Lutte contre les discriminations liées au genre et travail social IER

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cahiers
Les
Le magazine de l’école de formation
psycho pédagogique - Printemps 2016
N ° 23
de l’efpp
www.efpp.fr
Genre et
discrimination
Les 1ers
licenciés en
Sciences de
l’éducation
La question du « genre » ne mérite ni « l’excès d’honneur » ni « l’indignité »
dont elle peut faire l’objet, comme beaucoup d’autres, dans des débats
qui en ignorent bien souvent le contenu exact ! Posée par des chercheurs
– comme l’ont été la plupart de celles qui constituent à chaque moment de
l’histoire l’évolution du regard de l’homme sur lui-même – cette question
ne saurait être abandonnée à des « bricoleurs » de la pensée qui ne font que
l’instrumentaliser au service de leur idéologie ou, tout simplement, de leur
parti pris.
Il va de soi que la formation au travail social est
concernée par la question du « genre » comme par
toutes celles qui, depuis que cette formation existe,
ont enrichi la démarche de réflexion qu’il lui revient
d’engager auprès d’étudiants qui seront très vite
confrontés à la complexité du sujet humain. Il s’agit
en effet, là comme ailleurs, de sortir des stéréotypes,
voire des modèles les plus conformes et par là même
les moins créateurs qui, comme nous l’a montré Gaston
Bachelard en son temps, s’en tiennent à des évidences
trompeuses. « Et pourtant elle tourne », disait Galilée
de la Terre ! Et… qui dirait de l’esclavage humain que
sa remise en cause – si tardive ! – ne fut pas davantage
un acquis de la pensée critique que d’une charité si
longtemps mal comprise ?
Aujourd’hui les travailleurs sociaux sont concrètement
appelés à aider des personnes dont la vie, qu’on
le veuille ou non, est traversée par des problèmes
d’identité souvent douloureux. Il leur revient d’abord de
les comprendre, au sens propre du mot. C’est-à-dire de
les considérer dans un ensemble qui permet d’en saisir
la signification. Et faut-il ajouter que ces problèmes
s’articulent le plus souvent avec des situations
objectives d’injustice qu’il y a lieu aussi de prendre en
compte dans leur réalité subjective et sociale ?
La disponibilité de l’éducateur passe par cette
ouverture de la pensée qui, contre les préjugés, voire
les habitudes, associe la finesse d’analyse à l’empathie
et même à la sympathie.
C’est ainsi qu’à l’EFPP nous voulons que notre diversité
nous invite à nous écouter les uns et les autres à la fois
dans ce qui nous différencie et dans ce qui constitue
aussi notre « bien » commun.
Marie-Christine David
directrice générale
Directeur de la publication : Jean-Pierre HUSSON
Rédactrice en chef : Marie-Christine DAVID
Secrétaire de rédaction : Catherine NOËL
Direction artistique : Agence MERMON
Comité de rédaction : Marie-Christine DAVID, Jean-Pierre HUSSON, Patricia MCCALLUM, Mike MARCHAL, Nicolas MURCIER,
Catherine NOËL, Philippe POIRIER.
Ont collaboré à ce numéro : Alain BONNAMI, Sasha-Alycia BAVOL, Didier FLORY, Jean FONTAYNE, Frédéric GAL, Lucie GUIHARD,
Françoise GIL, Alix LARRAT, Promotion EJE 2014, Mikaël QUILLIOU-RIOUAL, Albane TRUCHELUT.
Contribution photos et illustrations : Anne CHEBROU, Association LE REFUGE, Fotolia, Sophie LATELLE,
Illustration LIRE-ENSEMBLE.COM. Couverture et dossier : SHUTTERSTOCK.COM
2
LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016
SOMMAIRE
28
6
10
Edito ............................................. 2
Actus ............................................ 4
Le coin de la recherche....... 6
Pas dédié, adapté (et donc accessible)
Question d’éduc...................... 8
Bonne distance ? Juste Proximité ?
Écho des lecteurs .................. 9
Compte-rendu ......................... 10
Dans les coulisses des JPO 2016.. 10
Jeu pédagogique............................ 12
Dossier......................................... 13
Lutte contre les
discriminations liées au genre
et travail social
Genre et stigmatisation : le point de
vue interactionniste....................... 14
Se former pour repérer et contrer les
discriminations de genre dès la petite
enfance ........................................... 16
Une population triplement
stigmatisée..................................... 18
Comment aborder l’identité de genre
dans les interventions sociales ?. . 20
Un Refuge pour grandir et se protéger
de tous les combats ...................... 23
La construction socio-sexuée des
jeunes enfants ............................... 25
Échos de la journée ....................... 28
Vient de paraître..................... 30
L’assemblée générale
de l’EFPP
L’EFPP tiendra son Assemblée
générale le mardi 24 mai à 18 heures.
Celle-ci sera introduite par la conférence : « De
la croyance à la différence des sexes1 », de
Nicole Mosconi, membre du Conseil Scientifique
d’Orientation de l’EFPP, professeure émérite en
sciences de l’éducation à Paris Ouest Nanterre La
Défense.
1. Du titre de l’ouvrage récemment paru de Nicole Mosconi, cf. p. 30
Les Jase 2016
Les 14 et 15 avril à l’EFPP aura
lieu la troisième édition des Jase :
Journées de l’accompagnement
socioéducatif, éducateurs
spécialisés et éducateurs
de jeunes enfants.
Pratiques éducatives et évolutions
sociétales
Conférences et ateliers.
La rencontre est au cœur des pratiques éducatives, tant
individuelles que groupales, mais comment ces pratiques
éducatives intègrent-elles les évolutions sociétales ?
Jeudi 14 avril en matinée : Intervention de Frédéric Jésu
et Jean Le Gal, auteurs de Démocratiser les relations
éducatives : la participation des parents et des enfants
aux décisions familiales et collectives, Chronique sociale,
2015.
Actus VAE
En 2015, l’EFPP a accompagné 16 professionnels vers le
diplôme d’État par la voie de la validation des acquis de
l’expérience : 10 éducateurs spécialisés et 6 éducatrices
de jeunes enfants. 6 se sont présentés aux sessions du
dernier trimestre 2015 : 2 ont obtenu le titre d’ES,
2 celui d’EJE. 2 candidats ont validé 3 des 4 domaines
de compétence.
Sur un an, les demandes d’accompagnement à la VAE
confirment la tendance à la baisse observée sur l’Île-deFrance, mais les réussites sont proportionnellement plus
nombreuses.
L’EFPP maintient un dispositif d’accompagnement à la
fois individualisé et collectif, qui favorise les échanges
d’expériences et la réflexion des candidats.
Magali Le Joncour succède, depuis septembre 2015, à
Cécile Lefilleul en tant qu’assistante administrative.
4
• Jeudi 14 avril après-midi : Des auteurs viennent
rencontrer les participants et échanger autour de
leurs ouvrages dans des ateliers en petits groupes.
• Vendredi 15 avril en matinée : Intervention de
Charles Rojzman, inventeur de la Thérapie Sociale.
Plus d’informations et inscription
sur www.efpp.fr
Cet événement, réalisé en collaboration avec les éditions
Chronique sociale, fera l’objet d’un article dans les
prochains Cahiers.
La première promotion de diplômés en
« licence en Sciences de l’éducation »
Le 3 décembre 2015 s’est déroulée
la première remise officielle des
diplômes à l’ICP pour les licences
d’État en Sciences de l’éducation,
formation conduite en partenariat
entre l’EFPP et l’Institut Supérieur
de Pédagogie/Faculté d’éducation
de l’ICP.
66 étudiants de 3e année ont validé en juillet 2015
cette licence d’État en Sciences de l’éducation : 30 sur
le parcours « éducation du jeune enfant », 36 sur le
parcours « éducation spécialisée ».
En octobre 2012, ils étaient 91 inscrits en 1ère année (sur
96 entrants en formation professionnelle initiale).
Pour 63 d’entre eux, ce diplôme s’ajoute à l’obtention du
diplôme d’État d’Éducateur spécialisé ou d’Éducateur de
jeunes enfants.
M. François Moog, Doyen de l’ISP/Faculté d’éducation,
présidait à cette remise, en présence des responsables,
pédagogique et administrative, acteurs de ce projet, et
de Marie-Christine David, directrice générale de l’EFPP.
À VOS PLUMES !
Chers lecteurs, n’oubliez pas
que ce magazine est aussi le vôtre.
