L'avenir des coopératives peut-il être commercial sans être politique ?
Klara Kovesi, André Rousseau, Yann Regnard,
Université Européenne de Bretagne (UBO),
Laboratoire Information, Coordination, Incitations
(E.A.2652)
Les coopératives sont saines, performantes sur le marché. Leur tentation est d'instrumentaliser leur
différence par les valeurs pour en faire un argument marketing. Notamment, on peut citer le recours à
l'investissement altruiste dans les œuvres, qui permet de justifier des valeurs spécifiques de ces
organisations. Pour assurer leur avenir, elles s'efforcent d'assurer la fidélité des sociétaires par des
avantages ou par l'amélioration de la qualité des prestations ou encore par la conquête de nouveaux
marchés.
Or, l'invention du marketing relationnel auquel les coopératives accordent une grande importance
aujourd'hui n'est pas lié exclusivement à une démarche commerciale mais a trait à son fonctionnement
politique, et cela de trois manières. En plaçant la satisfaction des besoins comme raison d'être de
l'entreprise ; en gérant ensuite en la tension entre consommateurs et producteurs dans une synthèse où
les intérêts des parties-prenantes sont conciliables, grâce au contrôle de l'entreprise par ses sociétaires ;
et enfin, par l'absence d'actionnaires, qui est la clé de voûte d'une construction vouée au bien collectif,
le pouvoir des sociétaires cesse de s'opposer à celui des salariés et des clients. Des conflits d'intérêts
peuvent se manifester clairement ; mais des dispositifs démocratiques (le principe une personne = une
voix) régulent ces conflits ; par ailleurs, si les relations entre sociétaires et parties prenantes sont bien de
nature commerciale, l'entreprise coopérative est un bien économique issu du territoire et qui lui restitue
sa richesse : le territoire n'est pas le « marché » de l'entreprise coopérative, mais son partenaire de long
terme.
L'intérêt d'une coopérative est de pouvoir améliorer le service aux sociétaires, en les plaçant au cœur de
la décision. POUR eux-mêmes et PAR eux-mêmes : les deux volets sont indissociables. C'est le point
qu'il nous faudra vérifier. La pertinence du thème aujourd'hui s'observe sous l'angle de la gouvernance
des coopératives mais également de la gouvernance tout court et au regard des revendications de
pouvoir du consommateur. La difficulté vient de ce que les présupposés du marketing, ou mieux son
présupposé essentiel est la captation ou la séduction. Le schème est à ce point prégnant que la
spécificité coopérative ou mutualiste est facilement vue comme pouvant servir d'argument de
communication.
Dans ce contexte, comment s'explique la fidélité du sociétaire à sa coopérative ? S'agit-il, sous l'angle
du marketing relationnel, d'une résultante de la satisfaction de ses attentes, notamment en termes de
valeurs ? Ou bien est-ce une fidélité contrainte ou passive, fruit d'une relation biaisée, révélatrice de
barrières au changement négatives empêchant toute réelle implication sur le futur de sa coopérative ?
Provient-elle, malgré tout, du cadre institutionnel qui garantit au sociétaire cette possibilité de faire
entendre sa voix ?