Synthèse Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2015 ; 13 (3) : 272-8 Représentations des médecins généralistes au sujet de la fragilité des personnes âgées : une étude qualitative Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Views of general practitioners on the frailty in elderly: a qualitative study Pierre-Yves Saleh1 François MarÉchal1 Marc Bonnefoy2 Pierre Girier1 Pierre Krolak-Salmon3 Laurent Letrilliart1,4 1 Département de médecine générale, Université de Lyon 1, France 2 Service de médecine gériatrique, Centre hospitalier, Faculté de médecine Lyon-Sud, Université de Lyon-1, France 3 Centre mémoire, de ressources et de recherche de Lyon, Hôpital des Charpennes, Hospices civils de Lyon, France 4 EA 4129 « Santé Individu Société », Université de Lyon, France <[email protected]> Tirés à part : L. Letrilliart Résumé. Le concept de fragilité chez la personne âgée désigne des patients ayant un risque majoré de chute, d’hospitalisation, de dépendance, et de décès, et pourrait constituer une cible pour prévenir ou retarder la perte d’autonomie. Afin d’explorer les représentations des médecins généralistes sur le concept de fragilité des personnes âgées, nous avons conduit deux entretiens collectifs (focus group) auprès de médecins généralistes, et cinq entretiens individuels auprès de médecins généralistes ayant une capacité de gériatrie. L’analyse des verbatims montre que le concept de fragilité est assez bien défini par les médecins généralistes, mais que sa projection dans la pratique clinique soulève des difficultés. Ils considèrent qu’un dépistage des personnes âgées fragiles est possible, mais indiquent ne pas disposer actuellement d’outil adapté à leur pratique. Ils se sentent compétents pour l’évaluation diagnostique et la prise en charge des patients repérés comme fragiles, et sont prêts à s’impliquer davantage, notamment dans le cadre d’approches inter-professionnelles, en particulier avec les infirmiers. Il semble impératif que les bénéfices attendus du dépistage et de la prise en charge de la fragilité des personnes âgées soient précisés à partir de données de recherche clinique. Mots clés : fragilité, personnes âgées, médecine générale, représentations Abstract. The concept of frailty in the elderly denotes patients at higher risk of fall, hospitalization, dependency and death. Its prevalence is estimated in France at 15% for people over 65 years. Frailty could be a target for preventing avoidable loss of autonomy. To explore the views of French general practitioners (GPs) on the concept of frailty in the elderly, we have conducted two focus groups with GPs, and five interviews with GPs qualified in geriatrics. Data collection was guided by an adaptive topic schedule. The analysis of the verbatims shows that the concept of frailty is fairly well defined by GPs, but its implementation in clinical practice raises difficulties. They consider that screening frail elderly is possible, but indicate that they don’t have any tool adapted to their practice. They feel competent for the diagnostic assessment and the management of the patients detected as frail, and are ready to get further involved, especially within the framework of inter-professional approaches, in particular with nurses. The expected benefits of screening and managing frailty in the elderly needs to be based on data from clinical research. Inter-professional collaborations should be developed in the outpatient setting, as well as referral to hospital whenever comprehensive assessment or management of frail patients is needed. Key words: frailty, elderly, general practice, views Contexte 272 Pour citer cet article : Saleh PY, Maréchal F, Bonnefoy M, Girier P, Krolak-Salmon P, Letrilliart L. Représentations des médecins généralistes au sujet de la fragilité des personnes âgées : une étude qualitative. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2015 ; 13(3) : 272-8 doi:10.1684/pnv.2015.0552 doi:10.1684/pnv.2015.0552 Les pays occidentaux vivent actuellement une période de transition démographique et épidémiologique. En France, le recul de la mortalité liée aux maladies infectieuses et cardio-vasculaires a permis l’augmentation de l’espérance de vie, de 66,4 ans en 1950 à 80,3 ans en 2005 [1]. En 2040, la proportion de personnes de plus de 60 ans sera de 25,8 % et celle des plus de 75 ans de 14,7 % [2]. La prévalence des comorbidités chroniques et des situations de dépendance suit cette évolution, avec un nombre de personnes dépendantes entre 1,1 et 1,5 million en 2040 [3, 4]. Le dépistage et la prise en charge de la fragilité des personnes âgées pourraient améliorer leur qualité de vie en prévenant ou retardant la dépendance [5]. Plusieurs modèles de fragilité ont été décrits. La Société française de gériatrie et gérontologie définit la fragilité des Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Représentations des médecins généralistes au sujet de la fragilité des personnes âgées personnes âgées comme un syndrome clinique qui vise à exprimer un niveau de risque correspondant à une réduction des capacités d’adaptation au stress, qui est modulée par des facteurs physiques, psychiques et sociaux. Son évaluation doit comporter des critères cliniques prédictifs du risque de déclin fonctionnel et d’événements péjoratifs [5]. Le modèle de Fried développé aux États-Unis au début des années 2000 est considéré comme un modèle de référence [6]. Il est basé sur la recherche de 5 critères : la perte de poids involontaire, la diminution de l’endurance, la sensation d’épuisement général, la limitation de l’activité physique et la baisse ressentie de la force musculaire. La présence de trois critères suffit à définir l’état de fragilité [7]. Selon ce modèle, la prévalence de la fragilité au-delà de 65 ans est estimée à 14,1 % en Europe et à 15,0 % en France [8]. Le modèle de Rockwood est considéré par certains comme plus proche de la réalité clinique, mais il comporte jusqu’à 70 critères [9]. Les patients définis comme fragiles ont un risque majoré de chute, d’hospitalisation, de dépendance, et de décès [5]. Les critères cliniques de fragilité sont potentiellement réversibles, grâce à une intervention pluri-professionnelle. Au-delà, certaines interventions peuvent diminuer les risques d’institutionnalisation et d’hospitalisation des patients âgés fragiles [10]. Leurs bénéfices semblent plus importants chez les patients de moins de 75 ans, ce qui suggère qu’une prise en charge précoce serait plus efficace. La fragilité pourrait ainsi constituer un enjeu pour prévenir la perte d’autonomie évitable [11], et un défi pour les médecins généralistes [12]. L’objectif de cette étude était d’explorer les représentations des médecins généralistes sur le concept de fragilité des personnes âgées. Méthodes Recrutement Tableau 1. Caractéristiques des médecins interrogés. Table 1. Characteristics of the physicians interviewed. Entretiens collectifs (n = 11) Entretiens individuels (n = 5) Âge [m (ET)] 49,8 (10,8) 49,4 (11,3) Sexe [n (%)] Masculin Féminin 8 (72,7 %) 3 (27,3 %) 4 (80,0 %) 1 (20,0 %) Lieu d’exercice [n (%)] Urbain Semi-rural 5 (45,5 %) 6 (54,5 %) 2 (40,0 %) 3 (60,0 %) m : moyenne ; ET : écart type. Recueil des données Les entretiens collectifs ont été animés par LL, PYS ayant le rôle d’observateur. Les entretiens individuels ont été conduits par PYS. Les médecins ont été interrogés selon un canevas d’entretien semi-directif. Il explorait par des questions ouvertes la manière dont ils définissaient, diagnostiquaient et prenaient en charge la fragilité des personnes âgées. Il avait été préalablement testé auprès d’un médecin et il a été adapté au décours des premiers entretiens. Les entretiens ont fait l’objet d’un enregistrement audio. Les données enregistrées ont été anonymisées puis retranscrites intégralement. La durée moyenne des entretiens collectifs était de 88 minutes et celle des entretiens individuels de 50 minutes. Analyse des données Les analyses ont été réalisées à l’aide du logiciel Nvivo 9 [14]. Un double encodage thématique des données a été effectué par PYS et FM au fur et à mesure du recueil des données. L’interprétation a été conduite de façon consensuelle par PYS, FM et LL. Aspects éthiques Le projet a été approuvé par le Comité d’éthique des Hospices Civils de Lyon (Avis référencé Rech_FRCH_ 2013_011). Il s’agissait d’une enquête qualitative basée sur des entretiens collectifs (focus group) et individuels (interviews) [13]. Deux entretiens collectifs ont été réalisés auprès de onze médecins généralistes libéraux du Rhône et de la Drôme (M1-M11) en mars et mai 2013. Ils ont été complétés par des entretiens individuels conduits auprès