme « pur » ou « vrai » est en revanche bien plus problématique.
Thomas et Humphrey (1996) ont souligné la nécessité d’employer le
terme au pluriel (des chamanismes plutôt que du chamanisme).
La permanence de cet intérêt pour le thème n’est pas non plus le seul
privilège des chercheurs et du grand public. C’est un constat, le phénomène enregistre depuis des décennies un renouveau au sein des peuples
indigènes eux-mêmes, qui le revendiquent de plus en plus ouvertement
comme un trait de leur identité culturelle et de leur devenir de société
amérindienne — discours que l’on retrouve chez bon nombre de populations dans le monde.
À ces considérations générales s’ajoutent des apports plus directement
liés aux récentes théories de l’anthropologie amazonienne de ces trente
dernières années. Ces nouvelles orientations ont sensiblement modifié la
111
jean-pierre chaumeil
façon d’appréhender le phénomène. La nécessité en particulier d’abandonner une vision trop substantialiste du chamanisme comme institution
sociale aux contours clairement repérables s’est imposée pour l’Amazonie.
De même, il est apparu nécessaire de dépasser l’approche strictement
dualiste du chamanisme comme simple médiation entre deux ordres de
réalité différents pour le situer bien davantage au cœur du politique et
des pratiques d’action : le chamanisme comme instance transformatrice
(agentive) plutôt que médiatrice, autant de changements d’optiques qu’il
convient de rendre compte dans ce texte.
Relevons tout d’abord l’absence de synthèse récente sur le sujet
concernant les basses terres amazoniennes. Les premières tentatives,
dans les années 1960 (Métraux 1967), mettaient en avant la grande
uniformité des pratiques chamaniques bien au-delà des différences
linguistiques et culturelles des populations occupant cet immense
territoire. Celles postérieures, de Furst (1987) et de Sullivan (1988),
s’inspirent et reprennent dans ses grandes lignes la thèse de Mircea
Eliade privilégiant une perspective mystique sur le chamanisme (défini
comme une technique archaïque de l’extase). Cette vision peu apte à
rendre compte de la complexité des pratiques rassemblées sous ce nom a
suscité de sérieuses critiques et n’a plus guère d’écho aujourd’hui. En son
temps cependant, elle a connu un certain retentissement et amplement
contribué à l’actuelle popularité du chamanisme. Il faut attendre la fin
des années 1980 pour que se développent des études d’un autre type et
que notre compréhension du phénomène enregistre quelques avancées.
Ce mouvement viendra pour une grande part des recherches amazonistes
comme en témoigne la multiplication des travaux, colloques, ouvrages
et recueils (Langdon et Baer 1992, Chaumeil 1994, Chaumeil et alii.
2005, par exemple). L’ouvrage collectif de Whitehead et Wright (2004)
concerne plus particulièrement les pratiques de sorcellerie qui ont été
le plus souvent abordées dans la littérature ethnologique comme la face
négative (black side) du chamanisme, par opposition à sa composante
thérapeutique (ou « positive »). Or certaines sociétés amazoniennes
dissocient ces deux aspects, perçus non plus comme deux facettes d’un
même processus — comme c’est aussi souvent le cas —, mais comme deux
pratiques distinctes, dotées de logiques et de modes d’action propres.
Afin de mieux saisir les changements de perception et d’approche
du chamanisme en Amazonie, il convient d’effectuer un bref retour
historique sur les principales représentations qu’il a suscitées dans
112
une façon d’agir dans le monde
l’imaginaire occidental. Développer des recherches sur le chamanisme
amérindien contemporain implique aussi de s’intéresser aux idées et
aux représentations qui ont jalonné l’histoire de ce domaine d’étude.
Cette démarche requiert en particulier un examen critique des sources
et du regard porté par la société occidentale sur le monde indigène et
son environnement.
Sous le regard de l’Occident
Dès la découverte du Nouveau Monde, au XVIe siècle, les pratiques
chamaniques, ou plutôt les « jongleries » pour reprendre la terminologie
de l’époque, troublèrent autant qu’elles fascinèrent les nouveaux
arrivants avides de conquêtes et de merveilleux. On sait en effet à quel
point ces figures de l’étrange qu’incarnaient les chamanes influencèrent
les premiers observateurs européens dans leurs appréciations des
religions amérindiennes. Rien d’étonnant alors à ce qu’ils aient été
plus que quiconque la cible des évangélisateurs qui voyaient dans ces
personnages mystérieux de dangereux rivaux dans le champ religieux.
L’immense prestige dont jouissaient les chamanes dans leur propre
culture était en effet de nature à les surprendre et les inquiéter. Chez les
anciens tupi-guarani, les chamanes faisaient souvent office de chef et
leur autorité s’étendait sur plusieurs villages, s’arrogeant même parfois
la qualité de « dieu » ou de messie. Nous savons qu’à côté des chamanes
pajé existait dans ces sociétés une catégorie de grands chamanes appelés
« caraïbes » (karai, caraiva selon les versions) dont l’envergure politique
avait de quoi impressionner à la fois chroniqueurs et missionnaires.
