La malnutrition de l`enfant

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La malnutrition de l’enfant
Des bases physiopathologiques
à la prise en charge sur le terrain
MONOGRAPHIES DE LA CHAIRE DANONE
TOMÉ, Daniel. Des macro-nutriments alimentaires à la santé de l’homme. 1995,
106 p.
ALLISON, Simon Philip. Nutrition in Medicine : A Physician’s View. 1996,
153 p.
CUMMINGS, John Hedley. The Large Intestine in Nutrition and Disease. 1997,
155 p.
SCHAAFSMA, Gertjan. The Western Diet, with a Special Focus on Dairy
Products. 1997, 124 p.
ROZIN, Paul. Towards a Psychology of Food Choice. 1998, 265 p.
BRIEND, André. La malnutrition de l’enfant. Des bases physiopathologiques à la
prise en charge sur le terrain. 1998, 163 p.
La malnutrition de l’enfant
Des bases physiopathologiques
à la prise en charge sur le terrain
Dr André BRIEND
Cours dispensé dans le cadre de la Chaire Danone 1996
Publié par l’Institut Danone en 1998
© Institut Danone
rue du Duc, 100
B-1150 BRUXELLES (Belgique)
e-mail: institut [email protected]
http://www.danone-institute.be
http://www.danone-institute.com
D/1998/7468/2
ISBN 2-930151-07-2
Page de couverture: Thierry De Prince
Table des matières
Avant-propos
Préface
Résumé
1 – Évolution des concepts sur la malnutrition de l’enfant
1-1
1-2
1-3
1-4
1-5
1-6
Introduction
Les premières observations
1933–1935 . Le terme “kwashiorkor”
1950–1975 . Les années protéines
1970–1980 . Des carences en protéines aux carences en énergie
Vingt ans après : la notion de déficit en énergie est-elle toujours
d’actualité ?
1-7 Infection et nutrition
1-8 Vers la reconnaissance d’une malnutrition pluricarentielle
1-9 La malnutrition pluricarentielle : une hypothèse de plus ?
Références
2 – Évaluation de l’état nutritionnel
2-1
2-2
Introduction
2-1-1 La description de la situation nutritionnelle
d’une population
2-1-2 La sélection d’individus en vue d’une intervention
nutritionnelle
Évaluation de l’état nutritionnel d’une population
2-2-1 Intérêts respectifs des enquêtes anthropométriques et
des enquêtes de consommation alimentaire
2-2-2 Limitations des enquêtes portant sur des enfants
pour décrire la situation générale
2-2-3 Principe des enquêtes anthropométriques Limite des définitions de la malnutrition basées
sur l’anthropométrie
2-2-4 Les mesures anthropométriques
2-2-5 Choix des normes de référence
2-2-6 Les trois principaux indices décrivant l’état nutritionnel
d’un individu
2-2-7 Amaigrissement et retard de croissance staturale
2-2-8 Les modes de calcul des trois indices nutritionnels
2-2-9 Choix du mode d’expression des indices
XI
XIII
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26
2-2-10 Évaluation du nombre d’enfants en malnutrition
dans une population
2-2-11 Critique des méthodes basées sur l’emploi des seuils
2-2-12 Mesure de la prévalence standardisée
2-2-13 Examen de la distribution des indices anthropométriques
2-3 Identification des individus devant bénéficier d’une intervention
2-3-1 Identification des individus dénutris
• Choix des indices nutritionnels
• Choix des seuils de définition de la dénutrition
2-3-2 Identification des individus à haut risque de décès
• Choix des indices nutritionnels
• Choix des seuils de définition des individus
à haut risque de décès
• Intérêt des évaluations fréquentes de l’état nutritionnel
Références
3 – Besoins en énergie et renutrition
3-1
3-2
3-3
3-4
3-5
Introduction
Besoins d’entretien chez l’enfant bien nourri
Comparaison des dépenses énergétiques d’entretien
chez l’enfant et chez l’adulte
3-3-1 Comparaison volume/surface
3-3-2 Composition corporelle et dépense énergétique
3-3-3 Implications de besoins énergétiques d’entretien
différents chez l’enfant et chez l’adulte
Besoins en énergie de l’enfant en malnutrition grave
3-4-1 Besoins énergétiques d’entretien
• Anomalies de la composition corporelle
• Adaptation à des apports énergétiques abaissés
• Valeur des besoins en énergie pour l’entretien
3-4-2 Besoins énergétiques pour la croissance
3-4-3 Besoins totaux en énergie
3-4-4 Estimation de la composition des tissus synthétisés
3-4-5 Qualité du régime et coût énergétique de la croissance
Couverture des besoins en énergie chez l’enfant dénutri
3-5-1 Malnutrition grave
3-5-2 Malnutrition modérée
• Apport de glucides
• Apport de lipides
3-5-3 Densité énergétique des bouillies destinées
à la réalimentation
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3-5-4 Aliments solides
Références
4 – Besoins en protéines et renutrition
4-1
4-2
4-3
Introduction
Besoins pour la croissance et besoins d’entretien
Besoins en protéines de l’enfant sain âgé de plus de 6 mois
4-3-1 Besoins d’entretien
4-3-2 Besoins pour la croissance
4-3-3 Besoins totaux et besoins relatifs pour la croissance
et pour l’entretien
4-3-4 Niveaux de sécurité pour l’apport protéique
4-3-5 Besoins en acides aminés essentiels
4-3-6 Profils d’acides aminés essentiels - Profils de référence
4-4 Estimation des besoins en protéines de l’enfant gravement dénutri
4-4-1 Risques associés aux apports élevés en protéines
en début de réalimentation
4-4-2 Gain de poids élevé au cours de la phase de récupération
nutritionnelle
4-4-3 Besoins d’entretien
4-4-4 Besoins pour la croissance
4-4-5 Besoins totaux
4-4-6 Profil d’acides aminés essentiels à utiliser
lors de la renutrition
4-4-7 Couverture des besoins en protéines de l’enfant
gravement dénutri
4-5 Besoins en protéines de l’enfant modérément dénutri
4-5-1 Utilisation de mélanges de céréales et de légumineuses
4-5-2 Utilisation de farines lactées
Références
5 – Relations entre besoins en protéines et en énergie
5-1
5-2
5-3
Introduction
Aspects théoriques des rapports entre protéines et énergie
5-2-1 Mode de calcul
5-2-2 Effet du gain de poids
5-2-3 Influence de la nature du tissu synthétisé
5-2-4 Intégration des variables dans le calcul
5-2-5 Validation chez l’enfant sain
Rapport entre apports en protéines et énergie lors de la prise
en charge de la malnutrition grave
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5-3-1 Au début du traitement
5-3-2 Lors de la phase de renutrition rapide
5-3-3 Protéines, énergie et kwashiorkor
5-4 Protéines et énergie en cas de malnutrition modérée
5-5 Autres groupes vulnérables
5-5-1 Femmes enceintes et allaitantes
5-5-2 Personnes âgées
Références
6 – Vitamines et minéraux
6-1
Introduction
6-1-1 Vitamines
6-1-2 Minéraux
6-1-3 Généralités sur l’origine des carences
6-2 Les deux grandes classes de nutriments
6-2-1 Carences de type I
6-2-2 Carences de type II
• Uniformité des manifestations cliniques
• Interdépendance des nutriments de type II
• Absence de manifestation clinique en cas de retard
de croissance
• Difficulté d’interprétation des expériences
de supplémentation
• Fréquence de l’anorexie associée
• Difficultés diagnostiques
6-3 Besoins en minéraux en cas de malnutrition grave
6-3-1 Potassium
6-3-2 Magnésium
6-3-3 Zinc
6-3-4 Cuivre
6-3-5 Sélénium
6-3-6 Fer
6-3-7 Phosphore
6-4 Apport en minéraux au cours de la malnutrition grave Utilisation d’un supplément standard
6-5 Apport en vitamines au cours de la malnutrition grave
6-6 Aspects pratiques de la supplémentation en vitamines et
minéraux
6-6-1 Malnutrition grave
6-6-2 Malnutrition modérée
Références
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115
7 – Prise en charge de la malnutrition grave
119
7-1
7-2
7-3
Introduction
119
Définition
120
Principe du traitement
120
7-3-1 Phase initiale (phase de rééquilibration)
121
• Réhydratation
121
• Réalimentation
123
• Complications
127
7-3-2 Phase de réhabilitation nutritionnelle
129
• Apports en protéines et énergie
129
• Apports en vitamines et minéraux
132
7-4 Lait et diarrhées
132
7-5 Protocole basé sur l’utilisation exclusive de la formule F100
134
7-5-1 Osmolarité de la préparation F100
134
7-5-2 Concentration élevée en protéines de la préparation F100 135
7-5-3 Concentration élevée en lipides de la préparation F100 135
7-5-4 Taux élevé de sodium de la préparation F100
136
7-6 Préparations des formules F75 et F100
136
7-7 Reprise de l’alimentation familiale, suivi à domicile
137
Références
140
8 – Interventions nutritionnelles - Programmes de prévention
8-1
8-2
8-3
Introduction
Interventions ciblées sur un petit nombre d’enfants à haut risque
8-2-1 Réhabilitation des cas de malnutrition grave
• Faible proportion des décès évités
• Standardisation du traitement et de l’évaluation
de son efficacité
• Intérêt dans les périodes de crise
• Faible coût de ces programmes
8-2-2 Dépistage et prise en charge des cas de malnutrition
modérée
• Difficultés du dépistage
• Problème de l’évaluation des programmes
• Importance du nombre d’enfants à prendre en charge
• Difficultés de supervision
• Aspects économiques des programmes de distribution
d’aliments de renutrition
Interventions touchant l’ensemble des enfants d’une population
8-3-1 Éducation nutritionnelle
8-3-2 Mise sur le marché d’aliments de sevrage à faible coût
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143
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148
148
8-3-3
Distribution à l’ensemble des enfants, sous forme
de suppléments, des nutriments manquants
dans la ration
Références
9 – Perspectives d’éradication de la malnutrition de l’enfant
Évaluation du nombre total de personnes sous-alimentées
à travers le monde
9-2 Évaluation du nombre d’enfants gravement dénutris
dans le monde
9-3 Rôle de l’aide alimentaire
9-3-1 L’aide alimentaire et le problème de la sous-alimentation
dans le monde
9-3-2 L’aide alimentaire et l’éradication de la malnutrition
grave
9-4 Analyse de la politique de l’aide alimentaire actuelle
9-4-1 Pression des producteurs agricoles
9-4-2 Souci d’image auprès du public
9-5 Pour une aide alimentaire intelligente
Références
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Avant-propos
L’Institut Danone est une association regroupant des scientifiques,
spécialistes de l’alimentation et de la nutrition. Il a pour vocation d’établir un lien
entre la communauté scientifique et les professionnels de la santé et de
l’éducation. C’est dans cette perspective que l’Institut a créé la Chaire Danone.
La Chaire Danone a pour objet l’exposé d’acquisitions récentes dans le
domaine de la nutrition humaine. Chaque année, une université francophone et
une université néerlandophone belges organisent sous leurs auspices un
enseignement dispensé par un savant belge ou étranger. Cet enseignement, destiné
à un public universitaire multidisiplinaire, comprend une leçon inaugurale suivie
de 15 heures de cours. L’ensemble des conférences fait l’objet d’une publication
intégrée dans une série de monographies éditées par l’Institut Danone.
La monographie “La malnutrition de l’enfant. Des bases physiopathologiques à la prise en charge sur le terrain” reprend le contenu des cours
donnés par le Dr André Briend, chercheur auprès de l’Institut Français de
Recherche pour le Développement en Coopération, dans le cadre de la Chaire
Danone attribuée à l’Université Libre de Bruxelles pour l’année académique 19951996.
L’Institut Danone remercie sincèrement le Dr André Briend, tant pour ses
cours que pour sa monographie. Il témoigne également sa reconnaissance au
Dr Philippe Goyens, au Prof. Philippe Hennart et particulièrement, au Dr Daniel
Brasseur. Leur contribution à l’organisation de la Chaire et à la publication de la
monographie a été essentielle. Ses plus vifs remerciements s’adressent à Madame
Micheline Populer, responsable des Presses Agronomiques de la Faculté de
Gembloux. C’est à la qualité de son travail éditorial que l’Institut Danone doit de
pouvoir publier ce sixième volume de la collection “Monographie Chaire
Danone”.
Prof. Dr. Kenny DE MEIRLEIR
Prof. Dr. André HUYGHEBAERT
Président du
Conseil Scientifique
Président du
Conseil d’Administration
XI
Préface
Chaque année, la malnutrition protéino-énergétique frappe dans le monde
plusieurs millions d’enfants et de femmes enceintes et/ou allaitantes. Les
populations les plus pauvres vivant dans les pays en voie de développement et tout
particulièrement en milieu rural sont les plus concernées. C’est donc tout
naturellement que la Chaire Danone en nutrition humaine a retenu le thème de la
malnutrition carentielle dans les pays pauvres.
Deux publics pouvaient être intéressés.
1. L’ensemble des personnes œuvrant sur le terrain (ONG, Agences
internationales, etc.). Certaines sont des spécialistes aguerries de la médecine
dite “humanitaire”, d’autres des bénévoles, des volontaires ou des néophytes qui
demandent à se former autrement que sur le terrain.
2. Les scientifiques qui souhaitent acquérir une connaissance plus large de la
nutrition humaine en débordant du cadre d’expériences de laboratoire ou du
milieu hospitalier au profit d’une approche plus axée sur les problèmes de santé
publique en nutrition.
La Chaire Danone consacrée à la malnutrition ne pouvait être mieux
attribuée qu’au Dr André BRIEND. Scientifique de renommée internationale, il
œuvre depuis longtemps dans les pays en voie de développement et reste
toujours soucieux d’une démarche très pragmatique. Après ses études médicales,
le Dr A. BRIEND a travaillé à l’Office de Recherche Scientifique et Technique
d’Outre-Mer (ORSTOM) et a simultanément poursuivi des études de nutrition à
l’Institut supérieur des Sciences et Techniques de l’Alimentation. Il a obtenu à
Paris un diplôme de Médecine exotique et un diplôme de Statistiques en
épidémiologie au Centre d’Études statistiques appliquées à la Médecine. Il a
ensuite entrepris un long voyage autour de la planète : après un séjour de trois
ans à Dakar, il a séjourné en Angleterre avant de repartir pour le Bangladesh où
il a travaillé pendant cinq ans au Centre for Diarrhoeal Disease. Il est ensuite
revenu à Montpellier (ORSTOM) avant de retourner à Paris où il est affecté à
l’INSERM.
Le Dr A. BRIEND a publié plus de 50 articles dans des revues internationales.
Tous sont centrés sur les problèmes nutritionnels : la malnutrition fœtale, la valeur
de l’anthropométrie, l’allaitement maternel, les maladies diarrhéiques et l’aide aux
réfugiés dans les camps du tiers-monde. Le Dr A. BRIEND a également rédigé
plusieurs chapitres dans des traités et des livres consacrés aux problèmes
nutritionnels. Enfin, il a œuvré et œuvre comme expert pour l’OMS, l’Unicef,
MSF, ACF... dans divers pays (Togo, Maroc, Malawi, Rwanda, Érythrée, Tchad,
Soudan, Zambie,...). Le Dr A. BRIEND mène aussi une activité d’enseignant à
l’Université de Paris VII, DEA de Nutrition, et au Conservatoire national des Arts
et Métiers.
XIII
Le Docteur A. BRIEND, collabore aussi depuis de nombreuses années avec le
Centre d’Études scientifiques et médicales de l’Université Libre de Bruxelles pour
ses Activités de Coopération (CEMUBAC) créé voilà plus de 60 ans et œuvrant
également dans la lutte contre le kwashiorkor et les carences en vitamines A, en
iode et en oligo-éléments. Les activités de recherche, les interventions et les
actions en santé publique (vaccinations, naissances désirables, lutte contre les
parasitoses,...) du CEMUBAC l’ont amené à connaître et à collaborer avec de
nombreux scientifiques, dont le Dr A. BRIEND. Des projets communs ont été mis
sur pied, notamment, en collaboration avec le Professeur M. GOLDEN, des
programmes de réalimentation d’enfants souffrant de diarrhée et des études
interventionnelles de lutte contre les carences en oligo-éléments.
C’est dans ce combat commun que nous avons pu apprécier l’approche
originale et très pragmatique du Dr A. Briend. Face à l’impossible, l’éradication
de la malnutrition en l’an 2000, c’est-à-dire demain, le Dr A. Briend propose une
stratégie basée sur la connaissance profonde du problème mais formulée en
termes concrets et en exigences réalistes. Le défi qu’il propose aux nutritionnistes
du monde nanti vaut qu’ils l’écoutent, et qu’ils y réfléchissent. Certains,
certainement, s’engageront.
XIV
Dr Ph. HENNART
Dr Ph. GOYENS
Dr D. BRASSEUR
Directeur du CEMUBAC
“Soins de Santé Primaires”
Université Libre
de Bruxelles
Membre de l’Institut
Danone et du CEMUBAC
Université Libre
de Bruxelles
Membre de l’Institut
Danone et du CEMUBAC
Université Libre
de Bruxelles
Résumé
L’enfant gravement dénutri est tel que le public se l’imagine : il nous montre
son regard triste et ses bras décharnés ont à peine la force de porter à la bouche le
bol de nourriture que lui apporte l’aide internationale. Cet enfant présente un
risque élevé de décéder : dans la plupart des hôpitaux des pays en voie de
développement, ce risque oscille entre 20 et 30 % mais peut atteindre jusqu’à
60 %. La malnutrition grave est donc aussi dangereuse que bon nombre de
maladies infectieuses comme la rougeole, le choléra, ou les dysenteries. Ces taux
de mortalité élevés ne sont pas acceptables: l’expérience acquise dans les
opérations humanitaires montre que la plupart de ces enfants peuvent être sauvés
et que leur devenir peut être considérablement amélioré en appliquant de façon
rigoureuse des protocoles de traitement relativement simples à mettre en œuvre.
Les taux de mortalité observés pour la malnutrition grave suscitent
relativement peu d’émoi dans la communauté internationale. En fait, les
organismes d’aide privilégient souvent les actions de prévention conduites au
niveau des populations aux dépens des actions curatives. La plupart d’entre eux
ne peuvent envisager une prise en charge de type médical pour résoudre un
problème de santé dont l’origine relève de près ou de loin de la pauvreté. À ce titre,
les enfants gravement dénutris sont oubliés, ce dont ils payent les frais lourdement.
Ce livre est destiné à tous ceux qui sont confrontés au problème de la
malnutrition de l’enfant. Il est basé sur la conviction qu’une meilleure
compréhension de ses bases physiopathologiques devrait permettre de mieux
orienter les programmes en cours. Il tente de décrire la malnutrition grave en tant
qu’affection à un haut risque de décès, au dépistage aisé, à la prise en charge
efficace, mais de prévention difficile. Ce livre veut également montrer que
l’utilisation de produits alimentaires d’origine industrielle peut jouer un rôle, limité
mais réel, dans la réduction du nombre de cas de malnutrition modérée et dans
l’éradication de la malnutrition grave. Il montre également les limites de l’aide
alimentaire, et suggère que les programmes de prévention doivent souvent passer
par un renforcement de l’industrie agro-alimentaire locale. Il porte à réfléchir sur
la fréquente inadaptation des programmes nutritionnels actuellement en cours,
plus soucieux de se constituer une image flatteuse auprès du public que d’être
adaptés sur le plan nutritionnel. Il insiste sur le gaspillage financier qu’entraîne
une aide mal conçue. À tous les intervenants, il veut présenter la malnutrition
grave de l’enfant comme un problème d’ampleur limitée et techniquement
éradicable dans les prochaines années, à condition de rendre cet objectif
prioritaire.
XV
1 – Évolution des concepts
sur la malnutrition
de l’enfant
1-1 Introduction
La malnutrition de l’enfant, et plus généralement la faim dans le monde,
sont des sujets qui touchent à des problèmes fondamentaux du monde moderne :
pauvreté, répartition des richesses, sauvegarde de l’environnement, démographie... Il n’est donc pas surprenant qu’il existe de nombreuses visions du
problème et que chaque société en ait une compréhension différente, toujours
empreinte d’une part de subjectivité. Ce faisant, les solutions proposées pour
éradiquer la malnutrition diffèrent d’un groupe social à l’autre et évoluent au cours
du temps. Parallèlement, l’approche des problèmes concernant l’aspect médical et
nutritionnel de la malnutrition, évolue aussi fort au cours des années. En réalité, la
compréhension et les connaissances dans le domaine de la malnutrition varient
souvent d’une spécialité médicale à l’autre. En connaître l’histoire est utile pour
comprendre les stratégies actuelles : beaucoup de programmes de prévention sont
basés sur des visions anciennes de la malnutrition et les décalages entre les
recommandations récentes et les pratiques de terrain s’expliquent par cette
dimension historique. Par ailleurs, notre connaissance de la malnutrition va
certainement continuer à évoluer dans les années futures. L’évaluation d’idées
nouvelles est facilitée par la connaissance des perceptions anciennes dans ce
domaine.
1-2 Les premières observations
La malnutrition a vraisemblablement existé sous toutes les latitudes depuis
la nuit des temps. On en trouve déjà une description sous sa forme œdémateuse
dans la Bible. Les premières descriptions précises qui nous soient parvenues sont
cependant assez récentes. Une des premières descriptions complètes d’un tableau
clinique correspondant à ce que nous appelons le kwashiorkor remonte à 1865.
Elle est divulguée par deux médecins, l’un mexicain, l’autre français, les
1
ÉVOLUTION DES CONCEPTS SUR LA MALNUTRITION DE L’ENFANT
Drs HINOJOSA et COINDET [1865] qui travaillaient dans un village au Mexique. Ces
auteurs avaient observé la présence fréquente d’œdèmes chez des enfants dénutris
à la période du sevrage. Ils avaient aussi remarqué la présence fréquemment
associée de diarrhées et le rôle déclenchant de la rougeole. Ces médecins avaient
encore noté que ce tableau clinique différait nettement de celui de la pellagre déjà
bien connue à l’époque même si les enfants œdèmatiés consommaient un régime
à base de maïs. Et ils avaient donc catégoriquement rejeté le diagnostic de
pellagre.
2
Au début du XXe siècle, la malnutrition de l’enfant devint plus rare en Europe
et ce sont surtout des médecins travaillant dans ce qui était alors des colonies qui
décrivirent en détail des cas de malnutrition grave. Une des plus anciennes
observations nous vient de l’Annam, correspondant à la partie orientale du Viêtnam actuel. On la doit à un médecin militaire français, NORMET [1926], qui avait
constaté des œdèmes chez des enfants dénutris et consommant une alimentation à
base de riz. Il appela cette maladie, qui correspond au kwashiorkor dans la
terminologie moderne, “la bouffissure d’Annam”. Il en a publié en 1926 la première
photo connue (Photo 1). Il soupçonna d’emblée qu’une origine nutritionnelle en
était la cause, ayant remarqué qu’elle ne survenait pas le long des rivières
poissonneuses. Déjà, ce qui est remarquable, il constata que le niveau sanguin et
l’excrétion urinaire d’urée étaient abaissés chez ces enfants bouffis et attira ainsi
l’attention sur le rôle des protéines dans le développement de cette affection.
1-3 1933–1935
Le terme “kwashiorkor”
Les premières observations d’œdèmes associés à la malnutrition tombèrent
dans l’oubli. Entre les deux guerres mondiales, les communications entre les
différentes parties du monde étaient extrêmement limitées et les techniques de
recherche bibliographique rudimentaires. Cicely WILLIAMS ignorait les publications
de NORMET relatives à la “malnutrition œdémateuse” quand elle débuta sa carrière
de pédiatre en Côte d’Or (actuel Ghana) dans les années 30. Elle aussi vit des cas
d’œdèmes associés à une malnutrition et elle les décrivit dans les Archives of
Diseases in Childhood, dans un article publié en 1933 et intitulé : “A nutritional
disease of childhood associated with a maize diet ”.
Cette première publication est très complète et insiste sur les lésions
cutanées observées. Cette description clinique met aussi bien en relief les
différences entre cette “maladie nutritionnelle” et la pellagre (Figure 1) [WILLIAMS,
1933]. L’auteur insistait sur le fait que les lésions cutanées constatées surviennent
1.3
1933-1935. LE TERME KWASHIORKOR
3
Photo 1 — La première photographie d’un cas de kwashiorkor publiée dans la littérature
médicale en 1926 : iIllustration de l’article de NORMET sur les bouffissures
d’Annam. Le terme “kwashiorkor” ne fera son apparition qu’en 1935.
ÉVOLUTION DES CONCEPTS SUR LA MALNUTRITION DE L’ENFANT
4
Figure 1— Schéma publié par Cicely WILLIAMS en 1933 montrant la localisation des lésions
cutanées du kwashiorkor, très différentes de celles de la pellagre qui
apparaissent aux endroits exposés au soleil.
surtout sur les membres inférieurs, et non pas sur les parties exposées au soleil
comme c’est habituellement le cas dans la pellagre.
Deux ans plus tard, Cicely WILLIAMS [1935] dans un deuxième article publié
dans le Lancet, donne à ce tableau clinique le nom ghanéen “kwashiorkor”. Ce
terme exotique fait allusion au rang de l’enfant dans la fratrie et met en exergue le
rôle fréquent du sevrage comme cause déclenchante. Le nom “kwashiorkor”, cité
dans une revue déjà à l’époque très diffusée, allait désormais faire partie du
vocabulaire médical.
Dès ses premières observations, Cicely WILLIAMS avait constaté que les
enfants souffrant de kwashiorkor consommaient habituellement une alimentation
à base de maïs dépourvue de protéines animales. Elle suggéra que cette affection
pouvait être liée à un manque d’apport protéique, sans véritablement étayer cette
hypothèse. Les vingt années ultérieures furent l’occasion d’un débat sur l’existence
réelle du kwashiorkor : certains auteurs, le plus souvent sud-américains,
prétendaient que cette maladie résultait de carences vitaminiques multiples
(distrofia pluricarential) où prédominait une carence en vitamine PP. Ils voyaient
dans le kwashiorkor une forme particulière de la pellagre. Rappelons l’avancée
spectaculaire à cette époque des connaissances dans le domaine des vitamines,
1-4
1950-1975. LES ANNÉES PROTÉINES
sujet ‘très à la mode’. Cicely Williams cependant défendait l’idée que le
kwashiorkor avait une origine différente. Pour en avoir le coeur net, elle alla visiter
des hôpitaux du sud des Etats-Unis qui traitaient encore à cette époque des cas de
pellagre authentique. La confusion entre pellagre infantile et kwashiorkor dura
jusque dans les années 50, après quoi il devint évident que les suppléments de
vitamines PP n’avaient pas d’effet thérapeutique dans le kwashiorkor.
1-4 1950–1975
Les années protéines
L’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO)
fut fondée juste après la fin de la seconde guerre mondiale. L’Europe venait de
traverser une période de pénurie et l’opinion internationale était alors très
sensibilisée aux problèmes de sous-alimentation. Peu de temps après sa création,
la FAO envoya deux experts, les Drs BROCK et AUTRET, faire le tour de l’Afrique pour
faire le point de la situation alimentaire de ce continent. Leur voyage dura deux
mois et à leur retour les deux auteurs rédigèrent un rapport intitulé “Le kwashiorkor
en Afrique” [BROCK, AUTRET, 1952]. Cette publication eut un grand retentissement
dans le monde scientifique. Le rapport tendait à démontrer d’une part que le
kwashiorkor était très répandu en Afrique, surtout si l’on tenait compte de ses
formes mineures, et d’autre part que la maladie était essentiellement imputable à
un régime pauvre en protéines. Ce rapport concluait donc que les carences en
protéines représentaient le problème nutritionnel le plus préoccupant en Afrique.
Le terme de malnutrition protéique devint alors un terme général appliqué très
largement à tous les états de malnutrition observés dans les pays pauvres.
Le rapport des Drs BROCK et AUTRET fournissait une quantité d’informations
remarquables colligées très rapidement. Certains passages sur l’épidémiologie du
kwashiorkor restent parmi les plus complets qui aient jamais été écrits. Ce rapport
présentait cependant un défaut majeur : il se basait sur ce que nous appellerions
aujourd’hui une définition de cas imprécise. Pour une raison difficile à comprendre,
les auteurs donnèrent au mot kwashiorkor un sens différent de celui attribué par
Cicely WILLIAMS et l’utilisèrent pour définir l’état d’enfants présentant des signes
cliniques très divers comme par exemple une décoloration des cheveux ou des
troubles cutanés. Vouloir attribuer tous ces troubles à des carences en protéines
était certainement excessif. Par ailleurs, les auteurs ont rédigé le rapport à une
époque où les estimations des besoins en protéines de l’enfant étaient supérieures
aux chiffres actuellement admis. Cette surestimation renforçait la vraisemblance
d’une carence protéique touchant la majorité des enfants dans l’ensemble des pays
5
ÉVOLUTION DES CONCEPTS SUR LA MALNUTRITION DE L’ENFANT
pauvres. On mit donc en place de nombreux programmes d’aide alimentaire
destinés à corriger des insuffisances d’apport en protéines, supposées être très
répandues. Ces programmes allaient de la distribution aux populations
défavorisées de suppléments de lait en poudre au développement de programmes
de cultures vivrières à haute teneur protéique, en passant par la production
d’aliments à base d’algues ou de levures. On espérait ainsi résoudre le problème
de la malnutrition à l’échelle planétaire. De cette époque date le concept des
programmes nutritionnels ayant pour objectif de mettre à disposition des aliments
à haute teneur en protéines. La liste des aliments distribués de nos jours dans de
nombreux programmes d’assistance révèle que l’influence de ces idées persiste
encore actuellement.
1-5 1970–1980. Des carences en
protéines aux carences en énergie
6
Les arguments avancés pour étayer l’hypothèse que le kwashiorkor résulte
d’une carence protéique n’ont jamais été probants. La fonte des œdèmes chez les
enfants nourris au lait écrémé n’a jamais constitué une véritable preuve : comme
le remarqua fort spirituellement un spécialiste des années 50, on ne peut pas dire
qu’un malade soit carencé en aspirine si ses maux de tête disparaissent avec ce
médicament [WATERLOW, 1984]. Le lait apporte bien d’autres choses que des
protéines et la régression des œdèmes sous l’effet d’un régime lacté ne prouve pas
que leur présence soit due à une carence en protéines.
Les années passant, un certain scepticisme s’installa quant au rôle véritable
des carences en protéines comme cause de malnutrition infantile dans les pays
pauvres. On comprit dès cette époque que les programmes d’aide visant à
augmenter les apports alimentaires protéiques avaient un impact faible, voire
négligeable. Cette conviction devait se renforcer quelques années plus tard à la
suite d’une étude portant sur plus de deux cents programmes de supplémentation
à l’aide d’aliments riches en protéines et montrant que leur effet était en général
faible, sinon nul [BEATON, GHASSEMI, 1982]. Une remise en cause de ces
programmes s’imposait.
Historiquement, les besoins en protéines de l’enfant ont été estimés
initialement à un niveau élevé; par la suite, les chiffres proposés ont été
régulièrement révisés à la baisse [CARPENTER, 1986] (Tableau I). Ces adaptations
successives s’expliquent par la mise en œuvre de méthodes (évaluation des besoins
par bilan azoté) devenues de plus en plus fiables. Ces modifications ont eu pour
conséquence de réduire au fil des années l’importance des carences en protéines.
1-5
1970-1980. DES CARENCES EN PROTÉINES AUX CARENCES EN ÉNERGIE
Tableau I — Variations au cours des années des besoins journaliers en protéines et en
énergie d’un enfant âgé de un an, estimés par les différents comités (adapté de
CARPENTER [1986]).
Année
Protéines
(g/kg)
Énergie
(kcal/kg)
Source
1948
1957
1964
1965
1968
1969
1973
1974
1985
3.3
2.0
2.5
1.1
1.8
1.3
1.27
1.35
1.5
100
100
100
100
100
110
105
100
100
USA
FAO
USA
FAO/OMS
USA
GB
FAO/OMS
USA
FAO/OMS
Les auteurs du rapport “Le kwashiorkor en Afrique” considéraient que les besoins en
protéines d’un enfant de un an étaient voisins de 4g/kg/jour [BROCK, AUTRET, 1952].
En 1970, une définition précise du kwashiorkor incluant la présence
d’œdèmes comme critère diagnostique indispensable fut adoptée par un groupe
d’experts international. Les enquêtes effectuées après l’adoption de cette définition
montrèrent que le kwashiorkor, alors encore attribué à une carence en protéines,
était relativement rare mais que le marasme, défini comme un amaigrissement
sans œdème, était particulièrement fréquent. Ce facteur contribua également à
réduire l’importance des carences en protéines comme problème de santé
publique.
Dans les années 60, une équipe de chercheurs installés à la Jamaïque étudia
de façon systématique les besoins en protéines et en énergie des enfants en
convalescence après un épisode de malnutrition grave. Leurs études ont montré
que la rapidité de la guérison dépendait davantage des apports en énergie que des
apports en protéines [WATERLOW, 1961; ASHWORTH et al., 1968]. Cette observation
était peu compatible avec l’hypothèse selon laquelle les carences en protéines
étaient à l’origine de la plupart des cas de dénutrition. Par ailleurs, l’idée selon
laquelle le kwashiorkor était dû essentiellement à une carence protéique fut ellemême contestée. Le groupe de la Jamaïque montra que l’on pouvait faire régresser
les œdèmes du kwashiorkor en nourrissant les malades avec une alimentation à ce
point pauvre en azote qu’elle ne permet pas la synthèse de protéines nouvelles
(§ 4-4-3) [GOLDEN, 1982]. Un des arguments majeurs développé par le rapport
BROCK-AUTRET perdait sa force.
En 1968, l’équipe d’Hyderabad travaillant en Inde montra qu’il n’existait
pas de différence de régime entre les enfants qui allaient développer
ultérieurement un kwashiorkor et ceux évoluant vers une malnutrition de type
7
ÉVOLUTION DES CONCEPTS SUR LA MALNUTRITION DE L’ENFANT
marasme [GOPALAN, 1968]. Cette même équipe a également constaté qu’une
augmentation de la ration alimentaire des enfants vivant dans des villages,
permettait d’améliorer leur croissance. Cette modification diététique de nature
purement quantitative exerçait donc ses effets sans qu’on touche à la composition
du régime [GOPALAN et al., 1973].
Tous ces éléments amenèrent à abandonner progressivement le terme de
malnutrition protéique en faveur de celui de malnutrition protéino-calorique puis
de malnutrition protéino-énergétique. En 1974, MCLAREN publia un article dans le
Lancet, intitulé “The great protein fiasco”, où il retrace l’évolution des idées sur le
sujet. Cet article répandit l’idée selon laquelle le problème nutritionnel le plus
commun à travers le monde n’est pas une carence en protéines mais un déficit
d’apports en énergie. L’année suivante, WATERLOW et PAYNE [1975] reprenaient
cette vision des choses en montrant que dans les régions où le régime alimentaire
est basé sur la consommation de céréales, il était peu probable de voir s’installer
des carences isolées en protéines dès lors que les besoins en énergie étaient
correctement couverts.
8
1-6 Vingt ans après :
la notion de déficit en énergie
est-elle toujours d’actualité ?
L’article de MCLAREN montrait de manière systématique pour quelles raisons
l’importance des carences en protéines avait été surestimée. L’article suggérait que
des apports énergétiques insuffisants représentent sans doute la cause la plus
fréquente de dénutrition. Il s’agissait cependant d’un raisonnement par défaut et la
preuve de cette présomption n’a jamais été vraiment apportée. On peut même
affirmer aujourd’hui que les interventions visant à augmenter la couverture des
besoins en énergie n’ont pas fait la preuve de leur efficacité. Le seul argument
probant attestant le rôle réel d’un déficit en énergie serait d’observer un gain
substantiel de la croissance des enfants dénutris, simplement en leur apportant un
supplément énergétique. Seule l’étude du groupe d’Hyderabad [GOPALAN et al.,
1973], en outre imparfaite sur le plan méthodologique, conforte cette opinion
mais ses résultats n’ont jamais pu être confirmés. Puisque le déficit énergétique
s’avéra une cause fréquente de dénutrition, deux nouveaux types d’intervention
nutritionnelle ont été proposés. La proposition la plus simple consistait à tenter
d’augmenter la densité énergétique des bouillies des enfants en y ajoutant de
l’huile. Cette modification diététique était suggérée par analogie avec le schéma
1-7
INFECTION ET NUTRITION
alimentaire pour accélérer la prise de poids des enfants en traitement de
dénutrition. L’autre attitude consistait à augmenter la concentration en farine des
bouillies tout en diminuant leur viscosité par une prédigestion par de l’amylase.
Aucune étude n’a permis d’établir l’efficacité à l’échelle d’une population de ces
interventions nutritionnelles pourtant relativement faciles à mettre en oeuvre.
Depuis les publications de MCLAREN, l’estimation des besoins en énergie a
été remise en question et revue à la baisse [PRENTICE et al., 1988; BUTTE, 1996].
Bien que les recommandations plus récentes ne diffèrent pas radicalement des
valeurs anciennes, des modifications modestes de l’estimation des besoins
peuvent notablement changer l’approche du problème.
Les estimations des besoins en protéines ont peu varié depuis 1974 et elles
restent actuellement très basses par rapport aux recommandations plus anciennes
(§ 4-3-4). Des données récentes suggèrent que la croissance en taille est aussi
influencée par les apports de protéines [GOLDEN, 1988]. Ceci pourrait être
imputable au besoin indispensable en acides aminés soufrés pour la croissance
osseuse (§ 2-2-7). En réalité, les recommandations actuelles sont calculées par
extrapolation de gains de poids supposés. Il n’est pas certain que ces estimations
correspondent aux apports nécessaires pour obtenir une croissance staturale.
Comme le retard de croissance en taille représente la forme de malnutrition la plus
répandue (§ 2-2-9), il se peut que les conclusions de MCLAREN doivent être
nuancées.
Une autre constatation remet en question la vision simplifiée du problème
qui a prévalu après la publication de l’article de MCLAREN. On s’est aperçu que
dans des familles pauvres, souvent les enfants ne consomment pas la totalité des
aliments mis à leur disposition [GARCIA et al., 1990]. Croire qu’il suffirait de leur
donner leur nourriture habituelle en plus grande abondance pour atteindre une
croissance normale est sans doute simpliste. L’extrême monotonie du régime
alimentaire proposé dans les familles pauvres entraîne une perte de l’appétit qui
pourrait expliquer leur faible consommation alimentaire énergétique (§ 6-2-2).
1-7 Infection et nutrition
Parmi les suppositions échafaudées pour expliquer le peu d’impact des
interventions nutritionnelles sur la croissance des enfants, l’hypothèse avançant le
rôle des infections a connu une certaine faveur, surtout dans les années 70. À cette
époque, l’OMS venait de publier une monographie sur les interactions entre
infections et malnutrition [SCRIMSHAW et al., 1968]. Cette hypothèse a encore de
nombreux partisans, comme en témoigne l’abondante littérature rédigée sur ce
9
ÉVOLUTION DES CONCEPTS SUR LA MALNUTRITION DE L’ENFANT
10
sujet par divers organismes internationaux. L’aspect politiquement moins sensible
des programmes de lutte contre les infections quand on les compare aux
programmes nutritionnels, constitue incontestablement un attrait pour ces
organisations. L’importance d’une interaction négative entre infection et
malnutrition aurait été grandement exagérée. En réalité, il est très difficile de
démontrer que des épisodes infectieux exercent un effet à long terme sur la
croissance. Comparer le gain de poids d’enfants pendant des intervalles de temps
avec et sans épisode infectieux ne permet pas d’établir si l’effet des infections sur
la croissance est transitoire ou durable [BRIEND, 1993]. Quoiqu’il en soit, on n’a
jamais pu observer d’amélioration spectaculaire de la croissance en mettant
uniquement en œuvre des programmes de lutte contre les infections comme les
programmes de vaccination ou les programmes d’assainissement. L’exemple le
plus frappant est celui des aborigènes australiens qui, en raison des lois sociales
avancées en vigueur dans leur pays, ont accès à un niveau de soins médicaux, à
la fois préventifs et curatifs, tout à fait comparable à celui des pays riches. La
croissance de ces enfants, en l’absence d’amélioration de leur régime alimentaire,
reste cependant semblable à celle d’enfants des pays les plus pauvres [ROUSHAM,
GRACEY, 1997]. Il a souvent été rapporté de façon anecdotique que les campagnes
de vaccination contre la rougeole sont suivies d’une réduction du nombre de cas
de kwashiorkor. Il est évident que la rougeole et la coqueluche sont associées à
une anorexie et à une perte de poids. Il semble cependant que la dégradation de
l’état nutritionnel observée soit transitoire et qu’après cet épisode infectieux,
l’enfant retrouve progressivement le même poids que les enfants qui n’ont pas été
malades/affectés. Une étude menée en zone rurale au Sénégal a montré que les
enfants ayant eu la rougeole ou la coqueluche dans les mois précédant une
enquête nutritionnelle, avaient un poids et une taille à peine différents de ceux qui
y avaient échappé, et ce dans une zone où ces deux maladies étaient associées à
un risque de décès élevé [GARENNE et al., 1987].
Une autre constatation suggère que les infections jouent vraisemblablement
un rôle modeste dans l’apparition de la malnutrition dans les pays pauvres : les
enfants vivant en Europe dans des familles consommant un régime macrobiotique,
proche de celui consommé dans les pays pauvres, ont une croissance très
semblable à celle observée dans ces pays pauvres alors que les conditions
d’hygiène y sont le plus souvent irréprochables et que leur taux d’infection est
faible [DAGNELIE, VAN STAVEREN, 1994].
Les campagnes de vaccination et les programmes purement médicaux
permettent de faire baisser rapidement la mortalité des enfants de moins de 5 ans.
Leur rôle ne doit pas être remis en cause. Il serait naïf cependant de croire que leur
exécution permettrait d’éliminer le problème de la malnutrition sans avoir à
améliorer le régime alimentaire.
1-8
VERS LA RECONNAISSANCE D’UNE MALNUTRITION PLURICARENTIELLE
1-8 Vers la reconnaissance
d’une malnutrition pluricarentielle
L’inefficacité relative des programmes nutritionnels constatée actuellement
s’explique par notre connaissance trop simpliste de la malnutrition elle-même.
Pour rester en bonne santé et suivre une croissance normale, un enfant doit
satisfaire tous ses besoins nutritionnels complexes. La plupart des interventions
antérieures visaient à satisfaire soit les besoins en protéines, soit ceux en énergie,
sans autre ambition. On sait actuellement qu’un apport insuffisant de certains
nutriments peut influencer la croissance de l’enfant sans même provoquer une
quelconque manifestation clinique [GOLDEN, 1991].
Une observation fortuite illustre l’importance de carences latentes en
minéraux comme cause de retard de croissance. Il y a quelques années, la Banque
Mondiale a mené une étude au Bangladesh afin de vérifier s’il était possible
d’améliorer à faible coût la croissance des enfants en installant simplement des
bornes fontaines pour améliorer l’approvisionnement en eau des villages, et en y
faisant placer des latrines. L’idée initiale était que cette intervention diminuerait la
prévalence des diarrhées et améliorerait par conséquent la croissance des enfants.
En raison de la nature du sol, certaines fontaines produisaient une eau de couleur
rougeâtre, au goût désagréable mais riche en fer. Les résultats de l’enquête
nutritionnelle furent analysés en fin d’intervention en tenant compte de la qualité
de l’eau. Il semblait logique de craindre que les familles ayant accès à des
fontaines ramenant de l’eau terreuse préféreraient prendre leur eau de boisson
dans la rivière dont l’eau est limpide, mais polluée. On s’attendait à trouver dans
ces familles davantage d’enfants dénutris. Curieusement, c’est dans les familles
s’approvisionnant à une borne fontaine donnant de l’eau trouble que la croissance
des enfants était la meilleure (Tableau II) [BRIEND et al., 1990]. Il est difficile de dire
si la différence observée était imputable au fer de l’eau de boisson, car les
concentrations en jeu étaient faibles en comparaison avec les apports nutritionnels
recommandés. Il se peut qu’un autre élément nutritif non détecté ait eu un effet sur
Tableau II — État nutritionnel d’enfants vivant en milieu rural au Bangladesh en fonction
de la teneur en fer de l’eau utilisée par la famille.