N’hésitez pas à envoyer
vos contributions, réactions, etc. à
[email protected]
LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016
5
Pas dédié, adapté
(et donc accessible)
Didier Flory, interprète en langue de signes, linguiste
Le projet Lire-ensemble.com, volet 3 de la recherche sur « l’entrée précoce
dans la langue des signes », se poursuit avec plusieurs nouveautés déjà en
ligne et de nouvelles ambitions.
Tout d’abord, c’est un total de huit histoires, pour
tous les âges, que l’on peut trouver sur le site. À noter
que nous avons eu le plaisir d’associer à ce projet une
étudiante sourde de l’EFPP, Soraya Touat (ES13), qui a
traduit en LSF l’histoire d’Amélie, la fourmi paresseuse.
Le comité de pilotage du projet nous a demandé de
rendre le site le plus accessible possible, ce qui explique
le titre de cet article. En effet, la loi du 11 février 2005
n’a pas seulement changé le concept de « personne
handicapée » en « personne en situation de handicap »,
c’est la manière d’aborder la question qui est revue. Le
site n’est donc pas dédié à telle ou telle situation de
handicap, les Sourds par exemple, et inaccessible au
reste des enfants – à commencer par les élèves ordinaires
de la classe – mais est bien « tout public », c’est-à-dire
accessible.
6
LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016
Une accessibilité qui peut se traduire par :
• l’adaptation en langue des signes
• l’audiodescription
• le français facile à lire et à comprendre
• une reprise des illustrations et des textes pour être
accessibles aux malvoyants ou aux daltoniens
• etc.
Ainsi, le lecteur peut obtenir un
commentaire (description de
l’illustration, lecture du texte)
grâce à un fichier son associé,
et une adaptation en langue
des signes ou encore le recours
à d’autres codes visuels, grâce
à une vidéo associée.
Par ailleurs deux des livres, Lucien et
Pouce, sont en cours de traduction dans
d’autres langues ; pour le moment les
versions allemande, anglaise, espagnole,
italienne et russe sont en ligne. Et ce
projet a permis de constater la solidarité
qui peut s’exprimer, car de nombreuses
personnes ont proposé de contribuer
à ces traductions qui ne sont réalisées
que par des locuteurs natifs. Ici Pouce
traduit en russe par Anastasiya Bystrova.
Et aussi un grand merci à Melania Croce,
bibliothécaire à l’EFPP, qui nous a offert
la traduction en italien.
Ces versions sont accompagnées d’une adaptation en International Sign par le linguiste sourd, Alexandre Daniel. La
langue des signes n’est pas universelle, les langues des signes sont même très régionales, mais elles obéissent toutes
probablement aux mêmes règles syntaxiques. Ainsi, le locuteur en International Sign va utiliser un registre très iconique
plutôt que les signes standards de telle ou telle langue nationale pour le lexique.
La toile permettant une diffusion illimitée des sites, nous avons pu contacter quelques associations de Sourds des
États-Unis, d’Espagne et d’Argentine1 qui proposent aussi des histoires en langue des signes. Il s’agit jusqu’à présent
de vidéos avec l’adaptation en langue des signes incrustée sur les pages du livre en fond. Ces projets de grande qualité
sont exclusivement dédiés à la communauté sourde, ce qui n’est pas notre option.
Vous pouvez visionner ces livres à l’adresse :
www.lire-ensemble.com
1. Voir le site argentin : http://videolibroslsa.org.ar.
7
Vous trouverez ci-dessous, à titre d’illustration, un poster présentant
une démarche d’action-recherche formation (ARF) réalisé par un groupe
d’étudiants de première année.
Cet exercice de communication vise à les entraîner à présenter une
réflexion à une équipe, à un décideur en posant les enjeux, les objectifs,
une synthèse des différents aspects du problème, le résultat de leur
réflexion, leurs propositions. Ils avaient dix minutes pour défendre leurs
arguments, convaincre, susciter le débat avec les autres étudiants.
8
Chers lecteurs,
si vous souhaitez réagir
à un sujet traité
dans les Cahiers de l’EFPP,
adressez votre courrier à
[email protected]
13 novembre 2015
Il y a eu la sidération, l’indicible, le souvenir du 7 janvier…
Il y a eu les mots des enfants.
Nous avons relu Le Petit Quotidien du 14 janvier 2015 qui titrait : « Ce que tu dois savoir
des religions dans notre pays ».
Nous avons parlé des terroristes, de folie, de croyances, d’ouverture.
Nous avons parlé de Solange qui va à l’église avec sa famille, des copains qui ne mangent
pas de porc à la cantine, de nous qui ne faisons rien de tout cela…
Puis un mot est apparu, le Chrisjulis* ; voilà à 7 ans ce qui semble important à notre fils.
J’ai aimé cette idée, le rassemblement indispensable pour sortir de cette absurdité. Ce
mot regroupe des valeurs que je souhaite porter au quotidien… Respect, solidarité,
tolérance.
Laetitia Besnard
adhérente de l’EFPP
*ChrisJulis
CHRIStianisme,
JUdaïsme,
ISlam
LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016
9
COMPTERENDU
Dans les
coulisses de
la JPO 2016
Témoignages
Alix Larrat
EJE 15
La Journée « Portes Ouvertes » à l’EFPP, c’est tout d’abord une journée ouverte à tous les étudiants, à tous les
formateurs, avant d’être ouverte aux potentiels futurs étudiants – et parfois leurs parents. C’est l’occasion pour nous de
parler de notre parcours personnel, de mettre en avant, parfois pour la première fois, nos qualités de promotion d’un
établissement. Nous avons également la possibilité d’échanger d’une manière différente avec nos formateurs dans le
cadre de ce projet de JPO que nous avons mené main dans la main.
J’ai eu la chance d’être sur un stand avec une personne qui avait l’habitude d’intervenir dans des salons étudiants.
J’ai pu prendre exemple sur elle, et je m’en suis finalement très bien sortie pour répondre aux questions des futurs
étudiants et leurs parents dans le pôle « Quotidien des étudiants ». Lorsque je suis arrivée j’étais pourtant inquiète à
l’idée du nombre de visiteurs que je devrais renseigner, du type de questions qu’ils poseraient, etc. Finalement nous
avons été suffisamment nombreux pour représenter tous les sujets qui pouvaient être évoqués par les visiteurs. Nous
avions chacun des éléments de réponse à apporter et nous avons réussi à véhiculer un sentiment d’accueil chaleureux
et d’entraide dans notre établissement, selon les retours qui nous ont été faits. J’ai eu l’impression que la plupart des
visiteurs que j’ai croisés et avec lesquels j’ai discuté étaient satisfaits de leurs échanges et repartaient avec un bon a
priori sur notre école. J’en ai été ravie et soulagée, puisque c’était bien là l’objectif que je m’étais fixé pour cette journée :
faire passer à ces personnes mon plaisir d’être dans cette école et partager avec elles les meilleurs moments entre les
médiations et les temps de formation plus formels après le stress des concours d’admission.
Un autre élément m’a paru très bien abordé dans sa présentation, je veux parler des médiations éducatives. J’ai trouvé
la salle d’arts plastiques particulièrement bien agencée, même si certains étudiants de l’EFPP m’ont fait remarquer que
le choix se portait davantage sur les travaux réalisés par certaines promotions plutôt que d’autres. Ne faisant pas partie
de ce pôle d’organisation, j’ai personnellement apprécié la présentation de cette salle qui mettait tout à fait en valeur
les travaux faits dans le cadre de nos médiations. Certains visiteurs m’en ont d’ailleurs parlé et se sont servi de ce qu’ils
avaient vu pour me poser des questions à ce sujet.
Pour finir, participer à ce genre de projets a été enrichissant pour nous, organisateurs. On en apprend énormément
sur notre formation et notre futur métier en nous entraînant à en parler. On se familiarise également avec les autres
formations proposées par l’EFPP, en rencontrant de nouveaux étudiants pendant les temps de réunion, par exemple.
Bref, une très belle expérience que je renouvellerai sans doute l’an prochain !
10
LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016
« Quand tout peut partir d’une
journée Portes ouvertes un
samedi après-midi… »
Jean Fontayne
ES 2013
Quand tout peut partir d’une journée « Portes ouvertes »
un samedi après-midi…
Ce jour-là, le mot d’ordre fut la passation de relais
pour les promotions à venir. En effet, les personnes
que nous allions accueillir n’étaient pas seulement des
« visiteurs », mais bien de possibles futurs éducateurs
de jeunes enfants ou éducateurs spécialisés. L’objectif
était de leur donner envie de choisir une école qui
serait adaptée à leurs critères de recherche. Là où ils se
sentiraient le plus à même de s’exprimer durant ces trois
années de formation.
