Keynes et les Institutions - Département des relations industrielles

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L’économie politique du capitalisme raisonnable :
Keynes, Commons et les institutions
Ali BouhaiIi et Slim Thabet1
COLLOQUE “VERS UN CAPITALISME RAISONNABLE ?
LA RÉGULATION ÉCONOMIQUE SELON J.R. COMMONS”
Québec : 16-17 octobre –2008
Agence Universitaire de la Francophonie – Université Laval
(version provisoire, ne pas citer)
« De l’absence de mots, il ne faut pas conclure
à l’absence d’interprétation »
M. Heidegger
Résumé
Dans la monumentale biographie que Skidelsky a consacrée à J-M.Keynes figure un passage
énigmatique pour ne pas dire étrange. Selon Skidelsky, J-R.Commons « représenterait l’une des
plus éminentes influences méconnues de J-M.Keynes ». Cette impression d’étrangeté est encore
accentuée par les propos tenus par J-M.Keynes lui-même dans une missive à J-R.Commons. Dans
cette lettre Keynes écrit, en effet, « There seems to me to be no another economist with whose
general way of thinking I feel myself in such genuine accord ». En forçant quelque peu le trait, on
pourrait considérer que les propos de Keynes vont au-delà de l’expression de la simple amabilité ou
d’une proximité de pensée certaine, mais laissent entendre une communauté pour ne pas dire une
communion d’esprit ! Le passage de Skidelsky ainsi que les propos épistolaires de Keynes
soulèvent une multitude de questions : d’abord, à quel moment et de quelle manière les relations
entre Keynes et Commons se sont-elles nouées ? Ensuite, si effectivement, influence de Commons
sur Keynes il y a eu, à quel niveau doit-on la situer ? Et enfin, dans la mesure où Commons
représente l’une des figures centrales de l’Institutionnalisme Historique Américain et au-delà des
rapports de Commons et Keynes, peut-on considérer que l’influence exercée par Commons autorise
à considérer que non seulement les institutions occupent une place centrale dans la pensée
économique de Keynes, mais que sa conception des institutions est elle-même singulière? Pour
apporter des réponses à ces question, il faut envisager désormais sérieusement, à travers ce que nous
appelons l’hypothèse Commons, un réexamen de l’évolution de la pensée économique de Keynes à
la lumière de l’influence de l’Institutionnalisme Historique Américain en général et de celle de
1 CRIISEA, Université de Picardie Jules Verne, Pôle Universitaire Cathédrale, 10, Placette Lafleur BP 271680 027 – Amiens Cedex
1 (FRANCE), [email protected], ; [email protected]
1
Commons en particulier. Ce réexamen doit permettre de repenser les idées économiques de Keynes
dans l’optique de l’action collective comme une parmi les voies incontournables de la résolution du
« problème économique » des économies capitalistes modernes. Cette voie, qui prend acte des
dynamiques des conflits et des compromis, passe nécessairement par les institutions comme entités
de médiation à la fois entre le niveau macro-économique et le niveau micro-économique et entre les
groupes d’acteurs économiques et l’Etat. On est très loin des approches (néo-)autrichiennes ou néoinstitutionnalistes.
Mots clés: Institution, Institutionnalisme, Keynes, Commons
Key Words: Institution, Institutionalism, Keynes, Commons
Introduction
Selon R.Boyer [2004], après que les monétaristes aient affirmé pendant les années cinquante
que « money matters » et que les néo-classiques, adeptes de l'équilibre général, aient poursuivi
vainement « the right price », désormais tous les économistes expriment peu ou prou leur adhésion
à l'idée selon laquelle « institutions do matter ». Cette adhésion est néanmoins hautement
problématique et en tout cas très contestable. Elle a pour prétention d'unifier de nouveau, mais d'une
façon comme naguère illusoire, la science économique faisant ainsi des institutions l'alpha et
l'oméga de toute analyse économique jugée sérieuse2. L’unification s’effectue, en effet,
exclusivement sous l’emprise de la morale repoussant ainsi en arrière plan la question du politique
et de l’éthique (B. Amable et C. Palombarini [2005]). En outre, dans la mesure où elle s’inscrit
globalement dans le cadre des programmes de recherche orthodoxes, elle revient à escamoter et/ou
à défigurer les dimensions institutionnelles de la pensée des grands auteurs hétérodoxes. Marx pour
des raisons liées fondamentalement au reflux de la pensée critique et à l’écroulement du «socialisme
réel», Keynes, à cause de la domination de la synthèse et du fait que les néo-keynésiens se sont
situés eux-mêmes délibérément sur le même terrain que les nouvelles orthodoxies. Le résultat est
que le domaine des institutions, à l’exception de tentatives à la fois relativement rares et très
disparates, a été laissé entièrement ouvert à l’investissement intensif des théoriciens de la nouvelle
économie institutionnelle tels que Williamson et North [et d’autres qui courent toujours]. Du coup,
ceux dont les ancêtres ont toujours récusé l’importance de la hiérarchie et du pouvoir au profit de
l’équivalence et de l’échange se sont métamorphosés par une sorte de divine surprise en chantres
patentés des institutions. Que les institutions importent et que leur rôle soit fondamental pour saisir
la nature profonde ainsi que les modalités complexes du fonctionnement des économies capitalistes
contemporaines, personne ne peut en douter sérieusement aujourd’hui! Mais, que l'intérêt pour les
institutions soit devenu le monopole exclusif des courants orthodoxes, nous paraît inacceptable et
demeure en tout cas assez énigmatique.
On ne peut par conséquent que déplorer la rareté des travaux consacrés à ce thème chez
Keynes. Non seulement son œuvre est jalonnée de nombreuses3 références aux institutions (et aux
2 Cette dérive qui relève du « réductionnisme » se manifeste sous différentes formes dont la plus manifeste consiste à considérer que
tout problème économique quelque soit sa nature est réductible à la problématique des institutions et ne peut ainsi avoir comme
explications et comme solutions que des explications et des solutions institutionnelles. On peut à juste titre parler d’une sorte
«d’institutionnalisme méthodologique ». Au credo « point de salut hors du marché » s'est substitué un autre « point de salut hors de
l'institution ».
3 Nous verrons par la suite que ces références sont non seulement disparates car plus fréquentes dans dans certains textes
fondamentaux des années vingt jusqu'au Traité que dans la Théorie Générale, mais leur statut est aussi inégal. Alors que dans les
textes antérieurs à la Théorie Générale, les institutions (en même temps que la nécessité et les conditions du changement
institutionnel) sont explicitement pris en considération, dans celle-ci, pour de multiples raisons notamment liées à la méthode adoptée
par Keynes, elles sont en partie « données » et entrent ainsi sous la clause ceteris paribus (Cf A. Bouhaili et P.Maurisson [2000]) et
2
règles, conventions, coutumes, habitudes…etc.) comme « entités » de médiation inhérentes à la
structure de l’économie monétaire de production, mais il fut lui même un « institutions builder »4.
Or, il est très clair qu’on ne peut comprendre sa pensée économique notamment celle de la Théorie
Générale qu’en la considérant comme une composante encastrée dans un système social politique
et institutionnel plus large. Mieux, Keynes a noué assez tôt des relations privilégiées et durables
avec des figures éminentes du courant progressiste américain en général et de l’institutionnalisme
historique en particulier. Toutefois, si la proximité entre Keynes et les institutionnalistes historiques
américains5 a été soulignée à plusieurs reprises, la littérature portant sur leurs rapports se limite
néanmoins à de simples mises en parallèle de quelques thématiques supposées communes et
fortement teintées d’institutionnalisme (l’incertitude, la monnaie…etc.). Ces mises en parallèle se
conjuguent sous le mode de la déploration, pour des raisons variables d’un auteur à l’autre, du
rendez-vous annoncé et pourtant manqué entre keynésianisme et institutionnalisme et/ou soit sous le
mode de la nostalgie de la perte d’un lien qui aurait effectivement existé entre les deux corpus et
qu’il s’agit de retrouver. Il est désormais possible et, à notre avis, nécessaire d’aller plus loin en
mettant en évidence les fondements institutionnalistes de l’économie de Keynes. C’est par
conséquent l’insatisfaction à l’égard de la thèse du simple rapprochement qui justifie la nécessité
d’ouvrir un débat sur les possibilités d’une (re-)lecture, dans une perspective institutionnaliste de la
pensée économique keynésienne.
Dans une lettre qui date du 26 avril 1927, Keynes écrit à l’adresse de son interlocuteur, « il
me semble qu’il n’y a pas d’autre économiste avec qui je me sente en tel authentique accord avec la
façon de penser ». Le correspondant à qui Keynes s’adresse en ces termes n’est autre que John
Rogers Commons, qui, quelque temps auparavant, lui avait envoyé la copie d’un article qu’il
s’apprêtait à publier. Quant on connaît l’orgueil voire même l’arrogance de Keynes, sa confiance
démesurée en lui-même, la virulence de ses opinions à l’égard indifféremment d’ailleurs de ses
amis comme de ses adversaires et surtout ses réticences à reconnaître d’avoir tort ou à donner raison
à ses contradicteurs, on est frappé par le ton de la mesure et les sentiments de sincérité qui se
dégagent des propos tenus dans cette lettre6. Cependant, rarement dans les études consacrées à la
pensée de Keynes, il n’est fait mention de ses rapports avec les fondateurs et les héritiers de
l’Institutionnalisme Historique Américain7. Il en est ainsi notamment dans les deux biographies
monumentales de Keynes. Alors que Moggridge ignore totalement ces rapports 8, comme R. Harrod
[1951] d'ailleurs, G. Dostaler [2005] mais surtout R.Skidelsky [1992] y prêtent un peu plus
d’attention. Ce dernier commence par souligner très brièvement l’influence de J-R.Commons sur la
conception de l’évolution du capitalisme en termes de succession/articulation du triptyque des trois
en partie seulement suggérées.
4 Ce rôle que Keynes a endossé durant toute sa vie s'est manifesté en particulier lors des négociations de Bretton Woods. Cf.
Dostaler [2005]
5 Certains auteurs keynésiens ont perçu relativement tôt cette proximité. Il suffit pour s'en convaincre de méditer l'exemple d'A.
Barrère [1952] qui dans "Théorie économique et impulsion keynésienne" écrivait, déjà : « dans sa prise de position (au sujet de la
nécessité de la régulation du capitalisme (c'est nous qui ajoutons) Keynes intègre dans l'élaboration scientifique les changements de
structure, les transformations institutionnelles et l'action de l'autorité publique. Sans qu'il en fasse directement état, son explication
se rattache, d'assez loin sans doute à celle des institutionnalistes américains (c'est nous qui soulignons)». Il faut remarquer par
ailleurs que tous ceux qui se sont intéressés aux rapports entre Keynes et les institutionnalistes historiques américains insistent sur la
nécessité de leur consacrer des études propres.
6 Il ne s’agit pas ici de faire l’analyse des propos de la lettre «orpheline » de Keynes dans la mesure où mystérieusement nous ne
disposons pas de la lettre de Commons. Mais, il est important de souligner de prime à bord certains passages assez significatifs
comme par exemple « jugeant à grande distance….etc. » en les mettant en contraste avec la très grande proximité dans la façon de
penser.
7 Un des éléments d’explication possibles réside dans l’idée assez répandue de la concurrence en particulier aux Etats-Unis, entre les
deux perspectives. Cette concurrence aurait tournée en défaveur des institutionnalistes. Le déclin de l’influence de
l’institutionnalisme serait donc imputable au triomphe des idées keynésiennes. Sans aller jusqu’à récuser totalement cette idée, nous
pensons qu’il faut plutôt la nuancer. Les deux perspectives sont, à notre avis, beaucoup plus complémentaires que concurrentielles.
Plus exactement, si concurrence il y a eu, c’est avec le keynésianisme de la synthèse, celui des Samuelson, Hansen…etc. et non avec
les idées de Keynes lui-même. Et si triomphe du keynésianisme, il y a eu, c’est de ce triomphe-là dont il s’agit.
8 Commons n’est même pas mentionné dans les indexes contrairement à ce qui est le cas pour Wesley C. Mitchell.
3
phases de rareté, d’abondance et de stabilisation, et termine cependant son propos par une formule
qui ne dit pas assez si elle n’en dit pas trop en affirmant qu’il faut compter Commons parmi « les
plus grandes (ou les plus éminentes) influences méconnues sur Keynes (spn) ».
Le passage de Skidelsky ainsi que les propos épistolaires de Keynes soulèvent une multitude
de questions : d’abord, à quel moment et de quelle manière les relations entre Keynes et Commons
se sont-elles nouées ? Ensuite, si effectivement, influence de Commons sur Keynes il y a eu, à quel
niveau doit-on la situer ? Et last but not least, dans la mesure où Commons représente l’une des
figures centrales de l’Institutionnalisme Historique Américain (IHA) et au-delà des rapports de
Commons et Keynes, peut-on considérer que l’influence exercée par Commons autorise à
considérer que non seulement les institutions occupent une place centrale dans la pensée
économique de Keynes, mais que sa conception des institutions est elle-même singulière ? C’est la
nécessité de répondre à l’ensemble de ces questions qui justifie l’intérêt de ce papier. A notre sens,
il faut envisager désormais sérieusement, à travers ce que nous appelons l’Hypothèse Commons,
une relecture de l’évolution de la pensée économique de Keynes à la lumière de l’influence de
l’Institutionnalisme Historique Américain en général et de celle de Commons en particulier. Cette
relecture doit permettre de repenser les idées économiques de Keynes dans l’optique de l’action
collective comme une des voies incontournables de la résolution du « problème économique » des
économies capitalistes modernes. Cette voie, qui prend acte des dynamiques des conflits et des
compromis, passe nécessairement par les institutions comme entités de médiation à la fois entre le
niveau macro-économique et le niveau micro-économique et entre les groupes d’acteurs
économiques et l’Etat. Il s’agit par conséquent de s’interroger sur les fondements de la théorie de
l’action collective chez Keynes.
Cependant, nous ne prétendons pas apporter des réponses complètes et définitives à
l’ensemble de ces questions, nous nous limiterons ici à esquisser les éléments essentiels constitutifs
de l’argumentaire qui plaide en faveur de l’Hypothèse Commons. Pour ce faire, nous reviendrons
dans un premier temps très brièvement sur les questions de méthode qu’elle soulève du point de vue
de l’histoire de la pensée économique. Nous montrerons notamment l’inadéquation des méthodes
classiques dominantes dans les procédures d’écriture de l’Histoire de la Pensée Economique. Notre
préférence va, étant donné la nature de l’objet, à l’herméneutique. Nous tenterons, dans un
deuxième temps de démêler, dans une perspective généalogique, les écheveaux des relations entre
Keynes et les figures du progressisme, d’un côté, de l’autre, entre Keynes et les institutionnalistes
historiques américains.
I.De nouveau la querelle des méthodes : les vertus de l’herméneutique
Rares sont les champs économiques qui ont donné naissance à un conflit des méthodes, aussi
exacerbé et toujours non tranché, que celui de l’Histoire de la Pensée Economique. Un tel constat
est néanmoins compréhensible dans la mesure où l’objet des recherches dans ce domaine ne
concerne pas uniquement les débats sur les perceptions du passé mais surtout les enjeux du présent.
D’un point de vue général, on peut convenir aisément, en effet, qu’à chaque fois que l’économie a
connu des crises graves, elle s’est retournée vers son Histoire pour tenter de les dépasser pour le
meilleur comme pour le pire. C’est ce qui explique que les deux questions fondamentales qui
s’imposent à tout historien de la pensée sont, d’une part, celle de la justification de l’objet, de
l’autre, celle de la méthode choisie pour en traiter. En d’autres termes, cette double question peut
être formulée de la façon suivante : Pourquoi, et selon quelle méthodologie, peut-on faire de
l'Histoire de la pensée économique? Une telle question a été soulevée, d'une façon lancinante, par la
quasi-totalité des historiens de la pensée économique sans réussir à lui trouver des réponses
satisfaisantes ou du moins susceptibles de faire l'objet d'un consensus même relatif. Tous ceux qui
se sont intéressés de près ou de loin à ce domaine y ont été confrontés. Ainsi, On trouve chez J4
A.Schumpeter [1983] comme chez M.Blaug [1983] de très larges développements à propos de la
meilleure démarche à suivre. Ces deux « autorités » sont citées ici à dessein dans la mesure où tout
ce qui se fait dans ce domaine, notamment du point de vue académique, doit se situer peu ou prou
en fonction de « l'opposition » de leurs approches respectives. Le premier s'explique longuement sur
sa conception. Il expose sa propre définition de la « science économique » en la mettant en rapport
avec les conditions spécifiques qui caractérisent le processus de la production théorique en
économie. Il souligne à maintes reprises le « doute » qui le saisit à propos du degré de « pertinence
» de sa propre entreprise. Le second procède tout autrement. Il tranche dans le vif par des
affirmations qui ne tolèrent aucune hésitation en fixant comme objet de l’Histoire de la pensée
économique l’étude critique des « principaux économistes du passé », sans égard pour leur parcours
intellectuel, ni pour les conditions sociales de leur époque, ni à fortiori pour leurs prédécesseurs ou
leurs héritiers. Pour y parvenir, il affirme disposer de « normes » qui ne sont autres que celles de la
« théorie contemporaine »?! Le résultat est évidemment très contrasté: d’un côté, une vision qui
élargit le domaine où l’Histoire est censée rendre compte de la pensée économique, de l’autre, une
conception qui le restreint jusqu’à le réduire à une «peau de chagrin» en faveur de la théorie
économique9.
De nombreux travaux récents entrepris notamment par A.Lapidus et M.Baslé10,
reposent cette même question, avec beaucoup de courage, il faut le noter. Les approches qu'ils
proposent n'offrent pas cependant des éléments suffisants pour permettre de dépasser l'opposition JA.Schumpeter/M.Blaug. La raison en est que dans les deux cas on reste prisonnier de la nécessité de
«construire» l'Histoire de la pensée économique à partir d'un point de vue unitaire.
A.Contre le monolithisme dans les procédures d'écriture de
l'Histoire de la pensée
En entreprenant une véritable interrogation des fondements de l’Histoire de la pensée
économique en tant que discipline, A.Lapidus aboutit à une conclusion très ambiguë. On peut tout
aussi bien, en effet, la comprendre comme une souscription ou un appel à une nouvelle manière
d'écrire l'Histoire de la pensée économique, que comme un constat de la vanité de toute tentative
allant dans ce sens puisqu'il s'agit, de l'aveu même de l'auteur, d'une "Histoire de la pensée
économique qui ne verra jamais le jour". Au delà de cette ambiguïté, l'intérêt des réflexions
d'A.Lapidus réside néanmoins dans les éclairages relativement "nouveaux" qu'il projette sur les
dispositifs méthodologiques adoptés en Histoire de la pensée économique.
En soulignant d'abord l’immaturité, ensuite les difficultés et les confusions d’ordre
épistémologiques qui caractérisent ce champ particulier du savoir économique, A.Lapidus tente, en
effet, de mettre en évidence la nature, et de discuter la validité, des différentes démarches qui y sont
prédominantes. Il identifie ainsi trois démarches distinctes: La démarche extensive, la démarche
rétrospective, marquées par l'esprit relatif de fidélité au passé, et enfin, une troisième qui se détache
de cet esprit, la démarche intensive. La position extensive, consiste selon les propres termes de
l’auteur à «interpréter un ensemble d’énoncés anciens en fonction de la problématique en
vigueur à l’époque où ils ont été établis » 11. Elle a pour objectif de mettre en évidence les
9 Les positions des deux auteurs ne sont pas aussi tranchées. Nous avons volontairement grossi le trait. Nous sommes néanmoins
d’accord avec l’opinion de Blaug selon laquelle Schumpeter serait absolutiste dans l’intention mais relativiste dans la pratique. Il est
vrai que dans l’introduction de l’Histoire de l’analyse économique, Schumpeter affiche très clairement un certain penchant pour
l’absolutisme, mais dans le corps de l’ouvrage, il est très fortement relativiste.
10 A.Lapidus [1996], « Introduction à une histoire de la pensée économique qui ne verra jamais le jour », Revue Economique, n° 4,
et M. Baslé [1996], « Débat sur la méthode en histoire de la pensée économique: L’absolutisme intenable de M.Blaug dans une
perspective schumpetérienne de l'histoire de la pensée économique », Economies et Sociétés, Théories de la régulation Série R, n° 9.
