EDUCATION REVIEW, SPRING2016 03
dans l’ espace privé de la famille. Il situe
d’ ailleurs l’ école en tant que champ
intermédiaire, « entre le tout contrat qu’ est
devenu le politique et les composantes plus
naturelles de l’ espace familial. [… L’ ] école est,
aujourd’ hui, dans le rapport à l’ enfance, un
lieu de problématisation encore plus aigu que
ne l’ est la famille, dans la mesure où les deux
types de structuration (contractuelle, naturelle)
des relations interpersonnelles s’ y superposent et
y interfèrent sans cesse de façon profondément
déstabilisante » (p.449).
Cette contractualisation est repérable
dans le cas des enfants handicapés à l’ école,
puisque, selon les articles28 et 23 de la
Convention qui stipulent que tout enfant
devrait avoir droit à l’ éducation, incluant
les enfants handicapés, il n’ en demeure
pas moins que pour ceux-là, et selon les
contextes investigués, ces droits ne sont pas
toujours complètement mis en œuvre.
L’ article d’ Éric Plaisance relate les
recours de parents et d’ associations pour
la reconnaissance et l’ accompagnement des
enfants handicapés à l’ école et montre, face
à un État qui régule dorénavant plus qu’ il
ne pilote, la montée du pouvoir des juges et
des tribunaux face aux diérends opposant
les parents à l’ État ou au système scolaire,
dans ce cas-là de la France. Cette utilisation
du droit opposable, tel qu’ il l’ explique,
mène à une judiciarisation qui transforme
profondément le paysage social et éducatif
en rendant possibles des recours judiciaires
surtout pour les familles détenant les
ressources et le capital social pour le faire et
déplace les logiques collectives d’ autrefois
vers des revendications individuelles, tout
en accentuant les inégalités.
Le cas de parents ontariens qui peuvent
se tourner vers les tribunaux lorsqu’ ils
contestent les services que reçoit leur enfant
a aussi été examiné. Cependant, il apparait
que leur cause est souvent déboutée par
les tribunaux qui ont tendance à donner
plus souvent raison aux conseils scolaires
bien représentés par leurs avocats (Paré et
Bélanger, 2014). Il faut préciser que peu de
familles francophones de cette province se
prévalent de ce recours qui ne renvoie en
fait qu’ à l’ identication et au placement
de l’ enfant et non à la programmation ou
les services qu’ il reçoit. Pour les quelques
demandeurs qui obtiennent au nal gain de
cause, les délais judiciaires et l’ absence de
mesures de réparation adéquates rendent la
victoire juridique illusoire pour l’ élève et sa
famille comme l’ illustre si bien le jugement
de la Cour Suprême du Canada dans
l’ aaire Moore. Eectivement, dans ce cas
médiatisé de la Colombie-Britannique, il a
fallu plus de dix ans aux parents d’ un jeune
garçon éprouvant de sérieuses dicultés
d’ apprentissage et ne bénéciant pas de
services spécialisés susants en milieu
scolaire pour qu’ ils obtiennent gain de
cause (Paré, 2013).
Le texte de Vincent Kazmierski
approfondit cette aaire Moore et démontre
bien que l’ inclusion et les ores de service
dépendent parfois davantage des priorités
économiques d’ un réseau scolaire que du
respect per se des droits de l’ enfant. Il va
sans dire que cela hypothèque ou freine
gravement l’ approche inclusive telle
qu’ elle se présente pourtant en théorie.
Cette aaire, en plus de témoigner d’ une
judiciarisation, montre le contournement
des droits-créances, d’ un droit somme
toute de base à une éducation pour tous.
Malgré cette judiciarisation plombée,
qui donne ainsi rarement gain de cause aux
appelants, Alain Renaut ne propose aucune
marche arrière face à l’ avancée des droits de
l’ enfant, mais en conclut que s’ il est devenu
« porteur de droits », il doit tout de même
être traité diéremment du monde adulte,
puisqu’ il nécessite un accompagnement et
une reconnaissance de son altérité.
Suivant cette lente évolution et ces
profonds clivages dont fait état Alain
Renaut, il n’ est pas surprenant de constater
que la perspective des droits de l’ enfant est
encore trop souvent absente tant au sein de
la formation des enseignants qu’ au cœur
des pratiques quotidiennes de la salle de
classe. Pourtant, on note un réel intérêt
qui émerge en faveur de cette perspective
et de ses potentialités sur le plan de la
pratique éducative et le numéro qui s’ ouvre
ici en témoigne. Par exemple, le texte de
Katherine Covell mise sur l’ espace fait à
l’ apprentissage des droits à l’ école. Son
texte présente une approche où les droits,le
respect et la responsabilité deviennent une
trame de fond au développement d’ une
culture d’ école, une grammaire de l’ agir
scolaire. Elle montre que l’ enseignement
et la réexion autour de ces trois axes,
en Angleterre, établissent un cadre de
valeurs partagées dans plusieurs des écoles
participant au projet. L’ exercice des droits
individuels au sein du milieu éducatif exige
le respect de chaque personne, de leur
conscience, de leur expression et de leurs
biens. Il faut toutefois souligner le fait qu’ en
contexte scolaire, ces droits individuels
s’ accompagnent aussi de devoirs. Alors
que l’ enseignant ou l’ enseignante détient,
par son statut, une certaine autorité, il ou
elle demande aux élèves de respecter les
règles de fonctionnement de l’ école pour
permettre une vie collective harmonieuse.
La Convention, et notamment l’ article29
stipule d’ ailleurs que l’ objectif de l’ éducation
est defavoriser l’ épanouissement et le
développement des capacités des enfants
dans un contexte d’ interrelation avec les
autres. Pour ce faire, le milieu éducatif
s’ engage à faire connaître les règles de
son fonctionnement tout en enseignant
le respect des droits de la personne et des
libertés fondamentales, et ce, toujours, dans
le respect de la culture de l’ élève. Dans
ce contexte asymétrique qu’ est l’ école, il
devient intéressant de savoir comment
s’ enseignent les droits de l’ enfant.
Cet intérêt ou cette ouverture vers les
droits de l’ enfant est cependant encore
parfois jumelé à des résistances de la part
de praticiens ou praticiennes qui s’ avèrent,
ou se disent, démunis ou encore trop peu
outillés pour l’ intégrer à leurs pratiques.
Siméon Essama Owono aborde ce sujet
en contexte camerounais en montrant
comment des pratiques jugées désuètes
ailleurs perdurent malgré l’ injonction
portée par les organismes bailleurs de fonds
comme la Banque mondiale. Par exemple,
comment expliquer que sévissent encore
des châtiments corporels alors que ceux-ci
ne sont évidemment plus permis, et que
la Convention ait été ratiée ? L’ auteur