La résidence alternée ou le défi de la coparentalité Gérard Neyrand Professeur à l’université Paul Sabatier Toulouse 3. Membre du PRISSMH-SOI et responsable du laboratoire associatif CIMERSS. Mots-clés : Résidence alternée – Coparentalité – Sociologie – Genre – Polémiques. Apparues dans le grand bouleversement des années 1970, les pratiques de ce qui était encore la garde alternée ont d’emblée été présentées par leurs initiateurs comme l’expression d’une volonté d’égalisation des positions entre les sexes, qui posait la coparentalité après la séparation comme la transposition d’une répartition nouvelle des rôles et des tâches mise en œuvre pendant la vie commune. L’équivalence du temps passé pour chaque parent auprès de ses enfants pouvait être lue comme l’expression d’un processus d’égalisation entre les sexes qui s’exprimait en parallèle dans l’investissement professionnel des femmes et familial des hommes. Les réticences et les critiques à l’égard d’une telle pratique, si elles sont généralement énoncées au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, n’en dévoilent pas moins la persistance d’une vision naturaliste qui prédisposerait les mères en toute circonstance à être les premières éducatrices de l’enfant. Conception défendue, au nom de l’intérêt du bébé, par un certain nombre de pédopsychiatres et acteurs de la petite enfance arc-boutés sur une vision traditionnelle des rôles, cette position se révèle également défendue par des féministes qui se veulent radicales au nom des risques, que porterait une telle pratique, de perpétuation d’une violence masculine sur les mères séparées... L’article accompagne le changement de regard, social et juridique, sur cette pratique progressivement mieux acceptée, mais qui se trouve prise dans des polémiques qui la dépassent, au nom même de l’analyse de la complexité des rapports sociaux de sexe. D ès son apparition dans les années 1970, ce qu’on appelait alors la « garde alternée » a posé question, notamment pour ceux des psychologues cliniciens qui la dénonçaient comme déstabilisante pour l’enfant. L’article a pour objectif d’interroger la représentation sociale de la garde alternée à partir des travaux réalisés sur cette pratique novatrice de garde de l’enfant après la séparation de ses parents, et de montrer l’évolution Politiques sociales et familiales 5 du regard social qui a contribué à justifier le repositionnement du droit à son égard, depuis la loi de 1987 qui fixe comme norme l’autorité parentale en la dissociant de la résidence jusqu’à celle de 2002 qui reconnaît la pratique comme légitime. Pour autant, les résistances sociales à son égard demeurent. Cette contribution se propose de suivre le cheminement des débats jusqu’à leur mondialisation actuelle. Ainsi, lorsqu’en 1988, la Caisse nationale des Allocations familiales (Cnaf) lance un appel d’offres de recherche sur le thème « droit et nouvelles formes de la vie familiale », demeure très controversée ce qu’on continue à appeler la « garde alternée » malgré la loi de 1987. La résidence alternée, donc, n’a pas alors d’existence juridique puisqu’il est fait obligation au juge, depuis cette loi, de désigner une résidence habituelle de l’enfant, à l’encontre des quelques décisions très isolées qui avaient essayé ici ou là de la mettre en place devant l’insistance des parents. Parmi les multiples travaux sur les situations portées par cette dynamique, l’approche des aides à la socialisation des enfants de parents séparés (Neyrand et Guillot, 1988) montrait le désarroi de certains parents qui pratiquaient cette solution dans une semi-clandestinité et souffraient qu’elle ne soit pas reconnue comme légitime. C’est bien l’un des effets de la force du droit (Bourdieu, 1986) que d’apaiser par son impact symbolique un certain nombre des tourments qu’éprouvent ceux qui ne se sentent pas légitimés dans leur choix de vie par la société. Une condition donnée pour que soit retenue notre réponse à l’appel d’offres, qui s’intitulait « La garde alternée : nouveaux modes de vie et résistances institutionnelles. Une démarche controversée pour un mode original de socialisation », fut que la pratique soit désignée par la dénomination juridique de « résidence alternée » et non pas celle, usuelle, de « garde alternée ». Commençait ainsi une recherche sociologique dont il était difficile d’imaginer les multiples prolongements jusqu’à aujourd’hui. n° 117 - septembre 2014 Dossier « La résidence alternée » La lente reconnaissance de la résidence alternée Une vision initialement très négative de l’alternance Au tournant des années 1990, la vision de cette pratique était encore très négative, alimentée par une certaine tradition des discours cliniques, psychanalytiques ou non, qui la dénonçaient comme déstabilisante pour l’enfant et l’empêchant de se construire dans un rapport apaisé à son environnement, ce que semblait offrir la vie avec un seul parent. Les spécialistes des disciplines psychologiques n’avaient pas encore vraiment intégré les conséquences de l’évolution des mœurs et des pratiques familiales sur les savoirs servant de référence à la « bonne » famille et au bien-être supposé de l’enfant en son sein. N’était pas encore vraiment dépassée la représentation selon laquelle la présence constante de la mère de l’enfant, a fortiori s’il était petit, constituait ce qu’il pouvait