Les femmes, citoyennes de la communauté de

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Les femmes, citoyennes de la communauté de détenus
de Theresienstadt
Cet article a été traduit par Odile Demange, avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la
Shoah [1]
Le 19 février 1945 1, Rolf Grabower, qui avait été pendant de longues années haut fonctionnaire au
ministère allemand des Finances et avait travaillé comme juge de contrôle à Theresienstadt, a fait
remarquer, parlant de ses collaboratrices : « L’autorité des femmes, à quelque poste que ce soit, ne
peut qu’être absolument insupportable à toute personne raisonnable. Le rôle des femmes est d’être
des ménagères et des mères, et elles ont prouvé une fois de plus qu’à part comme secrétaires, elles
sont parfaitement impossibles. » 2 L’hostilité de Grabower était due à une cause récente : pendant
le mandat du troisième et dernier Ancien du Conseil juif, Benjamin Murmelstein, au cours des sept
derniers mois d’existence de Terezín, des femmes avaient pour la première fois occupé des postes
de responsabilité dans l’administration autonome juive du camp. Après la désastreuse vague de
transports de l’automne 1944, Murmelstein restructura ses services, qui occupaient les deux tiers de
la population de Terezín, et la plupart des hommes de moins de 65 ans. Cette réorganisation eut
notamment pour effet de promouvoir Emma Goldscheiderová de Pilsen (Plzeň) à la tête du
Raumwirtschaft (la gestion de l’espace), tandis que Martha Mosse de Berlin, ancienne haut
fonctionnaire de l’Association des Juifs Allemands du Reich, prit la direction du service de police de
Theresienstadt, un bureau auxiliaire de la garde du ghetto. 3 Mosse se plaignait des difficultés
qu’elle rencontrait au ghetto en tant que femme fonctionnaire. Ses subalternes, des femmes elles
aussi, ne voulaient pas d’un chef de sexe féminin, estimant que cela les dévalorisait. 4 Elle était
obligée en outre de tenir tête à ses collègues masculins, qui étaient ses égaux.
Les anecdotes de ce genre en provenance de Theresienstadt sont légion. Dans cet article, j’affirme
que nous sommes en présence d’un moment précis de la vie d’une communauté forcée de la Shoah
qui a produit, en tout cas dans l’esprit de certains détenus, une sorte de cité-État. Cette vision des
choses faisait de Theresienstadt une polis ayant les prisonniers pour citoyens ; hommes et femmes
n’étaient cependant pas égaux sur ce plan. Theresienstadt en tant qu’État offrait aux yeux de
certains fonctionnaires juifs des possibilités novatrices, ce qui stimula les réflexions d’un grand
nombre de gens. 5 Cette image de Theresienstadt en cité-État permettait d’envisager le ghetto
comme une nouvelle société réformée – une sorte de modèle de crise par défaut, une société
primitive imaginaire dotée du savoir d’une société moderne, et aussi, dans une modeste mesure, de
ses outils. Je tiens néanmoins à souligner que malgré l’existence d’une autonomie relative et limitée
par rapport à la SS – une des raisons qui permirent à cette mentalité de s’affirmer –, envisager
Terezín comme une polis relevait du rêve plus que de la réalité. Il n’était pas question que les
détenus de Terezín créent leur ghetto tel qu’ils le souhaitaient. À la différence des modèles de
citoyenneté étatique d’avant-guerre, c’était de surcroît, s’agissant de répartition sexuelle des
tâches, un univers d’hommes. Si les femmes avaient une fonction à assumer en tant que «
citoyennes » de Terezín, c’était dans un rôle de soutien, d’appui ainsi que dans des missions
sociales.
En m’inspirant de mon travail sur les genres et sur la communauté des victimes de la Shoah, j’étudie
ici la place des femmes dans la communauté forcée de Terezín. 6 S’agissant des postes à
responsabilité, on observe des évolutions très intéressantes à cet égard entre la période antérieure à
la déportation et celle de Theresienstadt. À l’image de tant d’autres traits propres à la société des
victimes de la Shoah, la place que la communauté de détenus attribua aux femmes ne constitue pas
seulement une fascinante note en bas de page ; elle est révélatrice de problèmes plus généraux
concernant cette collectivité forcée. La tendance à nier la réalité des mécanismes de pouvoir liés au
sexe pendant la Shoah, les objections telles que « c’était la guerre, qu’est-ce que vous croyez, le
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genre n’avait aucune importance à long terme puisqu’ils sont tous morts » ou « on ne peut pas lire
les sources dans une perspective anhistorique » sont liées à la différenciation genrée de notre
compréhension – ou de notre incompréhension – de la Shoah. 7 Réfléchir à la société forcée des
camps et des ghettos nous incite à nous pencher sur les hiérarchies et les positions de pouvoir. La «
citoyenneté » des femmes dans la société des victimes apparaît ainsi comme une catégorie
instrumentale d’analyse. Bien que l’on ait déjà consacré de nombreux écrits aux femmes pendant la
Shoah ainsi qu’aux liens entre citoyenneté et Shoah, l’intersection de ces deux sujets reste un
domaine inexploré, qui offre de surcroît un excellent angle de vue pour étudier le ghetto de
Theresienstadt.
Quel sens faut-il donner au concept de « citoyenneté » dans le contexte de la société de la Shoah ?
Un certain nombre d’historiens, parmi lesquels Rogers Brubaker, Andreas Fahrmair, Dieter
Gosewinkel et Stefan Meyer, Ulrike von Hirschhausen, sans oublier Benno Gammerl, ont analysé la
citoyenneté en tant que catégorie historique. 8 Leur conception est celle d’une « citoyenneté dure »,
qui constitue « une institution juridique centrale de l’État-nation. » 9 Ils se sont également penchés
sur les limites de la citoyenneté, de l’exclusion et de l’apatridie, ainsi que sur leurs conséquences
historiques. 10 En revanche, Laurent Berlant, Kathleen Canning et d’autres chercheurs ont introduit
la catégorie de « citoyenneté molle », une notion plus générale désignant le sentiment
d’appartenance subjectif et performatif. Dans la définition de Canning, cette notion recouvre « le fait
de devenir sujets comme … un [processus] méditatif qui prend en compte aussi bien le pouvoir des
lois […] que les interventions et interprétations de ceux qui les rencontrent, les adoptent et les
contestent. » 11 Récemment, Maura Hametz a plaidé pour une association des définitions « dure »
et « douce », combinant la citoyenneté concrète d’un pays, définie par un État, propre à la
citoyenneté dure, et la citoyenneté molle, avec tous les privilèges et les devoirs qui l’accompagnent.
Hametz étudie à cet égard la situation des femmes et des soldats apatrides dans la ville de Trieste
récemment rattachée à l’Italie à l’issue de la Première Guerre mondiale. 12
Dans cet article, je recours au concept de citoyenneté molle « dans le sens des droits et des
revendications à la participation », 13 considérant les citoyens comme des membres (égaux) d’une
communauté, en l’occurrence celle des habitants d’Europe du Centre et de l’Ouest déportés par les
nazis dans le ghetto de transit de Theresienstadt en raison de leurs origines juives. Cette notion de
citoyenneté molle a pour avantage d’éviter une définition étroite de l’État ; elle est également
largement produite et confirmée par le discours ambiant, tant par les médias que par la culture
populaire et la consommation. Même s’il put arriver à des membres de l’administration juive et à un
certain nombre de détenus d’envisager Theresienstadt comme une polis, le ghetto n’était pas un
État, ce qui nous interdit de lui appliquer la notion de « citoyenneté dure ». Il ne rédigea jamais de
constitution et n’organisa jamais d’élections, actes classiques d’affirmation et d’application des
règles relatives à l’État. 14 L’absence de cadre étatique formel en même temps que l’intérêt d’une
étude approfondie des hiérarchies genrées au sein de la communauté de prisonniers nous conduit à
recourir au concept de citoyenneté « molle ».
Un certain nombre d’historiens se sont penchés sur la question de la « citoyenneté dure » pendant la
Shoah, qui fut souvent un facteur déterminant de la survie ou de la mort. 15 En 1938, les autorités
allemandes expulsèrent vers la Pologne les Juifs de nationalité polonaise, même s’ils avaient passé
toute leur vie en Allemagne. 16 En France, après le début des déportations dans le courant de l’été
1942, le nombre de Juifs « étrangers » déportés fut sans commune mesure avec celui des Juifs
français. 17 Ajoutons que de nombreux Juifs qui avaient obtenu la nationalité française se la virent
retirer. 18 Être citoyen d’un pays neutre ou ami – Suisse, États-Unis, Amérique latine ou Espagne –
permit à certains d’éviter la déportation dans les camps d’extermination et valut même à quelques
centaines de personnes de pouvoir partir pour la Palestine dans le cadre d’un échange. 19 On
connaît bien le onzième décret d’application de la loi sur la citoyenneté du Reich du 25 novembre
1941, qui prévoyait la perte automatique de la citoyenneté et la confiscation des biens des Juifs
allemands définitivement installés à l’étranger. Ce texte préparait ainsi le terrain aux déportations
massives vers les camps et les ghettos d’extermination qui débutèrent peu après. 20 Cependant,
Theresienstadt étant située dans le « protectorat de Bohême Moravie » c’est-à-dire à l’intérieur des
frontières du Reich allemand, le 11e décret ne pouvait pas s’y appliquer. 21 Les autorités
allemandes usèrent d’autres méthodes pour légaliser les déportations de Juifs, dont les plus connues
sont les Heimeinkaufsverträge, ou « contrats d’acquisition d’un lieu de vie », que les Juifs allemands
furent contraints de signer. 22
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Des chercheuses féministes, parmi lesquelles Sybil Milton, Joan Ringelheim, Marion Kaplan, Dalia
Ofer, Lenore Weitzman et Atian Grossman se sont intéressées à l’intersection entre études de genres
et études féminines d’une part, histoire de la Shoah de l’autre. La question clé qu’elles ont posée, Où
étaient les femmes ?, sert encore de fondement aux spécialistes des études de genre et de l’histoire
de la Shoah. Les historiennes féministes sont parties de l’absence fréquente des femmes des
ouvrages historiques, mais aussi des récits des hommes. Pendant longtemps, jusqu’à aujourd’hui
peut-être, les femmes n’ont pas été présentées comme des personnages historiques importants.
