Prédication sur Mt 21/28-32 (parabole des deux fils), prononcée en

Prédication sur Mt 21/28-32 (parabole des deux fils), prononcée en la paroisse réformée
de Neuchâtel (lieu de vie de l’Ermitage) le dimanche 16 septembre 2007 (Jeûne fédéral)
Chers amis,
il y a des travaux qui n’attendent pas. Quand c’est le moment de les faire, il faut les faire.
Plusieurs d’entre vous ont aidé à préparer ce lieu de culte sous la tente et sur la pelouse, et si
vous ne l’aviez pas fait, si vous ne l’aviez pas fait hier, nous serions très ennuyés aujourd’hui.
Merci de nous avoir rendu ce service. Vous ne m’en voudrez pas, je pense, de citer l’exemple
de votre bonne action réalisée en temps utile. Il n’y a pas mieux pour illustrer l’un des traits
saillants de cette parabole.
Car, en effet, la vigne, elle non plus, n’attend pas. On sait combien la viticulture est
astreignante, combien de soins assidus elle exige à des moments précis de la saison. Cela
explique sans doute le ton péremptoire du père, particulièrement sensible dans une traduction
littérale : « Enfant, vas-y aujourd’hui, vas travailler dans la vigne. » C’est le jour même qu’il
faut y aller, promptement, aujourd’hui encore. Il n’y a pas un mot de trop dans cette parabole
qui est si belle parce qu’elle est si simple, si concise. Chaque mot compte. Et le mot
« aujourd’hui » très certainement dans la formulation de l’ordre que le père donne à chacun de
ses deux fils. Il y a nécessité impérieuse. Il y a aussi – puisqu’en grec comme en français le
mot « aujourd’hui » contient le mot « jour » - le rappel d’une période limitée pour bien faire.
Nous disposons de quelques heures éclairées et donc précieuses qui permettent de travailler
jusqu’au soir. La nuit viendra, mais en attendant la journée est à mettre à profit.
L’Evangéliste Matthieu a placé la parabole des deux fils dans un contexte de choix décisifs et
de révélations déterminantes et surprenantes. C’est l’entrée de Jésus à Jérusalem qui précède
et l’expulsion des marchands du temple ; les paraboles qui suivent – celle des vignerons
méchants et celle des noces du roi – nous disent clairement qu’il y a deux camps : d’un côté
les autorités religieuses officielles – prêtres et pharisiens qui refusent de reconnaître Jésus
comme Fils de Dieu et cherchent à le faire mourir – et de l’autre les marginaux de ce régime
religieux officiel. Ceux-ci, prostituées et collaborateurs avec l’occupant romain, des gens
disqualifiés du point de vue religieux et social, eux croient en Jésus. Et ce choix paradoxal
qu’ils font et que Dieu fait, change tout. Les positions s’inversent et se durcissent, le
dénouement tragique s’annonce, c’est l’heure des choix. Et l’Evangéliste en nous racontant
ces derniers jours de la vie de Jésus, ne cesse de nous interpeller en nous disant – entre les
lignes : « Et toi, toi qui écoutes les paroles de Jésus, toi qui lis cette histoire et qui t’inquiètes
et t’interroges, de quel côté veux-tu te ranger ? Auditeur, lecteur, est-ce que tu crois en Jésus ?
Et si tu dis oui, serait-ce du bout des lèvres seulement ?
Voici donc deux fils, à vrai dire même deux enfants. Quand ils sont introduits dans la
parabole, on ne les appelle pas fils encore, mais « enfants » par un terme du genre neutre, qui
évoque la progéniture. Ce langage est tout à fait approprié, on va le voir. Car ni l’un ni l’autre
de ces deux-là n’a un comportement très mûr. Le second, pour commencer par lui, y met les
formes, mais en réalité, il n’en fait qu’à sa tête. « Enfant, vas y aujourd’hui, lui dit le père, va
travailler dans la vigne. » Et lui de répondre : « Je veux bien » - et il ajoute même :
« Seigneur ». Et puis ? Il n’y va pas. Dans le genre adulte et responsable il y a mieux. Et le
premier alors, le premier des deux fils ? « Je ne veux pas », dit-il. Voilà qui est très net, mais,
avouons-le, un peu primaire comme style de négociation. Cependant, il n’en reste pas là, ce
premier fils, il regrette son refus, il change d’humeur, comme dit le texte, il change d’avis. Et
il va travailler dans la vigne, effectivement.
