Synthèse
Le terme de rachialgie désigne toute douleur siégeant au niveau du rachis
vertébral ou à proximité immédiate de celui-ci, quelles que soient l'origine, la
nature et l'intensité de cette douleur. Il s'agit donc d'une expression assez peu
spécifique qui englobe, au sein du vaste ensemble formé par les pathologies
ostéo-articulaires non traumatiques, tout un spectre d'aigles vertébrales d'espèce et
de gravité variables, très rarement fatales, mais qui, dans leurs formes sévères,
peuvent avoir un retentissement important sur la qualité de vie des patients ainsi
que sur leur capacité à poursuivre normalement leurs activités professionnelles et
personnelles.
Contrairement à une idée trop facilement recue, les rachialgies ne constituent pas
un problème majeur de santé publique du fait de leur très grande fréquence en
population générale. En effet, les nombreux travaux épidémiologiques disponibles
montrent que les rachialgies répertoriées en population correspondent, dans la
grande majorité des cas, à des épisodes douloureux de courte durée, le plus
souvent entièrement résolutifs, et qui n'entraînent pas d'incapacité durable ou
sérieuse des malades (rachialgies aiguës).
En revanche, les rachialgies chroniques et invalidantes, même si elles ne
représentent qu'une proportion très limitée des rachialgies prévalentes (estimée
selon les études entre 5 et 15 %), ont des conséquences socio-économiques
majeures et ce, quels que soient les indicateurs utilisés arrêts de travail et
absentéisme, pertes de production, recours aux soins, entrées en invalidité,
souffrance physique et dégradation de la qualité de vie.
C'est donc davantage par rapport aux formes sévères de rachialgie que par rapport
à ses formes bénignes qu'il convient de situer les enjeux de santé publique des
pathologies rachidiennes, sans oublier que les voies de passage de la rachialgie
aiguë à la rachialgie chronique sont vraisemblablement nombreuses mais qu'elles
demeurent, aujourd'hui encore, mal connues. Nous reviendrons sur ce point
fondamental dans la suite de cette synthèse. 163
Aspects cliniques
Pour la plupart des rachialgies, la douleur déclarée par le patient est le seul signe
fonctionnel directement accessible à l'examen clinique et à partir duquel le médecin
doit essayer de fonder son diagnostic. Classiquement, on distingue trois types de
rachialgie en fonction du territoire douloureux désigné par le sujet atteint les
cervicalgies (ou douleurs cervicales) s'étendent de la première vertèbre cervicale
(C1) à la charnière cervico-dorsale (C7-D1); les dorsalgies ou douleurs dorsales
s'étendent de la charnière cervico-dorsale (C7-D1) à la charnière dorso-lombaire
(D12-L1); les lombalgies ou douleurs lombaires s'étendent de la charnière
dorso-lombaire (D12-L1) à la charnière lombo-sacrée (L5-S1).
Il existe un consensus international sur la délimitation de ces trois territoires, tant
chez les cliniciens que chez les épidémiologistes. Parmi la population active, on
constate que la lombalgie est la pathologie rachidienne dominante chez les
travailleurs manuels, alors que les employés de bureau développent plus souvent
des cervicalgies. Les dorsalgies se rencontrent plus rarement et sont d'ailleurs peu
étudiées.
S'agissant de la lombalgie, les cliniciens s'accordent, dans leur grande majorité, à
classer sous le terme de lombalgies communes , les lombalgies qui ne sont pas
secondaires à une cause organique particulière (telle une infection, une tumeur, une
affection rhumatismale inflammatoire, une affection métabolique). Les lombalgies
communes représentent, en pratique clinique, l'écrasante majorité des cas de
lombalgies (95 à 98 % des cas). Par extension, on parlera de rachialgies
communes pour désigner toutes les rachialgies ne relevant pas d'une cause
organique majeure.Les causes anatomiques et physiopathologiques des rachialgies
communes restent mal connues. Trois types d'hypothèses sont habituellement
avancées concernant l'étiologie des douleurs
des douleurs d'origine musculo-tendino-ligamentaire, c'est-dire des douleurs
liées à une souffrance de l'ensemble muscles-tendons-ligaments qui assure la
stabilité et la mobilité fonctionnelle du rachis vertébral;
des douleurs liées à une anomalie des articulations entre les corps vertébraux,
notamment des articulations inter-apophysaires postérieures dont le rôle est
également d'assurer à la fois la mobilité et la stabilité des segments rachidiens. Les
altérations peuvent être ici aussi bien d'origine traumatique, comme la distension
capsulo-ligamentaire, que d'origine dégénérative, évoluant alors vers l'arthrose;
des douleurs liées à la détérioration du disque intervertébral qui agit normalement
comme système amortisseur des chocs et des contraintes mécaniques. Ces douleurs
peuvent aller d'une simple lésion du disque intervertébral à une lésion de la partie
centrale gélatineuse et molle du disque intervertébral, le nucléus pulposus, ce
dernier pouvant subir une migration
164
d'avant en arrière et ainsi, comprimer la racine nerveuse naissant du fourreau
médullaire à ce niveau. Cette compression peut provoquer des irradiations
douloureuses dans le membre supérieur ou inférieur, donnant lieu à la réalisation de
véritables névralgies et/ou radiculalgiesl. Dans certains cas, le déplacement du
nucléus pulposus peut aller jusqu'à la formation d'une hernie discale.
