5e Edition des Matinées TIS (Travail Innovation Santé) de l’iaelyon School of Management : Entreprises libérées : mythes ou réalités – Comment passer du discours à l’action ? Rencontre professionnelle organisée et animée par Thierry Rochefort responsable du Diplôme d’Université Management de la Qualité de vie au Travail et Santé de l’iaelyon : Mardi 19 janvier 2016 de 8h30 à 12h30 à l’ iaelyon / Université Jean Moulin Lyon 3 – Manufacture des Tabacs – Auditorium Malraux – 16 rue du Professeur Rollet 69008 Lyon Introduction par Thierry Rochefort : La matinale s’intéresse au concept en vogue d’entreprise libérée considéré aujourd’hui comme clé du succès économique ainsi qu’aux réalités et champs recouverts dans un contexte professionnel où les défis à relever sont considérables : explosion du numérique, transition énergétique, allongement de la vie professionnelle et préservation de la santé au travail. Y-a-t-il un modèle en construction ? I. Les Entreprises libérées : Nouveau paradigme organisationnel ou effet de mode ? Par Thierry Rousseau, sociologue du travail et des organisations chargé de mission ANACT (Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail) et Christophe Everaere, professeur des universités en sciences de gestion à l’iaelyon. 1er intervenant Thierry Rousseau : L’entreprise libérée et les carences de la production scientifique La promesse actuelle de libération du travail, acte créatif et social, est forte. Dans un climat d’incertitudes, de valorisation de l’horizontalité, d’injonction à l’autonomie et d’« uberisation » de l’économie, se développe un véritable engouement pour l’entreprise libérée. Quelles interrogations soulever ? Quels sont les écueils à éviter ? Les voies du succès permettant d’assurer bonheur au travail et réussite économique ne sont pas évidentes. Rapide panorama du sujet traité en pointant le manque de production littéraire et scientifique sur les entreprises libérées et d’évaluation scientifique sur leur fonctionnement (sont-elles rentables et performantes ? quelles insuffisances ?) « L’entreprise libérée qui libère les énergies de la bureaucratie et du management des organisations /entreprises hiérarchiques traditionnelles »… quelques remarques et éléments critiques sur la libéralisation des entreprises et l’autonomie des collectifs : La bureaucratisation omniprésente de l’organisation « classique » : qu’en est-il réellement ? Le diagnostic établi est trop rapide. Ce qui apparaît problématique c’est la financiarisation massive contraignante pour l’entreprise. Ce sont souvent dans les entreprises peu managérialisées avec des collectifs livrés à eux-mêmes que l’on rencontre les plus grandes souffrances au travail. 1 Toute activité organisée a besoin d’institutions car ce sont elles qui, acceptées démocratiquement, permettent la concorde. Or l’entreprise libérée manque de cadres : le risque pour le leader libérant son entreprise est de créer une situation de désinstitutionnalisation préjudiciable. Le modèle maximal de l’engagement est sous-tendu : il s’agit de libérer les barrières à l’action et à l’engagement, les spécialisations fonctionnelles. Face à l’absence des limites à l’engagement et des non-dits dans le mouvement des entreprises libérées, des règles organisationnelles ainsi qu’une procéduralisation sont nécessaires pour le bon fonctionnement de l’organisation. Quant à l’autonomie, est-elle une question nouvelle ? En effet, les salariés n’ont pas attendu le mouvement de l’entreprise libérée pour être autonomes, ils le sont déjà de fait. → Pour libérer les entreprises, un encadrement méthodologique, technique et institutionnel est impératif, à l’instar du travail mené par l’ANACT. 