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Le Sida : une maladie et des malades
« Jamais on n’a fait autant pour une épidémie et jamais il n’est resté autant à
faire » déclarait Peter Piot, directeur de l’Onusida, en août dernier à
l’occasion de la 16ème conférence mondiale sur le Sida qui se tenait à
Toronto. De fait, toutes les six secondes et demie, une nouvelle personne est
contaminée. Et en 25 ans, ce sont 65 millions de personnes qui ont été
infectées.
Cependant, depuis 1996, date de l’arrivée des trithérapies dans les pays
développés, le quotidien des personnes infectées par le virus de
l’immunodéficience humaine (VIH) a été bouleversé. Certes pas d’espoir de
guérison, mais un allongement considérable de l’espérance de vie. Si la
maladie a changé de visage, le regard et les comportements aussi. Mais pas
toujours dans le bon sens. Ainsi, les plus récentes enquêtes en population
générale, dites KABP pour "Knowledge, Attitudes, Beliefs and Practices",
mettent−elles en évidence une régression des comportements de prévention,
surtout chez les jeunes, et une détérioration de l’image du préservatif
entraînant une diminution de son utilisation*.
Dans ce dossier consacré au Sida, Inserm Actualités a voulu traiter des
questions de société autour de cette maladie. Et notamment en se
questionnant sur la vie d’une personne infectée grâce à la très complète
étude Vespa menée en 2003 avec le soutien de l’ANRS, l’Agence nationale
de recherche sur le Sida. Quelles sont les conditions de vie des personnes
séropositives ? Qui sont−elles ? Quelles sont leurs difficultés vis−à−vis de
l’insertion sociale et professionnelle ? Comment mènent−elles leur vie
sexuelle et affective ? Les adolescents nés avec le virus sont aussi au cœur
de notre dossier (voir Les effets dévastateurs du Sida sur les enfants) ; ainsi
que les associations dont la combativité a toujours été exemplaire (voir « Ne
pas faire pour … mais avec... », un entretien avec Christian Saout, Président
de l’association AIDES).
Nous avons également voulu mettre en avant des recherches menées dans
les pays du sud par des équipes de l’Inserm. Comme celle dirigée par
Jean−Paul Moatti, unité 379, qui outre, une implication dans les enquêtes
sociologiques, modélise l’effet du SIDA dans les pays en développement au
niveau macro−économique (voir Sida et économie en Afrique). D’après leurs
travaux, les chercheurs prédisent que l’économie entière de certains pays
africains pourrait bénéficier de l’accès généralisé aux traitements
antirétroviraux.
Nous présentons également un rappel historique de l’épidémie au regard des
récents résultats de chercheurs de l’IRD, l’Institut de Recherche pour le
Développement (voir Quel est le réservoir naturel du virus du Sida ?) Enfin,
parce que le virus, s’il est contrôlé, n’est pas éradiqué des organismes des
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personnes infectées, nous faisons un bilan des essais thérapeutiques en
cours menés par l’ANRS (voir Pour une amélioration des traitements). Ces
essais concernent l’évaluation de nouvelles molécules issues des
laboratoires pharmaceutiques. Ces nouvelles molécules sont de fait
primordiales pour tous ceux, 5 % des malades, qui sont en échec
thérapeutique aujourd’hui. Mais il y a aussi une volonté d’améliorer les
traitements actuels en limitant les complications, comme les lipodystrophies
et l’ostéoporose, liées aux traitements eux−mêmes. Enfin, l’immunothérapie
thérapeutique est présentée comme une voie de recherche prometteuse.
Quant au vaccin préventif, qui vise à protéger des personnes non atteintes en
stimulant leur système immunitaire, il fera l’objet de nouveaux essais après le
recrutement de volontaires qui a lieu actuellement avec une campagne
auprès du grand public.
* Beltzer N et al., Les connaissances, attitudes, croyances et comportements
face au VIH/sida enFrance, Evolutions 1992−1994−1998−2001−2004, ORS
Ile−de−France, novembre 2005
La rédaction d'Inserm Actualités et l'ANRS
Le Sida : une maladie et des maladesQuel est le réservoir naturel du virus du Sida?La vie d’une personne infectée"Ne pas faire pour ... mais avec"Les effets dévastateurs du Sida sur les enfantsSida et économie en AfriquePour une amélioration des traitements
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Chimpanzé (Pan t.
troglodytes)
Crédit photo : Michel
St−Jalme, Museum National
d'Histoire Naturelle
Quel est le réservoir naturel du virus du Sida ?