Quand nous aurons réussi à conceptualiser le mécanisme responsable du rôle attribué aux femmes
en tant que citoyennes de la communauté des victimes pendant la Shoah, nous comprendrons
peut-être mieux leur exclusion non seulement du cadre de la Shoah, mais de celui de récits
historiques plus généraux, officiels.
Cet article comporte trois parties : après avoir esquissé une histoire de Theresienstadt et expliqué
comment les habitants du ghetto ont commencé à y voir une polis, j’examinerai la différence de
traitement entre hommes et femmes par l’administration autonome du ghetto. La troisième partie
examinera l’exclusion des protagonistes féminins de certains témoignages autobiographiques
masculins, et son impact.
Terezín : une histoire
Terezín (Theresienstadt en allemand ; j’emploie les deux appellations indifféremment) a été fondé en
novembre 1941 comme camp de transit destiné à tous les Juifs du protectorat de Bohême Moravie.
Cette ancienne ville de garnison est située à mi-chemin entre Prague et Dresde. À partir de juin
1942, la SS y envoya également les Juifs allemands et autrichiens âgés et jouissant d’un certain
prestige (les Prominente). La fonction de Terezín évolua, ce lieu servant à la fois de ghetto pour les
Juifs âgés et de « camp pour les privilégiés ». En 1943, la SS aménagea Terezín pour en faire un
camp modèle présenté à des fins de propagande à une délégation de la Croix Rouge internationale.
Si cet aspect occupe une place prédominante dans l’image publique de Terezín, on ignore
généralement l’effet relativement modeste que cette visite de la Croix Rouge et le film de
propagande ultérieur exercèrent sur la vie quotidienne dans le ghetto. Les prisonniers mouraient de
malnutrition, ils vivaient au milieu de la crasse et de la vermine et sous la menace constante de la
déportation vers l’Est, un risque qu’ils savaient mortel. La SS utilisait Terezín comme camp de
transit 23 : les convois entraient et sortaient. Dans un premier temps, les déportations prirent la
direction du ghetto de Riga, puis celle de ghettos et de centres de mise à mort du district de Lublin,
de Raasiku, Maly Trostenets, Treblinka et Varsovie. À partir d’octobre 1942, les transports au départ
de Terezín se dirigèrent exclusivement vers Auschwitz. Sur les 87 000 personnes déportées à l’Est
depuis Terezín, il n’y eut qu’environ 4 000 rescapés. 24 Près de 34 000 personnes, âgées pour la
plupart, y succombèrent de maladies liées à la malnutrition. Terezín fut le seul ghetto à exister
jusqu’à la fin de la guerre : le 9 mai 1945, près de 15 000 survivants furent libérés.
Au total, 148 000 Juifs furent transportés à Terezín, dont près de 74 000 originaires du Protectorat,
plus de 42 000 d’Allemagne et plus de 15 000 d’Autriche. Ces groupes « importants »
s’accompagnaient d’effectifs plus réduits de Juifs des Pays-Bas (4 900), du Danemark (471),
auxquels s’ajoutèrent vers la fin de la guerre des Slovaques et des Hongrois (respectivement 1 400
et 1 150). Certains déportés étaient apatrides : en effet, parmi les déportés hollandais et danois se
trouvaient également des émigrés allemands, autrichiens et tchèques que l’Allemagne avait privés
de leur nationalité et qui étaient donc apatrides. La citoyenneté ne joua cependant aucun rôle dans
les déportations à Terezín : au Danemark, lors de la rafle de la nuit du 1er au 2 octobre 1943, des
Juifs danois aussi bien qu’apatrides furent arrêtés et déportés à Theresienstadt. 25 Dans le camp de
transit de Westerbork, des Juifs hollandais aussi bien qu’allemands et autrichiens pouvaient remplir
les conditions requises pour être envoyés à Theresienstadt, un camp considéré comme privilégié par
rapport à la « Pologne », autrement dit Auschwitz et Sobibór. 26
À Theresienstadt, les familles étaient séparées, hommes et femmes occupant différentes salles,
équipées de lits superposés pouvant contenir entre huit et 200 occupants. La plupart des enfants
étaient logés dans des foyers pour jeunes tchécophones et germanophones. Terezín relevait de
l’autorité de la SS, mais celle-ci était faiblement représentée puisqu’elle n’avait que trente membres
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sur place ; les fonctions de surveillance proprement dite étaient assurées par des gendarmes
tchèques. 27 Les nazis étaient largement absents du paysage du ghetto. Plusieurs détenus ont
remarqué qu’il avait pu leur arriver de ne pas croiser un seul SS pendant plusieurs semaines
d’affilée. La gestion pratique du ghetto était entre les mains de l’administration autonome juive : la
SS contrôlait Theresienstadt, mais les Juifs l’administraient.
Le ghetto était en effet doté d’une administration autonome, regroupant différents courants «
nationaux » (tchèques, allemands, autrichiens, etc.) et « idéologiques » (sioniste, tchéco-juif). Cette
administration autonome était dirigée par un Conseil des Anciens, lui-même présidé par un doyen, le
Judenälteste, le « plus âgé des Juifs ». Cette administration produisit un système complexe de
services distincts. À cet égard, Theresienstadt était plutôt sur-organisé que sous-organisé. À la
différence de Lodz et d’autres ghettos, Terezín ne se transforma jamais en ghetto de travail. En
raison du délabrement de la ville et de l’important pourcentage de personnes âgées, 90 % de la
main d’œuvre étaient employés à l’entretien de l’infrastructure urbaine. 28 Tous les habitants âgés
de 16 à 60 ans étaient soumis à une obligation de travail, malgré une certaine évolution des limites
d’âge pendant la durée de vie du ghetto. L’approvisionnement alimentaire était insuffisant, et
comprenait peu de fruits et de légumes, et peu de protéines. Une majorité des décès au sein du
ghetto était due à des maladies provoquées par la famine. En mai 1942, l’administration autonome
juive mit en place un système d’alimentation classant les gens par catégories en fonction de leur
capacité de travail : les « travailleurs de force » (souvent chargés des tâches jugées indispensables)
avaient droit à des rations supérieures à celles des « travailleurs normaux » et des « non travailleurs
». Hommes comme femmes pouvaient être considérés comme des travailleurs de force. 29 Une
majorité écrasante de ces derniers étaient cependant de jeunes Juifs tchèques.
En dépit de son hétérogénéité ethnique, culturelle, linguistique et générationnelle, la communauté
de prisonniers de Terezín était relativement cohérente, contrairement aux sociétés fragmentées des
ghettos de Lodz ou de Varsovie. 30 Une des raisons essentielles de cette cohérence était l’existence
d’un métarécit unificateur. Celui-ci décrivait Terezín comme un lieu où les Juifs chassés de leurs
foyers et mis au ban de la société se révélaient capables de préserver certaines qualités au sein d’un
environnement uniformément hostile. À Terezín, affirmait ce récit, les Juifs donnaient la preuve qu’ils
pouvaient être d’excellents travailleurs manuels, veiller sur les plus vulnérables (les enfants) et
organiser des manifestations culturelles remarquables. Ce métarécit était directement lié à
différentes perceptions capitales parmi les prisonniers, et plus particulièrement à une solide éthique
de travail affirmant que chacun était responsable du bon fonctionnement du ghetto. 31 À son tour,
ce métarécit a donné naissance à des souvenirs appropriés et, sous une forme modifiée, continue à
façonner notre image du ghetto de Terezín. 32
Citoyenneté
Ce métarécit a engendré l’idée que Terezín était une sorte de cité-État. Il s’agissait là d’une
représentation implicite, et non d’une rhétorique explicite. Cette aptitude à tirer quelque chose de
bon de quelque chose de mauvais en incita certains à considérer cette communauté de prisonniers
comme une forme d’État. Alors que la polis grecque était une structure sociale hiérarchique excluant
de nombreux individus – femmes, étrangers, esclaves –, la polis imaginaire de Theresienstadt était
un modèle ouvert, intégrateur. Cette idée d’intégration séduisit de nombreux prisonniers.
Les témoignages interprétant Theresienstadt comme une polis sont souvent dus à des hommes,
âgés pour une part, qui travaillaient dans l’administration autonome juive de Theresienstadt.
Certains avaient exercé des professions administratives dans leur vie antérieure, d’autres en
revanche appartenaient à une nouvelle génération de sionistes. L’image du ghetto comme camp
d’entraînement pour la Palestine était un élément majeur de la représentation de Terezín en tant
que polis, notamment au sein de la direction sioniste tchèque. Jakov Edelstein, le premier Doyen des
Juifs né à Horodenka, imaginait volontiers Theresienstadt comme un hachshara poussé à l’extrême,
un camp d’entraînement sioniste préparant à l’émigration en Palestine. 33 L’influence des
fonctionnaires sionistes tchèques resta sensible même après la rétrogradation d’Edelstein en janvier
1943. En novembre 1942, le vice-doyen des Juifs, Otto Zucker, les membres du Centre du Travail
(Arbeitszentrale) et d’autres proches collaborateurs de Jakov Edelstein réalisèrent un album
commémorant la première année d’existence du ghetto. 34 Theresienstadt y était représenté
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comme une colonie autarcique, où des gestionnaires sages, supérieurs au commun des mortels (les
fonctionnaires sionistes), dirigeaient les masses pour en faire une ville fonctionnelle, viable. Cet
album présentait les détenus comme des citoyens que l’on encourageait à voir dans Terezín un lieu
où ils avaient ce qu’ils créaient de leurs propres mains. De même, en juillet 1943, Karel Schliesser,
responsable sioniste du service économique, adressa une carte postale à Nathan Schwalb,
représentant de l’organisation sioniste à Genève : « Tout va parfaitement bien chez nous, nous
travaillons avec ardeur pour mener à bien l’œuvre de construction que nous avons commencée ici.