Mais étaient-ils réellement des dieux ? Comment saisir ces figures
de l’étrange sans équivalent dans le monde occidental d’alors ? En
l’absence de culte constitué, d’idole ou de temple, on décréta que ces
peuples ignoraient ce qu’était une « vraie religion » et qu’il fallait donc
combattre leurs chamanes qualifiés pour la circonstance de sorciers
ou de faux prêtres. Les premières illustrations de la religion des Taino
des Grandes Antilles (première société amérindienne rencontrée par
Colomb) sont à cet égard édifiantes et se retrouvent dans la plupart des
représentations iconographiques de l’époque. Elles nous montrent les
divinités zemis, auxquelles les chamanes font des offrandes, sous forme
d’idoles représentées dans la pure tradition chrétienne de l’imagerie
113
jean-pierre chaumeil
zooanthropomorphique du diable et du dragon de l’Apocalypse,
figuration visant bien évidemment à démontrer la fausseté de leurs
croyances (Chaumeil 2005, p. 80). Dans le même temps, l’attrait pour
les bizarreries thérapeutiques indigènes tel que l’emploi du tabac dans
les séances de cure chamanique commence à se manifester. Cette
focalisation sur le tabac est intéressante à l’heure précisément où cette
plante fait son apparition en Europe (notamment pour soigner les maux
de tête). Avec les progrès de la médecine au XVIIIe siècle se développe
l’étude des remèdes exotiques. Les regards se portent alors sur l’arsenal
thérapeutique des chamanes avec un intérêt qui s’accentuera tout au
long du XIXe siècle, à l’époque des grandes expéditions scientifiques
et commerciales sur l’Amazone. À la suite de Humboldt, les esprits
scientifiques de l’époque s’étaient tournés vers l’étude des pratiques du
concret, laissant de côté superstitions et idolâtries. Les chamanes ou
hommes-médecine ont alors suscité davantage l’intérêt du physiologiste
et du pharmacologue que du philosophe et du théologien.
Cette image du chamane comme thérapeute amateur s’estompera
progressivement avec les premières monographies scientifiques qui
inaugurent cette période où l’ethnologie s’est peu à peu constituée en
discipline académique. Le chamanisme est alors appréhendé comme
pratique sociale, lui reconnaissant même un caractère de religion, et les
chamanes comme des spécialistes aux savoirs efficaces. Ce changement
d’image s’est amplifié au cours des trente dernières années où le
chamanisme est vu sous l’angle des relations de l’homme à la nature.
Les travaux de Schultes et Raffauf (1992) et de Reichel-Dolmatoff
(1997) ont beaucoup contribué à faire connaître et populariser les
savoirs naturalistes et thérapeutiques des chamanes amazoniens. Dans
la foulée, des chamanes indigènes sont devenus à leur tour des auteurs
et ont publié pour la première fois sous forme de livre leurs propres
expériences (Payaguaje 1994). L’Unesco a récemment (novembre 2011)
inscrit le savoir traditionnel des chamanes jaguar du Yurupari de
Colombie comme Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité3.
Comme on le voit à travers ce bref survol, ces cinq siècles écoulés n’ont
nullement conduit à la disparition du chamanisme qui, bien au contraire,
s’est trouvé soumis à de continuelles transformations et reconfigurations
3 Cf. Chaumeil (2009) sur la patrimonialisation de la culture concernant les peuples
amazoniens.
114
une façon d’agir dans le monde
sans rien perdre de sa vitalité. Ce qui a changé en revanche c’est la
manière de l’appréhender. Loin d’être relégué comme par le passé dans
les marges obscures de la société, il est perçu de nos jours comme un
symbole d’identité et d’harmonie, comme un patrimoine de l’humanité,
voire comme une religion de la nature par les adeptes de la mouvance New
Age. Si le chamanisme y a gagné en popularité, il y a par contre perdu en
spécificité puisqu’il est à présent appliqué à une multitude de phénomènes
qui n’ont parfois plus grand-chose à voir avec les pratiques indigènes (qui
ont elles-mêmes subi les contrecoups des néo-chamanismes) ni avec ce
que les ethnologues mettent généralement sous ce terme.
Le chamanisme en question
Concernant plus directement l’aire amérindienne, l’étude du chamanisme a souvent été utilisée comme l’un des principaux opérateurs pour
opposer religions andine et amazonienne. La tendance a toujours été
très forte d’appréhender le chamanisme comme la religion des « sauvages », incompatible avec les traditions religieuses andines dominées
par la toute puissante figure de l’Inca fils du soleil. Cette dichotomie
reste profondément ancrée dans l’histoire des études américanistes qui
a longtemps maintenu séparé les traditions intellectuelles et les problématiques relevant de ces deux aires géographiques (Andes et Amazonie).
Mais à partir des années 1970, ce modèle a commencé cependant à être
questionné avec l’œuvre américaniste de Lévi-Strauss et la mise au jour
d’un nouveau type d’étude comparative insistant moins sur les ruptures
que sur les continuités ou les similarités entre les deux régions, comme
l’ont montré par la suite les travaux de Zuidema et de Lathrap sur la
probabilité d’un héritage commun entre les hautes et les basses terres
(Poole 1987, pp. 510-511). Dans ce contexte, plusieurs questions se posent.