y avoir de mieux pour celui-ci. Ce qu’une mère « suffisamment bonne » devait apporter à l’enfant c’était de l’amour et de la présence, et l’idée que le père pouvait avoir la même fonction apparaissait pour beaucoup incongrue. La formalisation classique des fonctions parentales s’opposait à une telle reconfiguration de la pensée clinique (Neyrand et al., 2013). Il faut dire que la période antérieure, celle qui s’étendait de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 1960, avait été propice à la diffusion massive de telles façons de voir les choses, non seulement chez les cliniciens mais aussi le grand public, grâce à l’entrée dans l’ère de la communication de masse (McLuhan, 1968). Le psychanalyste américain René Spitz avait pu, dès 1945, dénoncer les méfaits de l’hospitalisme, c’est-à-dire l’impact très négatif d’un placement des bébés privés de leurs parents par la guerre dans des institutions de soin qui privilégiaient la prise en charge physique au détriment du soin relationnel. Les carences affectives aux effets délétères ainsi provoquées furent interprétées, à l’époque du règne du modèle de « la femme au foyer » (Parsons et Bales, 1955), presque mécaniquement comme des carences de soins maternels [Aubry, 1983 (1955)], provoquant des troubles psychiques graves chez les enfants. Ce d’autant plus qu’à la même époque le psychanalyste et éthologue John Bowlby développait une théorie qui allait connaître un succès mondial, celle de « l’attachement » (Bowlby, 1978), qui resta longtemps centrée sur le seul attachement à la mère. Longtemps régna en maître l’idée que le bien-être psychique de l’enfant dépendait étroitement de la seule bonne relation à la mère. Ce qui n’était pas sans effets et sur les représentations de l’accueil collectif du jeune enfant et sur celles concernant la place du père (Neyrand, 2000) (1). On comprend que, dans un tel contexte, la garde alternée pouvait apparaître, pour certains, comme une aberration. Un bouleversement chaotique des façons de voir Il a fallu attendre les années 1970 pour que les choses commencent à être pensées autrement. Dans le prolongement du grand mouvement d’idées de 1968, se développent non seulement de nouvelles pratiques dans la sphère privée, mettant en avant l’égalité entre les sexes, de nouveaux rapports entre les générations, l’investissement professionnel des femmes, une nouvelle proximité des pères à leurs enfants, mais aussi de nouvelles théorisations qui, sans mettre forcément à bas les anciennes, relativisent fortement les certitudes antérieures. À la dynamique d’émancipation des femmes mise en place (Thébaud, 1992), se conjugue une revendication des hommes à vivre autrement leur paternité. Les « nouveaux pères » se constituent alors en avant-garde d’une attitude de proximité paternelle au bébé et d’investissement à l’enfant (Hurstel, 1985 ; Boyer, 2004) qui, depuis, s’est généralisée. Les conceptions traditionnelles des rôles parentaux sont ainsi prises dans la tourmente des revendications de l’époque, et si les écrits féministes s’attachent à détruire de l’extérieur de la clinique l’image d’une maternité triomphante qui définirait l’être de la femme, depuis Maternité esclave jusqu’à L’Amour en plus (Collectif, 1975 ; Badinter, 1980), d’autres travaux apportent de l’intérieur du champ même de la clinique une autre vision de la socialisation remettant en question la primauté absolue du maternel. L’analyse du fonctionnement des kibboutz par Bruno Bettelheim va en ce sens, mais c’est peutêtre surtout le travail des deux membres de l’équipe de Jenny Aubry, Myriam David et Geneviève Appel, sur Lòczy, qui vient ébranler les certitudes antérieures. Avec Lòczy ou le maternage insolite [David et Appel, 2008(1973)], en effet, ces cliniciennes mettent en avant, en analysant le remarquable travail d’Emmi Pickler dans la maison d’enfants de Budapest, qu’il est possible de réaliser un travail spécifique de socialisation en maison d’enfants qui ne soit pas producteur de carences affectives trop perturbatrices. Même si les auteurs n’arrivent pas à désigner cette attitude autrement que comme un « maternage insolite », le ver est dans le fruit : une éducation non polarisée sur la seule figure maternelle peut être viable et équilibrante, même si le rapport à l’origine peut demeurer une question lancinante (Recherches familiales, 2007). Ce qui permet de sortir aussi bien des dénonciations des méfaits de l’accueil collectif que d’une représentation (1) Ce livre est également issu d’une recherche réalisée pour la Cnaf (Neyrand, 1998). Politiques sociales et familiales 6 n° 117 - septembre 2014 Dossier « La résidence alternée » du rôle du père à l’égard du bébé cantonné à « bien s’occuper de l’environnement de la mère », selon la formule de Donald W. Winnicott. Dès lors, la théorisation clinique de la famille, des rôles mais aussi des fonctions paternels et maternels, pourra évoluer vers une conceptualisation de la triade (Fivaz et Corboz, 2001), qui s’accompagnera d’une évolution progressive et non uniforme des façons de penser l’univers familial (2). C’est dans ce contexte que commencent à se développer les pratiques de garde alternée dans les années 1970 (3), témoignant d’une volonté de la part de la plupart des parents qui la revendiquent de mettre en accord leurs conceptions avec leurs pratiques, alors que se développent