2d intervenant Christophe Everaere : Travail de recherche sur l’autonomie L’ « autonomie » ? Depuis quand et pourquoi ? Les arguments en faveur de l’injonction à l’autonomie : Argument économique : performance économique et performance au travail L’autonomie est indispensable à l’efficacité et à la performance organisationnelle car elle soutient la capacité d’initiative des individus, encourage leur réactivité et leur adaptation à la différence du Taylorisme. L’autonomie permet de mobiliser et de développer l’intelligence – individuelle et collective – au travail et repose également sur le discernement afin de pouvoir adapter les règles et sur l’autoorganisation. Argument social : le bonheur au travail L’autonomie est un ingrédient de la satisfaction au travail et en corollaire de la performance économique. L’autonomie est indispensable à l’acte professionnel par la prise d’initiatives au quotidien des employés qui favorise la créativité. Même dans les univers tayloriens, les individus sont capables de desserrer les contraintes liées au travail. En effet, dans l’histoire du travail, l’autonomie a toujours été au cœur de celui-ci et particulièrement dans les univers professionnels exigeants. Ainsi, par exemple, n’est-ce pas une question de survie que d’être autonomes pour des mineurs de fond ? Dans les années 70, l’autonomie est particulièrement considérée comme critère de performance économique. Les ingrédients indispensables de l’autonomie : Le droit à l’erreur : Pas d’autonomie sans droit à l’erreur. Aussi le rôle vital de l’encadrement apparaît dans l’exercice de l’apprentissage de la montée des compétences La stabilité de l’emploi(-yé) : Qui permet la montée en compétences du salarié. La précarité est antinomique de la progression de l’employé (cf. la précarité des ouvriers sans qualifications qui constituent l’essentiel de la main-d’œuvre du travail intérimaire). Les règles : 2 → Elles doivent être co-élaborées et résulter d’une construction collective avec des personnes qui font preuve d’autonomie et d’intelligence, avec ceux qui vont les appliquer. Cf. la théorie de la régulation conjointe développée par le sociologue français Jean-Daniel Reynaud. → Elles doivent évoluer d’où la nécessité de penser l’accès à l’information qui permet la prise de décision en autonomie (ex. réseaux…). Mais attention à ne pas confondre autonomie et abandon. II. Cas d’entreprise 1 : l’expérience de WI Gore et l’entreprise libre, culture du groupe Gore. Par Richard RITT, directeur de Lead’airship, ancien cadre de Gore-Tex (création du tissu Gore-Tex dans les années 50). Classée « Best workplace » en 2009 et 2014 en France et en Europe, l’entreprise Gore pourrait être considérée comme le laboratoire du management démocratique des années à venir. Avec le bouleversement du concept hiérarchique traditionnel sous le développement des nouvelles technologies, ce témoignage nous permet de découvrir une approche visionnaire du groupe industriel international qui compte 10 000 employés. Quels sont les éléments transposables ? Quelles sont les précautions à prendre ? Richard Ritt est un ancien pilote de chasse au sein de l’armée de l’air qu’il présente comme la première « entreprise libérée » ce qui prouve que hiérarchie et autonomie ne sont pas incompatibles. Depuis 1958, Gore est une entreprise familiale libre et démocratique et non pas, sémantiquement, une entreprise libérée. L’objectif n’est pas de transmettre ce modèle. Inscrite dans l’ADN du groupe, la culture de l’innovation fait la richesse de Gore en produits et équipes performantes. Entreprise profitable et stable, Gore présente une base solide favorable à ce fonctionnement démocratique avec des salariés associés – entreprise cotée en interne et non en bourse – travaillant en harmonie et imprégnés par la culture de l’entreprise. Partant du postulat que les règles et les contrôles au travail étouffent les salariés, que la bureaucratie les paralyse, les employés sont laissés libres de s’entendre et de décider ce qu’ils jugent pertinents de faire. La définition de la stratégie s’opère au niveau de l’équipe locale. On doit avoir envie de se développer par soi-même, ce qui nécessite de la maturité et une capacité à prendre des risques. Parallèlement, au sommet, on met à disposition les moyens et budgets en conséquence. Ainsi on responsabilise les salariés, le leader étant en retrait mais restant à disposition. Il apporte son aide mais n’a pas d’emprise sur les salariés, absence de dirigisme. Le leader n’est pas présent dans les réunions des équipes. Ce sont les équipes qui fixent elles-mêmes les objectifs. Chez Gore le leader est un leader et non un manager. La diffusion de la culture du groupe et son assimilation est un élément clé de la