Teneur en fer
(mg/L)
Poids-âge
(Z-score)
Taille-âge
(Z-score)
Poids-taille
(Z-score)
teneur < 1 mg
teneur >1 mg
-2,28
-2,08
-2,45
-2,10*
-1,06
-1,11
* P < 0,05.
11
ÉVOLUTION DES CONCEPTS SUR LA MALNUTRITION DE L’ENFANT
la croissance de ces enfants, ou que l’eau limpide contenait un élément toxique
retentissant sur la croissance. Quoiqu’il en soit, cette observation suggère que des
minéraux présents en faibles quantités dans l’alimentation peuvent avoir un effet
réel sur l’état nutritionnel des enfants.
12
Dans les pays pauvres, l’alimentation des enfants est généralement très
monotone parce qu’elle est basée sur la répétition de repas préparés à partir des
même tubercules ou céréales. Cette monotonie prédispose aux carences
multiples en minéraux et en vitamines [GOLDEN, 1991]. La notion de malnutrition
pluricarentielle, initialement proposée il y a plus de 50 ans par les auteurs latinoaméricains, et oubliée lors de la “période protéines”, resurgit donc. Le tableau III
illustre le pourcentage d’enfants vivant au Kenya, en Egypte et au Mexique et
dont les apports sont jugés insuffisants par rapport aux recommandations
nutritionnelles internationales [ALLEN, 1993]. En règle générale, les carences en
zinc, calcium, fer assimilable, riboflavine sont très communes dans ces pays car
ces nutriments sont surtout fournis par des aliments comme le lait et la viande
qui sont inabordables pour les familles les plus pauvres. Les carences en
phosphore sont rarement signalées, mais il est possible que ce minéral, surtout
présent sous forme de phytates dans les régions pauvres, soit mal absorbé et que
des carences soient donc fréquentes. Le phosphore facilement assimilable est par
contre surtout présent dans les produits d’origine animale comme le lait et la
viande.
Tableau III — Prévalence estimée (%) d’apports en nutriments insuffisants au cours de trois
enquêtes effectuées chez des enfants de moins de 5 ans (d’après ALLEN
[1993]).
Nutriment
Fer
Zinc
Cuivre
Calcium
Phosphore
Magnésium
Thiamine
Riboflavine
Niacine
Folates
Vitamine B12
Vitamine B6
Vitamine C
Vitamine A
Vitamine E
Égypte
Kenya
Mexique
65
36
0
90
2
0
1
20
0
0
3
0
3
32
21
36
90
0
88
6
0
0
2
0
0
44
0
1
12
85
88
68
0
2
0
0
6
52
0
0
8
0
63
68
92
RÉFÉRENCES
1-9 La malnutrition pluricarentielle :
une hypothèse de plus ?
Sur le plan physiologique, il semble logique de penser que seuls les
programmes s’efforçant de fournir les besoins nutritionnels dans leur totalité outre
les besoins en protéines et/ou en énergie, auront un impact préventif ou curatif
perceptible dans la lutte contre la malnutrition de l’enfant. Les concepts dans ce
domaine ont fort évolué et certains auteurs conseillent actuellement d’abandonner
le terme de malnutrition protéino-énergétique, trop restreint, pour celui de
malnutrition pluricarentielle, ou plus simplement de malnutrition [SUSKIND et al.,
1990].
Peut-on dire actuellement que les idées sur la malnutrition de l’enfant dans
les pays pauvres sont figées, et qu’il ‘suffit’ de mettre en place des programmes de
supplémentation en vitamines et minéraux pour éviter la malnutrition ? Rien n’est
sûr dans ce domaine. D’abord, on n’a jamais vérifié, ne serait-ce qu’à une échelle
limitée, que ce type de suppléments suffit à prévenir la dénutrition. On n’a jamais
étudié avec autant de détails que pour l’énergie et les protéines, l’importance du
rôle des autres nutriments. Les glucides et les lipides n’ont par exemple jamais
intéressé beaucoup de monde dans le cadre de la dénutrition. Il s’agit d’un domaine
en pleine évolution dans les autres branches de la nutrition. Que savons-nous par
ailleurs des effets de la texture des aliments sur leur acceptabilité ? Du minimum de
variation que doit offrir une ration pour assurer un apport nutritionnel satisfaisant ?
Que savons-nous de l’influence du goût des différents aliments sur leur
acceptabilité ? Certaines de ces questions surgiront dans les années qui viennent,
quand vraisemblablement on s’apercevra qu’une supplémentation alimentaire en
vitamines et minéraux ne résout pas tous les problèmes nutritionnels.
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15
2 – Évaluation de l’état
nutritionnel
2-1 Introduction
L’évaluation de l’état nutritionnel peut avoir pour objectif l’étude
épidémiologique de la malnutrition ou la sélection d’enfants en vue d’une
intervention. Ces deux objectifs sont fondamentalement différents et il serait
illusoire de chercher à les atteindre en utilisant la même approche et donc les
mêmes méthodes d’appréciation [BRIEND et al., 1993] (Tableau IV).
Tableau IV — Comparaison des objectifs et des contraintes des enquêtes épidémiologiques
et de la sélection d’enfants devant bénéficier d’une intervention.
Objectifs
et contraintes
Enquête au niveau
d’une population
Sélection d’enfants devant
bénéficier d’une intervention
Population cible
Très importante : région
ou pays tout entier
Réduite : zone desservie par
une formation sanitaire
Utilisateurs
Décideurs politiques
Personnel sanitaire
Niveau d’intervention
Région ou groupes
d’individus
Individu
Échantillonnage
Recommandé
Impossible, tous les individus
doivent être examinés
Nombre d’enfants
à examiner
Réduit
Souvent élevé
Fréquence de l’enquête
Faible, rarement plus
d’une fois par an
Élevée, la détection des cas
de malnutrition doit être
répétés plusieurs fois par an
Technique de mesure
Doit être standardisée selon
les recommandations
internationales
Doit être adaptée aux
conditions locales et être
d’emploi facile et rapide
Prévalence le plus souvent
Incidence
Indicateur
épidémiologique
recherché
17
ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL
2-1-1 La description de la situation nutritionnelle
d’une population
Une évaluation de la situation nutritionnelle est généralement demandée
par des décideurs pour déterminer s’il faut prendre des mesures d’ordre général
comme la distribution de suppléments de nourriture, ou mettre en place des
mesures de soutien en faveur des groupes vulnérables, ou encore ouvrir des
centres de traitement de cas de malnutrition grave. Ce type d’évaluation est
souvent demandé avant d’envisager une intervention nutritionnelle. Une nouvelle
évaluation est demandée en cours ou en fin d’intervention afin d’en apprécier
l’impact : celle-ci peut avoir lieu plusieurs mois, voire plusieurs années, après
l’enquête initiale.
18
La description de l’état nutritionnel d’une population porte généralement
sur des groupes d’enfants d’effectif important. Les enfants évalués sont
sélectionnés dans toute une région, voire même un pays. L’évaluation demandée
s’effectue toujours à partir d’enquêtes effectuées sur des échantillons
représentatifs, la taille des populations étudiées rendant impossible, et inutile, un
examen de tous les enfants. Des enquêtes de ce type sont souvent lourdes à mener
et sont rarement répétées.
2-1-2 La sélection d’individus en vue
d’une intervention nutritionnelle
L’évaluation de l’état nutritionnel de chaque individu d’une population
s’impose quand on envisage une intervention nutritionnelle qui est trop coûteuse
pour que toute la population en bénéficie. Généralement une méthode de
sélection est utilisée et vise à détecter les enfants qui sont les plus touchés par la
malnutrition. Le recours à un échantillonnage n’est pas approprié puisque chaque
enfant doit être vu individuellement. De plus, il est indispensable de revoir
régulièrement tous les individus, afin d’identifier précocement les nouveaux cas de
malnutrition : certains enfants auparavant sains peuvent devenir dénutris en
quelques semaines, et des cohortes d’enfants entrent chaque mois dans les
tranches d’âge à risque. Des techniques d’évaluation nutritionnelle rapides,
applicables à un grand nombre d’individus, doivent donc être employées. La
sélection des enfants susceptibles de bénéficier d’une intervention nutritionnelle
nécessite donc une évaluation fréquente de tous les enfants de la population où
cette intervention a lieu. Paradoxalement, le nombre d’enfants à examiner est
donc très supérieur à celui nécessaire aux enquêtes estimant l’état de nutrition de
toute une population.
2-2-2
LIMITATIONS DES ENQUÊTES PORTANT SUR DES ENFANTS
2-2 Évaluation de l’état nutritionnel
d’une population
2-2-1 Intérêts respectifs des enquêtes
anthropométriques et des enquêtes
de consommation alimentaire
La description de l’état nutritionnel d’une population repose principalement
sur la présentation de résultats d’enquêtes anthropométriques effectuées chez des
enfants [OMS, 1993]. Ces enquêtes ont l’avantage d’être standardisées, d’être
faciles à réaliser, et de donner rapidement l’information attendue. Les examens
biologiques sont soit peu spécifiques, ou trop difficiles à exécuter. Ils sont
habituellement délaissés dans les enquêtes de population. Certains préconisent
cependant leur usage dans des situations particulières, comme par exemple le
dosage de l’albumine dans les régions où sévit une malnutrition œdémateuse.
Les mesures de consommation alimentaire (par pesée) sont fastidieuses et
imprécises, et donc rarement utilisées. Elles sont cependant utiles pour rechercher
les carences en certains nutriments qui n’affectent que peu ou pas la croissance
des enfants (§ 6-2-1). Les enquêtes anthropométriques par exemple ne permettent
pas de suspecter des insuffisances d’apport en vitamine A ou en vitamine C, ni de
présager une épidémie de pellagre ou de béri-béri. Ces dernières années, de
véritables épidémies de maladies carentielles ont été décrites dans des populations
de réfugiés soumises à des enquêtes anthropométriques régulières [TOOLE, 1992].
Un examen rapide de la ration alimentaire et un calcul de la couverture en
vitamines et minéraux sont actuellement facilement effectués par des programmes
informatiques communs. Cette approche simple et peu coûteuse aurait permis
d’éviter d’en arriver à ces situations.
2-2-2 Limitations des enquêtes portant sur
des enfants pour décrire la situation générale
Les enquêtes destinées à évaluer l’état nutritionnel d’une population
comparent généralement les paramètres anthropométriques observés chez les
enfants à des normes de référence. On suppose que les enfants représentent un
groupe particulièrement vulnérable sur le plan nutritionnel, et qu’en cas de
carence alimentaire généralisée, ses effets se feront sentir en premier lieu chez
l’enfant. Ce raisonnement repose certainement sur des bases scientifiques valables
19
ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL
en ce qui concerne les apports énergétiques : en effet, les premières manifestations
cliniques d’un déficit en énergie apparaissent d’abord chez l’enfant en raison de
ses besoins élevés et de ses réserves faibles (§ 3-3). Pour les autres nutriments, la
situation est moins simple. Par ailleurs, hormis les situations extrêmes, ce
raisonnement à caractère physiologique est souvent pris en défaut. Fréquemment,
il n’existe pas de relation franche entre l’état nutritionnel des enfants et celui des
adultes. Il est courant d’observer des enfants dénutris dans des familles où les
parents sont bien nourris et vice versa. Si on limite l’étude de l’état nutritionnel aux
enfants, les conséquences d’apports insuffisants peuvent passer inaperçues chez
des personnes âgées dans les sociétés où l’enfant est socialement valorisé.
2-2-3 Principe des enquêtes anthropométriques Limite des définitions de la malnutrition basées
sur l’anthropométrie
20
L’utilisation des méthodes anthropométriques dans les enquêtes
nutritionnelles repose sur l’hypothèse que tout écart entre une mesure
anthropométrique observée et les normes de référence est attribuable à la
malnutrition. Cette hypothèse est certainement fausse dans un certain nombre de
cas. Même dans une population bien nourrie, un certain nombre d’enfants ont des
paramètres anthropométriques situés très en dessous de la moyenne. En fait, la
seule façon non équivoque de démontrer qu’un déficit d’un indice
anthropométrique est attribuable à des apports nutritionnels insuffisants est de
vérifier qu’il peut être corrigé par une supplémentation nutritionnelle adéquate. Si
on choisit ce critère, on peut définir une sensibilité et une spécificité des indices
anthropométriques, comme pour n’importe quel autre critère diagnostique. La
mesure de référence devient alors la prise de poids ou la croissance en taille après
supplémentation alimentaire adaptée (Tableau V).
Tableau V — Définition de la sensibilité et de la spécificité des indices anthropométriques
en fonction de la prise de poids après une supplémentation nutritionnelle
adéquate.
Indice
anthropométrique
Enfants prenant du poids
après supplémentation
Enfants ne prenant pas de
poids après supplémentation
Indice inférieur au seuil
a
b
Indice supérieur au seuil
c
d
Sensibilité = [a/(a+c)] x 100 %.
Spécificité = [d/(d+b)] x 100 %.
Le même type de tableau croisé peut être utilisé pour définir la malnutrition en fonction de
la croissance staturale.
2-2-4
LES MESURES ANTHROPOMÉTRIQUES
Les critères de malnutrition se basant sur la réponse à une supplémentation
nutritionnelle seraient certainement plus informatifs avant de décider de lancer
une intervention. Cette méthode d’évaluation serait cependant très difficile à
appliquer et pour cette raison, on a recours à la mesure de simples indices
anthropométriques. Il faut cependant bien comprendre que cette quantification de
l’état nutritionnel est indirecte et imparfaite.
2-2-4 Les mesures anthropométriques
La mesure simultanée du poids et de la taille permet d’établir pour un âge
donné si un déficit pondéral est indicatif d’un retard de croissance en taille ou
d’une maigreur. L’enfant est pesé dévêtu, et la balance permet d’apprécier le poids
à 100 g près. Cette précision suffit. En effet, un repas peut peser facilement 200 g
chez un enfant de un an, et une pesée plus précise risque de donner des résultats
variables selon l’heure de la journée. Un degré de précision supérieur peut
cependant être utile dans les centres de renutrition où les enfants sont pesés à
heure fixe ou à jeun.
La mesure de la taille avant l’âge de 2 ans implique la présence de deux
personnes, les enfants étant mesurés allongés. Passé cet âge, les enfants sont
mesurés debout, avec si possible une précision de 1 mm. La langue française
permet d’utiliser le même terme pour désigner la taille mesurée en position debout
ou couchée. En anglais, on désigne la taille de l’enfant mesuré couché par le terme
“length” qui peut se traduire par longueur. La taille en position debout se désigne
par “height” qui peut se traduire par hauteur. Il existe une légère différence entre
ces deux mesures, et les tailles mentionnées dans les tables de référence en
tiennent compte. La taille est une mesure reproductible avec exactitude mais cette
mesure demande cependant du soin.
La précision des mesures collectées lors d’une enquête anthropométrique
peut être vérifiée a posteriori en établissant le degré d’attraction vers les chiffres
ronds. On désigne sous ce terme la tendance naturelle des enquêteurs à
rapprocher les mesures des nombres ronds. Elle se reconnaît tout de suite en
examinant la courbe de distribution des tailles et des poids. Cette dérive est plus
manifeste en cas de mesure imprécise.
Le périmètre brachial a été proposé comme critère de référence dans les cas
où il était difficile de mesurer un poids avec précision. Ce paramètre présente un
intérêt indiscutable pour les enquêtes rapides menées dans des conditions
difficiles. Son application est cependant déconseillée dans les enquêtes
nutritionnelles [OMS, 1995]. Cette mesure est en effet difficile à standardiser et
l’erreur de lecture systématique, qui est fréquente, fausse les résultats.
21
ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL
2-2-5 Choix des normes de référence
Les mesures anthropométriques recueillies lors des enquêtes sont
habituellement comparées aux normes recommandées par l’OMS qui émanent du
National Center for Health Statistics (NCHS) [OMS, 1993]. L’utilisation de normes
établies localement tend à être abandonnée. Il est généralement admis que le
potentiel génétique de croissance des enfants est le même dans la plupart des
populations, indépendamment de leur origine. Il n’est donc pas justifié d’utiliser
des courbes différant avec l’origine ethnique [HABICHT et al., 1974; GRAITCER,
Gentry, 1981]. Par ailleurs, l’établissement de courbes de référence pour chaque
groupe ethnique est difficile.
22
La référence aux normes NCHS pose quelques problèmes. Les courbes ont
été établies en se basant sur les données provenant d’enfants nourris
artificiellement. Leur croissance n’est pas identique à celle d’enfants nourris au
sein. L’application de ces normes dans les tout premiers mois de la vie tend à
surestimer l’incidence des retards de croissance. Par ailleurs, les courbes NCHS
ont été constituées d’après les données provenant de deux cohortes distinctes
chronologiquement. Leurs données ont été ensuite amalgamées. Il est possible que
ces manipulations statistiques aient introduit des distorsions dans les calculs, et
donc dans le niveau des seuils définissant la dénutrition. Des études récentes sur
la croissance d’enfants d’origines ethniques diverses mais tous issus de milieux
aisés, donc en principe bien nourris, suggèrent que la forte proportion de sujets
maigres fréquemment détectés entre l’âge de un et trois ans dans les enquêtes
nutritionnelles pourrait être exagérée par l’application des normes NCHS
[MACFARLANE, 1995].
2-2-6 Les trois principaux indices décrivant l’état
nutritionnel d’un individu
L’état nutritionnel d’un individu dont on connaît le poids, la taille et l’âge
peut être quantifié au moyen de trois indices [WATERLOW et al., 1977].
– L’indice poids-âge compare le poids de l’enfant au poids de référence pour son
âge. Il apprécie les déficits ou les excès pondéraux.
– L’indice poids-taille compare le poids de l’enfant au poids de référence pour sa
taille. En cas de retard de croissance, cette comparaison se fait en réalité avec
des enfants de même taille mais plus jeunes. Cet indice apprécie le degré de
maigreur ou d’obésité. En d’autres termes, il rend compte d’un état harmonieux
entre poids et taille, c’est-à-dire de la silhouette corporelle.
2-2-7
AMAIGRISSEMENT ET RETARD DE CROISSANCE STATURALE
– L’indice taille-âge compare la taille de l’enfant à la taille de référence pour son
âge. Il identifie les retards ou les avances de croissance en taille (nanisme ou
gigantisme).
Chaque indice est entièrement déterminé par les deux autres [KELLER,
FILLMORE, 1983]. C’est pourquoi deux d’entre eux suffisent pour rapporter les
résultats d’enquêtes. Il est fréquent de ne retenir que les indices poids-taille et
taille-âge pour la présentation des caractéristiques anthropométriques d’une
population.
L’indice poids-taille est un paramètre utile quand l’âge de l’enfant n’est pas
connu avec précision. La détermination de l’indice poids-taille passe par la
mesure du poids mais surtout de la taille, toujours délicate à apprécier. Ces deux
paramètres connus, il faut encore avoir recours à des tables de référence. Pour
simplifier la mesure, il existe des diagrammes muraux imprimés sur des affiches.
On place l’enfant en regard de son poids et, d’après sa taille, on détermine
immédiatement dans quelle catégorie poids-taille il se trouve [NABARRO, MCNAB,
1980]. L’utilisation de ce type de diagramme a été critiquée car elle expose
au risque de “biais humanitaire” : on observe que la lecture en est souvent
incorrecte et tend à surestimer le nombre d’enfants devant bénéficier d’une
intervention par rapport aux mesures indépendantes du poids et de la taille
[SOETERS, 1986].
L’indice taille-âge semble être le plus sensible aux variations à long terme
de l’état nutritionnel. Son emploi est cependant limité par la nécessité de bien
connaître l’âge pour le déterminer avec précision.
2-2-7 Amaigrissement et retard de croissance
staturale
Une diminution brutale de la ration alimentaire s’accompagne d’une perte
de poids rapide se répercutant par une baisse de l’indice poids-taille. La taille par
contre ne diminue pas en cas de malnutrition et un ralentissement de la croissance
devra se poursuivre pendant plusieurs mois avant de voir s’infléchir l’indice tailleâge. En d’autres termes, une malnutrition aiguë se traduit par un abaissement de
l’indice poids-taille, et une malnutrition chronique par un abaissement de l’indice
taille-âge. L’indice poids-taille est pour cette raison souvent présenté comme un
indicateur de “malnutrition aiguë” et l’indice taille-âge comme un indicateur de
“malnutrition chronique”. En fait, ces termes prêtent à confusion car ils laissent
accroire que le caractère aigu ou chronique d’une malnutrition est le seul facteur
qui influence la croissance respective en poids et en taille, alors qu’il n’en est rien.
Notons qu’un indice de masse corporelle abaissé (P/T2 ou indice de QUÉTELET)
équivalent à un faible indice poids-taille, est décrit chez l’adulte dans la littérature
23
ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL
des organismes internationaux sous le terme de “déficit chronique en énergie”
[SHETTY, JAMES, 1994]. Cette dénomination se référant à l’indice de masse
corporelle (ou Body Mass Index des auteurs anglo-saxons) n’est guère cohérente
avec la nomenclature utilisée chez l’enfant.
Au Bangladesh, au fil des saisons, le gain de poids est le plus élevé quand
la croissance en taille est la plus faible et inversement la croissance en taille est
rapide pendant les périodes où le poids stagne [BROWN et al., 1988]. Ces variations
ne semblent pas liées à la survenue d’épisodes de malnutrition aiguë ou
chronique. Le même phénomène est constaté lors d’épisodes de diarrhée, ou lors
de la convalescence nutritionnelle : habituellement les enfants reprennent un
poids normal avant de grandir.
24
Les facteurs déterminant la croissance en poids d’une part et en taille
d’autre part ne sont sans doute pas exactement les mêmes [GOLDEN, 1988]. Des
apports nutritionnels qualitativement différents pourraient expliquer simplement
les différences de la croissance en poids et en taille observées entre populations
nomades et sédentaires vivant dans le même environnement mais consommant
des alimentations différentes [RUTISHAUSER, WHITEHEAD, 1969]. Les nomades ont
une alimentation plus riche en produits d’origine animale et sont plus grands, plus
minces que les sédentaires. Leur indice poids-taille bas est lié à leur grande taille
elle-même sans doute imputable en partie à une consommation plus importante
de produits animaux. Ces morphotypes différents semblent indépendants de la
survenue de périodes de famine ou de rationnement alimentaire, c’est-à-dire
d’épisodes de malnutrition aiguë ou chronique puisque toutes ces personnes
vivent dans un milieu commun.
L’approche la plus prudente quand on parle de déficits des caractéristiques
anthropométriques consiste à employer des termes descriptifs pour désigner les
enfants ayant un faible indice poids-taille ou un faible indice taille-âge, sans
préjuger du caractère aigu ou chronique de leur dénutrition. L’UNICEF emploie les
termes d’émaciation et de retard de croissance (sous-entendu en taille). Ce sont
des termes neutres qui conviennent bien. Le terme maigreur plutôt qu’émaciation
a également l’avantage de faire partie du langage courant et de pouvoir être traduit
facilement dans différentes langues. Ces termes sont préférables aux expressions
“malnutrition aiguë” et “malnutrition chronique”.
2-2-8 Les modes de calcul des trois indices
nutritionnels
Chacun des trois indices poids-âge, poids-taille, taille-âge peut être exprimé
par trois modes de calcul différents [WATERLOW et al., 1977], en pourcentage par
rapport à la médiane, en Z-score ou en centiles (Tableau VI). Par conséquent, l’état
2-2-8
LES MODES DE CALCUL DES TROIS INDICES NUTRITIONNELS
nutritionnel d’un enfant peut être décrit par neuf indices différents mais bien
évidemment redondants.
Tableau VI — Mode de calcul des différents indices nutritionnels.
Indice
Mode de calcul
Valeur obtenue quand la
mesure est égale à la
médiane de la population
de référence
% de la médiane
mesure x 100 %
médiane
100 %
Z-score
(mesure - médiane)
écart type de la population de référence
0
Centile
Obtenu par la lecture des
tables de centiles
50e
Le pourcentage par rapport à la médiane est le rapport, exprimé en
pourcentage, entre la mesure observée et la valeur médiane de référence. Par
exemple, un enfant pesant 8,5 kg, alors que le poids médian des enfants de même
taille et de même sexe dans la distribution de référence serait de 10 kg, aura un
indice poids-taille de 85% (par rapport à la médiane).
Le Z-score rend compte de la différence entre la mesure observée et la
valeur médiane établie pour la population de référence, cette différence étant
exprimée en prenant comme unité de mesure l’écart type de la distribution. L’écart
type est une mesure de dispersion d’une distribution. Pour la dispersion des
valeurs du poids et de la taille au sein de la population de référence, l’écart type
est donné dans les tables NCHS par tranches d’âge et par classes de taille pour les
enfants de moins de 5 ans. Dans l’exemple précédent, si l’écart type indiqué par
la table pour la population de référence vaut 1 kg pour les enfants de cette taille,
le Z-score de l’indice poids-taille vaudra (8,5-10)/1, soit -1,5 ET.
Le centile délimite une valeur en dessous de laquelle se situe un
pourcentage d’enfants de la population de référence. Il ne se calcule pas mais doit
être recherché dans une table de centiles. La taille d’un enfant se trouvant par
exemple au centile de 10 pour l’indice taille-âge, indiquera simplement que 10%
des enfants de son âge ont une taille inférieure à la sienne dans la population de
référence. Ce mode d’expression présente l’inconvénient de ne pas permettre la
comparaison entre individus situés très en deçà des premiers centiles de la norme
internationale.
Il existe actuellement des programmes informatiques permettant de calculer
rapidement les trois indices anthropométriques définis ci-dessus. Le programme
25
ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL
EPINUT est le plus répandu [COULOMBIER et al., 1990] et il peut être facilement
obtenu auprès des organismes humanitaires et de l’OMS. Ce programme est aussi
inclus dans les dernières versions du programme EPIINFO et peut être obtenu
gratuitement par téléchargement à partir de certains serveurs du réseau Internet.
2-2-9 Choix du mode d’expression des indices
14
12
10
Poids (Kg)
Poids (kg)
26
Le pourcentage par rapport à la médiane est le mode d’expression le plus
simple qui permette de faire des comparaisons avec la population de référence.
L’OMS conseille d’utiliser le Z-score parce qu’il tient mieux compte de la
dispersion observée dans la population de référence [OMS, 1995]. La figure 2
illustre pour l’indice poids-taille les courbes situées à -2 écarts types et à 80 % de
la médiane afin de montrer les effets du choix de l’un ou de l’autre mode de calcul
des indices nutritionnels. Ces limites de -2 écarts types et de 80 % de la médiane
sont souvent utilisées comme seuils pour départager les enfants dénutris (§ 2-2-10).
Pour les tailles inférieures à 63 cm, on constate que les enfants sont classés comme
dénutris pour des déficits pondéraux moindres lorsqu’on retient le seuil de 80 %
de la médiane plutôt que le seuil de -2 écarts types. Pour les tailles supérieures à
63 cm, c’est la tendance inverse qui est observée. L’utilisation du Z-score plutôt
que du centile 80 % biaise le résultat observé en fonction de l’âge, répertoriant
8
Médiane
Médiane
6
Z-score
Z
= -2 ET
4
= -2 ET
80
demédiane
la médiane
80%%
de la
2
0
49
54
59
64
69
74
79
84
89
TailleTaille
(cm)
(cm)
Figure 2 — Comparaison des courbes correspondant à 80 % de la médiane et à -2 écarts
types avec la courbe des valeurs de la médiane de la référence NCHS.
2-2-10
ÉVALUATION DU NOMBRE D’ENFANTS DÉNUTRIS DANS UNE POPULATION
moins de malnutrition parmi les enfants les plus petits. Dans la pratique, les
enfants examinés lors des enquêtes ont pour la plupart une taille supérieure à 63
cm et l’emploi du Z-score regroupe plus d’enfants dans la catégorie des
dénutritions que le partage au seuil de 80 % de la médiane.
Exprimer un état nutritionnel en Z-score représente certainement une
complication pour les travailleurs de terrain. Ce concept est difficile à saisir
concrètement pour ceux qui ne possèdent pas un certain bagage statistique. Dans
les centres de récupération nutritionnelle, l’indice poids-taille exprimé en Z-score
donne d’ailleurs en pratique une moins bonne estimation du risque de décès que
le pourcentage de la médiane, bien plus simple à calculer [PRUDHON et al., 1996].
Ce résultat est sans doute dû au fait que les enfants dénutris les plus jeunes, à
risque de décès le plus élevé, sont moins bien identifiés avec le Z-score qu’avec
le pourcentage de la médiane.
Le Z-score, bien plus aisément qu’un pourcentage de la médiane, permet
de comparer entre elles les prévalences de la maigreur et du retard de croissance
en taille. Le retard de croissance (en taille) est beaucoup plus répandu que la
maigreur mais cette constatation n’a cependant pas de conséquence directe en
santé publique, puisque les implications cliniques d’un même Z-score diffèrent
selon qu’il caractérise un degré de maigreur ou de retard de croissance (en
taille).
2-2-10 Évaluation du nombre d’enfants dénutris
dans une population
Les décideurs souhaitent souvent connaître avec précision le nombre
d’enfants dénutris répartis dans une population. La méthode habituellement
employée pour obtenir une estimation consiste à regrouper parmi les enfants
dénutris tous ceux dont l’indice nutritionnel n’atteint pas une valeur seuil donnée.
Le pourcentage que ce groupe représente dans la population est ensuite calculé.
Plusieurs seuils ont été retenus pour regrouper les enfants d’après leur état
nutritionnel. Le seuil de 80% des valeurs de la médiane de l’indice poids-taille a
été longtemps utilisé. Actuellement, l’OMS recommande d’employer le seuil de
-2 écarts types en dessous de la médiane de la population de référence NCHS
(-2 écarts types, Z-score = -2). Ce seuil a été choisi par convention et n’a pas de
signification biologique particulière [WATERLOW et al., 1977].
Il a parfois été recommandé de soustraire du pourcentage d’enfants placés
sous le seuil le nombre 2,5 % afin de tenir compte des “faux positifs”. On entend
par là, une proportion d’enfants situés en dessous du seuil de normalité dans une
population normalement nourrie. Cette précaution est rarement prise en pratique.
27
ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL
Les organismes humanitaires désignent souvent sous le terme de “taux de
malnutrition globale” le pourcentage d’enfants situés en dessous du seuil de
-2 écarts type. Ils définissent le “taux de malnutrition grave” par le pourcentage
d’enfants œdémateux ou d’enfants dont l’indice poids-taille est inférieur à
-3 écarts types. Ces termes sont souvent utilisés indistinctement et prêtent à
confusion, à moins que leurs définitions ne précèdent tout rapport d’enquête.
L’application d’un seuil unique à toutes les enquêtes constitue un progrès réel sans
quoi il serait impossible de comparer des prévalences de malnutrition établies
d’après des seuils chiffrés différents.
2-2-11 Critique des méthodes basées sur l’emploi
de seuils
28
Le nombre d’enfants identifiés comme dénutris par la méthode des seuils et
le nombre d’enfants susceptibles de voir leur déficit pondéral (ou statural) corrigé
par une supplémentation nutritionnelle ne concordent pas souvent ou divergent
parfois carrément. En d’autres termes, si l’on accepte, comme nous l’avons fait,
qu’une malnutrition est un état pondéral (ou statural) déficitaire de l’organisme,
alors la méthode des seuils ne peut recenser que très imparfaitement les enfants
qui en sont atteints. Ce mauvais discernement s’explique comme suit.
Si un enfant maigrit, en raison d’une ration insuffisante, mais que son poids
reste au-dessus de la limite arbitraire de -2 Z-scores, il ne sera pas classé parmi les
enfants dénutris, bien qu’il puisse avoir perdu du poids de façon importante
(Figure 3). À titre d’exemple, un enfant mesurant 76 cm (taille médiane à un an)
et pesant 11 kg doit perdre 2,6 kg avant de rejoindre le groupe des enfants
dénutris. Ceci représente une perte de poids très importante puisqu’elle avoisine
le quart du poids initial (24 %).
Ce défaut des méthodes appliquant uniquement un seuil “anthropométrique” pour définir la malnutrition a été bien mis en évidence par des enquêtes
menées au Zaïre. Ces études montrent qu’il existe une mauvaise concordance
entre l’examen clinique et le degré de malnutrition estimé par les indices
anthropométriques [VAN DEN BROECK et al., 1994]. Dans l’exemple choisi, une
perte de poids de plus de 2 kg chez un enfant de un an se remarque immédiatement à l’examen clinique, alors que les indices anthropométriques ne la
détectent pas.
La divergence entre les taux de prévalence de la malnutrition, selon qu’elle
est définie par l’anthropométrie ou par la réponse clinique à une supplémentation
alimentaire, peut être mise en évidence également par des méthodes statistiques.
Si, par exemple, tous les enfants d’une population ont une ration insuffisante et se
trouvent tous à 0,5 écart type en dessous de leur poids de référence (pour la taille),
Fréquence
2-2-12
MESURE DE LA PRÉVALENCE STANDARDISÉE
A
B
Z-score
Figure 3 — Critique de la méthode des seuils. Dans le cas théorique représenté, l’enfant A
est classé comme dénutri, car son poids est situé en dessous du seuil de -2 ET,
alors que l’enfant B ne l’est pas, malgré une perte de poids plus importante.
le taux de dénutrition, selon la définition que nous avons adoptée (déficit pondéral
ou statural corrigible par supplémentation), est de 100 % . La prévalence de la
malnutrition établie par la méthode du seuil fixé à -2 écarts types correspond au
pourcentage d’enfants situés au-dessous de -1,5 écarts types dans une population
normale (Figure 4). Ce pourcentage est donné par les tables de la distribution
normale ou par les programmes donnant sa fréquence cumulée pour un écart type
donné. Il est égal à 6,7 %. La discordance entre ce chiffre et la prévalence de
100% postulée au départ illustre les limites des méthodes anthropométriques.
2-2-12 Mesure de la prévalence standardisée
La mesure de la prévalence standardisée a été proposée pour tenter
d’estimer le nombre global d’enfants dénutris en intégrant dans cette estimation
ceux qui se trouvent au-dessus du seuil habituel fixé à -2 écarts type de la valeur
médiane [MORA, 1989]. Le principe de cette mesure consiste à évaluer dans la
population étudiée, le pourcentage d’enfants situés en dehors de la distribution de
la population de référence (Figure 5). Dans cette approche, les enfants recherchés
29
ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL
0,5
Distribution normale
Fréquence
Distribution normale après
perte de 0,5 ET
Z-score
Dénutris
Fréquence
30
Figure 4 — Si tous les enfants issus d’une population normalement distribuée perdent
0,5 ET, 6,7 % d’entre eux seront situés sous le seuil de -2 ET (% de l’aire située
sous la courbe de la distribution normale, à gauche de la droite D).
Z-score
Figure 5 — Principe de la mesure de la prévalence standardisée. L’estimation du nombre total
d’enfants dénutris se fait par le calcul de l’aire comprise entre les deux courbes.
2-2-13
EXAMEN DE LA DISTRIBUTION DES INDICES ANTHROPOMÉTRIQUES
ne sont ni identifiés ni comptés individuellement. Cette méthode a l’avantage de
prendre en compte le décalage global entre la population étudiée et celle de
référence. Son mode de calcul est cependant proche de la méthode des seuils avec
un seuil correspondant au point d’intersection des courbes des deux populations
et une déduction des faux positifs (§ 2-2-10). Ce nouveau seuil est variable d’une
situation à l’autre et ne possède pas non plus de signification biologique
particulière. Cette méthode dénombre bien plus de cas de malnutrition que la
technique fixant le seuil à -2 écarts types. Le chiffre obtenu est toujours inférieur à
la réalité en cas de glissement global de la distribution des indices
anthropométriques. Dans l’exemple théorique évoqué plus haut où tous les
enfants d’une population souffraient d’un déficit pondéral de 0,5 écart type, la
prévalence standardisée donnerait un taux de malnutrition de 19,7 %, très
inférieur à la réalité.
2-2-13 Examen de la distribution des indices
anthropométriques
L’hypothèse d’un déficit nutritionnel affectant l’ensemble des enfants dans
une population donnée peut être vérifiée par l’analyse de la distribution des
indices anthropométriques. Dans l’hypothèse d’une perte de poids uniforme, la
distribution des poids glisse vers les valeurs basses, sans modification de la
variance. Si la courbe de distribution change de forme, on peut en déduire que le
déficit pondéral n’est pas réparti de manière homogène mais touche plus
particulièrement certains groupes d’enfants : si l’écart type observé est inférieur à
celui de la distribution de référence, on peut démontrer que ce sont les enfants
initialement les mieux nourris qui ont relativement perdu le plus de poids.
Inversement, si l’écart type observé est supérieur à celui de la distribution de
référence, on peut en conclure que ce sont les enfants déjà dénutris au départ qui
ont souffert le plus (Figure 6).
L’analyse des distributions des indices anthropométriques calculées lors des
enquêtes indique que les courbes de l’indice poids-taille sont le plus souvent
déplacées mais sans être déformées. Ceci suggère que le nombre d’enfants
dénutris est dans la plupart des situations très supérieur à ce que détermine le seuil
de -2 écarts types établi par les enquêtes. Par contre, les courbes de distribution
obtenues pour l’indice taille-âge sont souvent déformées et leur écart type est
supérieur à celui de la population de référence. Ceci suggère qu’il existe
effectivement une sous-population d’enfants présentant un retard de croissance
située dans la partie inférieure de la courbe de distribution. Il est difficile de savoir
si cette déformation résulte d’une mauvaise connaissance de l’âge. Il est
cependant également vraisemblable que le dénombrement des enfants ayant une
31
ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL
Fréquence
A
B
C
Z-score
32
Figure 6 — Effet d’une perte de poids plus marquée chez les enfants les plus maigres (A) ou
les plus gros (B) sur la forme de la distribution. La courbe C, sans déformation,
correspond à une perte de poids uniforme chez tous les enfants.
taille inférieure au seuil de -2 écarts types sous-estime fortement le nombre réel
des enfants en retard de croissance.
Les organismes internationaux (UNICEF, OMS) publient régulièrement des
statistiques sur le nombre d’enfants atteints de malnutrition dans les pays pauvres
[UNICEF, 1996]. Les chiffres atteignent le tiers, voire la moitié, du nombre total des
enfants dans certaines régions. Ces données statistiques sont basées sur des chiffres
établis en adoptant la méthode des seuils. Les chiffres publiés n’ont sans doute
qu’un rapport éloigné avec la réalité. C’est souvent la quasi-totalité des enfants qui
sont dénutris, et non le tiers ou la moitié. Dans la mesure où ces données sont
obtenues de façon homogène et standardisée, elles permettent cependant de faire
des comparaisons d’un pays à l’autre, et d’une année à l’autre. Il serait faux de
croire cependant que les chiffres repris dans ces rapports donnent réellement le
nombre d’enfants dénutris.
2-3-1
IDENTIFICATION DES INDIVIDUS DÉNUTRIS
2-3 Identification des individus devant
bénéficier d’une intervention
Dans les situations de pénurie, les ressources disponibles sont limitées et il
est souvent nécessaire de mener des interventions ciblées sur une partie de la
population. Dans cette optique, il peut être proposé de sélectionner non pas des
individus, mais des familles ou même des communautés à risque. Cette approche
est délicate, vu la difficulté qu’il y a à identifier précisément les familles ou les
communautés menacées de malnutrition. Différents critères socio-économiques
seraient à même de détecter ce risque, mais dans la pratique leur valeur prédictive
est limitée. On observe en effet que l’apparition de la malnutrition est très
aléatoire, et que les critères socio-économiques prévisionnels ne remplissent pas
le rôle espéré d’identifier les familles exposées à la malnutrition infantile [HENRY et
al., 1993]. En conséquence, ces programmes sont souvent décidés d’après des
critères fort empreints de subjectivité et de partialité. La préférence va donc aux
critères anthropométriques. Leur emploi pose cependant des problèmes, car ils
identifient mal les individus dénutris. Schématiquement, les indices nutritionnels
peuvent être utilisés avec deux objectifs différents : 1) identifier les individus
dénutris, 2) identifier les individus présentant un risque élevé de décès. Les
questions posées pour répondre à ces deux types de problèmes sont différentes.
2-3-1 Identification des individus dénutris
Si on retient comme définition de la malnutrition “un déficit pondéral
corrigible par une supplémentation nutritionnelle appropriée”, la probabilité de
poser un diagnostic correct à partir des données anthropométriques varie fort selon
les circonstances. Dans le cas extrême, discuté plus haut, d’une pénurie
alimentaire qui engendre un déficit pondéral généralisé, tous les enfants situés
sous le seuil de malnutrition (< -2 écarts types) seront correctement identifiés. Par
contre, tous les enfants situés au-dessus du seuil seront à tort classés comme étant
bien nourris. Inversement, dans une population où tous les enfants sont
correctement nourris, la proportion d’enfants situés en dessous du seuil de - 2 Z
(c’est-à-dire 2,5 %) seront classés à tort comme dénutris, alors que les autres (soit
97,5 %) seront à juste titre classés parmi les bien nourris.
Des situations intermédiaires peuvent se présenter lorsque les populations
observées représentent un mélange d’enfants bien nourris et d’enfants dénutris en
proportions variables. La probabilité d’identifier correctement un cas de
malnutrition (valeur prédictive positive) augmente avec l’importance du déficit
33
ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL
pondéral en cause (Figure 7). Si on admet, à titre d’exemple, qu’une population
est composée d’un mélange d’individus bien et mal nourris, représentés par deux
courbes de distribution normale, la probabilité qu’un enfant se trouve parmi les
mal nourris est représentée pour chaque Z-score par le rapport du nombre
d’enfants ayant le même Z-score dans les deux populations. Les figures 7a et b
montrent que ce rapport est plus élevé pour les faibles Z-scores et dans le cas où
5
a
Bien nourris
Dénutris
Probabilité de
malnutrition
Probabilité
4
34
3
2
1
0
-2
-1
0
1
2
3
Z-score
b
5
Bien nourris
Dénutris
Probabilité de
malnutrition
Probabilité
Probabilité
4
0,5 ET
3
2
1
0
-2
-1
0
1
2
3
Z score
Z-score
Figure 7 — Probabilité de détecter les cas de dénutrition en fonction du Z-score en cas de
mélange de populations d’enfants bien et mal nourris. a. Différence entre les
groupes de 1 ET ; b. Différence entre les groupes de 0,5 ET.
2-3-1
IDENTIFICATION DES INDIVIDUS DÉNUTRIS
les deux populations sont bien séparées. On peut démontrer de la même façon
que la probabilité d’identifier correctement un enfant dénutri est plus forte quand
la population mal nourrie est plus importante que celle qui est bien nourrie.
Ces considérations statistiques ont des conséquences pratiques importantes.
En effet, elles indiquent que le diagnostic de malnutrition grave se pose
généralement sans risque majeur d’erreur tandis que celui de malnutrition
modérée ne peut l’être avec certitude à partir des seuls indices anthropométriques.
L’identification des enfants dénutris à l’aide des mesures anthropométriques
peut être assimilée à l’utilisation d’un test diagnostic imparfait : sa capacité
d’identifier correctement les enfants dénutris, ou en d’autres termes, sa valeur
positive prédictive, n’est élevée qu’en cas de prévalence élevée de malnutrition
[MCNEIL et al., 1975]. De la même façon, la capacité des indices anthropométriques à reconnaître correctement les enfants bien nourris n’est élevée que
dans les situations où les taux de malnutrition sont faibles.
• Choix des indices nutritionnels
Il est vraisemblable que l’identification des enfants dénutris susceptibles de
prendre du poids après une supplémentation alimentaire est sensiblement
différente selon le type d’indice nutritionnel considéré pour le dépistage.
Curieusement, ce domaine a donné lieu à peu de travaux. Il est probable que
l’indice poids-taille soit le plus approprié dans la plupart des situations, hormis les
cas de malnutrition où la composante œdémateuse prédomine.
