Entreprises libérées : mythes ou réalités – Comment passer

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5e Edition des Matinées TIS (Travail Innovation Santé) de
l’iaelyon School of Management :
Entreprises libérées : mythes ou réalités Comment passer du
discours à l’action ?
Rencontre professionnelle organisée et animée par Thierry Rochefort responsable du Diplôme
d’Université Management de la Qualité de vie au Travail et Santé de l’iaelyon :
Mardi 19 janvier 2016 de 8h30 à 12h30 à l’ iaelyon / Université Jean Moulin Lyon 3 Manufacture
des Tabacs Auditorium Malraux 16 rue du Professeur Rollet 69008 Lyon
Introduction par Thierry Rochefort :
La matinale s’intéresse au concept en vogue d’entreprise libérée considéré aujourd’hui comme clé du
succès économique ainsi qu’aux réalités et champs recouverts dans un contexte professionnel où les
défis à relever sont considérables : explosion du numérique, transition énergétique, allongement de
la vie professionnelle et préservation de la santé au travail.
Y-a-t-il un modèle en construction ?
I. Les Entreprises libérées : Nouveau paradigme organisationnel ou effet de mode ?
Par Thierry Rousseau, sociologue du travail et des organisations chargé de mission ANACT (Agence
Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail) et Christophe Everaere, professeur des
universités en sciences de gestion à l’iaelyon.
1er intervenant Thierry Rousseau : L’entreprise libérée et les carences de la production
scientifique
La promesse actuelle de libération du travail, acte créatif et social, est forte.
Dans un climat d’incertitudes, de valorisation de l’horizontalité, d’injonction à l’autonomie et
d’« uberisation » de l’économie, se développe un véritable engouement pour l’entreprise libérée.
Quelles interrogations soulever ? Quels sont les écueils à éviter ? Les voies du succès permettant
d’assurer bonheur au travail et réussite économique ne sont pas évidentes.
Rapide panorama du sujet traité en pointant le manque de production littéraire et scientifique sur les
entreprises libérées et d’évaluation scientifique sur leur fonctionnement (sont-elles rentables et
performantes ? quelles insuffisances ?)
« L’entreprise libérée qui libère les énergies de la bureaucratie et du management des organisations
/entreprises hiérarchiques traditionnelles »… quelques remarques et éléments critiques sur la
libéralisation des entreprises et l’autonomie des collectifs :
La bureaucratisation omniprésente de l’organisation « classique » : qu’en est-il réellement ? Le
diagnostic établi est trop rapide. Ce qui apparaît problématique c’est la financiarisation massive
contraignante pour l’entreprise.
Ce sont souvent dans les entreprises peu managérialisées avec des collectifs livrés à eux-mêmes
que l’on rencontre les plus grandes souffrances au travail.
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Toute activité organisée a besoin d’institutions car ce sont elles qui, acceptées
démocratiquement, permettent la concorde. Or l’entreprise libérée manque de cadres : le
risque pour le leader libérant son entreprise est de créer une situation de désinstitutionnalisation
préjudiciable.
Le modèle maximal de l’engagement est sous-tendu : il s’agit de libérer les barrières à l’action et
à l’engagement, les spécialisations fonctionnelles. Face à l’absence des limites à l’engagement et
des non-dits dans le mouvement des entreprises libérées, des règles organisationnelles ainsi
qu’une procéduralisation sont nécessaires pour le bon fonctionnement de l’organisation.
Quant à l’autonomie, est-elle une question nouvelle ? En effet, les salariés n’ont pas attendu le
mouvement de l’entreprise libérée pour être autonomes, ils le sont déjà de fait.
Pour libérer les entreprises, un encadrement méthodologique, technique et institutionnel est
impératif, à l’instar du travail mené par l’ANACT.
2d intervenant Christophe Everaere : Travail de recherche sur l’autonomie
L’ « autonomie » ? Depuis quand et pourquoi ?