Le diagnostic des rachialgies communes se heurte à plusieurs difficultés. Tout
d'abord, il n'existe pas de classification clinique des rachialgies validée au niveau
international, même si certaines équipes ont développé une sémiologie fine pour
distinguer différents types d'aigles vertébrales en fonction d'hypothèses physio-
pathologiques. On peut citer, à titre d'exemple, la classification proposée par le
groupe d'étude québécois des affections vertébrales qui différencie dix groupes
cliniques pour la rachialgie commune en combinant quatre critères l'anamnèse,
l'examen clinique, les examens para-cliniques et la réponse au traitement.
Les investigations para-cliniques, et notamment le recours à l'imagerie médicale,
apportent rarement une aide au diagnostic pour la rachialgie commune. Des
travaux, maintenant nombreux, ont montré l'absence de corrélation entre les
anomalies anatomiques révélées par l'imagerie et la présence de douleurs
vertébrales. Dans un article récents2 où des clichés du rachis par imagerie par
résonnance magnétique (IRM) ont été réalisés sur 98 patients Symptomatiques, il
s'est avéré qu'à peine plus d'un tiers de ces sujets Symptomatiques avaient une IRM
normale, les autres présentant un ou plusieurs disques bombant dans l'espace
intervétébral et 28 %, une véritable hernie discale (par protrusion ou extrusion du
disque).
Les résultats de cette étude confirment, avec les moyens d'imagerie les plus actuels
et les plus performants, ceux de nombreuses études antérieures. Ainsi, Spitzer,
Abenhaim et coll.3 ont constaté, en 1987, que 20 à 30 % des protrusions discales
restent totalement Symptomatiques. Même dans le cas de la lombalgie chronique,
la radiographie peut ne montrer aucun signe spécifique. C'est pourquoi l'utilisation
des différentes techniques d'imagerie, notamment lorsqu'elles sont invasives, doit
être réservée à la reconnaissance des rachialgies secondaires ou à l'investigation des
formes chroniques et sévères de rachialgie commune pour lesquelles une indication
chirurgicale est éventuellement à proposer.
À côté des techniques d'imagerie, il existe de nombreux tests ou index cliniques
visant à aider le médecin dans l'établissement du diagnostic. Aucun de ces tests,
conçus pour l'analyse et la mesure des douleurs du rachis, n'a été véritablement
validé jusqu'ici. La voie qui paraît la plus prometteuse est celle des indices algo-
fonctionnels. Ces indices combinent des échelles analogiques de mesure de la
douleur avec une évaluation des retentissements de la rachialgie sur les gestes
____________________
1 C'est-à dire des douleurs radiculaires dans les membres et les extrémités distales.
2.et3.Cf.p. 17. 165
quotidiens, comme enfiler un vêtement, monter un escalier, faire des travaux de
ménage... Leur validation doit prendre en compte les qualités métrologiques
attendues et notamment leur reproductibilité inter-observateurs et leur sensibilité
au changement. À l'heure actuelle, seul l'indice d'Eifel, qui compte 24 items, a été
validé, à la fois en langue anglaise et en langue française.
Éléments d'histoire naturelle
On sait peu de chose sur l'histoire naturelle de la rachialgie, c'est-dire l'évolution
normale , au sens d'habituelle, d'une lombalgie ou d'une cervicalgie au cours du
temps. Le seul point assez bien documenté dans la littérature clinique concerne la
durée des épisodes aigus.
