règles, conventions, coutumes, habitudes…etc.) comme « entités » de médiation inhérentes à la
structure de l’économie monétaire de production, mais il fut lui même un « institutions builder »4.
Or, il est très clair qu’on ne peut comprendre sa pensée économique notamment celle de la Théorie
Générale qu’en la considérant comme une composante encastrée dans un système social politique
et institutionnel plus large. Mieux, Keynes a noué assez tôt des relations privilégiées et durables
avec des figures éminentes du courant progressiste américain en général et de l’institutionnalisme
historique en particulier. Toutefois, si la proximité entre Keynes et les institutionnalistes historiques
américains5 a été soulignée à plusieurs reprises, la littérature portant sur leurs rapports se limite
néanmoins à de simples mises en parallèle de quelques thématiques supposées communes et
fortement teintées d’institutionnalisme (l’incertitude, la monnaie…etc.). Ces mises en parallèle se
conjuguent sous le mode de la déploration, pour des raisons variables d’un auteur à l’autre, du
rendez-vous annoncé et pourtant manqué entre keynésianisme et institutionnalisme et/ou soit sous le
mode de la nostalgie de la perte d’un lien qui aurait effectivement existé entre les deux corpus et
qu’il s’agit de retrouver. Il est désormais possible et, à notre avis, nécessaire d’aller plus loin en
mettant en évidence les fondements institutionnalistes de l’économie de Keynes. C’est par
conséquent l’insatisfaction à l’égard de la thèse du simple rapprochement qui justifie la nécessité
d’ouvrir un débat sur les possibilités d’une (re-)lecture, dans une perspective institutionnaliste de la
pensée économique keynésienne.
Dans une lettre qui date du 26 avril 1927, Keynes écrit à l’adresse de son interlocuteur, « il
me semble qu’il n’y a pas d’autre économiste avec qui je me sente en tel authentique accord avec la
façon de penser ». Le correspondant à qui Keynes s’adresse en ces termes n’est autre que John
Rogers Commons, qui, quelque temps auparavant, lui avait envoyé la copie d’un article qu’il
s’apprêtait à publier. Quant on connaît l’orgueil voire même l’arrogance de Keynes, sa confiance
démesurée en lui-même, la virulence de ses opinions à l’égard indifféremment d’ailleurs de ses
amis comme de ses adversaires et surtout ses réticences à reconnaître d’avoir tort ou à donner raison
à ses contradicteurs, on est frappé par le ton de la mesure et les sentiments de sincérité qui se
dégagent des propos tenus dans cette lettre6. Cependant, rarement dans les études consacrées à la
pensée de Keynes, il n’est fait mention de ses rapports avec les fondateurs et les héritiers de
l’Institutionnalisme Historique Américain7. Il en est ainsi notamment dans les deux biographies
monumentales de Keynes. Alors que Moggridge ignore totalement ces rapports 8, comme R. Harrod
[1951] d'ailleurs, G. Dostaler [2005] mais surtout R.Skidelsky [1992] y prêtent un peu plus
d’attention. Ce dernier commence par souligner très brièvement l’influence de J-R.Commons sur la
conception de l’évolution du capitalisme en termes de succession/articulation du triptyque des trois
en partie seulement suggérées.
4 Ce rôle que Keynes a endossé durant toute sa vie s'est manifesté en particulier lors des négociations de Bretton Woods. Cf.
Dostaler [2005]
5 Certains auteurs keynésiens ont perçu relativement tôt cette proximité. Il suffit pour s'en convaincre de méditer l'exemple d'A.
Barrère [1952] qui dans "Théorie économique et impulsion keynésienne" écrivait, déjà : « dans sa prise de position (au sujet de la
nécessité de la régulation du capitalisme (c'est nous qui ajoutons) Keynes intègre dans l'élaboration scientifique les changements de
structure, les transformations institutionnelles et l'action de l'autorité publique. Sans qu'il en fasse directement état, son explication
se rattache, d'assez loin sans doute à celle des institutionnalistes américains (c'est nous qui soulignons)». Il faut remarquer par
ailleurs que tous ceux qui se sont intéressés aux rapports entre Keynes et les institutionnalistes historiques américains insistent sur la
nécessité de leur consacrer des études propres.
6 Il ne s’agit pas ici de faire l’analyse des propos de la lettre «orpheline » de Keynes dans la mesure où mystérieusement nous ne
disposons pas de la lettre de Commons. Mais, il est important de souligner de prime à bord certains passages assez significatifs
comme par exemple « jugeant à grande distance….etc. » en les mettant en contraste avec la très grande proximité dans la façon de
penser.
7 Un des éléments d’explication possibles réside dans l’idée assez répandue de la concurrence en particulier aux Etats-Unis, entre les
deux perspectives. Cette concurrence aurait tournée en défaveur des institutionnalistes. Le déclin de l’influence de
l’institutionnalisme serait donc imputable au triomphe des idées keynésiennes. Sans aller jusqu’à récuser totalement cette idée, nous
pensons qu’il faut plutôt la nuancer. Les deux perspectives sont, à notre avis, beaucoup plus complémentaires que concurrentielles.
Plus exactement, si concurrence il y a eu, c’est avec le keynésianisme de la synthèse, celui des Samuelson, Hansen…etc. et non avec
les idées de Keynes lui-même. Et si triomphe du keynésianisme, il y a eu, c’est de ce triomphe-là dont il s’agit.
8 Commons n’est même pas mentionné dans les indexes contrairement à ce qui est le cas pour Wesley C. Mitchell.
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