Journal Identification = PNV Article Identification = 0552 Date: September 2, 2015 Time: 4:58 pm
P.-Y. Saleh, et al.
situait après 75 ou 80 ans, l’âge civil élevé étant considéré
comme un facteur de risque. Cette phase correspondait
pour certains médecins à un basculement d’une approche
centrée auparavant sur la prise en charge de pathologies
bien identifiées vers une approche orientée vers la préven-
tion de la dépendance.
Les médecins rapportaient de multiples facteurs de
fragilité, intriqués dans un cadre global. Les critères bio-
médicaux, évoqués en premier lieu, incluaient l’existence
d’une polypathologie, d’une dénutrition, d’une situation à
risque de iatrogénie ou de chute. Le contexte social, notam-
ment l’isolement, était aussi considéré comme un élément
majeur de fragilité. Certains mettaient aussi en avant le
rôle des facteurs neuropsychologiques, en particulier les
troubles cognitifs. Si les entretiens montraient une bonne
compréhension théorique du concept, les exemples cités
par les médecins relevaient volontiers de situations de
dépendance avérée plutôt que de fragilité.
La détection de la fragilité était présentée comme
essentiellement empirique. Seul un médecin interrogé citait
l’existence du modèle de Fried, sans néanmoins en connaî-
tre les critères. Les médecins indiquaient évaluer régulière-
ment les fonctions cognitives, l’état nutritionnel, la capacité
de marche et les activités sociales de leurs patients âgés.
Certains médecins déclaraient utiliser le test du MMSE ou
le test de l’appui monopodal dans ce contexte. La plupart
des médecins généralistes se sentaient aptes à diagnosti-
quer la fragilité, à partir de l’interrogatoire et de l’observation
répétés du patient, au cabinet et a fortiori à domicile. L’oubli
de rendez-vous, la demande de consultations plus fré-
quentes ou de visites à domicile, la difficulté des patients
à gérer leurs problèmes de santé, l’évolution vers un mode
de décision plus paternaliste ou l’irruption d’un tiers dans
la relation avec le patient, étaient des éléments évocateurs
d’un état de fragilité. Les médecins s’appuyaient aussi sur
la communication avec l’entourage du patient, qu’il s’agisse
de la famille, des aides ménagères, ou des paramédicaux.
Pour certains médecins, notamment ceux sans forma-
tion spécifique de gériatrie, le repérage avant la survenue
d’un épisode de décompensation était parfois perc¸u
comme complexe et chronophage. Par ailleurs, selon les
médecins, la peur de la dépendance pouvait aussi conduire
les patients à masquer certains éléments d’alerte et ils
pouvaient ressentir les évaluations objectives de la fragilité
comme intrusives. Les médecins étaient plutôt favorables
à l’utilisation d’un questionnaire adapté afin de dépister des
situations qui pourraient être anticipées. Certains médecins
envisageaient une délégation de cette tâche à d’autres
professionnels de santé. D’autres médecins étaient réfrac-
taires à un dépistage de la fragilité, argumentant que la
prise en charge des patients n’en serait pas modifiée.
La plupart des médecins pensaient que les équipes
hospitalières ne devraient être sollicitées pour l’évaluation
diagnostique de la fragilité, qu’en cas de situation médico-
sociale complexe. Cependant, certains médecins ne se
sentaient pas capables d’assumer cette tâche et préféraient
la confier à l’hôpital.
Prise en charge
Les médecins jugeaient que les patients préféraient
habituellement demeurer à domicile et éviter d’être hospita-
lisés. Ils insistaient sur la difficulté et le temps nécessaire à
convaincre leurs patients, souvent réticents, à accepter des
modifications de leur mode de vie, ce qui les conduisait par-
fois à y renoncer. Selon eux, les familles se surinvestissaient
souvent dans la prise en charge des personnes âgées, ou
à l’inverse se reposaient exagérément sur le médecin trai-
tant. Ils estimaient donc avoir un rôle d’information et de
prévention de l’épuisement des aidants naturels.
Pour la plupart des médecins, la prise en charge
de la fragilité relevait du champ des soins primaires.
Ils indiquaient assurer un suivi rapproché des patients,
comportant en priorité la prévention de la iatrogénie, la
surveillance de leur état nutritionnel et l’aménagement de
leur domicile. Ils insistaient sur le fait qu’une coordination
entre les différents acteurs, centrée sur le médecin traitant
et les infirmiers, était essentielle et devrait être mieux
reconnue et valorisée. Les médecins s’interrogeaient sur
la participation des kinésithérapeutes, en raison d’une
disponibilité souvent jugée limitée. La communication avec
les services sociaux était considérée comme nécessaire
mais insuffisante dans leur expérience. L’intérêt d’un
recours aux équipes hospitalières pour la prise en charge
des patients fragiles était diversement apprécié.
Des difficultés dans la prise en charge des patients
jugés fragiles étaient rapportées : le manque de temps,
l’isolement du médecin, la gestion des décompensations,
les délais d’hospitalisation, le manque de communication
avec l’hôpital, et les divergences avec le patient ou sa
famille, notamment sur les modifications du mode de vie.
Discussion
Cette série d’entretiens collectifs et individuels montre
que les médecins généralistes ont imparfaitement inté-
gré le concept de fragilité de la personne âgée. Même
lorsqu’il est compris, sa mise en œuvre soulève des dif-
ficultés pratiques et demeure empirique. Néanmoins, les
médecins généralistes semblent prêts à s’impliquer davan-
tage, notamment s’ils disposent d’outils adaptés et dans le
cadre d’approches pluri-professionnelles.
274 Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 13, n ◦3, septembre 2015
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