GROUPE MONDIALISATION
Compte rendu de la séance du 20.10.2003
Rédigé par Kirsten Koop
“La mesure comme norme”
Séance animée par Birgit Müller et Bernadette Madeuf
Présent(e)s:
1. Bernadette Madeuf (Bma)
2. Birgit Müller (BMü)
3. Claire Mainguy (CM)
4. Kirsten Koop (KK)
5. Delphine Sangodeyi (DS)
6. Anne Androuais (AA)
7. Irène Bellier (IB)
8. Paul Dima E. (PD)
9. Jean Louis Margolin (JLM)
Au début de la séance, il fut décidé que les membres de l’ACI seront priés de
valider les CR et de confirmer leur présence ou absence lors des réunion.
Birgit Müller (BMü) introduit le thème avec quelques réflexions de fond sur la
mesure: Pour mesurer, il faut avoir une question précise d’abord : Qu’est-ce qu’
veut mesurer et pourquoi?”. Il faut aussi avoir un point de comparaison : On
mesure par rapport à quoi? On mesure par rapport à un réferent historique
(temps), un référent géographie (l’espace) et un référent typologique (une
norme).
Selon les variables choisies, les résultats de la mesure d’un même objet varient
et ne peuvent, de plus, pas être comparés. Ainsi, par exemple, dans certains
pays, la faim est mesurée par rapport à une variable de XX calories par jours.
Dans d’autres, on utilise la mesure de la composition de la nourriture. Ce qui
donne des résultats différents et non-comparables.
Aussi, les mêmes résultats peuvent être présentés de manières différentes, selon
les intentions d’argumentation de celui qui mesure. Ainsi, pour reprendre
l’exemple de la mesure de l’évolution de la faim dans le monde, peut-être
présenté ou bien le fait que le pourcentage de la population mondiale des
personnes qui meurent de faim a diminué durant ces dernières trentes années ou
bien le fait que le nombre absolu des personnes qui meurent de faim est resté
égal à celui d’il y a 30 ans. On a ici à voir avec ce que Martinez Allier appelle le
langage de « la valuation ». Quel langage de la valuation va prévaloir - ceci
est une question de pouvoir.
Bernadette Madeuf (BMa) présente ensuite les indicateurs les plus fréquemment
utilisés pour mesurer le développement de la richesse dans le monde: le produit
intérieur brut (P.I.B.) et l'Indicateur du Développement Humain (IDH).
La nécessité de la mesure est intrinsèque à l’économie. Depuis les débuts de
cette science, il y a eu le souci de la mesure. Ainsi, le mariage entre l’économie
et la science de la mesure, c.à.d. les statistiques, s’est fait très rapidement.
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Depuis l’Arithmétique Politique fondée par W. Petty (qui voulait mesurer en
« nombres, poids, mesures » la richesse relative des nations) jusqu’à la
naissance des comptabilités nationales, la mesure de la richesse et du niveau de
développement se fonde sur des agrégats macro- économiques (Produit
national, disponibilité alimentaire globale..) et produit des classements, des
hiérarchies.
1. Le P.I.B. est censé mesurer la production (voir lexique pour les trois
techniques possibles), il a une valeur marchande. Il est la totalité de la
production réalisée en un an sur la base des prix de vente. Or, il y a différents
types de problèmes liés à l’existence d’activités économiques non recensées par
l’Etat :
- l’économie souterraine : les statisticiens s’efforcent de l’intégrer. Ils tiennent
compte de la fraude et de l’évasion fiscale (à partir de données des contrôles
fiscaux), du travail au noir. Au total, l'économie souterraine représente 6,5 % du
PIB en France en 1995 dont 3,8 % pour le travail au noir. (SCHNEIDER a évalué
un chiffre de 16,7% pour l’ensemble des pays de l’OCDE, de 28,5% pour la
Grèce :, de 27% pour Italie).
- l’économie informelle
- la production non marchande, des services, comme par exemple
l’enseignement et la recherche : Il n’existe pas de paiement direct. Donc la
production de tous les services non marchands est évaluée au coût de production
(montant des salaires, y compris charges sociales). Problème avec la progression
des activités des services, en particulier du tertiaire non marchand, depuis 1950.
- la production domestique : elle correspond à environ 50 % du PIB (faire le
ménage est une activité prise en compte dans le P.I.B. uniquement quand elle
est déclarée et rémunérée. Si, par exemple une femme de ménage épouse son
patron, il y a baisse du P.I.B.). Le recours croissant à des produits et services
« payants » augmente le P.I.B. en modifiant sa composition : D’où le problème
de comparaison et mauvaise appréciation de la croissance de la richesse (c’est le
passage par le marché qui fait apparaître une activité productive qui existait
déjà, mais hors P.I.B.).
- les activités ‘négatives’ ou ‘nuisibles’ : p.ex. la production d’armes, de
cigarettes, les dépenses liées aux accidents (rebond de croissance après
destructions dues à la guerre) ou à la lutte contre la pollution. Toutes ces
activités font augmenter le P.I.B., mais on peut s’interroger si elles produisent
des richesses. (L’augmentation du P.I.B. s’accompagne de pollution, de
destruction de ressources épuisables, etc.).