Une étude prospective récente4 apporte des données chiffrées contrôlées sur
l'évolution naturelle du lumbago. Caractérisé par une douleur lombaire très vive et
une sensation de blocage du rachis, sa régression intervient en quelques jours, au
maximum trois semaines. Cette étude confirme les conclusions d'un travail
britannique beaucoup plus ancien montrant que 62 % des cas de lumbago
diagnostiqués régressaient en moins de deux semaines. Plusieurs études ont mis en
évidence le rôle bénéfique d'un repos au lit de courte durée (de l'ordre de 48
heures) pour diminuer l'intensité des troubles fonctionnels et hâter la reprise du
travail.
En revanche, il existe peu d'études cliniques sur l'évolution des rachialgies à moyen
terme qui seraient susceptibles d'apporter des indications sur les voies de passage
des épisodes aigus aux formes chroniques d'aigles vertébrales.
Dans une étude longitudinale5 comportant un suivi sur 10 ans de deux groupes de
femmes âgées de 40 à 50 ans (un groupe initialement indemne de douleurs et un
groupe de femmes lombalgiques) les résultats suivants sont rapportés 72 % des
femmes présentant une lombalgie au début de l'étude et 24 % des femmes
initialement asymptomatiques ont développé au moins un épisode lombalgique
d'une durée supérieure à deux semaines pendant les 10 ans de suivi. Il faut noter
que cette étude ne visait pas expressément l'histoire naturelle de la lombalgie mais
l'éventuelle corrélation entre celle-ci et l'évolution des signes radiologiques.
Paradoxalement, c'est au sein du vaste corpus des études épidémiologiques que l'on
trouve le plus grand nombre d'informations sur l'histoire naturelle des rachialgies.
Ainsi, toutes les études qui se sont intéressées à la durée des épisodes douloureux,
notamment à celle des douleurs lombaires, confirment la relative
___________________
4. et 5. cf. p. 22.
166
brièveté de la majorité d'entre eux 40 à 50 % des épisodes douloureux répertoriés
durent moins de 24 heures, 40 à 70 % moins d'une semaine et 40 à 75 % moins
d'un mois. La proportion des épisodes algiques supérieurs à 3 mois - seuil à partir
duquel une rachialgie est considérée comme chronique - est estimée entre 10 et 23
% des épisodes, selon les études et les populations interrogées. Ces derniers
pourcentages sont loin d'être négligeables.
Deux caractéristiques supplémentaires sont mises en relief par la littérature
épidémiologique
le caractère récurrent des douleurs rachidiennes dans plusieurs études portant sur
le personnel hospitalier, catégorie professionnelle particulièrement affectée par le
mal de dos 6, 61 à 72 % des personnes interrogées se plaignent de douleurs
récidivantes dans les douze mois précédant l'enquête (contre 5 à 20 % qui
déclarent un seul épisode seulement); cette forte proportion d'aigles récurrentes est
confirmée par plusieurs études en population générale;
la diversité des modes d'installation des douleurs plusieurs travaux tendent à
montrer qu'il n'y a pas de modèle type d'installation des douleurs rachidiennes. En
particulier, dans les études qui départagent les rachialgies survenues brutalement, à
la suite d'un effort inhabituel, de celles qui se sont installées progessivement, et
pour ainsi dire insidieusement, au décours des activités quotidiennes, on s'aperçoit
que les cas se distribuent à peu près équitablement entre les deux groupes,
marquant l'absence de modes dominants d'installation des aigles vertébrales.
Ces quelques données éclairent certains aspects de l'histoire naturelle des
rachialgies mais elles ne fournissent pas de réponse aux questions suivantes qui
restent essentielles, dans une perspective de soins comme dans une perspective de
prévention
Quel est le degré de réversibilité spontanée des douleurs rachidiennes en fonction
de la gravité et de la fréquence des atteintes, de l'âge, de l'activité professionnelle ?
Quelle est la fréquence des récidives à partir d'un épisode douloureux, en
fonction du temps écoulé depuis l'épisode, de l'âge, de l'activité professionnelle ?
Des problèmes mineurs de rachialgie sont-ils prédicteurs de problèmes majeurs et
plus généralement, quelles sont les voies de passage entre épisodes aigus et
pathologie chronique ?
__________________
6.Cf.pp. 34-35. 167
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