CONSULTATION DE COULOIR La boiterie chez l’enfant par Janet Ellsworth, M.D., FRCPC Le garçonnet de cinq ans vous a été adressé parce qu’il se plaint de douleur au genou droit et qu’il boite depuis quatre jours. Avant cet épisode, l’enfant était en bonne santé, sauf un antécédent de rhume il y a deux semaines et deux otites moyennes survenues à un plus jeune âge. La croissance et le développement sont normaux. Il n’a pas d’antécédent de traumatisme. L’enfant n’a pas manifesté de fièvre, d’éruption cutanée ni aucun symptôme général. Il n’a fait aucun voyage et n’a pas subi de morsures de tiques. ’enfant semble bien se porter et l’examen général ne révèle pas d’anomalies. Vous n’observez aucune ecchymose ni aucun œdème sur la jambe droite. La boiterie est légère. Il y a limitation de la rotation interne de la hanche droite, mais le genou droit bouge normalement, tout comme les autres articulations d’ailleurs. Les radiographies simples de la hanche et du genou ne montrent pas d’anomalies. Les résultats de la formule sanguine complète (FSC) et de la numération différentielle sont normaux, et la vitesse de sédimentation (VS) est de 17 mm/h. La boiterie est un trouble fréquent chez l’enfant. Elle est parfois causée par des états pathologiques non douloureux comme une maladie neuromusculaire, mais le plus souvent la douleur musculosquelettique est à l’origine de la boiterie. Cependant, la prévalence estimée de la douleur musculosquelettique chez l’enfant d’âge scolaire varie; selon une étude de population menée en Finlande1, 18,3 % des enfants de 3e et 5e année du primaire éprouvaient une douleur des jambes et une douleur musculosquelettique, soit environ 6 % des visites d’enfants chez un médecin de premier recours2. Plusieurs maladies courantes ou graves peuvent causer la boiterie chez l’enfant3. L Traumas Les blessures sont la cause la plus fréquente de la douleur musculosquelettique et de la boiterie. Le trauma est en général récent (dans les heures qui précèdent la visite médicale). Chez le jeune enfant, les fractures s’observent plus souvent que des lésions des tissus mous, par exemple, les entorses. La découverte d’une fracture en l’absence d’un antécédent de trauma ou d’une explication de la blessure qui ne concorde pas avec la fracture doit évoquer la possibilité d’un diagnostic de trauma non accidentel (violence à l’endroit de l’enfant). Le patient n’a aucun antécédent de trauma et la radiographie ne montre pas de fracture. 40 JSCR 2012 • Volume 22, Numéro 1 Infections L’arthrite infectieuse et l’ostéomyélite peuvent toutes deux se révéler par une boiterie. Chez l’enfant, ces infections sont en général le résultat d’une bactériémie et d’une propagation hématogène. L’enfant atteint d’une arthrite infectieuse est malade et fiévreux, il ressent une forte douleur et, souvent, il refuse de marcher ou de bouger l’articulation atteinte. Chez l’enfant atteint d’ostéomyélite, le mode de présentation est semblable, mais les symptômes sont parfois moins aigus et moins graves. Outre la fièvre, on note une douleur à la pression au siège de l’infection. L’analyse de sang montre en général une numération leucocytaire et une VS élevées. On peut penser à des infections inhabituelles comme la maladie de Lyme en cas d’antécédent de morsures de tiques ou de voyage dans des régions où la maladie est endémique. Le patient n’est pas fébrile et il n’a pas l’air malade. L’articulation n’était pas très sensible et la palpation des os ne provoque pas de douleur locale. Étant donné que la FSC est normale et que la VS n’est que légèrement élevée, la présence d’une infection est peu probable. Arthrite réactionnelle ou postinfectieuse Après une infection à streptocoques, il arrive que des enfants manifestent une arthropathie – seule ou accompagnée d’autres caractéristiques d’une fièvre rhumatismale aiguë. L’arthrite réactionnelle peut également survenir après une maladie diarrhéique. Le patient n’a pas d’antécédent d’infection bactérienne ni de maladie diarrhéique et il n’affiche aucun autre signe de fièvre rhumatismale. Arthrite inflammatoire L’arthrite aiguë qui touche une ou plusieurs articulations peut apparaître sur fond de syndromes inflammatoires, par exemple la maladie de Henoch-Schönlein (vasculite aiguë se manifestant par un purpura, de la douleur abdominale et une néphrite) ou la maladie de Kawasaki (vasculite aiguë se manifestant par une éruption cutanée, de la fièvre, des anomalies des muqueuses, une adénopathie et une artérite coronarienne). Dans les maladies inflammatoires chroniques, par exemple les maladies intestinales inflammatoires ou le lupus, l’arthrite peut aussi être un symptôme d’appel, mais en général, son mode de présentation comprend aussi d’autres signes et symptômes caractéristiques. L’arthrite idiopathique juvénile (AIJ) se révèle souvent par une boiterie, mais les symptômes apparaissent progressivement et chez l’enfant, il est rare que les symptômes soient présents depuis quelques jours seulement au moment de la consultation