de cinq médecins généralistes libéraux du Rhône et de la Drôme ayant une formation spécifique de gériatrie (capacité ou DESC) de juin à août 2013 (M12-M16). L’échantillonnage a privilégié un recrutement diversifié des médecins en termes de milieu d’exercice, de sexe et d’âge (tableau 1). La fragilité était définie par les médecins comme un état d’équilibre, mais comportant un risque permanent de décompensation. Cet état était caractérisé par la perte des capacités d’adaptation et un retentissement plus important des pathologies aiguës, pouvant conduire à la dépendance. Selon les médecins, l’âge de survenue de la fragilité se Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 13, n ◦ 3, septembre 2015 273 Résultats Le concept de fragilité Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. P.-Y. Saleh, et al. situait après 75 ou 80 ans, l’âge civil élevé étant considéré comme un facteur de risque. Cette phase correspondait pour certains médecins à un basculement d’une approche centrée auparavant sur la prise en charge de pathologies bien identifiées vers une approche orientée vers la prévention de la dépendance. Les médecins rapportaient de multiples facteurs de fragilité, intriqués dans un cadre global. Les critères biomédicaux, évoqués en premier lieu, incluaient l’existence d’une polypathologie, d’une dénutrition, d’une situation à risque de iatrogénie ou de chute. Le contexte social, notamment l’isolement, était aussi considéré comme un élément majeur de fragilité. Certains mettaient aussi en avant le rôle des facteurs neuropsychologiques, en particulier les troubles cognitifs. Si les entretiens montraient une bonne compréhension théorique du concept, les exemples cités par les médecins relevaient volontiers de situations de dépendance avérée plutôt que de fragilité. La détection de la fragilité était présentée comme essentiellement empirique. Seul un médecin interrogé citait l’existence du modèle de Fried, sans néanmoins en connaître les critères. Les médecins indiquaient évaluer régulièrement les fonctions cognitives, l’état nutritionnel, la capacité de marche et les activités sociales de leurs patients âgés. Certains médecins déclaraient utiliser le test du MMSE ou le test de l’appui monopodal dans ce contexte. La plupart des médecins généralistes se sentaient aptes à diagnostiquer la fragilité, à partir de l’interrogatoire et de l’observation répétés du patient, au cabinet et a fortiori à domicile. L’oubli de rendez-vous, la demande de consultations plus fréquentes ou de visites à domicile, la difficulté des patients à gérer leurs problèmes de santé, l’évolution vers un mode de décision plus paternaliste ou l’irruption d’un tiers dans la relation avec le patient, étaient des éléments évocateurs d’un état de fragilité. Les médecins s’appuyaient aussi sur la communication avec l’entourage du patient, qu’il s’agisse de la famille, des aides ménagères, ou des paramédicaux. Pour certains médecins, notamment ceux sans formation spécifique de gériatrie, le repérage avant la survenue d’un épisode de décompensation était parfois perçu comme complexe et chronophage. Par ailleurs, selon les médecins, la peur de la dépendance pouvait aussi conduire les patients à masquer certains éléments d’alerte et ils pouvaient ressentir les évaluations objectives de la fragilité comme intrusives. Les médecins étaient plutôt favorables à l’utilisation d’un questionnaire adapté afin de dépister des situations qui pourraient être anticipées. Certains médecins envisageaient une délégation de cette tâche à d’autres professionnels de santé. D’autres médecins étaient réfractaires à un dépistage de la fragilité, argumentant que la prise en charge des patients n’en serait pas modifiée. 