Le chamanisme en Amazonie — par comparaison avec la Sibérie par
exemple — relève-t-il d’une spécialisation qui débouche sur des fonctions
bien définies ou, au contraire, constitue-t-il un procès plus diffus
d’acquisition des connaissances et de qualités présentes de façon latente
chez tout un chacun ? Référons-nous aux termes indigènes pour nommer
la personne du chamane dans cette région. On observe que ces termes
qualifient rarement un statut ou une fonction précise, mais plutôt une
qualité, un état d’être ou un mode de connaissance et d’action. Un rapide
115
jean-pierre chaumeil
tour d’horizon de la terminologie permet de repérer quelques grands
thèmes. Tout d’abord une certaine relation au savoir : le chamane est
avant tout « celui-qui-sait ». Cette référence au savoir est non seulement
récurrente dans la plupart des termes désignant le chamane amazonien,
mais elle englobe d’autres figures, tels les maîtres des chants rituels, et
aujourd’hui des personnages comme l’instituteur ou le pasteur indigène,
voire le leader politique. Il est également désigné comme « celui-quia-du-pouvoir », « celui-qui-souffle » ou encore « celui-qui-voit » avec,
dans ce cas, une référence explicite au domaine végétal. Il est fréquent
d’entendre des expressions telles que « celui-qui-a-bu-le-tabac », « celuiqui-connaît-le-végétal », le « maître des végétaux » (Chaumeil 2000). Le
jaguar exprime la relation privilégiée avec le domaine animal, en raison
de la capacité reconnue au chamane de se transformer en jaguar pour
en acquérir ses qualités de prédateur (Reichel-Dolmatoff 1975). D’autres
termes enfin se réfèrent explicitement aux relations avec les esprits ou
indiquent une forme de « parenté » avec eux. Chez les Yanomami, on
désigne les chamanes — qui incorporent les esprits en imitant leurs
chants et leurs chorégraphies — par l’expression signifiant « les gens
esprits », et la séance chamanique par « agir, se comporter en esprit »
(Kopenawa et Albert 2010). Comme on le voit, la terminologie fait peu
de place à des indicateurs de statut ou à la dimension thérapeutique du
chamane, dimension qui a cependant toujours été privilégiée dans les
définitions de sa fonction par les études anthropologiques.
Divers auteurs ont par ailleurs souligné le caractère diffus et non
spécialisé des pratiques chamaniques dans de nombreuses sociétés
amazoniennes, où tout un chacun peut détenir un certain degré de
connaissance chamanique. Dans certains cas, la plupart des hommes
adultes s’adonnent peu ou prou à l’activité chamanique. Ailleurs, dans
la région des Guyanes, l’acquisition d’un savoir chamanique minimum
accompagne toute initiation masculine. À la différence de ce qui se
passe dans d’autres régions du monde (l’Asie du Nord par exemple,
cf. Stépanoff et Zarcone 2011, p. 37), on ne « naît » pas chamane
en Amazonie, on le devient (il existe bien sûr des exceptions). Il est
loisible cependant d’observer des disparités importantes dans les modes
d’apprentissage et d’accès à la fonction. Alors que certaines sociétés
amazoniennes réduisent l’initiation chamanique à sa plus simple
expression (un rêve ou la découverte d’un objet suffit parfois), d’autres
au contraire intronisent en grande pompe leurs chamanes au terme d’un
116
une façon d’agir dans le monde
long et rude apprentissage de parfois plusieurs années. Pérez Gil (2004)
a développé à cet égard l’hypothèse selon laquelle la forte spécialisation
chamanique que l’on constate aujourd’hui chez les Yaminahua et
Yawarawa (de langue pano) serait un phénomène relativement récent
lié à la multiplication des contacts avec notre société. Si l’on suit cette
hypothèse, la spécialisation chamanique serait ici l’aboutissement
d’un processus historique. Un autre point retiendra notre attention : la
présence récurrente en Amazonie d’au moins deux types de chamanes.
L’un est tourné vers le local, le traitement des maladies et la guerre,
l’autre vers un niveau plus régional, davantage axé sur la gestion des
rapports à l’environnement et les rituels collectifs. Le premier type
serait plutôt une qualité diffuse, faiblement institutionnalisée, le second
un statut ou une fonction nettement plus politique. Cette distinction
est encore opérante dans certaines régions (kumu/yai chez les Tucano,
malikai liminali/malirri chez les Wakuenai, etc.). Concernant ces deux
types idéaux de chamanisme, Hugh-Jones (1994) a proposé les termes de
« chamanisme vertical » (mobilisant un apprentissage spécialisé) et de
« chamanisme horizontal » (fondé sur un contact direct avec les esprits).
Reprenant cette distinction dans une optique quelque peu différente,
Viveiros de Castro (2002) y voit moins deux types de chamanes que
deux transformations possibles de la fonction chamanique (op. cit.
pp. 470-472). C’est une mutation de cet ordre qui aurait été à l’œuvre au
XVIe siècle chez les anciens Tupi avec la montée en puissance des karai
comme chamanes et leaders politiques de grande envergure, dépassant
en tout cas les clivages locaux au sein de la sphère d’influence des pajé.
Intéressons-nous à présent aux recherches en cours et aux différentes
approches dont le chamanisme fait l’objet.
Un espace ouvert
Longtemps cantonnées dans une approche essentialiste, les recherches
ont souvent donné du chamanisme la fausse image d’une institution
fossilisée dans les strates les plus profondes et archaïques du monde
indigène. On a ainsi cherché à le définir en l’opposant à des phénomènes
comme la prêtrise ou la possession. Or, pour ce qui concerne l’Amazonie
indigène, nombre d’éléments censés appartenir en propre à l’un ou l’autre
de ces phénomènes se chevauchent continuellement dans les pratiques
117
jean-pierre chaumeil
observées. C’est le cas notamment chez les Yanomami où les chamanes
incorporent — « font descendre » — les esprits dans leur corps et agissent
en esprits lors des séances de cure (Kopenawa et Albert 2010). On est ici
assez loin de l’image canonique du chamane voyageant chez les esprits.
Laissons donc de côté ces débats nourris par un certain essentialisme
anthropologique. La tendance actuelle n’est plus tellement de considérer
le chamanisme comme une instance autonome sinon de l’appréhender
comme un lieu ou un espace ouvert et composite où se jouent en
grande partie les relations — d’échange, de prédation, de pouvoir —
entre humains et entre humains et non-humains. Il est ainsi loisible de
repérer plusieurs orientations dans les recherches actuelles. La première
consiste à privilégier la dimension socio-politique du chamanisme dans
la construction de l’espace social : il est alors perçu soit comme un
facteur de cohésion sociale soit, à l’inverse, comme une possible force
centrifuge liée à la guerre et à la mobilité socio-spatiale (Sztutman 2002).