de façon fulgurante les séparations et les divorces (4). « La première constatation que l’on peut faire quant aux familles qui pratiquent la résidence alternée, c’est que celle-ci s’inscrit dans le prolongement de la façon de vivre de ces familles lorsqu’elles étaient unies. La grande majorité des pères s’investissaient dans l’éducation des enfants, partageaient les tâches domestiques, différenciaient peu leur rôle de celui de la mère » (Neyrand, 2009, p. 77-78). Si la loi de 1975 accompagne cette évolution, en réintroduisant le divorce par consentement mutuel en complément du divorce pour faute, qui n’est alors que le seul divorce possible depuis 1884 (5), et en donnant comme nouveau principe de gestion de l’après-séparation non plus la faute d’un conjoint mais l’intérêt supérieur de l’enfant, cela ne sera pas sans effets paradoxaux, voire pervers, car l’on continue de fonctionner après la loi de 1975 sur l’idée que les pères qui se séparent de leurs conjointes seraient plus ou moins dans une logique d’abandon de l’enfant, a fortiori s’ils ne sont pas mariés, alors même que les analyses démographiques montrent que les pères non mariés reconnaissent dans leur grande majorité des cas leur enfant très rapidement après sa naissance. Les juges veulent ainsi, comme dans la période antérieure, protéger la mère contre un père abandonnique, alors que si ces cas demeurent, ils restent très minoritaires dans ce nouveau contexte. Ce qui explique que, dès 1975, se constituent des associations de pères réclamant un meilleur accès à leurs enfants (6), et pour lesquelles la garde (puis la résidence) alternée va devenir un cheval de bataille. Dans le contexte de l’inégale répartition de la garde des enfants après séparation (neuf fois sur dix avec la mère), la garde alternée semble être la solution la plus viable pour permettre une égalisation concrète des droits et le maintien des liens. Mais elle est loin de constituer une demande généralisée des pères et de susciter une opposition généralisée des mères. Au contraire, il existe sans doute autant de pères que de mères qui se refusent à l’envisager… L’époque est donc à une diversification et une complexification des situations d’après-séparation, tant les formes qu’elles prennent semblent dépendre à la fois du genre, du milieu social et du type de séparation (7), venant grandement compliquer le travail des juges et des intervenants sociaux. Toujours est-il qu’une proportion non négligeable de pères séparés se sentent injustement privés d’un contact régulier avec leurs enfants et revendiquent une véritable égalité parentale après séparation, passant notamment par la garde alternée, soutenus par la plupart des féministes (on reviendra sur les réticences exprimées par certaines) et une proportion croissante de psychologues et de thérapeutes, pour lesquels le maintien des liens parentaux commence à constituer une préoccupation majeure (Guillonneau et Moreau, 2013). C’est dans ce contexte que – après la mise au point préalable de Gérard Mendel en 1969 –, dès le début des années 1980 se multiplient les publications et les ouvrages sur la condition paternelle, dont certains ne manqueront pas d’avoir un impact important, depuis Le père, acte de naissance de Bernard This (1980), jusqu’à Pères et bébés de Jean Le Camus (1995), en passant par La part du père de Geneviève Delaisi de Parseval (1981) ou le colloque de l’Institut national d’études démographiques (Ined, 1982) Les pères aujourd’hui. Un certain nombre de controverses sur, notamment, la place du père se développent durant ces années-là, dans un contexte de reconfiguration des références organisatrices de la sphère privée et de la famille, s’accompagnant d’une fragilisation du lien conjugal et, par contrecoup, du lien paternel après séparation. (2) À cet égard, l’évolution de la conceptualisation d’une psychanalyste comme Françoise Hurstel est particulièrement intéressante à mettre en avant, marquée par les étapes que constituent ses publications : 1985, 1991, 1996, 2001, 2008 et 2010. (3) Et non, comme le laissaient supposer les propos d’une juriste lors d’une table ronde récente, à partir de la légitimation de sa possibilité par la loi de 2002 ! (4) De 1970 à 1980 le taux de divortialité passe de 10 % à 30 %. (5) La constitution véritablement révolutionnaire de 1792 introduit, à côté du mariage civil, un divorce très ouvert, puisque la demande d’un des conjoints y suffit. Recadré par le Code Napoléon, puis disparaissant avec la Restauration, le divorce réapparaît en 1884 sous la forme d’un divorce pour faute qui ne remet pas en question l’institution. (6) Par exemple, le Mouvement de la condition paternelle ou SOS divorce, fondés en 1974 et 1975. (7) Lors de la première recherche de 1998, résumée dans la première partie de L’enfant face à la séparation des parents, on identifie pas moins d’une dizaine de situations caractéristiques : les mères célibataires abandonnées, les pères divorcés abandonnés, les mères célibataires volontaires, les divorcées sur leur initiative, les gardes conflictuelles, les séparations conflictuelles, les séparés consensuels avec résidence unique, les parents pratiquant la résidence alternée, les « marginaux » et les « accidentés »… Politiques sociales et familiales 7 n° 117 - septembre 2014 Dossier « La résidence alternée » Sous l’impulsion de la société