Une autre passation se faisait en interne, dans l’équipe,
avec les trois années de promotions qui étaient
représentées lors de cette journée. L’envie de faire
quelque chose de bien, pour nos futurs collègues mais
aussi pour nous, dans le travail de coordination de nos
actions. C’est-à-dire répondre aux questions que peut se
poser toute personne désireuse d’entrer en formation, et
ayant ou non un vécu dans le social.
Mais, avant d’être prêt à accueillir l’ensemble des
visiteurs, le travail de préparation a été conséquent… Il
a demandé à chacun un investissement personnel de
qualité, et rigoureux. Comme dans le travail en équipe
où nous sommes amenés à coordonner nos actions et
donner du sens à celles-ci afin d’être cohérents face aux
personnes que l’on accompagne.
Cependant, quand bien même nous tenons le même
discours et présentons les mêmes explications
concernant le cadre institutionnel ou le déroulement
de la formation, ce discours est forcément impacté par
le ressenti de chacun vis-à-vis de son propre parcours
dans cette école, propre à chacun. On fait appel, ici, à
notre vécu, à nos expériences personnelles qui nous ont
conduits un jour à aller « visiter » ces portes ouvertes
efppiennes.
C’est un élément décisif dans le choix des écoles.
Comment notre vécu va pouvoir être en accord avec des
locaux, une atmosphère, une ambiance, l’apprentissage
proposé ici. C’est la raison pour laquelle nous avons
insisté sur l’accueil, l’accompagnement et la prise en
compte du ressenti des visiteurs, à l’issue de la rencontre
effectuée avec les acteurs de notre équipe du jour.
Pour résumer, une équipe bienveillante, à l’affût de tout
questionnement, et sachant mettre les visiteurs dans
de bonnes conditions (film projeté, buffet, musique). La
rencontre est faite de « petits riens », oser la rencontrer
c’est provoquer le destin qui nous mènera vers de
nouvelles aventures…
11
Un jeu pour découvrir les
grands pédagogues…
et l’art de la pédagogie !
Un groupe d’étudiantes
EJE 2014
Bernadette Moussy est éducatrice de jeunes enfants et historienne de l’éducation, créatrice du site « Si la pédagogie
m’était contée »1. En octobre dernier, elle nous a proposé de tester un jeu pédagogique qu’elle venait de créer.
Celui-ci s’apparente à un jeu de cartes portant sur divers pédagogues, un peu comme un jeu d’association avec des
thématiques et les idées essentielles de chaque pédagogue (citation, posture de l’adulte, etc.)
La liberté qui nous a été laissée quant à la création de nos propres règles nous a permis d’échanger au sein des deux
groupes de participantes. Lors de cet échange autour du jeu, la présence de Bernadette Moussy et de plusieurs
formatrices a nourri notre questionnement et nous a donné l’opportunité d’obtenir des éléments de compréhension
complémentaires.
Nous avons également pu donner notre avis sur l’élaboration du jeu, ce qui a offert la possibilité à la créatrice de
procéder à des ajustements et d’enrichir sa proposition.
Nous nous sommes demandé d’une part quels pouvaient être les destinataires de ce jeu, professionnels de la petite
enfance, enseignants etc. et d’autre part quelles adaptations seraient nécessaires pour l’utiliser avec un public diversifié.
Ce support pédagogique et ludique a été l’occasion d’approfondir nos connaissances relatives aux différents
pédagogues et pédagogies.
Nous remercions Bernadette Moussy pour son implication et l’expérience de formation qu’elle nous a permis de vivre.
1. http://silapedagogie.weebly.com/.
12
LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016
Marie-Christine David,
directrice générale
DOSSIER
Lutte contre les
discriminations
liées au genre
et travail social
La lutte contre les discriminations est aujourd’hui centrale. Cette lutte prend
une résonance particulière dès lors qu’il s’agit de considérer le sexisme
et l’homophobie et, dans la continuité, la question même du Genre. C’est
ainsi que l’EFPP a souhaité – à travers l’organisation, en décembre dernier,
d’une journée1 qui s’est voulue plurielle et ouverte – ouvrir un champ de
réflexion permettant de croiser les regards pour mieux comprendre les enjeux
actuels d’un sujet qui nous questionne dans la forme même de notre être
féminin ou masculin. Loin d’être exhaustives et d’épuiser un tel champ de
questionnement, les quelques pages qui suivent permettront au lecteur de
saisir à la fois ce qu’il en est de l’évolution sociétale et juridique, de certaines
réalités et de nos représentations, mais aussi de considérer l’impact de cellesci sur les sphères du travail social en particulier.
Ne manquez pas vous-même de réagir à ces textes en vous adressant à notre
courrier des lecteurs !
1. Lutte contre les stéréotypes et les discriminations liés au genre – sexisme, homophobie,
lesbophobie et transphobie : quel travail socio-éducatif ? » Journée d’étude organisée par
l’EFPP au Palais de la Femme le 8 décembre 2015.
13
Genre et stigmatisation :
le point de vue
interactionniste
Alain Bonnami
formateur - chargé de projet - Formations supérieures, études & recherches IRTS
Ile-de-France Montrouge Neuilly-sur-Marne
Un tel sujet nous oblige à resituer
le contexte culturel et social dans
lequel cette question prend sens
et interpelle nos propres cadres de
références : l’hétéro-sexualisation
comme fabrique dominante et
incorporée des sexes et de leurs
usages.
En quoi en effet ce sujet vient-il interpeller nos cadres
de référence ? Parce qu’il questionne et confronte
précisément nos propres modèles culturels et
identitaires. Et donc nos propres normes relatives aux
notions de genre, féminin, masculin, indéterminé ou
intersexe.
Il est frappant en effet de voir comment la législation
se positionne dans certains pays, reconnaît et adopte
la catégorie administrative de sexe indéterminé1. C’est
le cas par exemple de l’Australie, de l’Allemagne, du
Népal, de l’Argentine…
C’est parce que nous sommes pétris et construits
de et avec des modèles sociaux genrés, masculin/
féminin puisant dans nos subjectivités mais aussi
dans nos expériences et nos normes, qu’il nous est
difficile d’accéder à d’autres identités.
Notre réflexion doit nous amener à dépasser
l’approche essentialiste et naturaliste de la question
du genre pour adopter un point de vue constructiviste.
La représentation collective de l’homophobie, la
lesbophobie et la transphobie serait-elle un mal
(mâle) nécessaire ? Ce sont en effet des modèles
qui accompliraient une fonction importante : celle
de rassurer, de protéger les groupes dominants,
de perpétuer les rites de passage, les rituels et les
coutumes associés à l’assignation des sexes.
N’y aurait-il pas nécessité pour la norme « hétéro »
de se représenter l’homophobie, la lesbophobie ou
encore de façon plus radicale la transphobie comme
une atteinte intolérable à l’identité masculine ou
féminine ?
La sociologie de la déviance et la perspective
interactionniste issues de l’école de Chicago – et
j’invite le lecteur à se reporter là aux travaux bien
connus de Goffman (Stigmate) et Becker (Outsiders)2
– retiennent à partir d’enquêtes et d’analyses
minutieuses les processus sociaux, identitaires
et psychiques de stigmatisation et d’étiquetage à
l’œuvre dans les interactions que les individus sont
amenés à construire dans des situations et des
contextes singuliers.
Parler d’interaction, c’est alors tenter de découvrir et
de comprendre ce qui est en jeu dans les échanges,
les relations, les liens sociaux entre les individus.
14
Pour l’école de Chicago, l’interaction
suppose l’échange, mais un échange
construit socialement, c’est-à-dire qui
n’est pas donné en soi, mais qui s’appuie
sur des codes sociaux, des rites, des
pratiques, des usages, des perceptions
des uns vis-à-vis des autres.
« L’interaction ne s’établit pas dans
les limbes, elle implique des acteurs
socialement situés et elle se déroule à
l’intérieur de circonstances réelles : une
rue, la salle d’un café, une boutique, un
compartiment de train ou une organisation,
la cafétéria d’une entreprise ou le bureau
d’un cadre, etc. Toute interaction est un
processus d’interprétation et d’ajustement
et non l’actualisation mécanique d’une
conformité » nous dit David Le Breton3.
Désigner l’Autre, c’est le percevoir
d’abord à partir d’un jugement de valeur.