11 Idem, p.125. On peut penser que cette démarche recouvre chez M.Blaug à la fois la démarche "historico-historique" et la
"reconstruction historique" selon le degré d'importance qu'on attribue à l'aspect purement analytique de la pensée économique d'un
5
conditions, dans une société donnée et à une époque historique donnée, de la naissance et du
développement de telle ou telle autre conception ou théorie économiques. L’Histoire de la pensée
économique perd quelque peu de son intérêt propre pour devenir une sous-branche de l’Histoire en
général bien que portant plus particulièrement sur les idées économiques et le contexte de leur
genèse et de leur diffusion. C’est celle-ci qui en justifie l’intérêt. En revanche, La démarche
rétrospective aurait pour objectif de faire «des énoncés anciens la préfiguration des
développements contemporains»12. C’est la démarche qui prédomine dans la majeure partie des
manuels servant aux enseignements académiques. La principale préoccupation de ceux qui
l'adoptent est de mettre en lumière les filiations et les successions des différentes théories
économiques avec l'objectif de renseigner sur l’état actuel de la science économique comme
aboutissement d'un processus de « progression » continue vers la « vérité scientifique ». La
dernière, celle dite intensive, moins répandue13 que les deux précédentes, s'en distingue par le fait
qu'elle a pour ambition affichée de « faire du neuf avec du vieux ». En d’autres termes, produire de
nouveaux énoncés en prenant appui sur des énoncés anciens. On pourrait la rapprocher de ce que JA.Schumpeter appelle «l'effet d'inspiration» que comporte le travail de l'historien de la pensée. Loin
d'être un travail d'archivage, et en tant que tel un travail stérile, ce travail peut être, au contraire, à
l’origine de la création de nouvelles conceptions. On peut aussi la comparer, avec quelques réserves
à la "doxographie" que M.Blaug reprend à la typologie de R.Rorty [1990]. La « doxographie » se
différencie de la "reconstruction rationnelle au présent" puisqu’il s’agit d’intégrer sous une forme
apparemment nouvelle, des « énoncés anciens » à un « paradigme contemporain » dominant. Ce qui
revient donc non pas à « faire du neuf avec du vieux » mais à « considérer que le vieux est neuf
en permanence ». Les contemporains ne font que dire sous une autre forme ce que les anciens ont
déjà formulé.
C'est la démarche « intensive » qui a la ferveur proclamée d’A.Lapidus. Même si elle
est, selon lui, "condamnée", par son échec comme par sa réussite d'ailleurs, à "muer" pour se
métamorphoser ou en démarche extensive ou en démarche rétrospective. L’exemple qu’il examine
est celui, devenu un véritable archétype, du rapport P.Sraffa/D.Ricardo. A la suite de la discussion,
dans le cadre du parcours sraffaïen, des conditions, y compris du point de vue chronologique, de la
découverte de Ricardo par Sraffa, l'auteur finit par annoncer très clairement cette condamnation. Il y
parvient néanmoins d'une façon quelque peu curieuse. S'il affirme la réussite de l'entreprise
sraffaenne de la construction d'un système de "prix de production" sur la base de la relecture de
l'Essai, il nous invite à imaginer le contraire, c’est-à-dire son échec. Dans ce cas, conclut-il, c'est à
d'autres auteurs comme Garégnani ou Pasinetti qu'aurait échue la tâche de cette construction à partir
des prémisses sraffaïennes.
auteur ou d'une école donnée. Cf. « The Historiography of Economics », Series Pioneers in economics, Volume I, An Elgar
Reference Collection. Notons que M.Blaug distingue quatre démarches, au lieu de trois comme c'est le cas ici. Même s'il est difficile
de procéder à une superposition des deux typologies ainsi distinguées, on peut penser que la démarche propre adoptée par M.Blaug
dite "reconstruction rationnelle au présent" qui consiste selon M.Baslé en « un dialogue au présent entre les économistes
contemporains et les auteurs du passé (…) on y trouve la possibilité de déceler les erreurs du passé et de retracer le progrès de la
vérité scientifique de la théorie » [op.cit., p.20], la démarche supplémentaire qualifiée de "Doxographie" se rapproche par certains de
ses traits de "la démarche intensive". Tout cela relativise fortement le caractère "novateur" de la typologie établie par A.Lapidus.
12 Cette démarche comporte bien évidemment des dangers dont le plus grand est celui qui consiste à repenser les périodes
historiques analysées en fonction des problématiques contemporaines. Plus précisément, son " péché mignon" est, comme on le sait,
l’anachronisme qui est la conséquence de la projection des débats contemporains sur le passé dans des termes identiques
13 Si cette troisième démarche tranche par son originalité elle n’est pas aussi peu répandue que l’auteur le pense. Les exemples sont
relativement difficiles à trouver et pour cause, comme on l’a noté plus haut, la démarche qui domine en Histoire de la pensée
économique est plutôt la démarche rétrospective, mais en plus du cas Sraffa/Ricardo qui peut être considéré comme relevant de ce
type de démarche, de nombreux autres exemples plus récents peuvent être évoqués notamment dans la théorie de la croissance.
Certaines des nouvelles théories de la croissance consistent bien à faire du neuf avec du vieux. Tel est le cas du modèle si célèbre de
Godwin qui reprend certains éléments fondamentaux de l’analyse marxiste de la répartition. Cf. « Les nouvelles théories de la
croissance », Observations et Diagnostics économique, n° 32,1992. On peut même pousser le raisonnement plus loin en considérant
que si progression il y a, dans la pensée économique, cette progression ne peut être appréhendée que sur ce mode. En Sciences
humaines, comme en Sciences exactes d'ailleurs, créer Ex nihilo relève du principe d'impossibilité. Il s’agit à priori d’une confusion
entre une démarche en Histoire de la pensée et le processus « normal » de la production théorique en économie.
6
Avouons-le très clairement: l'argumentation est difficilement recevable! Car avec un "peu
d'imagination" on peut aller très loin! Supposons que l’œuvre de J-M.Keynes n'ait pas réussi, se
limitant essentiellement à la construction du Treatise on Money [1930], on dira bien entendu que
c'est probablement à Kalecki qu'on devrait aujourd'hui un dispositif conceptuel analogue à celui de
la Théorie générale. Si on a bien compris l'argumentation de A.Lapidus le fait que P.Sraffa ait
considéré que dans l'Essai, figure la base d'une homogénéité du produit et du moyen de production,
c'est-à-dire le blé, a pour conséquence que l’Historien en accord avec cette interprétation adopte
forcément la démarche rétrospective alors que celui qui est en désaccord est fatalement réduit à la
démarche extensive. Cette déduction n'est nécessaire ni logiquement ni historiquement puisqu'on
peut très bien être en accord avec le point de vue sraffaen et en exposer d'autres qui le contredisent
ou qui en limitent la portée. Pourquoi s'acharner à réduire, à tout prix, l'Histoire de la pensée
économique à un point de vue unitaire? La condamnation de la « démarche intensive », à une
«fonction provisoire et éphémère» cédant la place, lorsqu'elle a accompli son office à l'une ou à
l'autre des deux autres démarches, existait en effet déjà dans les prémisses de ce qu’A.Lapidus
entend par Histoire de la pensée économique. Celle-ci ne semble pouvoir être conçue dans son
esprit qu'à partir d'un point de vue monolithique. Cette constatation peut apparaître excessive, mais
on la retrouve néanmoins dans le texte de M.Baslé alors que dans l’introduction aux Histoires de la
pensée économique [1988], il insistait pourtant sur la position contraire en mettant en avant la
nécessaire « multiplicité » des procédures d'écriture de l'Histoire de la pensée. Tout en affirmant ne
pas vouloir raviver artificiellement la "querelle de méthode" par une argumentation trop tranchée,
M.Baslé, s'élève pourtant contre ce qu'il appelle "l'absolutisme intenable" de M.Blaug. L'écriture de
l'Histoire de la pensée économique est pour lui une entreprise trop complexe pour qu'on la soumette
à un point de vue unique. Etablir une typologie des différentes démarches et juger de leur pertinence
en manifestant sa préférence pour telle ou telle autre démarche n'épuise donc pas forcément le débat
méthodologique. La preuve en est que la préférence qu'il accorde à la perspective schumpetérienne,
fondée essentiellement sur l'éclectisme raisonné, ne repose sur aucun argument définitif pouvant
être opposé à la "démarche absolutiste" de M.Blaug. Que J-A.Schumpeter ait eu pour volonté
d'élargir le champ de l'Histoire de la pensée économique, personne ne le conteste ! Que cette
conception élargie puisse permettre de "charrier" dans le sillage des grands auteurs et des
principaux courants, même les auteurs ou les théories considérés comme mineurs ou sans grande
importance, là non plus aucune objection?! Mais que cela soit suffisant pour fonder la supériorité de
la perspective schumpetérienne sur celle de M.Blaug, on peut en douter sérieusement.
Ce qui précède montre tout simplement que, de même qu'en théorie économique,
faire de l'Histoire de la Pensée Economique est forcément une entreprise obeissant à des partis pris,
épistémologiques probablement, idéologiques certainement. Il suffit de souligner le désaccord entre
nos deux principaux auteurs sur la définition de l'objet même de ce que chacun entend par pensée
économique et a fortiori par "science économique" pour se convaincre de la « justesse » de leurs
perspectives respectives. On ne peut pas non plus s'appuyer sur la différence des résultats pour
établir une hiérarchie entre les deux perspectives. Etant irréductibles, par nature, à des critères
identiques de jugement, ces résultats, sont logiquement réfractaires à la comparaison et il n'est pas
nécessairement illusoire d'entretenir le "rêve" secret d'une certaine pertinence de leur
complémentarité ou du moins de leur articulation 14.
Ainsi la prétention de "comparer" les démarches et les méthodes ne relève pas
forcément d'une démarche purement scientifique. C'est en tout état de cause ce que constate
M.Baslé lui-même puisqu'il conclut par une adhésion sans réserve à la position de M. Rosier [1985]
selon laquelle « il est impossible de faire L’Histoire de la réflexion économique en tant que science,
non parce qu'elle n'a pas d’Histoire ou parce que les théories économiques ne peuvent être
scientifiques(hypothèses, déduction, conception de tests) mais que les conditions de son
14
Quelque soit le point de vue adopté dans la réflexion méthodologique, en pratique lorsqu'on fait de l'Histoire de la pensée
économique on puise non seulement dans le puit de J-A. Schumpeter et celui de M.Blaug, mais aussi dans d'autres puits.
7
expérimentation ne lui permettent pas de réfuter telle ou telle théorie et donc d'ordonner
historiquement les théories. C'est pourquoi d'un point de vue scientifique, toute théorie quelque soit
le lieu où elle a été élaborée est contemporaine de la réflexion économique présente » (p. 463). Et
M.Baslé de conclure que cela est vrai également pour « toute Histoire d’analyse économique »!?
M.Baslé et M.Rosier sont, sans s'en réclamer ouvertement, dans la doxographie. Ce qui revient
d’une certaine manière à accepter l’idée que la science économique est une doxa au sein de laquelle
les oppositions, les schismes et les démarches hérétiques n’excluent pas la communion dans le
cadre du pouvoir infini de l’autorité. Adhérer à ce point de vue soulève cependant de nombreuses
difficultés et implique surtout l'acceptation de plusieurs présupposés pour ne pas dire de postulats.
Considérer la "science" économique comme un "champ autonome", est une position acceptable sous
certaines conditions, mais elle revient à amputer la pensée économique de sa dimension « morale »
et « politique » et à envisager la question de l'expérimentation sous l'angle unique des sciences
exactes15. Or, aucune autre dimension n’a posé autant de problèmes à l’économie que la dimension
« politique et morale ». C'est aux abords de cette frontière mouvante que l'articulation entre la «
morale», la "politique" et "l'économique" doit être nécessairement formulée16.
Or, ces abords ont toujours été et elles le demeurent encore aujourd'hui très minées.
Il suffit de la faire réapparaître pour assister à l'éclatement de toutes les démarches qui se "drapent"
sous le manteau de la "scientificité". Il est par conséquent très tentant, en réduisant "l'économique"
à un ensemble d'axiomes, d'hypothèses et de "protocoles de tests", auquel manquent les "conditions
de l'expérimentation", de résoudre le problème en le faisant purement et simplement disparaître.
Car, après tout, il ne s'agit pas de dire si l'Histoire de la pensée économique est possible ou
impossible à faire "scientifiquement" mais plutôt de savoir comment la faire! Affirmer, en effet, que
les conditions nécessaires à la réfutation des différentes théories ne peuvent être remplies est une
chose, considérer que cela implique la contemporanéité de toute théorie passée à la réflexion
économique présente en est une autre. Assigner comme tâche à l'Histoire de la pensée
l'ordonnancement des théories économiques, revient tout simplement à réduire les dimensions
temporelles des conditions de la genèse et du développement de ces théories. J-A.Schumpeter
récuse d'ailleurs très fortement l'éventualité d'un classement des économistes et par conséquent de
leurs œuvres lorsqu'il écrit à la fin du Tome III de l'Histoire de l'analyse économique, à propos J-M.
Keynes : « De surcroît, je ne pense pas que l'on puisse classer les économistes : Les hommes aux
noms desquels on pourrait penser pour établir une comparaison sont très différents, trop
incommensurables » (p. 589).
Qu'on veuille se fonder sur la théorie ricardienne pour construire des "analyses
actuelles" ou considérer que la théorie ricardienne fait partie de la "sciences économique
contemporaine" ne signifie pas que D. Ricardo n'est pas un économiste du dix-neuvième siècle et
que sa pensée économique s'inscrit forcément dans le temps. Vouloir réduire à tout prix les
contingences historiques aboutit forcément à conclure à l'impossibilité de l'Histoire de la pensée
économique. En outre, cela suppose, comme on l'a déjà fait remarquer plus haut, un accord,
fortement illusoire, sur la définition même du statut scientifique de la pensée économique. Il faut
noter par ailleurs que la conclusion à laquelle aboutit la réflexion de M. Baslé est contradictoire
avec son plaidoyer énergique pour la perspective schumpetérienne. Cette conclusion la dessert au
lieu de la renforcer. L'objection contre l'absolutisme se métamorphose paradoxalement en point de
vue "hyper-absolutiste"17!? In fine, on reste au même point de départ. Celui qui s’intéresse à
15
Pourtant on le sait, même en sciences exactes, la question est en quelque sorte identique. Sans évoquer la "théorie de la
relativité", on peut dire que l'absence des conditions d'expérimentations des théories "physiques" des philosophes grecs n'a pas
empêché de les prendre en considération dans tout travail sérieux d'Histoire des sciences. Finalement, l'insistance sur les conditions
de l’expérimentation comme préalable à l'attribution du "statut scientifique" aboutirait non seulement à conclure à l'impossibilité de
toute histoire scientifique de la pensée économique mais à l'impossibilité de l'économie elle-même comme "science"?! Résultat avec
lequel nous sommes entièrement d’accord. On ne peut tenir les deux bouts de la chandelle en même temps.
16 cf., Amable et Palombarini [2005].
17 L'Histoire
de la pensée économique est d'abord et avant tout "Histoire". Les économistes éprouvent néanmoins beaucoup de
8
l'Histoire de la pensée économique demeure tiraillé entre les deux positions initiales: Celle, "à
dominante" relativiste, dont le représentant le plus célèbre est J-A.Schumpeter, et l'autre "à
dominante" absolutiste dont la figure de proue est M.Blaug. En fait, il nous semble que la question
de la méthode en Histoire de la pensée économique a été trop centrée autour de l’économie ellemême. Les économistes prétendent pouvoir écrire l’Histoire de leur discipline en s’appuyant sur des
outils forgés dans le cadre de cette discipline elle-même. Pourtant, sans prétendre à une supériorité
quelconque d’une démarche par rapport à une autre, on rate le coche lorsqu’on restreint l’Histoire
de la pensée économique à un processus de progression linéaire allant de ce qui est archaïque vers
ce qui est considéré par la période, les professionnels ou par le commun comme le summum de la
modernité. En cela, on peut malgré tout considérer que la perspective de J-A.Schumpeter plus
robuste. Il a compris, en effet, que ce qui est fondamental dans la compréhension de la pensée d’un
auteur, de son évolution et de son développement, c’est la vision qu’il se donne et/ou qu’on peut lui
attribuer. Ce moment où tout en prenant conscience de notre immense dette envers les anciens, ceux
qui nous ont précédé, nous comprenons que nous pourrons faire comme si le (re-)commencement
"absolu" était et est toujours possible. Ce moment s’appelle avoir une vision et ce vers quoi il tend
se nomme horizon. Il s’agit du moment "pré-analytique" car le « travail analytique est de toute
nécessité précédé par une connaissance pré-analytique, qui fournit la matière première de
l’analyse » [Schumpeter, 1983, p. 74]. La vision est par conséquent selon Schumpeter le moment de
l’effort sous-jacent à la connaissance pré-analytique. La vision n’est cependant pas élucubration
purement subjective mais intuition objectivée et intimement liée à l’Histoire. Ce qui nous conforte
d’ailleurs dans l’idée que, contrairement à l’opinion désabusée de P.Valéry [Schumpeter, Ibid., p.
75], si il y a une science qui peut autoriser la vision, c’est l’Histoire et nulle autre. C’est ce que
Schumpeter souligne avec force lorsqu’il note qu’une « vision de cette sorte doit non seulement
précéder historiquement l’apparition de l’effort analytique en un domaine quelconque, mais doit
reparaître dans l’histoire de toute science déjà constituée chaque fois que quelqu’un nous donne à
voir des choses sous une lumière dont la source ne se trouve pas dans les faits, les méthodes et les
résultats de l’état préexistant de la science » [Schumpeter, Ibid., p. 75]. On comprend alors
pourquoi l’exemple exceptionnel que Schumpeter choisit pour illustrer son propos n’est autre que
celui de Keynes lui-même.
B. L'absence des mots ne signifie pas
d'interprétation : les vertus de l'herméneutique
impossibilité
Il va sans dire que pour le sujet qui nous intéresse, la question de la méthodologie est
cruciale. On est, en effet, privé de la possibilité d’avoir recours aux instruments proposés par les
différents types de méthodes qui viennent d’être exposées et ce pour plusieurs raisons. La première
est que nous ne pouvons administrer la preuve définitive et incontestable du bien fondé de ce qui est
avancé par la mise en évidence de documents attestant d’une manière claire et irréfutable la vérité
de la thèse que nous soutenons dans ce travail. On est par conséquent privé des éléments de filiation
ou de parenté affichée et/ou revendiquée. Nous ne pouvons pas non plus faire appel à la démarche
«rétrospective» qui revient en fin de compte à travestir la pensée des auteurs anciens par le biais
d’un habillage neuf, ni aux démarches « intensive » et « extensive » car, d’un côté, nous ne
prétendons en aucune façon à une nouvelle valeur ajoutée 18 autorisant la revendication d'une
difficultés à appréhender le temps, notamment au niveau historique. Le domaine de l'Histoire de la pensée économique illustre ce
rapport ambigu que "la science économique" entretient avec le temps. Il est ici de nature historique appliqué à « la théorie
économique elle-même ». C’est pourquoi penser que toute réflexion économique passée est « contemporaine » aboutit à affirmer son
universalité, en tout cas son a-historicité. On n’est pas très loin de l’absolutisme de M.Blaug, pour ne pas parler d’hyper-absolutisme.
18 Dans la mesure où il s’agit ni plus moins que de tenter de mettre en évidence ce qui existait déjà en rassemblant les fils d’un récit
perdu. Nous y reviendrons plus loin sur l’aveuglement ou du moins l’autisme des historiens de la pensée économiques sur les
rapports entre Keynes et l’Institutionnalisme Historique Américain.
9
innovation radicale, de l’autre, nous ne pouvons affirmer que la pensée keynésienne et celle des «
institutionnalistes historiques américains » participent d’un même paradigme. On mesure ainsi le
degré des difficultés auquel on se trouve confronté. Ce qui permet de comprendre du même coup,
notre inclination pour les outils qui relèvent plutôt de l’herméneutique 19. Car, après tout, à travers
l’herméneutique, il s’agit de l’art et de la science de la compréhension et de l’interprétation des
textes. Horizon et vision doivent être considérés ensemble lorsqu’on s’intéresse à la pensée d’un
auteur et ou la comparaison des pensées de plusieurs auteurs. Nous pensons paradoxalement
néanmoins que le rapport entre l’horizon et la vision doit être examiné d’une façon relativement
souple. On peut avoir le même horizon sans que cela implique nécessairement l’identité des visions
même si l’inverse est plus difficile à soutenir. On peut aussi changer de vision sans changer
d’horizon. Rarement cependant on change d’horizon lorsqu’on a la même vision. Plus précisément
ce rapport n’est pas un rapport de détermination mais un rapport dialectique. En d’autres termes,
lorsqu’on partage le même l’horizon, les différences se réduisent à des questions de perspectives par
rapport à l’horizon. Elles portent beaucoup plus sur des problèmes liés aux instruments analytiques
que sur les finalités. Par contre, lorsque l’opposition porte sur l’horizon, le fait d’utiliser des
instruments analytiques ou identique ou très similaires n’a pas beaucoup d’importance 20. Pour
illustrer une telle complexité des rapports entre vision et horizon, nous pouvons nous appuyer sur la
comparaison des conceptions respectives de Keynes et de Hayek des comportements mimétiques.