civile et l’éclairage d’enquêtes qui pointent les risques d’une évolution non maîtrisée, mettant, par exemple, en évidence que quelque temps après la séparation près de 60 % des pères ne voient plus du tout, ou rarement (moins d’une fois par mois) leurs enfants (Ined, 1986), les milieux politiques et juridiques vont réagir et voter les lois de 1987 et 1993 qui, respectivement, donnent l’autorité parentale conjointe comme nouvelle norme après la séparation des époux en la distinguant de la résidence habituelle de l’enfant, puis la généralisent aux séparations post-concubinage. Désormais, le principe de coparentalité, en l’occurrence de maintien du lien de l’enfant à ses deux parents après séparation conjugale, est intégré comme partie prenante de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ce qui ne sera pas sans susciter quelques interrogations, tant sur l’idée de coparentalité – reprise pour qualifier l’apport de la loi de 1970 qui avait remplacé la puissance paternelle par l’autorité parentale exercée conjointement par père et mère dans la famille unie, mais qui sera aussi utilisée pour décrire des situations de recomposition familiale ou d’homoparentalité –, que sur la notion d’« intérêt de l’enfant », dont on sait, depuis la thèse soutenue par Irène Théry, qu’elle constitue un « alibi » susceptible de justifier toutes les positions (Théry, 1985). La logique juridique désormais s’attache de plus en plus à encadrer les évolutions des mœurs plutôt qu’à privilégier l’application de grands principes venus d’en haut, comme l’a bien montré Jacques Commaille (1994). La Cnaf lance alors son appel d’offres de recherche « droit et nouvelles formes de vie familiale », destiné à éclairer cette complexité de la mutation qui est en train de s’opérer, tant du côté des situations monoparentales (Lefaucheur, 1989 ; Tort, 1987 ; Le Gall et Martin, 1987) que des recompositions familiales (Meulders-Klein et Théry, 1993 ; Le Gall et Martin,1990 ; Blöss, 1996) et des nouvelles situations problématiques qui s’annoncent avec le développement de l’Assistance médicale à la procréation (Delaisi de Parseval, 1985 ; Alnot et al., 1986 ; Tort, 1992). D’une certaine façon, cette pratique qui devient la résidence alternée se révèle emblématique de cette mutation que, de plus en plus, on n’hésite pas à qualifier de « révolution anthropologique », et on comprend, vu l’importance des enjeux, qu’elle continue à susciter des réticences, voire des oppositions farouches. Les années 1990 ou la légitimation progressive de l’alternance Les années 1990 sont un moment majeur de débats sur les questions familiales qui, à la suite notamment des recherches impulsées par la Cnaf et son responsable du bureau de la recherche d’alors, Pierre Strobel (2008), vont voir non seulement les savoirs des sciences humaines et sociales se reconfigurer mais également se diffuser dans la sphère politique, à l’instigation du gouvernement de gauche d’alors et exemplairement de la ministre de la Famille, Ségolène Royal. Nombre des auteurs de ces recherches sont alors auditionnés, illustrant, s’il en était besoin, à quel point le principe de légitimité de la gestion républicaine est devenu la science et, en l’occurrence, les sciences ayant pour objet l’étude de l’homme, même si bien souvent ces sciences et leurs divers courants se révèlent en désaccord. Le propos d’un juge interviewé en 1991 explicite clairement ce statut légitimant des savoirs : « Françoise Dolto a […] démontré que les enfants qui ont été confrontés à cette résidence alternée forgeaient une personnalité moins solide que les autres enfants. C’est contraire à l’intérêt de l’enfant. » (Neyrand, 1994, p. 284). Ainsi, quelque temps après la parution du travail sur l’évolution des savoirs sur la petite enfance et les rôles parentaux (L’enfant, la mère et la question du père, 2000) et la réédition de celui sur la résidence alternée (L’enfant face à la séparation des parents, 2001), la ministre de la Famille, son cabinet et celui du ministre de la Justice, nous auditionnent sur la question de la paternité (8) et celle de la résidence alternée. Sont, entre autres, évoqués les nouvelles pratiques parentales, la dénomination résidence alternée (Neyrand, 2001) et, plus généralement, ses effets sur la place de la mère, et surtout du père, dans le contexte de la reconfiguration en cours de la sphère privée. Sans préjuger de l’impact de ces multiples auditions, qui bien souvent ne font que conforter des positions déjà formées, y compris à l’aide de travaux explicitement sollicités pour servir de « conseiller du Prince », comme ceux de Françoise Dekeuwer-Défossez (1999) ou d’Irène Théry (1998), les dernières lois votées sous le gouvernement de Lionel Jospin en 2002 vont formaliser les dernières avancées en la matière. Il s’agit, pour ce qui concerne le propos de l’article, de la loi sur l’autorité parentale du 4 mars 2002, qui reconnaît la légitimité sociale de la pratique de la résidence alternée, dans une formulation qui place, symboliquement estimeront certains, son évocation avant celle de la solution jusqu’alors unique : « la résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux » (article 373-2-9 du Code civil). L’article précise par ailleurs : « À la demande de l’un des parents ou en cas de désaccord entre eux sur le mode de résidence de l’enfant, le