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1. La libéralisation du compte de capital
1.1 Définition et cadre théorique
Il existe plusieurs degrés d'ouverture du compte de
capital. Les restrictions peuvent être levées sur l'entrée
de capitaux étrangers mais aussi sur la sortie de l'épar-
gne nationale. Elles peuvent concerner les investisse-
ments directs, les investissements de portefeuille
(actions et obligations) et les prêts bancaires. L'ouver-
ture aux investissements directs étrangers fait moins
débat car, plus stable, elle porte un risque de change
plus faible et contribue d'une manière plus directe à la
croissance et à l'emploi. En revanche, la libéralisation
des autres types de flux financiers est plus controver-
sée car elle peut comporter un risque de retournement
brutal de la balance des capitaux et d’effondrement de
l'activité économique.
En théorie, la libéralisation du compte de capital pré-
sente nombre d’avantages pour les pays émergents.
Elle permet d’accélérer la convergence économique
en donnant accès à l'épargne mondiale. Elle permet
aussi d’augmenter la résistance de l'économie face aux
chocs exogènes en facilitant la diversification secto-
rielle. Elle contribue enfin à améliorer l’efficacité du
système bancaire en renforçant la concurrence et donc
à baisser les coûts de financement. En outre, les inves-
tissements directs étrangers (IDE) facilitent les trans-
ferts de technologie. L’impact direct sur les résidents
d’une libéralisation du compte de capital est aussi à
prendre en compte car elle leur permet de diversifier
leurs investissements de portefeuille et de lisser ainsi
l’impact du cycle économique sur leur niveau de con-
sommation.
Cependant l’imperfection de l’information sur ces
nouveaux marchés financiers combinée à des méca-
nismes de régulation et de supervision insuffisants
favorise les comportements moutonniers aux effets
amplificateurs potentiellement dévastateurs. Cela crée
aussi des conditions propices à l'émergence de problè-
mes d'aléa moral : les investisseurs prennent des ris-
ques excessifs, anticipant que l’État viendra au secours
des entreprises et des institutions financières en diffi-
culté.
La littérature a longtemps eu du mal à identifier empi-
riquement l'impact de la libéralisation du compte de
capital sur la croissance2 car l’effet des crises financiè-
res (peu fréquentes mais à l'impact très important sur
la croissance) neutralisait dans les régressions écono-
métriques l'impact positif sur l'investissement3. Des
travaux plus récents4 qui utilisent des techniques éco-
nométriques plus avancées permettent de dissocier les
deux effets et semblent confirmer l'impact positif de
la libéralisation financière (interne et externe) sur la
croissance en dehors des périodes de crises financiè-
res. L’impact théorique de la libéralisation du compte
de capital a été quantifié5 grâce à un modèle d'équili-
bre général. L’étude conclut qu'il est positif mais
modeste, conduisant à une augmentation permanente
de la consommation de 1%. Les conclusions de cette
littérature tendent donc progressivement à se clarifier.
La recommandation adressée aux gouvernements des
pays émergents est de limiter préalablement les risques
de crise financière afin de garantir un impact positif
(bien que vraisemblablement modéré) de la libéralisa-
tion du compte de capital sur la croissance économi-
que.
A ce stade, il convient de remarquer que la libéralisa-
tion du compte de capital n'est pas la cause des com-
portements inefficaces susceptibles de déclencher une
crise. Elle joue cependant un rôle central car elle
amplifie les effets déstabilisateurs d'une régulation et
d'une supervision insuffisantes du secteur financier,
d'une politique macroéconomique déséquilibrée ou
d'une distorsion trop importante des mécanismes de
marché (telles les subventions fournies de manière
récurrente par l'État aux entreprises publiques struc-
turellement déficitaires).
L'augmentation de l'offre de capitaux combinée à la
volatilité accrue de la valeur des actifs peut amplifier
les déséquilibres des comptes des organismes finan-
ciers, et avoir ensuite des conséquences très néfastes
sur l'économie réelle si le système bancaire vient à
s'effondrer : c'est le phénomène «d'accélérateur finan-
cier». Plus précisément, l'afflux de capitaux tend à aug-
menter la valeur d'actifs à caractère spéculatif (actions
des sociétés cotées, immobilier), lesquels sont utilisés
pour garantir des emprunts bancaires. Si leur valeur
s'effondre (éclatement d'une bulle spéculative, conta-
gion financière), on assiste alors à une contraction
massive du crédit et de l'économie réelle. La libéralisa-
tion du compte de capital peut, en outre, aggraver les
déséquilibres macroéconomiques en permettant à un
gouvernement de maintenir des niveaux de déficit
public supérieurs à ceux qu'aurait permis une situation
d'autarcie. Enfin, l'ouverture du compte de capital
facilite la contagion financière en provenance d'autres
économies.
La libéralisation du compte de capital n'aug-
mente donc l'efficacité économique que
lorsqu'elle est associée à des politiques macroé-
conomiques équilibrées et à une stratégie visant
2. voir D. Rodrik (1998) «Who Needs Capital Account Convertibi-
lity?» in Peter Kenen (ed.), Should the IMF Pursue Capital
Account Convertibility? Essays in International Finance n°207,
Princeton. ainsi que B. Eichengreen (2001) «Capital Account Libe-
ralization : What Do Cross Country Studies Tell Us ?», The World
Bank Economic Review, vol 15 n°3, 341-365.
3. De plus, le caractère endogène du contrôle des capitaux couplé à la
difficulté d'en faire une mesure objective ont compliqué l'exercice
et souvent abouti à des résultats contradictoires.
4. N. Loayza et R. Rancière (2005) «Financial Development, Finan-
cial Fragility and Growth», IMF Working Paper n°05/170 ainsi que
A. Razin et Y. Rubinstein (2004) «Evaluation of Exchange Rate
and Capital-Market Liberalization Regimes in the Presence of Sud-
den Stops», Working paper, Tel Aviv University.
5. P.O. Gourinchas et O. Jeanne (2003) «the elusive benefits from
international financial integration», NBER working Paper 9684.