Les jeunes : La santé et les pratiques socio-culturelles Etat des lieux Prof. Abdelfattah Ezzine Institut Universitaire de la Recherche Scientifique Université Mohamed V- Souissi (Rabat) Ce rapport, qui se veut un état des lieux de la problématique susmentionnée, s’articule autour de trois grands axes : a- la recherche scientifique concernant la santé des jeunes et leurs pratiques socio-culturelles ; b- Santé des jeunes et services sanitaires ; c- Les pratiques socio-culturelles chez les jeunes. Il comporte aussi des conclusions qui essayent d’avancer des éléments de réponse et alimenter le débat que nous souhaitons riche. a) Il est à noter que la recherche concernant la santé et les pratiques socioculturelles chez les jeunes reste embryonnaire et souffre d’une dispersion non seulement institutionnelle mais aussi au niveau des approches ; malgré l’existence de plusieurs institutions et structures de recherche au sein de l’université et des établissements sous la tutelle des ministères (la culture, la jeunesse, les affaires sociales, la santé, etc.). Ce qui fait que la recherche reste compartimentée à cause du manque de coopération, non seulement entre les établissements (comme c’est le cas de la faculté des lettres et des sciences humaines et la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales au sein de la même université, sans oublier l’absence totale de toute connexion avec les facultés de médecine ou aussi entre ces établissements universitaires et les établissements supérieurs sous tutelle des ministères); mais aussi, au sein d’un même établissement. Cette situation ne permet pas le développement d’une approche pluridisciplinaire de la question de la jeunesse. En plus de cette vision sectorielle des problèmes de la jeunesse, certaines problématiques souffrent de manque d’intérêt de la part des chercheurs et on ne trouve pas d’orientation de la recherche à s’y intéresser, comme, à titre d’exemple : le loisir et le temps libre…. En parallèle à cela, certaines branches de recherche demandent à être rénovées et développées (la recherche en matière de santé par exemple) tout en essayant de donner plus de visibilité aux indicateurs de genre, milieu, etc. Il est vrai que l’Etat, depuis le gouvernement d’alternance politique, a doublé d’intérêt pour les jeunes sous diverses contraintes ; mais le problème, c’est que les chantiers lancés en faveur des jeunes manquent de soutien universitaire et que ces politiques n’ont pas, parfois, de visibilité à cause du manque d’analyse et d’insuffisance de données. Il est temps de voir comment conjuguer la recherche avec la politique pour le bien-être des jeunes … b) Il est notoire de dire que les services de santé au Maroc ne répondent pas convenablement à la demande grandissante des couches sociales précaires et vulnérables ; la jeunesse entre autres. Cependant, l’accès des jeunes à ces services se fait dans les mêmes conditions que les autres catégories sociales, malgré leurs besoins spécifiques. Néanmoins, des programmes et des services destinés aux jeunes commencent à voir le jour dans le cadre d’une nouvelle politique volontariste. Nous pouvons mentionner, à titre d’exemple, les espaces de santé pour jeunes. Ces espaces d’accueil, où les soins médicaux en faveur des jeunes respectent la confidentialité et l’intégrité de la personne, se présentent, aussi, comme des lieux d’écoute de cette population. En parallèle à ce travail de proximité, nous trouvons d’autres actions menées par des acteurs civiles ou publics, qui œuvrent soit dans le domaine de la prévention (lutte contre les MST, lutte contre la drogue et autres fléaux) ou dans le domaine de la thérapie (programmes appropriés à travers le système médical ou scolaire). L’effort du Maroc en matière de santé reproductive et d’éducation sexuelle reste en deçà des fléaux qui guettent les jeunes et que l’analphabétisme et le chômage exacerbent, ce qui fait qu’ils représentent un grand handicap à l’insertion dans le marché de l’emploi et au bien être social. c) Au niveau des pratiques socio-culturelles, le jeunes se trouvent confrontés, non seulement, au manque de structures et d’espaces d’accueil pour vaquer à leurs occupations préférées, mais aussi à une perception sociale (voire politique) qui voit d’un mauvais œil les loisirs et le divertissement et veut assujettir surtout ceux qui en constituent un prolongement des activités scolaires de manière directe ou indirecte à une vision moralisante ou à des objectifs intéressés … Ce malentendu avive les conflits intergénérationnels. La jeunesse, « classe de loisir »1, par excellence, se trouve mal servie par l’inadaptation des projets politiques à la réalité en mutation, mais souffre aussi de conflit entre les institutions de socialisation (école, famille, la rue, le TV, etc.). Avec le manque d’espaces de loisir et d’encadrement des activités du temps libre et la non-maîtrise des NTIC par la société, les jeunes se sentent comme « laisser pour compte » et livrer à eux-mêmes. Les incivilités se développent et deviennent une composante essentielle de la contre culture qui a vu le jour aux années soixante-dix. ******************** D’après les analyses des trois axes exposés ci-dessus, nous pouvons répertorier les recherches concernant les jeunes selon leur approche en trois catégories : 1. Conception abstraite : selon laquelle les problématiques sont basées sur des généralisations selon lesquelles les jeunes sont étudiées de manière monolithique. Cette perception frise l’archétype, elle décrit 1 Il ne s’agit pas ici d’une acceptation de la théorisation de Thorstein Veblen. Voir Son ouvrage intitulé « La théorie de la classe de loisir » écrit en 1899 et traduit en français en 1970. Edition Gallimard, Paris, 1979. les jeunes comme catégorie de révoltés et/ou bohémiens … Inexpérimentés ; ils doivent être soumis au contrôle des adultes et des institutions de socialisation surtout la famille et l’école. Dans le cadre de cette conception, les problèmes sociaux ne sont pas étudiés comme questions sociologiques mais comme fléaux sociaux selon une approche visant le contrôle beaucoup plus que la gestion des changements sociaux : c’est le fruit d’un savoir spontané. 2. Conception sectorielle : Les études et les recherches, dans le cadre de cette conception, essayent d’établir la spécificité des jeunes sans avoir recours à une approche comparative lors de l’analyse des phénomènes qui traversent la jeunesse. Cette conception se nourrit des travaux réalisés dans le cadre de l’éducation et les domaines connexes. Ce qui fait que la sociologie de la jeunesse est devenue un champ fermé qui jouit d’une autosuffisance qui nuit à la qualité des travaux menés. 3. Conception réaliste : Elle est embryonnaire dans le champ de la recherche au Maroc. Il est vrai qu’elle se nourrit des conceptions précitées tout en essayant de les dépasser ; mais elle n’a pas pu se dégager comme alternative, et cela, depuis « l’état d’exception » que la sociologie a vécu pendant les années du plomb. Les quelques travaux, qui se sont inscrits dans cette optique, sont devenus des classiques que les chercheurs commencent à les exploiter sans les revoir ou les approfondir. De cette catégorisation découlent les conclusions suivantes : • Nous constatons que la majorité des études et recherches abordent la jeunesse comme champ d’investigation sans essayer de construire une théorie ou élaborer un savoir scientifique mobilisable par les divers acteurs. • Ce qui demande le développement de la recherche-action à travers un soutien programmé de la recherche scientifique en général et dans le domaine de la jeunesse en particulier. • La mise en place des politiques de jeunesse reposant sur les études et recherches scientifiques qui doivent être développées en amont et en aval de toute action (politique ou autre) en faveur des jeunes. • La mise en place d’un appareil de coordination en ce qui concerne les politiques (Ministère de la jeunesse et des sports) et la recherche (IURS) pour une nouvelle synergie.