IB remarque qu’on peut penser aussi au domaine de la santé : des gens trop
sains ne font pas tourner les hôpitaux et empêchent une augmentation
potentielle du P.I.B..
Comparaison inter temporelle du P.I.B.:
Pour comparer les valeurs du P.I.B. à des dates différentes dans un même pays,
il est nécessaire d’éliminer les effets de l’inflation qui « gonfle » le P.I.B.
(croissance apparente). Le calcul du P.I.B. réel est un calcul corrigé de l’inflation.
Il suppose un déflateur, c.à.d. un indice de prix. Or, la construction des indices
de prix pose problème: De quel panier de biens part-on? La qualité des biens du
panier n'est pas mesurée, des nouveaux produits ne peuvent pas être intégrés,
sinon on ne peut plus comparer...
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Comparaison internationale du P.I.B.:
On utilise le PIB/habitant pour mesurer le niveau de vie. Bien entendu il s’agit
d’une moyenne qui peut recouvrir des répartitions internes de richesse très
différentes. Aussi la comparaison PIB ou PIB/habitant pose des problèmes
spécifiques et redoutables.
La solution statistique adoptée pour calculer les P.I.B. de manière à les rendre à
peu près comparables et non dépendants des taux de change est le calcul des
P.I.B. en parité de pouvoir d’achat (P.P.A., voir lexique). Ceci est un taux de
change abstrait ou fictif (non constaté sur les marchés des changes) qui, compte
tenu des prix des biens sur chacun des marchés, assure le même pouvoir d’achat
des unités monétaires dans les deux pays concernés (hypothèse du prix unique).
Par exemple, si avec 1000 euros, on achète le même ensemble de biens (panier)
en France qu’avec 1000 dollars aux Etats-Unis, le taux de change en P.P.A. du
dollar en euro est de 1 pour 1. (si il faut respectivement 1000 euros et 500
dollars pour le même panier de biens, le taux PPA sera de 1 pour 2).
Or, dans les Pays en Développement, le calcul des P.I.B. en P.P.A. semble relever
le niveau de vie, ce qui fait diminuer les écarts de richesse (par rapport à un PIB
à taux de change courant).
2. L'Indicateur de Développement Humain a été mis au point par le PNUD en
1990 et a comme objectif d'essayer de mesurer le niveau de développement des
pays, sans se limiter à leur poids économique ( P.I.B. ou P.I.B./ habitant). Il
intègre donc des données plus qualitatives.
L'IDH est calculé à partir de quatre variables de base: 1. le revenu, 2. l'espérance
de vie, 3. l'alphabétisation des adultes, 4. le nombre moyen d'années d'étude, en
différenciant le primaire, le secondaire et le supérieur.
A la base est l'idée que le développement a trait à la « possibilité » ou « capacité »
fondamentale (et non plus à la détention de biens matériels) d'intégration des
individus dans la société (A. Sen). Cette possibilité a trois composantes : mener
une vie longue et saine, accéder à la connaissance et à l'information, bénéficier de
ressources assurant un niveau de vie décent.
L'I.D.H. est normé entre 0 et 1. Plus l'I.D.H. se rapproche de 1, plus le niveau de
développement du pays est élevé. Le calcul de l'I.D.H. permet l'établissement
d'un classement annuel des pays.
Classement : Le PNUD distingue trois groupes de pays:
- les pays à développement humain élevé dont l' IDH est supérieur à 0,801
- les pays à développement moyen dont l'IDH > 0,507
- les pays à faible développement humain [Le Niger ( 0,293 ) et la Sierra
Leone ( 0, 252) détenant l'IDH le plus faible]. Le classement du rapport 2000
fait surtout apparaître des écarts négatifs importants frappant les pays du
golfe persique ( Koweit, Qatar, RAU, Oman, Yémen). Le Canada devient la
nation économique la plus développée dans le cadre d' un bouleversement de
hiérarchie des pays industrialisés. (La France est passée de la seconde
(1998) à la 12ème position (2000) derrière le Canada).
Le P.I.B. et l'I.H.D. ne sont pas corrélatifs. Un pays peut être beaucoup
mieux classé mondialement pour l'I.D.H. que pour le P.I.B. par habitant et
inversément (Ainsi la France était-elle au 12è rang mondial en 2001 pour
l'I.D.H., mais seulement au 18è pour le P.I.B. par habitant).
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Si le P.I.B. par habitant est relativement élevé mais que l'I.D.H. est relativement
faible, cela signifie probablement que les inégalités économiques et sociales sont
grandes.
Ce qui compte le plus dans l'I.D.H., ce n'est pas le niveau absolu (le nombre lui-
même) mais le rang du pays dans le classement mondial et les évolutions de
long terme.
L'I.D.H. est sans doute un meilleur indicateur du niveau de développement d'un
pays que le P.I.B. par habitant. Mais il n'est pas exempt de faiblesses, en
particulier parce qu'il inclut le P.I.B. De plus, il faudrait sans doute prendre en
compte davantage de critères qualitatifs, en particulier les inégalités.