C’est aussi lui apposer et imposer une
étiquette. C’est en quelque sorte lui
imposer un statut et lui faire jouer un
rôle qu’il n’est pas toujours en mesure
de contrôler, un rôle qui lui échappe.
Qu’en est-il alors des stéréotypes et
des discriminations liés au genre ? Pour
paraphraser Goffman4, nous proposons
de retenir : « Un stigmate représente donc
en fait un certain type de relation entre
l’attribut et le stéréotype, et cela même si
je n’entends pas continuer à le dire ainsi,
ne serait-ce que parce qu’il existe des
attributs importants qui, presque partout
dans notre société, portent le discrédit. »
1. Gabrielle HOUBRE, Revue d’histoire du XXe siècle, n° 48, 2014.
2.Erving GOFFMAN, Stigmate : les usages sociaux des handicaps, Paris, Editions de minuit, 1975 ; et Howard BECKER, Outsiders :
sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985.
3.David LE BRETON, L’Interactionnisme symbolique, Paris, PUF, 2004.
4.Erving GOFFMAN, Op. cit.
LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016
15
Se former pour repérer et
contrer les discriminations de
genre dès la petite enfance
Mike Marchal
responsable de projets à l’EFPP
Homme, femme, fille, garçon, hétérosexuel, homosexuel,
bisexuel, chacun.e fait comme il-elle peut pour se frayer
un chemin avec les normes de genre et leurs cortèges
de stigmatisations, de discriminations et d’inégalités :
sexisme, homophobie, transphobie qui peuvent
déboucher sur des mises à l’écart, des agressions
physiques ou verbales, causant de nombreuses
souffrances qui fragilisent les individus et peuvent
mener à des impasses ou la mort : dépression, suicide,
homicide.
Comprendre les processus des stéréotypes de sexe et les
discriminations nécessite de se former à une approche
« par » le genre.
Les études de genre constituent un champ de recherche
qui existe depuis 40 ans et a émergé dans les années
1970 sous l’impulsion du mouvement féministe. Des lois
récentes nous ont rappelé la dimension politique de ces
questions comme : la loi de mai 2013 « sur le mariage
et l’adoption pour les couples de même sexe » et la loi
du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et
les hommes, cette dernière s’articulant autour de cinq
priorités :
• de nouveaux moyens pour l’égalité professionnelle
• une garantie publique contre les impayés de pension
alimentaire
• la lutte contre les violences faites aux femmes
• le recul des stéréotypes sexistes
• la généralisation de la parité.
Étudier le genre, c’est aussi comprendre qu’il existe un
« ordre normatif ». Cet « ordre normatif » est un système
qui produit et vise au maintien d’une frontière entre le
masculin et féminin. Ce système normatif est oppressif
car il assigne chacun à adopter des manières d’être
conformes à la définition sociale de son sexe. On parle
aussi « d’ordre du genre ».
Les individus qui dévient de ces normes de genre
sont sanctionnés. Stigmatisation, discrimination sont
malheureusement courantes, et il existe une répression
16
officielle dans un certain nombre de pays à l’égard des
minorités sexuelles LGBT (Lesbiennes, gays, bi et trans)
mais aussi, quelle que soit la sexualité, à l’égard des
personnes hétérosexuelles qui ont des manières d’être
qui n’apparaissent pas conformes à leur sexe (hommes
efféminés, pas assez virils, femmes à l’allure masculine,
etc.) On parle alors de « police du genre ».
Pourtant, ces questions sont peu étudiées dans le
champ du travail social, dans le cadre de la formation
comme sur les terrains professionnels. Il en est de même
dans le domaine éducatif comme dans celui de l’accueil
de la petite enfance. Marc Bessin, sociologue, parle du
« déni du genre dans le travail social ». Il explique ce déni
notamment par l’histoire de ce secteur d’activité.
Le travail social s’est construit par la professionnalisation
d’œuvres de charité et la mise à contribution massive
des femmes. Ces professions s’apparentent à une
« socialisation de l’amour maternel » et un véritable
prolongement de la maternité dans l’espace public. Suzon
Bosse Platière parle des « maternités professionnelles »1.
On observe cette persistance d’une très forte féminisation
des métiers, notamment ceux touchant à la prise en
charge des enfants et des personnes âgées. Tous
les métiers sont concernés avec des variations assez
importantes néanmoins. « Les femmes représentent
90 % des travailleurs sociaux de façon globale. 99 % des
assistantes maternelles, 97 % des EJE, 80 % des ES, 95 %
des AS. » Ces quelques chiffres concernant les métiers
montrent à quel point le genre et la division sexuelle du
travail sont agissants/structurants dans notre champ
professionnel.
Paradoxalement, les travailleurs sociaux, les éducateurs,
les éducatrices ont un rôle important à jouer dans la
construction d’une société plus juste, plus égalitaire et
respectueuse de chaque individu, quels que soient leur
sexe, leur identité de genre et leur orientation sexuelle.
Focus sur l’accueil de la
petite enfance
L’importance des normes de genre
dans les professions : l’exemple
des hommes dans la petite enfance.
L’homophobie comme processus de
régulation du genre
La persistance de la répartition sexuée des métiers du
travail social pose de plus en plus question au regard des
objectifs d’égalité entre les sexes et des transformations
des publics. Dans la petite enfance, les mères et leurs
jeunes enfants constituaient le public quasi exclusif des
professionnelles. Depuis que les pères sont beaucoup
plus proches et présents dans les soins auprès de
leurs jeunes enfants, ils sont aussi de plus en plus
visibles dans les institutions de la petite enfance. Ce
qui contribue d’autant à mettre en exergue l’absence de
mixité professionnelle dans ce secteur. Cette situation
est encore largement naturalisée et reste un impensé
dans ce secteur. C’est la réalité qui fait preuve d’évidence,
d’aucuns le considèrent comme un « métier de femmes »
puisqu’essentiellement exercé par elles.
Pour les hommes, travailler auprès des jeunes enfants
reste suspect, il existe une grande méfiance avec la
question de la pédophilie. Mais il s’exerce aussi un
doute quant à leur identité sexuée (sont-ils vraiment des
hommes ?) et leur orientation sexuelle (ne sont-ils pas
homosexuels ?)
Auprès des garçons, ce mécanisme homophobe consiste
à tenir à distance les tout-petits de ce qui est associé au
féminin, aux filles. La conformité de genre s’exerce de
manière plus forte en direction des garçons par exemple
dans le choix des jouets, des activités, des vêtements
(couleurs…). L’inquiétude réelle de certains parents, voire
de professionnels, face aux petits garçons qui « jouent à
des jeux de filles », repose sur un préjugé homophobe.
Daniel Welzer-Lang3 parle, quant à lui, de l’homophobie
comme de la face cachée du masculin : « L’homophobie
est une réaction provoquée par la peur de l’autre en soi.
L’homophobie au masculin est une attitude suscitée
par la peur (hantise) qu’ont les hommes de retrouver
en eux tout ce qui peut ressembler à l’autre, c’est-à-dire
les femmes… L’homophobie dans un sens très élargi
peut être entendue comme le spectre du féminin dans
l’univers masculin et non comme interdit de contacts
sexuels entre hommes. »
Il me semble que nombreux sont ceux qui ont en tête cette
question du « risque homosexuel » pour les garçons et
ne s’inquiètent pas de cette question pour les filles. Dès
la plus tendre enfance, ce tabou contribue à diviser les
sexes et à créer LE genre, une masculinité hétérosexuelle
dominante qui serait « à l’abri » de la féminité et de tous
ses symboles.
Ce sont des points que nous avons pu aborder lors de la
journée d’étude que nous avons organisée le 8 décembre
2015. Se former à ces questions apparaît de plus en plus
nécessaire pour assumer pleinement ses responsabilités
d’éducateur, d’éducatrice, dès le berceau.
Dans l’univers professionnel des crèches, ce mécanisme
d’homophobie est très agissant aussi bien en ce qui
concerne les hommes professionnels que les garçons
(enfants).
Laurence Moliner évoque « une place paradoxale pour les
hommes quasi intenable entre soupçon de pédophilie et
soupçon d’homosexualité puisqu’ils se tiennent à la place
des femmes. Ces “professions de femmes” porteraient
atteinte à la virilité dans une dimension imaginaire où les
hommes exerçant une activité de femmes deviendraient
des femmes, en conformité avec le stéréotype lié à
l’homosexualité soutenu par l’homophobie, élément de
régulation du genre, et qui assimile les homosexuels à
des individus efféminés »2.