Une autre approche considère davantage le caractère de médiation
et de communication du chamanisme, qui est alors moins défini
comme un corps constitué de connaissance que comme une manière
de connaître, de produire et de recréer constamment des relations et
des savoirs (Townsley 1993). Toutefois, cette interprétation « dualiste »
du chamanisme comme médiation entre deux mondes se heurte à la
philosophie amérindienne en ce qu’elle présuppose l’existence d’une
opposition tranchée entre nature et société. Or ce qu’indique précisément
l’ethnologie amazonienne est la non-universalité de cette opposition.
Les cosmologies amazoniennes n’établissent pas de distinction formelle
entre les deux domaines et font plutôt prévaloir « la circulation des
flux, des identités et des substances » (Descola 2004, p. 31). La notion
d’animisme développée par Descola peut être vue comme un système de
catégorisation des types de relations que les humains entretiennent avec
les non-humains, et dans lequel le chamanisme joue bien évidemment
un rôle de premier plan. Les logiques interactionnelles priment
dorénavant sur les logiques symboliques qui avaient dominé les études
du chamanisme durant les phases antérieures.
Parallèlement à cette approche intégrant le chamanisme dans un
système de relations à dimension socio-cosmologique se sont développées
des études s’intéressant davantage au chamanisme dans le cadre des
relations interethniques et du contact avec la société nationale. Parmi
les plus représentatifs de ce courant, Taussig (1987) et Gow (1994) ont
118
une façon d’agir dans le monde
défendu l’idée selon laquelle le chamanisme, en Amazonie, serait avant
tout le lieu où les relations de pouvoir et de domination (coloniale et
néocoloniale) sont incorporées et reproduites à l’intérieur des cultures
indigènes. Leurs travaux invitent à réinterpréter de façon plus historique
ce qui était apparu comme figé dans la sphère la plus traditionnelle du
monde indigène. Gow en particulier soutient l’idée que le chamanisme
ouest amazonien se serait développé dans une économie symbolique de
catégories raciales. Suivant son analyse, le chamanisme ne ferait rien
d’autre qu’imiter le système d’endettement imposé aux indigènes par
les colons : la relation que les chamanes entretiennent avec les esprits
reproduirait la même logique de dépendance des Indiens vis-à-vis des
colons blancs. L’auteur interprète ainsi le chamanisme d’ayahuasca (terme
d’origine quechua désignant une boisson hallucinogène aujourd’hui très
répandue en Amazonie occidentale) non comme une tradition autochtone
récemment introduite dans l’univers urbain, mais à l’inverse comme une
pratique exportée depuis les villes amazoniennes vers les groupes isolés
(en suivant la chaîne de l’endettement) pour devenir la forme dominante
de chamanisme dans la région. Le chamanisme développerait ainsi une
série de mécanismes permettant d’incorporer le changement historique
et les relations de pouvoir (Carneiro da Cunha 1998).
Plus récemment, Viveiros de Castro (2009), théoricien du
« perspectivisme » amérindien, a proposé une approche du chamanisme
qui s’écarte sensiblement des définitions antérieures. Le perspectivisme
comme théorie indigène postule l’idée que le monde est habité par
différentes catégories de personnes ou de sujets, humains ou non, qui
l’appréhendent diversement en fonction de leur corps. Cette « alteranthropologie indigène » serait ainsi une transformation symétrique
et inverse de l’anthropologie occidentale (op. cit., p. 14). Tandis que
les cosmologies occidentales se focalisent sur les différences culturelles
opposées à une nature supposée homogène et partagée par tous, les
cosmologies amazoniennes postulent l’inverse, opposant une variété de
natures (multinaturalisme) à une culture uniforme (uniculturalisme).
Les entités dotées d’une position de sujet partagent, du point de vue
des indigènes, les mêmes attributs « culturels », mais différents par leur
habitus d’espèce (leur corps) qui conduit chacune d’elle à appréhender
le réel de manière distincte. Le point de vue se situe donc dans le corps,
lieu de la différenciation inter-espèces, et non plus dans les âmes. Avec
le perspectivisme, le chamanisme amazonien perd en quelque sorte
119
jean-pierre chaumeil
sa définition de médiateur entre les mondes pour être davantage vu
comme médiateur entre les corps. Viveiros de Castro propose de le
définir comme « l’habileté manifestée par certains individus à traverser
les barrières corporelles entre les espèces et à adopter la perspective de
subjectivités allo-spécifiques, de façon à administrer les relations entre
celles-ci et les humains. En voyant les êtres non humains comme ils se
voient eux-mêmes (comme humains), les chamanes sont capables d’assumer
le rôle d’interlocuteurs actifs dans le dialogue transpécifique ; et surtout,
ils sont capables de revenir pour raconter l’histoire, ce que les profanes
peuvent difficilement faire » (op. cit., p. 25). Cette capacité interspécifique
du chamane amazonien lui permettrait ainsi d’adopter simultanément
différents points de vue (voir les non humains comme humains, les
humains comme non humains, etc.) tout en restant lui-même.