19 Et ce d’autant plus que, pour nous, comme pour certains historiens éminents des idées tel que R.Rorty, l’herméneutique est en
rapport étroit avec la philosophie pragmatiste. Sans trop entrer dans les détails, il faut rappeler que le pragmatisme, tout comme la
philosophie analytique, reconnaît l’importance du langage et du contexte, d’où les expressions de « discursivisme radical » [Chenu,
1984, p. 121] ou encore de « contextualisme » [Larmore, 1993, p. 20] pour le qualifier. L’herméneutique moderne de Gadamer
notamment considère en effet que le sens d’un écrit se reflète dans la signfication qu’il viendra à prendre dans un contexte historique
donné par une une communauté bien définie : « le sens d’un texte dépasse son auteur, non pas occasionellement, mais toujours.
C’est pourquoi la compréhension n’est pas une attitude reproductive, mais aussi et tojours une attitude productive » [Gadamer,
1996, p. 318]. Sur les liens entre pragmatisme et herméneutique, voir Rorty [1990].
20C’est notamment l’erreur que commet J. Sapir [2000, 2002]. J.Sapir, dans la perspective de ce qu’il appelle, l’économie réaliste,
met trop fortement l’accent par exemple sur le partage de la nature mimétique des comportements individuels et/ou collectifs aussi
bien chez Keynes que chez Hayek, mais cela ne nous avance pas à grand chose car on sait bien par ailleurs que tout les sépare. Pour
s’en convaincre, il suffit de relire certains textes incontournables consacrés par A. Parguez [1982, 1989] l’opposition irréductible des
deux auteurs. L’éclectisme même raisonné rencontre ici ses propres limites.
10
On peut démultiplier les exemples à loisir: Ricardo et Malthus à propos de la loi de la
population ou de la théorie de la rente, Say et Ricardo concernant la loi des débouchés, Marx et
Ricardo au sujet de la loi de la valeur...etc. C’est le travers dans lequel tombe pieds et poings liés
J.Sapir [2000, 2002], un peu moins, il est vrai dans le dernier ouvrage où il prend quelques
distances avec Hayek (Sapir [2005]). On ne peut comprendre en effet sa double revendication à la
fois de Keynes et de Hayek, pour la construction d’une économie réaliste, qu’à la condition
d’escamoter l’horizon en faveur de la vision, ce qui revient à mettre en avant l’accord local sur
certaines positions au détriment du divorce radical à propos de l’horizon. C’est ce qui justifie notre
penchant pour le recours à une démarche herméneutique fondée sur la distinction/articulation de la
vision et de l’horizon. Cette démarche est en rapport étroit avec les approches de l’Histoire de la
pensée économique développées dans le cadre de la philosophie pragmatiste.
En fait à travers la vision et l’horizon, il s’agit de mettre en évidence les rapports
avec la pensée à travers l’œuvre d’un mort qui, paradoxalement, a et n’a pas son mot à dire. C'est ce
paradoxe qui est au cœur de la démarche herméneutique : l’interprétation intimement et étroitement
liée au travail actif et fertile de l’Histoire de la pensée économique. Les rapports entre ces deux
termes fondamentaux de la perspective herméneutique ne sont cependant pas aussi simples. Dans
l’herméneutique traditionnelle l’impretatio était considéré comme un moyen ou plus exactement
comme l'instrument mis au service de la compréhension : « Lorsqu’on ne comprenait pas un
passage, on avait recours à une interprétation dont la visée évidente était d’amener à la
compréhension (…) la fonction médiatrice de l’interprétation consiste à fournir les moyens
nécessaires pour comprendre » [Grondin, 1993, p.137]. Logiquement, l’interprétation est antérieure
à la compréhension. Plus exactement la compréhension n’est possible que grâce à l’interprétation.
Selon Grondin, l’herméneutique moderne inverse les rapports. La compréhension est première,
l’interprétation étant réduite à la fonction d’élucidation ou d’élaboration après coup de la « situation
de compréhension ». Dans le cas qui nous préoccupe ici ; il s'agit indéniablement d'une situation de
ce genre. Ce n'est, en effet, que lorsqu'on a compris sur la base d'indices certes rares mais
néanmoins probants que d'un côté les rapports entre les institutionnalistes historiques américains et
le développement de la pensée économique de Keynes sont plus étroits qu'on ne le pensait a priori
et que de l'autre ces rapports sont restés dans l'ombre ou en marge des débats sur les influences de
Keynes sur ceux qui ont contribué à la conception et à la mise en œuvre du New Deal ou
réciproquement des expériences et des pratiques du New Deal sur Keynes, que le travail
d'interprétation peut commencer. Dès lors, on se rend compte que si ces influences réciproques ont
eu lieu, elles n'avaient rien de fortuit puisqu'elles passaient non seulement par des rapports aux
œuvres, mais aussi par des liens personnels.
II. Keynes et le mouvement progressiste américain
Durant les deux dernières décennie deux hypothèses fondamentales ont, en effet, contribué
au renouvellement des études keynésiennes : d’une part, l’hypothèse Wittgenstein forgée par O.
Favereau [1985] portant sur l’idée de convention, de l’autre, l’hypothèse Freud proposée par C.
Bormans [1998] et G. Dostaler et B. Marris [2000] redonnant ses lettres de noblesses aux réflexions
psychologiques de Keynes. Au-delà des réticences qu’on peut formuler à l’égard de l’une ou l’autre
de ces deux hypothèses, il faut reconnaître qu’elles ont permis d’éclaire d’un jour nouveau la
théorie de l’action chez Keynes. Pourtant, elles n’ont été acceptées que très difficilement 21. On
21 Concernant l’hypothèse des conventions les choses ont été relativement plus faciles. Cette hypothèse est ancrée aujourd’hui dans
les esprits même si le débat continue pour savoir si elle traduit effectivement la radicalité de Keynes contre son pragmatisme auquel
cas, il y aurait dualité des projets ou si le pragmatisme de Keynes est déjà radical auquel cas, il y aurait une relative unité du projet.
Voir à ce sujet A. Berthoud [1988, 1998, 1999]. Nous verrons plus loin que l’hypothèse Commons pousse à pencher vers le second
terme de l’alternative. L’adoption de l’hypothèse Freud a été par contre malaisée et ne fut acceptée que superficiellement pour des
11
comprend les méfiances que peut susciter la troisième hypothèse que nous proposons et ce d’autant
plus qu’elle ne peut bénéficier d’un argumentaire aussi solide que ceux qui soutiennent les deux
autres.
Nous l’entendons par conséquent dans un sens large et non dans une acception restreinte.
Stricto sensu, cette hypothèse signifie l’existence effective d’influences réciproques avérées dont la
démonstration peut être fondée sur la base des instruments traditionnels forgés par les différents
paradigmes d’écriture de l’Histoire de la pensée économique : échanges épistolaires suivis et
réguliers, références croisées clairement revendiquées, filiation profondément établie…etc. Or, pour
le propos qui nous préoccupe on est privé de ce type d’arguments. C’est pourquoi nous avons choisi
de considérer cette hypothèse dans une acception large. Lato sensu, nous entendons par l’hypothèse
Commons (hc), l’existence non seulement d’une vision largement partagée concernant l’identité du
capitalisme de l’époque, devant être pensé comme une économie monétaire de production, mais une
communauté d’esprit ayant pour objet à la fois un accord profond sur la nature du problème
économique, la nécessité de l’action collective pour le résoudre dans un univers caractérisé par
l’incertitude radicale et l’importance que les institutions y occupent. C’est ce que nous essayerons
de mettre en évidence après avoir montré que même sous sa version restreinte notre hypothèse n’est
pas aussi fragile que certains peuvent le penser. Comme nous l'avons déjà souligné plus haut, on
sait, en effet, que Keynes a entretenu des rapports avec de nombreux auteurs se rattachant
directement ou indirectement à l’institutionnalisme et qu'une grande partie parmi ceux-ci ont fait
l’objet d’articles et de notes dans l’Economic Journal, dirigé pendant longtemps par Keynes luimême22. Ces rapports peuvent être envisagés à deux niveaux: le premier niveau est assez global et
concerne les relations de Keynes avec le mouvement des « progressistes » américains, le second,
beaucoup plus restreint, porte sur les relations spécifiques entre Keynes et les auteurs
institutionnalistes tel que Commons, tout en sachant par ailleurs que les institutionnalistes
constituaient une composante sinon la composante centrale du mouvement des « progressistes ».
A. Les contours relativement flous du mouvement progressiste
Définir le mouvement progressiste n’est pas chose aisée tant celui-ci paraît complexe
et protéiforme. En effet, malgré l’importante littérature que le mouvement a suscitée23, il est difficile
d’en donner une définition claire et précise. Un tel travail relevant de la gageure, nous nous
contenterons donc d'insister ici, d’abord, sur quelques uns des éléments qui en font l'originalité afin
de mieux comprendre ce courant et sa proximité avec Keynes, ensuite, sur ses contacts avec les
acteurs majeurs du mouvement progressiste qui commencent très tôt, dès le milieu des annèes 1910,
et se poursuivront jusqu’à la fin de sa vie.
Face aux ravages du laissez-faire et de l'industrialisation effrénée, de nombreuses voix
s'élèvent Outre Atlantique pour dénoncer les conséquences d’un capitalisme triomphant que Veblen
avait déjà pointé du doigt. La polarisation de la société entre, d'un côté, une minorité de capitaines
d'industrie, souvent qualifié de « barons voleurs » et de barons de la finance, et, de l'autre, la misère
des exclus composée de la grande masse d'ouvriers souvent immigrés entassés dans les bas quartiers
des villes industrielles en étaient la conséquence la plus visible24. Face à cette fracture sociale
raisons liées notamment à la difficulté d’articuler la psychologie freudienne aux comportements collectifs alors que sa validité était
perçue peut-être beaucoup plus au niveau individuel.
22A moins de penser que J-M.Keynes n’avait qu’une connaissance superficielle des textes proposés pour publication dans une revue
dont il avait la responsabilité éditoriale, il faut convenir qu’il a eu connaissance au moins des textes de certains institutionnalistes.
Lorsqu’on pense que Keynes se définissait lui-même comme publiciste, on comprend le poids d’un argument qui a priori peut
paraître relativement léger.
23 Citons par exemple le chapitre 10 de Young [1996] ou Hofstadter [1955, 1963] entre autres.
24 Selon E. Saez [2008], entre 1917 et 1928, la part des 10 % des ménages les plus riches est passée de 40 à 49 % du revenu national
aux Etats-Unis.
12
devenue insupportable dans une nation pourtant mue par l'égalitarisme jeffersonien, des individus
appartenant à différents corps sociaux joignent leur effort et sonnent le tocsin de la révolte. Ils ou
elles étaient philosophes, économistes, juristes, hommes politiques, journalistes et même
ecclésiastiques 25 et avaient tous en commun le rejet du laissez-faire et en appelaient à l'action
collective afin de pallier les méfaits du libéralisme et assurer la régulation de la société par le biais
de réformes politiques profondes.
Le mouvement prend son essor avec la publication en 1879 de Progress and Poverty de
Henry George, ouvrage qui par ailleurs a eu une influence majeure sur J.R. Commons comme il le
confesse dans son autobiographie Myself, lui qui fonda le club Henry George durant son séjour à
l’université Oberlin. C’est ainsi que le mouvement prendra le nom de Progressivism en référence
justement à l’ouvrage de Henry George précité. Il connaîtra son apogée durant l’entre-deux-guerres
et plusieurs de ses membres deviendront des personnages influents du New Deal autour de Franklin
Delano Roosevelt.
S'il n'est pas possible de s'attarder sur toutes les facettes de ce mouvement, nous allons nous
pencher plus spécifiquement sur les grands courants qui le traversent. A l’origine du mouvement, Il
semble clair qu’il y ait convergence de vision entre différents groupes de personnes sur les causes
du mal est les moyens d’y remédier. Les philosophes pragmatistes, les économistes
institutionnalistes et les juristes pragmatistes ont pris conscience que la politique du laissez-faire
telle qu’elle était pratiquée n’était plus tenable et, qu’il fallait orienter la recherche vers la résolution
des problèmes économiques et sociaux réels qui sont les plus urgents. Loin d’être des
« scientifiques » isolés dans leur tour d’ivoire, les progressistes voyaient dans l’engagement social,
la contrepartie indispensable de tout travail de réflexion théorique. Il semble bien que ce soient les
philosophes pragmatistes qui ont initié ce mouvement en réorientant la philosophie pour la mettre
au cœur de la société :
« La tâche essentielle du philosophe américain est de servir la société. C’est en ce sens que
nous entendons le mot « citoyen » : le citoyen est le serviteur de la cité. Le philosophe est un
citoyen. Il l’est d’abord dans son œuvre théorique : toutes les philosophies américaines, a
l’exception de celle de Santayana, réservent une place de choix dans leurs théories à la catégorie
du social […]. On a même pu définir l’idéalisme américain comme étant la « philosophie de la
solidarité ». D’autre part, le philosophe est un éducateur […] [et] il exerce même une action
publique. Tous les philosophes américains […] ont lutté pour le bien-être de l’homme dans une
société harmonieusement organisée […] » [Deledalle, 1954, p. 187] 26.
Le pragmatisme a émergé aux Etats-Unis à partir de la seconde moitié du XIXème siècle à
la suite de réunions régulières d’un groupe d’hommes de science, de juristes et de philosophes qui
débattaient d’une philosophie à même de répondre aux aspirations d’une toute jeune nation. C’est
Charles .S.Peirce qui baptisera cette nouvelle philosophie de pragmatisme. D’autres auteurs non
moins célèbres tels que William James ou George Mead se rattachent également à ce courant de
pensée mais l'auteur le plus influent sur le plan social est certainement John Dewey, le plus engagé
des pragmatistes, notamment par ses écrits politiques et par l’importance de son action réformatrice
aux Etats-Unis notamment dans le domaine de l’éducation. Notons que le pragmatisme
philosophique a exercé une très forte influence sur les sciences de l’Homme aux Etats-Unis : droit,
sociologie, psychologie sociale, économie …etc. Tous ces champs ont su tirer profit des avancées
fructueuses de ce courant de pensée. Au plan de l'analyse économique, les économistes
institutionnalistes américains, tels que R. Ely et J-R.Commons, ont dans une large mesure adopté
les conséquences du pragmatisme tant sur le plan méthodologique et que sur leur conception de la
25 On pense ici aux pasteurs protestants membres du Gospel Social dont les idées étaient proches de celles des économistes tels que
Richard Ely et John R. Commons.
26 On remarquera que Bernard Maris [1999] qualifie lui aussi Keynes d’ « économiste citoyen » dans un court mais passionnant
essai qui porte ce titre.
13
société et de l'action collective.
S’il y a des divergences incontestables entre les auteurs se rattachant de près ou de loin à ce
courant – le pragmatisme de Peirce étant plus philosophique, il constitue une « éthique de la
clarté » [Bouveresse, 1984, p. 67] destinée à dissiper la confusion entre différents énoncés
conceptuels tandis que celui de James est plus psychologique débouchant sur une théorie de la
vérité alors que celui de Dewey se révèle être plus social et engagé - il est possible de les regrouper
en fonction d’un ensemble de propositions fondamentales sur lesquelles ils expriment peu ou prou
leur accord. Avec Peirce, qui en énonce la maxime, puis avec James et Dewey, la philosophie cesse
d’être une activité spéculative et contemplative : le pragmatisme se définit d’abord comme une
philosophie de l’action. Le but ultime de la pensée est l’action. Cette dernière est même
ontologiquement première au regard des enseignements qu’elle permet de tirer de l’expérience. Il en
résulte une toute autre vision de la pensée, qui débouche sur un anti-constructivisme, ainsi qu’un
anti-cartésianisme par le rejet l’épistémologie mécaniciste qu’elle implique et des dichotomies
propres à la tradition philosophique véhiculée par le cartésianisme, telles que la séparation du corps
et de l'esprit, des faits et des valeurs, de la pensée et de l'action...Pour les pragmatistes, Cette
logique fondamentalement dualiste relève d’une théorie "contemplative" de la connaissance, l'esprit
n'étant que le miroir passif d'un monde existant indépendamment de lui. En ce sens tout ce que nous
aurions à faire est découvrir la vérité immanente qui existe indépendamment de nous [Renault,
2005]. Le consensus pragmatiste inclue également une vision abductive de la méthodologie en
sciences sociales ainsi qu’une vision contingente de la vérité, considérée comme croyance et guide
pour l’action. Enfin le pragmatisme, et particulièrement celui de John Dewey, porte en lui une
vision particulière de la démocratie - entendue comme participation des individus et des processus
de délibération - et place l’éthique et la morale comme seul idéal ouvert, refusant ainsi les idéaux
fermés qui finalisent l’action humaine et peuvent l’enfermer dans des dérives totalitaires, afin de
concevoir une société "raisonnable", s'opposant en particulier aux visions rationnelles et
rationalisatrices de l'ordre social dont le XXème siècle a montré de façon dramatique les dérives.
[Lavialle, 2002].
Il n’est donc pas étonnant que le pragmatisme ait très vite essaimé dans les autres champs
des sciences sociales. De nombreux penseurs s’en réclamaient ouvertement. C’est le cas de J.R.
Commons, qui, comme nous l’avons déjà souligné, a lui-même qualifié son économie
institutionnaliste de « pragmatisme en action » [Commons, 1934b, p. 160], rendant ainsi hommage
aux philosophes de ce courant auxquels il a emprunté de nombreux concepts comme celui de
« futurité », de transactions 27…etc.
Les sciences juridiques, auxquelles Commons emprunte également abondamment, ont également
subi l’influence directe du pragmatisme. Deux courants majeurs, le Legal Realism et la Sociological
Jurisprudence28, procédaient également d’une approche pragmatiste du droit. Les auteurs
appartenant à ces deux branches ont concentré leurs critiques sur la Classical Legal Thought (CLT),
sorte d’orthodoxie juridique née de l’œuvre de juristes américains de la deuxième moitié du 19 ème
siècle dont le leader fut Christopher Columbus Landgdell, ayant en commun la volonté de
formaliser la Common law afin de promouvoir le laisser-faire. Des figures telles que celles de Karl
Llewellyn, Louis Brandeis 29, Roscoe Pound, Oliver Wendell Holmes – ce dernier fût l’élève de
James et Peirce [Severin, 2000, p. 73] - ont en commun d’avoir formulé une attaque en règle contre
la CLT à partir d’une critique de l’économie politique classique et d’une extension du pragmatisme
philosophique au domaine juridique. Ces juristes avaient conscience qu’au delà du domaine
économique, le Laissez-faire représentait un défi à leur conception des lois30. Les changements
27 Une histoire de la pensée économique rétrospective propre à Commons l’amène, dans son Institutional Economics a consacré un
chapitre à Charles Sanders Pierce [1934a, chapitre IV].
28 Sur les deux écoles, Serverin [2000, partie II] constitue une bonne introduction.
29 Voir la note de bas de page n°13 pour quelques éléments biographiques concernant Louis Brandeis.
30 Murphy, P. [1989] développe ce point de manière très convaincante dans “Holmes, Brandeis and Pound : Sociological
Jurisprudence as a Response to Economic Laissez-Faire” in Frankrel, P.E. et Dickman, H. (eds), Liberty, Property and
14
économiques et sociaux majeurs tels que les transformations récentes du capitalisme, le phénomène
de concentration des entreprises, l’émergence de pouvoirs économiques privés considérables
constituent autant de thèmes sur lesquels l’économie politique classique s’est trouvé en porte-à-faux
avec la réalité.