1. Suzon BOSSE-PLATIERE, Les Maternités professionnelles, l’accompagnement éducatif des jeunes enfants, motivations, soucis
d’identité, modalités de formation, Erès, Toulouse, 1989
2.Laurence MOLINER, « La Mise au travail du genre », Le Sociographe, n° 49, pp. 39-49
3.Daniel WELZER-LANG, Pierre DUTEY et Michel DORAIS, La Peur de l’autre en soi, du sexisme à l’homophobie, Quebec, Vlb éditeur, 1994
LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016
17
Une population
triplement stigmatisée
Françoise Gil, sociologue, et Sasha-Alycia Bavol, assistante sociale à Acceptess-T
© Sophie Latelle
La population transgenre est frappée d’un paradoxe
singulier : elle est à la fois invisible et survisibilisée.
Invisible dans ses réalités, ses spécificités, ses besoins ;
survisibilisée dans les représentations qu’on fabrique à
son sujet.
De fait, les réalités que vivent les personnes
« transgenres » sont totalement inconnues du grand
public qui ne voit que ce qu’en disent les médias :
cabarets, paillettes, prostitution… Ces réalités, dont
personne ne parle, seraient négligeables tant le
soupçon de trouble psychique et l’idée d’« a-normalité »,
largement répandus dans la population cisgenre1, fait
office d’épouvantail et dispense de tout intérêt à l’égard
de cette population. Et c’est ce prisme réducteur qui va
faire office de connaissance.
Comme dans n’importe quel groupe social, l’homogénéité
parmi ses membres n’existe pas. On peut, au contraire,
observer une large palette de profils : des hommes trans’,
des femmes trans’, des personnes opérées, d’autres
non, des styles divers et variés dans la présentation de
soi, certain.e.s en début de transition, d’autres aux prises
avec le vieillissement, des Français.es, des migrant.e.s,
etc. C’est d’ailleurs pour ces raisons qu’on parle plus
volontiers de transidentité dans la communauté, pour
exprimer ce sentiment profond et durable commun à
tous et toutes.
18
LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016
La recherche2 présentée lors de la journée sur la lutte
contre les stéréotypes et les discriminations liés au genre
organisée par l’EFPP concerne des personnes trans’,
MtF3, migrantes, pour la plupart originaires d’Amérique
latine. Le choix de cette catégorie de personnes s’est fait
à partir d’observations menées au sein de l’association
Acceptess-T4.
Si tous ceux et celles qui transgressent les frontières
de genre font l’expérience de discriminations dans
l’espace public mais aussi au sein même de la famille, les
personnes migrantes sont de loin les plus vulnérables.
Elles sont triplement stigmatisées : du fait de leur
transidentité, de leur situation migratoire, et en raison
du travail du sexe qu’elles exercent.
Ces personnes sont majoritairement issues de familles
très modestes, dans lesquelles l’enfant est appelé à
participer à l’économie familiale dès que son âge le
permet. L’absence de diplômes est récurrente, ainsi
qu’un niveau scolaire insuffisant, le passage à l’école
ayant été traumatisant au point de la quitter très jeune.
Dès les premiers signes visibles de féminisation, le rejet
se manifeste au sein même de la famille et dans l’espace
social environnant. Ces éléments laissent déjà deviner
à eux seuls l’ampleur des difficultés qui se dressent sur
leurs chemins, le doute et l’incertitude qui accompagnent
la construction identitaire étant alimentés et exacerbés
par les blessures affectives et narcissiques vécues depuis
l’enfance. C’est alors que, pour reconstruire des liens de
proximité, force est de s’éloigner du milieu familial pour
nouer des relations avec des pair.e.s dans tous les sens
du mot.
Le parcours migratoire est presque toujours une étape
semée d’embûches. Démêlés avec les douanes et la police,
incarcérations, reconduites répétées à la frontière, viols,
agressions, violences, voire meurtres5. Clandestines,
munies de maigres économies pour traverser les pays
jusqu’à l’arrivée en Europe, ces personnes se retrouvent
vite dans une précarité tant économique que sociale et
sont contraintes à se prostituer pour pouvoir poursuivre
leur périple – avec tout ce qu’une inconnue sur un lieu de
prostitution peut subir en matière de violence… Le travail
du sexe est ainsi le moyen de survie le plus fréquemment
élu, il tient une place fortement investie par les 76 % de
personnes ayant déclaré se prostituer – régulièrement
ou occasionnellement – au cours de la recherche.
L’intériorisation du stigmate, le sentiment d’inutilité
sociale, la discrimination et l’exclusion engendrent chez
beaucoup d’entre elles l’idée qu’elles ne sauraient faire
autre chose. Autant d’éléments qui les maintiennent
dans une marginalisation qui finit par devenir la norme.
Que les personnes soient dans un parcours migratoire
ou résidentes dans un pays européen, l’inscription
dans le monde du travail est l’un des problèmes les
plus sensibles. Sur l’ensemble de la population étudiée,
86 % font état de difficultés pour trouver un travail ;
les entretiens ont permis de mettre en évidence non
seulement les tentatives infructueuses de la plupart,
mais aussi l’humiliation ressentie face aux refus répétés.
Ce difficile – voire, pour certaines, inaccessible – accès au
monde du travail conforte le sentiment de marginalisation
que toutes expriment – directement ou indirectement –
et qui se traduit dans une inscription dans la sphère des
outsiders décrits par Howard Becker6. Si le travail est,
dans nos sociétés, la valeur par excellence d’insertion
sociale, son corollaire ne saurait être exempt de marques
signifiant l’exclusion et la discrimination lorsqu’on en est
écarté.
L’espace symbolique dans lequel s’inscrit cette
population, à la fois contestataire7 et marquée par un
sentiment de fatalité face à un ordre dominant, est
encore non identifié et non reconnu par trop d’acteurs
de la sphère des professionnels de la santé et du travail
social. Les divers problèmes sociaux rencontrés sont à
la fois semblables à ceux que connaissent les exclus en
général, et différents de par leurs origines particulières.
La mauvaise image de soi, voire la mésestime de sa
propre personne, peut engendrer des comportements et
attitudes mettant la vie même en péril. Le taux très élevé
(76 %) de maladies chroniques – pour l’essentiel liées au
VIH ou/et au VHC – relevé dans l’étude est révélateur de
carences graves au niveau du « souci de soi ». D’autres
problèmes de santé, dus aux possibles conséquences
de la transition (MtF), nécessitent la mise en réseau de
différents professionnels de santé et un suivi coordonné
par les travailleurs sociaux.
Bien que la communauté ne soit pas formellement
organisée, les informations y circulent néanmoins
et les lieux d’aide et d’entraide sont rapidement
identifiés par les intéressées. Acceptess-T est l’une
des associations de personnes transgenres pour les
personnes transgenres. Elle reçoit, informe, soutient et
accompagne les personnes en demande de résolution
de leurs problèmes, qu’ils soient d’ordre administratif,
social ou médical, mais aussi milite activement pour la
visibilité, les droits et le respect des personnes. Mais si la
question trans’ est aujourd’hui présente dans les médias
ou au cinéma elle est, hélas, encore loin de constituer un
sujet digne d’intérêt pour le grand public.
Même si le stigmate est intériorisé – « incorporé », pour
reprendre à bon escient le vocabulaire bourdieusien
– sa remise en cause et sa critique sont largement
partagées par l’ensemble des personnes concernées, la
transidentité unanimement proclamée comme une des
innombrables spécificités existant dans le genre humain.
1. Terme désignant les personnes dont la perception du genre par elles-mêmes correspond au sexe qui leur a été attribué à la naissance.
2.Françoise GIL, Nassira HEDJERASSI, Stéphane RULLAC, Giovanna RINCON, Claudia ANJOS-CRUZ, Discrimination et stigmatisation d’une
population, le cas des femmes transémigrantes, rapport pour le Programme de soutien en faveur de la lutte contre les discriminations en
Île-de-France, février 2014.
3.MtF pour désigner « Mâle to Female », ou FtM pour désigner « Female to Mâle ».
4.Actions concrètes conciliant éducation prévention travail équité santé sport pour les Transgenres.
5. Le CIDH (Commission interaméricaine des droits de l’Homme) enjoint les États à renforcer la protection des transsexuels d’Amérique
latine et relève que, selon les organisations latino-américaines, l’espérance de vie de plus de 80 % des femmes trans’ dans la région est
de 30 à 35 ans. Violencia contra Personas Lesbianas, Gays, Bisexuales, Trans e Intersex en America, 12 novembre 2015.
6.Howard BECKER, Outsiders, Métailié, 1985.