Cette approche a eu quelques retombées sur la façon d’appréhender
certains phénomènes liés de près ou de loin au chamanisme. Ainsi,
dans ce contexte, les états pathologiques apparaissent davantage
comme des transformations progressives vers des formes d’altérité
corporelle non humaine, plutôt que la conséquence d’un strict travail
sur les âmes ou la perte d’une composante vitale. Plutôt que de se
focaliser sur les logiques formelles, on met l’accent sur les interactions
corporelles. De son côté, Vilaça (1999, 2002) analyse la façon dont les
Wari (société indigène d’Amazonie brésilienne) pensent le processus
de contact avec les Blancs à travers le prisme du chamanisme. De
la même façon que les chamanes cumulent simultanément plusieurs
points de vue (humains et non humains), les Wari, en adoptant l’habit
et certains comportements des Blancs, acquièrent une double identité :
Wari et Blanc. Ils ne se marient pas avec les Blancs — ce qui reviendrait
à « devenir » blanc tout court —, mais échangent avec eux, gardant
ainsi leur double identité, comme les chamanes vis-à-vis des nonhumains. Il s’agirait moins ici d’imiter les Blancs pour s’assimiler à
eux que d’« assimiler » leur point de vue (conserver une bi-corporalité,
à l’instar du chamane).
Ayahuasca et néo-chamanisme
La question des usages rituels des hallucinogènes dans le chamanisme
amazonien a été l’un des autres thèmes traités par les spécialistes de ces
120
une façon d’agir dans le monde
régions. Cette question a suscité récemment un nouvel intérêt dans le cadre
cette fois du tourisme dit mystique ou chamanique (The New Age Tourism
Market) qui de développe comme une traînée de poudre un peu partout
dans le monde, suscitant une littérature considérable dont il convient de
dire ici deux mots concernant l’Amazonie. La décade des années 1970 est
alors marquée par une série d’études sud-américanistes sur les rapports
entre hallucinogènes, chamanisme et culture, et sur la fameuse question des
« états altérés de conscience ». L’objectif était entre autres de comprendre
comment se constituent, se mémorisent et se transmettent les savoirs dans
ces cultures, et le rôle que pouvait jouer l’expérience hallucinogène dans
ce processus. Reichel-Dolmatoff (1975) et Furst (1987) en particulier ont
été parmi les premiers à souligner l’importance culturelle des substances
hallucinogènes dans différentes sociétés des basses terres, notamment au
niveau des performances rituelles et des réalisations artistiques. Cette
approche culturaliste des hallucinogènes a notoirement contribué au
succès actuel des mouvements dits néo-chamaniques et à la prolifération
d’ouvrages populaires sur le sujet.
Rappelons qu’un grand nombre de sociétés amazoniennes ont recours
à l’ingestion de substances hallucinogènes d’origine végétale (incluant
le tabac pris à haute dose) pour induire des visions. Qu’elles soient
individuelles ou collectives, les prises sont souvent associées à l’activité
chamanique. Le terme de « vision » apparaît cependant inadéquat pour
qualifier ce type d’expérience qui ne se limite nullement au seul champ
visuel, mais implique souvent l’interaction de l’ouïe et de l’odorat, ainsi
que la référence aux couleurs. Dans l’ouest amazonien, la décoction
hallucinogène connue sous le nom d’ayahuasca (« liane du mort » ou
« liane amère » en langue quechua) jouit aujourd’hui d’une grande
diffusion bien au-delà de cette aire. L’expansion depuis une trentaine
d’années de ce breuvage — composé à partir de la liane Banisteriopsis
caapi et des feuilles du Psychotria veridis dans les principales villes
amazoniennes, puis son internationalisation en Europe et aux ÉtatsUnis notamment, ont motivé de nombreuses études4.
4 On citera les travaux de Dobkin de Rios (1984, 1992) sur le chamanisme urbain au
Pérou, de Labate (2004), Labate et Sena Araujo (2002), Labate et Jungaberle (2011) sur
l’internationalisation de l’ayahuasca, de Labate et al. (2008) pour une bibliographie
sur le thème, de Luna (1986), un classique sur le sujet, de Luna et Amaringo (1991) sur
l’iconographie de l’ayahuasca, de Luna et White (2000), un « Ayahuasca Reader » ou encore
Baud et Ghasarian (2010) et Narby (2012) sur les ayahuasqueros occidentaux, et Losonczy et
Mesturini Cappo (2011) sur les néo-chamanismes de l’ayahuasca.
121
jean-pierre chaumeil
En grands experts, les chamanes amazoniens utilisent ce breuvage
tout au long de leur apprentissage pour communiquer avec les entités
invisibles qui leur confèrent des pouvoirs, ne réduisant généralement la
fréquence des prises qu’une fois parvenus au sommet de leur art. Certaines
sociétés amazoniennes ignorent cependant l’emploi de telles substances
ou les ont abandonnées, d’autres au contraire viennent de les adopter
auprès de sociétés voisines ou en contexte urbain. Grâce à l’accroissement
des qualités sensorielles et perceptives qu’il induit, ce type d’expérience
définit davantage un champ relationnel qu’elle ne permet d’accéder à des
vérités ou à des essences figées. Dans les séances de guérison chamanique
par exemple, il importe moins de définir la nature de la maladie que
le contexte relationnel dans lequel elle est produite, qu’il s’agisse d’un
affrontement inter-chamanique ou de la transgression d’un interdit.
Plutôt que d’isoler les éléments à la manière d’un système taxinomique
formel, l’univers chamanique connecte les différents états perceptifs, met
en relation le visible et l’invisible, relie les êtres et les choses.