• Choix des seuils de définition de la dénutrition
Le choix des seuils déterminant quels enfants peuvent bénéficier d’une
intervention nutritionnelle a donné lieu à de nombreux débats. Ces discussions
ignorent souvent le fait que les définitions de la malnutrition basées sur
l’anthropométrie ne permettent pas d’établir parfaitement le diagnostic de
dénutrition, particulièrement lorsqu’elle est modérée. Ces considérations éludent
aussi les difficultés méthodologiques rencontrées en cas de prévalence élevée de
dénutrition. Pour progresser dans ce domaine, il vaut mieux une fois pour toutes
abandonner l’espoir d’identifier avec certitude les enfants modérément dénutris au
moyen d’un critère anthropométrique. Il est préférable de se baser sur des facteurs
de risque ou des critères financiers. La décision d’incorporer un enfant dans un
programme de prise en charge nutritionnelle devrait reposer tant sur une
évaluation du risque que l’on prend en ne l’y admettant pas, que sur le coût à
supporter si on l’y admet. Dans l’évaluation de ce coût, outre la charge pour
l’institution d’accueil, il faut également prendre en compte le retentissement de
cette admission sur la situation économique de la famille. Il est vraisemblable que
la décision idéale varie d’un endroit à l’autre. Les procédures de sélection des
35
ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL
enfants modérément dénutris sont parfois trop coûteuses en soi par rapport aux
économies qu’elles sont censées entraîner. Dans ce cas, une prise en charge de la
totalité des enfants sera une option préférable.
2-3-2 Identification des individus à haut risque
de décès
Les enfants gravement dénutris présentent un risque particulièrement élevé
de décéder. On peut envisager de focaliser les interventions sur ces enfants à
risque. Dans cette optique, le calcul des indices anthropométriques a pour but
d’estimer le risque de décès et non plus de poser un diagnostic de dénutrition. Leur
sensibilité et leur spécificité doivent alors être revus en fonction d’une définition
différente (Tableau VII). Pour sélectionner les enfants à haut risque de décès, il
convient d’utiliser les indices présentant le meilleur compromis entre sensibilité et
spécificité définis en termes de prédiction du risque de décès.
Tableau VII — Définition de la sensibilité et de la spécificité d’un indice anthropométrique
en fonction du risque de décès.
36
Indice
anthropométrique
Enfants décédés au cours
du suivi
Enfants survivants
Indice inférieur au seuil
a
b
Indice supérieur au seuil
c
d
Sensibilité = [a/(a+c)] x 100 %.
Spécificité = [d/(d+b)] x 100 %.
• Choix des indices nutritionnels
Méthode utilisée pour choisir les indices
La sensibilité et la spécificité d’un indice utilisé pour évaluer le risque de
décès varient selon le seuil retenu pour classifier les enfants en catégories
nutritionnelles (bien et mal nourris). En effet, la sensibilité correspond à la
proportion d’enfants, parmi ceux qui sont décédés, qui présentent un indice
(anthropométrique) inférieur à la valeur seuil choisie pour départager les
catégories nutritionnelles. La spécificité correspond à la proportion de survivants
dont l’indice au début du suivi était supérieur à la valeur seuil choisie. Quand on
élève le niveau du seuil, la sensibilité de l’indice augmente tandis que sa
spécificité diminue (Figure 8). En fait, un indice (ici à visée de déterminer le risque
de décès) peut être rendu aussi sensible ou spécifique qu’on le désire en faisant
varier le niveau du seuil. C’est pourquoi les sensibilités de différents indices ne
peuvent être comparées entre elles que si leurs spécificités sont égales. Cet
2-3-2
IDENTIFICATION DES INDIVIDUS À HAUT RISQUE DE DÉCÈS
Seuil
Spécificité
Probabilité
Sensibilité
Survivants
Survivants
Décédés
Décédés
-3
-2
-1
0
1
2
3
Z-score
Figure 8 — Définition graphique de la sensibilité et de la spécificité estimées de l’indice
nutritionnel en fonction du risque de décès.
ajustement sur la spécificité se fait généralement en dessinant des courbes ROC1,
qui représentent la valeur de la sensibilité en fonction de 1- spécificité [McNeil et
al., 1975] (Figure 9).
Les indices les plus performants pour dépister des enfants à haut risque de
décès sont ceux qui possèdent la plus forte sensibilité pour une spécificité donnée.
Si la répartition des décès tenait purement du hasard (c’est-à-dire se faisait
indépendamment de l’état nutritionnel), la courbe ROC correspondrait à la droite
joignant le point sensibilité 0 et spécificité 1 au point sensibilité 1 et spécificité 0.
Cette droite correspond sur la figure 9 à la droite passant par l’origine et ayant une
pente égale à 1. Les indices qui identifient le mieux les enfants à haut risque de
décès sont ceux dont les courbes ROC s’écartent le plus de cette droite.
Intérêt du périmètre brachial
Les valeurs prédictives de différents indicateurs anthropométriques
susceptibles d’apprécier le risque de décès ont été comparées dans de nombreuses
études. Il en ressort que le périmètre brachial est souvent l’indicateur offrant le
1
Le terme ROC est l’abréviation de l’expression anglaise Receiver Operating Curve et nous
rappelle que ce concept a été mis au point dans un contexte totalement différent : il a été
utilisé pour la première fois par les opérateurs radar de la deuxième guerre mondiale, et a
été introduit ensuite dans le domaine médical par les radiologues qui cherchaient à
résoudre les problèmes d’interprétation de clichés. Il fait partie actuellement du jargon des
épidémiologistes décrivant des critères diagnostics imparfaits.
37
ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL
Sensibilité
1
0
0
1
(1 - spécificité)
38
Figure 9 — Aspect général des courbes ROC.
meilleur compromis entre spécificité et sensibilité [BRIEND et al., 1986; ALAM et al.,
1989; BRIEND et al., 1989]. Ces études montrent aussi que le périmètre brachial
identifie mieux le risque de décès que l’indice poids-taille, bien qu’un faible indice
poids-taille soit habituellement considéré comme étant le meilleur critère d’un
amaigrissement récent. On peut en conclure que le risque de décès n’est pas
uniquement déterminé par la perte de poids de l’enfant ou le déficit pondéral
exprimé par rapport à un indice de référence mais par un autre facteur davantage
lié à l’évolution du périmètre brachial que les autre indices nutritionnels [BRIEND
et al., 1989].
La valeur prédictive du périmètre brachial pour identifier les enfants à haut
risque de décès peut s’interpréter de deux façons différentes. D’une part, la bonne
valeur du périmètre brachial pour estimer le risque de décès peut être attribuée à
son pouvoir de sélection d’enfants plus jeunes que par d’autres critères. En effet,
le périmètre brachial augmente avec l’âge chez les enfants normalement nourris,
et si on regroupe les enfants qui ont le périmètre brachial le plus faible, on
sélectionne des sujets à la fois jeunes et dénutris. D’autre part, le périmètre
brachial peut être lié au risque de décès parce qu’il est un reflet de la masse
musculaire [Briend et al., 1989]. En cas de famine, l’enfant survit en puisant de
l’énergie dans sa masse de muscles et maintient son métabolisme. Selon toute
vraisemblance, la survie dépend d’échanges métaboliques entre la masse
musculaire et les organes dont le plus noble et le mieux épargné, le cerveau. En
2-3-2
IDENTIFICATION DES INDIVIDUS À HAUT RISQUE DE DÉCÈS
physiologie, le métabolisme de base du muscle est peu actif et cette masse
constitue une réserve nutritionnelle importante. Par contre le cerveau, et certains
autres organes comme le foie ou le rein, connaissent une situation inverse : leur
métabolisme est très actif mais en soi ils ne constituent pas une réserve
nutritionnelle mobilisable (§ 3-3-3). Il se peut que le périmètre brachial, qui est un
témoin direct de la masse musculaire, reflète mieux cet équilibre que d’autres
paramètres ou indices anthropométriques plus complexes.
La nature exacte du mécanisme expliquant la valeur prédictive du périmètre
brachial n’a pas d’implication pratique. Les deux explications (effet âge ou effet
muscle) se complètent sans doute : les changements de composition corporelle
observés chez l’enfant dénutri le rapprochent de l’enfant jeune (§ 3-4-1). Il existe
d’ailleurs une certaine similitude sur le plan métabolique entre enfants jeunes et
enfants dénutris.
L’application du périmètre brachial pour la sélection des enfants
susceptibles de bénéficier d’une intervention nutritionnelle offre l’avantage
d’identifier rapidement les sujets qui présentent un risque de décès élevé. Ce
paramètre souffre de l’inconvénient de ne pas sélectionner automatiquement les
enfants les plus atteints de dénutrition. Ceux-là même qui répondront bien au
traitement diététique et qui sont sans doute mieux dépistés par la mesure de
l’indice poids-taille. Cette discordance a poussé certaines organisations à utiliser
des procédures de détection en deux étapes : sélection par le périmètre brachial
dans un premier temps, puis mesure de l’indice poids-taille. Cette approche est
lourde et doit être appliquée avec prudence : les enfants dont le périmètre brachial
est réduit ont un risque de décès élevé, même si leur indice poids-taille dépasse la
valeur habituelle qui délimite l’état de dénutrition.
• Choix de seuils de définition des individus à haut risque de décès
L’identification par l’anthropométrie des enfants à risque élevé de décès est
généralement imparfaite. Les conséquences pratiques sont faibles quand il s’agit
de sélectionner des enfants pour les faire bénéficier de programmes de renutrition
thérapeutique. Généralement, la totalité des enfants incorporés dans ces
programmes souffrent de malnutrition grave et bénéficient de la prise en charge,
même si leur risque de décès a été surévalué.
Il est néanmoins utile de fixer pour ces programmes des critères
anthropométriques qui évitent de prendre des décisions subjectives. Dans la
pratique, on s’aperçoit que le seuil de 110 mm pour le périmètre brachial (ou de
-3 écarts types pour l’indice poids-taille) est souvent choisi comme critère de
sélection dans les programmes nutritionnels à visée thérapeutique. Il serait
cependant regrettable que ces seuils soient considérés comme décisifs. L’examen
clinique à l’admission, et l’évaluation du degré de l’anorexie donnent également
39
ÉVALUATION DE L’ÉTAT NUTRITIONNEL
des informations dont il faut tenir compte avant d’inclure ou non un enfant dans
un programme nutritionnel de renutrition thérapeutique.
• Intérêt des évaluations fréquentes de l’état nutritionnel
Quel que soit l’indice nutritionnel retenu, l’identification du risque de décès
est meilleure quand la prédiction porte sur le court terme. Cette constatation se
comprend aisément parce que l’état nutritionnel d’un enfant peut varier au cours
du temps. Ceci implique que des examens répétés seront toujours plus efficaces
pour identifier les enfants à risque que des examens effectués à de nombreux mois
de distance. La simplicité de la mesure du périmètre brachial est un avantage
considérable à cet égard, car elle peut être répétée au besoin tous les mois pour
identifier les enfants les plus à risque [BRIEND et al., 1987]. Cet avantage de la
mesure du périmètre brachial est rarement mis à profit, alors qu’il permettrait
d’améliorer considérablement l’efficacité d’un système capable de dépister dans la
population générale les enfants à haut risque de décès.
40
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41
3 – Besoins en énergie
et renutrition
3-1 Introduction
Les besoins en énergie de l’adulte se décomposent en besoins d’entretien et
en besoins nécessaires à l’activité physique. À ceux-ci s’ajoutent, chez l’enfant,
des besoins pour la croissance [FAO/OMS/UNU, 1986]. Les besoins d’entretien
correspondent à la quantité d’énergie nécessaire au maintien des fonctions vitales
et au renouvellement des tissus. Les besoins de croissance correspondent à la
quantité d’énergie nécessaire à la synthèse des constituants tissulaires (acides
aminés, acides gras, etc.) et à leur assemblage lors de la synthèse tissulaire. Dans
ce contexte, on entend par croissance le gain de poids associé à la synthèse de
nouveaux tissus, se répartissant en tissus maigres et tissus adipeux. On admet que
les besoins associés à la croissance en taille sont les mêmes que ceux
correspondant au gain de poids associé.
L’enfant souffrant de malnutrition grave se définit comme un enfant dont
l’état nutritionnel nécessite une prise en charge hospitalière (§ 7-2). En début de
traitement, son poids est stable et son activité physique est faible (§ 7-3-1). Ses
besoins énergétiques sont alors voisins de ses dépenses d’entretien. Dès lors que cet
enfant entre en phase de convalescence, et que son gain de poids s’élève (§ 7-3-2),
ses besoins en énergie augmentent fortement et sont proches de ceux d’un enfant
bien nourri dont la vitesse de croissance serait très supérieure à la normale. Avant
d’aborder la problématique de l’enfant dénutri, il est utile de décomposer les
besoins en énergie de l’enfant bien nourri. Cette approche permet par ailleurs de
saisir les particularités de l’enfant sur le plan du métabolisme énergétique.
3-2 Besoins d’entretien
chez l’enfant bien nourri
Les estimations les plus fiables des dépenses énergétiques d’entretien sont
actuellement obtenues grâce à la technique de l’eau doublement marquée
[COWARD, 1988]. Cette méthode consiste à donner à l’enfant de l’eau dont
43
BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION
l’hydrogène a été remplacé par du deutérium et l’oxygène naturel (16O) par son
isotope non radioactif lourd (18O). Ce double marquage permet de suivre
séparément le devenir métabolique tant de l’hydrogène que de l’oxygène. Les
physiologistes s’accordent pour dire que l’oxygène est éliminé avec l’eau et le gaz
carbonique alors que l’hydrogène ne peut être éliminé qu’avec l’eau seule. De ce
fait, l’oxygène disparaît de l’organisme plus vite que l’hydrogène. Cette différence
d’élimination rend compte de la production de gaz carbonique, et donc de la
consommation d’énergie. À peu de chose près, l’eau donnée initialement se
distribue de façon homogène au sein de l’organisme. La dépense énergétique peut
donc être estimée simplement en mesurant la concentration en deutérium et en
oxygène 18 dans un échantillon de salive ou d’urine prélevé dans les jours qui
suivent la dose initiale. Lorsque la diminution avec le temps de la dose initiale de
deutérium et d’oxygène 18 est exprimée en pourcentage de la dose initiale sur une
échelle logarithmique, la dépense énergétique correspond à l’aire située entre les
courbes de concentration du deutérium et de l’oxygène 18 (Figure 10). La mesure
de la dépense énergétique en suivant cette technique s’effectue sur une à deux
semaines. Les données obtenues estiment la dépense moyenne d’énergie au long
de cette période.
44
Proportion (%) de la dose initiale
Proportion (%) de la dose initiale
100
10
Deutérium
Deutérium
Oxygène 1818
Oxygène
1
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
Nombre de jours
Nombre de jours
Figure 10 — Principe de la mesure de la dépense énergétique par la technique de l’eau
doublement marquée.
En réalité, la dépense énergétique mesurée par la technique de l’eau
doublement marquée ne correspond pas exactement aux dépenses d’entretien car
3-3
DÉPENSES ÉNERGÉTIQUES D’ENTRETIEN CHEZ L’ENFANT ET CHEZ L’ADULTE
les dépenses imputables à l’activité physique, qui entraînent une oxydation de
nutriments venant soit de l’alimentation, soit des réserves de l’organisme, sont
également comprises dans l’énergie mesurée. Mais la dépense énergétique liée à
l’activité physique ne représente qu’une faible part de la dépense énergétique
totale chez l’enfant avant l’âge de la marche. Une part de l’énergie requise pour la
croissance est aussi comprise dans l’énergie mesurée par la méthode de l’eau
doublement marquée. Elle est tout autant difficile à estimer. Certes, le tissu
synthétisé n’est pas oxydé, et donc l’énergie stockée sous forme de tissu n’est pas
comptabilisée par la méthode de l’eau doublement marquée. Néanmoins l’énergie
utilisée pour synthétiser ces tissus provient de l’oxydation de substrats. Les valeurs
obtenues chez l’enfant de plus de 6 mois d’âge, dont la part d’énergie requise pour
la croissance est faible, sont donc plus proches des dépenses d’entretien que les
données calculées dans les tranches d’âge plus jeune.
Les estimations de la dépense d’énergie d’entretien obtenues par cette
méthode sont de l’ordre de 80 kcal/kg/jour pour les enfants normalement nourris
[PRENTICE et al., 1988]. Elles sont donc beaucoup plus élevées que chez l’adulte.
La dépense énergétique mesurée chez l’adulte, quelle que soit la méthode, est en
effet de l’ordre de 35 kcal/kg/jour [FAO/OMS/UNU, 1986]. Ce besoin élevé en
énergie chez l’enfant explique un bon nombre de ses particularités nutritionnelles.
Nous les examinerons en détail car elles s’appliquent aussi à l’enfant souffrant de
malnutrition grave.
3-3 Comparaison des dépenses
énergétiques d’entretien
chez l’enfant et chez l’adulte
3-3-1 Comparaison volume/surface
Les différences entre la dépense énergétique chez l’enfant et chez l’adulte
peuvent dans une large mesure s’expliquer par les lois mathématiques régissant le
rapport entre le volume et la surface pour des corps de forme semblable mais de
tailles différentes. Si deux cubes ont des arêtes de longueurs différentes, le rapport
de la surface du plus grand à celle du plus petit est supérieur à celui de leurs
arêtes. De même, le rapport des volumes est supérieur à celui des surfaces. Par
ailleurs, on démontre en physique que la quantité de chaleur que l’on doit
apporter par unité de temps, et exprimée en watts, pour maintenir constante la
température d’un corps est proportionnelle à sa surface. Cette loi physique
45
BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION
implique que l’énergie nécessaire par unité de volume pour maintenir la
température d’un corps au-dessus de la température ambiante est d’autant plus
faible que son volume (ou sa masse) est plus élevé.
Un exemple numérique permet de saisir les implications de cette loi
physique. Les rapports entre les surfaces, les volumes et les poids de deux cubes
remplis d’eau, l’un ayant une arête de 15 cm et l’autre une arête de 40 cm, sont
repris au tableau VIII. Si on postule dans cet exemple qu’une puissance de 14
watts est nécessaire pour maintenir constante la température du petit cube, la
puissance utilisée et exprimée par unité de surface sera de 103 watts/m². En raison
des lois déjà mentionnées, il faudra par unité de surface, la même quantité de
chaleur pour maintenir la température du gros cube. Cette quantité de chaleur
convertie pour le gros cube par unité de volume ou par kg de poids sera beaucoup
plus faible (1,56 watts/kg au lieu de 4,15 watts/kg).
Tableau VIII — Comparaison des dimensions de deux cubes ayant une arête de 15 cm (a)
et de 40 cm (A) respectivement et comparaison des quantités de chaleur
nécessaires pour maintenir la température constante en cas de pertes
identiques par unité de surface.
46
Dimensions
Arête (cm)
Surface (m²)
Volume (dm3)
a
A
A/a
15,00
0,14
3,38
40,00
0,96
64,00
2,67
7,11
18,96
14,00
103,70
4,15
99,56
103,70
1,56
7,11
1,00
0,38
289
86
2055
32
7,11
0,38
Consommation de chaleur
en watts
en watts/m²
en watts/kg
en kcal/24h
en kcal/kg/jour
Le watt mesure une puissance, l’énergie étant fournie par unité de temps,
indifféremment par une source de chaleur ou de travail. Le watt correspond à une
quantité d’énergie de 1 joule par seconde, mais peut être converti en kcal par
seconde, ou en kcal par 24 heures (les nutritionnistes utilisent en fait des
kilocalories, en abrégé kcal, souvent abusivement appelées calories). Par ailleurs,
1 kcal représente 4 186 J, et il y a 86 400 secondes (60 x 60 x 24) dans 24 heures.
L’exemple numérique a été choisi pour illustrer les quantités d’énergie nécessaires
au maintien de la température de deux cubes et simule assez bien les dépenses
d’entretien de l’enfant et de l’adulte. Cet exemple montre que les lois physiques
imposent, à degré d’isolation thermique identique, des niveaux de dépense
d’énergie beaucoup plus élevés chez l’enfant que chez l’adulte.
3-3
DÉPENSES ÉNERGÉTIQUES D’ENTRETIEN CHEZ L’ENFANT ET CHEZ L’ADULTE
3-3-2 Composition corporelle et dépense
énergétique
En raison de son faible rapport volume/surface, l’enfant doit pouvoir
disposer d’une isolation thermique supérieure à celle de l’adulte ou doit pouvoir
bénéficier d’une production de chaleur plus élevée. La morphologie de l’enfant est
plus ramassée, et il présente des formes arrondies, permettant certainement une
meilleure conservation de la chaleur. Notons que cette configuration
morphologique du jeune se retrouve dans toutes les espèces à sang chaud.
L’efficacité de cette adaptation est cependant limitée et en fait l’enfant dépense par
unité de poids plus d’énergie que l’adulte, simplement pour maintenir sa
température corporelle.
Il existe deux possibilités théoriques pour augmenter la production de
chaleur et permettre à l’enfant de maintenir sa température stable. On peut
concevoir une augmentation quantitative généralisée de la consommation
énergétique et de la production de chaleur au niveau de tous les organes. Une
augmentation des dépenses énergétiques peut également être obtenue suite à une
modification de la composition corporelle en faveur des organes consommant de
l’énergie et produisant de la chaleur. Le foie, le cœur, le rein et le cerveau, par
exemple, ont une activité métabolique (par kg de tissu) particulièrement élevée,
plusieurs fois supérieure au métabolisme de l’organisme entier [FAO/OMS/UNU,
1986] (Tableau IX). Une modification de la composition corporelle au profit de ces
Tableau IX — Estimation de la consommation en énergie de différents organes.
Organe
Consommation en énergie
(kcal/kg de tissu/jour)
Foie
Cerveau
Cœur
Rein
Muscle
301
241
381
645
11
organes entraîne automatiquement une augmentation de la consommation
énergétique globale. Il semble que ce soit ce second mécanisme qui permette à
l’enfant de maintenir constante sa température corporelle malgré un faible rapport
poids/surface : le cerveau, qui est un organe métaboliquement très actif, est proportionnellement beaucoup plus lourd chez l’enfant que chez l’adulte (Tableau X)
[HOLLIDAY, 1971; FAO/OMS/UNU, 1986]. La part du cerveau dans les dépenses
énergétiques de l’enfant est considérable et représente chez le nouveau-né près de
47
BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION
la moitié de la consommation énergétique totale. À l’opposé, le muscle, dont la
dépense énergétique est faible au repos, ne représente chez l’enfant qu’une faible
partie de son poids corporel à l’inverse de chez l’adulte. La consommation
musculaire en énergie s’élève à environ 11 kcal/kg/jour, alors qu’elle atteint 80 à
100 kcal/kg/jour pour l’organisme entier chez l’enfant.
Tableau X — Proportion du poids du corps correspondant aux différents
organes chez l’enfant et chez l’adulte.
Organe
Foie
Cerveau
Cœur
Rein
Muscle
48
Poids de l’organe
(% du poids de l’ensemble de l’organisme)
Enfant
Adulte
20
44
4
7
5
27
19
7
10
18
3-3-3 Implications de besoins énergétiques
d’entretien différents chez l’enfant
et chez l’adulte.
Les organes métaboliquement très actifs, proportionnellement plus lourds
chez l’enfant, assurent en outre des fonctions vitales et de ce fait, en cas d’apport
énergétique insuffisant, leur masse ne peut être réduite, ou seulement à peine. Par
contre, le muscle et la graisse qui représentent une réserve nutritionnelle pour le
métabolisme en cas de déficit d’apport énergétique ne représentent qu’une faible
proportion du corps de l’enfant. Ces spécificités expliquent la vulnérabilité des
enfants en cas de pénurie alimentaire. On comprend qu’en période de famine les
enfants soient particulièrement vulnérables et que leur état nutritionnel puisse se
dégrader rapidement, en quelques semaines à peine, alors que les adultes sont eux
beaucoup plus résistants.
3-4-1
BESOINS ÉNERGÉTIQUES D’ENTRETIEN
3-4 Besoins en énergie de l’enfant
en cas de malnutrition grave
3-4-1 Besoins énergétiques d’entretien
Les dépenses d’entretien sont difficiles à estimer par la méthode de l’eau
doublement marquée chez les enfants gravement dénutris parce que le
métabolisme hydrique est perturbé et leur composition corporelle anormale. En
situation de dénutrition, la mesure des apports énergétiques nécessaires pour
maintenir le poids corporel stable est une première méthode pour estimer les
besoins d’entretien. L’interprétation de ce résultat est malaisée en raison des
variations quotidiennes de poids consécutives aux échanges d’eau corporelle. En
l’absence de gain de poids, une évaluation plus précise des besoins d’entretien est
possible par estimation de la consommation d’oxygène au repos.
Les résultats obtenus varient d’une étude à l’autre. Curieusement, un grand
nombre d’entre elles indiquent que les dépenses énergétiques d’entretien sont
augmentées en cas de malnutrition grave [WATERLOW, 1992]. Ces résultats
contradictoires peuvent sans doute s’expliquer par l’influence de plusieurs facteurs
jouant à des degrés variables et en sens divers sur la consommation énergétique.
• Anomalies de la composition corporelle
En cas d’apport alimentaire insuffisant, l’enfant maigrit essentiellement aux
dépens du muscle et de la graisse. Les tissus musculaires, et encore plus adipeux,
consomment peu d’énergie relativement à leur masse. Le simple fait de leur
diminution suffit à relever la dépense énergétique corporelle par unité de poids
corporel. Certains organes, le cerveau en premier lieu, sont préservés même lors
d’un amaigrissement extrême. La malnutrition a donc pour conséquence
d’accentuer les spécificités de la composition corporelle caractéristique de
l’enfant. Un enfant dénutri a en quelque sorte une composition corporelle qui se
rapproche de celle d’un enfant plus jeune. Ces modifications de composition
corporelle permettent de comprendre l’augmentation paradoxale de la dépense
énergétique chez ces enfants (quand elle est exprimée par kg de poids corporel).
Certaines caractéristiques cliniques de l’enfant dénutri, comme la tendance à
l’hypoglycémie, la nécessité de consommer des repas fréquents, la tendance à
présenter des épisodes d’hypothermie, se rapprochent de celles du nourrisson. Ces
manifestations peuvent s’expliquer par un déséquilibre relatif entre la masse des
organes consommateurs (cerveau principalement) et les organes pouvant servir de
réserve d’énergie en cas de jeûne (muscle, graisse).
49
BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION
Le pourcentage d’eau corporelle totale augmente chez le sujet dénutri.
Cette modification de la composition corporelle contribue, au contraire des pertes
tissulaires (muscle, graisse), à réduire la dépense énergétique d’entretien
lorsqu’elle est exprimée par unité de poids corporel. En effet, si la masse
métaboliquement active est noyée dans une masse corporelle totale augmentée
par une eau excédentaire, l’énergie consommée rapportée au poids du corps sera
artificiellement abaissée.
• Adaptation à des apports énergétiques abaissés
50
L’enfant gravement dénutri s’est progressivement adapté à maintenir ses
fonctions vitales avec des apports énergétiques bas. Ces fonctions tournent au
ralenti. La pompe sodium-potassium n’assure plus les échanges à vitesse normale,
ce qui explique en partie les anomalies hydro-électriques observées au cours de la
malnutrition [WILLIS, GOLDEN, 1988]. Cette pompe a pour rôle d’extraire le sodium
présent dans les cellules et d’y faire rentrer le potassium. Elle fonctionne en
permanence pour rétablir un équilibre instable qui vise à maintenir élevée la
concentration de potassium intracellulaire et basse la concentration de sodium
extra-cellulaire. Spontanément, ces taux ont tendance à revenir à des valeurs
inverses, proches des concentrations mesurées dans le sérum. Cette tendance
naturelle est due au passage d’ions au travers des membranes cellulaires qui ne
sont pas parfaitement étanches. Elle doit être compensée continuellement. Le
fonctionnement de cette pompe représente en temps normal environ un tiers des
dépenses énergétiques d’entretien. Un fonctionnement ralenti permet
d’économiser une quantité importante d’énergie. Il faut cependant savoir que
l’activité de la pompe sodium-potassium augmente chez les enfants atteints de
kwashiorkor, sans doute pour faire face à une perméabilité excessive des
membranes cellulaires [WILLIS, GOLDEN, 1988]. Une réduction des dépenses
énergétiques ne peut donc pas se faire de cette façon au cours du kwashiorkor.
La vitesse de renouvellement des protéines est corrélée aux apports
énergétiques [GOLDEN et al., 1977]. Il est vraisemblable que la vitesse de
renouvellement des protéines soit réduite au cours de la malnutrition grave. Cette
activité métabolique compte, en conditions normales, aussi pour un tiers environ
des dépenses énergétiques et sa réduction permet des économies substantielles
d’énergie.
• Valeur des besoins en énergie pour l’entretien
La quantité d’énergie nécessaire à assurer les besoins pour l’entretien en
début d’une prise en charge nutritionnelle est tributaire de l’importance respective
des modifications de la composition corporelle et de l’adaptation métabolique. En
pratique, on retiendra qu’elle varie selon les individus et que la quantité d’énergie
3-4-2
BESOINS ÉNERGÉTIQUES POUR LA CROISSANCE
nécessaire pour maintenir le statu quo chez l’enfant dénutri est comprise entre 80
et 100 kcal/kg/jour [SPADY et al., 1976]. C’est l’apport qui sera proposé dans le
régime diététique lors de la mise en route d’une thérapeutique nutritionnelle.
3-4-2 Besoins énergétiques pour la croissance
Gain de poids (g/kg/jour)
Les besoins énergétiques nécessaires à la croissance sont difficiles à
déterminer chez l’enfant en bonne santé parce qu’au-delà de quelques mois de
vie, le gain de poids, exprimé en g/kg/jour, est faible. La vitesse de croissance,
exprimée en g/kg/jour ne cesse en fait de décliner dès les premières semaines de
la vie. Cette constatation devient évidente quand on porte sur un graphique les
augmentations de poids correspondant aux normes NCHS (Figure 11) [HAMILL et
al., 1979]. Le gain de poids quotidien d’un enfant âgé d’un an est voisin de
1 g/kg/jour, environ 10 fois plus faible que celui d’un nouveau-né. Le pic de
croissance de l’adolescence est à peine perceptible sur les courbes de croissance
exprimées en g/kg/jour et représentées à la même échelle que la croissance
néonatale. Les enfants dénutris en phase de réhabilitation nutritionnelle rapide ont
les premiers servi pour tenter d’estimer ces besoins liés à la croissance [SPADY et
al., 1976].
0,1
0,5
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
Âge (années)
Figure 11 — Vitesse de croissance normale chez l’enfant de la naissance à l’âge de 18 ans,
exprimée en g/kg/jour. Courbe calculée à partir des normes NCHS.
51
BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION
Le coût énergétique de la croissance dépend à la fois de la valeur
énergétique intrinsèque du tissu synthétisé et du rendement énergétique du
processus métabolique permettant cette synthèse. Ces deux composantes
dépendent de la nature du tissu synthétisé [ASHWORTH, MILLWARD, 1986]. La
valeur énergétique de 1 g de masse grasse équivaut à 9,3 kcal. On estime que le
rendement de la synthèse de tissu adipeux est proche de 90 % mais il varie en fait
selon que cette synthèse s’effectue à partir des graisses alimentaires ou de novo à
partir des glucides du régime. En première approximation cependant, on peut
admettre que la synthèse de 1 g de tissu adipeux nécessite un apport de
10,2 kcal.
52
L’équivalent énergétique de 1 g de protéines est de 4 kcal. La synthèse de
protéines s’effectue avec un rendement énergétique de l’ordre de 50 %
[ASHWORTH, MILLWARD, 1986; ROBERTS, YOUNG, 1988]. Le coût énergétique élevé de
la synthèse protéique s’explique essentiellement par la dépense exigée pour la
synthèse d’ARN messager et pour la formation des liens entre acides aminés
(liaisons peptidiques). Ce rendement énergétique faible tient aussi au fait que le
renouvellement protéique est plusieurs fois supérieur à la synthèse protéique
proprement dite. Le renouvellement continu des protéines tissulaires (sans
augmentation du capital protéique) est un processus métabolique intense
[WATERLOW, 1991].
Les tissus maigres sont composés pour une grande proportion d’eau. Pour
cette raison, le tissu maigre ne contient que 20 % environ de protéines. Sa valeur
énergétique intrinsèque est donc seulement de 4 kcal/g x 20 %, soit 0,8 kcal/g.
Comme le rendement de la synthèse de tissu maigre est de 50 %, le coût
énergétique total de la formation de tissu maigre est de 1,6 kcal/g.
Si m est la proportion de tissu maigre synthétisé (et donc 1 - m la proportion
de tissu adipeux synthétisé), le besoin énergétique (BE) nécessaire à la synthèse
d’un gramme (1 g) de tissu neuf équivaut à :
BE/g = 1,6 kcal x m + 10,2 kcal x (1 - m).
Le coût énergétique de la synthèse tissulaire augmente avec la proportion
de tissu adipeux. Au contraire, ce coût est d’autant plus faible que la quantité de
tissu maigre est importante (Figure 12). Dans le cas théorique où le tissu synthétisé
serait composé uniquement de tissu maigre, le coût de la synthèse de 1 g de tissu
serait de 1,6 kcal, alors qu’il s’élèverait à 10,2 kcal/g en cas de synthèse exclusive
de graisse.
La quantité d’énergie nécessaire à la croissance est précisée au tableau XI
en fonction du gain de poids. Chez l’enfant en bonne santé, au-delà de l’âge de
un an, le gain de poids n’atteint plus même 1g/kg/jour. L’énergie nécessaire à la
croissance est donc faible, proche de 5 % des besoins de maintenance. Cette
proportion baisse constamment de la naissance à la puberté.
3-4-2
BESOINS ÉNERGÉTIQUES POUR LA CROISSANCE
Coût énergétique (kcal) de la synthèse de 1 g de tissu
Coût énergétique (kcal) pour 1 g de tissu
12
Coût
total
Coût
total
10
8
Coût
desynthèse
la synthèse
Coût
de la
de la
masse
de lamaigre
masse maigre
6
Coût
desynthèse
la synthèse
Coût
de la
de la
masse
de lagrasse
masse grasse
4
2
0
0,00
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
Pourcentage
de tissu
maigre synthétisé
(%) (%)
Pourcentage
de tissu
maigre
synthétisé
Figure 12 — Coût énergétique du gain de poids en fonction de la composition du tissu
synthétisé.
Chez l’enfant amaigri en période de récupération nutritionnelle, le gain de
poids est considérablement plus élevé que chez l’enfant bien nourri. Quel que soit
l’âge, le gain de poids peut atteindre 15 à 20 g/kg/jour. Les besoins en énergie
nécessaires à la synthèse des tissus (croissance) deviennent considérables. Ils
peuvent dans certains cas dépasser la dépense énergétique d’entretien.
Tableau XI — Besoins en énergie pour la synthèse de nouveaux tissus en fonction du gain
de poids.
Gain de poids
Gp
(g/kg/jour)
Besoins en énergie pour la croissance
Ec = Gp x BE/g
(kcal/kg/jour)
0
1
2
5
10
15
20
0
6
12
29
59
88
118
BE/g = coût énergétique de la synthèse d’un gramme de tissu.
Dans cet exemple, il a été supposé que la proportion de tissu
maigre m = 50 %, et que le besoin énergétique BE /g = 5,9 kcal/g.
53
BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION
3-4-3 Besoins totaux en énergie
Les besoins totaux en énergie représentent le total des besoins d’entretien et
des besoins pour la croissance. Le tableau XII explicite les besoins en énergie d’un
enfant en fonction de son gain de poids. La figure 13 illustre graphiquement cette
relation pour différentes proportions de tissu maigre synthétisé.
Tableau XII — Besoins en énergie d’un enfant malnutri en fonction de son gain de poids.
54
Gain de poids
Gp
(g/kg/jour)
Total des besoins en énergie
Et = Em + Ec
(kcal/kg/jour)
0
1
2
5
10
15
20
90
96
102
119
149
179
208
Em = énergie de maintenance.
Ec = énergie pour la croissance.
Dans cet exemple, il a été supposé que Em = 90 kcal/kg/jour et
BE/g = 5,9 kcal/g (correspondant à l’exemple du tableau XI).
Les besoins en énergie d’un enfant gravement dénutri pendant la phase de
convalescence peuvent s’élever à plus de 200 kcal/kg/jour. Pour comparaison, une
personne de 70 kg consomme d’ordinaire 2500 kcal/jour, soit 35 kcal/kg/jour. Un
enfant dénutri peut donc consommer en phase de récupération jusqu’à 6 fois plus
d’énergie par kg de poids corporel qu’un adulte. En pratique, il est difficile de faire
prendre aux enfants des quantités d’aliments qui permettent d’atteindre ces
niveaux d’énergie. Il faut avoir recours à des alimentations à très forte densité
énergétique, c’est-à-dire enrichies en huile végétale et en sucre.
Le tableau XII montre que des petites différences d’apports énergétiques
peuvent avoir un effet important sur le gain de poids. Par exemple, une
augmentation des apports énergétiques de 90 à 208 kcal, soit une augmentation
des apports de 120 %, permet un gain de poids 20 fois supérieur. Ce modèle
permet de comprendre que le gain de poids lors de la phase de récupération
nutritionnelle est extrêmement dépendant de l’apport énergétique.
3-4-4
ESTIMATION DE LA COMPOSITION DES TISSUS SYNTHÉTISÉS
250
Besoins en énergie (kcal/kg/jour)
66%
masse maigre synthétisée
50%
200
33%
150
100
50
0
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
Gain de poids (g/kg/jour)
Figure 13 — Besoins en énergie en fonction du gain de poids et de la nature du tissu
synthétisé.
3-4-4 Estimation de la composition
des tissus synthétisés
Pour estimer la nature du gain de poids, on peut utiliser la relation qui lie
la composition du tissu synthétisé au coût énergétique de la croissance. Il faut dans
un premier temps calculer le coût énergétique du gain de poids (BE/gobs) en
divisant la différence entre les apports énergétiques et les besoins d’entretien par
le gain de poids observé :
BE/gobs (kcal/g) =
Apports en énergie (kcal) - besoins d’entretien (kcal)
.
gain de poids (g)
Les besoins d’entretien sont estimés en multipliant le poids corporel par 90 kcal,
ce qui correspond en première approximation à la valeur pour les dépenses
d’entretien (90 kcal/kg/jour) (§ 3-4-1).
En inversant l’équation liant le coût énergétique de la croissance et la nature
du tissu synthétisé (§ 3-4-2), la proportion de masse maigre m dans les tissus
nouvellement synthétisés est donnée par la formule :
m (%) =
10,2 - BE/gobs
(10,2 - 1,6)
.
55
BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION
Cette méthode est la première historiquement à avoir permis d’estimer la nature
du tissu synthétisé [SPADY et al., 1976]. Elle présente l’avantage de faire appel à de
simples données d’observation. Bien que les calculs fassent intervenir des
variables difficiles à connaître avec précision, la différence entre le coût
énergétique de la synthèse de tissu adipeux et de tissu maigre est telle que la
nature du tissu synthétisé peut être estimée de cette façon. Des méthodes plus
complexes, faisant appel à des mesures de dilution isotopique, ont été utilisées
ultérieurement. Elles donnent des résultats assez semblables et montrent
qu’environ 50% du gain de poids est constitué de tissu maigre, tout au moins pour
les enfants recevant un régime apportant en quantité suffisante les protéines et les
minéraux nécessaires à la croissance de tissu maigre [FJELD et al., 1989].
3-4-5 Qualité du régime et coût énergétique
de la croissance
56
Le coût énergétique de la croissance permet également de vérifier
indirectement la valeur nutritionnelle d’un régime. En première approximation, on
peut considérer que la synthèse de tissu adipeux ne nécessite que de l’énergie,
alors que celle du tissu maigre nécessite un apport équilibré de tous les nutriments
essentiels, notamment des nutriments de type II (§ 6-2-2). Un enfant en cours de
renutrition qui recevrait un régime déséquilibré (composé de nutriment(s)
limitant(s)) synthétisera préférentiellement de la graisse, et le coût énergétique de
cette croissance sera d’autant plus élevé [GOLDEN, GOLDEN, 1992].
Ces considérations permettent de comprendre que le coût énergétique du
gain de poids est variable selon les études, oscillant de 5,5 à 9,7 kcal par gramme
[SPADY et al., 1976; GRAHAM et al., 1996]. L’étude donnant l’estimation la plus
élevée du coût énergétique de la croissance [GRAHAM et al., 1996] a été menée
chez des enfants recevant des régimes apportant seulement 4,7 à 8 % de l’énergie
sous forme de protéines. Ces enfants ne recevaient pas de supplémentation en
minéraux adaptée à une croissance de rattrapage rapide, et leurs déficits
pondéraux étaient faibles au départ, ce qui influence la nature de la synthèse
tissulaire. Il est difficile de déterminer la part relative de ces différents facteurs pour
expliquer le coût énergétique élevé du gain de poids estimé dans cette étude.
Obtenir un gain de poids élevé, de l’ordre de 15 g/kg/jour en moyenne,
pendant une phase de convalescence nutritionnelle traduit vraisemblablement une
synthèse préférentielle de masse maigre. Une prise de poids de cet ordre sous forme
de masse grasse ne serait possible qu’avec des apports énergétiques très élevés,
difficiles à ingérer en pratique. Des gains de poids de ce type sont couramment
observés dans les situations d’urgence, lorsque des enfants amyotrophiques admis
dans les centres de renutrition sont réalimentés avec des régimes riches en énergie,
3-5-1
MALNUTRITION GRAVE
équilibrés en protéines et fortement supplémentés en minéraux. Si le gain de poids
reste faible, c’est le plus souvent parce que les apports énergétiques sont insuffisants
ou parce que les aliments non lactés proposés entre les repas sont inadaptés pour
la renutrition, c’est-à-dire que leur teneur en lipides est trop faible ou que leur
supplémentation en minéraux est insuffisante.
3-5 Couverture des besoins en énergie
chez l’enfant dénutri
3-5-1 Malnutrition grave
Dans une ration, la proportion de macronutriments (glucides, lipides,
protéines) qui n’est pas utilisée pour la synthèse de nouveaux tissus est oxydée.
Dans le cas des protéines, l’oxydation aboutit à la formation d’ammoniaque
devant être éliminée par le rein. Cette élimination se fait pour une faible part de
façon directe dans les urines, mais également, et dans une proportion plus
importante, sous forme d’urée après que cette ammoniaque ait été utilisée pour
l’uréogenèse au niveau du foie. Chez l’enfant gravement dénutri, les fonctions
hépatiques et rénales fonctionnent au ralenti et afin de ne pas les surcharger, la
prudence recommande d’apporter uniquement les quantités de protéines
nécessaires pour assurer la croissance et de ne pas les utiliser comme source
d’énergie. Les glucides et les lipides représentent idéalement les seules sources
d’énergie à utiliser au cours de la renutrition.
En début de traitement, quand l’enfant maintient un poids stable, ses
besoins en énergie sont relativement faibles mais peuvent être difficiles à couvrir.
À ce stade, l’enfant souffre d’insuffisance pancréatique qui limite l’utilisation de
lipides. Par ailleurs, tout comme les jeunes enfants, les enfant dénutris tolèrent mal
les repas hyperosmolaires (7-3-2). Cette intolérance limite la possibilité d’emploi
de préparations alimentaires fortement sucrées. En principe, l’approche la plus
logique est de couvrir les besoins en énergie avec de faibles quantités de graisses
et des polymères de glucose. Ces polymères peuvent être apportés par des farines
de céréales (riz par exemple), ou par des dextrines-maltose. Ces derniers n’existent
pas sous forme naturelle, et il faut donc recourir à des aliments d’origine
industrielle. De faibles quantités de saccharose sont néanmoins souvent utiles
pour améliorer le goût et l’acceptabilité des repas.
Pendant la phase ultérieure de renutrition rapide, les contraintes sont moins
sévères, et l’enfant tolère des repas nettement hyperosmolaires. Par ailleurs à ce
stade, la tolérance digestive aux lipides ne pose plus de problèmes cliniques,
57
BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION
même si l’efficacité de l’absorption est diminuée. Les enfants sont donc
réalimentés avec des mélanges enrichis en huile et en sucre.
Les repas proposés pendant la phase de récupération rapide doivent avoir
une densité énergétique importante. Il semble difficile d’obtenir des gains de poids
élevés avec des repas apportant moins de 100 kcal/100 ml. Notons que le lait de
vache, le lait de femme et les préparations lactées pour nourrissons de fabrication
industrielle n’apportent, aux dilutions habituelles, que 65 kcal/100 ml. Leur
densité énergétique ne permet donc pas d’induire une croissance de rattrapage
optimale. Rappelons que l’enfant en convalescence de malnutrition grossit plus
vite que le nouveau-né (jusqu’à 20 g/kg/jour contre 8 à 10 g/kg/jour en moyenne).