Ma petite femme travaille dans l’agriculture. » 35
Cette mentalité ne touchait pas seulement les administrateurs sionistes ; on relève dans de
nombreuses sources documentaires de Terezín datant de la même époque une indéniable fierté à
l’idée d’accomplir du bon travail, de cultiver la collégialité, la solidarité, et de construire quelque
chose ensemble. En mars 2013, alors que je recherchais la trace de Franz Bass, éminent
gynécologue de Theresienstadt, je me suis rendue à Düsseldorf pour rendre visite à son beau-fils,
dont le père Bedřich (Fritz) Hahn était mort à la fin des années 1950. Fritz Hahn avait été, lui aussi,
détenu à Terezín où, grâce à son expérience de l’ingénierie, il était devenu un des membres
indispensables du bureau de planographie des services techniques. Avec ses collègues, il dessina un
album pour l’anniversaire de leur patron, le sioniste Julius Grünberger. 36 L’album Grünberger, que
j’ai eu entre les mains soixante-dix ans plus tard, montre bien à quel point le personnel était lié aux
réalisations, et plus largement, au monde de Terezín. Les services techniques n’avaient rien
d’idéologique : sionistes, tchéco-juifs et communistes y travaillaient côte à côte. Les dessins des
employés figurant dans l’album Grünberger sont autant de témoignages de l’ardeur qu’ils mettaient
à construire la ville dans laquelle ils vivaient, à faire de leur ghetto un monde en soi.
Terezín possédait une élite sociale de jeunes Juifs tchèques ; arrivés précocement au ghetto, ils
occupaient souvent des postes privilégiés de techniciens, cuisiniers, boulangers, bouchers et
médecins. 37 Leurs conditions de vie à Theresienstadt étaient nettement meilleures que celles des
autres détenus, et ils réussirent à se créer une situation tout à fait supportable, que certains
appréciaient même vraiment. Les membres de ce groupe finirent par considérer à maints égards
Terezín comme leur foyer. Ils étaient fiers de leurs réalisations, approuvaient le métarécit de Terezín
et y apportaient leur contribution. Cependant, ils ne pensaient pas en termes de citoyenneté. Leurs
points de référence étaient Prague et la Tchécoslovaquie, et leurs loyautés allaient en ce sens.
La disparité entre les conditions de vie matérielles de l’élite sociale et des détenus âgés fut l’un des
principaux motifs qui incitèrent ces derniers à s’immerger dans le métarécit de Terezín et, plus
particulièrement, à considérer le ghetto comme une polis. Les personnes âgées (définies comme les
plus de 65 ans) n’étaient pas astreintes au travail, elles touchaient les rations alimentaires les plus
modestes et les moins diversifiées et se voyaient infliger des conditions de logement encore plus
précaires, surtout jusqu’au milieu de 1943, date à laquelle la plupart d’entre elles étaient mortes. Le
traitement discriminatoire infligé aux plus âgés était enraciné dans la mentalité de sélection des
prisonniers tchèques arrivés précocement (les « vétérans »), et entraîna une forte mortalité des Juifs
âgés, aussi bien allemands et autrichiens que tchèques. La grande majorité (92 %) des 33 600 morts
de Terezín étaient des personnes âgées de plus de soixante ans. 38 Par ailleurs, les vétérans
tchèques témoignaient d’un certain scepticisme, de préjugés nationalistes et souvent même de
racisme à l’égard des prisonniers « étrangers ». L’élite sociale de Theresienstadt était constituée,
nous l’avons dit, de jeunes Juifs tchèques, ce qui plaçait les prisonniers allemands et autrichiens
âgés dans une situation difficile. Expulsés de leur pays natal par leurs anciens compatriotes après
plusieurs années de persécutions antisémites, ils se retrouvaient dans un environnement inconnu,
sale, surpeuplé, souffrant de la faim et entourés d’étrangers qui les considéraient souvent avec
mépris et dédain. D’où l’attrait qu’exerçait sur les détenus âgés le métarécit intégrateur sur le plan
ethnique et générationnel qui, au-delà du lieu de souffrance qu’était le ghetto, s’attachait à en
donner l’image d’un centre essentiel de civilisation, et même de construction. Ce métarécit leur
permettait de participer à quelque chose de positif, au lieu de n’être que persécutés. C’était
particulièrement vrai de ceux qui avaient exercé autrefois un emploi important, prestigieux, comme
Rolf Grabower, que nous avons rencontré plus haut.
Dans sa vie antérieure, Grabower avait été un éminent fiscaliste, qui passe, aujourd’hui encore, pour
un des pères de la TVA allemande. 39 Pendant toute la durée de sa détention, il rédigea des
recommandations de restructuration du fonctionnement du ghetto et défendit la professionnalisation
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de son administration. En septembre 1942, le quartier général de la SS ordonna à l’administration
juive de mettre sur pied une banque et d’introduire une monnaie. 40 On ne sait pas très bien
pourquoi les Allemands prirent cette décision ; peut-être pour donner à Theresienstadt une
apparence encore plus normale, plus supportable, à un moment où le ghetto était transformé en «
camp privilégié ». Le premier directeur de la banque, un certain M. Pollak, réfléchit avec Grabower à
la manière de transformer le système de troc en un régime d’impôt sur le revenu
(Lohnsteuersystem). Grabower rédigea un article de neuf pages exposant dans le détail les
possibilités de taxer l’économie du ghetto et, ainsi, d’en améliorer l’organisation et le
fonctionnement. 41 Une couronne spécifique au ghetto fut finalement introduite en mai 1943, mais
elle n’eut jamais le moindre pouvoir d’achat. La communauté de prisonniers fonctionnait en faisant
du troc de cigarettes, de pain et de monnaies tchèques et allemandes. Il serait commode de ne voir
en Grabower qu’un vieux Prussien farfelu, dont le projet d’introduction d’un système fiscal à Terezín
était déconnecté de toute réalité. Ce serait sous-estimer l’importance de cet épisode : aussi étrange
que puisse nous paraître le projet de lever des impôts dans un ghetto, l’idée même qu’on puisse
l’administrer et en améliorer le fonctionnement était également symptomatique de la conception de
Theresienstadt en tant qu’État, et de la place de citoyen de cette polis qu’occupait Grabower.
Sexisme et administration
À maints égards, les deux sexes occupaient une position équivalente à Theresienstadt : entre
l’adolescence et 60 ou 65 ans, hommes et femmes étaient astreints au travail obligatoire 42 ; les
jeunes étaient logés dans des foyers plus privilégiés, les autres étant soumis à des conditions plus
dures. Hommes et femmes étaient logés dans des baraques identiques, et vivaient sous la même
menace de déportation ; le système d’alimentation pouvait classer hommes et femmes parmi les
travailleurs de force, ce qui leur permettait d’obtenir de meilleures rations (il est vrai que les
hommes étaient nettement plus nombreux dans cette catégorie). Ils souscrivirent, les uns comme
les autres, au métarécit de Terezín, participèrent aux manifestations culturelles et les apprécièrent,
et témoignèrent souvent du même zèle au travail. Cependant, quand nous observons l’image qu’on
se faisait de la place des hommes et des femmes au sein de la communauté, autrement dit de leur
statut de citoyens, nous relevons d’importantes différences ainsi que des connotations
indéniablement sexistes.
Qu’elles aient réussi à faire face à la situation ou non, on représentait souvent les femmes comme
particulièrement émotives et abattues par la déportation. 43 On constate avec intérêt que certaines
des rares femmes employées dans l’administration autonome adoptèrent, voire forgèrent
elles-mêmes, ce point de vue. Edita Ornsteinová, responsable de l’Assistance Féminine (un
sous-département du Centre du Travail chargé des femmes célibataires) a décrit les femmes
bouleversées, abattues, « hystériques » qu’elle avait vues dans les baraques froides et sales de
Dresde durant l’hiver 1941/1942, incapables de réagir après avoir été séparées de leurs
compagnons. 44 Lui faisant écho, un des principaux rabbins tchèques, Richard Feder, évoqua les
problèmes particuliers que les anciennes bourgeoises de sa ville natale de Kolín durent affronter au
ghetto :
« Je n’oublierai jamais le jour du Pardon de 1943 dans le grenier des baraques de Hanovre.
La salle de prière était bourrée à craquer. Beaucoup de gens se bousculaient devant moi,
parmi lesquels plusieurs centaines de femmes. Elles portaient toutes des vêtements simples
et étaient coiffées de foulards ordinaires. Me rappelant l’élégance que ces dames jadis si
influentes affichaient chez nous, à la synagogue, j’ai pris conscience de toute la tragédie de
notre triste sort. Désormais, ces travailleuses surexploitées enduraient leurs souffrances
avec un calme remarquable. Leur seul souhait était que la guerre s’achève au plus vite et
qu’elles puissent retrouver en bonne santé leurs enfants, leurs parents, leurs frères et sœurs
qu’un destin cruel avait dispersés aux quatre coins du monde et dont elles étaient sans
nouvelles. Elles pensaient à eux en ce jour, elles priaient pour eux et se promettaient de
commencer une vie nouvelle, une belle vie, quand elles rentreraient chez elles. Tout ce
qu’elles voulaient, c’était un petit logement où elles pourraient s’occuper elles-mêmes de
tout, sans domestiques. » 45
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Sera-t-on surpris si je précise qu’on ne rencontre pas de commentaires analogues sur des hommes
regrettant le confort matériel de leurs foyers bourgeois ? Ornsteinová et Feder estimaient qu’ayant
du mal à se résigner à leur sort, les femmes occupaient un rang inférieur parmi les citoyens de
Terezín. Dans ce genre de textes, les prisonniers de sexe masculin construisent la polis de Terezín,
alors que leurs épouses, leurs sœurs et leurs mères pleurent leur vie d’autrefois. L’apport des
femmes à Terezín n’y est que rarement reconnu.
Au printemps 1943, plusieurs détenus juristes qui avaient longuement réfléchi à la question de la
citoyenneté rédigèrent un code de lois, le Ghettorecht. 46 Une lecture attentive de ce texte révèle
un certain nombre de différences liées au sexe : ainsi, ce code ne contient rien sur le viol ni sur le
chantage sexuel. Nous savons pourtant que ce dernier existait : certains fonctionnaires imposaient,
ou cherchaient à imposer, des relations intimes à leurs subordonnées. Certaines réagirent à la
menace en dénonçant ces agissements à d’autres responsables de leur service. D’autres cédèrent ;
la pression sociale et les codes moraux les enfermèrent alors dans une impasse narrative :
impossible pour elles de raconter l’histoire de leur « prostitution ». 47 Enfin, plusieurs femmes
soumises à ces pressions refusèrent et en subirent les conséquences en étant inscrites sur les listes
de transport ; rares sont celles ont survécu pour raconter ce qui leur était arrivé. 48 Le silence du
code de lois sur ces crimes spécifiquement sexuels n’offrait aux femmes qui cherchaient de l’aide
que des possibilités limitées, et exclusivement officieuses ; autrement dit, l’administration autonome
juive les laissait livrées à elles-mêmes. À cet égard, la polis déniait aux femmes le rang de
citoyennes en ne prenant pas en compte leurs besoins spécifiques.