réussite de Gore. Cette culture est vécue par les salariés et chaque nouvel arrivant peut s’imprégner du comportement de ses collègues. On forme les individus au travail d’équipe : l’employé doit pouvoir travailler avec tout le monde dans des équipes qui évoluent et ne restent pas figées. Pour faciliter l’intégration du nouvel arrivant, 3 jours sont dédiés à sa formation à la culture de l’entreprise et ce dernier est coaché d’égal à égal quotidiennement pendant 6 mois par un « parrain » (« sponsor ») qui aide à son évolution. Cet enrichissement mutuel sur un pied d’égalité incite également le libre déplacement de l’associé à l’étranger et permet la création de réseaux internationaux qui stimulent la circulation des idées. Les équipes sont internationales. 3 Des salariés libres de mettre en place des idées nouvelles, des équipes autonomes, des méthodes d’encouragement à l’innovation, un process de sélection performant et motivant, beaucoup de tolérance ainsi que du temps laissé à l’apprentissage soit une conjonction de phénomènes favorables au succès de Gore et à la progression de son chiffre d’affaire (15 à 20% de progression par an depuis 10 ans). Quatre valeurs guident le fonctionnement quotidien : - « Freedom » : « je suis totalement libre » - « Fairness » : « je suis foncièrement honnête (je respecte mes collègues) » - « Commitment » : « j’assume mes engagements » - « Waterline » : « Je ne prends pas de décisions qui dépassent mes compétences » Chez Gore, à l’autorité on oppose le besoin de personnes créatives : le « sweetspot » du salarié est un élément clé. On repère ce qui le motive et on l’encourage. Il n’y a pas de position hiérarchique, les salariés évoluent dans le maillage sans connaître de régression. Concernant la politique salariale, les différences de salaires sont mineures avec des salaires de base élevés. L’enjeu est bien au-delà de la progression pour gagner plus. Le Pool RH (anglais) se met quant à lui à disposition de l’employé. Gore est l’archétype de l’entreprise 2.0 : tout est accessible à tout le monde de par l’envergure internationale du groupe et plus précisément des équipes : travail régulier mené avec les serveurs et en visioconférence : → Agenda partagé – signal de présence – chat interne – team database – base de données – CRM base clients – CRM base projets – web conférence – BU database – openspace – espace de coworking. La moyenne d’âge des employés est plutôt basse, Gore est une entreprise attractive pour la jeune génération qui se trouve à l’aise dans cette structure. La culture du groupe est à l’image du fonctionnement de l’éducation d’aujourd’hui, on n’impose plus aussi les jeunes sont déjà préformatés. En revanche les leaders ont plus de 50 ans mais sont très imprégnés par la culture du groupe. (Remarque : il est particulièrement difficile de se faire embaucher chez Gore) III. Cas d’entreprise 2 : Emmanuel Richard, DRH chez Charles River, groupe industriel pharmaceutique américain (10 000 employés dans le monde). Par Emmanuel Richard. Selon Emmanuel Richard, l’ « entreprise libérée » ne doit pas être appréhendée comme une méthode ou un concept. Ce n’est pas un modèle à imposer sinon la liberté n’existe pas. En préambule, il rappelle quelques valeurs et principes fondamentaux sur l’être humain qui participent du bon fonctionnement en entreprise : L’être humain ne cherche pas à éviter le travail et l’effort L’être humain accepte et recherche les responsabilités L’être humain a besoin d’autonomie et fonctionne naturellement en autonomie (ce n’est pas une mode !) : il recherche naturellement l’autonomie et l’auto-direction dès son plus jeune âge La créativité et l’innovation sont largement partagées au sein de population Ceux qui savent font 4 Si ces principes sont admis et partagés, leur mise en œuvre se fait différemment en fonction des entreprises. 