Les arguments en faveur de l’injonction à l’autonomie :
Argument économique : performance économique et performance au travail
L’autonomie est indispensable à l’efficacité et à la performance organisationnelle car elle soutient la
capacité d’initiative des individus, encourage leur réactivité et leur adaptation à la différence du
Taylorisme.
L’autonomie permet de mobiliser et de développer l’intelligence individuelle et collective au
travail et repose également sur le discernement afin de pouvoir adapter les règles et sur l’auto-
organisation.
Argument social : le bonheur au travail
L’autonomie est un ingrédient de la satisfaction au travail et en corollaire de la performance
économique. L’autonomie est indispensable à l’acte professionnel par la prise d’initiatives au
quotidien des employés qui favorise la créativité. Même dans les univers tayloriens, les individus
sont capables de desserrer les contraintes liées au travail. En effet, dans l’histoire du travail,
l’autonomie a toujours été au cœur de celui-ci et particulièrement dans les univers professionnels
exigeants. Ainsi, par exemple, n’est-ce pas une question de survie que d’être autonomes pour des
mineurs de fond ? Dans les années 70, l’autonomie est particulièrement considérée comme critère
de performance économique.
Les ingrédients indispensables de l’autonomie :
Le droit à l’erreur :
Pas d’autonomie sans droit à l’erreur. Aussi le rôle vital de l’encadrement apparaît dans
l’exercice de l’apprentissage de la montée des compétences
La stabilité de l’emploi(-yé) :
Qui permet la montée en compétences du salarié. La précarité est antinomique de la progression
de l’employé (cf. la précarité des ouvriers sans qualifications qui constituent l’essentiel de la
main-d’œuvre du travail intérimaire).
Les règles :
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Elles doivent être co-élaborées et résulter d’une construction collective avec des personnes
qui font preuve d’autonomie et d’intelligence, avec ceux qui vont les appliquer. Cf. la théorie de
la régulation conjointe développée par le sociologue français Jean-Daniel Reynaud.
Elles doivent évoluer d’où la nécessité de penser l’accès à l’information qui permet la prise de
décision en autonomie (ex. réseaux…).
Mais attention à ne pas confondre autonomie et abandon.
II. Cas d’entreprise 1 : l’expérience de WI Gore et l’entreprise libre, culture du groupe
Gore.
Par Richard RITT, directeur de Lead’airship, ancien cadre de Gore-Tex (création du tissu Gore-Tex
dans les années 50).
Classée « Best workplace » en 2009 et 2014 en France et en Europe, l’entreprise Gore pourrait être
considérée comme le laboratoire du management démocratique des années à venir. Avec le
bouleversement du concept hiérarchique traditionnel sous le développement des nouvelles
technologies, ce témoignage nous permet de découvrir une approche visionnaire du groupe
industriel international qui compte 10 000 employés.
Quels sont les éléments transposables ? Quelles sont les précautions à prendre ?
Richard Ritt est un ancien pilote de chasse au sein de l’armée de l’air qu’il présente comme la
première « entreprise libérée » ce qui prouve que hiérarchie et autonomie ne sont pas
incompatibles.
Depuis 1958, Gore est une entreprise familiale libre et démocratique et non pas, sémantiquement,
une entreprise libérée. L’objectif n’est pas de transmettre ce modèle. Inscrite dans l’ADN du
groupe, la culture de l’innovation fait la richesse de Gore en produits et équipes performantes.
Entreprise profitable et stable, Gore présente une base solide favorable à ce fonctionnement
démocratique avec des salariés associés entreprise cotée en interne et non en bourse travaillant
en harmonie et imprégnés par la culture de l’entreprise.
