Philippe Postel
de la teste de chaque gure. Les Chinois, quoyque très-anciens dans les
Arts en sont encore là. Ils parviendront peut-estre bien tost à désigner
correctement, à donner de belles attitudes à leurs gures, & mesme des
expressions naïves de toutes les passions, mais ce ne sera de lontemps
qu’ils arriveront à l’intelligence parfaite du clair obscur, de la degradation
des lumières, des secrets de la perspective & de la judicieuse ordonnance
d’une grande composition. 4
Perrault, le Moderne, refuse donc à la Chine une quelconque supériorité
par rapport à l’Europe. Sans doute, dans son esprit, la Chine, dont on admire tant
la longue durée, est-elle associée à l’Antiquité ; elle est par conséquent victime
de la dépréciation dont sont victimes les Anciens dans son Parallèle. Quoi qu’il
en soit, on constate que le relativisme reconnu dans le temps ne semble pas jouer
pour Perrault dans l’espace.
Les encyclopédistes, ou le relativisme dans l’espace
C’est avec ceux que je nommerais volontiers les encyclopédistes que
s’opère, au x v i i i e siècle, une application à l’espace, de la notion de rela-
tivité. J’entends par encyclopédistes non pas les membres qui ont effec-
tivement pris part à l’entreprise de l’Encyclopédie, mais les intellectuels
qui ont contribué à élargir le champ géographique de nos connaissances
dans un esprit véritablement globalisant. Étiemble a magniquement dé-
montré, dans L’Europe chinoise 5, comment la Chine a pu constituer, pour
ainsi dire, un élément à charge dans la remise en question, par la logique
encyclopédique, d’une conception classique autocentrée du vrai, du bon et
– mais avec un certain retard sur lequel nous reviendrons – du beau. Cer-
taines monographies conçues dans un esprit encyclopédique, comme la
Description du Père Du Halde 6 (1735), ou certains ouvrages proprement
encyclopédiques comme l’Essai sur les mœurs de Voltaire (1756), ont
contribué, en effet, à amorcer dans les esprits un décentrement de l’Europe
4 Charles Perrault, op. cit., « Second dialogue, en ce qui regarde l’architecture, la
sculpture et la peinture », t. 1, p. 142.
5 Voir René Étiemble, L’Europe chinoise. Paris : Gallimard, 1988.
6 Voir Isabelle Landry-Deron, La Preuve par la Chine : la « Description »
de J.-B. Du Halde, jésuite (1735). Paris : École des hautes études en sciences
sociales, 2002.