Il n’est donc pas surprenant de constater que les formules lactées ordinaires ne
sont pas adaptées à la récupération nutritionnelle.
58
Il a parfois été proposé d’utiliser des produits de réalimentation de densité
énergétique supérieure à 100 kcal/100 ml. L’avantage de ces préparations n’est
pas démontré. Il n’a jamais été prouvé qu’elles permettaient réellement d’atteindre
un gain de poids supérieur aux produits contenant 100 kcal/100 ml. Par ailleurs,
ces préparations ne sont pas totalement dénuées de risques car elles ont une
osmolarité élevée [KOO et al., 1990]. Enfin, un jeune enfant nourri avec une
préparation trop concentrée en énergie (>135 kcal/100 ml) risque d’être
insuffisamment hydraté, ce qui peut provoquer l’apparition d’une fièvre.
3-5-2 Malnutrition modérée
L’apport énergétique de l’enfant modérément dénutri doit aussi reposer sur
les glucides et les lipides. Il est recommandé à ce stade-ci également de ne pas
utiliser les protéines comme source d’énergie et de ne donner à l’enfant que les
quantités nécessaires à sa croissance (§ 4-5). Les protéines constituent par ailleurs
une source coûteuse d’énergie.
• Apport de glucides
Sucre (saccharose)
Pour des raisons de coût, l’emploi du sucre est limité dans les régimes
destinés aux enfants modérément dénutris. Indépendamment de ces raisons, le
sucre n’apporte que de l’énergie et aucune vitamine ni aucun sel minéral, et de
grandes quantités ne sont donc guère conseillées du point de vue nutritionnel. On
constate cependant qu’une ration qui contient 8 à 10 % de son énergie sous forme
de sucre est plus facilement acceptée. Il semble donc légitime d’ajouter un peu de
sucre dans ces aliments. Il est recommandé cependant de limiter cet apport de
sucre au minimum.
3-5-2
MALNUTRITION MODÉRÉE
Farines de céréales
Les farines de céréales sont généralement choisies pour couvrir la plus
grande partie de la ration énergétique dans les régimes destinés aux enfants
modérément dénutris. Elles sont une source d’énergie parmi les moins coûteuses.
Leur emploi dans les bouillies se heurte cependant à des restrictions parce qu’à
concentrations élevées elles augmentent très fortement la viscosité des
préparations. Il a été proposé de contourner cette difficulté en les fluidifiant avec
de l’amylase [GOPALDAS et al., 1988]. Cette technique a connu une certaine vogue
à l’époque où les déficits en énergie étaient considérés comme cause principale
de dénutrition. Avec certaines formes d’amylase, les bouillies produites risquent
d’être hyperosmolaires si la technique n’est pas bien maîtrisée. Ajouter de
l’amylase à une bouillie semble faciliter la digestion de l’amidon, particulièrement
chez le jeune enfant dont la fonction pancréatique est immature ou chez l’enfant
modérément dénutri [WEAVER et al., 1995]; cette addition ne semble pas influencer
vraiment le gain de poids [STEPHENSON et al., 1994]. Un problème de viscosité
excessive ne se pose que pour les bouillies sans lipides ajoutés, très concentrées
en farine en vue d’accroître la densité énergétique. Si on augmente la densité
énergétique en ajoutant des lipides, ce problème semble moins préoccupant.
Les farines précuites par cuisson-extrusion sont très utilisées dans l’aide
alimentaire [HARPER, JANSSEN, 1985]. Cette technique consiste à faire cuire les
farines en les comprimant violemment au moyen d’une vis les projetant dans une
filière étroite. Cette technique de pré-cuisson augmente la digestibilité de l’amidon
et la conservation des farines : celles-ci contiennent en effet toujours un peu de
graisses qui s’oxydent et prennent un goût désagréable au bout de quelques
semaines si les lipases présentes dans la graine ne sont pas détruites par la chaleur.
Les farines préparées par cuisson-extrusion ne sont pas “instantanées” et
doivent être cuites avant l’emploi pendant une dizaine de minutes. Cette cuisson
a l’avantage de réduire les risques de pullulation microbienne en cas de
contamination bactérienne. Cette technique a connu un développement brusque
suite aux opérations humanitaires menées dans la corne de l’Afrique au début des
années 90. Dans de nombreuses capitales africaines, on a vu se monter des usines
fabriquant ces aliments. Les bénéfices apportés par la distribution des aliments
précuits dans les programmes de prise en charge des cas de malnutrition modérée
ne sont cependant pas établis. On observe fréquemment que les gains de poids
lorsque les enfants dénutris reçoivent ces aliments sont faibles. La cause de ce
résultat médiocre n’est pas connue.
La digestibilité des aliments préparés par cuisson-extrusion est en principe
excellente. Elle peut être néanmoins faible si la montée en température lors de la
cuisson est insuffisante en raison d’un réglage imparfait de l’extrudeur. Il est par
essence difficile d’évaluer la digestibilité de ces produits. Les techniques de
59
BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION
mesure in vitro de digestibilité de ces aliments sont complexes et ne sont
maîtrisées que par quelques laboratoires spécialisés [ENGLYST et al., 1992]. On sait
à présent que les méthodes simples de mesure de digestibilité in vitro ne sont pas
toujours prédictives de la digestibilité in vivo [DESJEUX, 1996]. Les méthodes faisant
appel à la mesure de l’élimination du carbone 13 dans l’air expiré donnent les
mesures de digestibilité les plus fiables. Il en est de même pour les études de
perfusions avec récolte d’échantillons dans l’iléon, menées chez des volontaires
sains [DESJEux, 1996]. Aucune de ces méthodes n’est d’usage courant.
60
Une digestion incomplète de ces farines n’a vraisemblablement pas de
conséquence clinique perceptible : les glucides non digérés dans l’intestin grêle
sont fermentés dans le colon. Cette récupération d’énergie par la flore colique peut
avoir un effet favorable sur la réabsorption d’électrolytes [DESJEUX, 1996]. Le
rendement énergétique des glucides non digérés et fermentés est cependant faible
[ENGLYST et al., 1992]. La fermentation colique produit des acides gras à chaîne
courte qui sont absorbés puis métabolisés par l’organisme. Le rendement global est
inférieur de moitié à celui obtenu quand les glucides sont normalement digérés
dans l’intestin grêle. Ces produits de dégradation pourraient également avoir un
effet sur la satiété, retardant le retour de l’appétit après les repas [TURCONI et al.,
1995].
La granulométrie des farines précuites est très variable. On sait qu’en règle
générale, les farines les plus fines sont plus rapidement digérées mais rassasient
moins que les farines grossièrement moulues [HOLT, MILLER, 1994]. Cependant, on
ne connaît pas l’importance de ce facteur sur la prise alimentaire et le gain de
poids des enfants en phase de récupération nutritionnelle.
Les questions que l’on se pose à propos de ces farines méritent l’attention.
Il est certain que la pré-cuisson impose un surcoût qu’il serait inopportun de faire
supporter à des programmes déjà limités par des contraintes importantes si il ne
présente aucun avantage nutritionnel. La cuisson des farines par ébullition suivie
d’une consommation immédiate permet une bonne digestion des céréales et il
n’est peut être pas nécessaire de la remplacer par un procédé industriel coûteux.
• Apport de lipides
De 30 à 50 % de la ration énergétique totale devraient être fournis sous
forme lipidique lors de la prise en charge diététique de la malnutrition modérée.
La plupart des comités de nutrition pédiatrique recommandent pour les enfants des
apports de cet ordre dans une ration normale. Récemment, les instances scientifiques de plusieurs pays riches se sont inquiétées de ce que des parents
appliquaient ordinairement à leurs enfants des régimes alimentaires à faible teneur
en graisses, à l’image de ce qui est recommandé chez l’adulte pour prévenir les
maladies cardio-vasculaires. Les Comités de Nutrition insistent sur l’importance de
3-5-2
MALNUTRITION MODÉRÉE
donner à l’enfant des quantités suffisantes de graisses [American Academy of
Pediatrics, 1986; EPSGAN, 1994]. L’enfant semble particulièrement attiré par les
aliments gras, peut-être parce que les substances qui donnent du goût aux aliments
sont liposolubles [BIRCH, 1992]. L’anorexie qui accompagne la malnutrition peut
être combattue en jouant sur cette attirance pour les aliments gras en vue de
faciliter la réalimentation. Chez le rat, la préférence innée pour les lipides se
trouve encore accentuée en cas de malnutrition [SCLAFANI, ACKROFF, 1993]. Il est
vraisemblable que la malnutrition induise, chez l’enfant également, une
modification d’appétence similaire.
Les régimes pauvres en lipides sont fréquemment associés à la survenue de
diarrhées [DODGE, 1994]. Ces diarrhées ne sont pas dues à la présence de germes
spécifiques et régressent en quelques jours après enrichissement de la ration en
lipides. Certains expliquent cette diarrhée par un excès relatif mais aussi absolu de
glucides dans la ration.
Une quantité minimale de lipides est nécessaire pour couvrir les besoins en
acides gras essentiels chez l’enfant dénutri. Il semble imprudent d’apporter moins
de 30 % de l’énergie totale sous forme de lipides. En effet ces enfants, en raison
de leur vitesse de croissance accélérée, ont des besoins en énergie et en acides
gras essentiels plus élevés que les enfants bien nourris. On constate
malheureusement que de nombreux programmes de supplémentation
nutritionnelle fournissent des denrées alimentaires très pauvres en lipides. Les
régimes pauvres en lipides sont en théorie uniquement recommandés aux
personnes cherchant à perdre du poids.
Enrichir la ration en lipides est difficile et pour des raisons de coût et pour
des raisons d’ordre technologique. On peut ajouter manuellement de l’huile
végétale à de la farine, mais cette opération accroît fortement la surface de contact
entre l’huile et l’air ambiant, ce qui favorise le rancissement. Les farines mélangées
à des lipides selon ce procédé ne se conservent qu’une à deux semaines, en
fonction de la température. On peut procéder autrement et, à une échelle
industrielle, incorporer des lipides protégés dans une enveloppe glucidique ou
protéique. Le coût de cette technique est élevé. On peut encore conditionner les
farines mélangées aux lipides dans des emballages étanches contenant un gaz
neutre (gaz carbonique ou azote). Là également on se heurte à un problème de
coût. La distribution d’huile liquide incorporée à domicile dans la bouillie par la
mère reste certainement la solution la plus économique. Elle nécessite de faire des
démonstrations lors de chaque distribution si l’on veut que les proportions
optimales d’huile et de farine soient respectées.
61
BESOINS EN ÉNERGIE ET RENUTRITION
3-5-3 Densité énergétique des bouillies destinées
à la réalimentation
On recommande généralement que la densité énergétique de la bouillie
reconstituée soit voisine de 100 kcal/100 ml. Ces produits permettent d’obtenir des
gains de poids très élevés, supérieurs à ceux visés dans les programmes de prise
en charge des formes modérées de dénutrition. Le lait maternel, avec une densité
de 65 kcal/100 ml permet un gain de poids de 8 g/kg/jour, également supérieur au
but visé. En fait, la densité énergétique minimale à respecter est en relation étroite
avec la fréquence des repas [BROWN et al., 1995] : des repas de densité
énergétique relativement faible permettent de couvrir les besoins énergétiques si le
nombre de repas est élevé. Le lait de femme permet une croissance rapide malgré
une densité énergétique faible, sans doute parce qu’il est donné sous forme de
repas répétés et fréquents.
3-5-4 Aliments solides
62
C’est presque une tradition ancrée de donner aux enfants
modérément dénutris les aliments sous forme de bouillies. Les biscuits riches en
énergie présentent cependant certains avantages. Ils sont fréquemment utilisés dans
les situations d’urgence. Leur teneur en eau est faible et ils sont donc résistants à la
contamination bactérienne : en effet, les bactéries ne se développent pas en dessous
d’une teneur hydrique minimale. Les biscuits ne demandent pas de préparation
avant leur consommation : ils peuvent être grignotés toute la journée, ce qui
constitue un avantage certain quand on cherche à fournir des apports énergétiques
élevés. Ils ont l’inconvénient d’être coûteux. On ne sait pas dans quelle mesure les
enfants consomment des quantités équivalentes de farines lorsque celles-ci sont
préparées sous forme de biscuit ou sous forme de bouillie. Enfin, le risque est réel
de les voir revendus ou échangés plutôt que donnés à un enfant peu malade.
L’intérêt des biscuits par rapport aux bouillies demande à être évalué.
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4 – Besoins en protéines
et renutrition
4-1 Introduction
Comme tous les mammifères, l’enfant est incapable de fixer l’azote de l’air
pour synthétiser les protéines nécessaires à couvrir ses besoins. L’essentiel de
l’azote doit lui être fourni sous forme d’acides aminés provenant de la
dégradation des protéines endogènes ou alimentaires. Les besoins en protéines
s’expliquent par cette incapacité de fixer directement l’azote présent dans
l’environnement.
Certains acides aminés peuvent être synthétisés par fixation d’un
groupement aminé sur un squelette carboné présent dans l’organisme. Pour
d’autres acides aminés cependant, la synthèse de ce squelette carboné n’est pas
possible. Ces acides aminés sont dits essentiels et doivent être apportés par
l’alimentation. C’est pourquoi on définit, en plus des besoins en protéines, des
besoins en acides aminés essentiels.
Les besoins quotidiens en protéines [FAO/OMS/UNU, 1986; DEWEY et al.,
1996] sont souvent exprimés en quantité d’azote par jour parce que les bilans
journaliers de protéines sont calculés d’après le dosage de l’azote, et non pas des
protéines elles-mêmes. Pour convertir le besoin azoté en besoin protéique, on
utilise un coefficient établi sur la constatation globale que 1 g d’azote correspond
à 6,25 g de protéines. L’estimation de ce coefficient est basée sur la quantité
moyenne d’azote présente par gramme de protéine. Cette quantité varie
cependant d’une protéine à l’autre et le coefficient moyen utilisé est une
approximation. Certains aliments contiennent de l’azote qui n’est pas présent
sous forme de protéines : c’est par exemple le cas du lait de femme qui contient
jusqu’à un quart de son azote total sous forme d’urée. Une partie de cet azote non
protéique peut être convertie en acides aminés indispensables par la flore
intestinale, selon un mécanisme qui n’est pas sans analogie avec celui observé
chez les ruminants [PICOU, PHILIPS, 1972]. L’importance de cette voie métabolique
colique est cependant mal quantifiée.
65
BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION
4-2 Besoins pour la croissance
et besoins d’entretien
Une partie des acides aminés provenant de la dégradation des protéines
alimentaires est utilisée pour la synthèse de protéines endogènes qui participent à
la croissance tissulaire. Cette quantité de protéines correspond aux besoins pour
la croissance. Au cours de son métabolisme, l’organisme oxyde aussi, et de façon
irréversible, un certain nombre d’acides aminés. L’essentiel de l’azote ainsi libéré
est ensuite éliminé sous forme d’urée et d’ammoniaque dans l’urine. Ces pertes
azotées métaboliques et l’ensemble des déperditions d’azote qui se produisent au
niveau du tube digestif, de la peau et des phanères, sont dites pertes obligatoires :
elles doivent être quotidiennement remplacées. Les besoins ainsi créés sont
appelés besoins d’entretien.
66
L’enfant dénutri maintient un poids stationnaire en début de traitement aussi
longtemps que les problèmes médicaux dont il souffre ne sont pas pris en charge.
Ses besoins en protéines sont alors proches des besoins d’entretien d’un enfant
bien nourri de même poids. Pendant la phase de récupération nutritionnelle
rapide, l’enfant reprend un rythme de croissance de 10 à 20 fois supérieur à celui
d’un enfant sain de même âge. Les besoins de croissance sont alors augmentés
d’autant. La séparation des besoins protéiques de l’enfant sain en besoins
d’entretien d’une part et besoins de croissance d’autre part permet de mieux
définir quels sont les besoins de l’enfant dénutri aux différents stades de sa
convalescence. Ces deux composantes ont été particulièrement bien étudiées
chez l’enfant de plus de six mois.
4-3 Besoins en protéines de l’enfant
sain âgé de plus de 6 mois
Le comité FAO/OMS de 1985 a utilisé la méthode dite “factorielle” pour
estimer les besoins protéiques de l’enfant de plus de 6 mois [FAO/OMS/UNU,
1986]. Cette méthode consiste à estimer séparément d’une part, les besoins
d’entretien, nécessaires pour compenser les pertes obligatoires d’azote, et d’autre
part, les besoins nécessaires pour assurer la croissance.
4-3-2
BESOINS POUR LA CROISSANCE
4-3-1 Besoins d’entretien
Les besoins d’entretien en protéines sont difficiles à estimer chez l’enfant.
La méthode la plus fiable consiste à mesurer la quantité minimale de protéines
nécessaire pour équilibrer le bilan azoté d’un enfant dont le poids est
volontairement maintenu à un niveau stationnaire [CHAN, WATERLOW, 1966;
HUANG et al., 1980]. Ce mode d’étude soulève des problèmes éthiques et ne peut
pas être répété. Le rapport FAO/OMS/UNU [1986] se base sur les données établies
sur quelques dizaines d’enfants à peine pour estimer les besoins de la tranche
d’âge comprise entre 6 et 59 mois. Selon ce comité, les besoins d’entretien sont
compris entre 80 et 118 mg d’azote par kg et par jour. Le chiffre de 120 mg a été
retenu pour formuler une recommandation. Rappelons que lors des bilans azotés,
on ne mesure pas les pertes protéiques mais qu’elles sont calculées (au moyen
d’un coefficient de conversion) d’après l’estimation des pertes d’azote excrété
essentiellement sous forme d’urée et d’ammoniaque. La valeur retenue par le
comité (120 mg d’azote/kg/jour) correspond donc à environ 0,75 g/kg/jour de
protéines. Un chiffre plus élevé, compris entre 0,88 g/kg/jour et 0,95 g/kg/jour, a
récemment été proposé pour la tranche d’âge allant de 4 à 12 mois sur la base
d’une extrapolation des pertes observées chez l’enfant exclusivement allaité
[FOMON et al., 1991]. Le comité de l’IDECG (International Dietary Energy
Consultative Group), qui s’est réuni en 1994, a repris les données d’une autre série
d’études, et propose un besoin d’entretien équivalent à 90 mg d’azote/kg/jour
[Dewey et al., 1996], soit 0,56 g/kg/jour de protéines. D’une façon générale, on
admet que les besoins en protéines, ramenés au kg de poids corporel, sont
relativement constants chez l’enfant et que les valeurs retenues par les différents
comités sont assez proches de celles estimées chez l’adulte (0,7 g/kg/jour).
4-3-2 Besoins pour la croissance
Le tableau XIII expose le procédé utilisé par le Comité FAO/OMS/UNU
pour calculer les besoins azotés nécessaires à la croissance (dont est dérivée
l’estimation des besoins en protéines). Les besoins protéiques pour la croissance
sont estimés d’après l’accroissement du capital de protéines (ou du capital d’azote
Nacc) présentes dans l’organisme. Relativement au poids, ce besoin en protéines
ne cesse de décroître avec l’âge, car la vitesse de croissance elle-même ne cesse
de décroître de la naissance jusqu’au début de l’adolescence (§ 3-4-2).
Les quantités de protéines synthétisées et incorporées dans les tissus tout au
long de la croissance sont calculées en se basant sur la courbe de croissance
pondérale et en extrapolant au départ de mesures répétées de la composition
corporelle. Pour estimer les besoins en protéines intervenant dans la croissance à
67
BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION
partir de la quantité de protéines synthétisées, le Comité FAO/OMS/UNU [1986]
a proposé de majorer les besoins de 50 %, sachant que la croissance est
irrégulière. L’enfant n’est, en effet, pas en mesure de stocker d’un jour à l’autre les
protéines dont il a besoin, et les protéines apportées en excès des besoins ne
peuvent pas être utilisées le lendemain pour compenser un apport plus faible.
Tableau XIII — Estimation des besoins azotés destinés à la croissance (d’après les données
du comité FAO/OMS/UNU de 1985).*
Âge
(mois)
68
4–6
6–9
9–12
12–18
18–24
24–36
36–48
48–60
Rétention azotée Rétention azotée majorée
de 50 % (variations
journalières)
Nacc
Nmaj = Nacc x 1,5
(mg N/kg/jour)
(mg N/kg/jour)
47
37
30
19
14
13
11
10
70
56
45
29
22
20
17
15
Besoins pour la croissance
majorés une 2e fois pour tenir
compte du rendement (70 %)
Nc = Nmaj /70 %
(mg N/kg/jour)
100
80
64
41
31
28
24
21
* Le rapport FAO/OMS publié en 1986, dans son tableau 33, ne donne que les besoins pour
la croissance (colonne Nc). Les colonnes Nacc et Nmaj ont été reconstituées.
On admet que la quantité de protéines nécessaire à la synthèse d’un
gramme de protéines tissulaires est égale à la quantité synthétisée divisée par un
coefficient de rendement variable selon la protéine alimentaire. Ce rendement est
toujours inférieur à un. Pour une alimentation à base de lait, le coefficient estimé
varie entre 70 % et 90 % [CHAN, WATERLOW, 1966; HUANG et al., 1980; FOMON et
al., 1991].
On admet généralement que la masse maigre contient 20 % de protéines,
les tissus maigres, comme le muscle par exemple, contenant surtout de l’eau
[Fomon et al., 1982]. À titre d’exemple, un enfant qui grossit de 100 g, composés
de 50 % de masse maigre, ne synthétise en fait que 50 g de tissu maigre ne
contenant que 10 g de protéines. Si son alimentation est exclusivement lactée, ce
besoin sera couvert en apportant 10g/0,9, soit 11 g, de protéines du lait si le
coefficient de rendement est de 90 %. Cette quantité de protéines se retrouve dans
environ un litre de lait de femme ou dans 350 ml de lait de vache.
4-3-4
NIVEAUX DE SÉCURITÉ POUR L’APPORT PROTÉIQUE
4-3-3 Besoins totaux et besoins relatifs en protéines
pour la croissance et pour l’entretien
Les besoins totaux en protéines se calculent en faisant la somme des besoins
estimés pour la croissance et de ceux nécessaires à l’entretien (Tableau XIV). Les
besoins d’entretien, exprimés par kg de poids corporel, varient peu pendant les
premières années de la vie tandis que les besoins pour la croissance diminuent
avec le temps. Le rapport entre besoins de croissance et d’entretien ne cesse de
baisser quand l’âge de l’enfant augmente. Alors que les besoins pour la croissance
correspondent environ à la moitié des besoins totaux à la naissance, ils ne
représentent plus que le cinquième des besoins totaux à deux ans.
Tableau XIV — Estimation des besoins totaux en protéines exprimés en azote et en
protéines [FAO/OMS/UNU, 1986].
Âge
(mois)
4–6
6–9
9–12
12–18
18–24
24–36
36–48
48–60
Besoins
d’entretien
M
(mg N/kg/jour)
Besoins pour la
croissance
Nc
(mg N/kg/jour)
Besoins totaux
Équivalent en protéines
Ntot = M + Nc
(mg N/kg/jour)
Ptot = Ntot. x 6,25/1000
(g protéines/kg/jour)
120
120
120
119
119
118
117
116
100
80
64
41
31
28
24
21
220
200
184
160
150
146
141
137
1,38
1,25
1,15
1,00
0,94
0,91
0,88
0,86
4-3-4 Niveaux de sécurité pour l’apport protéique
Pour ne pas recommander des apports qui seraient trop faibles pour certains
individus, le comité FAO/OMS/UNU de 1985 a introduit le concept de “Niveau de
sécurité de l’apport en protéines”. Cette quantité de protéines sert de base pour les
recommandations actuelles à l’échelon européen [CEE, 1993]. Elle est dérivée des
besoins calculés au moyen d’un nouveau coefficient dit “de sécurité” et destiné à
tenir compte des variations des besoins entre individus (Tableau XV). Rappelons
que pour le calcul des besoins eux-mêmes, deux majorations successives sont déjà
introduites, l’une pour tenir compte des variations de la croissance au cours du
temps chez un même individu et l’autre pour prendre en considération le
rendement imparfait de la synthèse protéique (Tableau XIII).
69
BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION
Tableau XV — Estimation des niveaux de sécurité pour l’apport en protéines, exprimés en
azote et en protéines [FAO/OMS/UNU, 1986].
Âge
(mois)
4–6
6–9
9–12
12–18
18–24
24–36
36–48
48–60
70
Besoins
totaux
Coefficient Majoration des
Total
Équivalent
de variation besoins pour correspondant
en protéines
individuelle
variations
aux apports
individuelles
de sécurité
Ntot
CV
majN =
Total =
Total x 6,25/1000
Ntot x 2CV/100 Ntot + majN
(mg N/kg/jour)
(%)
(mg N/kg/jour) (mg N/kg/jour) (g prot./kg/jour)
220
200
184
160
150
146
141
137
17,5
16
14,5
13
12,5
12
12
12
77
64
53
42
38
35
34
33
297
264
237
202
188
181
175
170
1,85
1,65
1,48
1,26
1,17
1,13
1,09
1,06
Malgré toutes les majorations utilisées aux différents stades de leur
estimation par l’introduction de facteurs correctifs successifs, le niveau de sécurité
de l’apport en protéines reste en fait un chiffre relativement faible. Selon ces
recommandations, un enfant de un an aura besoin de 1,26 g de protéines par kg
et par jour. Par comparaison, les enfants dans les pays riches reçoivent en
moyenne le triple environ de ce niveau de sécurité [DEHEEGER et al., 1994].
Les estimations du Comité FAO/OMS/UNU ont été publiées en 1986. Elles
sont donc relativement anciennes. Les estimations les plus récentes remettent en
cause l’utilisation des différents facteurs correctifs qui tous tendent à augmenter le
niveau des recommandations. Les besoins de sécurité retenus par le comité de
l’IDECG de 1994 pour les enfants âgés de moins de 12 mois sont donc légèrement
inférieurs à ceux de 1985 (Tableau XVI). Les chiffres obtenus sont basés sur un
besoin d’entretien de 90 mg d’azote par kg/jour, un coefficient d’utilisation des
protéines de 70% et un seul facteur correctif tenant compte à la fois des variations
journalières et individuelles de la croissance. Cette réévaluation à la baisse des
besoins renforce encore la conclusion que les enfants en Europe et aux États-Unis
reçoivent des quantités de protéines très supérieures à leurs besoins.
4-3-6
PROFILS D’ACIDES AMINÉS ESSENTIELS
Tableau XVI — Apports de sécurité en protéines jusqu’à l’âge de 12 mois, exprimés en
azote et en protéines, retenus par l’International Dietary Energy
Consultative Group en 1994 [DEWEY et al., 1996].
Âge
(mois)
0–1
1–2
2–3
3–4
4–5
5–6
6–9
9–12
Besoins
totaux
Coefficient Majoration des
Total
Équivalent
de variation besoins pour correspondant
en protéines
individuelle
variations
aux apports
individuelles
de sécurité
Ntot
CV
majN =
Total =
Total x 6,25/1000
Ntot x 2CV/100 Ntot + majN
(mg N/kg/jour)
(%)
(mg N/kg/jour) (mg N/kg/jour) (g prot./kg/jour)
319
247
190
170
156
147
136
124
17,6
15,9
14,4
13,9
14,2
14,6
14,2
15,6
112
79
55
47
44
43
39
39
431
326
245
219
200
190
175
163
2,69
2,04
1,53
1,37
1,25
1,19
1,09
1,02
4-3-5 Besoins en acides aminés essentiels
Les acides aminés essentiels sont, à quelques variations près, les mêmes
pour tous les mammifères. La majeure partie des acides aminés essentiels présents
dans l’alimentation ne peuvent donc à l’origine être synthétisés que par des plantes
ou des bactéries. Les acides aminés essentiels présents dans la viande de ruminant
sont pour une large part synthétisés par les bactéries présentes dans leur tube
digestif.
Les mammifères ont sans doute pu perdre au cours de l’évolution leur
capacité de synthèse de certains acides aminés par le fait qu’ils étaient présents en
abondance dans leur alimentation [CARPENTER, 1992]. Les carences en acides
aminés indispensables ne risquent de survenir qu’en conditions très particulières,
en pratique lors de la consommation d’un régime monotone basé sur peu
d’aliments.
4-3-6 Profils d’acides aminés essentiels
Profils de référence
Les protéines alimentaires ne peuvent être utilisées intégralement que si les
acides aminés qu’elles fournissent correspondent exactement aux besoins
quantitatifs et qualitatifs de l’organisme qui les consomme. Pour déterminer la
71
BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION
valeur nutritionnelle d’une protéine, il est habituel de calculer un indice chimique.
Celui-ci consiste à établir le taux de chaque acide aminé, exprimé en mg par
gramme de protéine, et de le comparer à un profil de référence. Les besoins en
acides aminés essentiels varient avec l’âge. C’est pourquoi l’on utilise deux profils
de référence différents : l’un pour les jeunes enfants âgés de moins de deux ans et
l’autre pour tous les autres sujets, adultes compris (Tableau XVII). Pour les
nourrissons jusqu’à deux ans, le profil du lait maternel sert de référence. Pour les
enfants de deux ans ou plus, un profil différent, dérivé de bilans azotés, est utilisé.
Tableau XVII — Profils de référence servant à estimer l’indice
chimique d’une protéine [FAO/OMS/UNU, 1986].
Acide aminé
72
Histidine
Isoleucine
Leucine
Lysine
Méthionine + cystéine
Phénylalanine + tyrosine
Thréonine
Tryptophane
Valine
Nourrisson
(mg/g protéines)
Enfant âgé de
2 ans et plus
(mg/g protéines)
26
46
93
66
42
72
43
17
55
19
28
66
58
25
63
34
11
35
Pour évaluer la qualité d’une protéine, on établit la concentration de
chacun de ses acides aminés et le chiffre est comparé à la concentration
homologue observée dans la protéine de référence. On peut calculer ainsi pour
chaque acide aminé un pourcentage. On désigne sous le terme d’indice chimique
de la protéine le plus faible des pourcentages obtenus [FAO/OMS/UNU, 1986].
L’acide aminé correspondant est appelé acide aminé limitant pour cette protéine.
En d’autres termes, l’indice chimique d’une protéine correspond à la concentration
relative (exprimée en pourcentage de la valeur homologue au sein de la protéine
de référence) de l’acide aminé essentiel le moins représenté.
Le calcul de l’indice chimique des protéines du lait de vache et de celles du
soja est reproduit à titre d’exemple au tableau XVIII en prenant deux profils de
référence : celui du nouveau-né et celui de l’enfant âgé de plus de deux ans. La
teneur en acides aminés des protéines est donnée par des tables de référence
spécialisées [SOUCI et al., 1994].
Le profil particulier des acides aminés du lait maternel est sans doute à
mettre en relation avec l’importance des besoins liés à la croissance dans les
4-3-6
PROFILS D’ACIDES AMINÉS ESSENTIELS
Tableau XVIII — Calcul de l’indice chimique des protéines du lait de vache et du soja.
Contenu en acides
aminés essentiels
(mg/g protéines)
Lait de vache
Histidine
Isoleucine
Leucine
Lysine
Méthionine
+ cystéine
Phenylalanine
+ tyrosine
Thréonine
Tryptophane
Valine
Protéines de
soja
Histidine
Isoleucine
Leucine
Lysine
Méthionine
+ cystéine
Phenylalanine
+ Tyrosine
Thréonine
Tryptophane
Valine
Profil de
Score 1
Profil de
Score 2
référence
%
référence
%
nouveau-né
2 ans et plus
(mg/g protéines)
(mg/g protéines)
27
47
95
78
26
46
93
66
104
102
102
118
19
28
66
58
142
168
144
134
33
42
79
25
132
102
44
14
64
72
43
17
55
142
102
82
116
63
34
11
35
162
129
127
183
25
51
77
69
26
46
93
66
98
111
83
104
19
28
66
58
134
182
117
118
31
42
75
25
125
89
43
13
53
72
43
17
55
123
100
76
96
63
34
11
35
141
127
117
151
premières semaines de la vie. Il est proche du profil des nouveaux tissus
synthétisés [DEWEY et al., 1996]. Mais curieusement, il n’y est pas strictement
identique. Le lait de femme contient nettement moins de glycine, d’alanine et
d’arginine que la moyenne des protéines corporelles. L’origine de ces différences
n’est pas connue. Il se pourrait que le profil des protéines du lait de femme ne
corresponde pas à une composition nutritionnelle idéale mais plutôt à un
compromis entre ce qui serait souhaitable et ce qui est possible en termes de
solubilité des protéines dans un milieu riche en lipides [DEWEY et al., 1996]. Il se
peut aussi que certains acides aminés ne participent pas uniquement à la synthèse
de nouveaux tissus, mais exercent par exemple une fonction régulatrice du
métabolisme protéique général (REEDS, HUTCHENS, 1994].
73
BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION
Le profil des acides aminés servant de référence pour les enfants âgés de
plus de deux ans correspond uniquement aux acides aminés nécessaires pour
couvrir les dépenses d’entretien. Rappelons que ces besoins représentent
l’essentiel des besoins en protéines à partir de cet âge et la totalité des besoins
chez l’adulte (§ 4-3-3). Ils ne correspondent pas au profil particulier requis pour
assurer la synthèse de nouveaux tissus, mais bien pour compenser les pertes
intestinales (thréonine) et pour effectuer la synthèse de molécules particulières
comme la créatinine, la taurine, les acides nucléiques ou le glutathion, dérivées
d’acides aminés spécifiques [REEDS, HUTCHENS, 1994].
Les différences les plus importantes entre les profils de référence du
nourrisson et de l’enfant plus âgé portent sur les acides aminés soufrés (cystéine et
méthionine). Leurs besoins sont presque deux fois plus élevés chez le nourrisson.
Ces acides aminés se retrouvent en plus forte concentration dans le lait de femme
que dans le lait de vache.
74
Un coefficient de rendement variant de 70 % à 90 % est utilisé pour estimer
les besoins de l’enfant afin de tenir compte des différences entre le profil de
référence et le profil des acides aminés alimentaires. L’homologie n’est pas parfaite
entre le profil de référence proposé chez le jeune enfant et des protéines de haute
valeur comme celles du soja ou du lait de vache (Tableau XVIII).
4-4 Estimation des besoins en protéines
de l’enfant gravement dénutri
Les recommandations en protéines pour l’enfant gravement dénutri sont
actuellement émises d’après des estimations séparées d’une part des dépenses
d’entretien et d’autre part des dépenses de croissance [ASHWORTH, MILLWARD,
1986]. Les chiffres proposés ont donc été obtenus selon une méthode assez proche
de celle utilisée par le Comité FAO/OMS/UNU pour les enfants âgés de plus de
six mois. Pourtant les besoins de l’enfant dénutri diffèrent assez sensiblement de
ceux de l’enfant bien nourri, et ceci pour deux raisons que nous exposons ciaprès.
4-4-1 Risques associés aux apports élevés
en protéines en début de réalimentation
En début de traitement, certains enfants gravement dénutris présentent une
insuffisance hépatique. Il existe dans ce cas un risque d’observer une
4-4-3
BESOINS D’ENTRETIEN
augmentation du niveau sérique de certains acides aminés potentiellement
toxiques et une hyperammoniémie si ces enfants consomment plus de protéines
que le foie n’est capable d’en métaboliser. Quand l’état général d’un enfant est
très compromis, il peut donc être dangereux de lui faire consommer des
quantités de protéines en excès des besoins ou plus exactement, en excès de ses
capacités cataboliques. Plusieurs études ont montré que des signes biologiques
d’atteinte hépatique, comme une élévation des transaminases, du taux de
bilirubine ou une baisse du taux de prothrombine, sont généralement de mauvais
pronostic [MCLEAN, 1962; GARROW, PIKE, 1967; AKINYINKA et al., 1990]. On peut
comprendre qu’un apport trop élevé de protéines puisse aggraver le pronostic de
ces patients, ou du moins provoquer une anorexie suite à l’élévation des
concentrations sanguines des acides aminés non métabolisés. Chez l’adulte, il a
été montré qu’un apport élevé en protéines est associé à un risque de décès élevé
en cas de malnutrition œdémateuse [COLLINS, 1995]. Une telle association n’a
jamais été démontrée chez l’enfant, mais incite à estimer les besoins avec
prudence, sans introduire de coefficients de sécurité généreux à chaque stade du
calcul.
4-4-2 Gain de poids élevé au cours de la phase
de récupération nutritionnelle.
L’enfant gravement dénutri en phase de récupération rapide grossit en
moyenne de 10 à 15 g/kg/jour mais la prise de poids peut atteindre 20 g/kg/jour
chez certains enfants. Ces gains pondéraux sont très supérieurs à ceux que l’on
observe en temps ordinaire chez l’enfant. Rappelons que la vitesse de croissance
d’un enfant est la plus rapide pendant les premières semaines de la vie, le poids
étant alors susceptible d’augmenter de 8 à 10 g/kg/jour. Le gain pondéral quotidien
ne représente plus que 1 g/kg/jour vers l’âge de un an (§ 3-4-2). Les besoins en
protéines associés à une croissance très rapide sont donc particulièrement élevés
au cours de la phase de récupération nutritionnelle.
4-4-3 Besoins d’entretien
Il semble qu’en cas de malnutrition par carence d’apport, les besoins
protéiques d’entretien ne soient pas significativement différents de ceux de l’enfant
sain, de l’ordre de 0,7 g/kg/jour (§ 4-3-1). Les rations fournissant ce niveau
d’apport protéique sans plus, permettent à l’enfant atteint de marasme de
maintenir son poids corporel [HUANG et al., 1980] et à celui souffrant de
kwashiorkor de faire régresser ses œdèmes [GOLDEN, 1982].
75
BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION
4-4-4 Besoins pour la croissance
Les besoins protéiques indispensables à la croissance sont fonction du gain
de poids et de la quantité de tissu maigre synthétisé. Ils sont par contre
inversement proportionnels au coefficient d’utilisation des protéines [ASHWORTH,
MILLWARD, 1986]. Comme chez l’enfant sain, on admet pour les calculs que le tissu
maigre reconstitué chez un enfant en convalescence d’une malnutrition grave
contient 20 % de protéines, alors que le tissu adipeux n’en contient pas. Si Gp
représente le gain de poids, m la proportion de masse maigre dans les tissus
déposés et k le coefficient de rendement d’utilisation des protéines, les besoins en
protéines pour la croissance (Bp) sont égaux à :
Bp = Gp x m x 0,2/k.
Les besoins protéiques correspondant à différents gains de poids sont calculés au
tableau XIX. On peut y constater que les besoins de protéines nécessaires à une
croissance rapide, c’est-à-dire pour obtenir des gains de poids importants, sont
élevés. Ils dépassent à eux seuls la valeur des besoins totaux chez l’enfant sain
(voir tableau XVI).
76
Tableau XIX — Besoins en protéines nécessaires à la synthèse de nouveaux tissus en
fonction du gain de poids.
Gain de poids
Quantité de protéines tissulaires
synthétisées
Gp
(g/kg/jour)
Qp = Gp x (m/100) x 0,2
(g/kg/jour)
Besoins protéiques
alimentaires pour la synthèse
des tissus nouveaux
BP = Qp/k
(g/kg/jour)
0
1
2
5
10
15
20
0,00
0,10
0,20
0,25
1,00
1,50
2,00
0,00
0,14
0,29
0,71
1,43
2,14
2,86
m = proportion (%) de tissu maigre déposé; 0,2 tient compte du fait que le tissu maigre
contient 20 % de protéines; k = coefficient d’utilisation des protéines.
Le tableau a été calculé à titre d’exemple pour m = 50 % et k = 0,7.
4-4-5 Besoins totaux
Comme pour l’enfant bien nourri, les besoins totaux en protéines
représentent la somme des besoins d’entretien et de croissance. On admet en effet
4-4-6
PROFIL D’ACIDES AMINÉS ESSENTIELS À UTILISER LORS DE LA RENUTRITION
que les dépenses d’entretien sont indépendantes du gain de poids. Le calcul des
besoins montre qu’un enfant en tout début de prise en charge nutritionnelle, dont
on maintient le poids stationnaire – soit donc en l’absence de tout type de
croissance – présente des besoins en protéines inférieurs à celui d’un enfant
normalement nourri. Par contre, lors de la phase de récupération nutritionnelle
rapide, au moment où le gain de poids est le plus élevé, ces besoins en protéines
sont trois à quatre fois supérieurs à ceux de l’enfant sain (Tableau XX). La quantité
de protéines nécessaire à la synthèse de masse maigre et donc indispensable pour
obtenir le gain de poids est illustrée à la figure 14.
5
Besoins en protéines (g/kg/jour)
5
66%
4
masse maigre
synthétisée
Masse
maigre
synthétisée
50%
4
33%
3
3
77
2
2
1
1
0
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
Gain de poids (g/kg/jour)
Figure 14 — Besoins en protéines en fonction du gain de poids et de la nature du tissu
synthétisé.
4-4-6 Profil d’acides aminés essentiels à utiliser
lors de la renutrition
Lors de la prise en charge d’un enfant gravement dénutri, il est important
de proposer un régime diététique ne contenant que des protéines de haute
valeur biologique. Ceci permet d’incorporer une quantité optimale d’acides
aminés dans les protéines tissulaires tout en limitant au minimum la charge
imposée au métabolisme hépatique. On ne dispose que de peu d’éléments pour
BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION
établir le profil des acides aminés à utiliser comme référence pour composer des
produits de renutrition équilibrés. On peut supposer qu’au stade initial, ce profil
doit être assez voisin de celui préconisé pour l’enfant de deux ans et plus, qui
est aussi recommandé chez l’adulte. Ce profil d’acides aminés correspond aux
besoins en acides aminés lorsque la croissance est faible ou nulle. En cas
d’infection, il se peut cependant que les besoins spécifiques en acides aminés
nécessaires à la synthèse de protéines inflammatoires soient augmentés [REEDS et
al., 1994]. En phase de récupération nutritionnelle rapide, le profil des acides
aminés de référence devrait être fixé en fonction de la synthèse tissulaire
importante et du rythme de croissance rapide. Ce profil devrait être plus proche
de l’aminogramme du lait maternel qui répond aux besoins nutritionnels
d’enfants en vitesse de croissance élevée. Rappelons qu’il est plus riche en
acides aminés soufrés que le profil recommandé chez l’enfant âgé de deux ans
et plus.
4-4-7 Couverture des besoins en protéines
de l’enfant gravement dénutri
78
Il est habituel d’alimenter les enfants souffrant de malnutrition grave en
leur proposant des régimes composés sur base de préparations lactées. Le lait
apporte des protéines de haute valeur biologique et des sels minéraux, le tout en
quantités abondantes et facilement assimilables. Il semble difficilement
remplaçable.
Même en milieu hospitalier spécialisé, les enfants allaités au sein se
distinguent des enfants nourris au lait en poudre par une survie plus élevée
[RAVELOMANANA et al., 1995]. Il est donc important de veiller à maintenir
l’allaitement maternel tout au long du traitement nutritionnel.
En théorie, le soja apporte des protéines de bonne valeur biologique et
devrait également donner de bons résultats. En pratique, les préparations à base de
soja ont été peu utilisées au cours du traitement de la malnutrition grave. Au stade
initial du traitement diététique, quand l’enfant ne peut pas encore avaler de repas
solides, seules les protéines solubles de soja peuvent être utilisées. Leur prix actuel
est élevé et leur avantage sur le lait n’est pas clair. Par ailleurs, les protéines de soja
contiennent proportionnellement moins d’acides aminés soufrés que les protéines
du lait de femme ou du lait de vache. Leur contenu en minéraux, et notamment
en phosphore assimilable, est par ailleurs plus faible également que celui du lait
de vache (§ 6-3-7). Il est donc possible que les préparations à base de protéines de
soja soient moins bien adaptées que les formules lactées lorsque les besoins pour
la croissance sont très augmentés, comme c’est le cas au cours de la phase de
renutrition intensive.
