La perception du risque nutritionnel par le consommateur. Synthèse

La perception du risque nutritionnel par le consommateur. Synthèse de la
littérature et résultats d’une étude qualitative
Marie-Eve Laporte *
Doctorante, Chaire Marques & Valeurs
IAE de Paris, Université Paris I Panthéon Sorbonne
* 21 rue Broca - 75005 Paris ; [email protected]
Remerciements : l’auteur tient à remercier l’équipe de la Chaire Marques & Valeurs de l’IAE
de Paris pour les échanges fructueux qui ont fait progresser cette recherche. L’auteur remercie
également les relecteurs anonymes de l’AFM, qui par leurs remarques ont permis d’améliorer
le papier.
La perception du risque nutritionnel par le consommateur. Synthèse de la littérature et
résultats d’une étude qualitative.
sumé en français de 100 mots au maximum :
De nombreuses marques alimentaires recourent au « marketing nutritionnel » pour
promouvoir leurs produits en tentant de diminuer la perception du risque nutritionnel (PRN).
Cependant, on peut s’interroger sur l’efficacité d’une telle pratique, en termes managériaux et
de santé publique. Cet article explore les facteurs explicatifs de la PRN à travers une revue de
la littérature et une étude qualitative. Cette dernière révèle trois variables, chacune rattachée à
un sous-ensemble différent. La naturalité relative au produit et la commensalité liée à la
situation de consommation semblent diminuer la PRN, alors que l’hyperchoix tenant aux
pratiques de consommation semble l’augmenter.
Mots-clés : Comportement du consommateur, alimentation, risque nutritionnel, marketing
nutritionnel
Consumer perception of nutritional risk. Literature review and qualitative study.
Abstract :
Many food brands rely on nutritional marketing to promote their products while attempting
to decrease perception of nutritional risk (PNR). However, such practices are questionable, in
terms of managerial efficiency and health policy. This article explores the explanatory factors
of PNR through a literature review and a qualitative study. The latter unveils three variables,
each of which attached to a different subgroup. Naturality relating to the product , and
commensality linked with the consumption context seem to decrease PNR, whereas hy-
perchoice concerning consumption practices seems to increase it.
Key-words: Consumer behavior, food consumption, nutritional risk, nutritional marketing
3
La perception du risque nutritionnel par le consommateur. Synthèse de la littérature et
résultats d’une étude qualitative.
Introduction
La nutrition compte parmi les priorités des pouvoirs publics en raison du coût humain et
économique croissant des maladies chroniques associées, première cause de mortalité dans le
monde
1
. Ainsi, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)
dresse une liste des « principales maladies nutritionnelles »
2
. Si certaines sont « clairement
d'origine nutritionnelle, pour d'autres, la nutrition contribue à leur étiologie
3
ou à leur
traitement; enfin, pour certaines, la relation est soupçonnée mais non prouvée ».
Or, l’industrie agroalimentaire est directement accusée de contribuer au développement de ces
maladies, en particulier de l’obésité (Brée, 2010). Pour l’OMS, la promotion intensive de
nourritures denses en calories et le développement des fast-foods sont des facteurs explicatifs
probables du surpoids y compris dans les pays en voie de développement (Witkowski, 2007).
Les minorités et les populations précaires, à savoir les plus exposées au marketing de produits
alimentaires de faible qualité nutritionnelle, sont aussi les plus touchées par l’obésité (Schor et
Ford, 2007). L’obésité des enfants s’accroît parallèlement au développement du marketing
alimentaire qui les cible spécifiquement (Brée, 2010 ; Moore et Rideout, 2007).
En réaction à ces graves accusations, les marques alimentaires ont développé un marketing dit
« nutritionnel », consistant à mettre l’accent sur les bénéfices de leurs produits pour la santé,
en communiquant leur positionnement notamment via des allégations. Ce « marketing
nutritionnel », comme il est nommé en entreprise, a connu un large essor ces vingt dernières
1
60% des décès leur sont imputables d’après le rapport d’experts de la FAO et de l’OMS de 2003,
« Régime alimentaire, nutrition et prévention des maladies chroniques »,
http://whqlibdoc.who.int/trs/WHO_TRS_916_fre.pdf. Lien consulté le 31/10/2012.