juge peut ordonner à titre provisoire une résidence en alternance dont il détermine la durée. Au terme de celle-ci, le juge (8) Une autre collègue auditionnée aura un impact manifeste, puisqu’elle est à l’origine notamment de l’allongement du congé paternel (Castelain-Meunier, 2002). Politiques sociales et familiales 8 n° 117 - septembre 2014 Dossier « La résidence alternée » statue définitivement sur la résidence de l’enfant en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux. » Cette possibilité sera effectivement suivie dans un certain nombre de cas, et confirmée une fois sur deux, ainsi que l’enquête réalisée peu de temps après son application le met en évidence (Moreau et al., 2004) (9). La position du juge s’en trouve facilitée, ce d’autant plus que cela s’accompagne d’un plus grand crédit accordé à la décision des parents. La norme est d’inciter les parents à formaliser une convention destinée à gérer l’après-séparation, que le juge n’aura plus qu’à entériner, sauf dans le cas, devenu rarissime, où il considère qu’elle serait contraire à l’intérêt de l’enfant. Désormais, les juges entérinent systématiquement les conventions de la résidence alternée, après avoir vérifié sa possibilité matérielle. Ce n’est plus que dans une minorité de cas de désaccords de parents que la position du juge en la matière peut avoir un impact, et encore a-t-il la possibilité d’opter pour une alternance « à l’essai »… Il est vrai que, compte tenu de l’évolution des débats, l’alternance n’est plus systématiquement évoquée comme un risque ou une erreur. Un consensus se forme selon lequel, appliquée dans de bonnes conditions, elle pourrait être favorable à l’intérêt de l’enfant… si ce n’est que les résistances à son égard ne disparaissent pas mais se focalisent sur des situations particulières, dont certaines n’étaient pas forcément attendues. engagée de façon militante à plusieurs niveaux (10), entres autres celui de la résidence alternée précoce. Si toutes ses critiques ne sont pas dénuées de fondement, la forme qu’elles prennent, leur violence et leur manque de nuances, ne peuvent qu’amener à les dénoncer comme exprimant une vision traditionnaliste caricaturale de la famille, politiquement marquée (11), et qui reste indexée aux formulations des années 1950 des fonctions parentales pour lesquelles le seul soignant valable du jeune enfant reste sa mère. Ce mouvement aboutit à l’élaboration d’une sorte de manifeste antirésidence alternée, intitulé Le livre noir de la garde alternée, et dont la parution engendre des réactions que l’on pourrait qualifier de « contrastées » (Phélip, 2006). Pour les auteurs, il s’agit toujours de parler de « garde » plutôt que de « résidence » et d’opposer l’égoïsme des parents à « l’intérêt de l’enfant », comme le rappelle le nom de l’association de Jacqueline Phélip « L’enfant d’abord ». Ce qui entre en contradiction avec la grande majorité des travaux (12) menés sur les résidences alternées durables, et dans lesquels l’intérêt de l’enfant et celui de ses parents sont présentés par les acteurs eux-mêmes comme ne faisant qu’un. S’il n’y a pas accord des observations, c’est bien que l’on peut rencontrer, au sein de la multitude des situations d’alternance, des enfants qui s’y trouvent bien et d’autres non, et l’on ne s’étonnera pas que ces derniers soient davantage représentés dans les cabinets des thérapeutes. La persistance des polémiques À l’heure où les sciences humaines reconnaissent la multicausalité des phénomènes psychiques et sociaux, peut-on conclure que des enfants présentant des symptômes de mal-être dans des situations d’alternance les doivent à cette seule pratique, et que cela suffirait à la condamner ? Un procès identique fut instruit à son époque contre les situations monoparentales, aujourd’hui contre les situations homoparentales ; pourtant, au temps de Sigmund Freud, les innombrables symptômes présentés par des enfants élevés par leurs deux parents n’amenèrent pas à condamner irrémédiablement la famille conjugale. Âge de l’enfant et violences conjugales : deux niveaux disparates d’opposition Le premier niveau d’opposition s’inscrit dans la continuité des résistances initiales des professions psychologiques à la pratique de l’alternance, tout en se concentrant sur un critère qui, pour elles, est rédhibitoire, l’âge précoce de l’enfant concerné ; ces résistances vont donc se retrouver essentiellement chez des pédopsychiatres et des professionnels de la petite enfance. Ce courant se cristallise autour d’une figure majeure du champ psychiatrique, (9) Un an et demi après la loi, 10 % des affaires terminées ont fait l’objet d’une demande d’alternance, acceptée pour 85 % d’entre elles. De fait, toujours acceptée lorsqu’elle est demandée par les deux parents, elle ne l’est qu’une fois sur quatre lorsqu’un seul parent la demande… De plus, cette acceptation est à l’essai dans un cas sur deux, et n’est confirmée que pour la moitié d’entre eux. (10) Entre autres, contre une certaine conception de la protection de l’enfance mettant en avant la reconnaissance de l’importance des liens de l’enfant à ses parents et sa famille d’origine, suite notamment à la diffusion des résultats sur les carences précoces débouchant sur « l’opération pouponnière » des années 1970 (Pioli, 2006) puis sur la loi de 1984 reconfigurant la protection de l’enfance. Pour