4-5
BESOINS EN PROTÉINES DE L’ENFANT MODÉRÉMENT DÉNUTRI
La consommation de protéines de lait de vache est contre-indiquée chez les
enfants allergiques. L’importance pratique de ce problème est mal connue (§ 7-4).
Notons qu’il existe fréquemment une allergie croisée entre les protéines du lait de
vache et les protéines de soja, et que les préparations de formules à base de soja
ne permettent pas d’éliminer totalement le risque d’allergie.
Certaines préparations diététiques utilisées chez les enfants dénutris étaient
préparées à partir de caséine. Cette approche est coûteuse et actuellement
abandonnée. La caséine est obtenue par précipitation de la fraction insoluble des
protéines de lait de vache et contient peu de sels minéraux qui restent en grande
partie en solution dans la fraction soluble du lait ou lactosérum. La caséine
contient relativement peu d’acides aminés soufrés et cette protéine est moins
nutritive que les protéines entières du lait brutes, ou même que le lactosérum.
Enfin, la caséine précipite dans l’estomac, en donnant un caillé épais irritant pour
la paroi gastrique et peu digeste.
4-5 Besoins en protéines de l’enfant
modérément dénutri
Lors de la prise en charge de la malnutrition modérée, c’est-à-dire d’une
malnutrition ne mettant pas immédiatement en jeu le risque vital, il n’est pas
essentiel de faire reprendre à l’enfant très rapidement du poids. Par ailleurs, ces
enfants sont d’ordinaire traités en ambulatoire et le coût de la prise en charge n’est
pas directement lié à sa durée comme dans le cas d’un traitement hospitalier. Une
croissance pondérale modérée au rythme de 4 à 6 g/kg/jour est tout à fait
satisfaisante. Les quantités de protéines alimentaires requises pour permettre des
gains de poids de cet ordre sont relativement faibles : le tableau XX montre qu’une
consommation de 1,5 à 2 g/kg/jour suffit pour couvrir ces besoins, même si le
coefficient d’utilisation protéique est voisin de 70 %. Il n’est sans doute pas
indispensable de n’apporter que des protéines de haute valeur biologique en
raison du niveau modéré des besoins.
Chez l’enfant modérément dénutri, il n’est pas souhaitable de faire
consommer des quantités de protéines très supérieures aux besoins, même si un
tel excès ne met pas en danger le pronostic vital comme dans le cas de la
malnutrition grave. Les protéines amenées en excès des besoins ne peuvent pas
être utilisées pour la synthèse de nouveaux tissus mais sont oxydées, ce qui
représente une façon coûteuse de couvrir les besoins en énergie de l’organisme.
Par ailleurs, les repas apportant de grandes quantités de protéines semblent induire
79
BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION
Tableau XX — Besoins en protéines en fonction du gain de poids : estimation des besoins
totaux.
80
Gain de poids
Besoins d’entretien
Total des besoins en
protéines
Pm
(g/kg/jour)
(1)
Besoins protéiques
alimentaires pour la
synthèse des tissus
nouveaux
BP = Qp/k
(g/kg/jour)
(2)
Gp
(g/kg/jour)
0
1
2
5
10
15
20
0,7
0,7
0,7
0,7
0,7
0,7
0,7
0,00
0,14
0,29
0,71
1,43
2,14
2,86
0,70
0,84
0,99
1,41
2,13
2,84
3,56
Pm + BP
(g/kg/jour)
(1) Voir tableau XIV, p. 69.
(2) Voir tableau XIX, 3e colonne, p. 76.
k = coefficient d’utilisation des protéines.
Le tableau a été calculé à titre d’exemple pour m = 50 % et k = 0,7.
m = proportion (%) de tissu maigre déposé). Il a été supposé que le tissu maigre contenait
20 % de protéines et que le tissu gras n’en contenait pas.
plus rapidement une sensation de satiété que les repas à base de glucides [HILL,
BLUNDELL, 1986]. Cet effet est indésirable chez des enfants qui doivent prendre du
poids.
4-5-1 Utilisation de mélanges de céréales
et de légumineuses
La couverture des besoins en protéines chez les enfants modérément
dénutri est habituellement assurée par l’utilisation de mélanges de céréales et de
légumineuses. Ces mélanges sont peu coûteux et d’une valeur nutritionnelle
intéressante. En fait, les céréales contiennent souvent suffisamment de protéines
pour permettre la croissance pondérale voulue (Tableau XXI). Mais la qualité
biologique des protéines céréalières est faible. L’indice chimique de ces protéines
est bas en raison d’un taux réduit de lysine. Il est donc toujours nécessaire
d’adjoindre aux céréales une autre source protéique, choisie en raison d’une
teneur forte en lysine, de manière à proposer à l’enfant dénutri une alimentation
4-5-1
UTILISATION DE MÉLANGES DE CÉRÉALES ET DE LÉGUMINEUSES
Tableau XXI — Taux de protéines des farines de céréales
courantes (dans toutes ces céréales, la
la lysine est l’acide aminé limitant).
Farine
Énergie apportée
par les protéines (%)
Indice
chimique (%)
Avoine
Mil
Maïs
Riz
Blé
13,8
11,1
9,1
7,9
11,6
72
49
48
73
42
Ces valeurs sont données à titre indicatif. Elles peuvent
fortement varier en fonction de la variété de la céréale et
des conditions de culture.
équilibrée pour ce qui est des acides aminés. Les légumineuses sont le plus
fréquemment choisies : elles contiennent des quantités importantes de lysine et
sont relativement peu coûteuses. Un mélange de céréales et de légumineuses
présente donc généralement un profil d’acides aminés de meilleure qualité que la
céréale isolée [YOUNG, PELLETT, 1994]. Il convient d’observer que de nombreuses
recettes traditionnelles reposent sur une association de céréales et de
légumineuses. Le tableau XXII illustre à titre d’exemple le calcul des teneurs en
acides aminés d’un mélange de maïs et de haricots. L’arachide, qui est pourtant
une légumineuse, fait exception car sa concentration en lysine est relativement
faible. Elle n’est pas à même d’équilibrer une farine de céréale pauvre en lysine.
Les légumineuses ont l’avantage par ailleurs d’être relativement riches en certains
sels minéraux peu présents dans les farines céréalières, on pense notamment au
potassium, au magnésium et au calcium [SOUCI et al., 1994].
Les légumineuses ne se prêtent pas volontiers à la préparation culinaire et
sont longues à cuire si elles sont consommées longtemps après la récolte [REYESMORENO, PAREDES-LOPES, 1993]. La plupart contiennent des facteurs antinutritionnels qu’il est important de détruire à la cuisson. On désigne sous ce
terme des composés chimiques qui ont la propriété de diminuer la valeur
nutritionnelle des aliments. Ces facteurs anti-nutritionnels sont présents dans la
plupart des produits végétaux, mais plus particulièrement dans les graines et dans
les aliments riches en glucides non digestibles (fibres) [JENKINS, 1994]. Ils sont
généralement présents en forte concentration dans les légumineuses, et plus
particulièrement dans la graine de soja non dépelliculée et non traitée. Un
certain nombre d’entre eux entravent l’action des enzymes digestives : il existe
ainsi des anti-amylases et des anti-trypsines. Ces anti-enzymes sont généralement
81
BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION
Tableau XXII — Calcul de l’indice chimique d’un mélange de 80 % de farine de maïs et de
20 % de farine de haricot.
Acide
aminé
His
Iso
Leu
Lys
Mét +
Cys
Phen +
Tyr
Thréo
Trypt
Val
82
Profil de
référence
AAref
(1)
Maïs
Haricot
Concentration Score Concentration Score
Cmaïs
Cmaïs/
Char
Char/
AAref
AAref
Maïs + Haricot
Concentration Score
Cmél =
Cmél/
0,62 Cmaïs + AAref
0,38 Char
(mg/g prot.)
(%)
(mg/g prot.)
(mg/g prot.)
(%)
(mg/g prot.)
(%)
19
28
66
58
21
44
126
28
111
157
191
48
33
70
106
88
173
250
161
152
26
54
119
51
137
193
180
88
25
32
128
23
92
28
112
63
34
11
35
104
39
6
50
165
114
55
142
111
54
11
77
176
159
100
220
107
45
8
60
170
132
73
171
(1) Enfant de plus de 2 ans.
Un mélange de 80 % de maïs et de 20 % de haricots correspond en fait à un mélange de
62 % de protéines de maïs et de 38 % de protéines de haricots en raison des concentrations
plus fortes de protéines présentes dans les haricots. L’indice chimique du mélange (70 %)
est nettement plus élevé que celui du mais (48 %). Notez que l’acide aminé limitant du
mélange est le tryptophane qui n’est limitant ni dans le maïs, ni dans le haricot.
détruites à la cuisson et ne posent pas de problèmes si la préparation est
effectuée dans de bonnes conditions. Il faut cependant éviter une surchauffe qui
provoque la destruction de la lysine. Celle-ci est en effet thermolabile.
D’autres facteurs anti-nutritionnels agissent différemment. Les lectines sont
des protéines qui se lient à une grande variété de polysaccharides. Elles peuvent
induire des anomalies de la muqueuse intestinale si elles ne sont pas détruites
lors de la cuisson [LIENER, 1994]. En expérimentation animale, les lectines
peuvent induire des diarrhées prolongées entraînant de graves retards de
croissance [BANWELL et al., 1984]. On ne connaît pas leur rôle exact dans la
genèse des lésions de la muqueuse digestive fréquemment rencontrées en milieu
tropical. La destruction de ces lectines pose des problèmes délicats car certaines
résistent à des températures en deçà desquelles les acides aminés commencent
à être détruits. Les phytates (ou inositol-6-phosphate) ont la propriété de se lier
aux cations bivalents (zinc, calcium et fer surtout) et d’en inhiber l’absorption
(§ 6-4-7). Ils résistent à la cuisson [JENKINS, 1994]. Les mélanges de céréales et de
RÉFÉRENCES
légumineuses contiennent également une quantité substantielle de galactosides
non digestibles (raffinose, stachyose) susceptibles d’entraîner une flatulence
[BERNIER et al., 1988].
Les problèmes causés par l’utilisation des légumineuses constituent une
autre raison pour ne pas chercher à donner plus de protéines que nécessaire aux
enfants modérément dénutris. Cette manière de faire permet de réduire au
minimum les quantités de légumineuses à incorporer au mélange.
4-5-2 Utilisation de farines lactées
Le lait écrémé ou ses produits dérivés (lactosérum) sont parfois mélangés
aux céréales pour équilibrer leur profil en acides aminés. Le lait peut être
intéressant également pour les sels minéraux qu’il contient en concentrations bien
plus fortes que les légumineuses. Enfin, le lait se caractérise encore par l’absence
de facteurs anti-nutritionnels. Les aliments qui contiennent du lait sont
généralement plus coûteux que ceux préparés à base d’un mélange de céréales et
de légumineuses. L’utilisation de produits laitiers ne se justifie que si leur emploi
permet d’induire une croissance pondérale meilleure que ne le permettent les
autres aliments disponibles localement. À l’heure actuelle, les données qui
permettraient d’effectuer ce type de comparaison chez l’enfant modérément
dénutri manquent.
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BESOINS EN PROTÉINES ET RENUTRITION
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5 – Relations entre besoins
en protéines
et en énergie
5-1 Introduction
Il existe des modèles théoriques pour déterminer les besoins en énergie et
en protéines, qui permettent de calculer un rapport entre ces deux types de
besoins, notamment pour un sujet en cours de renutrition. Ce rapport est important
à connaître pour choisir le régime proposé [FOMON et al., 1995]. En effet, dans la
pratique, on n’apporte pas de façon séparée les protéines et l’énergie, mais des
aliments caractérisés par un rapport donné entre protéines et énergie. Même
lorsqu’il est difficile de mesurer avec précision la consommation alimentaire de
l’enfant, le rapport entre protéines et énergie ingérées peut être simplement
apprécié si son régime est standardisé et le rapport en question connu.
Dans ce chapitre, nous examinerons dans un premier temps les modèles
permettant d’estimer le rapport entre besoins en protéines et en énergie. Nous
examinerons ensuite l’application de ces modèles au cas de l’enfant dénutri en
cours de convalescence diététique et dans un certain nombre de situations
particulières.
5-2 Aspects théoriques des rapports
entre protéines et énergie
5-2-1 Mode de calcul
Pour calculer la proportion d’énergie à apporter sous forme de protéines en
fonction du gain de poids souhaité, il suffit de reprendre, dans un premier temps
et sur un même tableau, d’un côté les besoins en énergie et de l’autre les besoins
en protéines évoqués précédemment aux tableaux XII et XX. La part de l’énergie
représentée par les protéines est calculée en multipliant leur poids (en g) par leur
85
RELATIONS ENTRE BESOINS EN PROTÉINES ET EN ÉNERGIE
valeur énergétique (4 kcal/g). Cette énergie “protéique” est ensuite exprimée en
pourcentage du besoin énergétique total pour le gain de poids correspondant
(Tableau XXIII).
Tableau XXIII — Évolution des besoins en protéines exprimés en % de l’énergie, en fonction
du gain de poids.
86
Gain de poids
Gp
(g/kg/jour)
Énergie
E = Em +(Gp x BE/g)
(kcal/kg/jour)
0
1
2
5
10
15
20
90
96
102
119
148
176
205
Protéines
Protéines % E
P = Pm + (Gp x BP/g) P%E = (P x 4/E) 100%
(g/kg/jour)
(% énergie)
0,70
0,84
0,99
1,41
2,13
2,84
3,56
3,11
3,52
4,88
4,76
5,77
6,45
6,94
BE = besoins d’énergie pour la synthèse de tissus nouveaux.
BP = besoins protéiques alimentaires pour la synthèse de tissus nouveaux.
Em = besoins d’énergie de maintenance.
Pm = besoins protéiques de maintenance.
Il a été supposé que le tissu maigre représente 50 % du gain de poids, et que les besoins de
maintenance sont de 90 kcal/kg pour l’énergie et 0,7 g/kg pour les protéines.
5-2-2 Effet du gain de poids
La proportion d’énergie à fournir sous forme de protéines augmente avec le
gain de poids. Les besoins en protéines pour la croissance sont relativement élevés
comparés aux dépenses d’entretien alors que l’inverse s’observe pour les besoins
en énergie.
Le pourcentage d’énergie protéique nécessaire n’atteint pas même 4 %
quand le gain de poids est nul. Ces taux sont extrêmement faibles, inférieurs à
ceux présents dans le lait maternel.
5-2-3 Influence de la nature du tissu synthétisé
Pour un même gain de poids, les besoins en protéines sont d’autant plus
élevés que la proportion de tissu maigre synthétisé est plus importante. L’inverse
5-2-4
INTÉGRATION DES VARIABLES DANS LE CALCUL
est vrai pour les besoins en énergie : ceux-ci sont d’autant plus faibles que la
proportion de masse maigre synthétisée est plus importante. En conséquence, le
pourcentage d’énergie protéique nécessaire augmente avec la proportion de tissu
maigre synthétisé. La relation entre les besoins en protéines, exprimés en
pourcentage de la ration énergétique totale, le gain de poids et la nature du tissu
12
66%
Besoins en protéines (% énergie)
10
50%
masse maigre
synthétisée
masse
maigre
synthétisée
33%
8
6
4
2
87
0
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
Gain de poids (g/kg/jour)
Figure 15 — Pourcentage de l’énergie devant être apporté par les protéines en fonction du
gain de poids et de la nature des tissus synthétisés.
synthétisé est représentée graphiquement à la figure 15.
5-2-4 Intégration des variables dans le calcul
De nombreuses suppositions sur la nature des tissus synthétisés, le niveau
des dépenses d’entretien en protéines et en énergie, et la valeur des différents
coefficients de rendement ont été formulées lors de l’estimation du rapport entre
besoins en protéines et en énergie. Pour bien comprendre l’influence des
différentes hypothèses de base retenues, il est intéressant de construire un modèle
montrant l’influence de chacun de ces facteurs. Le tableau XXIV a été conçu pour
être facilement transposé sur un programme de type “tableur” disponible sur la
plupart des ordinateurs, de manière à pouvoir analyser rapidement l’effet d’une
RELATIONS ENTRE BESOINS EN PROTÉINES ET EN ÉNERGIE
Tableau des
XXIVfacteurs
— Calcul
des sur
besoins
en protéines
et énergie
au cours
de la et
renutrition.
variation
cités
le rapport
des besoins
entre
protéines
énergie.
A. BESOINS CORRESPONDANT AU DÉPÔT DE 1 GRAMME DE TISSU
Nature du tissu déposé
Masse maigre (%)
66,6
m
Lipides (%)
33,4
l
II. Quantité de protéines et de lipides contenue dans 1 g de tissu
Protéines (g)
0,13
Qp = (m/100) x 0,2
Lipides (g)
0,33
Ql = l/100
III. Calcul des besoins en protéines correspondant au dépôt de 1 g de tissu
Coefficient d’utilisation des protéines
0,70
k
Besoins en protéines (g/g de gain de poids)
0,19
BP/g = Qp/k
IV. Calcul des besoins en énergie correspondant au dépôt de 1 g de tissu
Protéines
Valeur énergétique de 1 g de protéines (kcal)
4
Ep
Facteur de correction (100/rendement)
2
Cp
Total protéines (kcal)
1,07
TEp = Qp x Ep x Cp
Lipides
Valeur énergétique de 1 g de lipides (kcal)
9
El
Facteur de correction (100/rendement)
1,1
Cl
Total lipides (kcal)
3,31
TEl = Ql x El x Cl
Besoins en énergie (kcal/ g de gain de poids)
4,38
BE/g = TEp + TEl
I.
88
B. ESTIMATION DES BESOINS DE MAINTENANCE
Énergie (kcal/kg/jour)
Protéines (g/kg/jour)
85,00
0,70
Em
Pm
C. BESOINS NUTRITIONNELS EN FONCTION DU GAIN DE POIDS
Gain de poids
(Gp)
(g/kg/jour)
0
1
2
15
10
15
20
Énergie (E)
(Em + Gp x BE/g)
(kcal/kg/jour)
85,00
89,37
93,74
106,86
128,72
150,58
172,44
Protéines (P)
(Pm + Gp x BP/g)
(g/kg/jour)
0,70
0,89
1,08
1,65
2,60
3,55
4,51
Protéines (P%E)
(P x 4/E) x 100%
(% énergie)
3,29
3,98
4,6
6,18
8,09
9,44
10,45
5-3-1
AU DÉBUT DU TRAITEMENT
89
RELATIONS ENTRE BESOINS EN PROTÉINES ET EN ÉNERGIE
5-2-5 Validation chez l’enfant sain
Ce modèle permet de vérifier que les valeurs numériques considérées
précédemment ne sont pas trop éloignées de la réalité. Lorsqu’on applique le
modèle au nourrisson qui prend de 8 à 10 g/kg/jour en admettant qu’il anabolise
environ la moitié de son gain de poids sous forme de masse maigre, on peut
déduire d’après le modèle du tableau XXIV que ses besoins peuvent être couverts
par un régime apportant 5,6 % de son énergie sous forme de protéines. Ce rapport
est étonnamment proche de celui observé dans le lait de femme. La similitude
observée entre les prédictions du modèle et la teneur protéique du lait de femme
ne prouve cependant pas formellement la validité des suppositions émises ici.
Le lait maternel contient une quantité importante d’azote sous forme non
protéique et son utilisation n’est pas bien comprise. Par contre, il semble que
l’utilisation nette des protéines du lait de femme soit supérieure à celle des
protéines de lait de vache.
90
La composition des formules lactées industrielles ne donne pas lieu à ces
problèmes d’interprétation. Il a été montré qu’elles permettent une croissance
pondérale et staturale normale si elles apportent 5 à 6 % de leur énergie sous
forme de protéines [FOMON et al.]. Les besoins en protéines calculés avec le
modèle décrit (Tableau XXIV) paraissent donc assez vraisemblables.
5-3 Rapport entre apports en protéines
et énergie lors de la prise en charge
de la malnutrition grave
Le modèle décrit ci-dessus permet d’estimer les besoins en protéines à
chaque stade de la prise en charge de la malnutrition grave. Ces besoins varient
en fait en fonction du gain de poids, et on peut donc considérer qu’ils varient d’un
jour à l’autre. Nous les examinerons donc en début de traitement et au cours de
la phase de renutrition rapide.
5-3-1 Au début du traitement
Au début du traitement diététique, les besoins en protéines, exprimés en
pourcentage de la ration énergétique, peuvent être exprimés par le rapport entre
besoins de maintenance en protéines (exprimés en calories ou joules) et besoins
5-3-3
PROTÉINES, ÉNERGIE ET KWASHIORKOR
de maintenance en énergie (exprimés dans la même unité). Quelles que soient les
valeurs de ces deux variables publiées dans la littérature, le rapport entre elles est
faible. Si on retient le chiffre de 0,7 g/kg/jour comme besoins de base pour les
protéines (ce qui correspond à 2,8 kcal protéiques) et 85 kcal/kg/jour comme
besoins de base pour l’énergie, le rapport calculé en début de traitement vaudrait
(2,8/85) x 100 % , soit 3,3 % . Ce pourcentage est très inférieur à ce qui se trouve
pour toutes les formules lactées habituelles destinées à l’alimentation infantile.
Rappelons que le lait de vache non modifié apporte environ 20 % de son énergie
sous forme de protéines, mais ce pourcentage est modifié et réduit dans les
formules infantiles.
Les estimations données pour les besoins en protéines peuvent paraître très
faibles. Il a cependant été montré que l’on pouvait faire régresser les œdèmes des
enfants atteints de kwashiorkor en les alimentant avec des régimes présentant des
teneurs protéiques de cet ordre [GOLDEN, 1982]. L’OMS recommande
actuellement en début de traitement de malnutrition grave, de proposer une
formule appelée F75 apportant 5 % seulement de son énergie sous forme de
protéines (§ 7-3-1). La plupart des produits diététiques pour enfant et la formule
F100, habituellement utilisés pendant la deuxième phase du traitement (§ 7-3-2),
apportent généralement plus de 10 % de la ration énergétique sous forme de
protéines, ce qui est très supérieur aux besoins calculés en début de traitement.
5-3-2 Lors de la phase de renutrition rapide
Lors de la phase de renutrition rapide, en cours de convalescence
nutritionnelle, l’enfant dénutri se trouve dans une situation caractérisée par des
besoins protéiques maximum. Le gain de poids atteint 10 à 15 g/kg/jour et peut
même monter jusqu’à 20 g/kg/jour chez certains enfants. En cas de marasme, il est
vraisemblable que la synthèse de tissu maigre devra être très importante.
L’exemple donné au tableau XXIV représente un cas extrême : on s’est placé dans
une situation correspondant à une synthèse composée pour près de 70 % de masse
maigre pour laquelle la proportion d’énergie protéique sera maximale. Même dans
ce cas, la quantité d’énergie d’origine protéique nécessaire pour obtenir un gain
de poids de 20 g/kg/jour n’est que de l’ordre de 10 %. Cette constatation ne
change guère quand on fait varier dans les limites du vraisemblable les différents
paramètres inclus dans le modèle.
La proportion d’énergie protéique requise pour assurer un gain de poids
maximal est donc relativement faible. Elle est bien moindre que celle qu’on trouve
dans le lait de vache non modifié. Ces calculs sont validés par l’usage, puisque les
formules actuelles les plus couramment utilisées pour obtenir un gain de poids
maximum ne contiennent que 10 à 12 % de leur énergie sous forme protéique.
91
RELATIONS ENTRE BESOINS EN PROTÉINES ET EN ÉNERGIE
Ces régimes permettent à des enfants de prendre du poids à raison de 20 g/kg/jour,
comme prévu par le modèle. Ces résultats justifient la pratique diététique qui
consiste à améliorer la densité énergétique du lait de vache en y ajoutant de l’huile
et du sucre. Ceci a aussi pour effet de diminuer la proportion de l’énergie fournie
par les protéines.
5-3-3 Protéines, énergie et kwashiorkor
Chez les enfants souffrant de kwashiorkor, on observe fréquemment une
atteinte hépatique, ce qui justifie l’emploi de régimes à faible teneur en protéines
en début de traitement (§ 4-4-1). L’étude des besoins en protéines au cours de la
malnutrition aboutit donc à revoir les conduites thérapeutiques anciennes qui
consistaient à donner beaucoup de protéines en cas de kwashiorkor.
92
L’examen des besoins comparés entre protéines et énergie rend peu
vraisemblable l’hypothèse classique selon laquelle le kwashiorkor serait dû à une
carence en protéines. Le kwashiorkor survient en effet principalement dans la
tranche d’âge de un à cinq ans pendant laquelle le gain de poids exprimé en
g/kg/jour est faible, de l’ordre de 1 g/kg/jour. En appliquant le modèle reproduit au
tableau XXIV, et en y postulant une dépense énergétique de base voisine de
85 kcal/kg, et un gain de poids proche de 1 g/kg/jour, on constate que la période de
la vie où survient le kwashiorkor est celle pendant laquelle les besoins en protéines
sont les plus faibles par rapport aux besoins en énergie. Ce paradoxe s’explique car
à cet âge les besoins en énergie sont particulièrement élevés (§ 3-3) et la croissance
pondérale est faible. Le kwashiorkor survient donc principalement dans la période
de la vie qui en principe est la moins vulnérable aux carences en protéines. Si tous
les groupes d’âge d’une même population devaient consommer le même type de
régime, plus précisément un régime avec une proportion fixe de l’énergie provenant
des protéines, les enfants de la tranche d’âge comprise entre un et cinq ans seraient
parmi les derniers à ressentir les conséquences d’un apport en protéines insuffisant.
La mise en cause de facteurs étiologiques autres qu’une carence en
protéines dans la survenue du kwashiorkor semble donc vraisemblable. Une
intoxication par les radicaux libres, due à la fois à leur surproduction et à des
mécanismes de défense altérés, a été récemment évoquée [GOLDEN, 1987]. Il se
peut également que la qualité des protéines entrant dans la ration, et non pas leur
quantité, soit importante dans la survenue du kwashiorkor. L’importance d’une
carence en acides aminés soufrés (méthionine + cystéine) dans la pathogénie du
kwashiorkor a été suggérée [ROEDIGER, 1995]. Cette hypothèse présente des
analogies avec la théorie faisant intervenir une intoxication par des radicaux libres,
en raison du rôle joué par le glutathion dont la synthèse, qui intervient dans les
mécanismes de défense contre les radicaux libres, exige de la cystéine.
5-5-2
PERSONNES ÂGÉES
5-4 Protéines et énergie en cas
de malnutrition modérée
Le modèle exposé au tableau XXIV suggère qu’un gain de poids de l’ordre
de 5 g/kg/jour nécessite un apport en protéines représentant environ 5% de la
ration énergétique. La proportion précise varie en fonction des valeurs retenues
pour le coefficient d’utilisation des protéines et le rendement énergétique de la
croissance. Cette proportion est de toute façon inférieure à celle qui est observée
dans les régimes habituellement consommés par les adultes : la plupart des
populations diversifient leur alimentation de manière à consommer entre 10 % et
12 % de l’énergie sous forme protéique. Il est exceptionnel d’observer des
pourcentages inférieurs à ces chiffres, même dans les populations les plus pauvres
[YOUNG, PELLETT, 1994]. Rappelons que la plupart des céréales apportent une
proportion voisine de 10 % de leur ration en énergie sous forme de protéines. Il
suffit donc d’une diversification limitée et d’un apport protéique supplémentaire
minime pour atteindre la proportion de 10 à 12 % souhaitée. En conséquence,
dans la plupart des situations, les enfants consommant un régime alimentaire
dérivé de celui des adultes verront leurs besoins en protéines largement couverts.
Il est actuellement paradoxal de constater que de nombreux programmes
nutritionnels aient encore pour objectif d’apporter des aliments riches en protéines
aux enfants modérément dénutris. Les réglementations actuelles sur les aliments
destinés aux programmes de supplémentation des enfants sont dérivées des
recommandations du Codex Alimentarius et exigent souvent un niveau de
protéines relativement élevé (habituellement 15 % du poids de l’aliment)
[FAO/OMS, 1994]. Ces réglementations ne se justifient pas sur le plan nutritionnel.
Rappelons que la période du sevrage est certainement la période de la vie où les
besoins en protéines sont les plus faibles par rapport aux besoins en énergie. Les
programmes de distribution d’aliments riches en protéines sont de conception
ancienne et dépassée.
5-5 Autres groupes vulnérables
5-5-1 Femmes enceintes et allaitantes
Il existe également de nombreux programmes de distribution d’aliments
riches en protéines aux femmes enceintes ou allaitantes. Ces programmes ont pour
ambition de jouer un rôle dans la prévention de la malnutrition de l’enfant.
93
RELATIONS ENTRE BESOINS EN PROTÉINES ET EN ÉNERGIE
Pourtant leur justification physiologique n’est pas bien claire. Le lait de femme
apporte environ 5 % à 6 % de son énergie sous forme de protéines. Ce
pourcentage est généralement très inférieur à celui établi pour une alimentation
chez l’adulte : une supplémentation en aliments riches en protéines ne semble
donc pas justifiée. La couverture des besoins en protéines sera en principe
assurée si une future mère continue de consommer son alimentation habituelle,
apportant généralement 10 % à 12 % de l’énergie sous forme de protéines, aussi
longtemps que sa ration est augmentée en proportion de ses besoins en énergie.
En pratique, aucune étude n’a jamais pu montrer que l’on pouvait accroître un
débit lacté maternel en supplémentant les mères en protéines. Les études visant
à démontrer qu’il est possible d’améliorer la production lactée grâce à des
suppléments riches en énergie semblent plus fondées sur le plan physiologique.
Elles ont cependant donné des résultats décevants [PRENTICE et al., 1980; VAN
STEENBERGEN et al., 1989].
94
En fin de vie intra-utérine, la croissance fœtale est similaire à celle du
nouveau-né en période post-natale. Il est peu probable que les besoins protéiques
soient particulièrement élevés et le raisonnement qui vient d’être tenu pour
l’allaitement peut sans doute être appliqué à la grossesse. Quoiqu’il en soit, il n’a
jamais été démontré de façon indubitable que ces suppléments riches en protéines
aient un effet positif sur le déroulement de la grossesse [SUSSER, 1991; KRAMER,
1993] ou sur le fœtus. En fait, c’est même l’inverse qui a été démontré. Plusieurs
essais de prévention visant à éviter la naissance de nouveau-nés de faible poids
ont été menés en proposant aux futures mères des régimes alimentaires où la
proportion d’énergie apportée par les protéines dépassait 20 %. Les résultats de ces
études ont révélé un excès de naissances prématurées dans le groupe recevant le
supplément de protéines [KRAMER, 1993]. Cet effet a pu être reproduit chez
l’animal [RIOPELLE, 1975]. Certes, les aliments donnés aux femmes enceintes
contiennent généralement moins de protéines que ceux utilisés dans les essais
cités. On doit cependant s’interroger sur l’intérêt de ces programmes d’aide
alimentaire.
5-5-2 Personnes âgées
Le besoin énergétique de base d’un adulte, rapporté au poids corporel,
représente environ le tiers de celui de l’enfant (§ 3-3), alors que les besoins de
maintenance en protéines sont du même ordre (§ 4-3-1). Le rapport des besoins
entre protéines et énergie est donc plus élevé chez l’adulte que chez l’enfant de
plus de un an. Dans le cas des personnes âgées, qui ont une activité physique
faible, ce rapport est encore plus élevé car les besoins en protéines sont
indépendants de l’activité physique, qui par contre a une forte influence sur les
RÉFÉRENCES
besoins en énergie. Les personnes âgées sont donc plus vulnérables que les enfants
aux faibles apports en protéines. Cette observation peut surprendre car elle va à
l’encontre de l’opinion courante concernant les groupes vulnérables sur le plan
nutritionnel. Ce paradoxe est pourtant bien connu [FAO/OMS/UNU, 1986]. Il
s’explique par le fait que les besoins en protéines, passée la première année,
varient peu avec l’âge, alors que les besoins en énergie ne cessent de diminuer de
façon importante, entraînant ainsi une augmentation du rapport entre les besoins
en protéines et ceux en énergie.
Cette évolution des besoins avec l’âge a une conséquence importante en
termes de santé publique. Dans une population consommant une alimentation
dont la part protéique de la ration énergétique est faible, ce sont les personnes
âgées, et non les enfants, qui risquent d’être carencées en protéines. Aux
phénomènes physiques qui conditionnent les besoins en protéines et énergie, se
greffent par ailleurs des phénomènes de vieillissement physiologique qui
accentuent encore plus le risque de carence en protéines chez les personnes âgées
défavorisées [CAMPBELL, EVANS, 1996]. Les aliments riches en protéines sont
paradoxalement encore fréquemment distribués aux enfants alors qu’ils seraient
plus adaptés aux besoins des personnes âgées.
95
Références
CAMPBELL W.W., EVANS W.J. [1996]. Protein requirements of elderly people. Eur. J. Clin. Nutr.
50 (Suppl), S180-S185.
FAO/OMS. [1994]. Codex Alimentarius. Vol. 4. Aliments diététiques ou de régime (y
compris les aliments destinés aux nourrissons et enfants en bas âge). Rome : FAO.
FAO/OMS/UNU. [1986]. Besoins énergétiques et besoins en protéines. Série Rapports
Techniques 724. Genève : OMS.
FOMON S.J., ZIEGLER E.E., NELSON S.E., FRANTZ J.A. [1995]. What is the safe protein-energy
ratio for infant formulas ? Am. J. Clin. Nutr. 62, 358-363.
GOLDEN M.H.N. [1982]. Protein deficiency, energy deficiency and the oedema of
malnutrition. Lancet i, 1261-1265.
GOLDEN M.H.N., RAMDATH D. [1987]. Free radicals in the pathogenesis of kwashiorkor.
Proc. Nutr. Soc. 46, 53-68.
KRAMER M.S. [1993]. Effects of energy and protein intakes on pregnancy outcomes : an
overview of the research evidence from controlled clinical trials. Am. J. Clin. Nutr.
58, 627-635.
6 – Vitamines et minéraux
Chapitre écrit
en collaboration avec le professeur Michael H. N. GOLDEN*
6-1 Introduction
6-1-1 Vitamines
Les vitamines sont des substances organiques, indispensables à la vie, que
l’être humain est incapable de synthétiser. Initialement, leur existence a été
reconnue suite aux observations de maladies de carence survenant chez des sujets
dont la consommation alimentaire était monotone. On admet actuellement
l’existence de 13 vitamines indispensables à l’homme. Elles sont classées, selon
leurs propriétés chimiques, en vitamines liposolubles et vitamines hydrosolubles.
Ces dernières ne peuvent pas être stockées dans l’organisme et doivent être
consommées de façon régulière.
Les quantités correspondant aux besoins d’un enfant âgé de un à trois ans
sont illustrées au tableau XXV [Scientific Committee for Food, 1993]. Les unités
employées pour exprimer les besoins sont établies en fonction de l’activité
vitaminique. La vitamine B1 (thiamine) intervient dans le métabolisme énergétique
et ses besoins sont exprimés en microgrammes par mégajoule (1 MJ = 239 kcal).
Les besoins en vitamine B6 qui intervient dans les réactions de transamination,
sont exprimés en microgrammes par gramme de protéines.
6-1-2 Minéraux
Les minéraux d’importance nutritionnelle sont des corps chimiques
élémentaires entrant dans la composition des tissus. Au total, on connaît plus de
15 minéraux indispensables à la vie. Leur liste s’est allongée au fil des années
quand on s’est rendu compte que les quantités soi-disant négligeables de différents
minéraux présents dans les tissus ne signaient pas la marque d’une contamination,
mais que ces éléments chimiques étaient indispensables à la synthèse de certains
constituants cellulaires. Les apports recommandés pour un certain nombre d’entre
eux sont détaillés au tableau XXVI.
* Department of Medicine and Therapeutics, Aberdeen University, Scotland.
97
VITAMINES ET MINÉRAUX
Tableau XXV — Liste des vitamines. Les besoins journaliers donnés à titre d’exemple sont
ceux des enfants de un à trois ans, selon les recommandations
européennes (d’après Scientific Committee for Food [1993]).
Vitamines
98
Liposolubles
Vitamine A
Vitamine D
Vitamine E
Vitamine K*
Hydrosolubles
Vitamine C
Thiamine
Riboflavine
Niacine
Vitamine B6
Folate
Vitamine B12
Acide Pantothénique**
Biotine**
Besoins journaliers
400
10
0,4
-
(µg)
(µg)
(mg par g d’acides gras poly-insaturés)
25
100
0,8
1,6
15
100
0,7
3-12
15-100
(µg)
(µg/MJ ou µg/100 kcal)
(mg)
(mg/MJ ou mg/100 kcal)
(µg par g de protéines)
(µg)
(µg)
(mg)
(µg)
* Pas de recommandations.
** Recommandations pour l’adulte à défaut de recommandation spécifique pour cette
tranche d’âge.
Tableau XXVI — Liste des principaux minéraux jugés indispensables sur le plan
nutritionnel. Les besoins journaliers donnés à titre d’exemple sont ceux
des enfants de un à trois ans, selon les recommandations européennes
(d’après Scientific Committee for Food [1993]).
Minéraux
Besoins journaliers
Calcium
Phosphore
Potassium
Magnésium
Fer
Zinc
Cuivre
Sélénium
Iode
400
300
800
85
4
4
0,4
10
70
(mg)
(µg)
(mg)
(mg)
(mg)
(mg)
(mg)
(µg)
(µg)
6-1-3
GÉNÉRALITÉS SUR L’ORIGINE DES CARENCES
Les minéraux indispensables sont habituellement divisés en minéraux
majeurs et en oligo-éléments ou éléments-traces (trace elements en anglais), ces
derniers comprenant l’ensemble des substances élémentaires représentées à raison
de moins de 5 g dans l’organisme. L’importance physiologique d’un minéral est
cependant sans relation avec sa quantité totale présente dans l’organisme. Ainsi,
l’iode ou le sélénium sont indispensables à la vie, au même titre que le calcium
même si les quantités d’iode ou de sélénium présentes dans l’organisme ne
représentent que quelques milligrammes, alors que le calcium représente environ
1 kg.
6-1-3 Généralités sur l’origine des carences
La plupart des plantes se nourrissent des minéraux qu’elles puisent
exclusivement dans le sol, et synthétisent toutes les molécules organiques, et en
particulier toutes les vitamines nécessaires à leur métabolisme. Cette faculté de
synthèse est réduite chez les espèces animales : en fait elles dérivent toutes, de
façon directe ou indirecte, leur alimentation de produits d’origine végétale. Pour
les espèces animales, la synthèse de novo d’un certain nombre de molécules
complexes ne représente donc plus une nécessité vitale puisqu’elles les trouvent
dans leur alimentation. L’homme représente un cas extrême de cette dépendance
à la nourriture : il est par exemple une des rares espèces, avec les autres primates,
à être incapable de synthétiser la vitamine C. L’espèce humaine a évolué au départ
d’une alimentation basée sur la cueillette et la chasse, procurant un régime
extrêmement varié, riche en minéraux et en vitamines [EATON, KONNER, 1985]. Les
carences en vitamines et minéraux actuellement observées dans les populations
les plus pauvres sont la conséquence de la consommation de régimes dont la
monotonie est sans précédent dans l’histoire de l’espèce.
L’organisme possède la capacité d’absorber et de retenir les différents
minéraux dont il a besoin pour survivre. Cette faculté couvre de larges gammes
d’apports. L’espèce humaine, comme la plupart des mammifères, éprouve une
attirance très forte pour les aliments salés, mais peut survivre à des régimes très
pauvres en sodium en utilisant des mécanismes rénaux de rétention sodée
efficaces. La situation diffère pour le potassium ou le magnésium. Ces minéraux
n’éveillent en effet pas d’attirance particulière, bien qu’ils soient aussi
indispensables à la vie que le sodium. L’attirance pour le goût salé s’explique peutêtre par la nature pauvre en sel de l’environnement dans lequel l’espèce humaine
a évolué jusqu’à l’invention récente du commerce. Inversement, la plupart des
minéraux (et entre autres le potassium et le magnésium) étaient abondants dans
l’alimentation avant l’introduction de farines de céréales blanchies par élimination
de la couche externe de la graine. L’histoire de l’espèce pourrait également
99
VITAMINES ET MINÉRAUX
expliquer pourquoi certains minéraux indispensables à la vie comme le zinc ou le
fer sont relativement mal absorbés quand ils sont apportés par des régimes à base
de céréales. Rappelons que jusqu’à l’invention de l’agriculture il y a 10 000 ans
environ, c’est-à-dire tout récemment pour la durée de l’évolution de l’espèce, les
céréales n’entraient que pour une part négligeable dans l’alimentation humaine
[EATON, KONNER, 1985]. L’espèce ne semble pas encore adaptée à ce changement
d’alimentation.
6-2 Les deux grandes classes
de nutriments
100
La malnutrition grave de l’enfant est une condition complexe et on y
retrouve toujours un degré de carence en vitamines et en minéraux. Pour mieux
comprendre les interactions régissant les différents types de carences observées, il
est utile de diviser les nutriments en deux classes, selon qu’ils interviennent ou non
sur la croissance, d’après le schéma proposé par GOLDEN [1991].
Un animal en croissance, nourri avec un régime pauvre en fer, utilise
d’abord le fer endogène de ses réserves et quand celles-ci sont épuisées, il
développe une anémie ferriprive. À ce stade, la concentration tissulaire du fer
diminue d’une façon marquée, mais la croissance en taille ou en poids de
l’animal ne fléchit pas. Par contre, si son régime alimentaire est pauvre en zinc,
sa croissance pondérale cesse dans un premier temps, et son poids stagne puis
décroît très rapidement. La concentration en zinc tissulaire reste cependant
normale jusqu’au décès de l’animal même si le taux de zinc plasmatique diminue
modérément. L’animal meurt de carence en zinc sans que l’on n’observe de
manifestation biochimique franche suite à cette carence. Cette différence vis-àvis du fer et du zinc peut paraître surprenante, mais en fait, on constate dans les
deux cas une nette diminution de la quantité totale du métal normalement
présente dans l’organisme. En cas de carence martiale, la concentration en fer de
l’organisme diminue mais celui-ci maintient une taille normale alors que dans le
cas du zinc, la réduction s’opère proportionnellement à celle de l’organisme
entier. Il existe une différence fondamentale entre ces deux types de réponses à
une carence nutritionnelle. La plupart des nutriments peuvent être classés d’après
la réponse qu’ils induisent en cas de déficit alimentaire prolongé : une réponse
évoquant soit celle du fer (type I), soit celle du zinc (type II) (Tableau XXVII). Les
caractéristiques principales de ces deux classes de nutriments sont décrites au
tableau XXVIII.
6-2
LES DEUX GRANDS CLASSES DE NUTRIMENTS
Tableau XXVII — Classification des nutriments selon que le type de réponse observée en
cas de carence est une réduction de la concentration tissulaire (type I)
ou une réduction globale de la croissance de l’organisme (type II)
(d’après GOLDEN [1991]).
Nutriments de type I
Nutriments de type II
Sélénium
Iode
Fer
Cuivre
Calcium
Manganèse
Thiamine
Riboflavine
Acide ascorbique
Rétinol
Tocophérol
Calciférol
Acide folique
Vitamine B12
Pyridoxine
Azote
Soufre
Acides aminés essentiels
Potassium
Sodium
Magnésium
Zinc
Phosphore
Eau
101
Tableau XXVIII — Caractéristiques des carences de type I et de type II (voir tableau XXVII,
d’après GOLDEN [1991]).
Carences de type I
Carences de type II
Concentration tissulaire variable
Concentration tissulaire fixe
Utilisés dans des voies métaboliques
spécifiques
Utilisés dans tous les tissus
Signes cliniques caractéristiques
Pas de signes spécifiques
Stockés dans l’organisme
Pas de réserves
Carence apparaissant après un certain
délai
État nutritionnel dépendant de l’apport
quotidien
Nutriments agissant indépendamment
l’un de l’autre
Équilibre nécessaire entre les différents
nutriments du groupe
Faible contrôle de l’excrétion
Contrôle étroit du niveau d’excrétion
VITAMINES ET MINÉRAUX
6-2-1 Carences de type I
On peut décrire la séquence des événements qui se produisent suite à une
consommation insuffisante d’un nutriment de type I. Tout d’abord, la
concentration tissulaire de ce nutriment se réduit, ensuite les voies métaboliques
qui en dépendent sont perturbées et ces dérèglements provoquent finalement des
signes cliniques caractéristiques. Le diagnostic de ces maladies carentielles est
relativement aisé et peut être posé en mesurant la concentration tissulaire du
nutriment considéré au sein même de l’un ou l’autre organe cible bien déterminé
(foie, sang, moelle osseuse, etc.). L’exploration de certaines voies métaboliques
peut contribuer au diagnostic tout comme le rétablissement indiscutable et
spécifique d’un critère fonctionnel altéré ou d’un signe clinique pathologique
après correction diététique bien menée.