Les juristes pragmatistes envisageaient une régulation juridique de la société alors en proie à
ces profondes mutations économiques et sociales. Derrière leur critique de la CLT, ces auteurs
dénonçaient aussi le conservatisme de la Cour Suprême dont les décisions favorisaient
systématiquement le Laissez-faire et les intérêts des groupes sociaux les plus puissants au détriment
de la protection des travailleurs et des usagers des services publics 31. L’objectif était alors de mettre
le droit et les institutions juridiques en phase avec le changement social en vue rééquilibrer les
inégalités de pouvoir [Bazzoli et Kirat, 2002]. Commons, dont l’objectif est de féconder l’économie
politique des apports du droit et de l’éthique [Commons, 1925, 1932], inscrit ses travaux sous la
même orientation, celle de réformer le cadre institutionnel et démocratique afin de prendre en
compte les intérêts des travailleurs et des consommateurs [Bazzoli et Kirat, idem]. Il n’est donc pas
surprenant qu’il ait trouvé chez les juristes pragmatistes des éléments de combat communs. Il cite
ainsi explicitement Roscoe Pound, dans son Legal Foundations of Capitalism :
« Son [Celui de R.Pound, ndt] concept de relation est en substance identique à mon concept
de transaction. Une transaction est une relation active entre des parties, qui a les dimensions
économiques que sont l’opportunité et le pouvoir, et les dimensions juridiques que sont des droits
réciproques, les obligations, etc. qui dérivent de la règle opérante (working rule) à laquelle la
transaction appartient » [Commons, 1924, p. 121, note 1].
C’est donc naturellement que les juristes pragmatistes aient eu des convergences avec les
économistes institutionnalistes dans leur combat [De Schutter, 1999 ; Mercuro, 2000]. Les thèses de
Commons développés dans Legal Foundations of Capitalism sont la forme la plus achevée de la
critique de l’économie politique classique envisagée dans cette perspective. Pour Commons, « le
marché n’est pas toujours autorégulateur et la liberté contractuelle, fondement du laisser-faire,
n’accroissait pas toujours la richesse » [Alexander, 2001, p. 13].
D’ailleurs Ely, le maître de Commons, était également très proche de Roscoe Pound, il lui
vouait même une grande admiration si l’on en suit Rutherford [2006]. Ely annonce à Pound que son
ouvrage Property and Contract [1914] s’inscrit dans la perspective ouverte par le chef de file de la
Sociological Jurisprudence et qu’il a en projet d’ouvrir un département d’études chargé d’associer
les enseignements de l’économie et du droit à l’université du Wisconsin. Ce projet verra le jour sous
l’égide de J.R. Commons qui se chargera de poursuivre les efforts de son maître dans la promotion
d’une science associant les apports de l’économie politique, du droit et de l’éthique.
Finalement, on est tenté de voir avec Alexander [2001], dans le mouvement des juristes
pragmatistes, « une extension du projet des progressistes comme Ely et Commons » [Alexander,
ibid, p. 18].
En effet, les économistes institutionnalistes se présentent comme un courant qui se veut
alternatif à la pensée libérale et néoclassique. Dans sa présentation du programme de recherche
institutionnaliste à la réunion de l’American Economic Association en 1918, W. Hamilton fait du
rejet du laissez-faire une des exigences de l’institutionnalisme. Ce rejet a pour corollaire la nécessité
du "contrôle social" et de l’intervention de l’Etat [Hamilton, 1919]. Même si la défense de
l’intervention de l’Etat varie selon les auteurs, elle constitue un des principes constitutifs du
programme de recherche institutionnaliste ; c’est un élément qui transcende le mouvement
progressiste. Ces derniers étaient tous convaincus que la traditionnelle politique du laissez-faire
avait vécu et que l’Etat devenait incontournable pour résoudre les problèmes sociaux :
Government. Constitutional. Interpretation before the New Deal, Albany, State University of New York.
31 Voir l’article de Smedley [2001].
15
« Les hommes et les femmes du mouvement progressiste doivent être considérés comme les
pionniers de l’Etat providence. Leur objectif n’était pas de renforcer le pouvoir du gouvernement
en tant que tel, mais ils étaient déterminés à remédier aux maux les plus pressants et dangereux de
la société industrielle, et ce faisant ils ont vite appris qu’ils ne pouvaient pas arriver à leurs buts
sans utiliser le pouvoir de l’Etat administratif » [Hofstadter, 1963, p. 15].
Les affinités avec Keynes ne pouvaient être plus fortes32. C’est ce que nous allons voir dans
le point qui suit.
B.Keynes à la rencontre des acteurs majeurs du mouvement
progressiste
C’est à travers William Straight que Keynes entre en contact avec le mouvement
progressiste ; Straight travaille alors pour JP Morgan. Cette rencontre a lieu à Londres en mars de
l’année 1915 [Moggridge, 1992, p. 322]. William Straight ainsi que son épouse sont les principaux
pourvoyeurs de fonds de l’organe éditorial du mouvement progressiste, The New Republic fondé
1914 et dirigé par Walter Lippmann et Herbert Croly. Keynes visite les locaux du journal au cours
de son premier voyage aux Etats-Unis du 7 septembre au 6 octobre 1917. Il fait connaissance avec
les principaux contributeurs notamment Felix Frankfurter.
Les relations se poursuivent au cours de la Conférence de la paix de Paris. Keynes y croise à
nouveau le chemin des progressistes américains, Adolf Berle, Felix Frankfurter et Walter
Lippmann33, tous les trois membres de la délégation américaine [Steel, 1980, p. 152]. Walter
Lippmann était alors l’assistant de Newton Baker, le ministre de la guerre. C’est lui qui fut chargé
de l’exécution officielle des fameux Quatorze points du Président Wilson, base de l’accord sur
lequel l’Allemagne avait accepté de déposer les armes. Lippmann avait activement participé à la
rédaction des huit points qui traitaient de la nouvelle géographie européenne. Comme Keynes et
pour des raisons similaires, il quitta Paris, déçu de la tournure des évènements. De cette expérience,
il ne conserva pas un grand souvenir si ce n’est sa rencontre avec Keynes [Goodwin, 1995, p. 336].
Ce fut le point de départ d’une longue amitié entre les deux hommes. Lippmann déclara par la suite
que « [son] amitié avec Keynes fut l’une des plus heureuse de [sa] vie » [cité par Hession, 1985, p.
405].
Après l’échec de la Conférence de Paris, Lippmann et les autres dirigeants du New Republic
s’opposeront vigoureusement à la ratification du Traité par les Etats-Unis. Ses contacts avec Keynes
sur le sujet se poursuivront et Lippmann obtint l’autorisation de ce dernier de publier des extraits
des Conséquences économiques de la paix dans le numéro de Noël 1919 du New Republic.
L’intégralité du livre sera publiée plus tard par les soins de la maison d’édition Harcourt Brace &
Howe, maison d’édition dans laquelle Lippmann était fortement impliqué. C’est ainsi que les écrits
32 Que Roy Harrod ai pu qualifier Keynes de « progressiste » [1951, p. 332] n'a donc rien de fortuit. D’ailleurs, bon nombre des
éléments que nous avançons pour rapprocher Keynes des progressites américians ont été puisés dans la biographie rédigée par Roy
Harrod [1951].
33 De tous les progressistes, Keynes entretient une relation très étroite avec Walter Lippmann (1889-1974). Celui-ci est un
personnage central dans le paysage intellectuel américain des années 1910-1930. Philosophe de formation – il a accompli de
brillantes études à Harvard sous la direction de personnages aussi marquants que les philosophes pragmatistes William James et
Georges Santayana dont il reconnaîtra l’influence tout au long de sa vie, mais aussi auprès de juristes pragmatistes tels que Oliver
Holmes, Louis Brandeis et Roscoe Pound –également journaliste – il fut deux fois lauréat du prix Pulitzer – et aussi économiste, mais
surtout homme d’influence, Walter Lippmann se présente comme une des figures incontournables du mouvement progressiste. Il
appartient à ce groupes de penseurs et il en est en quelque sorte l’un des animateurs principaux en compagnie de Felix Frankfurter et
Adolf Berle, le co-auteur avec Gardiner Means de The Modern Corporation and Private Property [1932].Sur Walter Lippmann, nous
renvoyons aux excellents travaux biographiques réalisés par Clinton et Lane [1963], Steel [1980], Blum, D.S. [1984], Blum, J.M.
[1985], Riccio [1994] et plus récemment Goodwin [1995] dans lesquels nous avons abondamment puisés.
16
de Keynes furent introduit pour la première fois aux Etats-Unis. Keynes permettra également à ses
amis de Bloomsbury, Lytton Strachey et Virginia Woolf de publier aux Etats-Unis par le
truchement de cet éditeur.
L’ouvrage de Keynes exerça une influence considérable outre-Atlantique, son écho
raisonnera jusqu’au sein du Sénat américain où l’ouvrage est âprement commenté. Lippmann eût ici
un allié de poids dans son combat pour convaincre les sénateurs américains de rejeter le Traité. Il
semble que le portrait cruel de Wilson dépeint par Keynes contribua à la non ratification du texte, le
Sénat le rejetant effectivement à la suite d’un second vote en mars de l’année 1920 [Steel, 1980, pp.
164-165].
Keynes et Lippmann partagent d’autres préoccupations majeures. Ce dernier porte un intérêt
particulier à la notion d’incertitude chère à Keynes, qu’il reprend du philosophe pragmatiste
William James, jadis son maître à Harvard [Kloppenberg, 1986, p. 318]. Tout comme Keynes,
Lippmann est également très marqué par les travaux de Freud. C’est un de ses amis, Alfred Kuttner,
qui l’initie à sa pensée. Kuttner est alors engagé dans la traduction d’un des livres du psychanalyste
viennois [Steel, 1980, pp. 46-48]. Freud qui visita les Etats-Unis en 1909 invitera par la suite
Lippmann à le rejoindre à Vienne. Que ce soit dans A Preface to Politics [1913] ou dans Public
Opinion [1922], l’influence de Freud est fortement prégnante dans les écrits de Lippmann. Celui-ci
défend l’idée que la raison ne peut permettre d’expliquer à elle seule la complexité du
comportement humain. Freud permet de comprendre comment les émotions s’expriment à travers la
raison, idée qu’on retrouve chez Keynes à travers notamment la notion d’animal spirit [Lippmann,
1937, p. 229]34. Freud permet également de comprendre le rôle des médiations, puisque, selon
Lippmann, nous n’agissons pas en fonction « d’un savoir direct et certain, mais à travers des
images que nous créons nous-mêmes ou qu’on nous donne à voir » [1922, p. 25].
Lecteur de Veblen, bien qu’il s’en démarque sur de nombreux points, Lippmann s’intéresse
très tôt au phénomène de séparation de la propriété et de la gestion du capital des grandes
entreprises dans un article incontournable de 1914, et ce bien avant la parution de l’ouvrage
fondamental de Berle et Means dont il est par ailleurs très proche au sein du mouvement
progressiste. L’intérêt qu’il porte à l’économie ne se limite pas pour autant à cette thématique, sa
proximité et son empathie pour Keynes se retrouvent aussi dans la défense d’une intervention
raisonnable de l’Etat pour réguler le système économique et lutter contre la crise. Les deux penseurs
se retrouvent au moment de la conférence économique mondiale de juillet 1933 qui réunit les
grandes nations du monde à Londres afin de préparer les bases d’une coopération économique
internationale pour sortir de la crise. Le premier ministre britannique de l’époque Ramsay Mac
Donald convoqua Lippmann afin que celui-ci influence Roosevelt dans sa décision de modifier
l’arrimage du dollar à l’or dans une proportion favorable à la Grande Bretagne [Steel, 1980, p. 307]
35
. Keynes et Lippmann étaient en communauté de vision sur les moyens de sortir de la crise. Ce
dernier eût même le privilège d’être parmi les premiers à connaître la nouvelle théorie de Keynes
alors en gestation. C’est au cours d’un long déjeuner dans un club de Londres au mois de juin 1933
que Keynes lui exposa les idées principales de ce qui deviendra plus tard la Théorie Générale
[Steel, 1980, p. 305]. Ils eurent l’occasion de développer leurs idées communes sur l’issue
souhaitable de la conférence économique mondiale au cours d’une allocution transatlantique
radiodiffusée par la BBC en mai 1933. Lorsqu’il évoque les moyens qui doivent être mis en œuvre
pour relancer l’économie, Lippmann, encore sous l’influence de Keynes, évoque à grands traits les
politiques budgétaire, monétaire et commerciale qui prendront le nom de politiques keynésiennes
quelques années plus tard [Lippmann, 1935, p. 46]. Néanmoins, son intérêt ne se porte pas
exclusivement sur l’économie, Lippmann s’intéresse aussi au droit et à ses liens avec l’économie
politique.
34 Voir E.G. Winslow, [1986], “Keynes and Freud : psychoanalysis and Keynes's account of the "Animal Spirits" of capitalism”,
Social Research, 53, p. 549-78. A completer.
35
Les Etats-Unis abandonneront cette même année l’étalon-or.
17
Il est avéré que comme Commons, il s’est fortement inspiré de Brandeis, Holmes et Pound,
ces juristes pragmatistes de la Sociological Jurisprudence et du Legal Realism très critiques à
l’égard de la Clasical Legal Thought, certains ayant été ses professeurs à l’Université. Il semble
bien que Lippmann ait aussi subi l’influence de Commons. C’est ce qui ressort de ce passage très
clair de The Good Society :
« Not only did their social science fail them as a guide to public policy because of
their preoccupation with the false problem of laissez-faire; but they fell into a
complementary fallacy which was equally destructive to the development of liberal science.
Just as they had assumed that the economy of divided labour operates by natural laws
outside the context of legal system, so they also assumed that these natural laws were the
laws formulated in their economic science » [Lippmann, 1937, p. 195, 243].
Ces relations étroites entre Keynes et le mouvement progressiste américain nous amène à
penser avec Goodwin [1995], contre Galbraith [1971, pp. 43-59 ; 1981, p. 65-70], que
l’introduction des idées keynésiennes doit beaucoup plus aux progressistes américains qu’au travail
de Samuelson et Hansen et à leur lecture tendancieuse de l’œuvre maîtresse de Keynes. C’est
d’ailleurs à la demande de Felix Frankfurter, professeur de droit à Harvard et membre du Brain
Trust - les plus proches conseiller du président américain - alors présent en Angleterre en tant que
Professeur invité à Oxford, que Keynes intervient publiquement aux Etats-Unis dans une lettre
ouverte à l’adresse de Roosevelt daté du 31 décembre 1933 publiée dans le New York Times.
Keynes et Frankfurter36 furent aussi très proches. Comme nous le mentionnions
précédemment, ils se retrouvent à la conférence de Paris, et Frankfurter faisait également parti du
camp des déçus. Frankfurter est un des animateurs du New Republic. De passage à Londres avant
son retour aux Etats-Unis après l’échec de la conférence de Paris, Keynes lui remet un exemplaire
du manuscrit des Conséquences économiques de la paix [Harrod, 1951, p. 290]37. Enthousiasmé par
le livre qu’il fait lire par deux de ses proches collaborateurs, Brandeis38 et Wallas39, Frankfurter le
transmet à ses collègues du New Republic qui en reproduiront des extraits et s’empresse de le faire
publier dans son intégralité chez Harcourt Brace & Howe.
C’est par l’entremise de Frankfurter que Keynes a s’entretenir les principaux acteurs du New
Deal [Harrod, 1951, p. 448] ainsi que le président Roosevelt dont Frankfurter est un des plus
proches conseillers. En organisant cette entrevue, Frankfurter voulait pousser Roosevelt à entendre
la voix de Keynes et affranchir le président de l’influence par trop dirigiste qu’exerçait la National
Recovery Administration (NRA) sur la politique du New Deal.
Avec ses amis du New Republic, ils avaient soutenu activement la candidature du sénateur
36 Frankfurter deviendra par la suite juge à la Cour Suprême des Etats-Unis de 1939 à 1962.
37 Sur ce point, les récits de Harrod [Harrod, 1951, p. 290] et de Moggridge [1992, p. 322] différent sensiblement.
38 Louis Brandeis, formé à la Harvard School of Law qui fût juge à la Cour Suprême de 1916 à 1939, connaissait et estimait Keynes.
Brandeis fût un moment pressenti pour faire partie avec J.R. Commons de la U.S. Commission on Industrial Relations, instance créée
en 1913 à l’initiative du Président Wilson pour réfléchir sur les troubles sociaux et les grèves rencontrées dans l’industrie
sidérurgique américaine [Commons, 1934a, p. 165-167] [Harter,1962, p. 131-159]. En revanche, il est avéré qu’il participa en
compagnie de Commons à la National Civic Federation. On sait que Keynes l’a rencontré. En effet, Brandeis fait partie des membres
du Brain Trust – avec R. Moley, R. Tugwell, A. Berle et T. Corcoran entre autres - que Keynes fut amené à rencontrer au cours de
son séjour aux Etats-Unis en 1933. Durant ce voyage, Keynes vint à la rescousse de Frankfurter, Case, Lippmann et Brandeis dans la
controverse qui faisait rage entre ces derniers, partisan d’un New Deal souple et raisonnable, et la NRA – National Recovery
Administration – incarnée par la figure de Rexford Tugwell, le principal représentant d’une institution prônant un vision plus dirigiste
et plus planiste de l’intervention de l’Etat [Schelsinger, 1957].
39 Graham Wallas fût professeur à Harvard avant d’occuper la chaire de politique à la London School of Economics de 1914 à 1923.
Il fut un membre important de la Fabian Society – un des trois mousquetaires même pour reprendre l’expression de G.B. Shaw - à
laquelle il avait adhéré en 1884 avant d’en démissionner en 1904. Il exerça une influence considérable sur Walter Lippmann. C’est à
lui que Wallas dédie son livre The Great Society [1914], avant que Lippmann ne lui rende hommage à son tour dans l’introduction de
The Good Society [1937], dans lequel il reconnaît Wallas comme un de ses mentors. Ajoutons qu’un autre personnage incontournable
de la Fabian Society, John A. Hobson, un des fondateurs du New Liberalism auquel Keynes adhèrera, eût également une influence
décisive sur la vision de Lippmann.
18
progressiste La Folette dans l’Etat du Wisconsin40. Robert La Folette était d’une certaine manière la
figure de proue du mouvement progressiste et c’est par son initiative politique notamment que le
mouvement prit une réelle ampleur [Harter, 1962, p. 46-67].
L’Etat du Wisconsin constitua en quelque sorte le laboratoire des Etats-Unis en matière de
réformes destinées à combattre les excès de l’économie de marché débridée et à réguler les conflits
sociaux et ce dans un cadre démocratique. Les historiens ont qualifié cette période faste de l’histoire
des Etats-Unis de Progressive Era (1890-1930), et l’état d’esprit si particulier qui régnait dans le
Wisconsin de Wisconsin Idea [McCarthy, 1912] [Howe, 1912] 41. L’une des particularités de "l’idée
du Wisconsin" fut d’associer à la fois le gouvernement et l’université pour l’éducation, la recherche
et l’expérimentation sociale. Richard Ely est justement le personnage charismatique de cette
université. Il a fait sa réputation à John Hopkins, et c’est pour cette raison que Commons opta pour
cette université afin d’y suivre les enseignements de Ely. Formé à l’école historique allemande, Ely
diffuse un enseignement original fondé sur le rejet du néoclassicisme et de sa méthodologie
hypothético-déductive et prônant une nécessaire pluridisciplinarité entre les domaines du droit, de
l’économie et de l’éthique tout en privilégiant le recours aux études de cas empiriques. La rencontre
avec Ely aura des conséquences décisives sur la formation intellectuelle de Commons. Après une
série d’expériences malheureuses en tant qu’enseignant dans diverses universités, Commons rejoint
Ely à Madison en 1904 grâce à l’intervention de ce dernier. C’est une nouvelle étape dans la vie de
Commons, une « renaissance » même dira-t-il [Commons, 1934a, p. 95].
A partir de cette date, Commons poursuivit l’entreprise d’Ely et travaille jusqu’à la fin de sa
vie à la formation d’une véritable identité de l’université du Wisconsin, le programme de recherche
de la "Wisconsin School of Institutional Economics"42. Aidé de ses étudiants qu’il associe
activement à ses recherches, Commons porte son attention sur les problèmes du travail, du
mouvement syndical et du monde ouvrier – ce que nous appelons aujourd’hui l’économie du travail
- et entame par-là même une tentative de refonte et de dépassement de la théorie économique
conventionnelle.
Pour Commons, le combat sur le terrain politique n’oppose pas en réalité deux formations,
républicains et démocrates, mais plutôt trois, les conservateurs, les progressistes et les socialistes, la
distinction se faisant sur la plan économique et social. Ainsi Commons se range résolument dans le
camp des progressistes 43 [Pirou, 1939, p. 141]. Sa volonté de réforme à la fois théorique mais aussi
politique et sociale rejoint le projet réformiste du Gouverneur progressiste La Folette. En effet,
Commons incarne la figure même de l’intellectuel engagé, soucieux de « faire progresser la
recherche et servir la cité » [Rongière, 1982, p. 111]. C’est donc tout naturellement qu’il s’associe à
La Folette et participe activement en tant qu’expert à l’administration et l’élaboration de lois
annonçant les progrès ultérieurs introduits par le New Deal, sur lequel Commons a exercé une
influence trop méconnue de notre point de vue. S’interrogeant sur la postérité du programme de
recherche initié par Commons, trop d’auteurs en ont conclu à son échec en raison des rares disciples
se réclamant ouvertement de la pensée du maître. Ce jugement à l’emporte pièce est d’autant moins
vraie que l’actualité démontre le retour en force des idées de Commons – on peut avancer ici sans
crainte que sa figure supplante désormais celle de Veblen qu’il l’a longtemps éclipsé – mais aussi et
surtout que l’université du Wisconsin a formé bon nombre des futurs protagonistes de
40 La Folette se présenta également en 1924 à l’élection présidentielle américaine sous l’étiquette du parti progressiste. Il reçu le
soutien de Commons qui signa pour l’occasion un article dans l’organe éditorial du mouvement progressiste The New Republic
[Commons, 1924b].
