L’anesthésie de L’enfant enrhumé
depuis 30 ans
Anne-Emmanuelle Colas
Département d’Anesthésie-Réanimation, Fondation ophtalmologique
Adolphe de Rothschild, 25 rue Manin, 75019 Paris, France. E-mail: colas.
INTRODUCTION
Le débat qu’engendre la décision de récuser ou non un enfant enrhumé
n’est pas nouveau. En 1955, Ellis, bien que reconnaissant les complications
potentielles engendrées par le rhume, admettait la nécessité de procéder à la
chirurgie dans certains cas:«although anesthesia may not be good treatment
for the common cold, might it not be good way of passing the time till the cold
is gone?»[1].
Depuis 30ans, anesthésier ou non un enfant enrhumé est une question quasi
quotidienne pour les anesthésistes en pédiatrie. Tenus dans nos décisions par
des considérations socio-économiques et surtout par la nécessité de limiter les
risques, récuser ou non un enfant enrhumé est une décision que l’on aimerait
pouvoir prendre sur des règles de bonnes pratiques, l’evidence-based medecine.
De très nombreuses publications ont chercà montrer un lien entre le rhume et
les complications de l’anesthésie, ainsi que les critères prédictifs de survenue de
celles-ci. La survenue d’événements respiratoires indésirables (laryngospasme,
bronchospasme, désaturation, etc.) est fréquente et elle reste une crainte
majeure en pédiatrie[2]. La pratique commune, reposant principalement sur des
données empiriques, est de récuser les enfants atteints de rhume. En effet, il est
admis qu’anesthésier un enfant enrhuest dix fois plus risqué[3,4]. Mais quels
sont réellement ces risques et leurs conséquences? Quelles sont nos craintes?
1. DÉFINITION, PHYSIOPATHOLOGIE
Le rhume ou rhinopharyngite est une infection des voies aériennes
supérieures (IVAS). C’est la pathologie pédiatrique la plus commune et la plus
fréquente. Elle concerne l’anesthésiste pédiatre par les complications qu’elle est
susceptible d’entraîner en péri-opératoire, ainsi que par l’action de l’anesthésie
sur son évolution. L’incidence des IVAS en préopératoire chez l’enfant est de 4 à
5% et atteint 10% dans le cadre de la chirurgie ORL. En moyenne, les enfants
entre 1 et 5ans présentent de 5 à 10épisodes de rhinopharyngite par an. Dans
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90% des cas, c’est une infection virale. Il existe plus de 200virus pathogènes
pour les voies aériennes; le rhinovirus, le myxovirus et le VRS sont les plus
fréquents. Le diagnostic est essentiellement clinique: il repose sur l’interrogatoire
des parents et l’examen de l’enfant. La majorité des études retiennent comme
diagnostic positif la présence d’au moins deux des symptômes suivants: hyper-
thermie inférieure à 38°5C, asthénie, maux de gorge (pharyngite), rhinorrhée
antérieure ou postérieure, éternuements, toux non productive et laryngite.
La physiopathologie des IVAS conduit globalement à une hyper-réactivité
bronchique dont le mécanisme est plurifactoriel. Celle-ci est prolongée même
en l’absence de signe clinique d’infection bronchique ou pulmonaire.
Lorsque des épreuves fonctionnelles respiratoires itératives sont réalisées
chez des enfants au décours d’épisodes d’IVAS, on objective un syndrome
obstructif. Des études in vivo et in vitro suggèrent l’existence d’une interaction
avec le système nerveux autonome et notamment le système parasympathique.
L’infection pourrait potentialiser la réponse vagale majorant ainsi la broncho-
constriction secondaire à la stimulation des bres efférentes vagues. La cascade
de médiateurs immunologiques et inammatoires secondaires à une IVAS peut
en être l’origine[5].
Lhyper-réactivité bronchique secondaire aux IVAS interagit avec l’anesthésie
en provoquant la sensibilisation des VAS aux gaz halogénés et aux stimulations
de l’oropharynx. De surcroît, l’anesthésie altère la réponse immunitaire à
l’infection, le ux muco-ciliaire trachéal et l’activité bactéricide pulmonaire.
Associés à l’absence de toux, ces trois phénomènes concourent à l’exacerbation
postopératoire de l’IVAS.