2
« Athérome et coronaropathies ; obésité ; hypertension ; diabète ; cancer ; ostéoporose ; autres » dans
le rapport de la FAO de 2001 sur « la nutrition dans les pays en voie de développement »,
http://www.fao.org/docrep/004/W0073F/w0073f24.htm. Lien consulté le 31/10/2012.
3
« Étude des causes des maladies » (www.larousse.fr)
4
années
4
. Grâce à lui, les marques espèrent se présenter sous un angle vertueux, soucieux des
pratiques alimentaires de leurs consommateurs. C’est compter sans les effets pervers du
marketing nutritionnel. Il fausse la Perception du Risque Nutritionnel du consommateur
(Chandon et Wansink, 2010). Pour améliorer le comportement alimentaire des populations (et
notamment limiter les carences et ajuster les prises caloriques), il paraît donc fondamental de
mieux comprendre les mécanismes de la PRN et d’identifier ses facteurs explicatifs.
Dans cette optique, le présent document synthétise les travaux de recherche sur la PRN et les
complète par une étude qualitative. Sur un plan académique, il clarifie la PRN et établit un
lien avec trois concepts phares, appartenant chacun à un sous-ensemble différent : parmi les
variables relatives au produit, la naturalité ; parmi celles tenant à la situation de
consommation, la commensalité ; et parmi celles liées aux pratiques de consommation,
l’hyperchoix. D’un point de vue managérial, il remet en cause l’utilisation abusive du
marketing nutritionnel. Il suggère aux pouvoirs publics de nouvelles pistes pour encourager
une alimentation plus saine, et aux marques une démarche plus sincère, néfique en retour à
leur réputation.
1. La perception du risque alimentaire par le consommateur
1.1. L’alimentation, une consommation anxiogène
L’aliment n’est pas un bien de grande consommation comme les autres (Poulain, 2002).
D’une part, le risque biologique est inhérent à l’ingestion de nourriture, vitale et multi-
quotidienne (Bergadaà et Urien, 2006 ; Rozin, 2005b). D’autre part, l’alimentation repose sur
le « principe d’incorporation », à la fois différenciateur et transformateur (Fischler, 1990).
4
Même si les dernières dispositions réglementaires ont freiné son utilisation en Europe, notamment
depuis le règlement européen n°1924/2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé.
5
Différenciateur, car il participe à la construction de sa propre identité, le self, dès la petite
enfance (Gurviez, 2001). Transformateur, car « le mangeur est transformé de l’intérieur,
analogiquement, symboliquement et/ou matériellement, par ce qu’il a mangé » (Fischler,
2001). De plus, l’être humain est confronté à une contradiction insurmontable, le « paradoxe
de l’homnivore » (Fischler, 1990). En effet, « tout omnivore, biologiquement, doit à la fois
être néophile et néophobe, conservateur et innovateur » (Fischler, 2001). Il doit être néophobe
pour se protéger d’aliments potentiellement dangereux, voire mortels. Il doit aussi être
néophile pour assurer la diversité nutritionnelle nécessaire à son maintien en bonne santé. Ces
caractéristiques propres à la consommation alimentaire mettent en évidence son caractère
anxiogène et renvoient au concept de risque perçu.
1.2. Le concept de risque perçu
Le concept de risque perçu est particulièrement complexe, d’abord par son caractère à la fois
objectif et subjectif (Rosa, 2003). Du XVIII siècle jusqu’aux années 70 prévaut une vision
ontologique d’un risque défini par Bernoulli comme « l’espérance mathématique d’une
fonction de probabilités d’événements » (Lévy-Garboua, 2011). La théorie des perspectives
remet cette conception en cause, en montrant notamment que la perception du risque dépend
du cadrage et de la source qui émet l’information (Kahneman et Tversky, 1979). Slovic
identifie alors une liste de facteurs expliquant la différence de ressenti entre experts et
profanes (Slovic, 1987). Le SARF
5
intègre finalement ces deux visions objective et subjective
du risque, « en partie une menace ou un préjudice objectif envers les gens et en partie le
produit d’une expérience culturelle et sociale » (Kasperson in Pidgeon, R. E. Kasperson et
Slovic, 2003).
5
Pour Social Amplification of Risk Framework (cadre de l’amplification sociale du risque) regroupant
des chercheurs de tous horizons spécialisés dans le risque (R. E. Kasperson et al., 1988 ; Pidgeon, R.
E. Kasperson et Slovic, 2003)
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