Partant du postulat que les règles et les contrôles au travail étouffent les salariés, que la
bureaucratie les paralyse, les employés sont laissés libres de s’entendre et de décider ce qu’ils
jugent pertinents de faire. La définition de la stratégie s’opère au niveau de l’équipe locale. On
doit avoir envie de se développer par soi-même, ce qui nécessite de la maturité et une capacité à
prendre des risques. Parallèlement, au sommet, on met à disposition les moyens et budgets en
conséquence. Ainsi on responsabilise les salariés, le leader étant en retrait mais restant à
disposition. Il apporte son aide mais n’a pas d’emprise sur les salariés, absence de dirigisme. Le
leader n’est pas présent dans les réunions des équipes. Ce sont les équipes qui fixent elles-mêmes les
objectifs. Chez Gore le leader est un leader et non un manager.
La diffusion de la culture du groupe et son assimilation est un élément clé de la réussite de Gore.
Cette culture est vécue par les salariés et chaque nouvel arrivant peut s’imprégner du comportement
de ses collègues. On forme les individus au travail d’équipe : l’employé doit pouvoir travailler avec
tout le monde dans des équipes qui évoluent et ne restent pas figées. Pour faciliter l’intégration du
nouvel arrivant, 3 jours sont dédiés à sa formation à la culture de l’entreprise et ce dernier est
coaché d’égal à égal quotidiennement pendant 6 mois par un « parrain » sponsor ») qui aide à son
évolution. Cet enrichissement mutuel sur un pied d’égalité incite également le libre déplacement de
l’associé à l’étranger et permet la création de réseaux internationaux qui stimulent la circulation des
idées. Les équipes sont internationales.
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Des salariés libres de mettre en place des idées nouvelles, des équipes autonomes, des méthodes
d’encouragement à l’innovation, un process de sélection performant et motivant, beaucoup de
tolérance ainsi que du temps laissé à l’apprentissage soit une conjonction de phénomènes
favorables au succès de Gore et à la progression de son chiffre d’affaire (15 à 20% de progression
par an depuis 10 ans).
Quatre valeurs guident le fonctionnement quotidien :
- « Freedom » : « je suis totalement libre »
- « Fairness » : « je suis foncièrement honnête (je respecte mes collègues) »
- « Commitment » : « j’assume mes engagements »
- « Waterline » : « Je ne prends pas de décisions qui dépassent mes compétences »
Chez Gore, à l’autorité on oppose le besoin de personnes créatives : le « sweetspot » du salarié est
un élément clé. On repère ce qui le motive et on l’encourage. Il n’y a pas de position hiérarchique, les
salariés évoluent dans le maillage sans connaître de régression. Concernant la politique salariale, les
différences de salaires sont mineures avec des salaires de base élevés. L’enjeu est bien au-delà de la
progression pour gagner plus.
Le Pool RH (anglais) se met quant à lui à disposition de l’employé.
Gore est l’archétype de l’entreprise 2.0 : tout est accessible à tout le monde de par l’envergure
internationale du groupe et plus précisément des équipes : travail régulier mené avec les serveurs et
en visioconférence :
Agenda partagé signal de présence chat interne team database base de données CRM
base clients CRM base projets web conférence BU database openspace espace de co-
working.
La moyenne d’âge des employés est plutôt basse, Gore est une entreprise attractive pour la jeune
génération qui se trouve à l’aise dans cette structure. La culture du groupe est à l’image du
fonctionnement de l’éducation d’aujourd’hui, on n’impose plus aussi les jeunes sont déjà pré-
formatés. En revanche les leaders ont plus de 50 ans mais sont très imprégnés par la culture du
groupe.
(Remarque : il est particulièrement difficile de se faire embaucher chez Gore)
III. Cas d’entreprise 2 : Emmanuel Richard, DRH chez Charles River, groupe industriel
pharmaceutique américain (10 000 employés dans le monde).
Par Emmanuel Richard.
Selon Emmanuel Richard, l’ « entreprise libérée » ne doit pas être appréhendée comme une
méthode ou un concept. Ce n’est pas un modèle à imposer sinon la liberté n’existe pas.