274 La plupart des médecins pensaient que les équipes hospitalières ne devraient être sollicitées pour l’évaluation diagnostique de la fragilité, qu’en cas de situation médicosociale complexe. Cependant, certains médecins ne se sentaient pas capables d’assumer cette tâche et préféraient la confier à l’hôpital. Prise en charge Les médecins jugeaient que les patients préféraient habituellement demeurer à domicile et éviter d’être hospitalisés. Ils insistaient sur la difficulté et le temps nécessaire à convaincre leurs patients, souvent réticents, à accepter des modifications de leur mode de vie, ce qui les conduisait parfois à y renoncer. Selon eux, les familles se surinvestissaient souvent dans la prise en charge des personnes âgées, ou à l’inverse se reposaient exagérément sur le médecin traitant. Ils estimaient donc avoir un rôle d’information et de prévention de l’épuisement des aidants naturels. Pour la plupart des médecins, la prise en charge de la fragilité relevait du champ des soins primaires. Ils indiquaient assurer un suivi rapproché des patients, comportant en priorité la prévention de la iatrogénie, la surveillance de leur état nutritionnel et l’aménagement de leur domicile. Ils insistaient sur le fait qu’une coordination entre les différents acteurs, centrée sur le médecin traitant et les infirmiers, était essentielle et devrait être mieux reconnue et valorisée. Les médecins s’interrogeaient sur la participation des kinésithérapeutes, en raison d’une disponibilité souvent jugée limitée. La communication avec les services sociaux était considérée comme nécessaire mais insuffisante dans leur expérience. L’intérêt d’un recours aux équipes hospitalières pour la prise en charge des patients fragiles était diversement apprécié. Des difficultés dans la prise en charge des patients jugés fragiles étaient rapportées : le manque de temps, l’isolement du médecin, la gestion des décompensations, les délais d’hospitalisation, le manque de communication avec l’hôpital, et les divergences avec le patient ou sa famille, notamment sur les modifications du mode de vie. Discussion Cette série d’entretiens collectifs et individuels montre que les médecins généralistes ont imparfaitement intégré le concept de fragilité de la personne âgée. Même lorsqu’il est compris, sa mise en œuvre soulève des difficultés pratiques et demeure empirique. Néanmoins, les médecins généralistes semblent prêts à s’impliquer davantage, notamment s’ils disposent d’outils adaptés et dans le cadre d’approches pluri-professionnelles. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 13, n ◦ 3, septembre 2015 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Représentations des médecins généralistes au sujet de la fragilité des personnes âgées Forces et limites de l’étude Les questions du dépistage et de l’évaluation L’échantillon de médecins interrogés était non randomisé mais raisonné, conformément aux usages en recherche qualitative. Il rassemblait des médecins d’exercices diversifiés, incluant des praticiens formés à la gériatrie. Le sex-ratio était déséquilibré en faveur des hommes, avec trois hommes pour une femme alors que ce ratio est de trois hommes pour deux femmes à l’échelon national. L’âge moyen des médecins interrogés était de 49,7 ans pour une moyenne nationale de 51,6 ans [15]. Plusieurs médecins travaillaient au sein de cabinets de groupe dans lesquels un projet de pôle de santé était envisagé, ce qui pourrait expliquer leur intérêt particulier pour les approches pluri-professionnelles. La saturation des données a été atteinte dans les derniers entretiens. En effet, 72 sous-thèmes ont été établis à partir des entretiens auprès des médecins M1 à M14, et seul un nouveau sous-thème (la réticence du médecin à considérer son patient comme fragile) a été identifié à partir de l’entretien avec M14 et aucun avec M15. Le terme de fragilité évoque d’emblée des situations cliniques pour les médecins généralistes, mais correspondant souvent à des patients en état de dépendance, plutôt que de fragilité. Pourtant, les médecins interrogés reconnaissent la fragilité comme un état précédant la dépendance, conformément au consensus médical [5, 16]. C’est donc la projection de ce concept dans la réalité de la pratique clinique qui semble leur poser problème. Ils semblent d’ailleurs peu informés des données scientifiques et des réflexions politiques actuelles autour du concept de fragilité. Ils ne le considèrent pas comme un concept innovant, mais plutôt comme une façon de théoriser leurs pratiques auprès des patients âgés. Si la définition théorique de la fragilité est consensuelle, il n’existe pas de recommandations de pratique clinique concernant le dépistage et la prise en charge des patients fragiles [5]. De plus les limites entre fragilité, incapacité et dépendance sont parfois incertaines en pratique [17, 18]. Cette situation peut expliquer l’approche pragmatique, non formalisée, des médecins généralistes. Le