Plusieurs études amazoniennes se sont ainsi penchées sur les liens entre
expérience visionnaire et expression artistique (Reichel Dolmatoff 1987,
Keifenheim 1999, Lagrou 1996, Barcelos Neto 2002). L’argument selon
lequel l’art indigène dériverait en grande partie de pratiques visionnaires
a souvent été avancé. La plupart des artistes indigènes eux-mêmes ne
disent d’ailleurs pas autre chose quand on les interroge sur l’origine
de leur art. Celui-ci ne constituerait donc pas un champ d’expression
autonome. On sait par exemple qu’un motif décoratif (dessin, peinture
corporelle, etc.) mal exécuté, c’est-à-dire esthétiquement imparfait
selon les critères indigènes, peut avoir des conséquences graves sur la
santé de celui qui l’a réalisé, au même titre que les « mauvaises lignes »
des dessins liés à la personne chez les Shipibo d’Amazonie péruvienne
(Gebhart-Sayer 1984). Chaque personne shipibo est censée posséder son
propre dessin qu’elle doit conserver intact jusqu’à sa mort sous peine de
maladie. En cas contraire, le chamane doit reconstruire, par une sorte de
« thérapie esthétique », le dessin du malade en effaçant ou en rectifiant
les mauvaises lignes (op. cit.). Ailleurs, le chamane doit savoir dessiner
ses propres visions ou être capable de les transmettre avec suffisamment
de précision pour que les artistes chargés de les reproduire sur bois,
tissu ou céramique puissent le faire dans les règles de l’art. Chez les
Cashinahua (de langue pano), l’art graphique exécuté par les femmes
et les visions chamaniques sont indissociables et complémentaires. Les
122
une façon d’agir dans le monde
motifs graphiques féminins formeraient ainsi une écriture visuelle liée à
l’identité du groupe, les visions chamaniques seraient des images reçues
de l’extérieur (connotant à l’inverse l’altérité). On voit donc en quoi un
examen plus rigoureux des conceptions chamaniques peut ouvrir de
nouvelles pistes pour l’interprétation de l’art amazonien. Celui-ci serait
alors moins perçu comme un support de propositions symboliques ou
un marqueur d’identité que comme un mode d’action sur le monde.
Sur la question des hallucinogènes et de l’ayahuasca, Deshayes (2002)
a suggéré, à partir des mêmes matériaux cashinahua, que la quête des
visions n’est sans doute pas l’objectif principal des consommateurs de
cette boisson, mais plutôt la recherche et le contrôle d’états émotionnels,
et particulièrement de la frayeur, qui apparaît d’ailleurs comme une
constante dans les récits initiatiques amazoniens. Il est ainsi montré
que la maîtrise de la peur et de la frayeur à travers la consommation
régulière de l’ayahuasca fait partie de l’apprentissage, dès le plus jeune
âge, des enfants cashinahua. On sait aussi que les principaux motifs
de l’imagerie chamanique sont ceux d’animaux prédateurs (serpents,
jaguars, vautours, etc.) ou d’entités hybrides aux allures terrifiantes.
L’apprentissage de la frayeur et du danger aurait ainsi pour effet de
maintenir en éveil tous les sens, de susciter un état d’attention et de
vigilance permanent face aux dangers de la forêt où pullulent les figures
prédatrices des non-humains. Le chamanisme d’ayahuasca serait, selon
l’auteur, une thérapeutique des émotions et de la frayeur avant d’être
une thérapeutique des visions. Si des substances comme l’ayahuasca
sont génératrices d’émotions plus que de visions, cela supposerait une
révision notoire de ce que nous qualifions communément d’« hallucinogène ». La piste ouverte a en tout cas l’intérêt d’introduire le champ
des émotions dans la sphère du chamanisme, jusque-là dominée par le
monde des visions.
Tourisme chamanique et normalisation
Parmi les activités touristiques globalisées, le tourisme chamanique
et le rituel de l’ayahuasca ont atteint un tel essor ces dernières années
qu’ils ont pris parfois des allures de véritable industrie. En 2008, le Pérou
a déclaré comme patrimoine culturel national l’usage traditionnel de
l’ayahuasca par les communautés indigènes de l’Amazonie dans le but
123
jean-pierre chaumeil
de protéger la plante face à la mondialisation. Malgré cela, le commerce
de l’ayahuasca se répand comme une traînée de poudre sur la planète
pour devenir un système très organisé, assimilé par certains spécialistes
à un « narcotourisme » et les chamanes de l’ayahuasca à des hommes
d’affaires sans scrupule (Dobkin de Rios 2010). À propos des Shipibo de
l’Ucayali, Rama Leclerc (2010, pp. 376-378) a révélé la création, dans
le village très touristique de San Francisco de Yarinacocha au cours
des dix dernières années, de sept centres chamaniques qui rivalisent
pour s’accaparer les revenus du tourisme. Devant la multiplication
de telles situations conflictuelles aux quatre coins de l’Amazonie, des
tentatives de normalisation et de réglementation des pratiques et des
savoirs chamaniques ont vu le jour. C’est ainsi qu’ont été créés les
fameux syndicats de chamanes indigènes et métis, associations dotées
d’une personnalité juridique de droit privé qui ont établi des normes et
des critères stricts de définition du « bon chamane » comme éventuelle
mesure préventive contre les abus de certains praticiens peu scrupuleux.
La Direction régionale du tourisme du Loreto à Iquitos (Amazonie
péruvienne) a rédigé dans ce sens une liste (non encore publiée) de
« chamanes accrédités » dans le but de pouvoir recommander aux touristes
des « chamanes de confiance », formellement identifiés et enregistrés.
