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Dans quelle mesure existe-t-il a minima une compatibilité entre l’identité des sciences de gestion et
l’objet de la psychanalyse et dans toute la mesure du possible des éléments communs ayant une valeur
heuristique ?
Dans un ouvrage récent, Hatchuel (2001) propose aux sciences de gestion un horizon d’élaboration
de théories axiomatiques et généalogiques de l’action collective (p. 4). Pour ce qui nous concerne ici,
le débat ne porte pas sur l’axiomatique et la généalogie mais sur le concept d’action collective, en fait
sur l’ancrage sociologique par rapport à l’ancrage psychologique et à la problématique du sujet en
situation de management.
La définition de l’action collective est un élément central de la théorie sociologique. On pense
notamment à Durkheim dont un des apports essentiels a consisté à limiter son analyse des collectifs à
la seule dimension collective, considérant que la contribution des individus à la dimension collective
ne relevait pas de la sociologie mais de la psychologie. Touraine s’inscrit dans cette tradition
intellectuelle en considérant que l’objet de la sociologie consiste à étudier des relations sociales.
Du point de vue des sciences de gestion, il n’est pas contestable que les collectifs doivent être
privilégiés : une organisation est par définition un lieu collectif. Doit-on pour autant n’accorder aucune
importance à l’individu et au sujet, nous ne le pensons pas, notamment parce qu’il n’est ni réaliste ni
raisonnable de ne pas prendre en compte le poids du sujet et de la personne dans l’organisation.
Sur un plan théorique, il faut s’arrêter à la contribution d’une élève de Gary Becker3, prix Nobel
d’économie. Shira B. Lewin (1996) s’attache au modèle psychologique implicite de la science
économique et remonte au début du XX° siècle pour constater que les économistes préfèrent s’attacher
à l’observation des comportements plutôt qu’à leur interprétation car ils se méfient de la psychologie.
Elle rend hommage au travail d’Herbert Simon (1947) sur le comportement administratif car, en
acceptant la pluridisciplinarité, Simon a permis un progrès scientifique que les modèles économiques
traditionnels ne permettaient pas. De la même manière, notre hypothèse de travail consiste à montrer
les limites des méthodes de recherche dérivées de l’économie des télécommunications et à valider une
sous hypothèse concernant l’apport théorique et méthodologique de la psychanalyse. Interrogeons
nous maintenant sur les apports majeurs de la théorie psychanalytique.
rapport au management, même si celui-ci n'est pas au cœur de son analyse; sa réflexion reprend le thème freudien classique
du rôle du mythe paternel dans les organisations. La dissémination du mythe paternel par les pratiques du management
d'entreprise trouble nos habitudes de raisonnement à propos du lien social (..). Enfin, et c'est probablement là son apport le
plus original, Legendre insiste sur le double rôle du Droit qui est à la fois un élément de structuration sociétale et un élément
de structuration du symbolique car il institue la parole:l'intervention du droit n'est compréhensible que sous la condition de
reconnaître à la science juridique d'avoir partie liée avec cet élément structural du vivant humain: la parole.
Voilà des pistes de recherche bien stimulantes dont certaines sont développées dans la thèse de sciences de gestion de Faÿ
(1999). Le droit précise en effet ce qui est de l'ordre du dit et de l'interdit (l'inter-dit) au sein d'une organisation. Le non-dit,
c'est précisément ce qui relève du champ de la psychanalyse et de l'inconscient, à condition d'accepter l'axiome
psychanalytique de l'existence et de l' autonomie relative de l'inconscient. Certes, les psychanalystes sont tout sauf naïfs : le
non-dit peut relever du calcul rationnel. Mais il peut aussi relever de l'indicible, par exemple un DRH qui éprouverait un
plaisir pervers à organiser des charrettes de licenciements.
3 A y bien regarder, il n’existe pas d’incompatibilité radicale entre la vision calculatrice qu’a Becker du comportement de
l’homo oeconomicus et celle, non moins calculatrice, que Freud et Lacan ont de l’inconscient. Simplement, la logique du
calcul inconscient est d’ordre structural alors que celle de Becker et de l’ordre du dénombrement, des probabilités et de la
modélisation microéconomique appliquée aux comportements humains.
Il faudrait probablement revenir au viennois Schumpeter pour élaborer un cadre théorique satisfaisant. Mais le fait que
Becker ne fasse aucune référence au symbolique rend d’autant plus convaincante sa vison du réel. Par exemple, dans un
article de 1994, Becker remarque que la hausse du prix des cigarettes surtout un impact de court terme sur les comportements
addictifs des consommateurs. C’est donc que les variables structurales du comportement du consommateur sont fortement
indépendnates du prix. Rien n’empêche alors d’ajouter au constat d’ordre économique établi par Becker que les racines de
l’addiction sont à touver du côté de la pulsion orale et de la structure de l’appareil psychique que la cigarette satisfait. Le
calcul inconscient est ici le suivant : j’accepte de mourir x années plus jeune pour satisfaire mon besoin de succion.