7.Bien que contestataire et critique, la voix des dominés ne parvient que rarement à constituer une alternative reconnue.
19
Comment aborder
l’identité de genre dans les
interventions sociales ?
Mikaël Quilliou-Rioual,
formateur à Buc-Ressources, sociologue et doctorant au Lise (Cnam-CNRS)
L’objet de ma contribution est de
tenter de montrer comment, selon
les âges, il est possible d’aborder
des questions liées aux genres
dans un but éducatif.
On n’aborde pas un enfant, un adolescent et une personne
adulte de la même manière si l’on souhaite interpeller
et faire évoluer la mentalité des personnes concernées.
Les études sur le genre s’inscrivent aujourd’hui dans
une dimension qui interpelle la construction sociale des
sujets et viennent en écho à la vision d’une société plus
égalitaire. Le genre est un concept qui vise à objectiver
une réalité sociale. Il s’agit d’un prisme comme le racisme,
pour étudier, identifier et penser les rapports sociaux
entre les personnes. Pour ce faire, les études sur le genre
proposent de décloisonner les rapports sociaux de sexe
biologique pour intégrer la dimension culturelle incluse
dans les constructions identitaires d’une personne.
En plus d’être une femme ou un homme, les études de
genre s’attachent à étudier la construction des identités
sociales des personnes, le féminin et le masculin.
Ainsi le genre peut-il se définir comme : « Un système de
bicatégorisation hiérarchisée entre les sexes (hommes/
femmes) et entre les valeurs et représentations qui leur
sont associées. »1
L’identité de genre s’appréhende selon trois niveaux en
interaction : une dimension biologique – excepté pour
les personnes intersexes, on naît homme ou femme – sur
laquelle va se poser une construction culturelle, tenant
compte des normes et des valeurs d’un environnement
social ; et enfin chacun et chacune a une orientation
sexuelle qui se caractérise par une attirance pour les
personnes de son sexe biologique ou pour celui du sexe
opposé, voire des deux sexes sans priorité.
20
Au-delà de l’identité singulière d’une personne, l’aspect
contemporain des rapports entre les femmes et les
hommes est interpellé notamment par la question de la
place des femmes et des hommes dans l’espace public,
celle de la représentativité citoyenne ou de l’égalité des
salaires ou encore par la question des évolutions de
carrière entre les sexes.
Les études sur le genre vont au-delà de cette simple
question d’égalité sexuée contemporaine. Elles
cherchent à comprendre quels sont les éléments des
constructions normatives des sujets qui conduisent à ce
résultat dans l’élaboration des liens sociaux. Pour ce faire
elles interrogent les rapports sociaux des deux sexes. Il
s’agit bien en effet de contribuer à définir l’identité d’un
sujet. Il est sans doute utile de rappeler que l’identité
vient du latin idem (le même), cette notion indiquant les
valeurs et les normes dans lesquelles chaque personne
se reconnaît en tant que sujet. Elle désigne également
ce qui permet aux autres de le reconnaître. L’identité
s’affirme toujours par des signes extérieurs, en cela
elle permet une prise de position singulière et une
ressemblance avec les membres du groupe identitaire. La
personne est à la fois identique, c’est-à-dire appartenant
au genre humain, et singulière car chaque être humain
est différent de son semblable. Cette double dynamique
permet à une personne de se définir socialement et aussi
de s’insérer dans un tissu relationnel.
Il est possible, et certainement souhaitable si l’on veut
faire réfléchir et éventuellement contribuer à faire évoluer
le positionnement intellectuel d’un sujet, d’aborder la
dimension du genre de façon différente selon les âges. Et
je soumets ci-dessous quelques exemples pour illustrer
mon propos.
Avec les enfants : il est possible de présenter le support
éducatif Filles et garçons : cassons les clichés, livret
pour les élèves de CP et CE12, et de les faire parler pour
qu’ils évoquent librement les perceptions qu’ils ont du
valeurs incorporées par le sujet au cours des processus
de socialisations qui vont ensuite définir les pratiques du
sujet. Faire débattre les adolescents sans précautions
est risqué. En effet, ceux-ci aiment s’opposer, provoquer,
et parfois ils sont prêts à défendre leur position radicale
jusqu’à la caricature d’un positionnement non pas
idéologique mais révolté, quitte à avoir des positions
violentes.
support de médiation proposé. Les enfants construisent
leurs normes et leurs valeurs. Elles sont d’abord
inculquées par la sphère familiale par le biais de ce que
l’on nomme la socialisation primaire. C’est ensuite que
l’enfant va confronter les éléments de cette socialisation
à son groupe de pairs. Cette dimension passe souvent
par l’école ou, pour les enfants accompagnés dans le
cadre de la protection de l’enfance, cela passe parfois
par des internats éducatifs ou des mesures en milieu
dit « ouvert ». Il s’agit alors d’agir sur le collectif par le
biais d’atelier d’échanges avec parfois un support de
médiation éducative. Celui évoqué ci-dessus est proposé
par la Ligue de l’enseignement et a été testé avec succès
dans l’ensemble des écoles primaires de Paris. Cet outil
est très intéressant car il englobe l’enfant dans son
environnement familial. Il comporte en plus un livret
pour le professionnel et un autre pour les parents, afin
qu’ils soient guidés dans les actions à entreprendre.
Cela n’est pas superflu tant les polémiques existent, non
pas sur les actes éducatifs mais sur les intentions des
professionnels à les faire.
Avec les adolescents la logique de médiation va être
différente. Ils ont déjà formé leur habitus. Comme le
décrivait Pierre Bourdieu, il s’agit des normes et des
Le prisme de l’intersectionnalité est, à ce titre, également
intéressant et nous le retenons dans notre approche.
L’intersectionnalité a été développée par Kimberlé
Crenshaw, une universitaire américaine qui a étudié
les formes de domination et de discrimination non pas
séparément mais dans les liens qui se nouent entre
elles. En partant du principe que le racisme, le sexisme et
l’homophobie ainsi que les rapports de domination entre
catégories sociales ne peuvent pas être entièrement
expliqués s’ils sont étudiés séparément les uns des
autres. L’intersectionnalité entreprend donc d’étudier
les intersections entre ces différents phénomènes. Cette
démarche est idéale pour évoquer le genre avec des
adolescents.
Ils sont souvent en butte aux inégalités sociales, n’ayant
pas encore de place autonome dans la société, ils
craignent d’être rejetés pour ce qu’ils représentent et
pas pour ce qu’ils sont réellement. Il est donc possible ici
d’utiliser des techniques faisant réfléchir le Sujet sur ce
qu’il subit et aussi ce qu’il produit.
L’outil présenté, La Clé 3D contre les discriminations :
racisme, sexisme, homophobie3, conduit à la prévention
de l’homophobie et du sexisme chez des adolescents.
Pour ce faire on commence par visionner une scène
raciste de refus de location d’appartement ; l’idée est de
les faire réagir à cette injustice. Ensuite l’outil propose
des images symboliques illustrant le sexisme ; il est là
aussi possible de les inviter à réagir à cette « autre »
forme d’injustice. La vidéo finit avec des témoignages de
jeunes homosexuels lycéens qui expriment le rejet et la
stigmatisation subis à l’école.
L’idée générale de cet outil conçu à la base pour l’Île-deFrance et pour ce que l’on nomme les « banlieues » à forte
dimension multiculturelle, est de dire aux adolescents :
« Voilà ce que tu subis comme exclusions et voilà ce que
tu produis comme exclusion. »
Il est possible de permettre au Sujet de se décaler et
de le faire réfléchir à partir des sentiments d’injustice
qu’il vit, en l’interpellant sur le bourreau qu’il peut
potentiellement être lui-même.
Cet outil possède aussi un guide pour l’utilisateur. Cette
clé est un outil formidable car il décloisonne les logiques
LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016
21
de rejet et permet une mise à distance de ses propres ressentis pour ensuite permettre des parallèles entre notamment
ces trois formes de rejets. C’est un outil très opérant avec un public d’adolescents qui vit lui-même le racisme. Par ce
biais, ceux-ci peuvent prendre conscience que ce qui les fait parfois souffrir peut en faire souffrir d’autres par le biais du
sexisme ou de l’homophobie.
Avec les adultes on va agir encore d’une autre façon et
proposer un autre type d’outil.
Celui-ci est interactif et s’intitule : Ouvert : l’êtes-vous…
vraiment ? 4 Un outil qui invite à faire réfléchir des adultes
sur la question de l’homophobie et de l’acceptation des
différences. Le sujet adulte a souvent bâti une enveloppe
politiquement correcte pour accompagner socialement
ses pensées, ses paroles et parfois ses actes.