concept de pré-fragilité n’a pas été abordé par les médecins dans les entretiens [7]. La prévalence élevée des individus pré-fragiles parmi ceux de plus de 65 ans (44 %) rendrait leur dépistage peu pertinent, car d’éventuelles interventions devraient sans doute s’appliquer à l’ensemble de la population [8]. Les médecins généralistes ne connaissent pas d’outils de dépistage de la fragilité, mais considèrent qu’un questionnaire adapté leur permettrait d’améliorer le repérage. Pourtant ils critiquent les grilles d’évaluation gériatrique, qu’ils n’utilisent pas, à l’exception de celles destinées au diagnostic des troubles cognitifs. À ce jour, aucun outil adapté aux soins primaires n’est validé pour le repérage de la fragilité [19]. Même le modèle de Fried, relativement rapide à utiliser (10 minutes), est probablement difficilement compatible avec la pratique actuelle des médecins généralistes français [20]. Un questionnaire francophone simplifié de dépistage de la fragilité, comportant 6 items cliniques et une question subjective sur la perception du médecin, est actuellement en cours d’expérimentation [21, 22]. L’utilisation d’un outil d’aide au dépistage pourrait faciliter l’implication d’autres professionnels de santé, en particulier des infirmières libérales, ce qui permettrait de préserver du temps médical. Cependant, le dépistage de la fragilité ne répond pas à une demande des patients, et leur adhésion ou celle de leur entourage n’est pas acquise, comme l’illustre par exemple la faible participation au dépistage du cancer colorectal [23]. L’évaluation diagnostique de la fragilité peut nécessiter l’intervention de plusieurs professionnels de santé [5, 16]. Elle permet de repérer les facteurs physiques, psychiques, cognitifs et socio-environnementaux pouvant altérer la santé de la personne âgée [24]. Elle peut être réalisée en médecine générale en une trentaine de minutes environ [25]. Plusieurs expérimentations de ce modèle sont actuellement menées en France, en milieu ambulatoire et en milieu hospitalier [26]. La forte prévalence de la fragilité dans la population âgée de plus de 65 ans (15 %) orienterait plutôt vers une prise en charge en soins primaires [8]. La plupart des médecins généralistes interrogés se considèrent d’ailleurs compétents pour évaluer leurs patients fragiles, et ne recourent à un bilan hospitalier qu’en cas de situation médico-sociale complexe. Des protocoles de prise en charge adaptés pourraient permettre d’optimiser la prise en charge ambulatoire des patients fragiles sans surcharger les services hospitaliers [27]. Un modèle d’évaluation initiale basé sur l’exploration de neuf domaines, a été proposé par la HAS [26]. Au-delà de la détection des patients fragiles, l’intérêt attendu d’un dépistage réside dans l’impact en termes d’amélioration de la morbi-mortalité et de la qualité de vie [28]. Il devrait conduire à une prise en charge adaptée, permettant de prévenir une évolution défavorable [29]. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 13, n ◦ 3, septembre 2015 275 Un concept peu opérationnel P.-Y. Saleh, et al. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Une prise en charge interprofessionnelle et coordonnée La HAS préconise de développer les axes de prise en charge suivants pour les patients âgés fragiles : une activité physique adaptée et la lutte contre la sédentarité ; une nutrition adaptée ; la réduction de la polymédication et l’optimisation thérapeutique ; la mise en place d’aides sociales ; l’adaptation de l’environnement et la mobilisation des liens sociaux [26]. Des programmes prolongés et intensifs de rééducation physique peuvent permettre de prévenir la dépendance chez les patients âgés fragiles [30, 31], et peut-être de diminuer les dépenses de santé en diminuant le risque de chute [32]. Les médecins généralistes encouragent la pratique de la marche chez ces patients, mais ils rapportent des difficultés d’accès aux soins de kinésithérapie. Des aides à domicile spécifiquement formés pourraient représenter une alternative pour accompagner les activités physiques [27, 33]. Les médecins sont attentifs à l’état nutritionnel de leurs patients âgés. Bien que la relation entre dénutrition et fragilité soit établie [34], l’efficacité des prises en charge nutritionnelles des patients fragiles n’est pas démontrée [30]. Les médecins sont sensibilisés aux risques de iatrogénie, notamment en cas de polymédication. Le repérage formel de la fragilité pourrait les inciter à la prudence dans leurs décisions thérapeutiques, concernant un traitement médicamenteux, une intervention chirurgicale ou une hospitalisation [35]. L’adaptation de l’environnement physique est aussi une préoccupation des médecins, notamment pour les patients suivis à domicile. Bien que peu accessible en pratique, l’intervention d’un ergothérapeute à domicile chez des patients fragiles ou peu dépendants semble avoir un impact favorable sur leur évolution fonctionnelle et leur espérance de vie [36, 37]. La communication avec les acteurs sociaux pose problème aux médecins généralistes, qui se sentent souvent perdus au sein de multiples institutions. Sachant que les facteurs socio-économiques sont associés à la fragilité [38, 39], une simplification des recours aux dispositifs d’aide sociale est nécessaire, notamment sous la forme d’une structure référente unique et bien identifiée [27]. Les incapacités liées au vieillissement engendrent chez les médecins un sentiment de fatalisme, d’autant que la prise en charge de la fragilité se distingue de l’approche biomédicale traditionnellement privilégiée [40]. Les principaux axes de prise en charge de la fragilité reposant sur des modifications du mode de vie, certains médecins se sentent démunis pour motiver leurs patients âgés. Ceux-ci sont sensibles aux informations validées scientifiquement et délivrées d’une façon positive et non stigmatisante [41]. Aux Pays-Bas, des médecins généralistes et des infirmières 276 Points clés • La fragilité des personnes âgées pourrait constituer une cible pour prévenir la dépendance. • Elle est dépistée, évaluée et prise en charge de manière empirique en médecine générale. • Les médecins généralistes sont prêts à s’impliquer davantage dans la prise en compte de la fragilité. • L’opérationnalisation de ce concept suppose le développement de stratégies adaptées et de collaborations avec les autres professionnels des soins primaires et secondaires. ont expérimenté auprès des patients fragiles des techniques d’entretien motivationnel, habituellement utilisées pour améliorer certains facteurs de risque comportementaux [42], sans qu’une diminution de l’évolution vers la dépendance n’ait été objectivée [43]. Les soignants étaient cependant satisfaits du travail d’équipe et de la démarche et les patients de leur autonomie décisionnelle et de l’implication de leur médecin généraliste [44]. Certaines Agences régionales de santé ont mis en place en 2013 des projets pilotes, instaurant un plan personnalisé de soin (PPS) chez les personnes âgées en risque de perte d’autonomie (PAERPA). Cette approche valorise une prise en charge pluri-professionnelle coordonnée par le médecin traitant, basée sur l’éducation thérapeutique et centrée sur des objectifs spécifiques définis avec le patient [45, 46]. La généralisation de ce programme risque d’augmenter les recours aux soins ambulatoires. Ces recours ne pourront être satisfaits qu’en développant une organisation de travail en équipes, basé sur une approche coordonnée voire intégrée des soins, dans lesquelles les intervenants collaborent entre eux, en se concentrant chacun sur son plus haut niveau de compétence, par exemple au sein de maisons ou de pôles pluri-professionnels [47, 48]. Conclusion La fragilité des personnes âgées représente un défi pour les années à venir, car son dépistage, son évaluation et sa prise en charge sont peu formalisés. La recherche clinique doit être renforcée, en particulier dans le cadre des soins primaires, afin de préciser les bénéfices à attendre et les ressources à mobiliser. Il est utile de développer les collaborations interprofessionnelles en milieu ambulatoire autour des patients fragiles, et des recours ciblés à l’hôpital lorsqu’une évaluation ou une prise en charge approfondie est nécessaire. Liens d’intérêts : Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 13, n ◦ 3, septembre 2015 Représentations des médecins généralistes au sujet de la fragilité des personnes âgées Références 1. Meslé F. Progrès récents de l’espérance de vie en France : les hommes comblent une partie de leur retard. Population 2006 ; 61 : 43762. 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