Si la SS était chargée d’annoncer les transports et de les faire respecter, leur exécution était du
ressort de l’administration autonome. Le Ghettorecht prévoyait également que les épouses devaient
suivre leurs maris inscrits sur une liste de transport. Jusqu’à l’automne 1944, l’administration
autonome juive respecta le système des unités familiales, définies par un couple et leurs enfants de
moins de 18 ans. En vertu de cette logique, le sort de toute l’unité familiale dépendait du caractère
indispensable ou non de l’emploi du père de famille. Concrètement pourtant, l’examen des requêtes
d’exemption révèle l’existence de femmes qui demandent à être exclues du transport avec leurs
familles, mettant en avant l’importance de leur travail de doctoresses, infirmières ou autres. 49 Les
cas où une famille réussit à se voir épargner la déportation grâce au statut professionnel de l’épouse
paraissent cependant extrêmement rares. 50 Autrement dit, le statut professionnel des femmes était
beaucoup moins précieux que celui des hommes, puisque la possibilité d’éviter la déportation était
l’un des principaux privilèges dont on pût bénéficier à Terezín. Le salaire des femmes était, par
ailleurs, inférieur du quart à celui que touchaient les hommes à Theresienstadt. Les couronnes de
ghetto n’ayant pour ainsi dire aucun pouvoir d’achat, cette question présentait une importance
secondaire, mais des questions de prestige entraient évidemment en jeu. 51
Rolf Grabower, qui travailla durant l’hiver 1944-1945 comme juge spécialisé dans le droit du travail,
fut contacté par Max Friediger, le grand rabbin danois, qui lui demanda conseil sur un cas théorique.
« Un couple vit dans un kumbál [une petite chambre indépendante, un avantage très prisé].
L’homme passe la nuit chez sa maîtresse, qui a elle aussi un kumbál. Aucun des Anciens de la
maison ne dit rien, ils veulent éviter un scandale. Friediger me demande : qui est coupable ? Je
réponds : le mari et les deux Anciens de la maison. » 52 Il était strictement interdit de passer la nuit
ailleurs que chez soi : un des dangers que la SS redoutait le plus à Theresienstadt était l’évasion de
détenus ; aussi les Anciens de chambres et de maisons étaient-ils responsables de leurs résidents,
qu’ils étaient tenus de compter une fois par jour – toute absence devait impérativement être
signalée. Après les grands transports de l’automne 1944, on disposa de plus d’espace au sein du
ghetto et certaines règles, comme celle qui imposait de loger à son adresse officielle, ne furent plus
aussi rigoureusement appliquées. Grabower continua cependant à les faire respecter : en février
1945, il condamna Alžběta Weinbergerová, une femme médecin, à huit jours de prison, commués en
trente jours de suppression de ses rations de sucre et de margarine. 53 Pour en revenir à la question
de Friediger, le plus remarquable est peut-être moins la stricte application de la loi du ghetto
qu’imposait Grabower que l’absence des deux femmes de ce jugement. Dans l’esprit de Grabower, il
n’y avait pas lieu de s’interroger sur la responsabilité de la femme ou de la maîtresse. La loi
prussienne, telle que l’appliquait Grabower, était aveugle aux genres ; mais par cette cécité même,
elle constituait un énoncé explicite sur les rôles sexuels et sur le pouvoir attribué aux sexes.
Un des couples qui auraient pu se retrouver devant Grabower pour avoir habité à une mauvaise
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adresse était celui de Hans Werner Heilborn et de sa petite amie Hanna Kosterlitz. Jeunes
Geltungsjuden, ils furent déportés sans leurs parents à Theresienstadt à la fin du mois de novembre
1944, après avoir été internés dans un camp de travail de la marche de Brandebourg. 54 Plus tard
dans le courant de l’hiver, Emma Goldscheiderová, responsable de la gestion de l’espace, leur
demanda s’ils ne voulaient pas aménager leur propre kumbál. Vivre dans un kumbál à eux était
évidemment illégal, et leur imposait de s’arranger avec leurs anciens camarades de chambre. 55
Goldscheiderová, la seule femme responsable d’un département, adoptait ainsi une interprétation
des règles très différente, plus praxéologique, que ses collègues masculins – y compris Grabower,
dont elle était la supérieure hiérarchique.
Les femmes fonctionnaires déportées à Theresienstadt subirent également une dévalorisation
professionnelle liée à leur sexe. Hanna Steinerová dirigeait les services d’émigration de la
communauté juive de Prague. Son poste était jugé tellement essentiel qu’elle ne fut déportée à
Terezín que très tard, en juillet 1943, avec le dernier centile des Volljuden, les « Juifs entiers » de
Prague. Au ghetto, Steinerová n’occupa pourtant aucune position spéciale. Elle fit partie des
conseillers officieux de Jakov Edelstein, désormais rétrogradé, sans appartenir pourtant à son cercle
d’intimes – jusqu’à l’arrestation d’Edelstein en novembre 1943, trois mois plus tard. Avec d’autres
sionistes en vue, elle monta à l’intérieur du ghetto un groupe du WIZO, l’organisation internationale
des femmes sionistes, et se rallia largement au métarécit de Terezín. L’abaissement du statut de
Martha Mosse, dont nous avons parlé plus haut, n’avait donc rien d’une exception. Mosse n’avait pas
seulement été la première femme chef de service dans la police prussienne mais, lesbienne vivant
avec sa compagne, elle avait dirigé l’équipe de répression du vice, une partie de sa tâche consistant
à engager des poursuites contre les homosexuels masculins. 56 Avant les déportations, certaines
organisations d’encadrement dont les Juifs d’Europe de l’Ouest avaient été obligés de se doter
avaient attribué des fonctions importantes à des fonctionnaires femmes : on peut citer Gertrud van
Tinj du Joodse Raad d’Amsterdam, qui fut cependant déportée à Bergen-Belsen avant de partir pour
la Palestine dans le cadre d’un échange. 57 Les femmes médecins se trouvaient dans la même
situation : de nombreux spécialistes avaient du mal à trouver à Terezín une position correspondant à
leurs qualifications, mais c’était bien plus difficile encore pour les femmes. De nombreuses femmes
médecins du ghetto durent se contenter de postes d’infirmières ou même de métiers manuels. 58
Le fait que Hanna Steinerová et Martha Mosse aient occupé des postes d’une si grande importance
qu’elles furent déportées tardivement n’est pas sans ironie ; mais comme presque toutes les
fonctionnaires juives arrivées sur le tard à Theresienstadt, elles n’y exercèrent que des fonctions
subalternes, alors que les hommes bénéficiaient souvent de bonnes possibilités d’ascension
professionnelle. Un autre élément intervint cependant dans la baisse de statut de Mosse et
Steinerová : malgré un certain nombre de continuités entre l’administration autonome juive du
ghetto et les administrations juives d’encadrement obligatoires antérieures, les changements n’en
furent pas moins importants. Terezín, où l’on vivait en même temps sous le signe du danger et sous
celui d’un nouveau départ, était un univers d’hommes. Cet univers était à la fois moderne et vieux
jeu : alors que l’attitude générale faisait une large place à la planification technique, à la conception
de Theresienstadt comme un problème qu’une bonne organisation suffirait à régler, les responsables
de cette planification considéraient aussi le ghetto sous l’angle des conditions de vie rudimentaires,
primitives, imposées à la plupart des victimes de la Shoah. Ces conditions semblaient se prêter à
une répartition des rôles conservatrice, qui reléguait les femmes à des fonctions de service ou,
comme le disait Grabower, de secrétaires. Ajoutons que Theresienstadt était largement transnational
: par les rencontres régulières, les amitiés, les relations amoureuses, la coopération professionnelle
entre prisonniers, ainsi que la conception même du ghetto en cité-État, Theresienstadt nous rappelle
que la Shoah fut, à mains égards, une histoire transnationale. La vision des femmes, comme des
membres subalternes de la communauté des victimes, constituait également, semble-t-il, un
phénomène transnational, commun aux détenus juifs tchèques, autrichiens, allemands, hollandais et
danois.
La citoyenneté à travers les récits historiques
La discrimination sexuelle dans l’administration et dans les relations de pouvoir trouve un reflet dans
les témoignages de certains membres de l’administration autonome juive, et plus particulièrement
dans ceux d’hommes imbus de leur importance. Felix Meyer, un médecin berlinois de 68 ans,
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travaillait ainsi à la Bibliothèque centrale de médecine de Theresienstadt, dont il prit la tête après
octobre 1944. Il a, dans ses souvenirs, donné une description des membres de son personnel, en
indiquant le nom et le lieu d’origine de chacun : une kyrielle d’hommes ayant passé leur doctorat,
s’achevant par un aparté évoquant en ces termes son unique collègue femme : « et une Danoise
». 59 Celle-ci est mentionnée à la fin, accessoirement, anonymement, comme si son travail à la
bibliothèque ne suffisait pas à faire d’elle un membre à part entière de cette institution, et que son
nom ne méritait pas d’être retenu. Ajoutons que Meyer n’évoquait pas le Dr Marta
Weinwurmová-Löwyová, qui l’avait précédé à la direction de la bibliothèque. 60
Les spécialistes de l’histoire des femmes ont relevé depuis longtemps l’exclusion dont celles-ci font
l’objet dans le récit historique. 61 Dans de nombreuses autobiographies de référence, les
protagonistes féminins n’occupent qu’une place marginale, quand elles ne sont pas purement et
simplement absentes. Pour n’en donner qu’un exemple : dans Homage to Catalonia, George Orwell
ne nous apprend qu’il était venu en Catalogne avec sa femme, Eileen O’Shaughnessy, que par une
remarque incidente. 62 L’histoire d’amour de ce récit n’est pas celle d’Orwell avec O’Shaughnessy,
mais celle qu’il a vécue avec le socialisme international. Orwell présente O’Shaughnessy comme un
personnage relevant de la sphère privée, et donc marginal, sans voix ni idées historiques
pertinentes, alors qu’il évoque longuement ses amis. La Shoah, me semble-t-il, a peut-être intensifié
cette tendance en créant des conditions qui facilitaient la disparition des femmes du récit historique.
Si nous ne savions pas qu’il faut les chercher, nous n’aurions même pas conscience de leur
présence.