En préambule, il rappelle quelques valeurs et principes fondamentaux sur l’être humain qui
participent du bon fonctionnement en entreprise :
L’être humain ne cherche pas à éviter le travail et l’effort
L’être humain accepte et recherche les responsabilités
L’être humain a besoin d’autonomie et fonctionne naturellement en autonomie (ce n’est pas
une mode !) : il recherche naturellement l’autonomie et l’auto-direction dès son plus jeune âge
La créativité et l’innovation sont largement partagées au sein de population
Ceux qui savent font
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Si ces principes sont admis et partagés, leur mise en œuvre se fait différemment en fonction des
entreprises.
1. Quand l’autonomie est portée « localement » au sein d’une entreprise centralisée…
L’entreprise Charles River présente un mode d’organisation très centralisé, caractéristique des fin
XIXe et XXe siècles. La « tête » de l’entreprise, la direction générale, ne manifestant pas de volonté
d’être une « entreprise libérée » et face à la volonté de développer les principes énumérés ci-dessus
et une forte conviction dans la prise d’initiatives, la décision a été prise, en France, de faire des
pilotes d’équipes autonomes, au nombre de deux, accompagnées et formées sur plusieurs mois par
un cabinet-conseil dans l’application de ce nouveau mode d’organisation.
Fonctionnement de l’équipe autonome :
La première étape a consisté dans la définition d’un périmètre et de préoccupations
principales : décisions prises en équipe avec le consultant. Les priorités et structures de
l’équipe sont mises en place dans le cadre d’une réunion hebdomadaire animée par le leader
du périmètre (qui ne devient qu’un animateur). L’équipe acquiert ainsi progressivement
sur des mois et des années son autonomie en matière de gestion et de prise de décision.
Dans ce mode d’organisation où la place est faite à davantage d’autonomie et de prise de
décision, sans être une entreprise dite libérée, on laisse néanmoins les liberté et choix au
salarié de ne pas participer et de rester en retrait. Il ne s’agit pas d’imposer un nouveau
modèle d’organisation mais seulement de mettre à disposition des outils et de l’espace afin
de favoriser autonomie et auto-direction pour ceux qui le souhaitent.
Quant au pilote/manager de l’équipe, il est choisi en fonction de sa maturité car il est plus
difficile d’être un manager-coordinateur qu’un manager-contrôleur directif. Dans ce mode
d’organisation, le manager doit être à l’aise dans son cheminement personnel et notamment
en termes d’ego.
Chez Charles River, en France, cela fait environ 5 ans que le processus a démarré. Les deux équipes
ne sont plus accompagnées. Mais suite au changement de la direction générale, la nouvelle DG a mis
un frein à la démarche entreprise.
A noter que la coexistence de 2 cultures au sein de la même entreprise engendre des frustrations.
2. Réflexion autour des fonctions « support » menée par Emmanuel Richard :
En qualité de DRH, Emmanuel Richard a proposé à sa direction une réorganisation du le des
fonctions « support ». encore, il a fallu initier une nouvelle approche des Ressources Humaines
en repositionnant la fonction support dans l’entreprise à la source de ce qu’elle doit être.
La fonction « support » est née de l’ultra-spécialisation et l’ultra-segmentation du travail : on a retiré
aux opérationnels (des moyens de réaliser) certaines tâches. Dans l’esprit originel de la fonction
« support », ce sont les opérationnels qui vont vers elle. Or avec la structuration de cette fonction,
le flux s’est inversé et les fonctions « support » ont créé leur propre raison d’être avec la mise en
place d’outils, de règles, de process chargés d’être appliqués par les opérationnels. Ainsi, par
exemple, l’entretien annuel d’évaluation est typique de l’outil créé par les RH or, comme le souligne
Emmanuel Richard, un opérationnel a davantage besoin d’un retour personnel sur ce qu’il aime faire
et sur ce qu’il veut faire que d’une évaluation. D’où la proposition par E. Richard de -inverser le
sens du flux avec une fonction RH qui doit revenir à son essence à savoir être « support » et
disponible au besoin, au service des opérationnels. Aussi en matière de formation, chez Charles
River France, chaque équipe possède son budget et chaque salarié y fait sa proposition de formation
sans en référer aux RH.
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