apprécier les divergences de vue on peut, par exemple, mettre en parallèle le livre de Maurice Berger (2003) avec celui de Frédéric Jésu (2004 a et b), ou celui de Benoît Bastard et Christian Mouhanna (2010). (11) Voir l’article très polémique de M. Berger, Le droit d’hébergement du père concernant un bébé (2002), qui suscita au moins deux réponses dans la même revue, celle de Bruno Decoret, À propos de l’article de M. Berger (2003), et De l’incapacité présumée du père à s’occuper du bébé. La question de la résidence alternée du jeune enfant (Neyrand, 2002), repris en 2009, dans Le dialogue familial. Un idéal précaire, Toulouse, Érès. (12) On ne peut mentionner tous ces travaux, seulement quelques-uns à vocation synthétique : Baude et Zaouche-Gaudron, 2010 ; Kesteman, 2007 ; Les rapports du Sénat, 2006-2007 ; Trinder, 2010 ; Poussin, 2009. On peut aussi se référer au numéro de Spirale de 2009 intitulé La garde alternée pour apprécier l’étendue des débats. Politiques sociales et familiales 9 n° 117 - septembre 2014 Dossier « La résidence alternée » Cependant, toutes les enquêtes partagent la conclusion que la résidence alternée ne peut être la panacée tant sa pratique harmonieuse suppose un certain nombre de conditions, souvent difficiles à assembler. La première est que les parents doivent souhaiter cette solution de garde, ce qui n’est le cas que d’une minorité. Et lorsque ce souhait est présent, les conditions matérielles doivent le permettre aussi, car un éloignement trop important des domiciles ou un domicile trop exigu rendent la résidence alternée difficilement envisageable. Mais l’obstacle qui semble le plus rédhibitoire est relationnel : les situations de séparation, notamment lorsqu’elles sont conflictuelles, ne sont pas a priori très favorables à la mise en place d’une solution de résidence de l’enfant qui demande un minimum d’entente entre les parents sur la question. Beaucoup d’entre eux manifestent une difficulté à appréhender l’autre parent en tant que tel sans le charger des griefs reprochés au conjoint (13). Or, pour qu’une alternance soit viable, il convient que l’enfant ne soit pas investi du conflit conjugal, et porteur à chaque changement de résidence des reproches adressés à l’autre en tant que conjoint (Neyrand, 1999 a et b ; Poussin, 2005 ; Baude et Zaouche-Gaudron, 2010). Ceci rend la situation de l’enfant insupportable, confronté en permanence à un conflit de loyauté, et ne peut que provoquer chez lui des troubles et un désir d’échapper à une telle double contrainte (Bateson, 1977 ; Le Run, 2013). Une alternance harmonieuse et non perturbatrice suppose donc que les parents aient été en mesure de réaliser le travail psychique nécessaire pour que l’ex-conjoint ne soit plus envisagé qu’en tant qu’autre parent, dont le maintien du lien à son enfant constitue un enjeu pour l’équilibre et le bien-être de celui-ci. Ce que, dans la situation posttraumatique de l’après-séparation, beaucoup de parents ont de grandes difficultés à réaliser, ayant souvent besoin pour pouvoir l’effectuer d’un soutien extérieur les mettant en capacité d’effectuer ce travail. Il s’agit là, sans doute, de la première raison du développement de la médiation familiale en France (Bastard et Cardia-Vonèche, 1990 ; Babu et al., 1997 ; Dahan, 2000 ; Recherches et Prévisions, 2002 ; Lefeuvre, 2008 ; Neyrand, 2008), à côté d’autres solutions visant la prise en charge des situations les plus problématiques, comme les espaces rencontres (Bastard et Gréchez, 2002 ; Bastard, 2002 ; Bedere et al., 2011). Les polémiques sur la résidence alternée, que nombre de chercheurs ayant travaillé sur la question trouvent tendancieuses, ont abouti à ce qu’un certain nombre soient amenés à préciser et expliciter encore plus leurs positions. Ce sera, en ce qui concerne les manifestations les plus récentes de ces tensions, le colloque du Centre d’ouverture psychologique et sociale (Copes), de l’Association francophone de psychologie et de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent (Appea) et de la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SFPEADA) du 8 avril 2013 à Paris, Résidence alternée : quels effets psychologiques sur les enfants ? et, à l’instigation du pédopsychiatre Maurice Berger, le colloque de la WAIMH francophone du 4 octobre 2013 Résidence alternée et périnatalité ; ainsi que, sur le versant plus sociologique, la rencontre International Platform on shared parenting les 10 et 11 août 2013 à Bonn, initiant une mise en réseau européen et mondial sur la question, et débouchant sur la création du Conseil international de la résidence alternée (14), dont le but est officiellement : « premièrement, la diffusion et la promotion des connaissances scientifiques sur les besoins et les droits (”l’intérêt supérieur”) des enfants dont les parents vivent séparés, et, deuxièmement, de formuler des recommandations fondées sur des preuves scientifiques concernant la mise en place de la résidence alternée sur les plans légaux, judiciaires et pratiques. » La première action importante de ce conseil a été la mise en place de l’International Conference on Shared Parenting 2014 du 9-11 juillet 2014, toujours à Bonn (Allemagne). Il n’est pas sans intérêt non plus de noter que, pour tous, et quelles que soient les interprétations divergentes qui en sont faites, « l’intérêt supérieur de