41 Charles McCarthy était un proche collaborateur de Commons au sein de l’université et des instances de direction de l’Etat du
Wisconsin [Commons, 1934a, p. 107-111].
42 L’université deviendra le bastion du mouvement progressiste. Sur l’école du Wisconsin et ses liens avec le Progressivism, Thelen
[1972] et Hoeveler [1976] constituent d’excellentes références. Voir aussi Morel [1975].
43 On peut y voir un lien avec sa conception à la fois positive et normative de la Cour Suprême chargée de consacrer, sanctionner et
de normaliser en tant que valeur raisonnable les pratiques les plus progressistes des institutions. Nous reviendrons sur ce point
ultérieurement. Dans Institutional Econmics, il rapporte qu’il fut dénommé « le dernier mohican du libéralisme (sic) » ! [1934b, p.
901].
19
l’administration du New Deal tels que Selig Perlman,William Leiserson,Harry Millis,Francis Bird,
Arthur Altmeyer ou Edwin Witte, le père du Social Security Act, qui fut par ailleurs proche de Felix
Frankfurter 44.
Le mouvement progressiste compte également parmi ses membres des acteurs du monde
économique et financier, en particulier des banquiers hauts placés, favorables à une régulation
publique de la monnaie. C’est le cas de Benjamin Strong (1872-1928) 45. Ce dernier fut gouverneur
de la puissante Réserve fédérale de New York de 1914 jusqu’à sa mort prématurée en 1928. C’est
en 1913 que fût crée "le système des banques fédérales de réserve" dont la principale était justement
celle de New York, qui, pratiquement, administrait toutes les autres, à la suite du vote du Federal
Reserve Act le 29 décembre, en réaction aux désordres monétaires, aux faillites de plusieurs
banques et aux paniques qui s’en suivirent. Rappelons que Keynes s’intéressait particulièrement à
cette nouvelle architecture institutionnelle et c’est à ce sujet qu’il commanda pour le compte de
l’Economic Journal qu’il dirigeait alors un article de Mitchell sur la question (cf. supra).
A la tête de la réserve fédérale de New York fut donc élu le 5 octobre 1914 Benjamin
Strong, fin connaisseur de l’histoire bancaire et monétaire des Etats-Unis, et en relations étroites
avec les grandes banques new-yorkaises – avant d’accéder au poste de gouverneur il était président
du Bankers Trust Co de New York – en particulier avec la JP Morgan, laquelle joua un rôle décisif
dans le problème des dettes et des réparations après le premier conflit mondial.
De son héritage à la tête de la Réserve fédérale de New York, on retiendra deux faits
marquants :
-
-
Son rôle, décisif, dans la promotion d’une coopération internationale des banques
centrales pour une politique monétaire commune et une sortie de crise pour laquelle il
organisa la première réunion des banquiers centraux notamment allemand, américain,
anglais et français à New York
Sa promotion d’une banque centrale active et son inclination pour la politique d’open
market comme moyen privilégié d’intervention de la Banque centrale dans la régulation
du système économique.
Ces deux points emportent l’adhésion de Keynes et de Commons, principalement le second.
En effet, ce dernier accordait une importance toute particulière à la stabilisation du système
économique par la politique monétaire.
L’intérêt de Commons pour la monnaie et la politique monétaire et trop souvent négligé à
nos yeux46. Bien que renommé comme spécialiste de la question du travail et par voie de
conséquence des institutions régulatrices des conflits qui lui sont inhérents, l’intérêt de Commons se
porte très tôt sur la monnaie. Conscient de la nécessité d’adosser son économie du travail et des
institutions à une théorie monétaire solide 47 afin de forger une "explication totale" de l’instabilité
du capitalisme, il se penche sur la question monétaire à partir de 1919.
Pour cela, il entame l’étude de Fisher et Wicksell et sera amené à prendre la présidence en
1922 de la National Monetary Association, successeur de la défunte Stable Money League à
laquelle il appartenait déjà en compagnie de Malcolm Rorty (1875-1936) – un statisticien proche de
Keynes [Keynes, 34/C0/8 ; 35/L/22], ce dernier le décrivant même comme un de cette longue lignée
44 Nous renvoyons à Chasse [2004] et à Rutherford [2006] pour de plus amples développements sur la postérité intellectuelle et
l’héritage académique de Commons.
45 Sur Benjamin Strong, nous avons consulté le travail biographique très instructif de Lester V. Chandler [1958]. Il n’est pas inutile
de rappeler que Strong laissa une trace indélébile dans la mémoire de bons nombres d’économistes et d’hommes politiques de son
temps de part le monde, en raison de son pragmatisme et de son volontarisme.
46 Irving Fisher considérait Commons comme un des plus éminents spécialistes mondiaux sur la monnaie [cité par Harter , 1962, p.
110].
47 Charles Whalen, s’inspirant de Minsky, écrivait à juste titre à propos de Commons : « l’économie monétaire de Commons ne fut
pas séparé de son économie du travail. Minsky a écrit que l’économie monétaire ne peut être qu’une économie institutionnaliste »
[1993, p. 1170].
20
d’hérétiques qu’a produit l’économie politique [Skidelsky, 1992, p. 416, 491] –, ce même Rorty
avec qui il avait crée en 1920 le National Bureau of Economic Research, sous le patronage de
Wesley C.Mitchell.
Dans le cadre de ces activités de président de ladite association, Commons séjourne un
certain temps à New York et à Washington, où il se rend à la Federal Reserve Bank de New York
notamment [Commons, 1934b, p. 3]. C’est à cette occasion qu’il rencontre Benjamin Strong
[Mitchell, 1969]. Les deux hommes se lieront d’amitié [Chandler, 1958]. Strong exercera une
influence décisive sur Commons. C’est lui et ses collaborateurs qui initie Commons au
fonctionnement du système bancaire et un rôle de la banque centrale comme instance régulatrice à
travers les politiques d’open market. Commons devint même un spécialiste de la question si bien
qu’il fut en mesure d’expliquer en détail à ses collègues économistes le fonctionnement complexe
d’une telle politique à une session du congrès de l’American Economic Association en 1924 !
[Commons, 1934a, p. 192-193]. Il rédige à l’occasion de nombreux articles sur la monnaie et la
politique monétaire en liaison avec son économie du travail notamment [Commons, 1923a, 1923b,
1925, 1927a, 1927b, 1937].
De cette expérience, il tire un certain nombre d’enseignements cruciaux pour l’élaboration
de son Institutional Economics. Commons développe une macroéconomie insuffisamment aboutie
certes, mais qu’il lui permet de relier économie du travail, théorie des cycles et des fluctuations
monétaires qui lui servent de basent à sa théorie du capitalisme raisonnable et des réformes
nécessaires articulant politique monétaire et politiques de l’emploi pour le promouvoir. Il met
également en évidence une théorie du capitalisme bancaire si importante pour son propos comme il
le reconnaît dans son autobiographie [1934a, pp. 192]. Dans cette phase du capitalisme qu’il
assimile à l’ère de la stabilisation 48, il imagine le rôle de la banque centrale comme institution
médiatrice chargée de veiller à la stabilité du niveau général des prix – la banque centrale a la
mission d’éviter les variations trop fortes des prix aboutissant à des pics, alternance de phases
d’inflation et de déflation – afin de sécuriser les anticipations et de garantir la stabilité du pouvoir
d’achat pour protéger les travailleurs de ces fluctuations erratiques. En 1927, Commons est amené à
soutenir le sénateur du Kansas James Strong dans sa présentation d’un projet de loi devant le
Stabilisation Committee du Congrès américain visant à contraindre la banque centrale à soutenir
l’activité des entreprises mais aussi et surtout promouvoir la stabilité des prix et du pouvoir d’achat
[Commons, 1927a]. Il sera auditionné à deux reprises devant le Congrès, en 1927 et en 1928
[Commons, 1927a ; 1928]. Dans cette entreprise, il reçut le soutien du gouverneur Benjamin Strong
qui fut lui-même auditionné pour appuyer la proposition de Commons et James Strong devant le
Congrès. Commons déclara par la suite : « I admired both for his open-minded help to us on the bill
and his reservation that he must go along with his associates » [cité par Rothbard, 2000, p. 173].
Keynes a suivi ces débats et s’en est inspiré. Il y fait abondamment référence dans son Treatise on
Money [VI, p. 45, 211, 228, 230, 250, 272, 305-308, 310, 313]. C’est dans ce cadre que Commons
adresse à Keynes son fameux article “Price Stabilization and the Federal Reserve System”
[Commons, 1927b].
Ajoutons que Keynes et Commons se retrouveront à nouveau sur ce thème dans deux
entrées complémentaires de The Encyclopaedia of Social Sciences publié en 1931, à laquelle ils ont
contribué en rédigeant respectivement les articles « Credit Control » 49 et « Price Stabilization » où
ils défendent un point de vue similaire à propos du rôle de la banque centrale en tant qu’institution à
qui il incombe la mission de stabiliser l’activité économique par une politique monétaire appropriée.
D’autres grandes figures du mouvement progressiste tels que Felix Frankfurter, Oliver Holmes,
Walter Lippmann ou encore Roscoe Pound ainsi que Selig Perlman et David Saposs, tous deux
formés par Commons, ont également contribué à l’encyclopédie dirigée par Edwin R. Seligman.
48 Nous verrons que là réside l’essentiel dans sa communauté d’esprit avec Keynes. Avant Keynes, Commons ébauche une théorie
du capitalisme « financier » où le conflit central entre groupes d’agents ne se situe plus entre les travailleurs et les entrepreneurs mais
entre les rentiers et les entrepreneurs, au détriment des travailleurs.
49 L’article de Keynes est reproduit dans les œuvres complètes cf [XI, p. 420-427].
21
Soulignons au passage que c'est probablement Benjamin Strong qui a mis en relation Keynes
et Commons. En effet, Keynes est en contact rapproché avec Benjamin Strong à cette époque. Ils
entretenaient des relations étroites depuis un certain temps déjà. On est sûr que Strong a eu vent des
travaux de Keynes comme en atteste son biographe Lester Chandler [1951, p. 50], notamment ses
premiers travaux sur la monnaie, le Tract on Monetary Reform 50. On sait aussi que Keynes lui a
aussi transmis ses travaux sur la situation économique américaine durant cette période, notamment
un texte s’interrogeant sur le problème des prix aux Etats-Unis intitulé “Is There Inflation in the
United States ?” [Keynes, XIII, p. 52-59] 51. Ce texte, Keynes l’a également envoyé à d’autres
économistes, en particulier Warren Persons, Carl Snyder et Allyn Young, tous membres du conseil
de recherche de la National Monetary Association du temps où Commons en occupait la présidence.
Keynes tient Strong en haute estime. Après sa mort prématurée, il rédigea une note
nécrologique hautement élogieuse paru le 28 octobre 1928 dans le Nation and Athenaeum. C’est un
fait suffisamment rare pour être tout de même signalé, Keynes n’ayant rédigé que peu de notice
nécrologique à l’égard de praticiens de l’économie. Voici ce qu’il dit à son égard :
« …His integrity, independence, and real insight into the problems of his office have
been on estimable value, and there were few, even in academic circles in the United
States, who had thought more deeply […] on the fundamental problems of the
regulation of credit. The ‘open-market’ policy, which in the United States is now
hardly less important than the discount rate, as a method of controlling credit
developments, was in its present from largely his creation. We also lose in him a
man of wide international sympathies, who was always ready to play a wise and
generous part in alleviating monetary difficulties abroad, and a firm friend of this
country. His peculiarly intimate relations with the present Governor of the Bank of
England ensured a measure of co-operative between two institutions, without which
our own currency problems would have been more embarrassing… » [Keynes, X, p.
323]
L’intérêt de ce passage que nous avons jugé utile de reproduire malgré sa longueur montre
l’admiration de Keynes à l’égard de Strong et nous permet d’envisager la ou les voies par lesquelles
Keynes a pu le connaître.
Il semble que Montagu Norman, le gouverneur de la banque d’Angleterre de 1920 à 1944
auquel Keynes fait référence dans le passage que nous citons sans le nommer, ait pu jouer un rôle
dans la connexion entre eux. Il est vrai que Strong et Norman entretenait des relations privilégiées
en raison des fonctions qu’ils occupaient. Après la décision de l’Angleterre en 1925 de rétablir la
parité or de la livre sterling à sa valeur d’avant-guerre malgré les mises en garde incessante de
Keynes contre les conséquences d’une telle illusion, le pays connût un grave récession qui se
traduisit par une explosion du chômage et une crise sans précédent de l’industrie anglaise. Norman
sollicita l’aide de la Federal Reserve de New York et c’est ainsi que Benjamin Strong organisa la
première réunion des gouverneurs de banque centrale à New York en 1927. Strong prît également la
décision de faire baisser le taux d’escompte des banques de réserve fédérale afin de soutenir
l’économie anglaise. Keynes était bien sûr attentif à cet épisode, il était en lien avec Montagu
Norman, mais rien ne nous permet d’affirmer que c’est par cette voie que Keynes a connu Strong et
par voie de conséquence Commons. Cette piste nous semble donc peu fondée. Par conséquent nous
ne la retiendrons pas.
Nous envisageons par contre une autre piste qui semble plus convaincante de notre point de
vue. Celle-ci rejoint la voie des progressistes évoquée précédemment.
En effet, Strong n’est pas étranger à ce débat et il compte parmi ses plus proches
50 Cf. Roberts [2000].
51 Voir aussi Keynes [VI, p. 170].
22
collaborateurs et amis, deux personnages importants de la finance américaine, Thomas Lamont et
Russell Leffingwell, par ailleurs amis de Keynes, qui, avec Willard Straight permettront aussi à
Keynes d’enter en contact avec le mouvement progressiste dont ils sont partie prenante.
Déjà, il est intéressant de rappeler que c’est à la suite des recherches menées par Walter
Lippmann et Lincoln Steffens que le Comité Pujo entrepris ses investigations sur le système
bancaire américain. Ce comité, présidé par Aldrich Pujo, un sénateur démocrate par ailleurs
membre de la National Monetary Association que présida Commons, rendu ses travaux qui
poussèrent Wilson, conseiller par Louis Brandeis, à faire voter le Federal Reserve Act en décembre
1913 [Yohe, 1990] 52. Suite à cette décision, Benjamin Strong devint gouverneur de Federal
Reserve Bank de New York.
Nous le signalions précédemment, Strong compte parmi ses plus proches amis et conseillers,
deux acteurs importants du mouvement progressiste, Thomas Lamont (1870-1948) et Russell
Leffingwell (1878-1960) [Chandler, 1958, p. 25]. Il se trouve qu’ils sont également des amis
intimes de Walter Lippmann, un des chefs de file du Progressivism [Steel, 1980, p. 238]53.
Leffingwell fut son correspondant régulier lorsque Lippmann travaillait au Herald Tribune
[Schwartz, 1993, p. 99].
Lamont et Leffingwell appartient à la haute finance américaine. Ils ont longtemps côtoyé
Keynes et ont étaient des observateurs attentifs de la progression de sa pensée. Ainsi, les écrits de
Keynes suscitèrent des discussions dans leur cercle bien avant l’intervention de celui-ci en faveur
des politiques du New Deal [Schwartz, 1993, p. 183]. Durant l’entre-deux-guerres, Lamont et
Leffingwell ont eu une influencé non négligeable dans les décisions en faveur d’une régulation
publique de la monnaie et de la finance. Ils joueront également un rôle important dans la décision
du président Roosvelt de pratiquer le déficit budgétaire pour sortir de la crise.
Russell Leffingwell 54 a suivi des études de droit à Yale avant d’intégrer un cabinet
d’avocats dans lequel il se spécialise sur la question de l’émission des obligations. Leffingwell
occupera successivement un certain nombre de responsabilités au sein de l’administration
américaine. C’est ainsi qu’il passe du poste de conseiller du Trésor sur les obligations d’Etat à celui
d’assistant du Secrétaire de cette même institution, William MacAdoo, pour la gestion de la dette
publique. A travers ces fonctions, il est le représentant du Trésor auprès de la communauté des
banquiers mais il est aussi statutairement directeur de la Réserve fédérale [Brownlee, 1990, p. 217].
En 1918, Il défendra au côté de nouveau Secrétaire au Trésor Carter Glass, la nécessité de soutenir
l’investissement des entreprises.
Leffingwell est également un ardent défenseur d’un retour à la prospérité au niveau
international, condition indispensable à la stabilité des Etats-Unis. Il n’en demeure pas moins un
fervent partisan d’un nouvel ordre international géré conjointement par l’Angleterre et les EtatsUnis même s’il n’en négligeait pas pour autant le rôle important que devait jouer la Société des
Nations dans la régulation de cet ordre. Témoin aux premières loges du Krach de Wall Street – il
était associé chez JP Morgan - Leffingwell s’en trouve conforté dans sa conviction de la nécessité
d’une politique monétaire active.
Il soutint vigoureusement la candidature de Roosvelt pour l’échéance de 1932. En effet,
après son retrait du Trésor en 1920, il participe activement à l’élaboration des plateformes
démocrates pour les différentes élections présidentielles. Son rôle auprès de Roosvelt fut de
conseiller le président sur la politique monétaire. A ses yeux, une politique monétaire souple et
accommodante était la condition vers la reprise économique.
On peut voir ici qu’il partage bon nombre de positions avec Keynes sur la politique
monétaire et sur la fondation d’un nouvel ordre international stable. D’ailleurs il disait de Keynes
qu’il était un des plus grands hommes de son temps. Il écrit ainsi à son ami Thomas Lamont en
52 Rappelons que Keynes suit de près ce débat aux Etats-Unis et que c’est à cette occasion qu’il établie des contacts avec Wesley
Mitchell (cf. supra)
53 En témoigne l’abondante correspondance que Blum, J. M. [1985] a reproduite dans son recueil.
54 Nous avons puisé ces éléments biographiques dans Brownlee [1990].
23
1931:
« [Keynes] is just a bright boy shocking his admiring elders by questioning the
existence of God, and the Ten Commandments! » [cité par Brownlee, 1990, p. 222]
Thomas Lamont est quant à lui un personnage atypique. Il fut tour à tour journaliste,
financier ami de longue date avec Benjamin Strong [Chandler, 1958, p. 25, 28] – Strong lui succède
à la vice-présidence de la Bankers Trust Co de New York en 1909, diplomate et philanthrope, mais
aussi et un surtout homme très influent comme en témoigne les propos du journaliste F.Lumberg à
son égard [Rapporté par Fitzsimons, 1990, p. 207].
Il mène de front plusieurs activités à la fois. C’est ainsi qu’il fut journaliste avant de se
lancer dans une vaste entreprise de rachat de journaux en difficulté. C’est durant cette période qu’il
fait la connaissance de Walter Lippmann [Fitzsimons, 1990, p. 207]. Les deux hommes se lièrent
d’une profonde amitié et se virent régulièrement [Steel, 1980, p. 204, 238, 250-251, 275-282].
En 1915, Il participe à la mise en place d’un prêt de 500 millions de dollars en faveur de la
France et de l’Angleterre pour soutenir l’effort de guerre. Il est alors associé à JP Morgan qu’il a
intégré en 1911. C’est sans doute à cette occasion qu’il entre en contact Keynes, celui-ci étant
responsable au Trésor Britannique depuis le 6 août 1914. Keynes disait en 1923 que lorsqu’il était
au Trésor durant la guerre, « tout l’argent que nous avons soit prêté, soit emprunté passait par
moi » [Keynes, XVI, p. 3]. Rappelons également que Lamont était membre de la délégation
américaine rattaché au Trésor durant la conférence de Paris. La rencontre avec Keynes est là
formellement avérée. Il partage lui aussi bon nombre d’idées avec Keynes. Il est favorable à la mise
en place d’une organisation capable d’assurer la paix. Comme Keynes, il pense qu’une Allemagne
forte est nécessaire pour garantir la stabilité de l’Europe.