Dans le cadre d’un autre projet, nous nous sommes intéressées, Maria von der Heydt et moi, à la
famille mixte de Heinrich et Irmgard Veit Simon et de leurs six enfants, des Geltungsjuden. Les Veit
Simon étaient des membres en vue de la haute bourgeoisie berlinoise. Sous le Troisième Reich,
certains de leurs enfants émigrèrent en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et au Chili, mais deux de
leurs filles furent déportées à Theresienstadt en juin 1942. En mai de la même année, Heinrich, qui
était juif, fut tué par la Gestapo. Irmgard, une quaker, fut le seul membre de la famille à rester à
Berlin. Elle était liée à Harald Poelchau, aux quakers et à l’Église confessante de Dalhem. Elle joua un
rôle actif dans la résistance, aidant des Juifs à se cacher, hébergeant même pendant de brèves
périodes des fugitifs, juifs aussi bien que travailleurs forcés en fuite et dépensant à cette fin
l’intégralité de son importante fortune. 63Landesentschädigungsamt Berlin, 73837. Le travail pour la
résistance étant par nature secret, nous ignorons cependant avec quels réseaux d’assistance aux
victimes Irmgard coopéra. Malgré nos recherches approfondies sur ce sujet, il semblerait que
personne n’ait jamais entendu parler d’Irmgard Veit Simon. Les clandestins gardaient souvent le
souvenir des célébrités qui les avaient aidés et avaient tendance à oublier les gens ordinaires. Il
semblerait que la rigueur avec laquelle Irmgard respecta les règles du silence l’ait condamnée à être
absente des sources documentaires. Sans doute le strict respect des règles de la clandestinité
observé par Irmgard, son sexe et son départ immédiat de Berlin après la guerre pour rejoindre ses
enfants en Grande-Bretagne furent-ils responsables de son invisibilité documentaire. On la croise
aujourd’hui dans les notes en bas de page de textes de célèbres généalogistes juifs, qui la
remercient de leur avoir transmis des documents sur les célèbres ancêtres de son mari. 64
Ce manque de documents écrits est véritablement au centre de toute réflexion sur les questions des
femmes dans l’histoire. Jusqu’en 1999, les historiens ont attribué un document essentiel de l’Église
confessante sur la persécution des Juifs à Marga Meusel, travailleuse sociale. En réalité, son véritable
auteur était Elisabeth Schmitz, professeur de lycée, berlinoise, qui n’en a pas revendiqué la
paternité. 65 Dans l’étude qu’elle a consacrée aux femmes dans la Résistance française, Claire
Andrieu s’est interrogée sur motifs de l’obscurité historique des résistantes : « Dans la génération de
la résistance, seuls les hommes demandent des titres. Les femmes contactées par le ministère
répondaient : “ Je n’ai fait que mon devoir.” Dans la relation particulière des femmes avec la
politique, les critères moraux remplaçaient la politique. Il en résulte une sous-représentation
majeure des femmes dans le recensement actuel des résistants. » 66
Les hommes seraient-ils plus enclins que les femmes à écrire leurs mémoires ? Pas forcément. 67 Ce
fut néanmoins le cas jusque dans les années 1980. Les mémoires d’Emma Goldscheiderová n’étaient
destinés qu’à sa famille et furent republiés en 2014 avec un faible tirage. 68 Le journal inédit,
largement corrigé de Martha Mosse, est conservé à la Bibliothèque de Vienne. Il semble en outre
qu’on accorde aux mémoires rédigés par des hommes une plus grande autorité en tant que
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document d’« histoire officielle », les témoignages féminins offrant en revanche ce que l’on
considère (ou ce que les auteurs présentent) comme un faire-valoir affectif, subjectif. Il arrive qu’une
absence littérale de sources efface purement et simplement les protagonistes féminins de l’histoire :
tout le monde connaît Nicholas Winton, mais seule une poignée de spécialistes sait qu’il ne fut pas,
et de loin, le seul à avoir réussi à sauver les enfants tchèques du Kindertransport. Winton avait quitté
la Tchécoslovaquie en janvier 1939, trois semaines avant l’occupation allemande. Bien d’autres gens
préparèrent le terrain à son opération de sauvetage : Doreen Warriner et Trevor Chadwick, ainsi que
Bill Barazetti, Beatrice Wellington, Josephine Pike et d’autres collaborateurs locaux, demeurés
anonymes. Aucune des opérations du Kindertransport n’aurait été possible sans le travail inlassable
effectué sur place par des militants des droits de l’homme, de gauche pour la plupart. Chadwick et
Warriner sont morts dans les années 1970 ; bien que leurs noms n’apparaissent dans aucun
reportage, ils furent le véritable moteur de cette action de sauvetage. 69 Winton, en revanche, était,
comme l’a fait remarquer Rose Holmes, « blanc, mâle, britannique, membre de la classe moyenne,
s’exprimant bien, d’une grande longévité et n’ayant jamais exprimé la moindre idée politique
controversée, autant d’éléments qui lui assurent une place unique parmi les travailleurs de Prague
et font de lui un “choix sûr” pour une hagiographie simpliste » – et pour une histoire consensuelle.
70
Un cas frappant d’exclusion des femmes de l’histoire écrite est celui des personnages féminins
proches, souvent intimes (sœurs, gouvernantes, maîtresses), d’« hommes importants » qui ont
rédigé des « mémoires importants » en s’assurant ainsi que les projecteurs de l’histoire seraient
intégralement braqués sur eux. 71 Leo Baeck, le vénéré rabbin berlinois, président de l’Association
des Juifs allemands du Reich et doyen honoraire du Conseil des Anciens de Theresienstadt, fut
déporté à Theresienstadt en janvier 1943. Âgé de 70 ans, Baeck devint rapidement un détenu
privilégié, ce qui lui permit de toucher des rations alimentaires de meilleure qualité et d’être
dispensé du travail obligatoire. 72 On lui attribua également deux pièces, où il vivait avec Dora
Czapski, sa gouvernante berlinoise. Elle obtint, elle aussi, le statut de détenue privilégiée, afin de
pouvoir continuer à veiller sur Baeck. Czapski, une artiste née à Breslau (Wrocław) en 1882, vivait
ainsi avec lui dans son appartement de deux pièces (les n° 3 et 4 du L. 218, plus tard Seestrasse,
18), s’occupait de son ménage et lui servait de secrétaire. 73 Chose significative, Baeck, dont les
spécialistes ont accueilli les mémoires sans manifester d’esprit critique, 74 n’a jamais fait la moindre
mention de Czapski. Nous connaissons son existence grâce à d’autres fonctionnaires juifs et à sa
signature, qui figure sur une invitation à une réunion du Conseil des Anciens adressée à Baeck. 75
Quand Czapski, qui passa les dernières années de sa vie en Californie dans une grande pauvreté,
déposa une requête de Wiedergutmachung, Baeck n’écrivit pas un mot pour appuyer sa demande
d’indemnisation. Czapski, qui insistait sur le fait qu’elle avait été la Hausdame de Baeck, refusa de le
déranger : son prestige d’homme important, dont elle se targuait pour se placer au-dessus des
autres, l’empêchait en même temps de lui réclamer une lettre de recommandation. La communauté
juive de Bavière écrivit en 1953 au bureau des Réparations : « Nous soulignons qu’eu égard au fait
que le professeur docteur Leo Baeck a travaillé avec Mme Czapski et que l’avocat R. A. Salomon est
censé à présent l’appeler pour lui demander un certificat, nous ferons ce que la requérante nous a
demandé de faire et n’ennuierons pas inutilement le vieux monsieur. » 76 Parmi les survivants, se
rédiger mutuellement des certificats pour appuyer les demandes de réparation était une manière de
prolonger le réseau transnational de l’ancienne communauté du ghetto. Certains des « hommes
importants » n’écrivirent que des lettres concises et rapides, mais ils les écrivirent. 77
Les gouvernantes ont-elles de l’importance dans le grand ordre du monde ? J’en suis convaincue :
c’est grâce à Czapski que Baeck put se consacrer à toutes ses activités politiques et spirituelles à
Theresienstadt. Les corvées de la vie quotidienne au ghetto, marquée par les pénuries, épuisaient
les gens et limitaient considérablement leur temps disponible. En s’occupant de son ménage, en
faisant sa lessive, en allant chercher ses rations alimentaires, en faisant la queue à sa place, Czapski
accomplissait pour Baeck tout le travail qui aurait, sans elle, monopolisé tout son temps. Je n’ai
croisé dans mes recherches que deux femmes qui ont exercé les fonctions de gouvernante à
Theresienstadt. La seconde est Ida Pisk, qui était au service de la famille Murmelstein. 78
Baeck avait quelques parents à Theresienstadt ; plusieurs branches de la famille Baeck vivaient en
effet en Tchécoslovaquie. Décrivant les horreurs de Theresienstadt, surtout pour les personnes
âgées, Baeck affirmait que trois de ses sœurs y étaient mortes avant son arrivée, et une autre peu
après. 79 Ce n’est pas tout à fait exact. Deux de ses sœurs décédèrent effectivement dans le
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courant de l’été 1942 : Bedřiška Feldmannová, originaire de Prostějov, mourut en juin 1942. Růžena
Mandlová venait d’Olomouc et mourut en septembre 1942. En revanche, Elisa Sternová de Brno, sa
troisième sœur, resta en vie jusqu’au 30 mars 1944, quatorze mois après l’arrivée de Baeck – une
longévité relativement importante selon les critères de Theresienstadt. Quant à sa quatrième sœur,
Anna Fischerová de Brno, elle survécut. Pourquoi Baeck prétendit-il que ses sœurs étaient mortes,
alors que ce n’était pas le cas ? Je ne peux pas croire qu’on puisse oublier si un membre de sa fratrie
est vivant ou mort ; de plus, à Theresienstadt, les liens familiaux avaient tendance à se resserrer. Je
ne peux qu’en conclure que Baeck souhaitait concentrer l’attention sur lui et sur ses souffrances,
alors qu’il jouissait de conditions de vie relativement bonnes par rapport à d’autres. Ce mécanisme
l’a conduit à faire disparaître ses sœurs et à les exploiter pour mettre en scène l’histoire personnelle
de l’homme et accentuer l’authenticité des souffrances masculines.