La liste actuelle comprend 54 noms de chamanes, hommes et femmes
(les critères de sélection sont divers). L’objectif déclaré de la Direction
du tourisme est de « responsabiliser » les chamanes dans l’exercice de
leur pratique (mais aussi de se protéger en tant qu’institution régionale
contre les dérapages du tourisme, un secteur en pleine expansion
de l’économie péruvienne). Il s’agit en somme de normaliser et de
réglementer les pratiques chamaniques en conformité avec le marché
du tourisme et les bonnes affaires. Pourtant, normaliser une pratique
tel que le chamanisme provient d’une vision idéalisée, voire romantique,
du chamanisme amérindien comme un corps de connaissances fixe,
scolaire, normatif, alors qu’il s’agit précisément du contraire, d’une
épistémologie complexe et dynamique, flexible et expérientielle. Inutile
de préciser que les résultats de cette mesure ont été contraires aux
espérances : les chamanes ont commencé à se disputer entre eux pour
figurer sur la liste et la Direction du tourisme n’a eu d’autre choix que
de la retirer. Cette vision codifiée du chamanisme est à l’évidence une
invention destinée à réduire coûte que coûte les connaissances et les
pratiques indigènes en de simples marchandises exportables.
124
une façon d’agir dans le monde
De l’Amazonie à l’Afrique
Depuis quelques années est apparue au Gabon, en Afrique centrale,
une nouvelle forme de tourisme mysticospirituel qui se trouve, d’une
certaine manière, en concurrence avec le tourisme d’ayahuasca. Nombre
d’adeptes occidentaux qui ont expérimenté l’ayahuasca durant la dernière
décennie cherchent en effet aujourd’hui à s’initier au rituel africain. Il
s’agit du rituel initiatique bwiti, qui comprend l’usage des racines d’une
plante hallucinogène, l’iboga (Tabernanhte iboga). Ce rituel intéresse les
anthropologues de l’Amazonie, car il rappelle par maints aspects l’usage
ritualisé de l’ayahuasca. On y retrouve les mêmes ingrédients, les mêmes
imaginaires, les mêmes idées salvatrices et les mêmes mécanismes de
normalisation et de patrimonialisation. Les deux rituels sont également
entrés en compétition de part et d’autre de l’Atlantique sur la rhétorique
primitiviste : les pratiquants de l’ayahuasca s’essaient à présent à l’iboga
supposé engendrer une expérience plus radicale de « retour aux origines »
dans une Afrique perçue comme le berceau de l’humanité. Découvrir
l’iboga se présente comme un voyage en profondeur, à l’intérieur de soi
et même de son propre ADN (Chabloz 2009). De même, les chamanes
gabonais, les nganga, sont considérés par les adeptes du bwiti comme
les plus puissants au monde : ils préfigurent en quelque sorte l’image
mondialisée du chamane et de la religion première à travers notamment
la figure ancestrale du pygmée (l’équivalent sémantique du Jivaro pour
l’Amazonie). De ce fondement primitiviste viendrait le succès du rituel
de l’iboga censé permettre d’accéder à une expérience authentique et
par conséquent plus attrayante encore que son équivalent amazonien.
Ces déplacements transcontinentaux sur fond de primitivisme moderne
mériteraient d’être soumis aux regards croisés des chercheurs travaillant
dans ces deux régions du monde.
Chamanisme, discours politique, revendication culturelle
Tout au long des siècles écoulés, et plus encore ces dernières décennies,
le chamanisme s’est vu solliciter sur de nombreux fronts et dans des
contextes culturels et politiques de plus en plus diversifiés. Mieux sans
doute que d’autres institutions, il s’est montré particulièrement créatif face
à ces changements. Nombre de pratiques chamaniques contemporaines
125
jean-pierre chaumeil
en témoignent et accompagnent souvent les mouvements de réaffirmation
culturelle en Amazonie au sein desquels les chamanes jouent à l’évidence
aujourd’hui un rôle politique de plus en plus actif.
On s’est ainsi intéressé aux manifestations et aux expressions
politiques contemporaines du chamanisme dans cette région. D’abord
considérés comme des acteurs spirituels, on n’hésite plus à présent à
considérer les chamanes comme des sujets politiques à part entière,
comme en témoigne par exemple le récit de vie du chamane yanomami
Davi Kopenawa (Kopenawa et Albert 2010). Ancien élève des écoles
évangéliques, puis fonctionnaire de la FUNAI (Fondation Nationale
de l’Indien au Brésil) avant d’être initié au chamanisme, Kopenawa
bénéficie aujourd’hui d’une visibilité politique sur la scène nationale
et internationale. Le contenu des discours politiques de ce chamane
à la trajectoire singulière montre bien le double travail de traduction
effectué, entre d’un côté la reformulation des références cosmologiques
de sa propre tradition et de l’autre celle que lui imposent les idéologies
indigénistes du moment (op. cit.). Il ne s’agit donc pas en l’occurrence
d’une simple reproduction mimétique de la rhétorique indigéniste de
l’État, comme un examen rapide pourrait le laisser entendre, mais
d’une réélaboration des conceptions chamaniques traditionnelles pour
produire des références identitaires et des possibilités d’action, comme
construire et légitimer des revendications territoriales.