l’enfant » et l’administration de la preuve par « la science » demeurent les deux grands référents des argumentations. Ce qui ne peut qu’induire un certain nombre de risques, celui d’avoir l’illusion que pourraient exister des « preuves scientifiques » du bien – ou du mal – fondé de la résidence alternée pour un enfant (ce qui supposerait de pouvoir isoler la variable résidence alternée du reste de la situation prise en compte) (15) ; et (13) Notre travail sur les situations de précarité monoparentale met particulièrement en évidence ce point (Neyrand et Rossi, 2004). (14) Voir la présentation sur le site internet www.twohomes.org (15) La tentation pour les sciences humaines et sociales de pouvoir objectiver leurs démarches au moyen d’outils de mesure permettant de les quantifier, à l’image de la procédure expérimentale propre aux « sciences de la vie », est présente depuis leur création, et a connu de multiples rebondissements. Cette illusion quantitativiste a perdu de sa puissance en sociologie au profit du développement d’une sociologie du sujet (Kaufmann, 2001), voire d’une sociologie clinique (Gaulejac et al., 2007), y compris grâce à sa critique par des auteurs ayant élaboré une grande part de leurs démonstrations à partir d’approches quantitatives, comme Pierre Bourdieu. Dans le même temps, elle s’est trouvée réactivée tant dans les démarches de psychologie du développement cognitivistes que dans celles de la psychiatrie neurobiologique. Ce qui a récemment amené au développement de controverses et de polémiques sur, notamment, la prévention psychique précoce (Inserm, 2005 ; Le Collectif, 2006 ; Gori et Del Volgo, 2005 ; Vidal, 2006 ; Neyrand, 2006 et 2007). Voir aussi nos analyses de ces polémiques (Neyrand et Mekboul, 2014). Politiques sociales et familiales 10 n° 117 - septembre 2014 Dossier « La résidence alternée » celui qu’il serait possible de définir de façon objective l’intérêt d’un enfant. Ce qui amène par exemple Benoît Bastard à poser la question : Un conjoint violent peut-il être un bon père ? (Bastard, 2014). On se trouve alors devant le second grand courant critique à l’égard de la résidence alternée, celui qui la dénonce en ce qu’elle permettrait à des conjoints violents de perpétuer leur oppression sur leurs ex-compagnes, voire sur leurs propres enfants. Une branche du féminisme, plus particulièrement enclin à dénoncer les violences masculines, exemplairement dans le couple, a développé cette critique, avec entre autres un numéro de Nouvelles questions féministes (2002) consacré à cette question. Le positionnement est très différent du courant précédent, fortement référencé à la pédopsychiatrie, qui illustrait une certaine défense du modèle traditionnel de la famille. Ce courant féministe se développe sur sa critique virulente, y compris en attaquant les féministes prenant partie pour la résidence alternée au nom de la volonté d’égalité des sexes et des positions parentales (Ferrand, 2004). L’attaque se révèle ici assez inattendue, car elle émane de personnes qui militent contre la domination masculine et réclament l’égalité des sexes, tout en remettant en question une pratique d’égalité parentale après la séparation, au nom de la lutte contre la violence conjugale. Ce qui pourrait laisser croire qu’il y aurait une volonté juridique et sociale de privilégier une coparentalité qui serait du côté du droit des pères (mais un droit des pères patriarcal) au détriment du droit des femmes à être protégées contre toute violence, si ce n’est, pour certaines, au droit des enfants à être protégés contre des violences paternelles. Or, un ensemble de constats rend caduque cette interprétation : la faible proportion de résidences alternées lorsqu’un seul parent la demande, le fait qu’une sur deux seulement de celles qui sont prononcées à l’essai sont reconduites, les enquêtes sur les pratiques concrètes d’alternance (16), les situations très contrôlées de rencontres médiatisées en présence d’un tiers dans des espaces dédiés (Bedere et al., 2011)… Que des situations de violence puissent être quand même perpétuées à travers une résidence alternée demeure regrettable et indique la grande difficulté à laquelle sont confrontés les intervenants sociaux, mais faut-il condamner une pratique qui, au nom des principes d’égalité et d’autonomie, satisfait un grand nombre de personnes, au prétexte qu’elle n’arrive à échapper à ce que l’on peut considérer comme des dysfonctionnements ? La question est complexe et délicate à traiter (17). Les avancées hésitantes d’une démocratisation paradoxale de la famille Il faut sans doute replacer la question dans le contexte général des mutations sociales concernant la famille et les relations privées, pour rappeler que la résidence alternée est un instrument – parmi d’autres – de lutte contre la domination masculine et pour l’égalisation des places des femmes et des hommes dans la société contemporaine, qui se veut démocratique malgré son enracinement dans la logique néolibérale (Revault d’Allonnes, 2010). C’est le sens d’un certain nombre de manifestes et de pétitions qui se sont développés suite aux polémiques à propos du dépôt d’un amendement à la loi sur l’autorité parentale visant à présenter la résidence alternée comme la norme de référence lorsqu’au moins un des deux parents la demande (Collectif, 2014). Outre le fait que ses