6-2-2 Carences de type II.
102
Le diagnostic des carences de type II est beaucoup plus délicat à établir car
aucun des moyens utilisés pour mettre en évidence une carence de type I n’est
utilisable. Cette restriction représente une difficulté conceptuelle majeure pour
définir, comprendre et donc diagnostiquer les carences de type II. Les controverses
à propos de la définition d’une carence de type II viennent de tentatives d’y
appliquer des critères diagnostiques uniquement appropriés aux nutriments de
type I. Les nutriments de type II doivent être tous considérés comme constituants
essentiels de la synthèse tissulaire qui ne peut donc s’effectuer que si chacun
d’entre eux est suffisamment présent. Si un seul vient à manquer, le catabolisme
du tissu considéré est inévitable, avec comme corollaire la perte de tous les autres
constituants. Une synthèse de novo de ce tissu ne peut reprendre qu’en présence
de tous ses constituants. Ces nutriments sont interdépendants, situation analogue
à celle des acides aminés essentiels qui, eux aussi, doivent être fournis en
quantités équilibrées pour permettre une synthèse protéique : des proportions
déterminées entre acides aminés doivent être respectées et elles correspondent, à
quelques détails près, aux valeurs observées dans l’organisme.
Les effets des carences en nutriments de type II présentent des
caractéristiques très particulières qui sont énumérées ci-après.
• Uniformité des manifestations cliniques en cas de carence
L’effet d’une carence qui se marque par un retard de croissance chez
l’enfant pour une carence mineure, et par une perte de poids pour une carence
majeure, est invariable pour tous les nutriments de type II, quels qu’ils soient. En
conséquence, un retard de croissance ne permet pas par lui-même d’identifier le
6-2-2
CARENCES DE TYPE II
type de carence qui est en cause. De nombreuses expériences chez l’animal ont
montré que toutes les carences impliquant ces nutriments provoquent
uniformément un retard de croissance suivi d’une perte de poids. La réponse à un
déficit suffisamment long en l’un ou l’autre nutriment de type II engendre un retard
de croissance dont l’importance dépend à la fois de la profondeur de cette carence
et de sa durée. Une carence aiguë (substantielle mais de courte durée) provoque
une perte de poids, aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte. Une carence
prolongée cause un retard de croissance en taille, uniquement chez l’enfant bien
évidemment.
• Interdépendance des nutriments de type II
La fonte tissulaire consécutive à une carence d’apport en un nutriment de
type II, entraîne avec elle la totalité des nutriments présents dans les tissus
métabolisés. Comme la croissance est arrêtée, tous les nutriments apportés en
excès par rapport au nutriment limitant sont excrétés. Les nutriments de type II en
effet ne peuvent pas être mis en réserve. Tout se joue dans l’équilibre entre ces
différents nutriments de même nature, car le déficit de l’un entraîne l’élimination
de l’ensemble d’entre eux.
103
• Absence de manifestation clinique en cas de retard de croissance
Lorsqu’un nutriment de type II vient à manquer dans la ration, des
mécanismes de conservation ou de retenue sont fortement activés en vue
d’épargner le nutriment limitant. Il est donc extrêmement difficile de montrer
l’impact d’un déficit de cet ordre chez un sujet qui n’est pas en croissance, sauf
s’il est dû à un état pathologique associé (par exemple diarrhée ou néphropathie).
C’est pourquoi le gain pondéral constitue chez l’enfant le meilleur indicateur
pour évaluer les besoins en nutriments de type II. Aucun signe clinique spécifique, en dehors d’une croissance réduite ou d’une perte de poids, n’est à
attendre d’une carence en nutriment de type II, à moins que cette carence ne soit
très marquée.
Au niveau d’une population, en dehors d’une prise de poids insuffisante, les
manifestations cliniques observées quand une ration alimentaire manque d’un
nutriment de type II, apparaîtront paradoxalement en premier chez les personnes
âgées, puis chez les adultes et enfin chez les enfants. Ce paradoxe s’explique par
le niveau élevé des besoins en énergie nécessaires à l’enfant. Cette constatation est
à mettre en parallèle avec le risque plus élevé de carence en protéines que
présentent les personnes âgées ayant une activité physique limitée (§ 5-4-2).
Rappelons que les acides aminés indispensables répondent à la définition des
nutriments de type II.
VITAMINES ET MINÉRAUX
• Difficulté d’interprétation des expériences de supplémentation
Comme les besoins en nutriments de type II sont déterminés par la
croissance, on pourrait penser que la mesure de la vitesse de croissance après
supplémentation du régime puisse constituer un test diagnostique. En fait, la
situation est plus complexe. La carence initiale peut en soi entraîner un
catabolisme et avoir pour conséquence l’élimination de tous les autres nutriments
de type II, quelle que soit la nature de la carence initiale. On ne peut donc
observer un rattrapage de croissance qu’après avoir donné un supplément dans le
cadre d’un déficit de courte durée ou en apportant un régime contenant en
quantités suffisantes tous les autres nutriments de type II.
Si le supplément nutritionnel donné en cas de carence de type II est
déséquilibré, le gain de poids éventuel est alors déterminé par le nutriment limitant
du régime global, et non par la nature de la carence initiale ou le nutriment
limitant du supplément nutritionnel. En fait, un supplément nutritionnel mal
adapté peut aggraver une carence préexistante en réduisant encore la teneur de
l’élément qu’il est censé supplémenter.
• Fréquence de l’anorexie associée
104
L’anorexie est une caractéristique commune de toutes les carences en
nutriments de type II. Elle disparaît rapidement en cas de supplémentation. Sa
présence est vraisemblablement liée à l’excès relatif des autres nutriments de type II,
plus particulièrement au surplus en acides aminés qui doivent être catabolisés et
éliminés avant d’atteindre des niveaux toxiques [HARPER et al., 1970; CHESTERS, WILL,
1973]. En situation carentielle, l’organisme semble orienter son métabolisme vers
une consommation préférentielle de ses propres tissus qui lui fourniront tous les
nutriments nécessaires plutôt que de tirer profit d’un régime apportant en excès des
nutriments qu’il ne peut utiliser en raison de l’absence du nutriment déficient.
Dans ce contexte, les enquêtes de consommation alimentaire sont d’un
intérêt limité parce que des apports spontanés très faibles peuvent être dus à des
apports insuffisants en un nutriment de type II, non détectés dès lors qu’ils n’ont
pas été mesurés. Les carences en nutriments de type II pourraient expliquer
l’anorexie surprenante que l’on observe chez des enfants atteints d’un retard de
croissance prononcé et dont l’alimentation est monotone. On constate souvent
que les enfants ne consomment pas la totalité de la nourriture qui leur est offerte
lorsque leur régime est très monotone [EASTWOOD GARCIA et al., 1990].
• Difficultés diagnostiques
Les techniques habituelles de diagnostic sont difficilement applicables aux
nutriments de type II. Les mesures directes de concentration sérique ou tissulaire
risquent d’être sans valeur lorsqu’une fonte tissulaire est associée à la carence. Par
6-3-1
POTASSIUM
ailleurs, une anomalie de concentration peut tout aussi bien être due à la carence
associée d’un autre nutriment de type II. De surcroît, un taux sérique ou tissulaire
anormal peut faire suite à un ajustement métabolique et non pas à une carence du
nutriment considéré. Une réduction de la concentration des enzymes de la
synthèse protéique peut par exemple entraîner également une réduction du taux
de zinc. En conclusion, les approches diagnostiques classiques sont peu
spécifiques, et ce problème représente une difficulté majeure.
Le peu de spécificité d’un amaigrissement et la difficulté de confirmer
par des moyens biologiques simples une carence en nutriment de type II
conduisent à sous-estimer fortement l’incidence de ces carences. Globalement, on
peut penser qu’elles sont impliquées dans la majorité des cas de malnutrition
observés de par le monde.
6-3 Besoins en minéraux
en cas de malnutrition grave
Les besoins en vitamines et en minéraux dépendent, comme ceux en énergie
et en protéines, des dépenses d’entretien (métabolisme de base) et des besoins pour
la croissance. En cas de malnutrition, la situation est plus compliquée : aux deux
exigences précitées se surajoutent les besoins nutritionnels nécessaires pour
corriger des carences préexistantes. Ces besoins concernent plus particulièrement
les nutriments de type I, dont les concentrations tissulaires peuvent sensiblement
baisser. Pour certains minéraux, les besoins d’entretien eux-mêmes peuvent être
augmentés suite à une malabsorption (fréquente dans la malnutrition), à des pertes
digestives (cas du zinc, du magnésium et du potassium) ou à une rétention
métabolique réduite (situation du potassium urinaire par exemple).
Le nombre de facteurs complexes déterminant les besoins en minéraux et
vitamines est tel que bien des incertitudes persistent sur les quantités optimales à
donner à l’enfant en phase de renutrition. Les recommandations actuelles émanent
de constatations pratiques, établies sur le terrain et dont la pertinence semble
validée par l’expérience.
6-3-1 Potassium
Les besoins en potassium sont particulièrement élevés au cours de la
renutrition. En début de traitement, la concentration tissulaire en est fréquemment
abaissée [ALLEYNE, 1970]. Cette carence est due à une mauvaise rétention urinaire
et à des pertes digestives, en raison du ralentissement de la pompe
sodium/potassium. Une carence associée en magnésium aggrave le déficit
105
VITAMINES ET MINÉRAUX
potassique (§ 6-3-2). Les régimes puisant la plus grande partie de leur énergie dans
les farines de céréales, donc pauvres en produits animaux, en légumes et en fruits,
sont pauvres en potassium [MICHAELSEN, CLAUSEN, 1987]. Ces pratiques
alimentaires sont typiquement celles de nombreuses populations défavorisées. Le
manioc est par contre relativement riche en potassium, et les besoins sont plus
facilement couverts par les régimes dont il constitue l’aliment de base.
Les pertes potassiques sont importantes au cours de la diarrhée, et la teneur
en potassium de la solution de réhydratation standard peut ne pas suffire à
compenser les pertes [AHMED et al., 1988]. Les enfants atteints de diarrhée associée
à la malnutrition sont donc particulièrement exposés au risque d’hypokaliémie.
Historiquement, la mortalité par diarrhée a considérablement baissé au cours des
années cinquante au moment où l’on a introduit le potassium dans les solutions
de réhydratation [HIRSCHHORN, 1980].
106
De faibles réserves en potassium, c’est-à-dire un pool potassique tissulaire
réduit, semblent constituer un risque majeur de mortalité. On a observé qu’il
existait chez l’enfant une relation directe entre le niveau de ses réserves en
potassium en début de traitement et le risque de décès précoce [MANN et al.,
1975]. Il a aussi été montré chez l’animal dénutri expérimentalement que les
régimes à faible teneur en potassium augmentaient le risque d’œdèmes et de
décès, particulièrement en cas d’apports concomitants élevés en sodium
[MCGUIRE, YOUNG, 1986]. Il est donc important de corriger les carences en
potassium. Ceci ne peut être mieux obtenu qu’en donnant à l’enfant des
suppléments de potassium. De fait, aucun aliment n’est naturellement
suffisamment riche en potassium pour assurer les besoins et corriger les déficits en
potassium d’un enfant gravement dénutri.
Il est difficile de quantifier un déficit en potassium au cours d’une
malnutrition. La kaliémie (taux de potassium sérique) ne reflète que très
imparfaitement les réserves réelles de l’organisme. La seule technique fiable
consiste à mesurer le rayonnement radioactif spontané de l’organisme. Celui-ci est
dû principalement à un isotope radioactif naturel du potassium, généré au moment
de la formation du système solaire. Ce rayonnement fossile spontané est très faible,
et sa mesure n’a pu être effectuée que dans quelques rares centres de recherche.
Ces analyses ont montré que la correction du déficit du pool du potassium de
l’organisme pouvait prendre plusieurs semaines [ALLEYNE, 1970].
En pratique, on recommande actuellement de donner de 4 à 8 mEq/kg/jour
de potassium en cas de malnutrition grave. Ces apports sont couverts quand on
nourrit l’enfant avec les formules de renutrition de type F75 ou F100 auxquelles
un supplément minéral standard approprié a été ajouté (voir composition § 6-4).
Ces quantités fournies en supplément sont relativement élevées, mais il ne semble
pas qu’elles exposent à un risque d’hyperkaliémie, du moins dans les régions où
6-3-3
ZINC
les rations sont pauvres en potassium. Pour éviter les risques d’hyperkaliémie, il est
aussi important d’utiliser un supplément minéral neutre qui ne provoque pas de
troubles de l’équilibre acido-basique, susceptibles d’interférer avec le
métabolisme du potassium.
6-3-2 Magnésium
Les carences en magnésium sont quasi la règle au cours de la malnutrition
grave. Les régimes à base de farines de céréales, apportant peu de produits
animaux, légumes et fruits, sont particulièrement pauvres en magnésium. Le
magnésium est pourtant un constituant de la chlorophylle dont il occupe le centre
du noyau tétrapyrrolique. La chlorophylle présente une structure moléculaire
proche de celle de l’hémoglobine dont le fer inséré au centre du noyau héminique
aurait été remplacé par du magnésium. Le magnésium est un constituant
métabolique indispensable du règne végétal et est présent en fortes concentrations
dans les graines. Les farines de céréales à faible taux d’extraction (c’est-à-dire trop
blutées) donc préparées à partir de grains dont la partie externe, riche en
magnésium, a été enlevée en contiennent par contre très peu.
Les carences en magnésium entraînent secondairement une déplétion en
potassium, parce qu’en l’absence de magnésium, la pompe sodium/potassium ne
fonctionne plus correctement [DORUP, CLAUSEN, 1993]. Cette carence peut donc
faire courir un risque vital. Une supplémentation en magnésium chez l’enfant
gravement dénutri réduit la fréquence des troubles du rythme cardiaque en
favorisant sans doute la réplétion potassique [CADDELL, 1967]. Un apport
supplémentaire de magnésium est recommandé en début du traitement
nutritionnel, parce que la quantité présente naturellement dans les mélanges lactés
ne permet pas de fournir des besoins accrus.
Le chlorure de magnésium donné en grandes quantités peut entraîner une
acidose chez les enfants dont la fonction rénale est compromise, or ce type
d’insuffisance est fréquent en cas de malnutrition grave. C’est pourquoi il est
recommandé de donner le magnésium sous forme tamponnée. Il est donc
recommandé d’apporter une partie du potassium sous forme de citrate quand le
magnésium est donné sous forme de chlorure.
6-3-3 Zinc
Le zinc intervient dans la synthèse de plus de 300 enzymes [PRASAD, 1995].
Il est surtout présent dans les aliments d’origine animale. Une carence en zinc est
presque toujours associée à la malnutrition grave et survient habituellement chez
des enfants nourris presque exclusivement de produits d’origine végétale.
107
VITAMINES ET MINÉRAUX
Le zinc est nécessaire pour la synthèse d’ADN. La carence en zinc se
répercute principalement sur les tissus caractérisés par une division cellulaire
intense, en particulier au niveau de la muqueuse digestive et des cellules
lymphocytaires [PRASAD, 1995]. C’est pourquoi la carence en zinc cause une
dépression de l’immunité cellulaire [PRASAD, 1995] et est souvent responsable
d’une diarrhée persistante [HAMBIDGE, 1992]. On démontre par ailleurs qu’une
carence en zinc est fréquente en cas de retard de croissance en taille (nanisme) et
en cas de lésions cutanées profondes et étendues dans le kwashiorkor [GOLDEN,
GOLDEN, 1979].
Une supplémentation en zinc augmente généralement le gain de poids d’un
enfant en phase de récupération d’une malnutrition grave [GOLDEN, GOLDEN, 1981;
SIMMER et al., 1988]. Bien que le zinc favorise l’appétit, l’amélioration de la prise
de poids semble due à une réduction du coût énergétique de la croissance, en
raison d’une synthèse préférentielle de tissus maigres [GOLDEN, GOLDEN, 1981]
(§ 3-5-2).
6-3-4 Cuivre
108
L’absorption intestinale du zinc et celle du cuivre semblent en compétition
[SANDSTEAD, 1995] et il existe un risque d’induire une carence en cuivre chez les
enfants généreusement supplémentés en zinc auxquels on ne donnerait pas de
cuivre. Dans certaines régions, les carences en cuivre sont fréquentes chez l’enfant
gravement dénutri [GOYENS, 1994]. Elles induisent une anémie par réduction de la
durée de vie des hématies et par séquestration des réserves de fer au niveau
médullaire [FONDU et al., 1978]. Une carence en cuivre peut entraver la prise de
poids [CASTILLO-DURAN et al., 1983]. Une carence cuprique profonde peut causer
des troubles du rythme cardiaque [SANDSTEAD, 1995]. Toutes ces raisons incitent à
associer du cuivre à toute supplémentation en zinc.
Le cuivre est suffisamment présent dans la plupart des aliments, à
l’exception du lait. Ceci constitue une raison supplémentaire pour ajouter du
cuivre aux régimes lactés prescrits aux enfants convalescents de malnutrition
grave.
6-3-5 Sélénium
Le sélénium est nécessaire à la synthèse d’enzymes impliquées dans les
réactions métaboliques permettant d’éliminer les radicaux libres produits en excès,
notamment en cas d’infection. Les carences en sélénium chez l’enfant gravement
malade n’entraînent pas de manifestations cliniques caractéristiques. Mais
infection et malnutrition étant étroitement liées, la carence en sélénium semble
6-3-6
FER
jouer un rôle dans l’excès de mortalité observé frappant les enfants vivants dans
des zones géographiques au sol particulièrement pauvre en sélénium [GOLDEN et
al., 1985]. C’est pourquoi on recommande d’inclure aussi du sélénium dans le
régime alimentaire proposé au cours de la renutrition des enfants en période de
récupération.
6-3-6 Fer
Le cas du fer est très particulier. Paradoxalement, les enfants dénutris
possèdent souvent des réserves en fer élevées par rapport à leur poids corporel
[FONDU et al., 1978]. L’organisme n’a pas de moyens d’éliminer le fer présent en
excès. Lors de l’amaigrissement par fonte musculaire qui s’installe au cours de la
malnutrition, le fer est libéré mais ne peut pas être éliminé de l’organisme. Du fer
est également libéré des globules rouges détruits par hémolyse, particulièrement
en cas de carence en cuivre, mais il n’est pas réutilisé pour la synthèse de
nouvelles hématies si la synthèse protéique est réduite. Le fer s’accumule ainsi
progressivement dans le foie. Le niveau des réserves hépatiques en fer semble
donner un reflet de la gravité et de la durée de la malnutrition. Il existe en tous cas
une relation entre le taux des réserves martiales du foie, estimées par la ferritine
sérique, et le risque de décès pendant le traitement d’une malnutrition [GOLDEN et
al., 1985]. Par ailleurs, la supplémentation en fer donnée en début de traitement
semble aussi augmenter le risque de décès [SMITH et al., 1989].
Outre l’association probable entre la gravité de la malnutrition et
l’accumulation hépatique de fer, deux mécanismes sont invoqués pour expliquer
cette association entre réserves martiales et mortalité. D’une part, la présence de
fer en quantité élevée dans un organisme à l’immunité fragile favorise la survenue
d’infections car le fer est nécessaire à la multiplication de la plupart des bactéries
[WEINBERG, 1993]. D’autre part, un excès de fer favorise la production de radicaux
libres qui pourraient intervenir dans la survenue de certaines complications
observées au cours du kwashiorkor [MCFARLANE et al., 1970; GOLDEN, RAMDATH,
1987]. Ces deux mécanismes, non mutuellement exclusifs, sont vraisemblablement impliqués chez les enfants dont la transferrine sérique est abaissée. La
transferrine est une protéine porteuse qui chélate normalement le fer et préserve
ainsi l’organisme des effets toxiques du fer libre.
En raison de l’association constatée entre l’état des réserves en fer et le
risque de décès, on recommande actuellement de ne pas administrer de fer au
début de la prise en charge d’une malnutrition grave. Une supplémentation est
cependant ultérieurement nécessaire quand l’enfant entre en phase de croissance
pondérale rapide. À ce stade, même le fer stocké en excès dans le foie peut ne plus
suffire pour assurer la synthèse de nouveaux tissus (§ 7-3-2).
109
VITAMINES ET MINÉRAUX
6-3-7 Phosphore
Les enfants gravement dénutris semblent fréquemment carencés en
phosphore. Leurs faibles concentrations de phosphate sérique reflètent sans doute
des apports faibles [WATERLOW, GOLDEN, 1994]. Ce déficit passe souvent inaperçu
car ces enfants sont renourris à base de régimes lactés riches en phosphore
facilement assimilable, et les carences sont donc rapidement corrigées. En début de
traitement néanmoins, elles pourraient expliquer une part de troubles de l’équilibre
acido-basique observés chez l’enfant malade [KLAHR, ALLEYNE, 1973]. L’élimination
urinaire de phosphates est un des mécanismes fondamentaux assurant la régulation
de l’équilibre acido-basique de l’organisme. Il semble ne plus pouvoir être
fonctionnel si les apports alimentaires en phosphate sont insuffisants.
110
La plupart des aliments sont riches en phosphore, en particulier les céréales
et les légumineuses. Il s’y trouve cependant sous forme de phytates, difficiles à
absorber. Les phytates ont par ailleurs la propriété de se lier aux cations divalents
(surtout le zinc et le fer) et d’en limiter l’absorption. Ce facteur pourrait limiter
l’efficacité des régimes non lactés proposés dans le traitement de la malnutrition
grave : ils ne permettent pas la correction rapide d’une carence en phosphates et
accroissent ainsi le risque létal [BREWSTER et al., 1997].
La panification améliore la qualité nutritionnelle des céréales car elle détruit
une partie des phytates présents dans la farine et en libère du phosphore
biodisponible. La mauvaise biodisponibilité du phosphate pose surtout des
problèmes préoccupants dans les populations se nourrissant traditionnellement
d’aliments non panifiés.
6-4 Apport en minéraux au cours de
la malnutrition grave - Utilisation
d’un supplément standard
Les besoins en minéraux chez l’enfant atteint de malnutrition grave sont très
élevés comparés à ceux d’enfants bien portants. En pratique, ces exigences
nutritionnelles imposent d’utiliser des suppléments de minéraux de nature
chimique. Aucun aliment ne peut fournir les minéraux en quantités nécessaires à
corriger de telles carences et à assurer une synthèse tissulaire de novo. Même le
lait riche en minéraux possède une concentration en potassium, magnésium, zinc,
cuivre et sélénium nettement insuffisante pour couvrir des besoins aussi élevés.
6-5
APPORT EN VITAMINES AU COURS DE LA MALNUTRITION GRAVE
En principe, deux stratégies existent pour pourvoir aux besoins en vitamines
et en minéraux à l’aide de suppléments au cours de la renutrition. La première
consiste à prescrire à chaque enfant une quantité de minéraux correspondant
exactement à ses besoins. Cette quantité est établie en fonction de l’état clinique
à chaque stade du traitement. Cette manière de faire a été utilisée initialement
dans des centres de référence. Elle présente l’inconvénient d’exiger la présence sur
place d’un médecin ou d’un pédiatre expérimenté dans la prise en charge clinique
de la malnutrition et connaissant bien les aspects cliniques des différents types de
carence. Dès lors, cette pratique n’est pas généralisable. L’autre stratégie consiste
à enrichir en minéraux les régimes destinés à la renutrition en les supplémentant
à des concentrations telles qu’une consommation iso-énergétique assure
automatiquement les besoins en vitamines et minéraux. Cette pratique a été
retenue par les différents organismes humanitaires impliqués dans les programmes
d’urgence [BRIEND, GOLDEN, 1993] et a été récemment reprise par l’OMS [1998].
Elle est nettement plus simple à appliquer sur le terrain. Le supplément standard
actuellement utilisé est reproduit au tableau XXIX.
Donner un supplément vitaminique et minéral standard n’est guère, en
théorie, satisfaisant : la malnutrition varie dans ses présentations cliniques d’un
endroit à l’autre et les carences associées diffèrent également selon les régions. La
nature de ce supplément est le fruit du résultat d’études menées dans un nombre
très petit de centres de recherche appliquant la méthode empirique. Néanmoins,
cette supplémentation standard semble donner de bons résultats, notamment en
termes de croissance pondérale. Son utilisation est donc recommandée à défaut
d’arguments en faveur de suppléments différents. Si on admet que les carences en
nutriments de type II entraînent toutes une réponse identique, à savoir un retard de
croissance avec maintien à un niveau constant de la concentration tissulaire de ces
nutriments, l’efficacité sur le gain de poids d’un supplément suffisamment dosé en
nutriments de type II sera identique, quelles que soient les carences initiales.
6-5 Apport en vitamines au cours
de la malnutrition grave
Les carences en vitamines sont fréquentes chez l’enfant gravement dénutri.
En raison de la gravité des complications associées, il est recommandé de donner
systématiquement à l’admission une dose thérapeutique de vitamine A, même en
l’absence de carence clinique. Une forte dose de 5 mg d’acide folique est
également recommandée le premier jour (§ 7-3-1, p. 125).
111
VITAMINES ET MINÉRAUX
Tableau XXIX — Composition du supplément proposé dans les
préparations de renutrition. Les quantités sont
données par litre de formule F75 ou F100
reconstituée.
Composition
112
Minéraux
Chlorure de potassium
Citrate tripotassique
Chlorure de magnésium
Acétate de zinc
Sulfate de cuivre
Sélénate de sodium
Iodure de potassium
Vitamines hydrosolubles
Thiamine
Riboflavine
Niacine
Pyridoxine
Vitamine B12
Acide folique
Vitamine C
Acide pantothénique
Biotine
Vitamines liposolubles
Vitamine A
Vitamine D
Vitamine E
Vitamine K
Supplément standard par litre
de formule F75 ou F100
1789
649
610
66
11
0,22
0,10
mg
mg
mg
mg
mg
mg
mg
24 mmoles
2 mmoles (6 mEq)
3 mmoles (6 mEq)
300 µmoles
45 µmoles
0,6 µmoles
0,6 µmoles
0,7 mg
2 mg
10 mg
0,7 mg
1 µg
0,35 mg
100 mg
3 mg
100 µg
1,5 mg
30 µg
22 mg
40 µg
Pour les autres vitamines, on utilise la même approche que celle retenue
pour les minéraux, à savoir on préconise d’ajouter sous forme de supplément une
quantité standard de vitamines aux formules diététiques utilisées (Tableau XXIX).
La concentration vitaminique choisie est calculée de sorte à fournir à l’enfant
consommant la totalité de son énergie à partir d’une formule lactée enrichie, des
apports en vitamines couvrant largement les besoins normaux pour l’âge. Les
besoins en vitamines d’un enfant gravement dénutri ne sont pas réellement
connus : néanmoins, on estime que cette stratégie nutritionnelle permet de couvrir
les besoins de façon satisfaisante.
Les vitamines hydrosolubles excédentaires sont éliminées par le rein, et il
n’existe quasiment aucun risque toxique quand les apports sont très généreux. Par
contre, les vitamines liposolubles apportées en excès ne peuvent pas être
6-6-2
MALNUTRITION MODÉRÉE
éliminées rapidement par l’organisme et il existe des risques de surcharge. Les taux
de vitamines liposolubles proposés au tableau XXIX sous forme de supplément ont
cependant été fixés de manière à rester très en deçà des niveaux toxiques.
6-6 Aspects pratiques
de la supplémentation
en vitamines et minéraux
6-6-1 Malnutrition grave
Les mélanges de minéraux destinés à être mélangés aux formules F75 et
F100 doivent être composés de sels solubles pour éviter toute précipitation des sels
après dilution dans les repas lactés. Les sels insolubles présenteraient en plus
l’inconvénient d’être difficilement resolubilisés dans l’estomac, et donc d’être mal
absorbés au niveau de l’intestin, par les enfants ayant une acidité gastrique réduite.
La plupart des préparations vitaminiques commerciales n’ont pas été
conçues pour traiter les enfants dénutris. Elles sont donc déconseillées (§ 7-3-1).
D’ailleurs, leur composition est généralement très différente du supplément
présenté au tableau XXIX.
Le supplément standard de minéraux et vitamines se présente sous forme de
poudre. Il est difficile, en l’absence d’un équipement spécialisé, de préparer ce
mélange à partir des sels minéraux de base et il n’est donc pas conseillé de le faire
en dehors d’une installation industrielle. Une large diffusion et un usage répandu
de ces suppléments devraient inciter les industriels à les préparer en grandes
quantités et à faible coût.
6-6-2 Malnutrition modérée
Les besoins en minéraux sont nettement moins élevés chez l’enfant
modérément dénutri. Le recours à des aliments enrichis artificiellement en
vitamines et en minéraux n’est donc pas indispensable. L’enrichissement se justifie
cependant souvent pour des raisons de coût. En fait, le prix des différents vitamines
et minéraux est souvent nettement plus faible quand ils sont apportés sous forme
chimique que par une diversification alimentaire sous forme naturelle. Le tableau
XXX donne à titre d’exemple quelques comparaisons de prix. La différence de prix
entre forme naturelle et forme d’origine industrielle est généralement très
113
VITAMINES ET MINÉRAUX
importante, quelle que soit la zone géographique considérée. L’exercice qui
consiste à établir le tableau XXX dans différents pays est très instructif. On peut
également estimer le prix de la couverture des besoins de l’enfant pour les
différents vitamines et minéraux à partir des aliments présents sur le marché local.
Ce calcul permet souvent de constater que les carences les plus fréquentes
trouvent une explication économique. Sous toutes les latitudes, certains
nutriments comme le potassium, le zinc, la vitamine A, sont généralement coûteux
parce qu’on ne les trouve en forte concentration que dans les produits d’origine
animale.
Tableau XXX — Comparaison du prix (exprimé par kg) de certains nutriments selon
l’origine industrielle ou naturelle de ceux-ci.
Nutriment
Source
Vitamine C Orange
114
Calcium
Lait en
poudre
Vitamine A Carotte
Concentration
Prix de
l’aliment
C
(mg/100 g)
P
(FF/kg)
Prix du nutriment
d’origine
naturelle
Pnn = (P/C) x 105
(FF/kg)
Prix du nutriment
d’origine
industrielle
Pni
(FF/kg)
50
10
20 000
60
1300
20
1 540
3
2
(éq. rétinol)
20
1 000 000
250
Les vitamines et les minéraux d’origine naturelle sont souvent considérés
comme étant mieux utilisés par l’organisme. Ce n’est pas toujours le cas. On a
longtemps cru par exemple que les légumes verts représentaient une source peu
coûteuse de bêta carotène mais en fait ce carotène est souvent très mal absorbé.
Ils représentent cependant une source potentielle de vitamine A, moins efficace
que l’administration de carotène sous forme chimique [DE PEE et al., 1995].
L’attitude à recommander pour assurer les apports en minéraux et en
vitamines des enfants modérément dénutris dépend des circonstances. Si les
contraintes financières sont faibles, l’idéal bien sûr est d’inclure dans la ration des
fruits et légumes frais ainsi que des produits d’origine animale. Si cette politique
n’est pas possible, l’utilisation d’un enrichissement artificiel pour compléter des
aliments de base doit être envisagée, en particulier pour les nutriments qui ne sont
disponibles sous forme naturelle que dans les aliments coûteux.
L’enrichissement en minéraux de la ration des enfants modérément dénutris
est techniquement moins délicat qu’en cas de malnutrition grave. Ces enfants
consomment des bouillies de céréales relativement épaisses dans lesquelles on
peut ajouter des sels minéraux insolubles sans qu’ils se déposent au fond du
RÉFÉRENCES
récipient. Ces enfants ont généralement une acidité gastrique normale qui leur
permet de dissoudre les sels insolubles à pH neutre et partant de les absorber de
façon satisfaisante. L’usage de ces formulations chimiques est intéressant car ces
sels insolubles sont moins coûteux. Enfin, ces sels ne possèdent généralement
aucun goût, et ne gênent donc pas l’acceptabilité de l’aliment enrichi.
Il existe différentes formules de minéraux et de vitamines susceptibles d’être
ajoutées à des bouillies de céréales et de légumineuses à l’usage des enfants
modérément dénutris. Leur effet sur la reprise du poids n’a généralement pas été
vérifié. Rien n’empêche d’utiliser la formule d’enrichissement en vitamines et
minéraux recommandée pour les enfants gravement dénutris (exprimée en mg
pour 1000 kcal), à laquelle on ajouterait du fer, du calcium et du phosphore. Il
persiste cependant bien des incertitudes quant à l’absorption de ces différents
minéraux mélangés à un régime où prédominent les céréales et les légumineuses
généralement très riches en phytates. Ces formules de supplémentation devront
encore être ajustées en fonction des aliments utilisés pour apporter la ration de
base en énergie et protéines. La situation est paradoxalement plus complexe que
pour la malnutrition grave, pour laquelle on utilise des mélanges minéraux
standards, eux-mêmes mélangés à des formules lactées à composition similaire
d’un pays à l’autre.
L’enrichissement des aliments locaux par des nutriments apportés sous
forme chimique est techniquement relativement aisé, mais nécessite un certain
soin. L’enrichissement d’un aliment consiste le plus souvent à mélanger cet
aliment finement broyé avec un supplément en vitamines et en minéraux en
poudre sensiblement plus fine, selon le type de minéral utilisé. Un tel mixage
nécessite l’emploi d’un mélangeur mécanique bien adapté et des précautions
doivent être prises pour que le mélange soit bien homogène à la fin de la
fabrication, et le reste en attendant l’utilisation. Ceci implique un protocole de
mélange bien standardisé dans un environnement industriel.
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117
7 – Prise en charge
de la malnutrition grave
7-1 Introduction
La malnutrition grave est associée à un risque de décès élevé. Les cas les
plus préoccupants doivent être pris en charge en milieu spécialisé : service
pédiatrique ou centre de renutrition thérapeutique dans les situations d’urgence.
Ces centres de traitement ne doivent pas nécessairement être très sophistiqués. Les
organismes humanitaires utilisent actuellement un protocole de traitement simple
[BRIEND, GOLDEN, 1993] qu’il est possible de mettre en oeuvre pour de grands
nombres d’enfants. Ce protocole peut être appliqué dans des conditions
sommaires comme dans les camps de réfugiés. Même dans ces situations
extrêmes, les taux de mortalité observés et les prises pondérales obtenues ne sont
pas très éloignés des chiffres publiés dans les meilleurs hôpitaux de référence.
De nombreux hôpitaux appliquent encore des protocoles thérapeutiques
anciens et obtiennent des taux de mortalité comparables à ceux observés il y a
plus de 20 ans [SCHOFIELD, ASHWORTH, 1996]. À l’époque, l’hospitalisation des
enfants gravement dénutris avait été sévèrement critiquée, car on se demandait si
l’hospitalisation elle-même n’entraînait pas un certain nombre de décès [COOK,
1971]. Cette question reste toujours d’actualité pour certains centres appliquant
des protocoles anciens et potentiellement dangereux. La publication par l’OMS
[1998] d’un manuel décrivant un mode de prise en charge de la malnutrition
devrait cependant faire évoluer la situation. Ce livret fait la synthèse à la fois du
protocole mis au point par la Tropical Metabolic Research Unit de la Jamaïque et
de l’expérience des organismes humanitaires.
Le coût du traitement en milieu hospitalier de la malnutrition grave reste
élevé. Dans les pays pauvres, seule une faible proportion d’enfants peut être traitée
ainsi. C’est pourquoi d’autres formules de prise en charge continuent d’être
proposées, comme le traitement des enfants au niveau de structures légères
fonctionnant en hôpital de jour ou à domicile. Passée la phase initiale et coûteuse
de réanimation pendant laquelle un environnement médical est important, la
poursuite de la réhabilitation nutritionnelle à domicile permet des économies
substantielles sur le coût du traitement [Khanum et al., 1994]. Le gain de poids des
enfants rendus à leur environnement familial est certes moins rapide, mais il peut
rester élevé. La mise au point et l’emploi de produits de renutrition conditionnés
119
PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE
sous forme sèche, résistants à la contamination bactérienne et se substituant aux
repas lactés classiques représenteraient un progrès pour la prise en charge de la
phase de croissance rapide.
7-2 Définition
120
La définition de la malnutrition grave sur base essentielle de critères
anthropométriques est une approche imparfaite (§ 2-3-1). Il est cependant utile de
définir des seuils de référence qui permettent de décider s’il y a lieu d’admettre un
enfant dans une unité de traitement spécialisée. En pratique, un périmètre brachial
inférieur à 110 mm identifie correctement les enfants à haut risque de décès et est
souvent retenu comme critère d’admission (§2-3-2). Le seuil de l’indice poidstaille inférieur à -3ET, également utilisé, ne semble pas plus performant. Il ne faut
pas considérer ces seuils de façon trop rigide. L’importance des critères cliniques,
et en particulier de l’anorexie, doit également être soulignée. Il est évident qu’un
enfant dont le périmètre brachial est de 112 mm mais qui est totalement
anorexique dans un contexte carentiel ou infectieux doit être admis d’urgence.
Inversement, un enfant dont le périmètre brachial atteint 108 mm, mais s’avère
capable de consommer en grandes quantités des aliments de bonne valeur
nutritionnelle pourra être traité en ambulatoire.
Les enfants cliniquement dénutris ayant des œdèmes sont considérés
comme souffrant de malnutrition grave même s’ils ne correspondent pas aux
critères anthropométriques définis ci-dessus. Les enfants dénutris qui n’ont pas
d’œdèmes sont appelés marasmes. Ceux qui ont des œdèmes sont désignés sous
le terme de kwashiorkor (Photo 2). On admet actuellement que la prise en charge
de ces deux formes de malnutrition grave est identique sur le plan diététique.
7-3 Principe du traitement.
Du point de vue diététique, la prise en charge de la malnutrition grave est
généralement divisée en deux phases : une phase initiale et une phase de
récupération nutritionnelle rapide (convalescence). Certains auteurs distinguent en
outre une phase de réanimation en début de traitement et une phase de
préparation au retour à domicile (réinsertion) en fin de convalescence. Ces
divisions présentent toutefois un caractère artificiel, car le traitement évolue au
jour le jour et ne connaît pas de véritable rupture.
7-3-1
PHASE INITIALE
La prise en charge diététique de la malnutrition grave est basée sur l’utilisation
de préparations lactées. Le maintien de l’allaitement maternel est cependant capital
au cours du traitement : même en milieu hospitalier, la mortalité est plus faible en
cas d’allaitement maternel [RAVELOMANANA, 1995]. Les centres de traitement doivent
donc être aménagés afin de pouvoir accueillir les mères qui allaitent.
7-3-1 Phase initiale (phase de rééquilibration)
La phase initiale dure tant que l’enfant est anorexique. Pour les enfants
atteints de kwashiorkor, il est habituel de la prolonger tant que persistent des
œdèmes importants. Des œdèmes mineurs ne doivent cependant pas retarder le
passage à la phase de renutrition rapide si l’enfant recouvre l’appétit. Cette phase
initiale dure habituellement une semaine en cas de kwashiorkor. Elle peut être très
brève pour les enfants souffrant de marasme : dans ce cas, il n’y a pas de
pathologie associée ni d’anorexie, le traitement peut commencer d’emblée par la
phase de récupération.
• Réhydratation
Les enfants dénutris présentent souvent à l’admission des signes de
déshydratation, même en présence d’œdèmes. Le degré de déshydratation est
difficile à évaluer : le signe du pli cutané est souvent présent mais ne signe pas
nécessairement l’existence d’une déshydratation marquée ; l’absence de larmes ou
la sécheresse des muqueuses peuvent être dues à un dysfonctionnement des
glandes lacrymales ou salivaires ; l’altération de la conscience peut être la
conséquence d’une hypoglycémie ou d’une hypothermie associées.
Le diagnostic de déshydratation tiendra compte de l’interrogatoire et de
l’aspect des selles. Une déshydratation n’est vraisemblable qu’en présence de
selles liquides et abondantes, qui se distinguent des selles molles et moins
fréquentes souvent constatées au cours de la malnutrition.
L’interrogatoire est aussi important pour interpréter la clinique : les yeux
sont souvent enfoncés en cas de malnutrition grave, soit en raison de la fonte de
la graisse rétro-orbitaire, soit en raison d’un collapsus du réseau veineux situé
derrière le globe oculaire en cas de déshydratation. La fonte graisseuse s’installe
progressivement lorsque la malnutrition progresse tandis que la contraction
vasculaire peut se produire en quelques heures lors d’une déshydratation. Si
l’interrogatoire suggère que l’enfoncement des globes oculaires s’est accentué au
cours des dernières heures, une déshydratation est probable.
La soif est également un signe de déshydratation. Elle peut cependant passer
inaperçue lorsque l’enfant est trop faible pour boire ou profondément anorexique. Elle
peut ne pas être manifeste chez un enfant souffrant de lésions buccales importantes.
121
PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE
La réhydratation doit être prudente. En effet, même en dehors des épisodes
de diarrhée, les enfants dénutris ont tendance à se retrouver en bilan hydro-sodé
positif. La réhydratation par voie veineuse risque de causer une insuffisance
cardiaque par effet de surcharge et doit être réservée aux enfants en état de choc.
Seuls des cliniciens expérimentés devraient l’utiliser dans des cas tout à fait
exceptionnels. Les centres faisant part de taux de mortalité parmi les plus élevés
sont souvent ceux qui ont encore trop souvent recours aux perfusions
intraveineuses. L’abandon des perfusions permet dans bien des cas de réduire de
façon spectaculaire le taux de décès.
122
La réhydratation par voie orale en soi est délicate. L’OMS recommande
actuellement d’utiliser en cas de déshydratation survenant chez un enfant souffrant
de malnutrition grave une solution adaptée à teneur réduite en sodium et à teneur
élevée en potassium [OMS, 1998] (Tableau XXXI). Cette solution de réhydratation
pour enfant gravement dénutri est actuellement dénommée par le terme générique
de ReSoMal (Rehydration Solution for Malnutrition). Le ReSoMal peut être préparé
à partir des sachets de la solution standard mise au point par l’OMS. Cette
modification suppose d’ajouter une quantité d’eau double de la normale, du sucre
(25 g/l) et un mélange minéral, celui utilisé pour la supplémentation des régimes
de récupération (§ 6-4). La solution obtenue est simple à préparer et possède une
concentration relativement faible en sodium. Il faut savoir que la solution ReSoMal
peut ne pas convenir en cas de diarrhée aqueuse abondante à Escherichia coli
entérotoxinogène ou en cas de choléra. La cause en est une perte abondante de
sodium occasionnée par des diarrhées dites “sécrétoires”. Dans ces cas particuliers,
l’utilisation de la solution de réhydratation standard de l’OMS s’impose. L’addition
de magnésium dans le ReSoMal a pour but de favoriser la rétention du potassium
et de prévenir les complications cardiaques. Le zinc ajouté dès le stade de la
réhydratation devrait permettre d’éviter le risque de diarrhée persistante attribuée à
une carence en zinc [SAZAWAL et al., 1996]. Une supplémentation en cuivre
s’impose également car toute supplémentation en zinc risque d’induire une carence
secondaire en cuivre en l’absence de supplémentation concomitante.
Le ReSoMal est maintenant souvent préparé à partir de sachets industriels
prêts à l’emploi, ce qui n’était pas prévu initialement lorsque la formule de
supplémentaiton minérale a été mise au point. On peut dès lors se demander si la
formule actuelle ne devrait pas être réajustée. Il serait logique de modifier les
concentrations électrolytiques en se basant sur les résultats d’études encore en
cours et investigant l’importance des pertes hydro-électrolytiques observées en cas
de diarrhée chez les enfants atteints de malnutrition et vivant dans différentes
situations écologiques.
