Sous l’impulsion de la société civile et l’éclairage
d’enquêtes qui pointent les risques d’une évo lution
non maîtrisée, mettant, par exemple, en évidence
que quelque temps après la séparation près de 60 %
des pères ne voient plus du tout, ou rarement
(moins d’une fois par mois) leurs enfants (Ined,
1986), les milieux politiques et juridiques vont
réagir et voter les lois de 1987 et 1993 qui, respec-
tivement, donnent l’autorité parentale conjointe
comme nouvelle norme après la sépa ration des
époux en la distinguant de la résidence habituelle
de l’enfant, puis la généralisent aux séparations
post-concubinage. Désormais, le principe de copa-
rentalité, en l’occurrence de maintien du lien de
l’enfant à ses deux parents après séparation conju-
gale, est intégré comme partie prenante de l’intérêt
supérieur de l’enfant. Ce qui ne sera pas sans
susciter quelques interrogations, tant sur l’idée de
coparentalité – reprise pour qualifier l’apport de la
loi de 1970 qui avait remplacé la puissance pater-
nelle par l’autorité parentale exercée conjointement
par père et mère dans la famille unie, mais qui
sera aussi utilisée pour décrire des situations de
recomposition familiale ou d’homoparentalité –,
que sur la notion d’« intérêt de l’enfant », dont on
sait, depuis la thèse soutenue par Irène Théry, qu’elle
constitue un « alibi » susceptible de justifier toutes
les positions (Théry, 1985). La logique juridique
désormais s’attache de plus en plus à encadrer
les évolutions des mœurs plutôt qu’à privilégier
l’application de grands principes venus d’en haut,
comme l’a bien montré Jacques Commaille
(1994). La Cnaf lance alors son appel d’offres de
recherche « droit et nouvelles formes de vie fami-
liale », destiné à éclairer cette complexité de la
mutation qui est en train de s’opérer, tant du
côté des situations monoparentales (Lefaucheur,
1989 ; Tort, 1987 ; Le Gall et Martin, 1987) que des
recompositions familiales (Meulders-Klein et Théry,
1993 ; Le Gall et Martin,1990 ; Blöss, 1996) et des
nouvelles situations problématiques qui s’annoncent
avec le développement de l’Assistance médicale
à la procréation (Delaisi de Parseval, 1985 ; Alnot
et al., 1986 ; Tort, 1992). D’une certaine façon, cette
pratique qui devient la résidence alternée se
révèle emblématique de cette mutation que, de plus
en plus, on n’hésite pas à qualifier de « révolution
anthropologique », et on comprend, vu l’importance
des enjeux, qu’elle continue à susciter des réticences,
voire des oppositions farouches.
Les années 1990 ou la légitimation
progressive de l’alternance
Les années 1990 sont un moment majeur de
débats sur les questions familiales qui, à la suite
notamment des recherches impulsées par la Cnaf
et son responsable du bureau de la recherche
d’alors, Pierre Strobel (2008), vont voir non seule-
ment les savoirs des sciences humaines et sociales
se reconfigurer mais également se diffuser dans
la sphère politique, à l’instigation du gouverne-
ment de gauche d’alors et exemplairement de la
ministre de la Famille, Ségolène Royal. Nombre des
auteurs de ces recherches sont alors auditionnés,
illustrant, s’il en était besoin, à quel point le prin-
cipe de légitimité de la gestion républicaine est
devenu la science et, en l’occurrence, les sciences
ayant pour objet l’étude de l’homme, même si
bien souvent ces sciences et leurs divers courants
se révèlent en désaccord. Le propos d’un juge
interviewé en 1991 explicite clairement ce statut
légitimant des savoirs : « Françoise Dolto a […]
démontré que les enfants qui ont été confrontés à
cette résidence alternée forgeaient une person -
nalité moins solide que les autres enfants. C’est
contraire à l’intérêt de l’enfant. » (Neyrand, 1994,
p. 284). Ainsi, quelque temps après la parution
du travail sur l’évolution des savoirs sur la petite
enfance et les rôles parentaux (L’enfant, la mère et
la question du père, 2000) et la réédition de celui
sur la résidence alternée (L’enfant face à la sépa -
ration des parents, 2001), la ministre de la Famille,
son cabinet et celui du ministre de la Justice, nous
auditionnent sur la question de la paternité (8) et
celle de la résidence alternée. Sont, entre autres,
évoqués les nouvelles pratiques parentales, la
dénomination résidence alternée (Neyrand, 2001)
et, plus généralement, ses effets sur la place de la
mère, et surtout du père, dans le contexte de la
reconfiguration en cours de la sphère privée.
Sans préjuger de l’impact de ces multiples audi-
tions, qui bien souvent ne font que conforter des
positions déjà formées, y compris à l’aide de
travaux explicitement sollicités pour servir de
« conseiller du Prince », comme ceux de Françoise
Dekeuwer-Défossez (1999) ou d’Irène Théry (1998),
les dernières lois votées sous le gouvernement de
Lionel Jospin en 2002 vont formaliser les dernières
avancées en la matière. Il s’agit, pour ce qui
concerne le propos de l’article, de la loi sur
l’autorité parentale du 4 mars 2002, qui reconnaît
la légitimité sociale de la pratique de la résidence
alternée, dans une formulation qui place, symboli-
quement estimeront certains, son évocation avant
celle de la solution jusqu’alors unique : « la rési-
dence de l’enfant peut être fixée en alternance au
domicile de chacun des parents ou au domicile de
l’un d’eux » (article 373-2-9 du Code civil). L’article
précise par ailleurs : « À la demande de l’un des
parents ou en cas de désaccord entre eux sur le
mode de résidence de l’enfant, le juge peut ordonner
à titre provisoire une résidence en alternance dont
il détermine la durée. Au terme de celle-ci, le juge
Politiques sociales et familiales n° 117 - septembre 2014
8Dossier « La résidence alternée »
(8) Une autre collègue auditionnée aura un impact manifeste, puisqu’elle est à l’origine notamment de l’allongement du
congé paternel (Castelain-Meunier, 2002).