BMü présente ensuite la mesure de la dette écologique. Elle dit qu'elle vient
d'apprendre par Bma qu'en économie, théoriquement tout est réversible, c’est
simplement une question de coûts. Or, l'écologie part justement de l'idée que la
destruction environnementale est irréversible. "L’irréversibilité" est l’argument
clé des écologistes. Ils acceptent pourtant que la destruction soit chiffrée par les
économistes pour que les compensations pour la destruction deviennent
calculables. L’argent comme unité de mesure est trop important pour être laissé
de côté par les environnementalistes. Ils se prêtent alors au jeu avec le concept
de la dette écologique, tout en maintenant que le marché n’attribue pas sa juste
valeur à l’environnement. La valeur d’échange domine sur la valeur d’usage : Les
écologistes proposent de changer les façon de mesurer en terme monétaire.
Les écologistes tentent donc de chiffrer en termes monétaire des facteurs aussi
divers que la valeur énergétique, la destruction des paysages, le réchauffement
planétaire.
Le fait que la destruction environnementale, causée majoritairement par les pays
du Nord, soit mesurée et chiffrée permet d'utiliser la dette écologique (des pays
du Nord envers les pays du Sud) comme contrepoids à la dette extérieure des
pays du Sud envers les pays du Nord.
Partant de cette idée, certains environnementalistes ont essayé de chiffrer la
dette écologique des pays industrialisés vis à vis des pays du Sud. Ainsi, par
exemple, au moment du Sommet de Kyoto, une estimation a été faite des
excédents d'émissions de CO2 des pays industrialisés du Nord par rapport à la
réduction recommandée par le Panel intergouvernemental de scientifiques sur le
changement climatique. Il en ressort un service de la dette de CO2 de 30 à 59
milliards de dollars annuels pour le Nord à l'égard du Sud. L'agence britannique
Christian Aid a évalué que pour les pays pauvres très endettés (PPTE), les
créances annuelles de CO2 en termes de parité de pouvoir d'achat s'élèvent à
612 milliards de dollars - alors que leur dette financière totale culmine à 206
milliards.
Il y a maintes difficultés de mesurer de la dette écologique.
Par exemple, la vente des matières premières et des produits non-transformés
correspondent à des prix bas de la main œuvre et à des taxes extractives trop
basses (conséquence des relations de dépendance nées de la colonisation). Leur
valeur énergétique n'est pas prise en compte (des matières premières ont une
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valeur énergétique plus élevée que les produits finis plus les déchets qui sont
produits grâce à eux). De ce fait, certains proposent de mesurer les rapports
Nord –Sud plutôt en termes énergétiques. Il faudrait alors attribuer dans
l’argumentation de la dette écologique une valeur monétaire « objective » au
potentiel énergétique des matières premières. Ce qui reviendrait à remplacer la
fiction de la mesure objective établie par le marché par la fiction d’une mesure
objective naturelle liée à la loi de la thermodynamique.
Bmü conclut que la valuation et la traduction de cette valuation en termes
monétaire est une question de pouvoir / rapports de force. Il est important de
suivre quel langage de valuation est utilisé comme norme lors des négociations
internationales sur l’environnement dans le futur.
PD fait remarquer que l'idée même des "droits de pollution" par tête d'habitants
est née dans le milieu néo-libéral.
IB mentionne que la mesure se fait souvent au niveau international et a des
répercussions au niveau local non souhaitables. Ainsi, par exemple interdit-on
aux peuples autochtones de faire des brûlis en les rendant responsables de la
destruction de sites écologiques comme les milieux forestiers, en leur interdisant
de poursuivre des activités traditionnelles au nom d’une politique globale de
conservation écologique négociée à une échelle nationale ne tenant pas compte
de leurs droits à l’existence ni de la réalité des activités nuisant à la préservation
de l’environnement.
JLM dit que cette interdiction a pourtant un sens. Par exemple, les Hollandais
interdisaient les brûlis en Indonésie, au Java, pendant la colonisation, parce que
la densité de la population était très forte.
P.D. souligne l'importance de la question de savoir à quelles fins sont utilisés les
indicateurs en mentionnant la thèse de Jacques Marseille qui veut démontrer que
les pays colonisateurs ont perdu de l'argent pendant la colonisation - thèse
fortement contestée.
BMa reprend l'idée de mesurer les dettes financières qui se sont accumulées
dans le monde au cours de l'histoire ou, en d'autres mots, de mesurer la
constitution des dettes dans l'espace et le temps.
JLM réplique que si on commençait à chiffrer ces dettes, on n'en sortirait pas. Il
donne l'exemple de la discussion sur le brevetage des plantes traditionnelles des
pays du Sud utilisés par les entreprises pharmaceutiques.
A la fin de la séance, IB rappelle que la prochaine séance GM portera sur les
différentes approches des disciplines envers la mesure. Elle souligne encore une
fois que l'ACI devrait travailler en réseau, comme un groupe de travail.
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