initiale. Même s’il arrive souvent qu’une seule articulation soit touchée dans l’AIJ, une arthrite de hanche isolée est rare, en particulier chez le jeune enfant. Le patient n’est porteur d’aucun autre signe ou symptôme de maladie inflammatoire aiguë ou chronique. Vu le caractère aigu des symptômes chez ce garçonnet et vu l’atteinte de la hanche chez un enfant de cet âge, l’AIJ est un diagnostic peu probable. Cancer Bien que le cancer ne soit pas fréquent durant l’enfance, chez environ 10 % des enfants atteints d’une leucémie lymphocytaire aiguë (LLA), le symptôme d’appel est la douleur ou la boiterie, ou les deux. L’intensité de la douleur est souvent disproportionnée par rapport aux signes physiques et elle est plus intense durant la nuit. Des anomalies de la numération et formule sanguine, par exemple un faible nombre de globules blancs ou de plaquettes, ou les deux, devraient évoquer ce diagnostic. D’autres formes de cancer comme le neuroblastome et le lymphome peuvent également entraîner une boiterie. Des tumeurs osseuses localisées, comme un ostéosarcome, s’observent rarement chez le jeune enfant et elles seraient souvent visibles à la radiographie simple. En raison du bon état de santé général, de l’absence de douleur nocturne et des résultats normaux de la FSC et de la radiographie, il est improbable que l’enfant soit atteint d’un cancer. Microtraumatismes répétés ou utilisation abusive de l’articulation Même si ce phénomène est rare chez le jeune enfant, les adolescents peuvent manifester de la douleur et une boiterie secondaires à l’utilisation abusive d’une articulation. En général, les symptômes s’aggravent durant l’activité physique et ils s’atténuent au repos. L’âge du patient et le fait que les symptômes ne soient pas déclenchés par l’activité physique rendent ce diagnostic peu probable. Troubles spécifiques de la hanche Chez un enfant plus âgé, il se pourrait que le glissement de l’épiphyse fémorale supérieure explique la douleur et la limitation de la rotation de la hanche. Les symptômes d’appel peuvent être aigus ou chroniques. Le diagnostic est posé par une radiographie simple de la hanche en incidence antéro-postérieure et de profil. Chez un jeune enfant, il importe de différencier deux affections qui touchent le plus souvent les enfants (les garçons plus que les filles) âgés de 4 à 10 ans. 1. La synovite transitoire de la hanche est une affection fréquente, de résolution spontanée, qui se manifeste souvent une à deux semaines après une infection des voies respiratoires supérieures. Les enfants sont en bonne santé; les radiographies et les analyses de sang sont en général normales. L’échographie révélera un épanchement articulaire; toutefois, cet examen n’est pas nécessaire dans la plupart des cas. En général, les signes et les symptômes s’atténuent grandement en moins de 7 à 10 jours, et on peut prévoir une résolution complète en deux à trois semaines. 2. À l’opposé, la maladie de Legg-Calvé-Perthes (nécrose avasculaire idiopathique de la hanche) est moins fréquente; le début est moins abrupt et les signes et les symptômes persistent pendant des mois ou des années. Les radiographies peuvent être normales pendant le premier mois, mais ensuite elles laissent voir les changements caractéristiques de la sclérose ou de la résorption de parties de la tête fémorale (au début) puis, plus tardivement, la difformité de la tête fémorale. L’évocation de ce diagnostic commande un suivi minutieux par des examens cliniques et radiographiques répétés. Le patient manifeste une boiterie aiguë caractérisée par des signes localisés à la hanche et apparue peu de temps après une infection des voies respiratoires supérieures. La FSC normale, la VS légèrement élevée et les résultats radiographiques normaux concordent tous avec le diagnostic d’une synovite transitoire de la hanche. Toutefois, le « test diagnostique » le plus utile dans ce cas a été de réévaluer le patient après deux semaines, car à ce moment, les symptômes étaient résolus, et l’examen de la hanche ne montrait plus aucune anomalie. Sommaire : Même si la douleur musculosquelettique et la boiterie sont fréquentes chez l’enfant, une anamnèse détaillée et un examen physique attentif alliés aux épreuves de dépistage de base (radiographie, FSC, numération différentielle, VS) devraient permettre de poser un diagnostic juste dans la plupart des cas. Janet Ellsworth, M.D., FRCPC Directrice, division de rhumatologie pédiatrique Université de l’Alberta - Stollery Children's Hospital Edmonton, Alberta Références 1. El-Maetwally A, Salminen JJ, Auvinen A, et coll. Risk factors for traumatic and nontraumatic lower limb pain among preadolescents: a population based study of Finnish Schoolchildren. BMC Musculoskelet Disord 2006; 7:3 2. De Inocencio J. Epidemiology of musculoskeletal pain in primary care. Arch Dis Child 2004; 89(5):431-4. 3. Tse SM, Laxer RM. Approach to Acute Limb Pain in Childhood. Pediatrics in Review 2005; 27(5):170-9. JSCR 2012 • Volume 22, Numéro 1 41