1. Quand l’autonomie est portée « localement » au sein d’une entreprise centralisée… L’entreprise Charles River présente un mode d’organisation très centralisé, caractéristique des fin XIXe et XXe siècles. La « tête » de l’entreprise, la direction générale, ne manifestant pas de volonté d’être une « entreprise libérée » et face à la volonté de développer les principes énumérés ci-dessus et une forte conviction dans la prise d’initiatives, la décision a été prise, en France, de faire des pilotes d’équipes autonomes, au nombre de deux, accompagnées et formées sur plusieurs mois par un cabinet-conseil dans l’application de ce nouveau mode d’organisation. Fonctionnement de l’équipe autonome : La première étape a consisté dans la définition d’un périmètre et de préoccupations principales : décisions prises en équipe avec le consultant. Les priorités et structures de l’équipe sont mises en place dans le cadre d’une réunion hebdomadaire animée par le leader du périmètre (qui ne devient qu’un animateur). L’équipe acquiert ainsi progressivement – sur des mois et des années – son autonomie en matière de gestion et de prise de décision. Dans ce mode d’organisation où la place est faite à davantage d’autonomie et de prise de décision, sans être une entreprise dite libérée, on laisse néanmoins les liberté et choix au salarié de ne pas participer et de rester en retrait. Il ne s’agit pas d’imposer un nouveau modèle d’organisation mais seulement de mettre à disposition des outils et de l’espace afin de favoriser autonomie et auto-direction pour ceux qui le souhaitent. Quant au pilote/manager de l’équipe, il est choisi en fonction de sa maturité car il est plus difficile d’être un manager-coordinateur qu’un manager-contrôleur directif. Dans ce mode d’organisation, le manager doit être à l’aise dans son cheminement personnel et notamment en termes d’ego. Chez Charles River, en France, cela fait environ 5 ans que le processus a démarré. Les deux équipes ne sont plus accompagnées. Mais suite au changement de la direction générale, la nouvelle DG a mis un frein à la démarche entreprise. A noter que la coexistence de 2 cultures au sein de la même entreprise engendre des frustrations. 2. Réflexion autour des fonctions « support » menée par Emmanuel Richard : En qualité de DRH, Emmanuel Richard a proposé à sa direction une réorganisation du rôle des fonctions « support ». Là encore, il a fallu initier une nouvelle approche des Ressources Humaines en repositionnant la fonction support dans l’entreprise à la source de ce qu’elle doit être. La fonction « support » est née de l’ultra-spécialisation et l’ultra-segmentation du travail : on a retiré aux opérationnels (des moyens de réaliser) certaines tâches. Dans l’esprit originel de la fonction « support », ce sont les opérationnels qui vont vers elle. Or avec la structuration de cette fonction, le flux s’est inversé et les fonctions « support » ont créé leur propre raison d’être avec la mise en place d’outils, de règles, de process chargés d’être appliqués par les opérationnels. Ainsi, par exemple, l’entretien annuel d’évaluation est typique de l’outil créé par les RH or, comme le souligne Emmanuel Richard, un opérationnel a davantage besoin d’un retour personnel sur ce qu’il aime faire et sur ce qu’il veut faire que d’une évaluation. D’où la proposition par E. Richard de ré-inverser le sens du flux avec une fonction RH qui doit revenir à son essence à savoir être « support » et disponible au besoin, au service des opérationnels. Aussi en matière de formation, chez Charles River France, chaque équipe possède son budget et chaque salarié y fait sa proposition de formation sans en référer aux RH. 5 → Quand on évolue dans une structure éloignée culturellement et historiquement des principes humains fondamentaux, il est possible d’impulser des évolutions et des changements organisationnels via notamment la mise en œuvre de pilotes - à l’instar de ce qui s’est fait chez Charles River France -, il s’agit de susciter l’adhésion en donnant l’envie de faire aux autres et en diffusant le savoir-faire établi. IV. La face cachée des entreprises libérées. Par Hélène Picard, docteur en gestion, ATER iaelyon, auteure d’une thèse sur le sujet, et Cédric Pélissier, sociologue-consultant dans les conditions et qualités de vie au travail au sein du cabinet Essor Consultants. Quelles sont les difficultés rencontrées sur le terrain ? 