Plus tard, il sera un des rares banquiers à apporter son soutien à Roosvelt et à sa politique du
New Deal notamment dans sa lutte contre la pauvreté, la nécessité d’une inflation raisonnable pour
relancer l’activité économique américaine et l’appui aux politiques d’open market de la Federal
Reserve [Fitzsimons, 1990, p. 208-209].
Lamont témoigne d’une certaine sympathie à l’égard des thèses institutionnalistes. C’est
ainsi qu’il contribuât à un ouvrage en majeure partie rédigée par Richard Ely intitulé “Hard TimesThe Way in and the Way out”, véritable manifeste volontariste publié au plus fort de la grande
dépression des années trente. Richard Ely, le maître de Commons qu’il cite par ailleurs, y développe
ce qu’il pense être les causes de cette crise et propose les moyens d’en sortir en combattant
activement le chômage. Cette analyse se rapproche étroitement des vues de Keynes qui prendront la
forme des politiques interventionnistes mises en œuvre par la suite à travers le New Deal. On
comprend mieux pourquoi Ely fait parti des rares économistes américains à qui Keynes adressa un
exemplaire de la Théorie Générale au moment de sa publication [Keynes, XXIX, p. 207].
Parmi les progressistes, il se trouve que Keynes entretenaient des rapports privilégiés avec
les économistes du mouvement, les institutionnalistes historiques américains. Ces rapports
commencèrent très tôt, alors même que la pensée économique de Keynes n’en est encore qu’au
stade de la gestation ; ils se poursuivront tout au long de son cheminement intellectuel et lui seront
d’un grand secours dans le processus d’émancipation qui l’amène à rompre avec la tradition
marshallienne [Vasseur, 2001].
III. Des rapports entre Keynes et l'institutionnalisme historique américain à
l’hypothèse Commons
Sur le plan des idées c'est peu dire que le début du siècle précédent est riche en évènements
pour quiconque souhaiterait faire une histoire des idées particulièrement en sciences humaines et
sociales. En effet, on est frappé par l’intensité des débats qui secouent les différents champs des
24
sciences de l’Homme durant cette période. Que ce soit en sociologie avec Max Weber, en
linguistique avec Ferdinand de Saussure, en psychopathologie avec Sigmund Freud ou encore en
philosophie avec Charles Sanders Peirce et Ludwig Wittgenstein, la période est propice pour les
remises en question des visions de l’homme, du monde et de la science cartésienne et newtonienne
héritées du XIXème siècle et véhiculées par les différents domaines de la pensée.
L’économie politique n’est pas épargnée par ce raz de marée, ses fondements s’en
trouveront fortement ébranlés notamment par les questionnements émanant de l’institutionnalisme
historique américain à la suite des premières brèches ouvertes par l’Ecole historique allemande.
D’ailleurs, il est important de préciser que la genèse de l’institutionnalisme n’est pas sans lien avec
l’avènement du pragmatisme philosophique initiée par Peirce. Le premier ayant été implicitement
ou explicitement influencé par les apports décisifs du second dans sa volonté de réforme de
l’économie, ce qui fait dire à Kilpinen [2003] que l’adoption du pragmatisme en philosophie
implique l’institutionnalisme en économie.
A. les traits caractéristiques de l’institutionnalisme historique
et ses figures emblématiques
C’est à Thorstein Veblen qu’on doit les premières attaques les plus virulentes à l’égard du
marginalisme. L’approche institutionnaliste qui n’en est alors qu’à ses premiers pas se fixe
ouvertement comme objectif l’affirmation d’un programme de recherche concurrent du
néoclassicisme. On songe ici à la fameuse déclaration de principe de Walton Hamilton à la réunion
de l’American Economic Association en 1918 publiée l’année suivante dans l’organe éditorial de
l’association55. Cette profession de foi ne tardera pas à devenir réalité, l’institutionnalisme devenant
le courant dominant Outre-Atlantique, à tel point « qu’il [était] presque devenu orthodoxe d’être
hétérodoxe » si on en suit Paul Homan [1933, p. 152].
Fort d’une vision forgée au cours de ses premiers travaux en histoire, en philosophie, et dans
ses différentes expériences au sein des institutions nationales et internationales, Keynes trouve ici
des alliés de choix dans son entreprise de réforme de la pensée économique. L’hypothèse d’une
méconnaissance, voire d’une ignorance de Keynes des travaux institutionnalistes ne résiste pas à un
examen attentif56. Très tôt, celui-ci nouent des contacts et s’imprègnent les écrits des grandes
figures de l’institutionnalisme historique. Ces relations sont d’ailleurs trop souvent mésestimées par
les biographes de Keynes selon nous, exception faite des quelques éléments éparses évoqués par
Dostaler [2005, p. 166] 57. Cette affinité intellectuelle n’a pourtant pas échappée aux premiers
commentateurs de Keynes et des institutionnalistes, respectivement A. Barrère [1952, p. 18] et A.
Gruchy [1950a, p. 96-105 ; 1950b125-126]. Néanmoins aucun auteur n’a jusqu’alors creusé plus
sérieusement ces rapports alors que ces derniers existent de manière avérée et qu’il est donc
impossible de les ignorer ou de les minimiser.
Le terme “Institutionalism” apparaît même dans ses écrits. C'est à l’occasion de la rédaction
d’une notice nécrologique en l’honneur de Herbert Somerton Foxwell en 1936 que Keynes utilise
ce terme [Keynes, X, p. 288]. Durant la période pendant laquelle Keynes fût l’éditeur de
l’Economic Journal, de 1911 à 1945, les noms de Veblen, Mitchell et Commons apparaissent de
très nombreuses fois dans les articles et notes publiés, respectivement à 39, 133 et 30 reprises.
Keynes prenait le soin de lire attentivement et de commenter tous les articles ainsi que les notes
qu’on lui soumettait et il prenait souvent seul la décision de publier ou non, ce qu’on n’a pas
55 Hamilton, W. [1919], “The Institutional approach to Economics”, American Economic Review, n°9, Supplement : 309-18.
56 G. Hodgson [2001, p. 216] se fait le chantre de cette idée sans pour autant mentionner un seul argument solide à l’appuie de sa
thèse. Pire même, il se contredit quelque lignes plus loin mais également par rapport à ces travaux précédents, comme Hogdson
[1999].
57 Gilles Dostaler mentionne que « [l]ecteur, comme en font foi ses notes, de Veblen et d’autres économistes de la tradition
institutionnaliste, Keynes s’en inspire s’en pour autant les mentionner… » [2005, p. 166], ce qui avouons-le, nous laisse notre faim.
25
manqué de lui reprocher. C’était pour lui une manière efficace de se tenir informé des dernières
avancées de l’économie [Dostaler, 2002a]. Tous ces éléments témoignent de la connaissance par
Keynes de l’institutionnalisme et que ce dernier ne reste pas cantonnée aux Etats-Unis mais pousse
ses ramifications jusqu’à Cambridge. Marshall lui-même y fait référence dans ses Principles of
Economics. Il évoque l’émergence d’un groupe de penseurs vigoureux qui prend une position
dominante aux Etats-Unis [1920, p. 633]. Il se réfère sans doute l’acte de naissance de
l’institutionnalisme formulée par Walton Hamilton en 1918 au Congrès de l’American Economic
Association que nous évoquions plus haut. Concernant Foxwell, qui fut par ailleurs proche de John
Neville Keynes, John Maynard Keynes le dépeint comme un défenseur de la perspective
institutionnaliste en économie. Il est vrai que celui-ci avait toujours manifesté son inclination pour
les institutionnalistes américains, ce qui explique sans doute sa rivalité avec Marshall et la
préférence que manifesta celui-ci pour Arthur Cecil Pigou dans sa succession à la chaire
d’économie politique à Cambridge. Les relations entre Keynes et Foxwell étaient par contre très
étroites. Foxwell tenait en haute considération les travaux de Keynes [Hession, 1985]. En retour
Keynes se sentait beaucoup plus proche de Foxwell que de Marshall [Skidelsky, 2003]. Lorsque
Pigou accéda au statut de Fellow à King’s College, Skidelsky rapporte qu’il était alors considéré
comme le successeur de Marshall et Keynes, celui de Foxwell [Skidelsky, 1983, p. 209].
Comme nous l’avons fait remarquer précédemment, très tôt, Keynes se familiarise avec les
travaux des pionniers de l’institutionnalisme. On compte parmi les lectures du jeune Keynes, celui
qui se forme à l’économie politique après un intérêt exclusivement porté sur l’histoire, la
philosophie et l’épistémologie, les travaux de Thorstein Veblen, en particulier The Theory of
Business Entreprise [Keynes, 66/UA/24]. Les thèmes majeurs développés par ce dernier dans son
ouvrage de 1904 tels que la scission progressive de la gestion et de la propriété du capital, la montée
en puissance des marchés financiers et l’opposition grandissante entre esprit d’entreprise et esprit de
spéculation au détriment du premier, sont autant de thèmes que Keynes reprendra dans son opus
magnum de 1936 58.
Aussitôt nommé au poste de Fellow de King’s College, Keynes entame une série de
Lectures dont on peut retrouver les thèmes à la page 689 du volume XII des Collected Writings.
Pour ce qui est des cours à propos des formes modernes de la firme intitulés “Company Finance and
the Stock Exchange” dispensés entre 1910 et 1913 et conservés dans ses archives 59, Keynes puise
abondamment dans l’ouvrage de Veblen pour caractériser les transformations de l’entreprise qui ont
conduit à la corporation [Lawlor, 1994, p. 207]. La distinction fondamentale qui prend la forme
d’une opposition entre spéculation et entreprise, Keynes la reprendra dans le chapitre XII de la
Théorie Générale sans mentionner pour autant Veblen 60. On peut même lui accorder le mérite
d’avoir approfondi les idées de Veblen et des institutionnalistes en la matière. En effet, les grandes
figures de la première génération des institutionnalistes ont tous à des degrés divers pensé et tenté
d’expliquer cette caractéristique institutionnelle du capitalisme de la première moitié du XXe siècle,
58 Curieusement, les Collected Writings de Keynes ne contiennent aucune mention du fondateur de l’institutionnalisme. C’est la
preuve même de l’insuffisance des sources classiques. Les notes, les correspondances, les travaux et autres manuscrits non publiés
fourmillent de détails à ce sujet. Rappelons qu’il reste pas de moins de 180 rouleaux de microfilms en guise d’archives accessibles au
public. Les archives des pionniers de l’institutionnalisme sont également très instructives sur les rapports entretenus avec Keynes. A
propos des rapports entre Veblen et Keynes, la littérature abonde. On peut citer Vining [1939], Brockie [1958], Dillard [1980], Parker
Foster et Ranson [1987], McCormick [1988], Lawson, C. et Lawson, L. [1990], Harvey [1994], Mohammed [1999a, 1999b et 2003]
ainsi que Wray [2007]. Les plus proches collaborateurs de Keynes tel que Joan Robinson n’ont pas manqué de rendre hommage à
Veblen et à s’en inspirer notamment dans la fameuse controverse des deux Cambridge sur le capital [Robinson, 1975, p. vii ; 1979,
pp. 37-40, 94-5, 116].
59 Les notes de cours délivrées par Keynes pour cette période sont conservées dans ses archives à la bibliothèque de King’s College
(Keynes, J. M. [66/UA/6], Notes on Lectures given by John Maynard Keynes in the Faculty of Economics and Politics. 1909-1923.
Keynes’s Papers, King’s College Library, Cambridge.
60 Il serait réducteur d’envisager dans un seul sens uniquement les relations entre les deux auteurs. Bien que Veblen disparût en
1929, il lut les premiers travaux de Keynes, particulièrement l’ouvrage qui le rendit mondialement célèbre, les Conséquences
économiques de la paix. Veblen en rédigea une recension publiée en 1920 dans le Political Science Quarterly (Veblen, T. [1920],
“Review of John Maynard Keynes. The Economic Consequences of Peace”, Political Science Quarterly, 35 (3), pp. 467-472).
26
la séparation progressive entre la propriété et de la gestion du capital et le conflit croissant ente les
industriels et les rentiers :
« La transformation à laquelle a été sujet le capital industriel ces dernières années a eu de
graves répercussions sur les détenteurs de droits de propriété ainsi que sur la gestion de
l’industrie. Tant que les placements sont gérés par des méthodes modernes de la finance, la gestion
se démarquera progressivement de la propriété, et aura tendance à s’en éloigner lorsque le volume
de financement de ces sociétés sera plus important » [Veblen, 1904 (1965), p. 174-175].
Philip Klein [1990], dans sa discussion sur l’homogénéité de la première école
institutionnaliste, cohérente et rassemblée autour d’idées communes, met en évidence la notion de
"position cruciale". On peut avancer ici l’idée que la mise en évidence ainsi que la réflexion sur la
dissociation du contrôle et de la propriété des entreprises comme caractéristique institutionnelle
d’un capitalisme avancé constitue une des positions cruciales auxquelles adhèrent les
institutionnalistes américains. En effet, on la retrouve chez tous les institutionnalistes de la première
génération et plus particulièrement chez Berle et Means à qui il revient d’avoir consacrée un
ouvrage fondamental en 1932, The Modern Corporation and Private Property qui traite de la
question. Avec ces derniers, Keynes entretient des rapports très étroits.
Adolf Berle a une formation de juriste à l’origine. Il fût professeur de droit à
l’université Columbia de 1927 à 1964. Il intégrera le Brain Trust est en constitue même un des
membres très influents. C’est à l’occasion de la Conférence de Paris, en décembre 1918, que
Keynes fait la connaissance de Berle alors membre de la délégation américaine [Steel, 1980, p.
152]. Son nom apparaît à de nombreuses reprises dans les œuvres complètes de Keynes. Les
chemins de Keynes et Berle se croiseront à plusieurs reprises durant les déplacements de Keynes
aux Etats-Unis. Lors de son troisième voyage dans ce pays, Keynes est amené à s’entretenir les
conseillers du New Deal parmi lesquels Berle le 15 mai 1933. Le 6 juin 1934, il présente les
épreuves de la Théorie Générale, la théorie de la demande effective ainsi que le principe du
multiplicateur appliquait à la situation américaine devant l’American Political Economy Club
auquel appartient Adolf Berle [Keynes, XIII, p. 457-468]. Keynes et Berle se retrouveront à
nouveau lors des négociations sur l’organisation du système monétaire international qui eurent lieu
entre britanniques et américains à partir de 1943.
Concernant Gardiner Means, Keynes connaît les travaux de ce dernier et s’y réfèrent
[Keynes, XXI, p. 461]. Les deux économistes se connaissent et s’apprécient. Carolina Ware, la
compagne de Gardiner Means rapporte une des rencontres qui eut lieu avec Keynes à son domicile
en 1939. Gardiner Means voulait s’assurer auprès de son ami que la Théorie Générale n’était pas
fondée sur l’hypothèse de rigidité des prix 61 [Ware, 1988, p. 2 cité par Samuels et Medema, 1990,
p. 87].
Mails il revient à Mitchell d’avoir tenté de donner un contenu empirique à l’opposition entre
la finance et l’industrie avancée par son maître Veblen, dans son ouvrage Business Cycles publié en
1913. Ces travaux sur la monnaie 62 ainsi que sur les cycles lui ont d’ailleurs valu une renommée
internationale qui n’a pas manqué de faire réagir Keynes. En effet, alors qu’il venait de prendre la
direction de l’Economic Journal en 1911, Keynes entre en contact avec Mitchell et lui commande
un article dans une lettre datée du 13 décembre 1913, article portant sur la nouvelle législation
bancaire et monétaire américaine alors que le Federal Reserve Act était en discussion aux EtatsUnis. Mitchell est alors reconnu mondialement pour un ouvrage dense et profond sur les cycles des
affaires, paru en 1913. Keynes reconnaît ainsi son expertise et lui adresse cette lettre où il fait appel
61 Means revient brièvement sur cette entrevue dans un article de 1976 (“Which Was the True Keynesian Theory of Employment?”,
Challenge, 19 (3), pp. 61-63).
62 On songe ici à ses travaux sur les "Greenbacks" : Mitchell, W.C. [1903], A History of the Greenbacks, with Special Reference to
the Economic Consequences of Their Issues: 1862-1865, University of Chicago Press. Sur Mitchell, l’institutionnalisme et la
monnaie, on pourra consulter Maucourant [1994].
27
aux compétences de Mitchell. L’article paraîtra quelques semaines plus tard 63. De là débutera une
grande affinité entre les deux auteurs 64 et Mitchell deviendra un contributeur régulier de
l’Economic Journal. Keynes sera amené à revoir Mitchell à de nombreuses reprises. Ce dernier
rapporte ainsi les entrevues qui eurent lieu entre Keynes et lui-même pendant son séjour en
Angleterre en tant que Professeur invité à Oxford en 1931-32 [Mitchell, 1969, p. 825]. Ces
rencontres se poursuivront au cours des voyages de Keynes aux Etats-Unis durant l’année 1934
notamment à l’occasion de la remise d’un doctorat Honoris Causa de l’université Columbia le 5
juin 1934 [Keynes, XXI, p. 320 et XIII, 456]. Keynes puise abondamment dans l’ouvrage de
Mitchell pour son Treatise on Money [Keynes, V et VI]. En retour, Mitchell émettra des
commentaires très enthousiastes à l’égard du Treatise [Mitchell, 1969, p. 825]. On peut suivre la
progression de sa lecture de l’ouvrage dans ses notes personnelles [Mitchell, 1969]. Il fera l’éloge
des travaux de Keynes sur la monnaie et la prise en compte du temps, du Treatise on Money à la
Théorie Générale, au cours de nombreuses participations aux séminaires organisés à Columbia
[Mitchell, ibid., p. 825-6]. Rappelons également que Mitchell prendra la direction du NBER à sa
création en 1920 et ce jusqu’à 1945. Cette institution s’est spécialisée dans les études empiriques et
la collecte ainsi que le traitement de statistiques pour l’économie américaine. De l’autre côté de
l’Atlantique, les données concernant l’économie britannique sont trop pauvres aux yeux de Keynes
notamment. De nombreux économistes réunis autour de lui ne cessent de pointer cette insuffisance
et appelleront de tous leurs vœux la mise en place d’un institut semblable à celui que dirige Mitchell
[Dostaler et Jobin, 2000]. Ce dernier soutiendra l’initiative de Keynes et de ses collègues pour la
mise en place d’une telle institution sous la forme d’un département d’économie appliquée à
Cambridge [Mitchell, ibid, p. 827].
Durant son passage à Oxford entre 1931 et 193265, Mitchell, Harrod, Phelps-Brown
et Bretherton se réunissaient régulièrement dans le cadre de conférences bimensuelles portant sur la
nécessité de mettre en place un département de recherche économique empirique dans une
université britannique. Les économistes anglais sollicitèrent à ce propos l’aide de Mitchell en raison
de son expérience fructueuse dans la constitution du NBER, et son soutien pour obtenir des fonds
auprès de la Fondation Rockfeller. Ce département verra finalement le jour en 1944 à Cambridge et
Mitchell fût choisi pour le prononcer le discours inaugural [Mirowski, 1985, p. 45]. Keynes a
toujours manifesté une grande admiration pour le travail statistique dont s’acquittait avec efficacité
Mitchell et ses collègues du NBER. Il avait toujours un œil sur leurs travaux et partit très tôt en
croisade pour la constitution d’un organisme similaire en Grande-Bretagne. Ainsi Mirowski avance
que les travaux empiriques du NBER donnant une légitimité empirique au concept de revenu
national ont joué un rôle décisif dans la décision de Keynes de faire reposer la Théorie Générale
sur cette entité macroéconomique [1989, p. 307].
Parmi les relations prolongées que Keynes entretient avec les grandes figures de
l’institutionnalisme, on peut ajouter celles avec John Maurice Clark. Lui aussi est attentif aux
travaux de Keynes, il était également membre de l’American Political Economy Club devant lequel
Mitchell relaya les thèses de Keynes et ce dernier présenta les épreuves de la Théorie Générale (Cf.
supra). Les Collected Writings de Keynes font état de rencontres, de débats, d’échanges d’idées et
même d’une correspondance entre les deux économistes, certes mince mais qui témoignent d’une
estime réciproque. Ironie de l’histoire, Clark qui se réclamait de l’institutionnalisme, mettait en
garde Keynes contre les dangers de la formation d’une école à son effigie et des dérives possibles
d’une telle sanctuarisation de sa pensée. L’Histoire donnera raison à Clark, la naissance du
63 Mitchell, W. C. [1914], « The New Banking Measure in The United States », The Economic Journal, 24 (93), March, pp. 130-138.