La dimension collective est ici moins nécessaire car
l’adulte perd avec le temps les logiques de débat collectif.
Il s’agit ici de l’impliquer pour le faire réfléchir, et en cela
il est souvent nécessaire de bousculer le « politiquement
correct » pour aller chercher à impliquer le sujet dans ses
réflexions. Les situations présentées sont d’abord neutres
et il faut cliquer pour savoir si « ça vous gêne », « un peu »,
« beaucoup » ou « pas du tout ». Cette graduation autorise
des nuances en fonction des situations. Progressivement
le support passe d’une situation neutre, deux hommes
dans un abribus ou une personne trans qui fait ses courses,
à une identification et une personnification des sujets
proposés : « C’est votre frère, ça vous choque ? » ou « c’est
votre collègue de boulot, ça vous choque ? ». L’idée est ici
de faire réfléchir « honnêtement » le sujet à sa « véritable »
ouverture.
Il est donc possible d’éduquer aux différentes dimensions
du genre par une ouverture à l’acceptation de l’autre.
Cependant, on ne peut aborder les enfants, les adolescents
et les adultes de la même façon. Les outils de médiation
éducative associés au savoir faire des éducateurs et des
éducatrices spécialisés dans l’animation de groupe peuvent
permettre d’aborder les différences et d’interpeller les
personnes pour qu’elles fassent évoluer leurs sentiments
et leurs actes dans une volonté plus égalitaire.
Prévenir, informer et faire réfléchir c’est éduquer
soigneusement. Cette dimension mérite que l’on s’y
attarde.
1. Laure BERENI in Laure BERENI et Mathieu TRACHMAN, Le Genre, théorie et controverses, PUF, 2014.
2.La présentation complète de cet outil dans : Mikael QUILLIOU-RIOUAL, Identités de genre et intervention sociale, Dunod, 2014, p.184185 ou auprès de La ligue de l’enseignement, Fédération de paris, 9 rue du Docteur Potain, 75019 PARIS, www.ligueparis.org.
3.La présentation complète de cet outil dans Mikael QUILLIOU-RIOUAL, Ibid., p.198-199 ou auprès du Crips Île-de-France : http://www.
lecrips-idf.net/.
4.La présentation complète de cet outil dans Mikael QUILLIOU-RIOUAL, Ibid, p.200, ou webdoc du gouvernement du Quebec : http://
vraimentouvert.com/.
22
LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016
Un Refuge pour
grandir et se
protéger de tous
les combats
Frédéric Gal,
directeur de l’association Le Refuge, formateur à l’IRTS
du Languedoc-Roussillon1
Trop souvent, la population homosexuelle est rejetée
et mise à l’écart malgré une amélioration du système
législatif protégeant ces minorités. Face à cette situation
de rejet et de souffrance, l’accompagnement social prend
toute sa place. Ce sont les instances sociales que des
jeunes rejetés et se retrouvant à la rue vont rencontrer.
Assistantes de service social de secteur ou scolaires,
conseillers d’insertion en missions locales, etc., vont être
les premiers interlocuteurs d’un public en errance, à la
recherche principalement d’une écoute, d’un toit, puis
d’un emploi.
Au-delà de l’aspect technique d’un accompagnement,
c’est aussi une prise en compte de la spécificité du rejet
lié à l’homosexualité, de ses conséquences pour le jeune,
notamment sur ses capacités à se réaliser pleinement. Et
là, force est de constater que la formation des travailleurs
sociaux pèche par omission. Si les programmes de
formation sont déjà (pour certains) assez inaudibles
sur la question de la sexualité, celle de l’homosexualité
est encore plus occultée, devenant même quelquefois
taboue.
Les conséquences de cette absence ou de ces lacunes au
niveau de la formation ne sont pas des moindres. En effet,
les acteurs du social devront trouver par eux-mêmes
et en eux-mêmes les solutions à ces questionnements
pourtant légitimes. Cela suppose que ces mêmes acteurs
aient l’idée et l’envie de faire cette démarche volontaire.
Cela suppose aussi, par ricochet, qu’ils puissent trouver
des réponses à leurs interrogations. C’est ce que
propose le Refuge par ses séances de sensibilisation et
de formation en direction du personnel socio-éducatif, et
c’est bien l’esprit de la convention signée en 2011 entre le
Refuge et la Protection judiciaire de la jeunesse.
L’homophobie familiale se manifeste de manière
régulière par un rejet simple et catégorique… qui n’est
quelquefois pas causé par l’annonce du jeune mais
lorsqu’une connaissance vient le faire à sa place à sa
famille.
Lors de l’annonce par le jeune lui-même, trois réactions
peuvent arriver : la joie (plutôt rare), la colère (qui signifie
souvent, malgré la violence des mots, « je t’ai entendu »)
et enfin le silence qui accueille la nouvelle… et le déni qui
s’ensuit ; cette dernière étant la pire des réactions, celle
qui dit « je ne t’ai pas entendu, je nie ce que tu es, je nie
cette part de ton être ».
La difficulté ressentie réside aussi dans la nonappartenance au groupe. De sortir de ce groupe
hétéronormatif dans lequel tous les jeunes sont plongés :
les garçons doivent aimer les filles, les filles doivent
aimer des garçons. Tout jeune ne se reconnaissant pas
dans ces situations ressentira comme une impossibilité
à échanger, comme une sortie de la « norme »… et le pire
résidera surtout dans une absence de soutien de la part
de la famille au moment où elle doit jouer ce rôle essentiel
de cocon protecteur et être un guide pour l’enfant.
23
L’homophobie, au-delà de l’insulte primaire, se situe
dans un comportement quotidien visant à rabaisser
et à stigmatiser quelquefois involontairement les
personnes homosexuelles. C’est aussi passer sous
silence l’évidence, c’est aussi nier une partie de l’identité
de son enfant, le condamner à une remise en question
perpétuelle pour une « simple » question de sexualité,
voire, une question d’amour.
Par conséquent, les jeunes qui découvrent leur
orientation sexuelle non hétérosexuelle se retrouvent
trop souvent rabaissés, désemparés et seuls à cause
de l’image que la société renvoie de l’homosexualité et
du peu d’information, voire de l’absence d’information,
donnée à ce sujet, notamment dans leur environnement
scolaire.
La désapprobation du milieu scolaire est souvent couplée
d’un rejet de la part du milieu familial. Ainsi, une étude
américaine citée par Ryan et Frappier en 2000 révèle que
45 % des jeunes gays et 20 % des jeunes lesbiennes ont
été victimes d’insultes ou maltraités.
Il ressort d’ailleurs de l’étude américaine citée par Ryan et
Frappier que près de 33 % de ces adolescents jettent un
regard négatif sur eux-mêmes ou croient qu’ils n’ont pas
autant de valeur que les autres personnes. La fréquence
des dépressions est d’ailleurs nettement supérieure
dans la population homosexuelle que dans la population
globale : le Baromètre santé 2005 de l’INPES2 relève une
prévalence de 10,4 % d’épisodes dépressifs caractérisés
au cours des 12 derniers mois chez les homosexuels et
bisexuels à comparer à 3,9 % chez les hétérosexuels.
Or, l’homosexualité n’est pas un choix. Le sentiment
d’inadéquation personnelle ou sociale et la difficulté
de s’accepter comme étant d’orientation homosexuelle
ou bisexuelle contribuent aussi à ce qu’un jeune
entretienne une faible estime de lui-même. Tout cela
entraîne un repli sur soi et un sentiment de solitude.
Cette très faible estime de soi est due à l’image négative
de l’homosexualité, aux rejets vécus, à la dépréciation
quotidienne et aux difficultés de socialisation avec les
autres jeunes et avec l’entourage en général.
Cet isolement et cette mise à l’écart conduisent en
premier lieu à une remise en question du jeune luimême, avec une perte de confiance en lui ainsi qu’un
mal-être, conséquence de cette souffrance. Comment
ne pas se poser la question d’être, ou pas, normal ?
Ou si l’on entend que l’homosexualité est sans cesse
anormale, comment ne pas y croire et finalement se dire
que l’on vaut moins que ceux « qui sont normaux » ?
Ceci est d’autant plus prégnant lorsqu’on l’entend de la
personne qui vous a donné la vie. Ce mal-être débouche
sur des conduites à risques plus importantes, d’autant
plus fortes auprès de cette population.