La conclusion de la parabole est plus étonnante qu’on ne le dit souvent. « Lequel des deux a
fait la volonté du père ? » demande Jésus. Et ses interlocuteurs de répondre : « Le premier. »
Pourtant, n’importe quel chef d’entreprise serait vite usé avec un personnel de ce genre-là,
imprévisible, lunatique, qui finit, certes, par faire le travail demandé, mais non sans avoir
ostentatoirement croisé les bras dans un premier temps.
Et si la parabole, sous son apparente simplicité, disait quelque chose de très profond ici ? Sous
le traits de ce premier fils, la parabole dépeint l’être humain tel qu’il est, elle nous décrit tels
que nous sommes : lents à nous laisser gagner par Dieu et par son amour, partagés, divisés,
incohérents tant de fois. Néanmoins Dieu nous fait la grâce de nous révéler sa volonté et
considère que nous la faisons quand seulement nous acceptons qu’elle nous engage. Oui, Dieu
nous veut avec notre volonté et il veut que notre volonté se laisse convaincre par la sienne.
Dieu ne se lasse pas de nous autres humains, il garde sa passion communicative pour cet être
humain capable de changer, d’évoluer, de se renouveler. Ah, cette parabole serait tellement
plus conséquente avec des anges qui disent oui et qui font, et avec des diables qui disent non
et qui ne font pas ! Réenregistrée avec des anges d’un côté et des diables de l’autre, la
parabole serait limpide – et insipide. Elle ne dirait plus rien ni des humains ni de Dieu, ni de
son amour qui, malgré nos refus, ne cesse de nous interpeller et de nous transformer.
Chers amis, je n’ai rien dit encore de la vigne. A quoi correspond-elle et comment
comprendre aujourd’hui, dans nos vies, cette transformation intérieure qui nous fait accepter
le travail dans la vigne ? Il me semble que cette question inspire deux réponses
complémentaires. D’une part, la vigne est dans toute la Bible le symbole du peuple d’Israël,
autrement dit du peuple de Dieu et donc aussi de l’Eglise. La travail dans la vigne a une
signification spirituelle de participation à la mission de l’Eglise. D’autre part, la vigne
représente la Terre promise et donc une terre bien concrète qui nous porte et nous nourrit,
terre dont il faut prendre soin et dont il s’agit de partager les fruits. Le travail dans la vigne a
donc aussi une signification sociale et écologique.
C’est par cette dernière que je voudrais commencer. Il nous est donné d’habiter, ici à
Neuchâtel, une terre bénie, vigne au sens figuré et même au sens littéral. Elle est Terre
promise, cette terre neuchâteloise – comme toutes les terres aimées de ce globe. Dans le cadre
de l’exposition du Jardin botanique, un visiteur du vallon de l’Ermitage a noté dans le livre
ouvert ces paroles admiratives : « Le paradis existe sur terre ! ». On le comprend, ce coin de
terre est tellement beau et varié et vivant !
Or, nous savons que notre cadre de vie est en train de changer radicalement, non seulement à
Neuchâtel, mais à l’échelle de la planète. Nous savons que le climat se dérègle, rapidement,
dangereusement, avec des perspectives très alarmantes pour la fin de ce siècle. Nous savons
que nos modes de vie sont en cause, notre consommation excessive d’énergie, et d’énergies
fossiles en particulier. Nous savons que les prochaines années seront décisives. Il nous faudra
consommer moins et mieux, résolument, employer l’énergie de façon beaucoup plus efficace,
passer aux énergies renouvelables et cesser de dilapider un capital naturel que nous avons
vocation à transmettre aux générations futures.