Le ReSoMal se donne à raison de 5 à 15 ml/kg/h. Le volume précis à
administrer dépend de l’état de l’enfant, de l’abondance des selles émises pendant
la réhydratation et de la réponse clinique de l’enfant. Le traitement est donc
7-3-1
PHASE INITIALE
Tableau XXXI — Composition (mmol/l) de la solution de réhydratation
proposée pour traiter la diarrhée des enfants gravement
dénutris. Formule ReSoMal comparée à celle de la
solution standard OMS/UNICEF.
Nutriment
ReSoMal
(mmol/l)
OMS/UNICEF
(mmol/l)
Glucose
Sodium
Potassium
Chlore
Citrate
Magnésium
Zinc
Cuivre
125
45
40
70
7
3
0,3
0,045
111
90
20
80
10
-
Osmolarité
(mOsm/l)
290
311
difficile à standardiser. L’OMS recommande de faire boire 10 ml/kg/h pendant les
deux premières heures de prise en charge puis de poursuivre au rythme de 5
ml/kg/h pour arriver à un total de 70 ml/kg au bout de 12 heures. Ce rythme est
plus lent que celui employé chez les enfants bien nourris parce que chez les
enfants dénutris, le risque de sur-hydratation est élevé en raison d’une capacité
rénale réduite d’éliminer du sodium et de l’eau apportés en excès. Une
réhydratation trop rapide est aussi plus souvent mal tolérée chez ces enfants
malades : leur fonction cardiaque est perturbée à cause de la malnutrition ellemême et altérée par d’éventuelles carences minérales associées (potassium,
magnésium et peut-être sélénium).
Le risque de survenue de surcharge volémique induisant une insuffisance
cardiaque aiguë doit toujours être redouté. La réhydratation doit être interrompue
en cas d’augmentation de la fréquence respiratoire, de turgescence des veines
jugulaires ou de ballonnement abdominal afin de se prémunir du danger latent
d’insuffisance cardiaque aiguë se compliquant d’œdème pulmonaire. Ce risque
est surtout présent en cas d’anémie associée.
• Réalimentation
Apports en protéines et en énergie
La phase initiale de la réalimentation se caractérise par une anorexie
profonde se traduisant par l’incapacité d’assimiler des repas importants. Cette
anorexie peut être la conséquence d’un déséquilibre hydro-électrolytique, d’un
dysfonctionnement hépatique, d’une carence nutritionnelle de type II (§ 6-2-2) ou
123
PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE
de la présence d’infections ou d’une association de ces différentes causes.
L’objectif de la première phase est donc de rétablir l’appétit en éliminant la ou les
cause(s) sous-jacente(s) à l’anorexie. À ce stade, il est inutile, voire même
dangereux, de forcer l’appétit de l’enfant.
On considère également qu’il est imprudent de fournir trop tôt des apports
énergétiques élevés aux enfants œdémateux : il existe un risque d’insuffisance
cardiaque (sub-aiguë) en cas d’augmentation brutale des apports en énergie, en
eau et en sel chez des enfants dont l’activité de la pompe sodium/potassium est
paradoxalement anormalement élevée [PATRICK, 1977]. Pour cette raison, il est
habituel de maintenir en phase initiale de réalimentation (ou phase 1) tous les
enfants qui restent œdémateux.
D’un point de vue diététique, l’objectif de la première phase est avant tout
d’éviter une dégradation de l’état nutritionnel, en alimentant l’enfant au travers
d’une sonde gastrique si nécessaire. Pour les protéines et l’énergie, on se contente
de couvrir les dépenses d’entretien et de compenser les pertes, quitte à être plus
généreux pour les autres nutriments.
124
Les apports en énergie (exprimés en kcal/kg/jour) nécessaires pour prévenir
le catabolisme varient légèrement d’un enfant à l’autre. Ces variations s’expliquent
par des différences de composition corporelle et notamment par les variations de
rapport entre la masse maigre et la masse grasse, et également par les pertes de
poids respectives entre tissu musculaire et organes grands consommateurs
d’énergie. Le degré de surcharge hydro-sodée et le niveau d’adaptation
métabolique de l’organisme à son état de malnutrition exercent également une
influence sur le bilan énergétique et donc sur la quantité d’énergie nécessaire pour
l’équilibre (§ 3-4-1). On admet ainsi qu’en proposant des apports compris entre 80
et 100 kcal/kg/jour, on arrête le catabolisme tissulaire et que par ailleurs, à ce
niveau d’apports, il existe peu de risque de provoquer les complications
cardiaques consécutives à une renutrition trop rapide.
L’OMS recommande actuellement d’utiliser en début de traitement une
préparation appelée F75 (Tableau XXXII) apportant 75 kcal/100 ml [OMS, 1998].
Tableau XXXII — Composition de la préparation F75 préconisée pendant la phase initiale
du traitement.
Nutriment
Lait écrémé en poudre
Sucre
Huile
Farine de riz (ou autre céréale) cuite
Supplément vitaminique et minéral
Porter au litre avec de l’eau (non minéralisée)
Quantité pour 1 litre de F75
25
60
25
50
3,2
g
g
g
g
g
7-3-1
PHASE INITIALE
Donnée à raison de 110 à 135 ml/kg, cette solution permet d’apporter les 80 à 100
kcal/kg nécessaires à couvrir les besoins énergétiques quotidiens d’entretien.
Les apports protéiques nécessaires pour compenser les pertes obligatoires
constituent le besoin minimum absolu indispensable en l’absence de gain de
poids : cette quantité est très faible, de l’ordre de 0,7 g/kg/jour (§ 4-3-1). La
concentration en protéines de la préparation F75 est de 9 g/l, les protéines
fournissant donc moins de 5% de l’énergie totale. Un enfant consommant 110 à
135 ml/kg de préparation F75 reçoit entre 1 et 1,2 g de protéines/kg/jour, soit
légèrement plus que les besoins de maintenance, ce qui permet donc une certaine
synthèse protéique. Cette quantité reste cependant faible et ne semble pas exposer
l’enfant au risque de surcharge azotée hépatique.
La préparation F75 apporte une proportion importante d’énergie sous forme
de glucides. Ce choix se justifie d’une part par la crainte de fournir trop de
protéines, considérées comme potentiellement toxiques en début de traitement, et
d’autre part par l’impossibilité de donner trop de lipides, souvent mal absorbés en
raison d’une insuffisance pancréatique fréquemment associée à la malnutrition
[SAUNIÈRES, SARLES, 1988]. Au cours du kwashiorkor, le pancréas exocrine peut être
si gravement atteint que les anatomo-pathologistes ont utilisé le terme de
“pancréatectomie nutritionnelle” pour décrire les lésions observées [DAVIES, 1954].
Il faut cependant veiller à ce que les repas fournis en début de traitement aient une
faible osmolarité afin de réduire au maximum les risques de diarrhée (§ 3-5-1).
Pour éviter que la préparation F75 soit trop hypertonique, la moitié des glucides
est présente sous forme de longs polymères du glucose (le plus souvent farine de
riz si la formulation est préparée sur place ou malto-dextrine en cas de fabrication
industrielle). L’osmolarité peut ainsi être maintenue à un niveau inférieur à 300
mOsm/l.
Lors de la première phase de traitement, il est important de nourrir l’enfant
par des repas fréquents. Ce schéma alimentaire a l’avantage de réduire le risque
d’hypoglycémie et aussi d’hypothermie. On recommande habituellement de
nourrir les enfants les plus gravement malades toutes les deux heures, y compris
la nuit. La plus grande fréquence de décès survenant pendant les dernières heures
de la nuit est souvent imputable à des hypoglycémies qu’il est possible d’éviter en
nourrissant les enfants la nuit également.
Apports en vitamines et en minéraux
Dès la phase initiale du traitement, il est important de corriger les carences
concomitantes en vitamines et en minéraux. On recommande de donner une dose
de charge initiale en vitamine A et en acide folique. L’OMS suggère de donner
systématiquement 5 mg d’acide folique à tous les enfants à leur admission, ce qui
représente plus de 10 fois les besoins quotidiens d’un enfant sain âgé de 1 an.
Cette dose permet de corriger rapidement une carence éventuelle et ne présente
125
PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE
en outre aucun risque. Il n’est cependant pas nécessaire de la répéter. Pour la
vitamine A, on recommande de donner systématiquement à l’admission la dose
appliquée en cas de traitement de la carence grave (Tableau XXXIII). Cette
quantité est élevée : elle correspond à plus de 100 fois les besoins quotidiens d’un
enfant sain âgé de 1 an. On peut douter que cette forte dose soit correctement
absorbée et utilisée par l’enfant très malade. Vu le peu d’études dédiées au
métabolisme de la vitamine A chez l’enfant atteint de malnutrition grave, il n’est
pas possible de formuler des recommandations plus appropriées.
Tableau XXXIII — Doses de vitamine A préconisées à donner au cours du traitement de la
malnutrition grave.
126
Administration
Palmitate de rétinol ou acétate de rétinol
Équivalent rétinol
(Unités internationales)
Jour 1 et Jour 2
55 mg IM ou
110 mg per os
33 mg IM ou
66 mg per os
100 000 IM ou
200 000 per os
Jour de sortie
110 mg per os
66 mg per os
200 000 per os
Les doses sont diminuées de moitié chez l’enfant de moins de un an.
Pour fournir d’emblée tous les minéraux indispensables et toutes les
vitamines, il est souhaitable d’ajouter systématiquement à la préparation F75 un
mélange standard. Sa composition a été établie de manière à couvrir les besoins
spécifiques d’un enfant polycarencé, tout en tenant compte d’une absorption
intestinale altérée (§ 6-4). La concentration ajoutée à la préparation F75 est telle
qu’un enfant en ingérant 100 kcal/kg reçoit les vitamines et les minéraux en
réponse à la totalité de ses besoins tant en début de traitement qu’ultérieurement.
L’ajout de fer en début de traitement semble entraîner un excès de mortalité
(§ 6-3-6), un excès martial favorise la formation de radicaux libres et la survenue
d’infections, particulièrement quand le taux de transferrine sérique est abaissé. Le
fer est aussi un nutriment facilitant la croissance bactérienne, notamment lorsqu’il
est présent sous forme libre. Même chez les enfants anémiés, il est recommandé
de ne pas donner de fer au début du traitement. Dans sa composition actuelle, le
supplément en minéraux et vitamines ne prévoit donc pas de fer.
Un mélange de vitamines et de minéraux adapté au traitement de la
malnutrition est actuellement préparé industriellement. Sa formulation galénique
étant du domaine public, il s’agit d’un produit de type “générique”. Ce supplément
est en réalité très différent de la plupart des préparations commerciales et est
particulièrement riche en potassium, en magnésium et en zinc, dans le but de
corriger les déficits fréquemment observés. Ces minéraux sont généralement
absents, ou peu abondants, dans les préparations destinées aux enfants sains. Par
7-3-1
PHASE INITIALE
ailleurs, de nombreux suppléments commerciaux contiennent du fer et sont donc
déconseillés chez l’enfant souffrant de malnutrition.
• Complications
Des complications métaboliques et infectieuses surviennent souvent au
cours de la phase initiale du traitement [GOLDEN, 1995]. Leur prévention et/ou leur
traitement imposent un suivi médical. Sans entrer dans le détail, quelques
complications fréquentes doivent être mentionnées ici.
Hypoglycémie
L’enfant dénutri est à risque de développer une hypoglycémie dès qu’il reste
plus de 4 à 6 heures à jeun. La manière la plus efficace de prévenir ce risque est
de donner des repas fréquents, jour et nuit.
Un état de léthargie, une hypotonie, une altération de la conscience, une
température corporelle abaissée sont souvent les seuls signes cliniques décelables
d’hypoglycémie. Une raideur musculaire généralisée, des mouvements saccadés
ou des convulsions peuvent également se produire. La pâleur et les sueurs profuses
observées chez le sujet sain qui développe une hypoglycémie inopinée ne sont
pas habituels chez l’enfant atteint de malnutrition. Souvent, le seul signe évocateur
d’hypoglycémie grave, voire fatale, est une altération de la conscience. Si on peut
faire boire l’enfant, il faut toujours en cas de doute, lui donner du glucose ou du
sucre dilués dans de l’eau ou de la préparation lactée F75 et observer sa réaction.
Une injection rapide de 1 ml/kg de solution stérile de glucose à 50 % par voie
veineuse est parfois nécessaire, notamment chez le sujet inconscient. Elle doit être
suivie de l’administration par sonde gastrique de solution glucosée ou de sucre à
10 % ou de F75 pour éviter toute récidive.
Hypothermie
L’hypothermie est la conséquence d’un ralentissement du métabolisme de
base. La prescription de repas fréquents est importante pour sa prévention. Les
processus métaboliques s’intensifient après chaque repas [ASHWORTH, 1969] : le
risque d’hypothermie est particulièrement élevé au petit matin, au moment où la
température ambiante s’abaisse, si l’enfant n’est pas bien couvert, et s’il n’a pas été
nourri pendant la nuit. On suspectera une hypoglycémie chez tout enfant
hypothermique qui sera d’emblée traité comme tel.
En début de traitement, les enfants ne seront pas placés près des fenêtres ou
dans des courants d’air. Les fenêtres resteront fermées la nuit. Si le local semble
frais, il est sûrement trop froid pour les enfants malades qui seront de préférence
toujours bien habillés et couverts chaudement. Il est regrettable que peu d’unités
de nutrition utilisent des bonnets pour éviter des pertes de chaleur au niveau
céphalique. Pourtant le cerveau est très actif sur le plan métabolique, et
127
PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE
relativement mal isolé (§ 3-3-2). Cette mesure simple pourrait contribuer à réduire
le risque d’hypothermie.
Lorsque la température rectale est inférieure à 35,5 oC, l’enfant doit être
réchauffé. En le plaçant près d’une lampe (mais pas à son contact), l’air qu’il
respire sera à meilleure température. En enveloppant les aines et les aisselles de
bouillottes chaudes, on contribue à relever la température corporelle de l’enfant.
Anémie
128
L’existence d’une anémie profonde est fréquente en début de prise en
charge de la malnutrition grave, mais son traitement ne présente habituellement
pas de caractère d’urgence. La correction des carences en potassium et
magnésium, et la limitation des apports sodés suffisent, en principe, à éviter le
risque d’insuffisance cardiaque. Rappelons que l’anémie associée à la malnutrition
grave est rarement due à une carence en fer, et qu’une supplémentation à ce stade
est contre-indiquée (§ 6-3-6). Une transfusion sanguine est rarement nécessaire, à
moins que la concentration d’hémoglobine ne descende en dessous de 5 g/100ml
(ou l’hématocrite en dessous de 15 %). Ces patients devront être transfusés avec
du sang entier, à un rythme lent de 10 ml/kg ou, mieux, avec des globules rouges
concentrés (culot globulaire) sur une période longue, en pas moins de trois heures.
Insuffisance cardiaque
Une insuffisance cardiaque peut apparaître en cas d’anémie profonde ou en
cas de surcharge myocardique lors d’une réhydratation trop rapide
(particulièrement par voie veineuse), d’une transfusion excessive de sang ou de
plasma, ou d’un apport alimentaire trop riche en sodium. Elle peut être la
conséquence d’une prise trop abondante de solution de réhydratation. L’utilisation
du ReSoMal à la place de la solution de réhydratation classique de l’OMS réduit
le risque d’insuffisance cardiaque, mais ne l’annule pas totalement. Cette
complication peut également survenir en début de réalimentation intensive, quand
le sodium quitte les cellules et entre dans l’espace circulant à un rythme qui
dépasse les capacités d’élimination sodée du rein.
L’insuffisance cardiaque se manifeste dans un premier temps par une
augmentation de la fréquence respiratoire. Il est important de ne pas la confondre
avec la survenue d’une pneumopathie. Parfois les signes cliniques peuvent passer
inaperçus. La période post-prandiale est caractérisée par une élévation de la
fréquence cardiaque due à une activitaion de métabolisme. La survenue de décès
soudains et inexpliqués après les repas doit faire penser à l’insuffisance cardiaque.
En cas d’insuffisance cardiaque, il faut cesser tout apport liquidien tant par
voie orale que veineuse. Un diurétique comme le furosémide (1mg/kg) donné par
voie veineuse peut être efficace pour réduire le volume circulant et soulager le
7-3-2
PHASE DE RÉHABILITATION NUTRITIONNELLE
muscle cardiaque. Cette utilisation des diurétiques doit rester exceptionnelle. En
aucun cas ceux-ci ne doivent être utilisés pour faire fondre les œdèmes.
Infections
Les infections sont fréquentes au cours de la malnutrition grave et passent
parfois inaperçues. En effet, la réaction inflammatoire qui engendre les signes
cliniques diagnostiques habituels (et notamment la fièvre) est très souvent absente
ou atténuée. Une anorexie profonde est parfois la seule manifestation apparente
d’une infection. L’OMS recommande d’administrer systématiquement du
cotrimexazole per os à tous les enfants indemnes de signes d’infection et de
prescrire une association pénicilline/gentamicine en cas d’infection cliniquement
apparente [OMS, 1998]. Une association d’une pénicilline avec le
chloramphénicol est recommandée en cas de méningite et de l’acide nalidixique
peut être proposé en cas de dysenterie (à adapter sur l’antibiogramme et les
résistances locales).
La tuberculose doit également être suspectée chez les enfants ne répondant
pas au traitement diététique. La prise en charge demande à être adaptée au
protocole de traitement utilisé dans le pays ou la région.
7-3-2 Phase de réhabilitation nutritionnelle
La deuxième phase du traitement diététique ou phase de réhabilitation
(convalescence) nutritionnelle a pour objectif de faire prendre à l’enfant le plus
possible de poids afin de retrouver une composition corporelle normale, ce qui
met l’enfant hors de danger. Cette phase peut débuter dès que l’enfant est capable
d’absorber et de métaboliser de grandes quantités de nourriture susceptibles de
contribuer à la synthèse tissulaire. Sur le plan clinique, ce moment se marque par
la reprise de l’appétit.
• Apports en protéines et en énergie
Dès que l’enfant ingère spontanément des quantités d’énergie supérieures à
100 kcal/kg/jour, sa synthèse tissulaire reprend. L’anabolisme est cependant limité
aussi longtemps que l’enfant reçoit uniquement la préparation F75 dont le contenu
en protéines ne permet que la synthèse de faibles proportions de tissu maigre. Un
enfant trop longtemps et trop abondamment nourri avec la préparation F75
gagnerait essentiellement du poids sous forme de graisse.
Lors de cette deuxième phase de convalescence, l’enfant est capable
d’accélérer sa croissance pondérale et d’atteindre des rythmes très élevés variant
en moyenne entre 10 à 15 g/kg/jour, voire même 20 g/kg/jour chez certains
enfants. Ces gains de poids sont près de 10 fois supérieurs à ceux d’un enfant bien
129
PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE
nourri du même âge. Ils nécessitent des apports protéiques qui contribuent pour
10 % au moins à l’apport énergétique (§ 5-3-2).
Il est habituel de donner dès le début de la phase de réhabilitation une
préparation de type F100, dont le contenu en protéines est voisin de 2,6 g/l, ce qui
représente entre 10 et 12 % de la valeur énergétique (Tableau XXXIV). Cette
formule a été conçue pour permettre une prise de poids optimale pendant la phase
de réhabilitation. Elle apporte une quantité de protéines supérieure à ce que
l’enfant utilise effectivement dans les premiers jours de la phase de réhabilitation,
quand la croissance et la synthèse protéique sont encore faibles. Rappelons que
les besoins protéiques, exprimés en pourcentage des besoins énergétiques, sont
fonction de la croissance pondérale (§ 5-2-2). Sur le plan pratique, il n’est pas
possible d’ajuster à chaque stade du traitement la fraction de l’énergie protéique,
car chaque rythme de croissance imposerait une nouvelle formulation. On fournit
en début de la phase de réhabilitation des quantités protéiques supérieures aux
besoins réels. Cette attitude expose au risque de voir réapparaître une anorexie, ce
qui nécessiterait un retour au produit F75.
Tableau XXXIV — Composition de la préparation F100 à utiliser pendant la phase de
convalescence nutritionnelle.
130
Nutriment
Lait écrémé en poudre
Sucre
Huile
Supplément vitaminique et minéral
Quantité pour 1 litre de F100
80 g
50 g
60 g
3,2 g
Porter au litre avec de l’eau (non minéralisée)
Lors du passage en phase de réhabilitation, il est conseillé d’augmenter
progressivement les apports énergétiques, surtout chez les enfants porteurs
d’œdèmes résiduels. La survenue d’une insuffisance cardiaque a été décrite après
introduction trop rapide d’un régime trop riche en énergie [PATRICK, 1977].
L’utilisation de mélanges de minéraux adaptés a sans doute réduit ce risque mais
la prudence s’impose, surtout dans les régions où l’anémie est fréquente.
Les besoins en énergie sont très élevés au cours de la phase de
réhabilitation. En conséquence, la concentration de glucides dans la préparation
F100 a été portée à un niveau élevé mais ceci en augmente l’osmolalité1 : elle
1 L’osmolarité fait référence au nombre de mOsm présentes par litre de solution.
L’osmolalité se rapporte au nombre de mOsm par kg d’eau. L’osmolalité s’estime par
mesure du point de congélation. Ces deux quantités ne sont pas strictement équivalentes en
cas de formules lactées concentrées.
7-3-2
PHASE DE RÉHABILITATION NUTRITIONNELLE
atteint 460 mOsm/kg après addition du supplément de minéraux et de vitamines.
L’osmolarité correspondante est à la limite de ce que peut tolérer un enfant [KOO
et al., 1969]. La muqueuse intestinale fréquemment fragile tolère mal les repas
hyper-osmolaires : même la solution de réhydratation standard de l’OMS dont
l’osmolarité n’excède pas 311 mOsm/l semble trop concentrée pour certaines
situations de diarrhée [International Sudy Group, 1995].
La préparation F100 apporte également une quantité importante de lipides,
correspondant à 55 % de l’énergie totale, soit en pratique le maximum de ce qu’un
enfant peut absorber. Les lipides ont l’avantage d’augmenter considérablement la
valeur énergétique de l’alimentation sans avoir d’effet notable sur l’osmolarité. Il
est également possible de réduire cette osmolarité en incluant dans la solution des
dextrines-maltoses plutôt que du saccharose. Cette modification est difficile à
appliquer en dehors du milieu industriel et augmente le prix du produit fini. Il faut
savoir que la solution F100 classique dont l’osmolarité n’a pas été abaissée par
remplacement d’une partie du sucre par des dextrines-maltoses est hyper-osmolaire
et qu’elle peut être source de diarrhées si elle est donnée trop rapidement et en trop
grande quantité, surtout au début de la phase de réhabilitation.
La préparation F100 apporte 100 kcal/100 ml (1 kcal/ml), ce qui facilite le
calcul des rations. Cette densité suffit pour oser augmenter par paliers les apports
énergétiques jusqu’à environ 200 kcal/kg/jour et faciliter une croissance pondérale
rapide. L’emploi de produits encore plus riches en énergie et administrés en fin de
phase de réhabilitation nutritionnelle expose à un risque inutile de complication.
Le gain de poids obtenu au cours de la phase de récupération est mesuré en
g/kg/jour. Il se calcule par la formule :
Gain de poids (g/kg/jour) =
(poids observé - poids initial) x 1000
.
(poids initial) x (nombre de jours de traitement)
Dans cette formule, les poids doivent être exprimés en kilogrammes au
numérateur et au dénominateur. Le poids initial est le poids au début de la phase
de réhabilitation ou pour les enfants atteints de kwashiorkor, le poids minimum
observé après la fonte des œdèmes. En phase de récupération, le gain de poids
moyen doit normalement être compris entre 10 et 15 g/kg/jour. Une prise de poids
inférieure doit faire soupçonner une consommation alimentaire insuffisante, ce qui
représente la première cause de croissance pondérale trop faible. Le gain de poids
est très sensible aux variations des apports énergétiques (§ 3-4-3). En réalité, ces
enfants malingres ont besoin de quantités importantes de nourriture, proches de
celles des adultes. Si le personnel n’a pas l’habitude de prendre en charge ce type
d’enfants, il est fréquent qu’il sous-estime les quantités de nourriture dont ils ont
besoin pour retrouver une croissance rapide.
131
PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE
• Apports en vitamines et minéraux
La couverture des besoins en vitamines et minéraux est assurée par
l’addition à la solution F100 d’un supplément standard (§ 6-4). Comme la
concentration vitaminique et minérale de ce supplément est généreuse, la
couverture des besoins est également assurée au cours de la phase de
réhabilitation, d’autant plus que les volumes de solution F100 consommés à ce
stade sont importants.
132
La prise rapide de poids et la synthèse de muscle et d’hémoglobine lors de
la phase de réhabilitation accroissent les besoins en fer alors que l’enfant est
alimenté avec un régime qui n’en contient pratiquement pas. Il existe à ce stade
un risque de carence en fer et d’anémie ferriprive et une supplémentation devient
nécessaire. On estime qu’une supplémentation en fer ne présente plus de danger
quand le taux de transferrine est revenu à un niveau normal. En pratique, il est
rarement possible de mesurer régulièrement cette protéine sérique. On suggère
donc de donner du fer, à la dose de 2 mg/kg/jour, quand le gain pondéral excède
5 g/kg/jour. Cette recommandation s’appuie sur la constatation suivante : la
transferrine est, parmi les protéines, l’une de celles qui est le plus précocement
synthétisée lors de la reprise anabolique. Son effet protecteur vis-à-vis d’un excès
de fer s’exerce donc au moment où l’enfant commence à reprendre du poids.
La supplémentation peut se faire de façon individuelle, en donnant à
chaque enfant une dose de 1 à 3 mg/kg/jour de fer élément, selon l’ampleur de son
anémie. On peut également atteindre ces apports en ajoutant 1 mg de fer à 100
ml de F100. Le sulfate de fer hydraté contient 20 % de fer métal et des doses de 5
à 15 mg/kg de ce sel donné pour la supplémentation correspondent à des doses
de 1 à 3 mg/kg de fer élément nécessaires. On peut également remplacer une
partie des formules lactées diététiques (type F100) par un aliment enrichi en fer.
Néanmoins, la substitution d’une formule F100 par un aliment riche en fer mais
par ailleurs mal équilibré peut freiner la croissance pondérale.
7-4 Lait et diarrhées
Les enfants dénutris souffrent aussi souvent de diarrhée. Certains pédiatres
hésitent à leur prescrire des préparations lactées ou du moins des aliments
contenant du lactose. Le problème de l’intolérance au lactose semble cependant
relativement secondaire au cours de la réalimentation des enfants convalescents
de malnutrition. Ce problème se posait surtout autrefois lors de l’utilisation de
régimes à base de lait écrémé et non enrichis en énergie par addition d’huile.
7-4
LAIT ET DIARRHÉES
Le lactose est pourtant susceptible de provoquer une diarrhée s’il est donné
à fortes concentrations dans un régime pauvre en lipides. Ceci tient au fait que seul
le lactose intact, c’est-à-dire non hydrolysé et non fermenté, est susceptible de
provoquer une diarrhée dès qu’il parvient dans le colon. Le lactose passant en
faibles quantités dans l’intestin grêle peut être digéré car la lactase résiduelle est
encore suffisamment présente, même si son activité est très réduite, en cas de
malnutrition grave. Par ailleurs, de faibles doses de lactose non digéré arrivant au
colon y sont habituellement fermentées. Cette réaction produit des acides gras à
chaîne courte contribuant à l’absorption d’eau et d’électrolytes. Cette propriété, de
découverte récente, a conduit certains auteurs à proposer en cas de diarrhée la
fourniture de substrats précurseurs permettant d’augmenter la production de ces
acides gras à chaîne courte [BOWLING et al., 1996; RAMAKRISHNA, MATHAN, 1993].
La diminution d’importance des diarrhées observées après addition de lactose au
régime d’enfants réalimentés avec des dérivés de soja [DONOVAN, TORRES-PINEDO,
1987] pourrait également s’expliquer par la formation d’acides gras à chaînes
courtes. Seules les doses importantes de lactose non digéré atteignant effectivement le colon sont susceptibles de provoquer une diarrhée.
Les préparations alimentaires riches en lipides semblent mieux tolérées
parce qu’elles favorisent sans doute le ralentissement de la vidange gastrique, ellemême influencée par la densité énergétique du repas [BERNIER et al., 1988]. Cet
effet a pour corollaire une décélération de la progression du lactose qui resterait
plus longtemps au contact de la muqueuse intestinale. Le degré d’hydrolyse, et
donc sa digestion, s’en trouverait renforcé.
À énergie égale, les préparations actuelles, et particulièrement les formules
F75 et F100, apportent peu de lactose, du moins en comparaison des quantités de
lactose présentes dans d’autres aliments lactés ordinaires [SALLE, 1993; FAVIER et al.,
1995] (Tableau XXXV). Elles sont en réalité beaucoup plus pauvres en lactose que
le lait maternel qui est parfaitement toléré même par l’enfant dénutri, sans doute
parce qu’il est donné en petites fractions au cours de tétées fréquentes et régulières
et donc chacune de faible volume. Malgré la présence de sucres réducteurs dans
les selles, la plupart des enfants gravement dénutris tolèrent bien les régimes à base
de lait dans la mesure où ils sont fragmentés en repas réguliers.
L’état d’un certain nombre d’enfants souffrant de diarrhées persistantes
semble être amélioré quand on leur donne du lait fermenté [BOUDRAA et al., 1990].
Ces laits sont plus pauvres en lactose et possèdent eux-mêmes une activité lactasique
intrinsèque qui persiste au cours de la digestion intestinale. Il n’est pas certain
cependant que ce mécanisme seul soit à même d’expliquer cette meilleure
tolérance. Quoi qu’il en soit, le lait fermenté peut s’avérer utile en cas de diarrhée
persistante. En milieu tropical, les difficultés pratiques de préparation du lait
fermenté ne doivent pas être négligées si on veut que ce lait soit consommable à
toute heure de la journée. L’approvisionnement en ferments de bonne qualité impose
l’organisation d’une chaîne de froid, et sa mise en place semble souvent délicate.
133
PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE
Tableau XXXV — Teneur en lactose de différents laits et des préparations F75 et F100
Produit lacté
Lait écrémé en poudre
Lait maternel
Lait de vache
Préparation F100
Préparation F75
Teneur en lactose
(g/l)
(g/100 kcal)
13.6
63
10
45
7,1
38
3,8
12
1,6
L’intolérance ou plutôt l’allergie aux protéines du lait de vache est rarement
suspectée comme cause de diarrhée dans les pays pauvres. Peu d’enfants
reçoivent du lait de vache dans les premiers mois de leur vie et une sensibilisation
semble a priori peu vraisemblable. En fait, cet argument n’est pas absolu, et on a
décrit en Europe des allergies aux protéines de lait de vache chez des enfants
allaités. Il est donc possible que ce problème existe aussi dans certains pays où,
traditionnellement, le lait est consommé mais que son incidence soit sous-estimée.
134
7-5 Protocole basé sur l’utilisation
exclusive de la formule F100
L’utilisation de deux préparations lactées différentes, l’une proposée en
début et l’autre en fin de traitement, est conseillée mais cette recommandation par
l’OMS se base uniquement sur un raisonnement théorique. En fait, aucune étude
n’a démontré de façon comparée que l’utilisation d’une préparation de type F75
pendant la phase initiale du traitement diététique des enfants gravement dénutris
faisait baisser la mortalité de façon appréciable. Devant cette incertitude, de
nombreux organismes humanitaires travaillant sur le terrain dans des situations
d’urgence appliquent un protocole simplifié basé sur l’emploi de la formule F100
dès le début du traitement. Cette attitude se heurte néanmoins à plusieurs types de
difficultés dont l’importance réelle est difficile à apprécier en l’absence d’études
comparatives.
7-5-1 Osmolarité de la préparation F100
La formule F100 est hyperosmolaire (environ 460 mOsm/kg). Cette
hyperosmolarité est susceptible de provoquer ou d’aggraver une diarrhée. Par
7-5-3
CONCENTRATION ÉLEVÉE EN LIPIDES DE LA PRÉPARATION F100
ailleurs, une formule hyperosmolaire et très dense en énergie provoque sans doute
un ralentissement de la vidange gastrique, ce qui favorise les épisodes de
vomissements. Pour ces raisons, si la préparation F100 est utilisée en début de
traitement, il est souhaitable de la diluer pour en réduire l’osmolarité. Si l’on dilue
la formule F100 avec un supplément de 40% d’eau par rapport à ce que ce qui
devrait être (volume de 1,4 l au lieu de 1 l), son osmolarité tombe aux environs de
330 mOsm/kg, ce qui devient plus acceptable. Il semble qu’on améliore ainsi la
tolérance au produit.
7-5-2 Concentration élevée en protéines
de la préparation F100
La préparation F100 a été conçue au départ pour permettre une croissance
pondérale optimale. C’est pourquoi une forte proportion de son énergie s’y trouve
sous forme de protéines. Une plus grande dilution de la formule F100 ne change
pas cette proportion. Dès lors, un enfant qui reçoit en début de traitement 100
kcal/kg sous forme de préparation F100 dans l’espoir de maintenir son poids
corporel stable reçoit 2,8 g/kg de protéines. Ceci représente 4 fois plus que ses
besoins, proches de 0,7 g/kg/jour en l’absence de gain de poids. Rappelons que
consommer des protéines en excès des besoins n’est pas dénué de risque et peut
induire une anorexie en début de traitement (§ 4-4-1). Il a été montré par ailleurs
chez l’animal qu’une partie des apports protéiques excédentaires n’est pas
absorbée et que cette présence importante d’azote dans le tube digestif favorise
une prolifération bactérienne au niveau du colon. Cette pullulation pourrait
essaimer et provoquer par translocation des foyers infectieux dans d’autres parties
de l’organisme [NELSON et al., 1996]. Il est possible que ce phénomène se produise
également chez l’homme.
7-5-3 Concentration élevée en lipides
de la préparation F100
Toujours pour favoriser la croissance pondérale, la préparation F100
apporte une partie importante de son énergie sous forme de lipides. Au début du
traitement diététique, une alimentation aussi riche en lipides peut poser un
problème car il existe souvent une malabsorption lipidique importante suite à une
insuffisance pancréatique (§ 7-3-1). En raison d’une malabsorption importante
des graisses, il est à craindre qu’un certain nombre d’enfants absorbent des
quantités insuffisantes d’énergie s’ils consomment d’emblée un régime riche en
graisses.
135
PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE
7-5-4 Taux élevé de sodium de la préparation F100
La préparation F100 est relativement riche en sodium et ceci s’explique par
la quantité importante de lait écrémé, naturellement riche en sodium, entrant dans
sa composition. Chez certains enfants, et surtout en présence d’œdèmes, l’apport
sodé doit être réduit au minimum en raison du risque d’insuffisance cardiaque.
L’emploi de la formule F100 d’emblée semble donc déconseillé.
7-6 Préparations des formules
F75 et F100
136
Les nourrissons atteints de malnutrition grave et néanmoins encore
partiellement, voire totalement allaités, peuvent difficilement recevoir autre chose
que du lait. La croissance pondérale obtenue avec des préparations non lactées est
plus lente et la mortalité plus élevée que lors de l’emploi des préparations lactées
correctement adaptées. La prise de poids constatée pendant la phase ultérieure de
convalescence (ou récupération) est aussi nettement moindre si le régime
alimentaire est végétal.
L’utilisation d’isolats de protéines de soja devrait en principe permettre de
produire des formules proches des formules lactées actuellement utilisées pour la
réhabilitation nutritionnelle. La composition des compléments vitaminiques et
minéraux doit être adaptée, en particulier pour permettre des apports suffisants en
calcium et en phosphore. Le prix des isolats de protéines de soja reste cependant
élevé.
Les mélanges lactés utilisés dans les centres de renutrition sont souvent
préparés à partir de lait écrémé, d’huile et de sucre. On ajoute actuellement à ces
mélanges des compléments de vitamines et de minéraux. Les matières premières
de ces préparations ont l’avantage d’être bon marché. Leur utilisation pose
cependant des problèmes. Les organismes chargés de l’aide alimentaire limitent
souvent leur choix à un seul type de produit. À l’inverse, il n’est pas rare qu’un
centre de renutrition doive faire appel à trois sources de financement différentes
pour obtenir le lait, l’huile et le sucre. L’introduction de compléments de vitamines
et de minéraux va rendre le problème d’autant plus complexe. Le lait écrémé,
paradoxalement, semble plus facile à obtenir que l’huile et surtout que le sucre.
Par ailleurs, même quand les produits de base sont tous disponibles, il est rare qu’il
soient mélangés dans des proportions correctes à moins qu’il n’y ait à proximité
un pédiatre averti ou un nutritionniste. Généralement, les quantités d’huile et de
7-7
REPRISE DE L’ALIMENTATION FAMILIALE
sucre ajoutées au lait sont trop faibles. Le nombre d’enfants dénutris qui ont reçu
au cours des vingt dernières années des régimes excédentaires en lait par rapport
à l’huile et au sucre se compte certainement en centaines de milliers. Une visite
des stocks de nourriture des centres nutritionnels permet de se rendre compte de
l’ampleur du problème. Les conséquences de ces déséquilibres, en termes de
ressources gaspillées, sont regrettables. Plus grave, les régimes à forte teneur en
protéines, en sodium et en lactose ont sans doute entraîné une mortalité
supplémentaire difficile à chiffrer.
La standardisation récente des régimes de renutrition a été suivie par
l’apparition sur le marché de préparations prêtes à l’emploi de type F100, puis F75,
d’origine industrielle. Le recours à ces produits s’avère de plus en plus fréquent
dans les opérations humanitaires. Il faut reconnaître que leur emploi simplifie
considérablement la prise en charge de la malnutrition grave. Ces préparations ne
sont cependant pas supérieures à des formules reconstituées sur le terrain par un
personnel correctement formé. Le grand mérite des préparations industrielles est de
diffuser les recommandations les plus récentes sur la composition des régimes de
renutrition dans les endroits où il n’existe aucun spécialiste en nutrition. Dans les
services utilisant jusque-là des régimes très déséquilibrés, l’introduction de ces
préparations permet d’accélérer la prise de poids et de faire baisser la mortalité en
quelques semaines. Le temps ainsi gagné permet d’attirer l’attention du personnel
sur la prise en charge médicale. Ceci constitue un élément clé dans la réduction de
la mortalité. Ces préparations n’exerceront cependant aucun effet sur les gains de
poids ou sur la mortalité dans les endroits où il n’existe pas de rigueur dans
l’application des régimes ni un minimum de suivi médical.
Ces formules industrielles coûtent environ deux fois plus cher que la
matière première utilisée lorsque le régime est préparé sur place. Les économies
réalisées en termes de formation et de supervision compensent certainement
largement ce surcoût. Notons également que ces préparations sont réservées à un
usage très précis et que le nombre d’enfants dont l’état justifie leur emploi est
relativement faible. Les quantités réellement nécessaires à l’échelle mondiale sont
certainement minimes comparées aux dizaines de milliers de tonnes de lait
écrémé en poudre envoyées par l’aide alimentaire chaque année (§ 9-3-2).
7-7 Reprise de l’alimentation familiale,
suivi à domicile
La phase de croissance pondérale rapide dure habituellement peu de temps.
Au cours de cette période, l’enfant peut consommer une quantité d’énergie
137
PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE
138
Photo 2 — Les deux formes cliniques de la malnutrition grave : marasme (à gauche) et
kwashiorkor. ©Action Contre la Faim. Sierra Leone, 1995. (Cliché J. Levie)
7-7
REPRISE DE L’ALIMENTATION FAMILIALE
139
Photo 3 — Trois semaines suffisent pour transformer les enfants gravement dénutris.
©Action Contre la Faim. Sierra Leone, 1995. (Cliché J. Levie)
PRISE EN CHARGE DE LA MALNUTRITION GRAVE
supérieure à 200 Kcal/kg/jour et sa prise de poids croître à un rythme 10 fois
supérieur à celle d’un enfant bien nourri du même âge (Photos 2 et 3). En 15 jours
ou 3 semaines, l’enfant approche du poids normal pour sa taille. À ce moment,
son appétit baisse rapidement, bien qu’il maintienne un poids inférieur à la
moyenne de son âge en raison d’une taille réduite [ASHWORTH, 1974].
Avant de laisser l’enfant retourner à domicile, il est habituel de lui faire
reprendre des habitudes alimentaires familiales, au besoin corrigées. On pourra
s’assurer ainsi qu’il peut à nouveau se nourrir normalement après avoir quitté le
centre. Il est important de ne pas entreprendre ces tentatives de reprise de
l’alimentation familiale à un stade trop précoce, car la composition de la
nourriture familiale n’est pas adaptée à une prise de poids rapide. De même, il est
important de ne pas donner de bouillies inadaptées au traitement diététique de la
malnutrition grave. L’administration d’emblée de bouillies à teneur lipidique
faible, et des teneurs en vitamines et minéraux mal adaptées même pour un ou
deux repas par jour, suffisent à limiter de façon importante la prise de poids. Les
économies réalisées en substituant des bouillies locales aux repas lactées ont le
plus souvent pour effet d’allonger la durée du traitement, et par conséquent son
coût.
140
Lors de la reprise de l’alimentation familiale, un minimum d’éducation
nutritionnelle s’impose. Insister sur l’importance du nombre des repas et également
de la diversification du régime sont les deux notions importantes à transmettre aux
parents ou à ceux qui ont l’enfant en charge. À ce stade, les vaccinations de l’enfant
doivent être vérifiées, et l’enfant référé à un centre de vaccination, si celles-ci ne
peuvent pas être effectuées au centre de renutrition lui-même.
Les enfants traités pour malnutrition grave risquent fort de récidiver dans les
6 à 12 mois qui suivent leur retour à domicile. Un suivi régulier est donc
important.
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141
8 – Interventions
nutritionnelles –
Programmes de prévention
8-1 Introduction
Améliorer la quantité et la variété des aliments disponibles dans les familles
est la meilleure méthode de prévention contre la malnutrition chez l’enfant. Cette
stratégie ne peut cependant être menée que dans le cadre d’une intervention
globale à l’encontre de la situation socio-économique, avec comme objectif
l’élimination de la pauvreté. Dans le meilleur des cas, malheureusement, le niveau
de vie n’augmente que lentement. La situation des sociétés occidentales où
subsistent des “poches” de pauvreté enclavées dans un monde d’abondance
illustre suffisamment que cette approche présente des limites. Il importe donc de
mettre en oeuvre des programmes nutritionnels permettant d’éviter que s’installent
les effets les plus fâcheux de la malnutrition.
À cet égard, deux approches existent et peuvent être suivies simultanément.
On peut donner des suppléments nutritionnels complets à un petit nombre
d’individus à risque, ou au contraire, tenter de modifier le régime de l’ensemble
des individus afin d’inclure les nutriments manquant à la ration. Choisir entre ces
deux approches est difficile. Les interventions ciblées sur un petit nombre
d’individus à risque, voire déjà potentiellement carencés, s’apparentent à de la
prévention secondaire. Ces actions présentent des limites que ne montrent pas les
interventions touchant l’ensemble des individus. Ces dernières sont les seules à
posséder un caractère réellement préventif.
8-2 Interventions ciblées sur un petit
nombre d’enfants à haut risque
Les interventions ciblées sur un petit nombre d’enfants à risque posent des
problèmes différents selon qu’elles s’adressent à des enfants modérément ou
gravement dénutris.
143
INTERVENTIONS NUTRITIONNELLES – PROGRAMMES DE PRÉVENTION
8-2-1 Réhabilitation des cas de malnutrition grave
Les interventions ciblées portant sur un petit nombre d’enfants à risque
élevé de décès représenteraient une approche intéressante si les décès associés à
la malnutrition survenaient effectivement dans un petit groupe d’enfants. Mais il
n’en va pas ainsi. L’intérêt de cette approche réside donc surtout dans une
standardisation du traitement et dans son coût relativement faible.
• Faible proportion des décès évités
144
La proportion de décès attribuables à la malnutrition respectivement grave
et modérée est difficile à estimer. Une approximation chiffrée peut être obtenue à
partir des études portant sur la relation établie entre anthropométrie et mortalité. Il
est en effet possible d’estimer la proportion de décès associée à un facteur de
risque précis en connaissant d’une part le risque relatif de décès associé à ce
facteur et d’autre part sa prévalence dans la population étudiée [WALTER, 1978].