64 On trouve des éléments intéressants sur les relations entre Mitchell et Keynes dans Miroswki [1985] et Stoneman [1979]. D’autres
thématiques non sans lien avec la question de la monnaie, tel que le rejet de l’utilitarisme benthamien sont communes aux deux
auteurs. Mitchell a ainsi écrit une critique désormais célèbre à l’égard de J. Bentham : Mitchell, W. C. [1918], “Bentham’s Felicific
Calculus” Political Science Quarterly, 32 (2), pp. 161-183. Mitchell était également en contact avec un des plus proches
collaborateurs de Keynes, Roy Harrod (cf. « The Collected Interwar Papers and Correspondence of Roy Harrod » electronic version
edited by Daniele Besomi).
65 Sur le séjour de Mitchell à Oxford, voir Harrod [1949].
28
keynésianisme de la synthèse aux Etats-Unis sous l’impulsion de Alvin Hansen notamment, par
ailleurs proche des institutionnalistes, confirmera les craintes de Clark. L’affaiblissement progressif
de l’institutionnalisme à la sortie de la guerre et la domination sans partage de la synthèse
néoclassique – la lecture néoclassique de la pensée de Keynes par Hicks et Samuelson entre autres annihilera toute possibilité de rapprochement et de fécondation mutuelle entre les deux courants
pourtant prometteuse au regard des perspectives mentionnées ci-dessus 66. Ajoutons enfin que
parallèlement à Keynes et Kahn, John Maurice Clark travaillait sur sa propre version du
multiplicateur. Ses travaux s'inscrivaient dans le cadre du National Planning Board et firent l'objet
de plusieurs publications [Clark, 1935a et b] 67
On pourrait également mentionner les relations que Keynes a entretenu avec d’autres figures
de l’institutionnalisme de moindre importance certes, mais non moins intéressantes. On songe ici à
Rexford Tugwell ou encore à Richard Ely 68, le maître de Commons. Mais l’intérêt de cette partie
consiste moins à recenser toutes les relations que Keynes a pu cultiver avec les institutionnalistes il va sans dire que l’espace de cet article serait trop insuffisant - qu’à montrer que les travaux des
institutionnalistes du moins ceux des grandes figures, ne sont pas étrangers à Keynes et qu’il s’en
imprègne et s’en inspire pour partie.
Néanmoins, nous n’avons pas évoqué jusqu’ici les relations propres entre Keynes et
Commons. Pourtant, de tous les institutionnalistes c’est celui dont il est et dont il se sent le plus
proche. N’est-ce pas lui qui confessait à Commons, qu'« il n’y a pas d’autres économistes avec
lequel [il] se sente dans un tel authentique accord avec la façon de penser » ?69.
B. Du mystère des rapports Keynes-Commons à l'hypothèse
Commons
Comme nous l’avons déjà fait remarquer les propos de la lettre de Keynes à Commons
dénotent par rapport à l’être de caractère que fut Keynes. Elle suggère en tout état de cause que la
connaissance par Keynes des idées des institutionnalistes historiques américains et celles de
Commons en particulier est plus large et plus précise que ne le laisserait entendre la simple lecture
par amabilité d’un article envoyé par un confrère d’outre atlantique de vague connaissance. Il faut
convenir par conséquent que le sujet de l’accord ne se limite pas comme le suggèrent notamment
certains biographes de Keynes au seul problème de la périodisation ternaire des phases du
développement du capitalisme. C’est ce que montre la «petite histoire » des références explicites
que fait Keynes à Commons, mais surtout, pourrait-on être tenté de dire, de celles qui ne sont
qu’implicites.
Keynes cite Commons pour la première fois dans « Am I a Liberal ? ». Dans ce texte,
Keynes reprend explicitement la périodisation commonsienne de l’Histoire du capitalisme en
prenant soin de souligner le caractère éminent de Commons en tant qu’économiste. Il écrit, en effet,
« Un éminent économiste américain, le professeur Commons, qui a été l’un des premiers à
identifier la nature de la transition économique dont nous vivons les premières phases, distingue
trois époques, trois ordres économiques, dans la troisième desquelles nous sommes en train de
nous engager ». La première est l’ère de la rareté, « qu’elle ait pour cause l’inefficacité ou la
violence, la guerre, la coutume, ou la superstition ». Pendant cette période, il y a le minimum de la
66 Sur ce point, se référer à Thabet [2003]. Nous nous sommes limités néanmoins dans ce travail à un survey relativement complet
des thématiques communes à Keynes et à l'institutionnalisme historique américain sans chercher à retracer les pistes tortueuses et les
méandres des rapports entre Keynes et les auteurs institutionnalistes.
67 La question de savoir si Clark à précéder Kahn a fait l'objet d'un article intéressant de Fiorito [2001] dans lequel l'auteur répond
par l'affirmative. Voir également la réponse de Robert Dimand [2002].
68 Ely fait parti des rares économistes américains à qui Keynes adressa un exemplaire de la Théorie Générale au moment de sa
publication [Keynes, XXIX, p. 207]. Voir également Tilman [1992].
69 Lettre de Keynes à Commons datée du 26 avril 1927 in Commons, J.R [1982], John Rodger Commons Papers, reel 4, p. 448,
State Historical Society Wisconsin, Madison (archives).
29
liberté individuelle et le maximum de contrôle, communautaire, féodal ou gouvernemental par le
recours à la coercition physique » (…) Vient ensuite l’ère de l’abondance. « Dans une période
d’extrême abondance, on trouve le maximum de liberté individuelle et le minimum de contrôle
coercitif exercé par le gouvernement, et les transactions individuelles se substituent au
rationnement »( …) Mais nous entrons maintenant dans une troisième ère que le professeur
Commons appelle la période de stabilisation et qu’il définit comme « la réelle alternative au
communisme de Marx » Dans cette période, dit-il, « il y a une diminution de la liberté individuelle,
imposée en partie par des actions gouvernementales, mais surtout par des sanctions économiques à
travers l’action concertée-secrètement, semi-ouvertement, ouvertement ou par arbitrage
d’associations, de syndicats et autres organisations collectives d’industriels, de commerçants, de
travailleurs, d’agriculteurs et de banquiers » [Keynes, 1925, IX, pp. 303-4] 70.
L’intérêt de cette longue citation ne réside pas pour le moment dans la signification de
l’accord de Keynes avec la perspective historique dégagée par Commons notamment à propos des
rapports entre liberté et action collective ou au sujet de la troisième voie entre le laissez faire et
l’autoritarisme (fascisme, nazisme ou communiste), mais dans les questions des dates et par
conséquent de la nécessité de cerner du point de vue chronologique le moment où Keynes entre en
rapport avec Commons et ses écrits. Ici, on se heurte à des difficultés quasiment infranchissables et
surtout à certaines contradictions assez criantes. L’hypothèse que nous avançons est clairement en
contradiction avec certains points de vue qui ont eu pour tendance de nier ou du moins de minimiser
les rapports de Keynes avec certaines figures centrales de l’Institutionnalisme Historique américain
et au-delà avec l’école historique allemande.
C’est le cas de Hodgson [2001, p. 216] par exemple. Fervent admirateur de Veblen et
critique, parfois acerbe et par voie de conséquence quelque peu injuste envers Commons, il n’hésite
pas, pour infirmer l’assertion de Skidelsky selon laquelle Commons aurait représenté l’une des plus
grandes influences méconnues sur Keynes, à affirmer qu’à l’évidence, celui-ci n’a jamais tourné
une seule page de « Legal Foundations » ni de « Institutional Economics ». Or, Hodgson, luimême, reconnaît (peut-être pour donner le change), dans une note de bas de page, il est vrai, qu’il
ne sait pas dans quelles circonstances et par quels biais Keynes a pu prendre connaissance des
versions originales des écrits de Commons. Hodgson tombe dans le piège des contradictions de sa
propre argumentation71. Il reconnaît, en effet, d’abord que Keynes a eu effectivement connaissance
des idées de Commons, suppute, ensuite, que Keynes n’a jamais tourné une seule page écrite par
Commons et n’avance, enfin, aucun indice concernant les circonstances dans le cadre desquelles se
nouent les rapports Keynes-Commons. Les affirmations de Hodgson, en tout cas à propos de
l’existence de ces rapports, plaident plutôt en faveur de la pertinence de notre hypothèse. Si l’on
songe, par ailleurs, que la lettre de Keynes date de 1927 et que les premières versions de
« Reasonable Value » datent au moins de 1923, la conclusion qu’il faut en tirer est que pendant
cette période Keynes connaît Commons sans préjuger du caractère continu ou non de leur relation.
De plus, il est avéré que Keynes a entretenu des rapports étroits avec Mitchell et que ce dernier 72 et
Commons sont non seulement des figures incontournables de l’institutionnalisme historique, mais
comptent parmi les fondateurs du NBER. Sauf que Hodgson insinue que Keynes aurait été ingrat
dans la mesure où Mitchell n’est pas suffisamment cité dans la Théorie Générale, bien que celui-ci
ait activement œuvré afin que Keynes soit fait lauréat d’un doctorat honoris causa par l’université
de Columbia! Que Keynes ait été sensible aux honneurs, nul ne peut en disconvenir, mais qu’il soit
70 Tous les passages cités sont tirés de La pauvreté dans l’abondance, Ed. Gallimard [2002], pp 26-29. Nous reviendrons plus loin
sur les problèmes de la chronologie que soulève cette citation.
71 G. Hodgson s’est pourtant longtemps fait le chantre de l’idée selon laquelle l’institutionnalisme historique a "préparé le terrain" à
la révolution keynésienne. Selon lui, les deux courants sont très proches sur le plan des idées et devraient donc s’allier face à la toute
puissance néoclassique. Cf Hodgson [1989, 2000, 2001].
72 Autre fait relativement méconnu, Mitchell fut l’un des rares économistes américains à avoir intégré dans son propre enseignement
les idées de Keynes.
30
réduit pour en avoir de faire des références à ceux en situation de l’aider dans ce sens reviendrait à
lui attribuer a contrario des mobiles bassement intéressés pour ne pas dire purement
« utilitaristes »73.
En tout état de cause, les opinions d’Hodgson nous confirment dans l’idée que
beaucoup de flou et d’imprécisions entourent les rapports entre Keynes et l’institutionnalisme
historique en général et entre Keynes et Commons en particulier. L’examen de la chronologie à la
fois de la lettre et des citations explicites de Commons doivent par conséquent être examinées avec
grand soin et non pas balayer d’un revers de main.
Keynes mentionne Commons pour la première fois textuellement dans une adresse intitulée
"Am I a Liberal ?", présentée devant la Liberal Summer School à Cambridge le 1er août 1925. Elle
est publiée par la suite en deux parties dans The Nation and Athenaeum les 8 et 15 août de la
même année74. Il fait de nouveau référence à Commons, la même année, au cours d’une allocution
prononcée le 15 septembre à Moscou à l’occasion du bicentenaire de l’Académie des sciences de
l’URSS, où il siégeait en tant que représentant officiel de l’Université de Cambridge 75.
D’où proviennent ces citations ? A quel(s) texte(s) de Commons Keynes se réfère-t-il ? La
réponse à ces questions n’est pas aisé surtout lorsqu’on envisage les différentes hypothèses émises
par les rares auteurs qui se sont penchés sur les rapports entre Keynes et Commons. D’ailleurs,
l’Histoire de la pensée économique s’est curieusement beaucoup intéressée aux rapports
controversés certes mais réellement existants entre Keynes et la première grande figure de
l’institutionnalisme, Veblen, sans doute en raison des critiques radicales de ce dernier à l’égard de
l’édifice néoclassique. On a tous, en effet, à l’esprit les attaques dévastatrices émises par Veblen 76
vis-à-vis des fondements anthropologiques de la figure de l’Homo oeconomicus, et la posture
radicale similaire adoptée par Keynes à l’encontre du paradigme (néoK-)lassique ainsi que des
rapprochements possibles autour des "mesures" préconisées par les deux auteurs afin de
"sauvegarder" la civilisation occidentale. Pour notre part, nous tenterons de montrer le bien-fondé
d’un rapprochement possible et en tout cas souhaitable entre Keynes et Commons.
Une première piste est suggérée par Atkinson et Oleson [1998, p. 1022]. Selon ces deux
auteurs, Keynes se réfèrerait au célèbre article de Commons sur l’industrie de la chaussure aux
Etats-Unis [Commons, 1909]. Or, après lecture attentive du texte, la conclusion à laquelle on
aboutit est qu’il ne s’agit pas de ce texte-ci et ce pour plusieurs raisons. Il est vrai que dans ce texte
Commons adopte une démarche historico-analytique dont la trame sera reprise par la suite puisqu’il
la réutilisera dans son opus magnum de 1934 [Commons, 1934a, p.763-773], mais en aucun cas il
ne s’agit de la périodisation historique en trois phases. Le découpage s’y effectue plutôt en huit
périodes dont chacune correspond à l’évolution des organisations de protection des travailleurs
allant de "The Compagny of Shoemakers" (1648) à "The Boot and Shoes Workers Union"
(1895) : face à l’évolution du marché et des conditions de production dans l’industrie de la
chaussure aux Etats-Unis de 1648 à 1845, les travailleurs durent se constituer en organismes de
protection afin de protéger leur statut et d’influer sur les modalités de répartition des richesses. Cet
exemple permet à Commons de développer sa conception de l’émergence du salariat en tant que
rapport social fondamental du capitalisme.
Une autre hypothèse envisagerait Legal Founations of Capitalism comme source d’où
Keynes aurait tiré ses citations. C’est notamment la voie défendue par Hession [1984, p. 203 et 382]
73 Et pourtant Hodgson n’omet pas de préciser que l’un des caractères insupportables de Keynes et qu’il avait ce travers de ne pas
citer systématiquement ses sources. Au lieu de chercher des raisons purement intéressées, il aurait du invoqué plutôt cette raison !
74 La version intégrale est reproduite dans le volume IX des Collected Writings [1972, pp. 295-306].
75 C’est à l’occasion d’un séjour en URSS du 4 au 15 septembre 1925 que Keynes est amené à présenter deux textes : "The
Economic Position in England", le 14 septembre et "The Economic Transition in England"le 15. La référence à Commons se trouve
dans la deuxième allocution. Les deux textes sont reproduits dans le premier tome du volume XIX des Collected Writings [1981, pp.
434-442].
76 Voir notamment les textes rassemblés dans Veblen [1919].
31
77
et Hanin [2003a, p. 73]78. Pour les deux auteurs, la référence à Legal Foundations serait naturelle
en raison de son antériorité chronologique immédiate. Il est vrai que l’ouvrage publié en janvier
192479 constitue l’essai d’analyse historique du capitalisme le plus abouti de Commons. Ce dernier
y adopte effectivement une périodisation de l’évolution du capitalisme anglo-américain en trois
phases, féodalisme, capitalisme et industrialisme. Il ne s’agit donc pas des ères ternaires citées par
Keynes.
J.D. Chasse [1991, p. 447-8], dans un court article consacré aux philosophies de l’action de
Commons et Keynes, avance quant à lui l’article critique de Commons consacré à Marx datant de
novembre 1925 [Commons, 1925c]. Là encore, le problème est double. Non seulement il y a
manifestement incohérence chronologique - l’article de Commons date de novembre 1925 alors que
la référence de Keynes est bien antérieure – mais plus encore, même si la périodisation est
effectivement articulé autour des phases de rareté, d’abondance et de stabilisation, Commons
semble la placer beaucoup plus au niveau de l’évolution de la Common Law et non en tant que
découpage de l’évolution du capitalisme anglo-américain en phases historique80 comme il le fait
dans Institutional Economics. Il semble clair que Keynes ne fait pas référence à cet article de
Commons, les citations ne correspondant pas, en effet, à cette source.
Enfin, Thierry Demals traducteur du texte « Am I liberal ? » dans le cadre du recueil de textes de
Keynes La pauvreté dans l’abondance, avance dans une note de bas de page que Keynes cite des
passages d’Institutional Economics [2002, p. 26-27]. Il est vrai qu’a priori, les passages cités par
Keynes semblent bien présent dans l’opus magnum de Commons [1934a, p. 774]. Il faut néanmoins
préciser en plus du problème chronologique – la source qu’il retient date de 1934 alors que le texte
de Keynes est de 1925…- que lorsqu’on y regarde de plus près les citations en question ne
correspondent pas totalement aux passages de Institutional Economics ; il y a en effet une
différence de trois mots et une phrase substituée…Pourtant Keynes prend bien le soin d’utiliser les
guillemets ! Le problème demeure donc entier.
Aucune des pistes mentionnées ci-dessus ne permet de percer le mystère de la source d’inspiration
de Keynes et pour la découvrir, il faut quitter le domaine des publications officielles de Commons
pour rechercher du côté de ses notes, de ses manuscrits, de ses correspondances inexploitées et se
plonger dans ses archives.
Une recherche approfondie nous a en effet permis de découvrir qu’au milieu des années
vingt, Commons disposait d’un manuscrit qu’il venait d’achever sous le titre provisoire de
Reasonable Value, dont il tirera par la suite plusieurs ouvrages bien distincts. C’est sur les conseils
de Mitchell81 que Commons le scinda comme en atteste la correspondance entre les deux
institutionnalistes. Dans une missive datée du 30 octobre 1922 accompagnée du manuscrit complet
de Reasonable Value, Commons écrit, en effet, à Mitchell :
« Je prends l’initiative de vous envoyer expressément le manuscrit révisé de mes derniers
chapitres sur les théories de la valeur basées sur les décisions de justice […] J’apprécierai
77 Les passages en question ne se trouvent que dans l’édition originale en anglais. Outre les interprétations quelque peu déroutantes
de la vie et de l'œuvre de Keynes, la biographie de C. Hession souffre d'être souvent approximative notamment dans les datations et
ne contient pas les références des citations. Ces carences la rendent par conséquent secondaire dans les sources biographiques sur
Keynes. Néanmoins l'auteur a tout de même perçu la proximité entre Keynes et les économistes institutionnalistes : « En termes de
méthodologie et par référence à des écoles de pensée, Keynes était d'une certaine manière un institutionnaliste qui s'intéressait à
la culture, aux structures sociales et au caractère psychologique des êtres humains à l'intérieur du système économique qu'il
étudiait » (spn) [1985, p. 245]
78 Dans un autre travail, Hanin avance cette fois l’article de 1909 sans expliquer pour quelles raisons il se réfère à une source
différente. Cf [Hanin, 2003b].
79 Nous remercions Jeff Biddle, avec qui nous avons eu de brefs échanges épistolaires, pour ses précieux conseils sur les datations
précises des œuvres de J.R. Commons.
80 Chasse remarque fort justement cet aspect pointant au passage une prétendue erreur d’interprétation de Keynes mais il passe
curieusement sous silence la non-concordance des citations et le problème chronologique.
81 Sur les rapports entre Mitchell et Commons, on pourra consulter Dorfman [1958], Mitchell [1969] ou encore Harter [1962].
32
grandement vos commentaires et critiques éventuels sur mon travail »82.
Ce à quoi Mitchell répond, le 29 mars 1923 :
« […] Votre travail aura sans nul doute une grande influence sur la théorie économique et,
peut-être, sur la jurisprudence, mais […] cette influence prendra sans doute du temps […] Votre
ouvrage est trop original pour escompter un rapide succès. Il est aussi trop volumineux en l’état
pour être lu par le plus grand nombre. Avez-vous envisagé de publier dans un premier temps les
chapitres 1-9, laissant ainsi un peu de temps aux lecteurs afin d’en assimiler le contenu, et ensuite
publier indépendamment les chapitres 10-12, peut-être sous un autre titre ? » 83
Commons accepte le conseil amical de Mitchell et le lui signifie dans sa réponse datant du 9
avril 1923 :
« Je vous suis particulièrement reconnaissant à propos de votre suggestion de publier
[Reasonable Value] en deux volumes selon la séparation que vous m’avez suggérée. Je me mets
immédiatement au travail afin de préparer le premier volume qui je l’espère sera prêt pour cet
automne. Cela me donne donc 2 à 3 ans pour travailler sur une revue des différentes étapes de la
pensée économique84 ».
Du manuscrit il extrait donc un premier ouvrage intitulé Legal Foundations of Capitalism
et publié en janvier 192485. Il réitèrera d’ailleurs ses remerciements à l’égard de Mitchell dans la
préface de Legal Foundations [Commons, 1924, p. xxxvi].