« Enfant, dit le Père, Créateur de toutes choses, enfant, vas-y aujourd’hui, vas travailler dans
la vigne. » Et tout notre être se crispe et dit : « Je ne veux pas. » Non, nous ne voulons pas
sortir de chez nous, sortir de nos habitudes, sortir pour faire ce dont la vie sur terre, féconde et
fragile, a besoin maintenant. Les uns diront : les changements climatiques ? Il y en a toujours
eu et ce n’est pas si grave ! – il ils nieront le problème. Les autres diront : le mode de vie des
Suisses n’est pas négociable ! – en imaginant que les réalités se soumettront à leur indignation
comme un enfant que l’on gronde. D’autres encore diront : il nous faut changer, c’est exact,
mais pas tout de suite, nous avons encore le temps et dans un siècle nous y serons arrivés – et
ils nieront l’urgence pourtant évidente dans les prévisions scientifiques. D’autres encore
diront : il n’y a plus rien à faire ! Il est trop tard, les catastrophes sont inévitables, profitons
des jours qui nous restent – et ils vivront, heureux en apparence seulement, leur étrange
clairvoyance aveugle.
Les grands défis écologiques auxquels nous sommes confrontés sont des questions
spirituelles, sans aucun doute. Une conversion spirituelle nous est demandée, un deuil de nos
habitudes et de nos exigences désormais irresponsables.
« Il répondit : Je ne veux pas. Ensuite, il se repentit, et il y alla. » - Habitants de la planète,
habitants de surcroît d’un pays prospère, nous sommes comme ce fils qui proteste et qui ne
veut pas sortir de chez lui. Nous en sommes là encore dans la progression de la parabole. Et la
suite ? Nous l’ignorons. Allons-nous nous raviser, nous aussi ? Allons nous choisir la vie ?
Un instant, me direz-vous, on sent bien que vous arrivez à la conclusion de votre prédication –
et c’est très bien ainsi. Mais vous nous avez dit tout à l’heure que la vigne serait aussi un
symbole de l’Eglise et non seulement de la terre et de l’environnement. Parlez-nous donc
aussi un peu de l’Eglise, de notre Eglise réformée cantonale qui nous cause tant de soucis en
ce moment ! – Vous avez raison, pourtant : tout est dit. Car qu’est-ce que l’Eglise si ce n’est
la présence de Jésus Christ au monde ? Je vous ai parlé des changements climatiques et de la
nécessité d’une nouvelle politique de l’énergie et de nouveaux modes de vie. Et j’ai essayé de
vous montrer combien l’Evangile, en somme, nous aide à comprendre qui nous sommes face
à ces défis, et nous aide à prendre courage et à nous laisser transformer. L’avenir de l’Eglise
est dans l’annonce de cet Evangile – et à cet égard, l’Eglise est tout simplement irremplaçable.
Chers amis, lors du 3e Rassemblement œcuménique européen à Sibiu en Roumanie au début
de ce mois, l’Eglise évangélique réformée de Neuchâtel a été applaudie trois fois : d’abord
dans une rétrospective où l’on sentait encore une fois, au moment où il apparaissait dans le
film, l’extraordinaire rayonnement de Frère Roger Schutz – enfant de la région et ancien
pasteur de notre Eglise ; ensuite en la personne de Sœur Pierrette, prieure de Grandchamp
intervenant au Forum « Spiritualité » ; et, finalement, en séance plénière, lorsqu’Ysabelle de
Salis a plaidé, au nom de la délégation suisse, pour une date de Pâques commune à toutes les
Eglises d’Europe et qui, de notre point de vue, pourrait être celle fixée par nos frères et sœurs
orthodoxes.
Quelle belle Eglise que la nôtre, pleine de sève ! Allons travailler dans cette vigne, toutes et
tous ! Appliquons-nous, mais n’oublions pas, malgré les soucis, de rire et de chanter. Il fait
beau, et elle est belle, la vigne – et la vie.
Amen.
Otto Schäfer, pasteur de l’Eglise Réformée de France
Chargé d’éthique, Institut de Théologie et d’Éthique,
Fédération des Eglises Protestantes de Suisse (FEPS)
Sulgenauweg 26, 3000 Berne
031-370 25 54, [email protected]
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