1er intervenant Hélène Picard : Point de départ du travail mené par Hélène Picard, un questionnement mené sur les pratiques alternatives de management mises en œuvre pour mieux respecter l’homme au travail. L’universitaire s’est intéressée à deux démarches récentes d’entreprise – 6/7 ans – se réclamant de l’ entreprise libérée : une biscuiterie et une grande banque. Après 3 années d’entretiens et d’enquêtes de terrain approfondies, il apparaît que la réalité vécue par le salarié est différente du modèle idéalisé. Problématique : Quelles tensions y-at-il entre la libération de la parole et la libération de l’entreprise et des salariés ? Un certain nombre de zones d’ombre, de non-dits, de manquements qui sont autant d’ambiguïtés et de tensions à découvrir et comprendre. 3 types de tensions : 1- Tension avec l’idée de mettre l’homme au cœur du système. Le plan est géré par le manager, on n’est pas dans la coopération. Si au départ, dans la mise en place des changements organisationnels, s’opère une large prise de parole vécue positivement, on assiste ensuite à un glissement vers des mouvements plus spécialisés et par conséquent à un retour à la structure. 2- Tension quant à la place accordée aux expériences dissonantes et aux individus qui ne s’y retrouvent pas. Sur le terrain, on observe certaines formes d’exclusion (de l’isolement jusqu’au licenciement) mais également des formes de sur-engagement et sur-adhésion marquées par la compétition entre les salariés, les rivalités au sein du collectif (cas de boucémissaires et de narcissisme surdéveloppé). 3- Tension autour des questions de l’égalité entre tous les individus et de l’abolition de l’autorité du manager voire de sa suppression. En encourageant les managers à ne plus faire de micro-management et à s’éloigner du fonctionnement quotidien, ces derniers n’ont plus connaissance des contraintes réelles du travail. L’importance de la position tierce de médiation de la parole est à relever. → La mise en place d’espaces de discussion est primordiale, qu’ils soient émancipateurs. Mais comment penser ces espaces de dialogues ? Prérequis et précautions : pistes proposées par Hélène Picard sur l’ouverture et la nature des échanges collectifs nécessaires : 6 1- Il faut tolérer l’ambivalence et l’incertitude. Ce qui nécessite des espaces stables inscrits durablement et proches du travail. 2- Un cadre symbolique pour la parole doit être maintenu. Qui porte le rôle de médiateur ? Des représentants des salariés, souvent niés dans l’entreprise libérée. → On ne peut pas « libérer » une fois pour toute ! A nouveau, la liberté s’acquiert mais ne se donne pas ! 2d intervenant Cédric Pélissier, consultant membre d’Essor Consultants, cabinet indépendant d'étude et de formation en risques psychosociaux, appui au management et organisation du travail. Exemple : Cas d’intervention dans une association « libérée » – une dizaine d’année d’existence – qui s’occupe de personnes handicapées en résidences. De nombreux disfonctionnement observés dans cette association aux idées post-soixante-huitardes où le mangement était absent et où tout le monde faisait tout : Peu de turn-over Absentéisme élevé Problématique de la prise en compte indispensable du changement de l’activité même d’accompagnement de personnes en situation de handicap avec l’évolution du métier d’éducateur spécialisé aujourd’hui : or dans cette association un certain nombre de manquements relevés sur l’activité d’accompagnement avec des incidences sur les soins dispensés aux patients (jusqu’à des cas de maltraitance, tâches ingrates et peu valorisantes délaissées). Malgré une relation (affective) forte au travail, manque de confiance notable : sentiment d’être redevable induisant des non-dits latents et une perte de repères. Aspect positif du fonctionnement de l’association : Polyvalence des individus et effet d’apprentissage Eléments négatifs : Manque de reconnaissance du parcours professionnel et difficulté de partager la pratique d’éducateur spécialisé hors les murs de la structure : pas de reconnaissance extérieure du métier et donc peu de possibilité d’évoluer professionnellement Sentiment d’absence d’écoute (tout le monde allait s’entretenir avec la directrice) Personne pour réguler les tâches, particulièrement les plus difficiles, ni faire remonter les erreurs et les informations. Personne pour porter le projet d’évolution du métier