Mauvaise Nouvelle - La nausée de Sartre, un élan du cœur (3/3)
d'Espérance la rendait intact et disponible en de ça du livre, qu'en est-il de la charité ? Qu'est ce que cet enfant
doué qui s'excite à se gâcher brouillement ? C’est un enfant qui manifeste son désir d'être aimé dirait les
psychanalystes. Mais pas aimé de ceux qu'il méprise tout de même. Lui qui se sait supérieur à tous et si incapable
de vérité ne peut que désirer l'amour d'un Dieu auquel il ne veut pas croire et en qui il n'arrive pas à espérer. Sartre
a voulu faire un livre où on aurait écouté ses entrailles parler sur un divan, et se retrouve finalement au
confessionnal. Le seul endroit où il évoque Dieu est le moment où Roquentin exprime une petite haine de la poésie
qui voudrait que la mer soit verte. "La vraie mer est froide et noire, pleine de bêtes ; elle rampe sous cette mince
pellicule verte qui est faite pour tromper les gens (…) Ils ne voient que la mince pellicule, c'est elle qui prouve
l'existence de Dieu. Moi je vois le dessous ! Les vernis fondent, les brillantes petites peaux de pêche du bon Dieu
pètent de partout sous mon regard…". L'existence de Dieu est pulvérisée par son regard, par sa vision. Bien qu'il
soit l'auteur de cette pulvérisation, le ton acerbe employé tend à montrer qu'il en veut à ce bon Dieu qui s'est laissé
pulvériser, qui s'est laissé faire. Sur la croix, il s'était déjà laissé faire… Il y a du Juda en Sartre. Du Juda qui ne va
pas jusqu'à l'arbre, il se dit qu'il ira quand il aura fini d'écrire et se donne l'illusion d'avoir encore des choses à dire.
Quoi ? Puisqu'il n'y arrivera jamais. Quoi, sinon une prière jetée comme des cailloux par le petit poucet au cas où,
une prière cachée dans sa littérature, codée précisément, car destinée uniquement à Dieu.
Quand il part en description, Roquentin se veut neutre à l'extrême, dans son expérience de consignation des
non-événements de la vie, il se contente d'utiliser des verbes à l'infinitif sans plus aucun sujet. Le jeu, le style sont
inutiles. Il se donne l'illusion de mourir à lui, de n'être qu'en dehors de lui-même, alors que c'est le monde entier
qu'il a l'ambition de digérer dans sa conscience qui voulait se faire aussi grosse que Dieu. Elle enfla tellement, qu'il
en eu la nausée. Notons que pour soulager sa conscience, il écrase une mouche sous le regard effaré de
l'autodidacte. Il lui précise que c'était un service à lui rendre. Il l'a libéré de l'existence, il a soulagé un peu sa
conscience, il l'a cru sur le coup. Alors petit à petit le héros diariste, se fige, renonce à l'action, de peur
d'encombrer davantage sa tête. Même mourir est inutile car cela revient à poser un acte et encore exister de trop.
Donc, il fait dire à des notes de musique sorties d'un saxophone : "Il faut faire comme nous, souffrir en mesure".
Roquentin cesse d'agir, renonce à tout projet, comme on lâche du poids en montgolfière. A la fin, il peut livrer au
philosophe qui prendra sa relève : "Je suis libre : il ne me reste plus aucune raison de vivre" … "Seul et libre, mais
cette liberté ressemble un peu à la mort. " C'est un beau début, un démarrage possible pour la conversion, un
refrain indispensable à la purification, à l'effritement de toute suffisance. L'existentialisme pré-moderne des années
30 semble au final incarner le minimum spirituel pour une post modernité incapable de réveiller son homme
intérieur, museler par le relativisme de confort.
Dans son livre "le siècle de Sartre", Bernard-Henry Lévy émet une thèse finale quant à la possible conversion
d'esprit de Sartre au judaïsme. Selon Lévy, le judaïsme apparait pour lui comme la synthèse possible entre les
deux Sartres : celui des années 30 pétris d'existentialisme et celui d'après-guerre, fondu dans le collectif, engagé
dans la négation de tout individu dans le communisme. "Il a hésité entre une philosophie de l'homme seul, rebelle à
toute espèce d'impératif communautaire, et une philosophie de l'homme en communauté, avec deuil éclatant de la
subjectivité. Or, voici, issu de la pensée juive, un désir de société qui lui semble échapper, soudain, à cette longue
et lassante aporie." La thèse est d'autant plus intéressante que Sartre en est à côtoyer les fins dernières. Ce qui le
séduit dans le judaïsme, lui qui avait apporté son soutien aux attentas de Munich en 1972, c'est sans doute sa
proximité avec Dieu, son histoire indissociable de Dieu, et au final son élection. Après "la nausée", il ne pouvait que
mourir, on ne peut vivre éternellement en tournant le dos à l'Espérance, il a choisi de mourir dans l'erreur, dans son
engagement totalitaire, dans la fausse promesse des lendemains qui chantent. L'intellectuel du siècle n'aurait pas
vu l'importance de ce qui le relie à Dieu dans son expression littéraire même. Sa conversion au judaïsme, outre la
synthèse qu'elle réalise sur sa pensée, récapitule toute sa vie sous sa prière première, celle de "la nausée."
Symbole de l’artiste
« Maintenant donc, ces trois-là demeurent, la foi (pistis), l’espérance (helpis) et l’amour (ou : charité, agapè) mais
l’amour est le plus grand. » (I Co 13, 13) Les vertus théologales dévoilées par Saint Paul nous semblent de prime
abord très éloignées de toute démarche artistique moderne. Il y a tellement d’expression personnelle dans l’art,
qu’il nous semble impossible de ne retrouver aucune de ces vertus. La tentation de séparer les sphères est
grande. Mais reconnaissons que ce que nous qualifions d’œuvre d’art, après expulsion de toutes les usurpations
de l’art contemporain, présentent un certain degré de sacré qui devrait nous interroger sur ce que cache cet art là
comme capacité à se relier et nous relier à Dieu.
La foi est à l'épreuve dans la posture vis à vis de Dieu : le détournement. Il croit au mal et c'est cela qui fait écrire.
L'Espérance ressemble à du désir d'Espérance dans la forme même du désespoir de celui qui veut devenir le
gâchis de Dieu. La charité, enfin, se discerne dans l'acte sacrificiel de faire de sa chair du Verbe, de gâcher toute
sa personne.
La nausée peut amener l’autre vers la transcendance, l’aspiration à l’éternité, l’intuition de la vie intérieure et
surnaturelle. On pourrait dire que la conscience du sacré, la recherche de l'autre et l'acceptation du sacrifice,
permettent à l'artiste de recevoir gratuitement, pour son œuvre, comme un sacrement, une verticalisation, une
"religation". Il s'agit d'un moment de grâce exceptionnelle où émerge la prière, le moment passif de ceux qui se
disent inspirés.
Créer de l'art habité, élevé, aujourd'hui, pourrait se décomposer en cinq étapes mystérieuses : d'abord travestir