Commons maintiendra dans un premier temps l’autre partie du manuscrit sous le titre de
Reasonable Value dont on sait qu’il a servi de support de cours à son auteur. On sait également
que le manuscrit en question a circulé au sein du milieu universitaire86 [Rutherford, 2006]. Il a
même fait l’objet d’une publication à peu d’exemplaires datée de 1925 aux éditions Edward
Brothers (Ann Arbor, Michigan, USA) portant cette étrange mention « To be Revised »87. Cette
diffusion discrète explique très vraisemblablement pourquoi l’ouvrage est si peu connu y
compris des spécialistes de Commons88. Il servira de base à l’ouvrage qui ne sera publié que dix
ans plus tard sous le titre d'Institutional Economics89, on retrouve en effet l’intégralité des thèmes
82 Lettre de Commons à Mitchell, 30 octobre 1922, Wesley Mitchell papers, Series C, Box 8, Bulter Library, Columbia Univerity.
83 Lettre de Mitchell à Commons, 29 mars 1923, Wesley Mitchell papers, Series C, Box 8, Bulter Library, Columbia Univerity.
84 Lettre de Commons à Mitchell, 9 avril 1923, Wesley Mitchell papers, Series C, Box 8, Bulter Library, Columbia Univerity.
85 Nous remercions Jeff Biddle, avec qui nous avons eu de brefs échanges épistolaires, pour ses précieux conseils sur les datations
précises des œuvres de J.R. Commons
86 On en retrouve même la trace dans une note de bas de page d’un article publié dans l’Economic Journal alors dirigée par
Keynes…[Ficek, 1934].
87 L’ouvrage d’environ 125 pages – Institutional Economics en comporte quant à lui environ plus de 900- est composé d’une brève
introduction et des 8 sections suivantes :, I. Physical Theories – Efficiency (Commodities), II.Biological Theories – Scarcity
(Feelings), III.Institutional Theories – Custom (Transactions), IV.Institutional Theories – Sovereignty, V. Futurity, VI. Method of
Inquiry, VII. Scarcity, Abundance, Stabilization, VIII. Outline of Reasonableness in Economic and Juristic Theory [Commons,
1925b].
88 Malcolm Rutherford, dans sa riche préface de la réédition de Institutional Economics aux éditions Transaction Books [1990]
n’évoque jamais Reasonable Value. La très riche bibliographie de Commons qui se trouve à la fin de l’édition posthume de The
Economics of Collective Action [1950] réalisée par Robert G. Spitze et supervisée par Selig Perlman ne fait mention de Reasonable
Value, ni sous sa forme manuscrite, ni dans sa version publiée à faible tirage. La tout aussi dense bibliographie de Commons publiée
dans le numéro spécial des Cahiers d’Economie Politique (n°40-41) renvoie à Reasonable Value mais il semble qu’il y ait confusion
sur la nature de cet écrit car l’auteur de la bibliographie renvoie curieusement pour cette référence à une traduction française d’un
autre article de Commons (« Institutional Economics » [1936], 1938 pour la traduction française publiée dans le recueil en l’honneur
d’Edouard Lambert. Cf. bibliographie).
89 Entre temps, Commons a "provisoirement" suspendu ses activités de recherche au profit d'une participation active à des
commissions régionale et fédérale, à la rédaction de projet de lois sur l’indemnisation du chômage et des accidents du travail et à des
études pratiques sur le syndicalisme des travaux éditoriaux collectifs. Le témoignage de Kenneth Parsons, un proche collaborateur de
33
de Reasonable Value repris dans Institutional Econmics90. D’ailleurs Commons présente
Reasonable Value comme un chapitre introductif à un prochain livre prolongeant les analyses de
Legal Foundations of Capitalism (Lettre de Commons à Louis Slichter en date du 30 mai 1925,
reproduite en annexe).
Il est désormais avéré que c’est de cette source que Keynes tire les passages qu’il cite dans
« The End of Laissez-faire ». Plusieurs éléments que nous avons pu mettre à jour récemment
l’attestent formellement91.
Le premier d’entre eux vient compléter le chaînon manquant des relations KeynesCommons ; si jusqu’ici seule une lettre subsistait, nous avons pu nous procurer une autre partie de
la correspondance qui restait inexplorée92. En particulier une lettre de Keynes à Commons en
réponse à une première missive manquante93 qui accompagnait l’envoi d’un manuscrit…
Reasonable Value ! En voici le contenu sans équivoque :
« Cher Professeur Commons,
tous mes remerciements pour l’envoi du chapitre introductif de votre prochain ouvrage
"Reasonable Value". Je l’ai lu avec un très grand intérêt en particulier la section 6. Mais ma
propre pensée est actuellement engagée dans un autre champ économique. Bien que j’ai beaucoup
apprécié votre chapitre, je ne suis pas en mesure actuellement de vous transmettre une critique
pertinente […] » [Lettre de Keynes à Commons datée du 7 juillet 1925 en annexe, c’est nous qui
traduisons et soulignons]
Les passages de Commons que Keynes cite dans « The End of Laisser-Faire » se trouve
dans la section 7 de Reasonable Value (pp. 95–120) et couvre les mêmes thématiques que la section
3, partie VII (« Collective Action »), chapitre X (« Reasonable Value ») de Institutional Economics
[1934a]. On retrouve les quatre passages cités par Keynes "mot pour mot" aux pages 97 et 98.
Enfin, un dernier élément appartenant à la série de lettres mises à jour récemment mérite
d’être mentionné. Sam Snow de la « Ashington Industrial Cooperative Society Ltd » qui assista à
l’intervention de Keynes à la Liberal Summer School le 1er août 1925 dont le texte « The End of
Laisser-Faire » est tirée, adressa le 31 août 1925 à Commons une lettre où il déclare à ce dernier :
« Récemment notre éminent économiste John Maynard Keynes a donné une conférence
Commons à qui l’on doit l’édition posthume de The Economics of Collective Action [1950] décrit comment Commons remania le
manuscrit au tout début des années 30 pour le publier dans la foulée [Parsons, 1985, p. 760].
90 Une section de l’ouvrage de 1934 comporte le titre de « Reasonable Value ». Commons procèdera à la révision du manuscrit dans
la deuxième moitié des années 20 et au tout début des années 30. Le premier chapitre à faire l’objet d’une révision est la section VI
« Method of Inquiry ». Commons ajoutera par la suite des chapitres relatifs à la monnaie, au crédit et aux prix (Lettre de Commons à
Mitchell en date du 14 novembre 1927). Finalement, d’un manuscrit comportant au départ 125 pages, Commons aboutit à
Institutional Economics qui en contient plus de 900…
91 Nos plus sincères remerciements au Professeur Charles Whalen qui, travaillant sur un problématique complémentaire à la notre
concernant les rapports entre Keynes et Commons, nous a mis sur la bonne voie qui confirmait nos intuitions initiales. Ses travaux
ont donné lieu à une publication [Whalen, 2008] qu’on lira avec grand profit.
92 Il faut en effet préciser que cette correspondance mises à jour récemment était conservée dans des dossiers non référencés aussi
bien dans les archives de Keynes que dans celles de Commons. De plus, comme nous l’ont confirmé Patricia McGuire, archiviste
principal de King’s College en charge des archives de Keynes et Harry Miller de la Wisconsin Historical Society où sont conservées
celles de Commons, le fait qu’il n’y ai pas trace de lettres entre Keynes et Commons datant d’avant 1927 ne présume en rien de
l’absence de correspondance entre les deux auteurs avant cette date compte tenu de l’incomplétude des sources dans les deux cas.
93 Curieusement, là encore on ne dispose pas de la première lettre de Commons à Keynes qui accompagne le manuscrit. Le contenu
de cette lettre est probablement similaire à celle envoyée par Commons à Louis Slichter en date du 30 mai 1925 dont voici une partie
du contenu : « Cher Louis, je vous envoie […] une copie du chapitre introductif de mon prochain ouvrage Resonable Value qui fait
suite à Legal Foundations of Capitalism. Si vous trouvez le temps de le lire et de formuler des critiques et remarques, j’en serai très
heureux » (Lettre de Commons à Slichter datée du 30 mai 1925 en annexe, c’est nous qui traduisons et soulignons). C’est en effet à
cette période que Commons envoie des exemplaires de son Reasonable Value à plusieurs correspondants parmi lesquels on retrouve
les progressistes Karl Llewellyn, Roscoe Pound et Felix Frankfurter.
34
devant la Liberal Summer School. Au cours de cette conférence, il a annoncé qu’il y a eu le
privilège de lire un ouvrage d’économie écrit par vous-même […]. Les rubriques qu’il a évoqué
sont premièrement, l’ère de la rareté, deuxièmement l’ère de l’abondance, troisièmement l’ère de
la stabilisation. J’ai immédiatement écrit à Keynes pour avoir plus d’informations sur l’ouvrage et
d’autres éléments sur l’auteur. Mr Keynes m’a recommandé de vous écrire directement cette lettre
[…] » (Lettre de Snow à Commons daté du 31 août 1925 en annexe, c’est nous qui traduisons)94
Les preuves que Keynes disposait bien de Reasonable Value sont donc clairement établies et
ne peuvent plus faire l’objet de l’ombre d’un doute. A cela s’ajoutent de nouveaux éléments nous
permettant d’affirmer que les contacts entre Keynes et Commons étaient beaucoup plus régulier
qu’on ne le pense généralement95. En effet, Les deux économistes ont correspondu au cours de
l’année 1925 puis à de nombreuses reprises en 1927. La correspondance s’arrête alors brutalement à
partir de cette date pour ne reprendre qu’en 1931.
Dans une lettre datée du 10 octobre 1931 (en annexe), Commons sollicite l’avis de Keynes sur un
document confidentiel qui concerne les moyens de restaurer et de stabiliser les prix agricoles à leurs
niveaux de 1928. Ces mesures impliquent en outre la concertation des banques centrales des EtatsUnis et d’Angleterre car elles risquent de provoquer des transferts d’or entre les deux institutions.
La réponse de Keynes en date du 1 novembre 1931 est assez détaillée et témoigne une nouvelle fois
d’une certaine proximité pour ne pas dire d’une proximité certaine entre les deux économistes
(également en annexe). Mais curieusement on ne trouve plus trace de quelque correspondance audelà de cette date.
Par contre, peu de temps après, à partir de 1933, des liens importants se nouent à nouveau
entre Keynes et l’entourage de Commons96, en particulier avec Harlan Linneus McCracken, un
étudiant de Commons.
McCracken (1899-1961) a soutenu une thèse à l’Université du Wisconsin sous la direction
de Commons en 1923 [Rutherford, 2006]. Il a également cosigné avec son maître (et William E.
Zeuch) un article qui présente un survey des différentes théories économiques du cycle [Commons,
McCracken et Zeuch, 1922].
Il semble que McCracken ait eu une influence décisive sur Keynes au moment où ce dernier
était en pleine rédaction de la Théorie Générale. En effet, McCracken après un bref passage à
l’Université du Minnesota et une nomination à la Louisiana State University, publia quelques
années plus tard, au début de l’année 1933, un important ouvrage intitulé « Value Theory and
Business Cycles »97.
On peut y lire que l’ouvrage inspiré des idées pionnières de Malthus constitue « une étude
du problème de la demande effective ». L’auteur y réfute la tradition ricardienne et « la Loi de Say »
selon laquelle « l’offre crée sa propre demande » [p. 159]. Le cœur de la Théorie Générale se
trouve ici tout entier énoncé !
Il est avéré que Keynes a bien reçu l’ouvrage au début de l’année 1933 et l’a lu avec
attention. Dans les Collected Writings, Keynes cite McCracken dans une note de bas de page d’une
94 Commons a pris le soin de répondre à Snow dans une lettre datée du 22 septembre 1925 accompagnée d’un exemplaire de
Reasonable Value avec l’indication que le passage sur les ères de la rareté, de l’abondance et de la stabilisation se trouve à partir de
la page 95. (Lettre de Commons à Snow datée du 22 septembre 1925 en annexe).
95 Ces éléments viennent définitivement infirmer les allégations de G. M. Hodgson sur la méconnaissance voire l’ignorance de
Keynes des travaux des institutionnalistes en général et de Commons en particulier.
96 Parmi les nombreux étudiants formés par Commons, on trouve un certain Hilary Marquand (1901-1972), homme politique
britannique travailliste, ministre des retraites de 1948 à 1951, qui a suivi le séminaire de Commons à l’Université du Wisconsin
(1932-33) avant d’y retourner en 1938-39 en tant que Professeur invité. On lui doit en autre une récession élogieuse de
l’autobiographie de Commons publiée dans l’Economic Journal de Keynes dans laquelle il déclare « si le Professeur Commons
pouvait lire ceci (la note, ndt) il saurait que ses travaux sont reconnus de l’autre côté de l’Atlantique » [1936, p. 139].
97 McCracken consacre un passage conséquent de la préface à remercier John R. Commons pour ses précieux conseils aussi bien
dans la préparation que dans la progression à tous les niveaux de l’ouvrage.
35
des épreuves de la Théorie Générale [XXIX, p. 81, note 1] qu’un de ses plus importants
commentateurs, Donald Moggrdige [1973] date de 1933. Cette note intervient immédiatement après
que Keynes ait utilisé pour la première fois l’expression « l’offre créée sa propre demande » [Ibid,
p. 80].
Malheureusement ni les Collected Writings ni les archives de Keynes à King’s College ne
contiennent trace des rapports entre Keynes et McCracken. Pour cela, il faut se référer à la Hill
Memorial Library de la Louisiana State University où sont conservées les archives de McCracken.
Il subsiste en effet une lettre adressée par Keynes à McCracken en date du 31 août 1933 où il
remercie à nouveau son correspondant de lui avoir transmis son livre – ce qui laisse supposer que
Keynes a déjà eu l’occasion de le remercier – et dans laquelle Keynes annonce qu’il a cette fois lu
le livre98. Outre ces éléments et le ton très respectueux qui s’en dégage, la lettre recèle également un
autre passage très instructif. Keynes a naturellement beaucoup apprécié le livre en particulier les
passages sur Marx99. Tout en attirant l’attention de son interlocuteur sur son Essay in Biography
paru selon lui peu de temps avant l’ouvrage reçu et qui comprend un chapitre sur Malthus, Keynes
reconnaît l’antériorité de l’idée originale de McCracken de faire de Malthus un précurseur dans
l’analyse nouvelle du cycle économique (l’explication de la crise par l’insuffisance de la demande
effective, ndt) et son traitement essentiel des contrastes entre Ricardo et Malthus.
McCracken ne sera cependant pas cité dans la version finale de la Théorie Générale. Ce qui
ne l’empêcha pas de diriger à la Louisiana State University durant de nombreuses années un
séminaire de recherche consacré à Keynes et d’en faire un livre « Keynesian Economics in the
Stream of Thought » (1961) 100 dans lequel il est un des tout premiers à souligner la grande
proximité des idées de Keynes et de celles de Commons dans un chapitre sur ce dernier101.
Mais l'histoire des références de Keynes à Commons serait incomplète si on omettait
de signaler que Commons fait également référence à Keynes et ce, à de nombreuses reprises.
Commons a eu vent des principaux travaux de Keynes. Outre le fait qu'il le cite dans ses principaux
traités notamment dans son Instittuional Economics [1934a, p. 52, 483, 590], dans The Economics
of Collective Action [1950, p. 279] mais aussi dans Reasonable Value [1925b, p. 107]102, Commons
témoigne d'un intérêt certain au Treatise on Money [1934a, p. 906] mais aussi et surtout à la
Théorie générale, comme il l'explique dans son célèbre article de 1937 intitulé « Capacity to
Produce, Capacity to Consume, Capacity to Pay Debts » [1937]. Commons cite Keynes pour
mieux souligner la rupture qui s'opère entre les théories modernes de la monnaie envisagées sous le
prisme de l'économie monétaire de production conçue comme un vaste système de circulation des
dettes et des créances, et les théories orthodoxes qui, en évacuant la monnaie, éliment de facto la
question de l'instabilité. D'autres références de Commons à Keynes existent et sont disséminées de
manière éparse dans l'œuvre de l'économiste de Madison103. Notre sentiment est que les citations
dans le texte que fait Keynes de Commons préjugent d’une connaissance réciproque très loin d’être
superficielle de leurs travaux et autorise ainsi à penser que leurs rapports ont été plus profonds et
plus soutenus qu’on ne peut le penser à priori.
Certes les matériaux dont nous disposons afin de démontrer les liens entre Keynes et
Commons sont relativement faibles. Des citations réciproques, une maigre correspondance… et le
point de vue d’un des plus grands biographes de Keynes…voilà en tout et pour tous les éléments
dont nous disposons. Cependant, cette carence des sources directes peut s’expliquer par le problème
des archives. D’une part, une partie non négligeable des archives de Keynes n’est pas encore
98 Pour ne pas alourdir ce travail, la lettre a été reproduite en annexe.
99 C’est à un développement sur Marx et le schéma A-M-A’ que se réfère la note de bas de page où Keynes cite McCracken.
100 L’auteur remercie au passage Hyman Minsky dont on sait qu’il sera parmi les rares postkeynésiens à se réclamer de Keynes et
Commons. Cf Minsky [1996].
101 Déjà en 1952, Edward Carlin soulignait cette proximité notamment dans le rejet par les deux auteurs du laisser-faire.
102 Commons cite Keynes parmi les partisans du mouvement pour la stabilisation des prix.
103 Voir Commons [1935, p. 516] et [1941, p. 124].
36
accessible, de l’autre, on sait que Commons a lui-même détruit une bonne partie de sa
correspondance notamment celle qui recouvre la période qui va jusqu’au milieu des années 20…
[Dorfman, 1958]. Ces deux éléments apportent une explication aux problèmes que nous avons
rencontrées. Nous en voulons pour preuve l’absence de la correspondance entre Mitchell et
Commons dans les archives de ce dernier. Pourtant, cette correspondance est importante pour
comprendre la genèse et l’évolution de ses idées ainsi que le processus qui a conduit à la publication
de deux de ses principaux ouvrages, Legal Foundations et Institutional Economics. Heureusement
qu’une partie des lettres est conservée dans les archives de Mitchell à la Bulter Library de
l’Université Columbia à New York.
Conclusion
A travers l’examen des rapports entre Keynes et Commons, notre objectif n’était pas tant de
démonter la justesse de l’hypothèse avancée que de persuader de sa forte vraisemblance. Les
éléments dont nous disposons, nous autorisent néanmoins à affirmer que, d’un côté, ces rapports ont
existés tout en ne présumant pas de leur caractère suivi, de l’autre, qu’il ne s’agissait pas de rapports
de courtoisie pure, mais de véritables rapports d’influence à un moment où la pensée de Keynes
était, au milieu des années vingt, à un tournant pour orienter les chemins qui vont le mener à la
Théorie Générale. La vraisemblance de l'hypothèse Commons, nous amène nécessairement à nous
expliquer sur la nature des rapports entre Keynes et l'institutionnalisme historique américain en
général et sur les rapports entre Keynes et Commons en particulier. Nous avons, en effet, comme
objectif de dépasser deux thèses formulées fréquemment dans les travaux qui se sont intéressés à
ces rapports: la thèse du lien manqué d'un côté, celle du lien perdu, de l'autre, pour soutenir plutôt
celle du lien qui n'est ni manqué, ni perdu, mais méconnu, et désormais retrouvé.
Notre point de départ portait sur des éléments relativement minces notamment au regard des
résultats établis. D’un côté, les propos élogieux d’une lettre à un interlocuteur d’outre-atlantique et
des citations dans le texte dont l’origine est a priori indéterminée, de l’autre, un passage puissant
mais en même temps obscur de Skidelsky qui fait de J-R.Commons l’une des plus importantes
influences méconnues de Keynes. Nous avons néanmoins optés pour le choix consistant à prendre
au sérieux ces deux séries d’éléments. Le problème est que les dispositifs méthodologiques
proposés par l’Histoire de la Pensée Economique ne nous sont d’aucun recours pour éclairer la
nature des rapports entre Keynes et Commons. Nous ne disposons, en effet, ni des documents
permettant de juger de la nature et du caractère continu de ces rapports, ni d’indications suffisantes
sur le moment où ils se sont noués, ni a fortiori, du niveau et du type d’influence que l’un aurait
exercé sur l’autre. Nous avons par conséquent considéré qu’il s’agissait d’une situation
s’apparentant du point de vue herméneutique à une «situation de compréhension» au cœur de
laquelle se trouvent deux notions fondamentales ; la vision et l’horizon. Nous avons ainsi pu
montrer que les visions et les horizons des deux auteurs sont très proches pour ne pas dire
identiques. Au moment où le capitalisme se trouve à nouveau devant l’alternative crucial du choix
entre le plein emploi et le chaos selon l’expression de J-G.Bliek et A.Parguez et [2005], il est urgent
de réhabiliter ce qui unissait Keynes et Commons : œuvrer pour une Economie Politique d’un
capitalisme raisonnable. C’est ce qui à nos yeux représente tout l’intérêt et tout le poids de
l’Hypothèse Commons.
37
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