face au vieillissement de la société. Aucun intermédiaire pour appuyer les changements nécessaires. Manque d’outils pour évoluer et valoriser le parcours des éducateurs spécialisés. Le manque de reconnaissance professionnelle, la non-valorisation du travail d’éducateur spécialisé, des activités aux contours flous et non-déterminées, faible contrôle, perte de motivation, absence de normalisation de l’accompagnement sont les principaux risques psycho7 sociaux sur lesquels C. Pélissier a été amené à remédier au sein de l’association. Avec la mise en place d’une nécessaire régulation et intermédiation, le questionnement et la prise en compte de l’identité du métier d’éducateur spécialisé en lui redonnant du sens via la fonction de management. L’évolution vers le modèle d’entreprise libérée ne doit pas induire la suppression de la fonction managériale mais son évolution vers une posture de médiation. En effet, le manager permet de cadrer l’autonomie, d’incarner le médiateur et de recentrer les salariés sur leur travail. Il est important d’établir des institutions porteuses de sens : besoin d’espaces formalisés dans l’organisation. Si les individus sont par essence motivés, l’idée est de ne pas les démotiver ! → C. Pélissier prévient que les difficultés ne doivent pas être prétextes à l’inaction ! V. Quels chemins emprunter pour rendre les démarches efficaces pour les entreprises et favorables à la santé des salariés ? Par Frédéric Deschamps, chargé de mission QVT chez EDF, et Hélène Monnier, doctorante en gestion iaelyon. 1er intervenant Frédéric Deschamps, expert Qualité de Vie au Travail et DRH du groupe EDF Sensible au concept d’« entreprise libérée », EDF ne s’en est pourtant pas saisie. Néanmoins, au niveau stratégique, l’entreprise s’est appropriée des thématiques et outils connectés aux expériences d’entreprises libérées : 1- Evolution du rôle du manager en lien avec davantage d’autonomie, de responsabilisation ainsi qu’avec le principe de subsidiarité. 2- Plus de souplesse dans la relation au(x) temps de travail. 3- Simplification des modes de fonctionnement dans un contexte concurrentiel fort qui exige réactivité et rapidité. 4- Remise en cause de privilèges. → Simplifier, innover, responsabiliser pour faire évoluer les pratiques managériales : points primordiaux qui doivent être abordés au plus haut niveau et demandent des besoins et moyens au quotidien pour faire un bon travail. Les démarches ont été intégrées sous forme de pilotes [à l’instar de chez Charles River France] : il s’agit de mener des projets intégrés pour faire évoluer les modèles de fonctionnement. 3 opérations pilotes ont été démarrées simultanément et en connexion. Concernant le sujet fondamental du développement de la responsabilisation et de la redistribution des activités/compétences, un travail sur le management a été opéré afin de repositionner le manager en tant que ressource via une démarche collective : institutionnaliser le « feed-back » des salariés, le « retour » des employés vers le manager par exemple à travers l’utilisation et le développement des outils numériques qui permet de facilité l’accès aux informations et leur partage (ex. plateformes de partage de données). Ces pratiques impliquent par conséquent une transformation des pratiques et usages au travail avec la création d’un environnement de travail numérique plus accessible et partagé qui favorise la coopération en entreprise. 8 De même, si l’on veut ajouter plus de souplesse dans la relation du salarié au temps et à l’espace (choix des lieu et horaire de travail, des équipements de travail) l’usage du numérique est un facteur important car ce sont des outils qui permettent la mobilité : on assiste à une évolution vers le (re)déploiement de l’équipement technique mobile – smartphone, tablette… –, historiquement apanage des dirigeants, auprès des salariés : vers une diffusion large des NTIC, non plus selon l’organisation hiérarchique. Ce partage de l’outil numérique est encore en chantier au sein du groupe EDF. Un travail concerté est également mené dans le développement du travail à distance. En effet, concernant la dimension spatiale, on a compris chez EDF le besoin de repenser les espaces de travail au