ETUDES POURSUIVIES
Ecole Pratique des Hautes Etudes/ Section des sciences religieuses
Préparation du diplôme post doctoral, sous la direction de Mme Renée Koch-Piettre
(Directeur d’Etudes, titulaire de la Chaire d’Anthropologie religieuse).
Résumé :
« Il s’agit, dans ce projet, provisoirement intitulé « jeu et enjeux de la charis », de s’interroger sur
la place de la charis dans l’anthropologie des textes placés sous les noms d’Homère et d’Hésiode.
La question de la charis est, en effet, anthropologique, ainsi cette remarque de Ménandre, au
IVème siècle avant notre ère : « quel être gracieux (charien) est l’homme quand il est homme »
(fragment 484, Körte). On voit à travers cette affirmation toute la place de la charis dans le souci, à
l’époque de la Grèce classique, de définir une humanitas. Cette humanité grecque s’exprimant par
la grâce sera l’un des leitmotivs de la vision romantique et néo-classique de l’Antiquité développée
aux XVIIIème et XIXème siècles. D’une façon générale, le thème de la grâce est omniprésent dans
“l’idéal grec” forgé au cours des siècles : de ce point de vue, existe un continuum entre l’époque
classique et l’âge moderne. A l’instar d’une sagesse prêtée volontiers aux Anciens, la grâce ferait
partie d’un lot, d’un butin réuni par l’Antiquité qui ferait tragiquement défaut aux sociétés
contemporaines. L’humanité ainsi pensée était tournée vers le beau et le bien, dont la charis mais
aussi les Charites seraient l’expression et la figuration. La charis et les Charites sont alors l’objet
d’une satisfaction, d’une joie essentiellement intellectuelle et spirituelle.
Je souhaiterais soumettre cette représentation idéaliste à la question et à la critique en adoptant
une approche anthropologique et esthétique. Du point de vue anthropologique, il me semble en
effet que l’humanité en jeu chez Homère et Hésiode tend essentiellement à se tourner vers
l’univers des plaisirs (Homère) ou des réconforts (Hésiode). Ils sont le ciment de l’idéal
aristocratique homérique et la récompense à une condition humaine ambivalente, faite de peines
et de joies, chez Hésiode. Sur le plan esthétique, puissance d’accroissement et d’embellissement, la
charis se manifeste dans tous les moments de l’existence où une relation de plaisir s’établit. Les
héros homériques luttent pour son maintien et son retour, en effet, sa présence n’est jamais
éternellement acquise, elle est conditionnée par la bonne volonté des Immortels. Il s’agira
d’explorer l’idée que la charis est une des pièces maîtresses du jeu qui, dans la Grèce archaïque, lie
les hommes aux dieux. Notre hypothèse de travail est que la charis pouvait être la manifestation
d’une amélioration, son éclat faisant que l’esprit triste devenait joyeux, que le laid était transformé
en beau (cf. Odyssée, VI ,239-245). Du point de vue de la langue grecque, ce phénomène pourrait
être rapproché de l’effet sémantique produit par l’utilisation de l’adverbe eu- comme préfixe de
compositions nominales. Ce préfixe ajoute au terme avec lequel il est associé l’idée d’abondance,
de réussite, de facilité, il fait partie de ce que Françoise Bader appelle les mélioratifs, ainsi
euphrôsunè ou euporia. Ces expressions, désignant le passage à un surcroît de joie ou de
ressources, résument le principe dynamique de la charis. Cette dernière est appréhendée par
Homère et Hésiode comme un mouvement, une mobilité porteuse, véhicule de réjouissances. La
beauté d’un être, d’une parole, d’un objet vient de ce que sur lui ou sur elle passe la grâce et que
rien ne vient entraver ce passage, en cela les Grecs pouvaient voir la manifestation d’une volonté
divine.
La subtile mobilité d’Hermès sur laquelle je voudrais insister montre bien qu’un mode particulier
d’efficacité est lié à l’intelligence du passage. La charis d’Hermès tient beaucoup à cette habileté
« à passer et à faire passer ». Charis et Charites sont les deux faces d’une même pièce, d’un
sumbolon dont la présence accompagne les moments les plus réjouissants de l’existence. La charis
est une faveur qui se gagne à force d’efforts, d’épreuves, mais aussi d’astuces. En tant
qu’expression de la réjouissance et du plaisir, elle est un « fait social total », pour reprendre une
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