Vingt−cinq ans après les premiers cas dans la communauté homosexuelle
californienne, le virus du Sida, responsable de plus de 25 millions de morts, a
atteint 40 millions de personnes à travers le monde et a laissé 15 millions
d’orphelins. Bilan catastrophique d’une maladie planétaire. Et vingt−cinq ans
après, les soupçons sur le réservoir naturel du virus de l’immunodéficience
humaine (VIH) se sont transformés en certitudes.
La découverte de la maladie
En 1980, Michael Gottlieb, médecin à l’Hôpital universitaire de Los Angeles,
s’interroge devant trois malades homosexuels présentant des signes
cliniques proches : amaigrissement, mycose, fièvre, candida buccal et
pneumonie. Une particularité est commune : leur formule sanguine contient
une quantité anormalement basse de lymphocytes T4. En mai 1981, le
dossier médical de ces trois patients, alors décédés, est envoyé au Center of
Disease Control d'Atlanta. Après l’annonce dans les hôpitaux du pays, trente
et un autres cas sont recensés dans les deux semaines. Un mois plus, tard,
le premier malade français est détecté à Paris, à l'Hôpital Claude Bernard. Et
fin 1981, les Américains appellent AIDS (Acquired Immuno Deficiency
Syndrome) cette nouvelle affection, qui se transmet par voie sexuelle et
sanguine et qui ne touche pas seulement les homosexuels d’après les
premières études.
Mai 1983, l’équipe du professeur Luc Montagnier isole le virus responsable
du Sida et le nomme LAV pour Lymphadenopathy Associated Virus.
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Pour accéder à l’article de l’équipe de Luc Montagnier :
Barre−Sinoussi F, Chermann JC, Rey F, Nugeyre MT, Chamaret S, Gruest J,
Dauguet C, Axler−Blin C, Vezinet−Brun F, Rouzioux C, Rozenbaum W,
Montagnier L. Isolation of a T−lymphotropic retrovirus from a patient at risk for
acquired immune deficiency syndrome (AIDS). Science 1983 May 20 ; 220
(4599) : 868−71.
L’hypothèse des singes
Alors qu’en 1985 un deuxième virus est retrouvé dans l’espèce humaine, le
VIH 2, des macaques aux Etats−Unis développent une maladie ressemblant
au Sida. Des chercheurs découvrent rapidement que le mangabé est le
porteur sain du SIVsmm, qui est à l’origine de l'infection chez les macaques
et aussi à l’origine du HIV 2. Suite à des transmissions accidentelles du
SIVsmm par des mangabés enfumés originaires d'Afrique de l'Ouest captifs,
les macaques rhésus ont contracté le virus, devenu pathogène en changeant
d’hôte. Alors, la communauté scientifique avance l’hypothèse que le VIH 1
proviendrait aussi des singes. « En 1988, on a découvert le premier
chimpanzé positif au Gabon. C’était un animal domestiqué infecté dans la
nature » se souvient Martine Peeters. Ce nouveau virus, baptisé SIVcpz, est
très proche génétiquement du VIH−1. Et pendant des années, les
observations de séropositivité ont été faites sur des chimpanzés en captivité,
originaires du bassin du Congo, naturellement infectés et ne présentant pas
de symptômes ; seulement un nombre limite de chimpanzés ont été identifiés.
Pas d’indices sur l’existence du réservoir naturel du virus simien donc du VIH.