Conclusion
Le système complexe de l’administration autonome juive de Theresienstadt offrit à de nombreux
fonctionnaires juifs une possibilité d’exercer un certain pouvoir, d’imposer leur contrôle par le biais
de la bureaucratie. Ils cherchèrent à présenter le lieu d’effroi qu’était le ghetto comme quelque
chose de positif, comme une société autarcique, indépendante, manifestant de l’humanité au milieu
de l’horreur. L’administration autonome qui vit le jour était un monde clairement masculin, sexiste
même à maints égards. Les idées sexistes des fonctionnaires juifs étaient souvent préexistantes à
leur arrivée à Theresienstadt. Ils estimaient de surcroît que le ghetto était un lieu trop horrible et
trop primitif pour que les femmes prennent part à son administration. Les périodes affreuses,
brutales, telles que l’expérience des tranchées, appartenaient à un monde d’hommes. 80 Même les
administratrices importantes, compétentes, ayant un solide réseau de relations et dotées d’une
remarquable expérience comme Martha Mosse ne furent pas affectées à des postes importants.
Cette situation offre un exemple classique d’intersectionnalité, de confluence de facteurs : une
déportation relativement tardive à Theresienstadt due à l’importance de leur position dans le monde
extérieur au ghetto, la mentalité de l’administration de Theresienstadt qui célébrait les premiers
arrivés, toujours des hommes, relativement jeunes de surcroît, auxquelles s’ajoute l’appartenance
sexuelle. La convergence de tous ces éléments nous permet de mieux discerner l’importance du
genre dans les hiérarchies de pouvoir de la communauté de détenus : le genre était un élément
constitutif des hiérarchies de pouvoirs. Il convient de souligner que les histoires de la Shoah comme
celles-ci sont fondamentales. Ce n’est pas parce que la plupart des protagonistes ont été assassinés
par la suite que leur monde temporaire doit nous paraître historiquement sans propos.
L’insignifiance historique des femmes s’est poursuivie après la guerre : de nombreuses
administratrices rescapées n’ont pas jugé bon d’écrire de témoignages, ne s’accordant pas
suffisamment d’importance pour cela. Celles qui en écrivirent n’ont souvent pas été publiées. 81
D’autres encore ont mis l’accent dans leurs témoignages sur leur rôle social ou de soutien. 82
L’absence des voix féminines a encore été accentuée par certains des « hommes importants » qui,
pour s’assurer une place dominante sous les feux de la rampe historiques, ont minimisé, voire
effacé, les femmes de leur vie. Claire Andrieu a souligné que les résistantes françaises concevaient
souvent leur activité comme privée, subsidiaire et historiquement insignifiante par rapport à celle
des personnages plus importants. 83 « Privée » me paraît être ici un terme clé : en effet, on range
souvent la vie des femmes dans cette catégorie. Lauren Berlant a affirmé que si les pratiques de la
citoyenneté peuvent être à la fois publiques et privées, la rhétorique de la citoyenneté est à maints
égards une affaire publique. 84 Cette distinction entre sphères « publique » et « privée » est ainsi
liée à la citoyenneté historique : il n’existe pour ainsi dire pas de « citoyennes idéales » dans
l’histoire, et les femmes disparaissent ainsi de la documentation historique.
Michel Foucault, Jacques Derrida et Carolyn Steedman ont fait remarquer que nous écrivons l’histoire
en nous appuyant sur ce que nous trouvons dans les archives, qui sont ainsi constitutives de ce que
nous considérons comme le passé ; mais la création d’archives relève elle-même d’une construction
politique, elles sont la trace de ce qui peut donner matière à récit. 85 Au lendemain du génocide,
porter témoignage s’affirma comme une expression de citoyenneté : raconter sa forme d’histoire
personnelle, réclamer justice en dénonçant une injustice incommensurable, commémorer les parents
et les amis disparus, faire entendre sa voix au sujet d’un massacre où tous étaient morts, sauf
l’auteur. Dans le droit fil de l’étude du subalterne réalisée par Gayatri Spivak, nier le droit à la voix
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constitue une « violence épistémique ». 86 Dans ce contexte, rester sans voix présente donc une
importance existentielle, en niant la citoyenneté historique de l’individu.
Je me suis attachée dans cet article à étudier les femmes de Theresienstadt sous l’angle de la
citoyenneté. Cette perspective révèle de nombreuses inégalités, les femmes apparaissant comme
des citoyens de second ordre de cette communauté forcée. Ce texte a également démontré la
fabrication de témoignages « importants » par rapport aux témoignages « privés », et, par
extension, d’une voix historique valable. Ce type de mécanismes liés au genre suggère le rôle capital
que joue ce dernier dans ce qu’on reconnaît comme vrai, comme authentique. 87 Ces questions sur
la manière dont le genre nous impose ce que nous tenons pour pertinent et authentique sont
particulièrement utiles pour l’étude des mécanismes de pouvoir dans l’organisation autonome juive
et dans la société de victimes de la Shoah.
1. Je tiens à remercier Imke Meyer et Elissa Mailänder pour leurs commentaires.
2. Rolf Grabower, Vermerke, 19 février 1945, Finanzakademie Brühl (cité par la suite comme
Brühl), documents Grabower.
3. Pour le nom de ces services, je me suis inspirée de la traduction anglaise réalisée par Amy
Lowenhar et Belinda Cooper de H. G. Adler, Theresienstadt 1941-1945 The Face of a Coerced
Community [ éd. originale en allemand (1960) Theresienstadt 1941-1945: das Antlitz einer
Zwangsgemeinschaft), à paraître, éd. par Cambridge University Press et The United States
Holocaust Memorial Museum.
4. Journal de Martha Mosse, 20 novembre 1944, Wiener Library (WL), P.III.c, 1108.
5. Beate Meyer, Tödliche Gratwanderung: Die Reichsvereinigung der Juden in Deutschland
zwischen Hoffnung, Zwang, Selbstbehauptung und Verstrickung (1939-1945), Göttingen,
Wallstein, 2011, p. 234 sq.; voir aussi James Scott, Seeing Like a State: How Certain Schemes
to Improve the Human Condition Have Failed, New Haven, Yale University Press, 1998; et
Zygmunt Bauman, Modernity and the Holocaust, Ithaca, NY, Cornell University Press, 1989, p.
129–150.
6. Hájková, « Strukturen weiblichen Verhaltens in Theresienstadt », in Genozid und
Geschlecht: Jüdische Frauen im nationalsozialistischen Lagersystem, éd. Gisela Bock,
Francfort/Main, Campus, 2005, p. 202-219; idem, « The piano virtuoso who didn’t play in
Terezín, or, Why gender matters », Orel Foundation, 6 mai 2011, sur
http://orelfoundation.org/index.php/journal/journalArticle/the_piano_virtuoso_who_didn039t_p
lay_in_terez237n_or_why_gender_matters/ [2]; idem, « Sexual Barter in Times of Genocide:
Negotiating the Sexual Economy of the Theresienstadt Ghetto »,in Signs: Journal of Women in
Culture and Society, vol. 38, n° 3 (printemps 2013), p. 503-533.
7. Doris Bergen, « What Do Studies of Women, Gender, and Sexuality Contribute to
Understanding the Holocaust? » in : Different Horrors, Same Hell: Gender and the Holocaust,
Myrna Goldenberg et Amy Shapiro, éd., Seattle, University of Washington Press, 2013, p.
16-38. Les citations mentionnées ci-dessus reproduisent des commentaires fréquents (parfois
ultérieurs et informels) faits aux auteures lors de leurs conférences.
8. Jack Wertheimer, Unwelcome Strangers: East European Jews in Imperial Germany, Oxford,
Oxford University Press, 1987; Rogers Brubaker, Citizenship and nationhood in France and
Germany, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1992 ; Andreas Fahrmair, Citizenship:
The Rise and Fall of a Modern Concept, New Haven, Yale University Press, 2007, as sans
oublier les contributions de Dieter Gosewinkel et Stefan Meyer, Ulrike von Hirschhausen, et
Benno Gammerl in : European Review of History 16,4 (2009).
9. Gosewinkel et Meyer, « Citizenship, property rights and dispossession in postwar Poland
(1918 and 1945) », European Review of History 16,4 (2009), p. 575-595, p. 576.
10. Voir aussi Miriam Rürup, « Lives in Limbo: Statelessness after Two World Wars », Bulletin
of the German Historical Institute, 49 (automne 2011), p. 113–134; et Kathrin Kollmeier, «
Staatenlos in einer staatlich geordneten Welt: Eine politische Signatur des 20. Jahrhunderts
im Spannungsfeld von Souveränität, Menschenrechten und Zugehörigkeit », Neue Politische
Literatur, 57 (2012), p. 49-66.
11. Lauren Berlant, The Queen of America Goes to Washington City: Essays on Sex and
Citizenship, Durham, Duke University Press, 1997 ; Kathleen Canning, « The Concept of Class
and Citizenship in German History », in idem, éd. Gender History in Practice: Historical
Perspectives on Bodies, Class, and Citizenship, Ithaca, Cornell University Press, 2006, p. 209.
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12. Maura Hametz, « Stateless Women: The Citizenship Conundrum in the Adriatic Provinces
after World War I », conférence prononcée devant le Feminist Theory Group, Université de
Warwick, 23 avril 2015. Voir aussi son ouvrage In the Name of Italy. Nation, Family, and
Patriotism in a Fascist Court, New York, Fordham University Press, 2012
13. Canning, « The concept of class and citizenship », p. 194.
14. Melissa Feinberg, Elusive Equality : Gender, Citizenship, and the Limits of Democracy in
Czechoslovakia, 1918-1950, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 2006, p. 5 et passim.
15. Susanne Heim, « Deutschland muss ihnen ein Land ohne Zukunft sein »: Die
Zwangsemigration der Juden 1933 bis 1938, Beiträge zur nationalsozialistischen
Gesundheits- und Sozialpolitik (Arbeitsmigration und Flucht: Vertreibung und
Arbeitskräfteregulierung in Zwischenkriegseuropa), 11 (1993), p. 48-81; Cornelia Essner, Die
« Nürnberger Gesetze » oder die Verwaltung des Rassenwahns: 1933 – 1945, Paderbornn
Schöningh, 2002 ; Hannelore Burger et Harald Wendelin, Vertreibung, Rückkehr und
Staatsbürgerschaft: Die Praxis der Vollziehung des Staatsbürgerschaftsrechts an den
österreichischen Juden, in: Staatsbürgerschaft und Vertreibung (=Veröffentlichungen der
Österreichischen Historikerkommission, vol. 7), Vienne, Oldenbourg, 2004, p. 296-306 and
passim.