2. LANESTHÉSIE DE L’ENFANT ENRHUMÉ: RISQUES ET CRAINTES
2.1. EVÉNEMENTS ET COMPLICATIONS RESPIRATOIRES
Les complications respiratoires sont les complications les plus fréquemment
observées lors de l’anesthésie chez l’enfant. Elles représentent plus de 50%
des complications recensées en péri-opératoire [2]. Toutefois, l’incidence de
survenue et leur sévérité varient en fonction de la population étudiée et des
dénitions retenues[6]. Dans une étude prospective portant sur 1996enfants,
Bordet F. et al. retrouvent une incidence de survenue d’événements respiratoires
indésirables de 7,87%. En analyse multivariée, trois facteurs ressortent comme
facteurs de risques indépendants de complications respiratoires. Il s’agit de l’âge
inférieur à 6ans, de l’utilisation d’un masque laryngé et de la présence d’une
infection des voies aériennes supérieures[7]. Dans cette étude, les complications
sont différentes suivant le type de maintien des VAS. Pour le masque laryngé,
on observe 10,2 % de complications dont 25 % de déplacement, 21 % de
difculté d’insertion et 25% de bronchospasme et laryngospasme. Alors que
pour l’intubation trachéale, on dénombre 7,4% de complications mais essentiel-
lement représentées par des bronchospasmes et des laryngospasmes (41%).
Le masque facial semble le plus sûr avec seulement 4,7% de complications
mais avec une majorité de laryngospasme (31%) et de bronchospasme (26%).
Une autre étude observationnelle, portant sur 24165anesthésies dénombre
625complications respiratoires péri-anesthésiques, soit 2,6%[2]. Nombre bien
inférieur à l’étude précédente car il ne concerne que les événements graves.
Dans cette étude, la présence ou non d’une IVAS n’était pas étudiée. Les critères
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favorisant la survenue d’une complication sont le jeune âge (mais inférieur à 1an
cette fois), la chirurgie ORL, l’ASA élevé et l’utilisation d’une sonde d’intubation
pour le maintien des VAS.
Très récemment, Von Ungern-Sternberg et al. rapportent dans une étude
prospective sur tous les enfants anesthésiés dans leur hôpital pendant 12mois,
15% de complications respiratoires péri-opératoires[8]. Parmi lesquelles, on
dénombre 2% de bronchospasme, 4% de laryngospasme, 4% d’obstruction
des VAS, 10% de désaturation <95%, 7% de toux et 1% de stridor.
2.2. EPIDÉMIOLOGIE, FACTEURS DE RISQUE, MORBI-MORTALITÉ
Les IVAS sont donc un facteur augmentant la survenue de complications
respiratoires (CR)[7,8]. Toutefois, dans la littérature, on retrouve des données
parfois contradictoires en raison d’une très grande diversité des critères étudiés.
Les premiers enfants récusés ont sûrement fait suite à la publication de Mc Gill
et al. qui en 1979 rapportait le cas de 11enfants ayant eu des complications
respiratoires parfois graves (atélectasie pulmonaire) et dont le point commun
pour 10 d’entre eux était d’avoir présenté une IVAS dans le mois précédant la
chirurgie[9].
La première étude prospective visant à objectiver l’implication des IVAS dans
la survenue de CR est celle de Tait AR. et al. en 1987[10]. Après avoir identié
les enfants souffrant d’une IVAS par la présence d’au moins deux symptômes
de la liste précédemment citée, ils ont comparé les enfants malades ou non
devant subir une myringotomie sous anesthésie. Ils se sont aussi intéressés à
l’évolution postopératoire des symptômes en comparant les enfants opérés à un
groupe d’enfants témoins. L’étude n’a pas montré de différence signicative pour
la survenue d’une CR péri-opératoire entre les enfants malades et les enfants
sains (1,65 % pour l’ensemble). En postopératoire, l’évolution spontanée de
l’IVAS a été plus rapide chez les enfants opérés, signiant une action positive
de l’anesthésie et de la chirurgie sur l’IVAS. Cette étude laisse entendre qu’il ne
faut pas récuser les enfants atteints d’IVAS programmés pour une myringotomie
sous anesthésie générale au masque facial (pas d’intubation ni masque laryngé),
et qu’au contraire, la réalisation du geste chirurgical sous anesthésie entraîne
une meilleure évolution de la maladie (disparition plus rapide des symptômes).