service des activités de l’entreprise en proposant une diversité des espaces de travail ainsi que des espaces de travail mutualisés mis à disposition du salarié : le modèle du poste de travail individuel est remis en cause au bénéfice du libre choix du poste de travail. Parallèlement, des démarches transverses et complémentaires à l’entreprise ont été mises en marche : La « Chocolaterie », incubateur et accélérateur de projets avec des ressources d’accompagnement. Espace-temps et ressources mis à disposition pour un accueil et un accompagnement plus rapide de projets. L’idée est de faire travailler les parties prenantes sur des temps compressés. Réflexions et accords d’entreprises en cours et à venir : - Assouplissement du temps de travail : développement du forfait « jour » - Organisation du travail : développement du télétravail - Renouvellement des espaces et environnements de travail (cadres contemporains) avec un certain nombre d’orientations déjà définies. Un nouvel environnement peut être porteur de l’évolution des pratiques de travail et des modes de management. Ainsi, chez EDF, les projets de nouveaux espaces de travail constituent des projets managériaux touchant aux valeurs de travail. (NB : pas d’autonomie sans droit à l’erreur !) 2d intervenant Hélène Monnier : présentation de pratiques de management libéré au sein d’une société NTIC avec l’interview de Patrick Profit, responsable des ventes directes région Rhône-Alpes du groupe NERIM (Annecy-Lyon). Patrick Profit : Co-fondateur de la société BOOST au début des années 2000, société de services informatiques spécialisés dans le Cloud computing basée à Annecy, qui a fusionné avec NERIM, opérateur français Internet et Télécom des entreprises. Au sein de la start-up BOOST instauration de groupes de travail experts et de processus de management transversaux et promotion de valeurs fortes de l’ « entreprise libérée » pour soutenir créativité, engagement et attractivité (importance accordée à l’ambiance de travail au niveau spatial et humain). Aujourd’hui, dans la pratique : Utilisation d’un outil de RSE d’entreprise pour communiquer en interne Règne de la confiance : mis au ban des non-dits Autonomie de chacun 9 Importance accordée aux « pilotes » – car une société ne peut fonctionner qu’avec leur présence (cf. l’écueil du « pas de cadres » !) – à la transformation du rôle des managers (écoute et accompagnement par la formation). Dans le recrutement, on observe toujours l’embauche de profils variés. A souligner qu’un vrai collectif ne se dégage que si les employés se sentent bien dans leur individualité. Parmi les difficultés rencontrées au sein de l’entreprise libérée, on remarquera : la différence culturelle entre l’ « informaticien » BOOST et le « téléphoniste » NERIM l’existence de luttes de pouvoir → Pour les secteurs où la créativité et le besoin de se réinventer sont impératifs, la démarche d’entreprise libérée peut être un choix judicieux. Mais ce concept d’ « entreprise libérée » est à appliquer avec mesure au regard du métier, de la culture et de l’histoire de chaque entreprise. VI. Conclusion de la matinale Parmi les éléments clés touchant à l’« entreprise libérée » qui retiennent notre attention, on citera au terme des différentes interventions : La vigilance préconisée quant à l’injonction « sois libre » : la liberté ne s’octroie pas mais se conquiert ! L’importance de l’environnement et de l’immobilier en tant que facilitateur de travail La nécessaire réinvention des fonctions « support » qui doivent être au service de l’organisation, de l’entreprise : redonner du sens aux fonctions « support » et aux activités des opérationnels L’indispensable réinvention et évolution du management : passage du rôle classique de management-contrôle à un leadership-médiateur davantage fondé sur la capacité à faire travailler les salariés ensemble Prise en compte des institutions et des réformes, du droit social, du dialogue social ainsi que du droit du travail L’importance de l’accompagnement des entreprises La présence nécessaire d’espaces de discussion articulés et centrés sur le vécu des salariés « L’avenir n’est pas ce qui va arriver mais ce que nous allons faire ensemble » (Henri Bergson) 10