16. Yfaat Weis, Deutsche und polnische Juden vor dem Holocaust : Jüdische Identität
zwischen Staatsbürgerschaft une Ethnizität 1933-1940, Munich, Oldenbourg, 2003.
17. Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz : Le rôle de Vichy dans la solution finale de la question
juive en France, , Fayard, 1983-1985 ; Renée Poznanski, Les Juifs en France pendant la
Seconde guerre mondiale ; éd. mise à jour et corr., , Hachette littératures, 2004.
18. Andreas Fahrmair, Citizenship : The Rise and Fall of a Modern Concept, New Haven, Yale
University Press, 2007, p. 132.
19. Alexandra Wenck, Zwischen Menschenhandel und « Endlösung » : Das
Konzentrationslager Bergen-Belsen, Paderborn, Schöningh, 2000. Les transports vers le
ghetto de Lodz qui ont eu lieu à partir d’octobre 1941 se trouvaient encore à l’intérieur du
territoire du Reich.
20. Les transports vers le ghetto de Lodz qui ont eu lieu à partir d’octobre 1941 se trouvaient
encore à l’intérieur du territoire du Reich.
21. Cornelia Essner, Die « Nürnberger Gesetze » oder Die Verwaltung des Rassenwahns
1933-1945, Paderborn, Ferdinand Schöningh, 2002, p. 307.
22. Pour les Heimeinkaufsverträge, voir Jonathan Zatlin, « Retiring to Theresienstadt: The
Heimeinkaufsverträge and the Dispossession of the Elderly », article présenté à la German
Studies Association, octobre 2015.
23. Theresienstadt était, pour un certain nombre de raisons, un ghetto plus qu’un camp de
concentration. Voir Anna Hájková, Prisoner Society in the Terezín Ghetto, 1941-1945, thèse,
université de Toronto, 2013, introduction, p. 24 sq. et Peter Klein, « Theresienstadt : Ghetto
oder Konzentrationslager ? » Theresienstadt Studien und Dokumente (2005), p. 111-123.
24. Les rescapés parmi les Juifs des Pays-Bas envoyés à Auschwitz portent le nombre total de
survivants de Theresienstadt à environ 4000, au lieu de l’évaluation habituelle de 3 600. À
propos de ce nouveau calcul, voir mon « Poor Devils of the Camps: Dutch Jews in the Terezín
Ghetto, 1943-1945 », Yad Vashem Studies, 43,1 (2015), p. 77-111, p. 87, note 36; pour
l’ancien, voir Joseph White, « Terezín », in Geoffrey Megargee, The United States Holocaust
Memorial Museum Encyclopedia of Camps and Ghettos, 1933-1945, vol. 2, Bloomington,
Indiana University Press and USHMM, 2009), p. 179-184. H.G. Adler estime à 3 500 le nombre
de rescapés, Theresienstadt 1941-1945: Das Antlitz einer Zwangsgemeinschaft, Göttingen:
Wallstein, 2005 [1955], p. 59 ; Lagus et Polák l’estiment à 3 097: Město za mřížemi, Prague:
Naše vojsko, 1964, p. 332.
25. Silvia Goldbaum Tarabini Fracapane, « “Wir erfuhren, was es heißt, hungrig zu sein”:
Aspekte des Alltagslebens dänischer Juden in Theresienstadt », in Doris Bergen, Andrea Löw,
et Anna Hájková, éd., Der Alltag im Holocaust: Jüdisches Leben im Großdeutschen Reich
1941–1945, Munich, Oldenbourg, 2013, p. 199–216.
26. Hájková, « Poor Devils of the Camps : Dutch Jews in the Terezín Ghetto, 1943-1945 », Yad
Vashem Studies, 43,1 (2015), p. 77-111.
27. Tomáš Fedorovič, « Neue Erkenntnisse über die SS-Angehörigen im Ghetto
Theresienstadt », Theresienstädter Studien und Dokumente (2006), p. 234-250.
28. Miroslav Kárný, « “Pracovní” či „zaopatřovací“ Terezín? Iluze a reality tzv. produktivního
ghetta », Litoměřicko 25 (1989), p. 95-107.
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29. Circulaire du Centre du travail, 28 janvier 1944, YVA, 064, 34.
30. Isaiah Trunk, Lodz Ghetto: A History, trad. et éd. Robert Moses Shapiro, Bloomington:
Indiana University Press, 2006 [1962] ; Avraham Barkai, « Between East and West: Jews from
Germany in the Lodz Ghetto », Yad Vashem Studies (16, 1984), p. 271-332; Michal Unger,
The Inner Life in the Lodz Ghetto (en hébreu), Jérusalem, H’mol, 1997 ; Andrea Löw, Juden im
Getto Litzmannstadt: Lebensbedingungen, Selbstwahrnehmung, Verhalten ; Göttingen,
Wallstein, 2006 ; Barbara Engelking-Boni et Jacek Leociak, The Warsaw Ghetto: A Guide to
the Perished City, New Haven, Yale University Press, 2009 [2001]) ; Samuel Kassow, Who Will
Write Our History? Emanuel Ringelblum and the Oyneg Shabes Archive, Bloomington, Indiana
University Press, 2007.
31. Lettre d’Elly et Ernst Michaelis à des amis (1945), Leo Baeck Institute (LBI), AR 11148.
32. On trouvera un exemple de ce récit souvent exagérément sentimental, dans Hannelore
Brenner-Wonschick, Die Mädchen von Zimmer 28 : Freundschaft, Hoffnung und Überleben in
Theresienstadt, Munich, Droemer, 2004.
33. Ruth Bondy, « Elder of the Jews »: Jakob Edelstein of Theresienstadt, New Yorkn Grove,
1989 ; Edita Ornsteinová, « Iluse Terezína » (1945), Yad Vashem Archives (YVA), O7, 291.
Edelstein n’obtint jamais la nationalité tchèque.
34. Working in a Trap : AZ Album, éd. Margalit Shlain, Givat Haim Ihud, Beit Terezín, 2008.
35. Karl Schliesser à Nathan Schwalb, 12 juillet 1943, archives de la Haganah, 114.3, Efrain
Dekel ; « Bei uns ist alles in schönster Ordnung, wir arbeiten fleissig, um unser hier
begonnenes Aufbauwerk zu einem gedeihlichen Erfolg zu bringen. Mein Frauchen arbeitet in
Landwirtschaft. »
36. Documents personnels de Peter Hahn, Düsseldorf. Merci à la famille Hahn ne m’avoir
laissé voir cet album.
37. Hájková, « Fie fabelhaften Jungs aus Theresienstadt : Junge tschechische Männer als
dominante soziale Elite im Theresienstädter Ghetto », Beiträge zur Geschichte des
Nationalsozialismus 25 (2009), p. 166-135.
38. Anna Hájková, Prisoner Society in the Theresienstadt Ghetto, 1941-1945, thèse,
Université de Toronto, 2013, p. 188.
39. Werner Nigbur, éd.: Wenn im Amte, arbeite, wenn entlassen, verbirg dich: Prof. Dr. iur.
Dr. phil. Rolf Grabower « Dreivierteljude », Überlebender der Shoa, Theresienstadt. In
Zeugnissen aus der Finanzgeschichtlichen Sammlung der Bundesfinanzakademie. Ein
Lesebuch und Materialband, Brühl, Bundesfinanzakademie im Bundesministerium der
Finanzen, 2010 ; Max Strnad, Flachs für das Reich: Das jüdische Zwangsarbeitslager «
Flachsröste Lohhof » bei München, Munich, Volksverlag, 2013, p. 85-96.
40. « Errichtung einer Bank der jüdischen Selbstverwaltung im Ghetto Theresienstadt », 26
septembre 1942, YVA, O64, 27.
41. Grabower, « Anlage betreffend Steuerfragen », 20 novembre 1942 (texte joint à une
lettre du 13 décembre 1942, documents Grabower, Finanzakademie Brühl.
42. Les limites d’âge évoluèrent pendant la durée d’existence du ghetto.
43. AZ Album.
44. Ornsteinová, « Iluse Terezína ».
45. Richard Feder, Židovská tragedie: Dějství poslední, Kolín, Lusk, 1947, p. 67sq. Merci à
Richard Pinard de m’avoir envoyé sa traduction tirée de l’édition anglaise de cet ouvrage
Jewish Tragedy: The Last Act, Londres, Northwood & Pinner Liberal Synagogue, 2015.
46. Ghettorecht, YVA, O64, 28 ?
47. Hájková, « Sexual barter », p. 523-527.
48. Interview de R. R, 1er avril, 1997, Musée juif de Prague (par la suite ŽMP), Vzpomínky,
645 ac ; interview d’Erna Meissner, BL/Sound Archive, C410, 55; Hájková, “Sexual barter,” p.
524. Gonda Redlich, responsable de l’Assistance aux Jeunes, évoque la plainte d’une
assistante sociale chargée des jeunes qui prétendait avoir été victime d’un chantage sexuel
de la part de son supérieur, plainte dont Redlich prouva le caractère mensonger. Egon
Redlich, Zítra jedeme, synu, pojedeme transportem: Deník Egona Redlicha z Terezína
1.1.1942-22.10.1944, éd. Miroslav Kryl, Brno: Doplněk, 1995, notice du 10 septembre 1944,
p. 230. Cette notice est absente des éditions en hébreu et en anglais de ce journal.
49. Requête adressée aux Services de santé pour exempter Beatrix Schulhof (Božena
Schulhofová), infirmière de personnes âgées, et son mari Ladislav, YVA, O64, 22/II. (Les
Schulhof n’échappèrent pas au transport).
50. Selon un témoignage isolé, la bactériologiste Gertrud Adlerová put protéger sa mère et
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son mari, H. G. Adler, jusqu’à l’automne 1944.
51. Lilly Pokorny, « Eine Ärztin erlebt das “Musterlager” Theresienstadt », Institut d’Histoire
contemporaine, Munich, MA 199, 197 sq.
52. Grabower Aktenvermerke, 27 février 1945, documents Grabower.
53. Grabower, « V 263, 9. Wochenbericht », 5 février 1945, documents Grabower.
(Weinbergerová n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres.)