Martine Peeters et Eric Delaporte, chercheurs à l’Institut de Recherche pour
le Développement (IRD) se sont donc attachés à l’étude de la prévalence du
virus chez les chimpanzés sauvages. Pendant, quatre ans, par périodes de
deux ou trois semaines, ils se sont rendus dans dix sites de la forêt tropicale
profonde du sud du Cameroun, où plusieurs communautés de chimpanzés
sauvages, une espèce en voie de disparition, vivent. Là−bas, ils ont collecté
599 échantillons de fèces de différentes communautés de chimpanzés dans
lesquelles le virus SIVcpz était pressenti très répandu. Le lien entre les
excréments et le virus ? « Nous avons trouvé une méthode pour ne pas
déranger les singes » explique Martine Peeters. De fait, en laboratoire, les
chercheurs ont analysé l’ADN mitochondrial, pour confirmer l’espèce de
singe, contenant aussi les empreintes génétiques individuelles, et recherché
les anticorps anti SIVcpz et la présence d’acide nucléique viral. Le
séquençage de l’ARN viral présent dans les échantillons positifs, − 34 issus
de seize chimpanzés (7 mâles et 9 femelles) − a mis en évidence seize
souches de SIV cpz extrêmement proches des virus VIH 1. Les arbres
phylogénétiques établis à partir de ces nouvelles données ont permis de
définir le réservoir naturel du virus. Résultat publié le 25 mai 2006 dans
Science, le VIH 1 trouve son origine dans la transmission inter−espèce du
SIV cpz du chimpanzé Pan Troglodytes qui vit au sud du Cameroun. Plus
précisément, il s’agit du réservoir des souches M et N du VIH 1. Cependant,
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le réservoir du troisième groupe de VIH 1 infectant l’homme, le groupe O,
demeurait alors non identifié.
Une transmission entre chimpanzés et gorilles
L’énigme du réservoir de la souche O a été levée quelques mois après la
découverte de celui des souches M et N. En effet, avec la même méthode
originale de prélèvement des excréments, la même équipe a trouvé trois
échantillons contaminés appartenant à des gorilles. « Nous nous attendions à
ce que les gorilles soient porteurs d’un SIV. En revanche, ce qui nous a
beaucoup surpris, c’est que le SIV du gorille appartient à la même famille que
celui du chimpanzé » explique Martine Peeters qui reprend « Le chimpanzé a
dû transmettre son virus au gorille. Ces animaux partagent les mêmes zones,
mangent les mêmes fruits et feuilles. Pourtant les primatologues n’ont jamais
observé de bagarre entre ces deux espèces.»
« Le virus sort de la forêt »
Quant à la transmission singe homme, elle s’est sûrement produite il y a très
longtemps, probablement au contact du sang des singes pendant la chasse.
Mais avec la multiplication des échanges entre les villes devenues
mégalopoles et les villages reculés, les personnes infectées ne sont plus
restées isolées. Et un autre mouvement de population, inverse, a contribué à
ces échanges : des industries forestières et minières se sont installées dans
des zones reculées. Dans ces conditions, « un virus peut sortir de la forêt »
résume Martine Peeters. La chercheuse travaille toujours aujourd’hui sur les
singes infectés (il existe une trentaine d’espèces contaminées par un SIV). Il
s’agit de comprendre pourquoi certains virus simiens ne s’adaptent pas à
l’homme et aussi de mettre en place des tests détectant tous les SIV, pas
seulement ceux à l’origine des VIH 1 et 2.
Pour aller plus loin :
Van Heuverswyn F, Li Y, Neel C, Bailes E, Keele BF, Liu W, Loul S, Butel C,
Liegeois F, Bienvenue Y, Ngolle EM, Sharp PM, Shaw GM, Delaporte E,
Hahn BH, Peeters M. Human immunodeficiency viruses: SIV infection in wild
gorillas. Nature 2006 Nov 9 ; 444 (7116) : 164.
Keele BF, Van Heuverswyn F, Li Y, Bailes E, Takehisa J, Santiago ML,
Bibollet−Ruche F, Chen Y, Wain LV, Liegeois F, Loul S, Ngole EM,
Bienvenue Y, Delaporte E, Brookfield JF, Sharp PM, Shaw GM, Peeters M,
Hahn BH. Chimpanzee reservoirs of pandemic and nonpandemic HIV−1.
Science 2006 Jul 28 ; 313 (5786) : 523−6.
Jonathan L. Heeney, Angus G. Dalgleish, Robin A. Weiss. Origins of HIV and
the Evolution of Resistance to AIDS. Science 2006 Jul 28 ; 313 : 462−466.
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