opposants ont tenté de faire croire que cet amendement voulait promouvoir « la garde alternée pour tous » (alors qu’il ne concernait que le faible pourcentage des situations où l’alternance est demandée par un seul des deux parents), les réactions multiples à cette prise de position témoignent de l’évolution des représentations sociales sur la question et du fait qu’un consensus plus favorable envers l’alternance s’est progressivement élaboré. Une pétition prorésidence alternée mettant en avant une égalité des investissements parentaux a ainsi été diffusée à l’initiative de femmes et à destination de celles-ci, témoignant par là même de l’objectif égalitaire dont cette pratique est, par-delà les débats, porteuse (18). De même, l’ouvrage Le livre blanc de la résidence alternée. Penser la complexité (Neyrand et Zaouche-Gaudron, 2014), coordonné à l’initiative de Chantal Zaouche-Gaudron, essayait de faire le point de façon apaisée sur l’état des connaissances actuelles en matière de résidence alternée (19). (16) Ce qui ne veut pas dire que l’alternance suffirait à abolir des consensus antérieurs inégalitaires (Cadolle, 2011). (17) Elle se retrouve à de multiples autres niveaux, les autorisations de sortie de certains détenus ou de certains malades mentaux, par exemple, qui débouchent parfois sur des situations de violence qui, pour être très rares, n’en sont pas moins très mal vécues par la population… (18) Pétition du collectif Les femmes en faveur de la résidence alternée, https://secure.avaaz.org/fr/petition/A Mme Najat Vallaud-Belkacem. Voir également la tribune de Stéphanie Hain, Libération, 13 janvier 2014. (19) Avec la participation de Francine Cyr, Jocelyne Dahan, Michel Dugnat, Frédéric Jésu, Marc Juston, Carl Lacharité, Sahra Mekboul, Gérard Poussin, Michel Tort, Marie-Dominique Wilpert. Politiques sociales et familiales 11 n° 117 - septembre 2014 Dossier « La résidence alternée » ÚÚÚ Conclusion Si on peut se poser des questions sur la signification ultime de la volonté que présente désormais le droit de promouvoir l’indissolubilité des liens parentaux venant prendre le relais de l’ancienne indissolubilité du lien conjugal, et de la place donnée à la biologie par rapport à celle de la culture dans l’élaboration des liens parentaux, cela n’empêche pas de considérer que le principe de coparentalité participe du bien-être de l’enfant, si ce n’est de son « intérêt supérieur ». Les pratiques qui permettent l’exercice de cette coparentalité, comme la résidence alternée, semblent donc, de ce point de vue, à défendre, d’autant plus que dans la majorité des situations elles révèlent que l’intérêt des enfants et celui des parents ne sont pas à dissocier. Mais il est clair que, pour les parents, arriver à cette position partagée nécessite un véritable travail d’élaboration, et suppose une proximité des conceptions sur les rapports entre les sexes, entre les générations et sur l’éducation qui, parfois, ou même souvent, n’est pas possible. La résidence alternée est de ce fait difficile à mettre en œuvre, que ce soit à cause des divergences de conceptions ou du fait des contraintes pratiques. Si la coparentalité est un idéal qui suppose le dialogue, elle se révèle par là même précaire. Mais l’utilisation du terme « coparentalité » permet d’ouvrir le regard et de prendre quelque distance à l’égard d’un modèle familial qui serait trop normé, voire normatif. L’insistance à développer depuis trente ans une approche des relations familiales en termes de parentalité n’est pas neutre ; elle indique « un processus de construction d’un problème public nouveau » (Martin, 2003, p. 12). La notion de « parentalité », en effet, met l’accent sur le fait que le lien parent-enfant s’appuie et s’exprime dans la quotidienneté des relations entretenues entre un enfant et ses parents, que ce lien est construit et dynamique, et qu’il évolue tout au long de la vie. La coparentalité exprime ainsi l’idée que le lien parental demeure partagé à travers les pratiques liées à la coprésence parent- enfant, aussi bien dans les cas les plus classiques où il est noué aux autres aspects plus biologiques ou plus institutionnels (la filiation) de la parentalité que lorsqu’il s’est construit sur la seule base de la coprésence, à l’instar de la beau-parentalité ou de l’homoparentalité. Les situations postséparation conjugale donnent ainsi à voir toute la complexité des positionnement parentaux contemporains, tant dans la difficulté au maintien du lien de l’enfant à ses deux parents d’origine que dans la rencontre avec d’autres acteurs parentaux produits par les nouvelles situations, et avec lesquels il s’agit, pour l’enfant, d’élaborer d’autres liens… Références bibliographiques • Alnot M.-O., Labrusse-Riou C., Mandelbaum-Bleitrepeu J., Rosenczveig J.-P., 1986, Les procréations artificielles, rapport au Premier ministre, Paris. La Documentation française. • Aubry J., 1955, La carence de soins maternels. Les effets de la séparation et de la privation de soins maternels sur le développement des jeunes enfants, C.I.E., Paris, Presses universitaires de France (Puf) ; réédité en 1983 sous le titre Enfance abandonnée, Paris, Scarabée-Métailié. • Babu A., Biletta I., Bonnoure-Aufiere P., David-Jougneau M., Ditchev S., Girot A., Mariller N., 1997, Médiation familiale. 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