54. Sur les Geltungsjuden, voir Maria von der Heydt, « “Wer fährt denn gerne mit dem
Judenstern in der Straßenbahn?” Die Ambivalenz des “geltungsjüdischen” Alltags zwischen
1941 und 1945 », in Der Alltag im Holocaust: Jüdisches Leben im Großdeutschen Reich
1941-1945, éd. Doris Bergen, Andrea Löw, et Anna Hájková, Munich, Oldenbourg, 2013, p.
65-80; sur les mariages mixtes et les Mischlinge en général, voir Beate Meyer, « Jüdische
Mischlinge »: Rassenpolitik und Verfolgungserfahrung 1933-1945, Hambourg, Dölling und
Galitz, 1999.
55. Interview de Hans Werner Heilborn, 26 septembre 1996, collection d’histoire orale
(interviews Fortunoff) du Moses Mendelssohn Zentrum (conservée au Gedenkstätte Haus der
Wannsee-Konferenz), n° 23.
56. Jens Dobler, « Martha Mosse (1884)1977 », Lesbensgeschichte (2006)
http://lesbengeschichte.de/bio_mosse_d.html [3], consulté le 31 mars 2016
57. Gertrud van Tijn, « The World was Mine », LBI, ME 643. Voir aussi sa biographie, Bernard
Wasserstein, The Ambiguity of Virtue: Gertrude van Tijn and the Fate of the Dutch Jews,
Cambridge, Mass., Harvard University Press, 2014.
58. Interview d’E. D., ŽMP, Vzpomínky, 119; interview d’Ina ter Beek Frenkel, réalisée par
l’auteur, 5 février, 2001; Hanna Callmann a évoqué une femme juge, Oskar Gutmann
(prénom sic) qui nettoyait les salles de bains à Terezín. Témoignage d’Hanna Callmann (mars
1960), WL, P.III.h, 1190.
59. Dr Felix Meyer, LBI, AR 1437.
60. Requête aux Services de Santé pour être retirée e la liste de transport, YVA, O64, 22.
61. Voir notamment : Renate Bridenthal, Claudia Koonz, éd., Becoming Visible: Women in
European History, Boston, Houghton Mifflin, 1977 ; Bonnie G. Smith, The Gender of history:
Men, Women, and Historical Practice, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1998.
62. George Orwell, Homage to Catalonia, Orlando, Harcourt, 2011 [1938], p. 77. [Hommage à
la Catalogne, trad. Y. Davet, , Christian Bourgois (10/18), 1999] (O’Shaughnessy n’y est
mentionnée que dans le contexte de courses à faire à l’épicerie.
63. Brickwell-Graeber au bureau des Réparations, 27 janvier 1959, p. A 24 ; demande de
pension et mémorandum d’Irmgard du 30 novembre 1955, p. D 14, dossier de réparation
Heinrich Veit Simon, La littérature sur les Berlinois qui ont aidé des Juifs à se cacher est
abondante. On peut citer notamment : Kurt G. Grossmann, Die unbesungenen Helden:
Menschen in Deutschlands dunklen Tagen, Berlin, Arani, 1957 ; Beate Kosmala et Claudia
Schoppmann, éd., Überleben im Untergrund: Hilfe für Juden in Deutschland, 1941-1945,
Berlin, Metropol, 2002 ; Klaus Harpprecht, Harald Poelchau: Ein Leben im
Widerstand Reinbek, Rowohlt, 2004 ; Katrin Rudolf, Hilfe beim Sprung ins Nichts: Franz
Kaufmann und die Rettung von Juden und « nichtarischen » Christen, Berlin, Metropol, 2005 ;
Martina Voigt, « Grüße von “Ferdinand”: Elisabeth Abeggs vielfältige Hilfe für Verfolgte », in
Sie blieben unsichtbar. Zeugnisse aus den Jahren 1941 bis 1945, éd. Beate Kosmala et
Claudia Schoppmann, Berlin, GDW, 2006, p. 104–116; Jana Leichsenring, Die Katholische
Kirche und « ihre Juden »: das « Hilfswerk beim Bischöflichen Ordinariat Berlin », 1938-1945,
Berlin, Metropol, 2007 ; Richard Lutjens, « Jews in Hiding in Nazi Berlin, 1941-1945 », thèse,
Northwestern University, 2012 ; Susanne Beer, « Aid Offered Jews in Nazi Germany: Research
Approaches, Methods, and Problems », www.massviolence.org , septembre 2014.
64. Jacob Jacobson, Die Judenbürgerbücher der Stadt Berlin, 1809-1851, Berlin, de Gruyter,
1962, p. 711.
65. Manfred Gailus, Mir aber zerriss es das Herz : Der stille Widerstand der Elisabeth Schmitz,
Göttingen, Vandehoeck & Ruprecht, 2012, p. 11 et passim.
66. Claire Andrieu, « Women in the French résistance : Revisiting the Historical Record »,
French Politics,Culture & Society, 18, 1 (printemps 2000), p. 13-27, 17. Voir aussi Natalia
Aleksiun , « Gender and the Daily Lives of Jews in Hiding in Eastern Balicia », Nashim : A
Journal of Jewish Women’s Studies & Gender Issues, (27), 2014, p. 38-61, 38
67. Il serait intéressant d’étudier la différence du nombre de mémoires publiés concernant la
Shoah en fonction du sexe de leurs auteurs, et l’évolution de ce rapport au fil du temps.
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68. Je n’ai réussi à mettre la main sur le témoignage de Goldscheiderová qu’au bout de six
ans de recherches. Emma Fuchs, My Kaleidoscope, autoédition, 1974 ; republié sous le titre
de My Kaleidoscope : Surviving the Holocaust, éd. Shari J. Ryan, Seattle, Booktrope Editions,
2014.
69. Anna Hájková et Martin Šmok, « Česká pohádka o Wintonovi aneb holokaust s happy
endem », Mladá Fronta Dnes, 9 novembre 2014.
70. Rose Holmes, « Appropriating Group Memory : Voluntarism and the Kindertransport »,
article présenté aux lessons and Legacies XIII, 30 octobre-2 novembre 2014. Je tiens à
remercier Rose de m’avoir transmis son article.
71. En ce sens, le traitement d’O’Shaughnessy par Orwell était symptomatique, bien
qu’Hommage à la Catalogne ne s’inscrive pas tout à fait dans la catégorie des mémoires
d’hommes célèbres.
72. Beate Meyer, Tödliche Gratwanderung: Die Reichsvereinigung der Juden in Deutschland
zwischen Hoffnung, Zwang, Selbstbehauptung und Verstrickung (1939-1945), Göttingen,
Wallstein, 2011 ; Hyndráková et al, Prominenti, p. 84, 125 sq., 206 sq. Voir aussi l’interview
de Kurt Wehle, 25 mai 1995, VHF, 2859.
73. Le numéro de transport de Czapski était voisin de celui de Baeck ; Murmelstein,
Lanzmann, bande 3172, USHMM ; Hyndráková et al., Prominenti, 215. Grabower, Vermerke,
26 février 1945, Brühl. Voir aussi son dossier de réparations, Bayrisches Hauptstaatsarchiv (
= BayHStA), LEA 8575.
74. A la seule exception d’ Hermann Simon, « Bislang unbekannte Quellen zur
Entstehungsgeschichte des Werkes “Die Entwicklung der Rechtsstellung der Juden in Europa,
vornehmlich in Deutschland” », Georg Heuberger et Fritz Backhaus, éd Leo Baeck: 1873 1956, aus dem Stamme von Rabbinern; voir aussi Fritz Backhaus et Martin Liepach, « Leo
Baecks Manuskript über die “Rechtsstellung der Juden in Europa”: Neue Funde und
ungeklärte Fragen”, Zeitschrift für Geschichtswissenschaft 50, 1 (2002), p. 55-71, 67.
75. Leo Baeck, « A People Stands Before Its God », in We Survived: The Stories of Fourteen of
the Hidden and the Hunted of Nazi Germany, éd. E. H. Boehm, New Haven, Yale University
Press: 1949, p. 284-298, 290.
76. « Wir legen Wert darauf, dass im Zusammenhang damit, dass Herr Prof. Dr. Leo Baeck
mit Frau Czapski zusammengearbeitet hat und jetzt von Herrn R.A. Salomon um eine
Bescheinigung angerufen werden soll, im Sinne der Antragstellerin verfahren wird und der
alte Herr nicht unnütz bemüht werden möge. » Communauté juive bavaroise au bureau
bavarois des Réparations, 23 décembre 1954, BayHStA, LEA 8575
77. Dans sa lettre de recommandation pour Elsa Heinrichsmeyer, le docteur Julius Spanier
affirme qu’il ne se souvient pas d’elle parce que les patients étaient trop nombreux.
BayHStA, LEA, 16100.
78. Ida Pisk née Blum (1887 České Budějovice – 1972 Chicago) était une ancienne nounou
des Murmelstein. Elle fut déportée avec eux à Theresienstadt en janvier 1943.
79. Baeck, « People », p. 291.
80. Derek Penslar, « The German-Jewish Soldier : From Participant to Victim », German
History 29 (3), 2011, p. 423-444.
81. Les mémoires de Gertrud van Tijn n’ont jamais été édités parce qu’ils ont été jugés trop
sujets à controverse alors que les mémoires (contrits) de son collègue David Cohen ont été
publiés en 2010: David Cohen, Voorzitter van de Joodse Raad: De herinneringen van David
Cohen (1941–1943), éd. Eric Somers, Zutphen, Walpurg Pers, 2010.
82. Ornsteinová, « Iluse Terezína ».
83. Andrieu, « Women in the French résistance ».
84. Berlant, 10, 30-33.
85. Michel Foucault, L’Archéologie du savoir, , Gallimard, 1969 ; Jacques Derrida, Mal
d’archive : une impression freudienne, , Galilée, 1995 ; Carolyn Steedman, Dust, Manchester,
Manchester University Press, 2001.
86. Gayatri Spivak, « Can the Subaltern Speak ? » in Marxism and the Interpretation of
Culture, éd. Cary Nelson et Lawrence Grossberg, Urbana, University of Illinois Press, 1988, p.
271-313, 297. [Les Subalternes peuvent-elles parler ? trad. J. Vidal, , éditions Amsterdam,
2006.]
87. Voir aussi Alexandra Garbarini, « Document Volumes and the Status of Victim Testimony
in the Era of the First World War and Its Aftermath », Études arméniennes contemporaines n°
5, 2015, p. 113-118.
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