Une étude rétrospective cette fois, portant sur 20000patients dont 1283
avaient des symptômes d’IVAS, retrouve un risque de CR de deux à sept fois
plus élevé en cas d’IVAS[11]. Si la trachée était intubée, le risque était onze fois
supérieur, en particulier, le risque d’œdème sous glottique post-intubation chez
l’enfant de moins de 1an (risque relatif 27,6). Leur conclusion était la nécessité de
dénir des critères de sortie de SSPI et de l’hôpital en cas de chirurgie ambulatoire
pour les enfants enrhumés. En outre, ils recommandaient de récuser les patients
de moins de 1an présentant une IVAS, surtout s’ils devaient être intubés.
Parnis SJ. et al. ont chercà établir un score basé sur des critères cliniques
permettant d’estimer le risque de survenue de CR péri-anesthésiques chez des
enfants enrhumés[12]. 2051enfants (d’âge moyen 5,8ans) ont été étudiés sur
la période hivernale. 22,3% présentaient au moins un des symptômes dénis
comme pouvant être associé à l’IVAS. 23,5% étaient décrits par les parents
comme étant enrhumés le jour de la chirurgie et 45,8% dans les 6semaines
précédant l’acte. Parmi les CR observées, on peut noter: la toux (17%), les
désaturations (13%), le bronchospasme (1%) et l’obstruction des VAS (13,5%).
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Il n’est pas fait mention de laryngospasme. L’analyse statistique par régression
logistique a permis de retenir huit variables associées à la survenue de CR. Les
éléments cliniques retenus sont: l’avis des parents sur le caractère enrhumé ou
non de l’enfant, le caractère obstructif de l’IVAS (objectivé par les ronements,
la toux productive et la congestion nasale), enn le fait pour l’enfant d’être un
fumeur passif. Un sifement respiratoire, la èvre et l’altération de l’état général
ne font pas partie des critères car les patients les présentant ont été exclus de
l’étude.
Les éléments de prise en charge anesthésique identiés sont: la méthode
de contrôle des VAS, les agents de l’induction et la décurarisation. L’intubation
trachéale est un facteur de risque contrairement au contrôle par masque laryngé
ou masque facial. Le propofol apparaît comme l’agent d’induction le plus sûr en
cas d’IVAS. Cette étude met en avant l’importance de l’opinion des parents sur
l’état clinique de leur enfant ainsi que l’importance du choix du type d’anesthésie.
Ces données ont, en partie, été conrmées quelques mois plus tard par
l’étude prospective de Tait AR et al. visant à prouver que les enfants présentant
des symptômes de rhume (ou ayant présenté dans les 4semaines précédant la
chirurgie) avaient un risque plus élevé de CR que les enfants sains[13].
La congestion nasale et l’importance des sécrétions, ainsi que le caractère
fumeur passif des enfants enrhumés, sont, comme pour l’étude précédente,
des facteurs de risques de complications respiratoires, de même l’intubation
trachéale. L’existence d’un antécédent d’asthme ou de prématurité et la chirurgie
des voies aériennes s’ajoutent comme facteurs de risque indépendants.
Pour ces deux études, les auteurs font remarquer l’incidence relativement
faible des complications respiratoires et le fait qu’avec une prise en charge
appropriée la grande majorité de ces enfants a pu bénécier de leur chirurgie
en toute sécurité sans augmentation de la morbidité.
C’était la conclusion de Tait AR. dans une revue de la littérature de 2002[14].
Il est entendu que dans la majorité des cas d’anesthésie pédiatrique la présence
d’une IVAS augmente le risque de CR. Toutefois, lorsque les patients à risque ont
été identiés et que les praticiens aguerris utilisent leurs connaissances et leur
bon sens pour optimiser la prise en charge de ces patients, le risque encouru
est très faible.