Traitant du même sujet, mais dans une optique quelque peu
différente, Conklin (2002) s’interroge de son côté sur ce qu’elle appelle
la politisation de l’image du chamane ainsi que sur la redéfinition du
chamanisme qu’implique à ses yeux l’émergence sur la scène publique
de ces nouveaux leaders. Débarrassé des connotations négatives qu’il
a longtemps véhiculées, le chamanisme deviendrait le nouvel axe ou
l’icône d’une identité indigène « citoyenne » et responsable, à la fois
gardien des savoirs sur la forêt et critique des politiques nationales
en matière notamment d’environnement. L’auteure voit dans cette
« chamanisation » des politiques indigènes un cas d’étude sur la manière
dont les identités indigènes ont été reformulées en réponse au besoin
de négocier leur position au sein de l’État (comme citoyen dans une
société démocratique) à partir d’une image positive du chamane. Les
métaphores de la guérison, du savoir et de la sauvegarde de la forêt
seraient ainsi des outils symboliques puissants pour permettre aux
indigènes de poursuivre leurs objectifs politiques. Il faudrait sans doute
126
une façon d’agir dans le monde
ajouter aux arguments de l’auteure l’influence croissante en Amazonie
des « nouvelles religions », telles les églises évangélistes et pentecôtistes
qui jouent à l’évidence un grand rôle dans les transformations
contemporaines du chamanisme. L’analyse de Conklin ne fait toutefois
pas assez justice aux capacités de réflexion et de créativité des acteurs
indigènes dans la construction de nouvelles formes d’expressions
politiques qui ne sont pas nécessairement des répliques rudimentaires
du discours dominant (écologiste notamment) ni des imitations des
nombreux stéréotypes véhiculés par la société nationale.
Dans une perspective différente et quelque peu critique face à la
vision idéalisée et romantique du phénomène propagée par la mouvance New Age, Whitehead (2002) s’est intéressé au « black side » du
chamanisme en étudiant, à travers le complexe du kanaima des hautes
terres guyanaises, le rôle de la violence rituelle dans la reproduction
symbolique des identités indigènes. La notion de kanaima se réfère à
une forme de mutilation et de meurtre rituels pratiquée par certains
types de chamanes dans ces régions. Whitehead s’est attaché à montrer
comment cette forme de chamanisme agressif illustre la façon dont la
violence peut participer à l’organisation de la société et construire un
champ de pouvoir social et culturel. Il invite ainsi à reconceptualiser la
violence ritualisée, non comme dysfonctionnelle ou pathologique, mais
plutôt comme une expression socioculturelle complexe et structurante
— une problématique développée dans un collectif édité par l’auteur
lui-même et Wright (2004). Ces recherches invitent également à se
pencher sérieusement sur la recrudescence des pratiques d’agression ou
de sorcellerie chamanique que l’on observe ces dernières années dans
certaines sociétés amazoniennes, comme chez les Awajún de langue
jivaro (Pérou) qui ont conduit des dizaines de familles à abandonner
leur communauté pour échapper aux persécutions menées contre elles
par les membres de leur propre groupe. Bien que la recrudescence de ce
phénomène ait été expliquée par la venue massive de nouveaux acteurs
sociaux dans la région (entreprises pétrolières, ONG, églises et groupes
politiques), il ne fait aucun doute que s’ouvre ici un nouveau champ
d’analyse sur les transformations contemporaines du chamanisme.
127
jean-pierre chaumeil
En guise de conclusion
On voit donc qu’au cours de cette longue histoire de contacts et
d’affrontements, les sociétés amazoniennes ont su maintenir très
vivante une certaine tradition chamanique tout en élaborant des
formes originales qui ne sont ni la réplique de leur lointain passé, ni la
pâle copie des modèles imposés. On observe bien autre chose qu’une
somme d’éléments hétéroclites empruntés aux diverses traditions qui
ont déferlé sur leur territoire. Ces quelques exemples confirment, s’il en
était besoin, la force et la permanence d’un phénomène millénaire que
l’épreuve du temps et des conquêtes n’a pu vaincre. Tout se passe, bien
au contraire, comme si le chamanisme se nourrissait de cette relation
à l’autre, prenant un nouveau visage et un nouveau dynamisme chaque
fois que la relation se modifie.
Un mouvement d’internationalisation du chamanisme a vu le jour et
il est aisé de le repérer partout dans le monde. Ce mouvement intéresse
au plus haut point l’anthropologie en ce que le chamanisme constitue
l’un des rares éléments d’identité du monde indigène qui bénéficie d’un
succès et d’une large acceptation dans le monde occidental moderne,
soit en tant que médecine alternative (nouveau type de relation
thérapeutique), soit comme religion ou savoir sur la nature. En même
temps, on assiste à un processus de politisation de l’image du chamane
ou, si l’on veut, à une forme de « chamanisation » des politiques et
des identités indigènes. Le leader actuel de la principale organisation
indigène amazonienne au Pérou (Aidesep), Alberto Pizango Chota,
d’origine Shawi (langue Cahuapana), se proclame volontiers chamane
et grand connaisseur des traditions amazoniennes : il est d’ailleurs
candidat au Master d’études amazoniennes à l’Université Nationale de
San Marcos de Lima. Plus récemment encore, avec le développement
du tourisme mystique, on observe un changement de paradigme avec
les tentatives de normalisation et de réglementation des pratiques
chamaniques pour les adapter au tourisme et au commerce culturels. Il
est intéressant de constater à cet égard que ce tourisme chamanique —
qui est supposé mobiliser une cosmologie différente, pour ne pas dire
opposée, à la cosmologie occidentale — fonctionne curieusement en
l’expurgeant de toute référence susceptible de contrevenir à la morale
bien-pensante du tourisme équitable (on ne trouvera par exemple
aucune allusion à la sorcellerie), dans une sorte d’aseptisation ou, si l’on
128
une façon d’agir dans le monde
préfère, d’occidentalisation du chamanisme. Reste à savoir à présent si
les sociétés amérindiennes pourront s’extraire de ce mouvement global
conduisant à la normalisation et au commerce de la culture, ou si le
chamanisme nous réserve encore quelques surprises en se nourrissant
de ces nouveaux changements.
129
jean-pierre chaumeil
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