Pour chaque indice, on peut définir un seuil de malnutrition et ainsi la proportion
d’enfants (prévalence) de part et d’autre du seuil. Par ailleurs, on peut fixer un
risque relatif de décès en établissant, au cours d’un suivi longitudinal, la
proportion de décès observés chez les enfants en bon et en mauvais état
nutritionnel (Tableau XXXVI). Cette méthode a pu être appliquée à la malnutrition
en définissant des seuils séparant la forme modérée de la forme grave de
malnutrition [PELLETIER et al., 1995]. Ce raisonnement et les chiffres qui en
découlent, montrent que le nombre de décès attribuables à la malnutrition
modérée est généralement très supérieur à celui associé à la malnutrition grave.
Ces données suggèrent que les interventions limitées aux enfants les plus atteints
Tableau XXXVI — Calcul de la proportion de décès attribuables à la malnutrition.
Indice anthropométrique
Nombre d’enfants au début
de l’enquête
Enfants décédés au cours
du suivi
A
a
B
b
Indice inférieur au seuil
(malnutris)
Indice supérieur au seuil
(bien nourris)
Prévalence (Prév) de la malnutrition :
Prév = (A)/(A+B)
Risque relatif (RR) de décès :
RR = (a/A)/(b/B)
Proportion de décès attribuables à la malnutrition
(PAR = Population attributable risk) :
PAR =
Prév x (RR-1)
1 + [Prév x (RR-1)]
8-2-2
DÉPISTAGE ET PRISE EN CHARGE DES CAS DE MALNUTRITION MODÉRÉE
ne peuvent éviter qu’une faible proportion des décès attribuables à la malnutrition.
Ces résultats ont cependant tous été obtenus lors d’études examinant la relation
entre état nutritionnel et risque de décès sur des périodes relativement longues. Ce
suivi atténue le pouvoir prédictif des indices nutritionnels vis-à-vis du risque de
décès (§ 2-3-2). Si un système de dépistage récurrent des cas de malnutrition est mis
en place, la conclusion serait sans doute plus nuancée, tout en restant la même.
• Standardisation du traitement et de l’évaluation de son efficacité
La prise en charge des cas de malnutrition grave est actuellement
relativement bien codifiée. Les gains de poids qui peuvent être obtenus sont élevés
et la nature même de la prise pondérale (type de tissu synthétisé) ne pose pas de
problème d’interprétation. Il existe aussi un modèle mathématique développé
grâce à l’expérience de terrain des organismes humanitaires qui permet d’évaluer
rapidement la mortalité observée dans chaque centre en fonction de l’état
nutritionnel des enfants à l’admission [PRUDHON et al., 1997].
• Intérêt dans les périodes de crise
La proportion de décès attribuables à la malnutrition grave augmente avec
la gravité de la malnutrition [PELLETIER et al., 1995]. Cette proportion prend
certainement une importance considérable dans les situations d’urgence ou les
situations de famines au cours desquelles le taux de malnutrition augmente
fortement. L’organisation de centres thérapeutiques de renutrition pour la prise en
charge des cas les plus graves réduit sans doute de façon appréciable le nombre
de décès imputables à la malnutrition.
• Faible coût de ces programmes
Le nombre d’enfants concernés par ces programmes est généralement
relativement faible. Dans les situations extrêmes, comme dans les camps de
réfugiés hébergeant 100 000 ou 200 000 personnes, il est rare que plus d’une
centaine d’enfants nécessitent une admission urgente dans un centre nutritionnel
thérapeutique. Même si le coût de la prise en charge par enfant est élevé, le coût
total de ces programmes reste relativement modeste en raison du petit nombre
d’enfants concernés.
8-2-2 Dépistage et prise en charge des cas
de malnutrition modérée
Il peut paraître séduisant de vouloir prendre en charge les cas de
malnutrition modérée identifiés au moyen de méthodes anthropométriques. De
145
INTERVENTIONS NUTRITIONNELLES – PROGRAMMES DE PRÉVENTION
cette manière on peut en effet, en théorie, prévenir une proportion élevée de décès
attribuables à ce type de malnutrition. L’efficacité de ce type de programme reste
néanmoins difficile à évaluer.
• Difficultés du dépistage
Le dépistage des cas de malnutrition modérée lui-même pose déjà un
problème. Nous avons vu que les indices anthropométriques utilisés pour estimer
le degré d’une malnutrition sont des tests diagnostiques imparfaits. De nombreuses
erreurs de classement surviennent dès que les cas s’éloignent de la zone des
déficits graves, surtout dans les régions où la prévalence de la malnutrition est
faible (§ 2-3-1). En d’autre termes, les économies réalisées en ciblant une
intervention sur les cas de malnutrition modérée se paient par des erreurs
fréquentes de classification, qui grèvent l’efficacité et aussi la rentabilité de ces
programmes.
• Problème de l’évaluation des programmes
146
Outre les difficultés d’un dépistage correct, les cas de malnutrition
modérée ne bénéficient pas actuellement d’une prise en charge diététique
codifiée. La plupart des programmes nutritionnels se consacrent à la distribution
de mélanges de farines de céréales et de légumineuses, avec ou sans addition
d’huile. La qualité de ces aliments est très variable (§ 3-5-2, § 4-5-1, § 6-6-2).
Certes, on constate que les enfants pris en charge et recevant ce type d’aliments
gagnent plus de poids que les enfants sains du même âge. Mais la différence est
faible et on ne peut avec certitude l’imputer à la supplémentation. Les résultats
d’études peuvent subir l’influence d’un effet appelé la régression vers la
moyenne. En d’autres termes, il se peut que les variations à court terme de l’état
nutritionnel soient simplement dues à des phénomènes aléatoires et
indépendants de la supplémentation nutritionnelle. Une évaluation rigoureuse
des études d’intervention exigerait d’observer un groupe témoin non
supplémenté, ce qui est évidemment difficile en pratique. Les résultats des rares
études évaluant de cette manière les programmes de supplémentation sont
généralement décevants [FAUVEAU et al., 1992].
• Importance du nombre d’enfants à prendre en charge
Les programmes d’assistance des cas de malnutrition modérée touchent
généralement beaucoup d’enfants. Dans les situations d’urgence, les cas de
malnutrition modérée sont toujours beaucoup plus nombreux que les cas de
malnutrition grave. Dans l’hypothèse d’un camp de réfugiés rassemblant une
population totale de 100 000 individus par exemple, le nombre d’enfants
8-2-2
DÉPISTAGE ET PRISE EN CHARGE DES CAS DE MALNUTRITION MODÉRÉE
modérément dénutris se compte souvent en milliers. Le degré d’importance
entre les cas de malnutrition modérée et grave varie sensiblement selon les
situations mais on change habituellement d’ordre de grandeur. Il en est de
même bien sûr pour les coûts des programmes qui s’élèvent paradoxalement
beaucoup lorsqu’ils s’adressent aux enfants modérément dénutris. Dans ces
conditions, il importe de réduire au minimum le coût de l’assistance offerte à
chaque enfant.
• Difficultés de supervision
Si on fait exception des situations où les problèmes de sécurité limitent les
déplacements, les cas de malnutrition modérée doivent être pris en charge à
domicile. Les programmes de renutrition distribuant des rations déjà préparées
dans des centres fixes où il convient de consommer sur place ne touchent qu’un
nombre réduit d’enfants et sont chers. De plus, en concentrant les jeunes enfants
sur un même lieu, ces programmes de renutrition risquent d’être dangereux en cas
d’épidémie, notamment de rougeole, de choléra ou de dysenterie.
Inversement, la prise en charge à domicile des enfants modérément dénutris
complique les tâches de supervision et d’évaluation. Si l’enfant ne prend pas assez
de poids, il est difficile de savoir si la stagnation pondérale est liée au régime
prescrit, ou si plus simplement la ration est consommée par l’un ou l’autre membre
de la famille. On contourne habituellement cette difficulté en donnant aux familles
une quantité d’aliments nettement supérieure aux besoins de l’enfant aidé, ce qui
bien sûr augmente les coûts de ces programmes.
• Aspects économiques des programmes de distribution d’aliments
de renutrition
Les familles doutent souvent de l’efficacité des denrées alimentaires les plus
couramment distribuées pour prendre en charge les cas de malnutrition modérée.
Au sein même des camps de réfugiés, on retrouve fréquemment ces “dons” en
vente dans les marchés proches des points de distribution. Leur prix montre qu’ils
sont souvent moins appréciés que les produits locaux traditionnels. Ils sont
généralement vendus beaucoup moins chers que leur prix de fabrication. Le bilan
économique de l’opération est souvent très faible : les familles seraient
financièrement gagnantes si on leur distribuait directement les sommes
correspondant au coût de fabrication et d’acheminement des produits qu’elles
revendent sur le marché local.
147
INTERVENTIONS NUTRITIONNELLES – PROGRAMMES DE PRÉVENTION
8-3 Interventions touchant l’ensemble
des enfants d’une population
Les interventions touchant la totalité des enfants des milieux défavorisés
sont en principe préférables aux interventions ciblées. On en distingue trois
grandes catégories.
8-3-1 Éducation nutritionnelle
148
L’éducation nutritionnelle a longtemps été proposée comme une approche
intéressante pour limiter les conséquences sanitaires de la pauvreté. Le principe
consiste à montrer aux familles l’intérêt nutritionnel d’aliments peu coûteux
disponibles localement et traditionnellement délaissés. L’enseignement peut
prendre la forme de démonstrations de recettes dans les centres de santé ou faire
appel à des techniques plus modernes de communication de masse. Cette
approche présente des limites : les aliments bon marché forment généralement
déjà la base de l’alimentation des familles les plus pauvres, même en l’absence de
programmes d’éducation nutritionnelle. Ces aliments ont par ailleurs souvent un
contenu en vitamines et minéraux insuffisant pour permettre à un enfant malade
de reprendre une croissance rapide. Les repas préparés dans les familles pauvres
se caractérisent par une teneur faible en lipides, dont les enfants ont grandement
besoin, et qui augmentent considérablement l’acceptabilité des autres aliments.
L’éducation nutritionnelle pouvait paraître prometteuse quand on pensait
qu’une simple augmentation de la ration en protéines ou en énergie corrigeait le
régime de l’enfant. Les idées et les connaissances ont évolué. Améliorer la qualité
nutritionnelle de l’alimentation se heurte à un obstacle majeur parce que dans la
plupart des situations, les aliments riches en fer, zinc, magnésium ou même
potassium, sont d’origine animale et souvent hors de portée de bien des familles
(§ 6-6-2). Enfin, l’effet des interventions éducatives est rarement évalué en termes
de croissance des enfants, ce qui renforce les doutes à leur égard.
8-3-2 Mise sur le marché d’aliments de sevrage
à faible coût
Comme la malnutrition survient surtout au moment du sevrage, le principe
de mettre sur le marché des aliments de sevrage à faible coût, au besoin
subventionnés, peut paraître intéressant. Cette idée a été en vogue, surtout dans
les années 60, à l’époque où on pensait que la malnutrition est surtout due à une
carence en protéines. Elle tend actuellement à être abandonnée. Le concept d’un
8-3-3
DISTRIBUTION À L’ENSEMBLE DES ENFANTS
aliment de sevrage spécialement destiné aux enfants est en soi discutable. En effet,
sur le plan nutritionnel, l’enfant se distingue de l’adulte essentiellement par ses
besoins en énergie (§ 3-3). Sur le plan qualitatif, ses besoins ne sont pas très
différents, et il n’existe pas un réel besoin de développer des produits alimentaires
destinés aux enfants. La seule contrainte est de broyer ou d’écraser les aliments
proposés aux enfants les plus jeunes et sans doute de les enrichir en lipides. Tous
les autres mammifères se reproduisent sans aliments de sevrage qu’ils seraient bien
incapables de préparer, et les bouillies à base de céréales et de lait ont été
introduites très récemment au cours de l’évolution alimentaire de l’espèce
humaine, après l’invention de l’agriculture et la domestication des animaux laitiers.
La notion d’aliment de sevrage semble une spécificité culturelle européenne car de
nombreuses ethnies, aussi bien en Afrique qu’en Asie, l’ignorent.
Historiquement, l’introduction d’aliments de sevrage d’origine industrielle a
été de pair en Europe occidentale et aux États-Unis avec la disparition de la
malnutrition de l’enfant. Cette donnée historique porte à croire que de la même
façon, les pays pauvres devraient se forcer à développer une industrie productrice
d’aliments de sevrage pour faire disparaître la malnutrition. Cette obligation n’en
est sans doute pas une : dans l’ex-URSS, la malnutrition de l’enfant était jusqu’à
une date récente totalement inexistante bien qu’aucun aliment de sevrage n’y ait
jamais été produit par l’industrie à grande échelle.
De façon plus pratique, on constate que les aliments de sevrage de bonne
qualité nutritionnelle et non subventionnés sont toujours hors de portée des plus
pauvres. Leur mise en vente a peu d’effets sur la prévalence de la malnutrition grave.
Par contre, les aliments de bonne qualité mais subventionnés pourraient en théorie
jouer un rôle utile. En pratique, il est très coûteux de subventionner un aliment de
sevrage pour l’ensemble des enfants, même dans le cadre d’actions préventives. Tous
les programmes de soutien qui avaient été lancés il y a quelques dizaines années ont
été arrêtés graduellement avec la réduction des dépenses publiques. Les aliments les
moins coûteux qui pourraient en principe se vendre sur les marchés, même en
l’absence de subvention sont toujours de qualité médiocre. Généralement leurs
coûts ont pu être réduits en entamant les concentrations de lipides. Ces aliments ont
dès lors une composition nutritionnelle proche de celle des aliments amaigrissants.
Leur goût est médiocre, et généralement ils ont peu de succès auprès des mères.
8-3-3 Distribution à l’ensemble des enfants,
sous forme de suppléments, des nutriments
manquant dans la ration
L’idée de donner à tous les enfants d’une population donnée un supplément
apportant un ou plusieurs nutriments manquant dans la ration a l’avantage d’éviter
149
INTERVENTIONS NUTRITIONNELLES – PROGRAMMES DE PRÉVENTION
la sélection difficile des individus devant bénéficier de l’intervention. Le cas le plus
extrême est celui de la supplémentation en vitamine A dans les régions où les
apports sont insuffisants. Il semble que ces programmes soient très efficaces pour
réduire la mortalité. Des expériences de supplémentation, menées avec groupe
témoin et effectuées au niveau de populations entières, ont montré que ce type
d’interventions pouvait réduire d’environ 20 % la mortalité chez l’enfant. Cette
baisse pouvait s’obtenir même en l’absence de tout signe clinique de carences au
sein de la population concernée [SOMMER et al., 1986; RAHAMATULLAH et al., 1990;
RAHAMATULLAH et al., 1991; ARTHUR et al., 1992]. Curieusement, cet effet sur la
mortalité est présent sans que l’on puisse observer d’effet probant sur la morbidité
[RAHAMATULLAH et al., 1991; ARTHUR et al., 1992]. Ces expériences de
supplémentation n’ont pas d’effet sur l’état nutritionnel des enfants apprécié par
l’anthropométrie [RAHAMATULLAH et al., 1991]. Ce fait s’explique : la vitamine A est
un nutriment de type I dans la classification de GOLDEN (§ 6-2-1).
150
La distribution d’autres nutriments manquant dans la ration d’une
population pauvre, en dehors de la vitamine A, peut exercer également des effets
importants sur la mortalité. La liste en est cependant difficile à établir. Sur le plan
logistique, la démonstration des effets de la vitamine A s’avère assez simple car
cette vitamine est liposoluble. Elle est donc stockée dans l’organisme à l’occasion
d’apports importants (§ 6-1-1). Il ‘suffit’ donc de donner une dose importante tous
les 4 ou 6 mois pour faire des expériences de supplémentation, ce qui se prête
relativement facilement aux études sur de grands échantillons nécessaires à la
mise en évidence d’un effet sur la mortalité. Une telle expérience avec d’autres
nutriments comme le potassium ou le zinc, qui ne peuvent être donnés que sous
forme de petites doses quotidiennes, serait très difficile. Par ailleurs, la vitamine A
est un nutriment de type I dont la carence n’exerce que des conséquences
métaboliques plus que limitées. Pour les nutriments de type II, il existe un tel
niveau d’interdépendance qu’une supplémentation isolée pourrait être sans effet
en cas de carence associée en un autre nutriment.
Les observations cliniques faites en milieu hospitalier suggèrent qu’il existe
une relation entre carences en minéraux et en vitamines d’une part, et
augmentation de la mortalité d’autre part (§ 6-3 ). L’hypokaliémie est par exemple
une cause fréquente de décès au cours des diarrhées. Il semble logique de
supposer qu’une alimentation pauvre en potassium soit associée à une mortalité
plus élevée par diarrhée. Le même raisonnement peut être tenu pour le
magnésium. Dans le cas du zinc, la carence peut avoir des effets néfastes sur la
réponse immunitaire. Les régimes consommés par les populations pauvres sont
constitués, pour une partie importante de la ration, de farines de céréales,
généralement pauvres entre autres en potassium, magnésium et zinc.
Des techniques de supplémentation qui apporteraient ce type de nutriments
au jour le jour, permettraient d’exécuter des travaux en vue de vérifier ces
RÉFÉRENCES
hypothèses. Dans ce domaine, des progrès devraient être réalisés dans les années
qui viennent, avec pour conséquence une façon nouvelle de concevoir les
programmes de supplémentation nutritionnelle. Le peu d’efficacité et les
contraintes des programmes de prise en charge des cas de malnutrition modérée
sont certainement une incitation à chercher de nouveaux modes d’intervention
plus efficaces.
Références
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Impact of vitamin A supplementation on childhood morbidity in northern Ghana.
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FAUVEAU C., SIDDIQUI M., BRIEND A., SILIMPERI D., BEGUM N., FAUVEAU V. [1992]. Limited
impact of a targeted food supplementation programme in Bangladeshi urban slum
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PELLETIER D.L., FRONGILLO E.A., SCHROEDER D.G., HABICHT J.P. [1995]. The effects of
malnutrition on child mortality in developing countries. Bull. WHO 73, 443-448.
PRUDHON C, MARY J.Y., BRIEND A., GOLDEN M.H.N. [1997]. A model to standardise mortality
of severely malnourished children using nutritional status on admission to
therapeutic feeding centres. Eur. J. Clin. Nutr. 51, 771-777.
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respiratory infections and growth rates are not affected by weekly low-dose vitamin
A supplement: a masked controlled field trial in children in southern India. Am. J.
Clin. Nutr. 54, 568-577.
RAHAMATULLAH L., UNDERWOOD B., THULASIRAJ R.D., MILTON R.C., RAMASWAMY K.,
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India receiving a small weekly dose of vitamin A. New Engl. J. Med. 323, 929-935.
SOMMER A., TARWOTJO I., DJUNAEDI E., WEST K.P., LOEDEN A.A., TILDEN R., MELE L. [1986].
Impact of vitamin A supplementation on childhood mortality. A randomized
controlled community trial. Lancet i, 1169-1173.
WALTER S.D. [1978]. Calculation of attributable risk from epidemiological data. Int. J.
Epidemiol. 7, 175-182.
151
9 – Perspectives
d’éradication de la
malnutrition de l’enfant
9-1 Évaluation du nombre total
de personnes sous-alimentées
à travers le monde
Parler de l’éradication de la malnutrition peut relever de l’utopie : les
organismes internationaux publient régulièrement des statistiques sur le nombre de
personnes souffrant de sous-alimentation à travers le monde et ces chiffres
donnent d’emblée l’impression qu’il s’agit d’un problème insurmontable. Il est dès
lors intéressant de chercher à connaître l’origine de ces données chiffrées. Et
quand on se penche sur la question, on s’aperçoit en fait que les évaluations sont
souvent obtenues par des méthodes très différentes : elles varient selon les
organismes et sont donc difficilement comparables. Lors du sommet mondial de
l’alimentation qui s’est tenu en novembre 1996 à Rome, la presse a largement cité
le chiffre de 800 millions de personnes sous-alimentées. Cette estimation
provenait de données fournies par la FAO, organisatrice de ce sommet [Food for
all, 1996] et est établie d’après des statistiques agricoles. Le principe de ce mode
de calcul consiste à estimer pour chaque pays la production de chaque denrée
alimentaire, d’y ajouter les importations, d’en soustraire les pertes, les
exportations, les utilisations non alimentaires, et de diviser le résultat obtenu par
le nombre total d’habitants. Rappelons que la FAO est l’organisme des Nations
Unies chargé de l’agriculture et il n’est donc pas étonnant qu’elle se base sur des
statistiques de productions agricoles pour faire ses estimations. Sa méthode
d’estimation du nombre d’individus dénutris est cependant très indirecte,
approximative et grevée d’erreurs. On sait par exemple que dans de nombreux
pays en développement, le nombre d’habitants n’est connu qu’avec une marge
d’incertitude considérable. Les données sur la production agricole sont ellesmêmes sujettes à caution dans les pays où la plupart des denrées alimentaires
n’entrent pas dans un circuit formel de distribution. Enfin, cette approche est
critiquable car des personnes peuvent avoir faim, même dans des régions où la
153
PERSPECTIVES D’ÉRADICATION DE LA MALNUTRITION DE L’ENFANT
disponibilité alimentaire par habitant est élevée, si la répartition des aliments est
inégale, ce qui est fréquemment le cas dans les pays pauvres, et même dans les
sociétés dites d’abondance.
154
L’UNICEF utilise une approche totalement différente pour estimer le
nombre d’enfants souffrant de malnutrition. Cet organisme base en effet ses
estimations sur les résultats d’enquêtes anthropométriques. L’UNICEF étant
l’organisme des Nations Unies responsable de l’enfance, son approche présente
l’avantage de donner, pour les enfants, des chiffres facilement vérifiables à partir
d’enquêtes simples à organiser. L’interprétation de ces enquêtes est cependant
extrêmement délicate et les chiffres fournis reposent sur une série d’hypothèses qui
sont vraisemblablement inexactes (§ 2-2-11). Il est difficile, à partir de données
anthropométriques, d’avancer des chiffres fiables sur le nombre d’enfants dénutris
dans le monde : les estimations dépendent fortement des critères choisis pour
définir la malnutrition. La méthode de calcul la plus fiable, à savoir déterminer un
taux de réponse en cas d’intervention nutritionnelle (§ 2-2-3 ), est inapplicable en
pratique. Quoi qu’il en soit, l’UNICEF publie tous les ans dans son rapport annuel
sur la situation des enfants dans le monde une série de données reprenant les
pourcentages d’enfants souffrant d’émaciation ou de retard de croissance. Ces
chiffres, qui ont le mérite d’être comparables d’une année à l’autre et d’un pays à
l’autre [UNICEF, 1195; 1996], sont souvent cités par la presse qui en déduit
abusivement qu’il s’agit du nombre d’enfants en malnutrition.
Il n’est pas étonnant que des méthodes aussi différentes que celles utilisées
par la FAO et l’UNICEF donnent des résultats peu cohérents. Les rapports de
l’UNICEF toujours font part d’une proportion d’enfants dénutris bien plus élevée
en Asie du Sud qu’en Afrique sub-Saharienne. À l’inverse, les statistiques de
production agricole de la FAO suggèrent que la situation ne cesse de s’améliorer
dans le sous-continent indien et donnent plutôt l’impression qu’elle ne s’améliore
que très lentement, voire se dégrade, en Afrique. Ces discordances s’expliquent
sans doute par le fait que l’anthropométrie mesure essentiellement le niveau des
apports en nutriments de type II (acides aminés essentiels, certains minéraux, voir
§ 6-2-2) qui sont mal évalués par les statistiques de production agricole. En effet,
l’apport en nutriments de type II dépend fortement de l’importance de la
diversification du régime alimentaire, qui est très mal cernée par les statistiques
actuelles. Les résultats discordants donnés par ces différentes approches doivent
inciter à une certaine prudence dans le maniement de ces données parfois très
divergentes.
Il est cependant un point sur lequel on peut s’accorder avec les organismes
internationaux : le problème de la malnutrition est extrêmement vaste. Le nombre
de personnes souffrant à un degré divers, dans leur santé ou dans leur bien-être,
des conséquences d’une alimentation insuffisante et/ou déséquilibrée, se compte
sans doute par centaines de millions. L’ampleur du problème de la sous-
9.2
ÉVALUATION DU NOMBRE D’ENFANTS GRAVEMENT DÉNUTRIS DANS LE MONDE
alimentation suppose que son éradication reste malheureusement du domaine de
l’utopie pour les années à venir.
9-2 Évaluation du nombre d’enfants
gravement dénutris dans le monde
Des cas graves de malnutrition surviennent presque uniquement dans des
populations qui souffrent globalement de sous-alimentation. L’ampleur du
problème posé par les formes graves de malnutrition est cependant moindre que
l’étendue de la sous-alimentation dans le monde en général. Le nombre d’enfants
gravement dénutris et présentant un risque élevé de décès est en réalité
relativement faible à l’échelle mondiale et même dans les pays pauvres.
Curieusement, il n’existe pas de statistiques précises à ce sujet. Dans son rapport
de 1995, l’UNICEF mentionne que la malnutrition grave est peu répandue et
toucherait moins de 1% des enfants du monde en développement. Cet organisme
n’en dit pas un mot dans son rapport de 1996.
Si l’on s’en tient plus particulièrement à l’Afrique, on peut avancer sans
prendre beaucoup de risques que le nombre des enfants gravement dénutris se
limite à quelques milliers dans l’ensemble des hôpitaux. Il est rare de voir plus
d’une dizaine d’enfants souffrant de malnutrition grave dans les salles de pédiatrie
des hôpitaux, et il n’y a guère plus de trois à quatre centaines d’hôpitaux à travers
l’Afrique. Même si l’on admet qu’une partie seulement de ces enfants sont
hospitalisés et que leur nombre réel peut être dix fois supérieur encore, le chiffre
total ne doit pas dépasser quelques dizaines de milliers d’enfants pour l’ensemble
de l’Afrique. Au pire, on pourrait recenser quelques centaines de milliers d’enfants
chaque année.
Le grand public vit souvent avec l’impression que le problème de la
malnutrition grave de l’enfant est beaucoup plus important. Les reportages
télévisés qui ne montrent l’Afrique qu’à l’occasion de catastrophes ou de crises
humanitaires spectaculaires tendent à donner une vision déformée du problème.
En dehors de situations conflictuelles exceptionnelles avec blocus de population,
il est rare de rencontrer des enfants atteints de malnutrition grave dans les villages
africains. On les voit lors de visites de dispensaires ou dans les services de
pédiatrie des hôpitaux. Même dans les situations de crises humanitaires majeures,
seule une minorité d’enfants est généralement atteinte des formes les plus graves
de malnutrition. Les situations de famine qui frappent tous les enfants en les
rendant gravement dénutris gardent un caractère exceptionnel.
155
PERSPECTIVES D’ÉRADICATION DE LA MALNUTRITION DE L’ENFANT
9-3 Rôle de l’aide alimentaire
9-3-1 L’aide alimentaire et le problème
de la sous-alimentation dans le monde
156
L’aide alimentaire est souvent présentée comme un moyen permettant de
réduire le problème de la faim dans le monde. Ses effets sont cependant
négligeables et il semble peu vraisemblable qu’elle ait un impact quelconque sur
le problème de la sous-alimentation dans le monde en général. En 1995, huit
millions de tonnes de céréales ont été envoyées au titre de l’aide alimentaire
[Programme alimentaire mondial, 1996]. Si cette quantité était répartie
équitablement entre les 800 millions de personnes sous-alimentées (estimation de
la FAO), elle correspondrait à un apport céréalier supplémentaire de dix
kilogrammes par an, soit environ 25 g par jour et par personne. L’aide alimentaire
peut s’avérer irremplaçable dans un certain nombre de situations de crise pour
autant qu’elle parvienne à temps aux personnes qui en ont le plus besoin. Elle ne
représente par contre qu’un volume négligeable pour les situations non urgentes
et ne peut avoir d’effet notable à l’échelle de la planète. Il faut rappeler par ailleurs
que ce chiffre avancé de 800 millions est difficile à vérifier, et que le nombre de
personnes réellement sous-alimentées est sans doute plus important.
Il semble peu vraisemblable que l’aide augmente dans les années futures et
que son impact nutritionnel devienne significatif. La tendance inverse est plus
probable : les pays riches cherchent tous actuellement à réduire leurs déficits
budgétaires et les dépenses du secteur public. L’aide alimentaire est financée par
un soutien sous forme de subventions à l’agriculture et ne persiste actuellement
qu’en raison de la pression des producteurs des pays riches cherchant à écouler
leurs produits. Cette politique d’aide financière n’est pas tenable à terme. Par
ailleurs, il n’est pas souhaitable pour les pays bénéficiaires de l’aide alimentaire
qu’elle reste longtemps à un niveau élevé. En effet, l’importation massive de
denrées alimentaires pousse à la baisse des prix sur les marchés où elles sont
écoulées. Cette pratique risque, à terme, de ruiner les producteurs locaux.
Outre cet aspect quantitatif minime, l’aide alimentaire est peu susceptible,
sur le plan qualitatif, d’avoir un impact réel sur la prévalence de la malnutrition,
en dehors des situations de pénurie prononcée. Les problèmes nutritionnels
principaux des populations pauvres sont la conséquence d’une alimentation
monotone et reposant trop sur la consommation de céréales. L’aide alimentaire est
également constituée d’un nombre très limité de produits, aussi principalement de
céréales, qui ne peuvent donc guère contribuer à une diversification du régime.
L’enrichissement des produits de base au niveau industriel par des minéraux ou
9-3-2
L’AIDE ALIMENTAIRE ET L’ÉRADICATION DE LA MALNUTRITION GRAVE
des vitamines pourrait jouer un rôle plus important. Malheureusement,
l’exportation du savoir-faire qui permettrait d’effectuer localement ce type
d’enrichissement sur des produits locaux ne fait pas partie des programmes
traditionnels d’aide alimentaire.
9-3-2 L’aide alimentaire et l’éradication
de la malnutrition grave
L’aide alimentaire semble avoir un rôle à jouer dans l’éradication rapide de
la malnutrition grave sans qu’il faille attendre une amélioration des conditions
socio-économiques. Car la prise en charge des cas les plus graves impose l’emploi
de préparations lactées ou de suppléments vitaminiques et minéraux qu’il est
souvent impossible de produire localement. L’idéal reste de les importer au titre de
l’aide. Par ailleurs, rapportée au faible nombre d’enfants gravement dénutris, l’aide
alimentaire représente actuellement un volume important.
Les aliments destinés à la prise en charge des enfants modérément dénutris
sont moins compliqués à produire et peuvent l’être dans les pays pauvres. Ces
aliments peuvent jouer un rôle dans la prévention des formes graves de
malnutrition. Cette fabrication doit cependant être associée à un minimum de
transfert de connaissance et de contrôle de qualité au niveau industriel. Trop de
projets dits “à technologie intermédiaire” ont abouti à la mise sur le marché
d’aliments à faible teneur en matière grasse, mal équilibrés sur le plan minéral et
vitaminique, contenant des facteurs anti-nutritionnels, et parfois même inférieurs sur
le plan nutritionnel à un panier de denrées locales préparées de façon traditionnelle.
Une assistance technique compétente se justifie pleinement dans ce domaine.
À l’échelle d’un continent, quelques centaines de milliers d’enfants
représentent un effectif relativement modeste. Si on considère qu’un enfant
gravement malade pèse en moyenne 8 kg, et qu’il a besoin de 200 kcal/kg/jour
pendant 30 jours pour assurer son traitement diététique, il faut lui fournir au total
48 000 kcal pour restaurer son état nutritionnel. Cette quantité d’énergie
correspond à environ 10 kg d’une préparation alimentaire en poudre type F100.
Les organismes humanitaires estiment aussi le besoin moyen à 7 ou 8 kg de F100
pour traiter un enfant. Un millier de tonnes de poudre permet ainsi de prendre en
charge au moins 100 000 enfants. Pour l’ensemble du continent africain, quelques
milliers de tonnes devraient largement suffire chaque année à couvrir la totalité
des besoins en produit de renutrition des hôpitaux. À titre de comparaison, une
crise majeure comme celle qu’a connue le Rwanda en 1994 ou le Liberia en 1996
ne nécessite pas plus de quelques centaines de tonnes (ou parfois même quelques
dizaines) d’une préparation type F100 pour prendre en charge la totalité des
enfants gravement dénutris.
157
PERSPECTIVES D’ÉRADICATION DE LA MALNUTRITION DE L’ENFANT
Les quantités de lait en poudre envoyées actuellement au nom de l’aide
devraient largement suffire pour couvrir ces besoins aigus même si le volume de
cette aide a tendance à se réduire d’année en année : les pays nantis fournissaient
de l’ordre de 175 000 tonnes au début des années 90, alors que les envois
n’atteignent plus que 50 000 tonnes par an en 1995 [Programme alimentaire
mondial, 1996] (Figure 16). Ce tonnage réduit devrait cependant encore permettre
chaque année de prendre en charge plus de 5 000 000 d’enfants gravement
atteints, ce qui représente effectivement plus qu’il n’en faut puisqu’il y a environ
100 000 000 d’enfants de moins de 5 ans en Afrique, et que tout le monde
s’accorde pour dire que moins de 1% d’entre eux souffre de malnutrition grave.
158
milliers de tonnes
Lait entier
Lait écrémé
Total
Année
Figure 16 — Quantités de lait en poudre envoyées par le biais de l’aide alimentaire par
année.
Le lait envoyé actuellement à titre de l’aide alimentaire est presque
exclusivement constitué de lait en poudre entier ou écrémé. Ces laits ne sont pas
directement utilisables pour la prise en charge diététique des enfants gravement
dénutris. Le lait écrémé est surtout recommandé quand il y a lieu de suivre un
régime amaigrissant. Ce lait ne peut pas être utilisé tel quel mais doit être mélangé
avec de l’huile et du sucre, et enrichi d’un supplément de vitamines et de
minéraux (§ 5-3 ; § 6-5). La visite de centres de renutrition distribuant des produits
de l’aide montre que ce mélange est rarement effectué dans des proportions
correctes.
9-3-2
L’AIDE ALIMENTAIRE ET L’ÉRADICATION DE LA MALNUTRITION GRAVE
La reconstitution du mélange lait-huile-sucre ne semble pas constituer une
préoccupation des pays donateurs. La lecture du chiffre des tonnages de lait
écrémé et de sucre envoyés sous forme de l’aide alimentaire apporte une
information intéressante : la reconstitution des préparations lactées censées
prendre en charge les cas les plus graves de malnutrition devrait constituer
l’utilisation nutritionnelle prioritaire. En toute logique, les tonnages de sucre et de
lait devraient se maintenir dans un rapport constant proche de 50/80 ( soit 62 %)
qui reflète les proportions d’une préparation correctement reconstituée. En fait, les
chiffres ne s’en approchent jamais, et varient fortement d’une année à l’autre
(Figure 17). Des achats locaux, hors du circuit d’aide, peuvent évidemment
expliquer certaines divergences. Les courbes des dons ou ventes annuelles
semblent cependant être plus influencées par le coût des matières premières que
par des considérations nutritionnelles. Par ailleurs, les mélanges de vitamines et de
minéraux ne font pas partie des produits d’aide alimentaire classiques, et ne sont
même pas répertoriés dans les statistiques. On ne peut donc rien en dire.
159
S/L
Rapport dans la formule F100
Année
Figure 17 — Rapport entre le tonnage de sucre et celui de lait écrémé (S/L) envoyés par le
biais de l’aide alimentaire par année.
L’envoi sans discernement de milliers de tonnes de poudre de lait effectué
au cours de ces dernières années ne semble pas avoir d’impact sur les formes les
plus graves de la malnutrition de l’enfance. Le lait ne parvient pas souvent aux
enfants qui en ont un réel besoin. Dans les hôpitaux africains, la plupart des
enfants reçoivent des régimes non lactés, ce qui explique en partie les taux élevés
PERSPECTIVES D’ÉRADICATION DE LA MALNUTRITION DE L’ENFANT
CSB
Total
milliers de tonnes
160
de mortalité. Il est courant de voir des enfants très atteints dont les complications
médicales sont traitées sans qu’on leur propose un régime un tant soit peu adapté
à leur état. On comprend dans ces conditions que la plupart des familles hésitent
à y emmener leurs enfants.
Le remplacement des milliers de tonnes de lait écrémé envoyées
actuellement par des préparations bien équilibrées type F75 et F100 ne changera
rien à la situation actuelle si on ne prend pas garde à les réserver aux formations
hospitalières spécialisées dans le traitement de la malnutrition. Il faut donc veiller
à assurer un minimum le suivi de ces produits. En fait la meilleure attitude serait
de réserver ces préparations aux centres hospitaliers ou aux dispensaires
s’engageant à suivre un protocole rigoureux pour leur utilisation. Ces institutions
sont en nombre relativement réduit. L’analyse des statistiques d’aide alimentaire
indique qu’il existe actuellement les moyens de couvrir la totalité des besoins
hospitaliers concernés, même en tenant compte que l’amélioration du pronostic
provoquera automatiquement une augmentation sensible du nombre d’enfants
amenés pour traitement.
Les chiffres des quantités de farines composées destinées à alimenter les
enfants atteints de malnutrition modérée révèlent également l’importance du volume
de l’aide alimentaire par rapport au nombre total d’enfants défavorisés. Les tonnages
distribués à travers le monde varient de 200 000 à 400 000 tonnes par an, soit
environ huit fois le tonnage de poudre de lait. Le CSB (Corn Soya Blend), mélange
Année
Figure 18 — Quantités de farines composées envoyées par année par le biais de l’aide
alimentaire.
9-4
ANALYSE DE LA POLITIQUE DE L’AIDE ALIMENTAIRE ACTUELLE
de maïs et de soja, en représente la plus grande partie (Figure 18). Ces aliments sont
destinés aux enfants modérément dénutris dont le nombre est considérablement plus
élevé que celui des enfants gravement dénutris. Mais si ces quotas étaient utilisés en
priorité pour éviter les récidives de malnutrition grave, ou pour simplement prévenir
la dégradation des cas intermédiaires, leur impact serait aussi majeur. Mais
actuellement, l’envoi de ces farines composées a peu d’effet sur la prévalence de la
malnutrition grave. Ces aliments sont de conception ancienne : ils contiennent
beaucoup de protéines, peu de matière grasse et des quantités importantes de fibres
et de facteurs anti-nutritionnels. Leur composition les rend plus adaptés au régime
diététique des personnes obèses cherchant à perdre du poids qu’à la prise en charge
de cas de malnutrition. Certes, l’addition d’huile à ces aliments au moment de leur
préparation en améliore la valeur nutritionnelle, mais ceci n’est pas toujours suivi en
pratique. En fait, il serait utile de revoir la composition de ces farines. Les
améliorations nécessaires impliquent une augmentation des coûts, mais il existe une
marge de manoeuvre importante qui semble acceptable. En imaginant que l’on soit
contraint de doubler le coût de ces aliments pour en améliorer la qualité à budget
égal au budget actuel, il serait encore possible d’en envoyer entre 100 000 et
200 000 tonnes par an, ce qui est considérable. Même si l’on admet que ces
produits, une fois améliorés, ne sont pas toujours aussi efficaces que les préparations
F100, et si l’on estime qu’il en faut 20 kg plutôt que 10 kg pour rétablir un poids
normal, 100 000 tonnes de farines composées permettent encore de prendre en
charge 5 millions d’enfants. Les volumes actuels de l’aide dépassent
vraisemblablement les capacités humaines des programmes, qui n’assurent qu’un
minimum de supervision sur l’utilisation de ces produits.
9-4 Analyse de la politique de l’aide
alimentaire actuelle
Rien ne s’oppose dans les faits à une éradication rapide des formes les plus
graves de malnutrition dans les quelques années qui viennent. L’inertie des
décideurs politiques dans ce domaine est surprenante. Alors que les gouvernements cherchent un peu partout à limiter leurs dépenses et à optimiser
l’utilisation des fonds publics, l’aide alimentaire est manifestement conduite sans
souci d’efficacité. Il semble bien que les facteurs influençant la politique de l’aide
alimentaire soient d’un autre ordre.
161
PERSPECTIVES D’ÉRADICATION DE LA MALNUTRITION DE L’ENFANT
9-4-1 Pression des producteurs agricoles
La teneur de l’aide alimentaire, constituée principalement de céréales et de
produits laitiers non transformés, semble déterminée essentiellement par l’action
de groupes de pression des producteurs céréaliers dont l’influence est sans doute
à mettre en rapport avec leur importance sur le plan électoral. Il est frappant de
constater que dans pratiquement tous les pays donateurs, l’aide alimentaire
dépende directement ou indirectement du ministère de l’agriculture. La nature de
l’aide et des produits envoyés montre que les décideurs politiques n’ont souvent
aucune notion des besoins nutritionnels des enfants en état précaire. Les
nutritionnistes travaillant sur le terrain n’ont en pratique qu’une influence
négligeable sur le choix des produits envoyés.
9-4-2 Souci d’image auprès du public
162
Le souci de se créer une image flatteuse et de conquérir les faveurs du grand
public semble souvent avoir priorité sur la qualité technique de l’aide : les cahiers
des charges spécifiant les caractéristiques des aliments achetés par appel d’offre
international et destinés à l’aide alimentaire décrivent souvent bien plus en détail
la taille et la couleur du logo du donateur sur l’emballage que leur qualité
nutritionnelle. Si cette tendance se poursuivait, on verrait bientôt les convois
humanitaires transformés en caravanes publicitaires. Comme l’aide alimentaire
bénéficie à d’autres que ceux qui la payent, son image prend de façon perverse
plus d’importance que sa valeur nutritionnelle.
Cette nécessité d’entretenir une image flatteuse auprès du public se
comprend si on l’analyse en termes de bénéfices électoraux. Cette politique
permet de faire accepter au public une aide alimentaire sans véritable justification
économique. Ceci est d’autant plus important que cette stratégie permet de fournir
des débouchés aux producteurs agricoles influents sur le plan électoral, aux frais
du contribuable ignorant mais consentant.
Les organismes non gouvernementaux, généralement enclins à dénoncer les
travers des organismes d’aide, sont curieusement silencieux sur ce défaut majeur
de l’aide alimentaire actuelle, qui est plus soucieuse d’être visible du public que
d’être efficace sur le terrain. En fait, les organismes humanitaires souffrent souvent
du même travers : ils dépendent de la générosité du public, ce qui signifie que
rester visible est indispensable à leur survie alors qu’être compétent ne l’est pas.
Dans les organismes humanitaires non gouvernementaux, la communication (la
‘com’) tient toujours une place importante. Aucun ne saurait vivre sans elle, alors
que nombreux sont ceux qui arrivent à prospérer sans secteur technique
compétent, voire même sans secteur technique du tout.
RÉFÉRENCES
9-5 Pour une aide alimentaire
intelligente
Les pays donateurs donnent souvent une image confuse de l’aide
alimentaire. Ils justifient son existence en invoquant le spectre de la famine et en
se référant à des images d’enfants décharnés. Mais en guise de réponse, ils leur
envoient un nombre limité de produits, dans le cadre d’accords d’État à État. Cette
coopération a peu de chance d’améliorer le sort des enfants gravement dénutris
alors qu’elle s’y réfère implicitement. Une meilleure information des acteurs
impliqués dans l’aide alimentaire favoriserait certainement la solution de ce
problème.
L’aide alimentaire devrait se fixer des objectifs limités et réalisables, à savoir
améliorer le sort des enfants les plus frappés par la malnutrition. Seuls seront
efficaces l’envoi de quantités plus réduites d’aliments réellement adaptés, à des
enfants qui en ont vraiment besoin, et l’octroi d’une assistance technique
compétente pour le développement d’une industrie agro-alimentaire locale
performante. L’inondation des pays pauvres par des produits mal adaptés devrait
être remplacée par une aide intelligente, compétente, riche en transfert de
connaissances et de technologies qui serait certainement moins coûteuse que celle
menée actuellement.
Références
Food for all: slogan or worthy goal ? [1996]. Lancet 348, 1109.
UNICEF. [1995]. La situation des enfants dans le monde New York : UNICEF.
UNICEF. [1996]. La situation des enfants dans le monde. New York : UNICEF.
Programme alimentaire mondial. [1996]. Données disponibles sur serveur
Internet. http ://www.wfp.org.
163
Achevé d’être imprimé
en octobre 1998
sur les presses du Groupe Graphique Chauveheid Stavelot
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