Mais de quoi avons-nous réellement peur ? L’éditorial qui accompagnait
l’étude de TAIT et al. (anesthesio. 2001), posait la question : « peur des
complications ou des litiges?». Sa conclusion était: certes, les risques sont
augmentés, mais le bon sens et l’expérience clinique permettent de prendre
les bonnes décisions. De plus, l’information et le consentement éclairés nous
prémunissent des avocats[15]. Le choix de récuser ou non un enfant ne doit
pas se faire uniquement sur des considérations socio-économiques, toutefois,
elles doivent aussi être prises en compte pour les cas d’IVAS moyenne la
morbidité reste très faible. Une étude ancienne a montré la nécessité de récuser
2000patients pour prévenir 15laryngospasmes[16].
On peut voir après ces trois publications un changement de problématique
dans les articles. La question posée n’est plus: «Y a-t’il un risque? Doit-on
récuser?» mais « Qui récuser?» et surtout «Comment optimiser la prise en
charge pour réduire le risque?»
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Dans une étude prospective de cohorte, Von Ungern-Sterneberg et al.
retrouvent que la présence de symptômes respiratoires, d’ecma, d’antécédents
familiaux d’asthme et l’exposition à la fumée du tabac sont associés avec un
risque accru de survenue de CR péri-opératoires[8]. De même qu’une IVAS si
elle est active ou apparue dans les deux semaines précédant la chirurgie. Le but
de l’étude était de valider un questionnaire adapté à la consultation d’anesthésie
permettant l’identication d’un sous-groupe d’enfants présentant un risque de
survenue de CR élevé et ainsi d’adapter la prise en charge anesthésique. On
voit qu’il n’est plus question de récuser ou non les enfants. D’ailleurs, dans cette
étude pour la première fois, les enfants présentant une èvre élevée et/ou une
rhinorrhée mucopurulente n’ont pas été systématiquement récusés. Ce qui peut
expliquer le taux élevé de CR retrouvé.
2.3. FAUT-IL RÉCUSER UN ENFANT ENRHUMÉ ? ANALYSE BÉNÉFICE-
RISQUE
La première notion concerne l’importance de l’infection, basée sur les
signes cliniques (interrogatoire, examen de la cavité buccale, auscultation
pulmonaire, température) et éventuellement la radio thorax. C’est au cours de
la visite préopératoire obligatoire que l’on pourra décider de la prise en charge.
L’infection des voies aériennes inférieures ne porte pas à controverse. En dehors
du cadre de l’urgence, récuser ces enfants est consensuel[5,10,11,13,15]. Les
symptômes contre-indiquant à eux seuls l’intervention sont: une toux productive,
une anomalie auscultatoire ou radiologique, une èvre supérieure à 38°5C et
une surinfection bactérienne.
Pour les IVAS, plusieurs auteurs ont cherc des critères prédictifs de
CR[11,12]. On retrouve la congestion nasale, les ronements, une toux pro-
ductive et l’avis des parents sur l’importance du rhume. La présence de ces
critères ne doit pas pousser systématiquement à récuser les enfants mais plutôt
entraîner une réexion sur leur prise en charge.
Si l’on s’intéresse au terrain, les trois éléments qui ressortent comme
facteurs de risque indépendants de CR péri-anesthésiques au cours d’une IVAS
sont: le jeune âge, un antécédent de prématurité, la présence d’une pathologie
cardiaque ou respiratoire préexistante, un terrain allergique et le tabagisme
passif[3,8,12,13]. Le tabac est connu pour augmenter l’hyper-réactivité des
voies aériennes[17]. En pédiatrie, plusieurs études ont conrmé que le tabagisme
passif augmentait les risques de pathologies respiratoires[18-20]. Plus récem-
ment, une étude prospective a identié l’exposition passive au tabac comme
facteur de risque indépendant de survenue de chacune des CR péri-opératoires
évaluées [21]. Elle concluait à la nécessité d’identier, en préopératoire, ces
enfants à risque pour permettre d’adapter la prise en charge.
Pour nir, le geste chirurgical ainsi que la prise en charge anesthésique sont
aussi des facteurs de risque indépendants de complications respiratoires en
cas d’IVAS.
Ainsi, la chirurgie ORL est associée a environ deux fois plus de CR que les
autres chirurgies en cas d’IVAS ou d’antécédent d’IVAS[13].
C’est à l’aide de tous ces éléments et bien sûr sans oublier le bénéce
attendu du geste chirurgical ainsi que le contexte psychosocial que la décision
devra être prise. Dans tous les cas l’élément majeur est l’information au patient
car le risque zéro n’existe pas.
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