Les adolescents concernés disposent de peu de modèles
auxquels se raccrocher et se construisent sans modèle
positif. L’homosexualité est encore associée à une
image négative, et les adolescents doivent composer
avec cette réalité pour se construire une image positive
d’eux-mêmes. L’absence de modèles positifs les conduit
à un déni de leur propre personne et à une homophobie
intériorisée qui peuvent entraîner le passage à l’acte.
Ainsi, le taux de suicide chez les jeunes homosexuels
n’est pas le résultat d’une particularité intrinsèque au
sujet homosexuel, mais la réponse individuelle à une
stigmatisation sociale négative.
Les conduites addictives, prostitution, scarifications
sont autant de témoignages « vivants » de la souffrance
singulière de ces jeunes. Ici une mise en danger physique,
là une volonté « d’écrire sa souffrance sur sa peau »,
ces comportements ne sont que des manifestations de
l’homophobie intériorisée qui représente un véritable
danger pour ces jeunes, car confrontés au rejet global
de leur sexualité, de leur identité. Le jeune peut alors se
placer, non pas dans la situation de personne « normale »
rejetée par les autres, mais il va finalement penser que si
les autres le rejettent, c’est que « eux » ont raison, et que
« l’anormalité » vient bien de lui-même. Il faut donc la
combattre, ce qui sous-entend se combattre soi-même.
Les conduites évoquées plus haut ne sont que la mise
en pratique de ce combat. Les tentatives suicidaires sont
encore plus présentes durant cette période.
Depuis treize ans, l’association le Refuge propose un
accompagnement social et psychologique ainsi qu’une
réinsertion socioprofessionnelle afin de permettre
un accès à l’autonomie et un travail sur soi. Elle est
composée de 13 salariés, d’équipes de bénévoles, de
travailleurs sociaux, de volontaires du service civique,
de stagiaires, tous issus d’horizon différents, mais ayant
l’accompagnement social comme toile de fond de leur
investissement.
Le Refuge intervient aussi régulièrement auprès des
professionnels dans le cadre de leur formation, et comme
outil de réflexion sur leurs pratiques.
1. Auteur de Le Travail social auprès des victimes d’homophobie, Éd. ASH, 2013
2.F. BECK, P. GUILBERT, A. GAUTIER (dir.). Baromètre santé 2005 Attitudes et comportements de santé. Saint-Denis, INPES, coll.
Baromètres santé, 2007.
24
La construction socio-sexuée
des jeunes enfants
Nicolas Murcier,
responsable de projets à l’EFPP
Cet article interroge la prescription
aux enfants de normes de genre et
examine la limitation du champ des
possibles et l’inscription précoce
des jeunes enfants dans des
conduites normatives.
De l’importance des espaces
et des jeux
Différentes recherches s’intéressent à l’influence de
l’environnement social sur la construction de l’identité
sexuée des jeunes enfants. Elles rendent compte
notamment des processus conduisant ces derniers à
adopter dès le plus jeune âge des rôles sexués. Les
transformations de la société française au cours des
soixante dernières années ont permis une réduction des
inégalités entre les femmes et les hommes. Cependant,
force est de constater le maintien d’inégalités et la
persistance des assignations à revêtir des rôles sexués.
On constate que les représentations sociales du féminin
et du masculin se maintiennent durablement, conduisant
les un.e.s et les autres à adopter des comportements, des
attitudes conformes aux attentes sociales et à réaliser
des activités normativement assignées aux individus
en fonction de leur genre, réduisant ainsi le champ des
possibles.
Les établissements d’accueil pour jeunes enfants (EAJE)
participent à proposer une socialisation différenciée et
concourent à la permanence des inégalités entre filles
et garçons, entre femmes et hommes et la perpétuation
des stéréotypes sociaux de sexe en montrant aux
enfants – filles et garçons – des rôles explicitement
et/ou implicitement différenciés (Murcier, 2012).
L’aménagement des lieux de vie, les propositions
d’activités à l’adresse des jeunes enfants dépendent des
conceptions des adultes (parents et professionnel.le.s).
Ces dernières impactent nécessairement les habiletés
cognitives et sociales et les potentialités développées
par les jeunes enfants. L’activité ludique ne constitue
pas une activité simple et naturelle mais découle tant
des représentations sociales à l’œuvre et des pratiques
culturelles d’une société donnée que du contexte matériel
dans lequel évoluent les jeunes enfants (Almqvist et
Brougère, 2000 ; Brougère, 1993 ; Coulon et Cresson,
2008 ; Farver, 1999 ; Gönçu, Mistry, Mossier, 2000).
Le matériel ludique mis à la disposition des jeunes
enfants leur permet notamment, au travers des jeux
d’imitation et de faire-semblant, d’avoir accès à la
compréhension de leur environnement, d’appréhender
LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016
25
le monde, d’acquérir progressivement la capacité de s’y
situer, de progressivement développer les facultés pour
devenir auteurs de leur propre vie. On voit l’importance
pour les jeunes enfants de la possibilité qui leur est
offerte de pouvoir, au travers du jeu, occuper tous les
rôles sociaux sans être limités en raison de leur genre.
On remarque que très tôt les filles et les garçons vont
avoir des préférences différenciées pour certains jouets
et jeux. Cela correspond au fait que les enfants, filles et
garçons, dès leur plus jeune âge, se conforment à ce qu’ils
perçoivent être attendu de manière explicite ou implicite,
à ce qui semble désirable en fonction de leur sexe. Les
enfants ont tendance à réaliser ce que la société attend
d’eux. Ce conformisme précoce aux attentes sociales
découle, entre autres, de la socialisation proposée, des
compétences et habiletés que chaque enfant développe,
est encouragé à développer. Ces dernières sont
largement dépendantes des attentes de l’environnement
social, des propositions d’activités qui sont faites aux
jeunes enfants en fonction de leur sexe. Les petites
filles aiment jouer à la poupée… Les petits garçons
également lorsqu’ils entendent que cela est possible. Il
s’avère donc nécessaire tant dans la cellule familiale que
dans les EAJE de permettre aux enfants de se saisir de
la diversité possible du matériel ludique. Il faut ouvrir le
champ des possibles de chaque enfant. En cela, parents
et professionnel.le.s ont une responsabilité : celle
d’autoriser les jeunes enfants, puis les enfants, à ne pas
se conformer aux assignations en fonction du sexe.
Une lecture adulto-centrée
des jeux des enfants…
Permettre aux enfants de se saisir de tous les possibles
est complexe puisque lorsque l’enfant s’écarte de la
norme, cela gêne, interroge. Les parents peuvent avoir
peur de la mise à l’écart, de l’exclusion. Cela vient
également heurter nos propres représentations de ce
qu’est une femme, un homme, des rôles parentaux
que l’on s’attribue suivant notre sexe. Dans les
représentations sociales, l’homme n’est-il pas, encore, la
figure de l’autorité et la femme celle de l’affection et du
soin ? Pour les parents, ne pas limiter le choix des jouets
et des jeux peut s’avérer compliqué. Davantage lorsque
l’enfant est un garçon, car la société accepte mieux que
les filles s’écartent du cadre normatif. Par exemple une
fille qui joue aux petites voitures interpelle moins qu’un
garçon qui joue à la poupée. Il y a toujours une injonction
à la virilité adressée aux hommes depuis leur plus jeune
âge. Pour un père, voir son enfant garçon jouer à la
poupée peut ainsi être difficile, puisque souvent l’activité
ludique de l’enfant est mise en lien avec une possible
26
LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016
orientation sexuelle à venir, avec la crainte massive de
l’homosexualité, qui malgré les discours communs,
demeure problématique. L’enfant, davantage lorsqu’il
s’agit d’un petit garçon, est ainsi projeté dans un temps
à venir, celui de son orientation sexuelle et du choix de
son partenaire. La confrontation, pour un père, avec son
petit garçon jouant à la poupée peut venir questionner
sa propre virilité : « est-il un vrai garçon ? ». Un doute
peut s’installer faisant immanquablement surgir une
autre question : « moi qui l’ai engendré, suis-je un vrai
homme ? ».
Les contenus de la socialisation proposés aux jeunes
enfants – filles et garçons –, au sein tant de la famille
que des EAJE, participent activement à l’intériorisation
de manières de faire, de se comporter, de penser, en
adéquation avec les attentes sociales à l’adresse des
filles et des garçons. Il n’y aurait pas de problème si
l’on permettait aux filles et aux garçons de jouer avec
n’importe quel jeu ou jouet. Le fait qu’on ne propose pas
les mêmes supports de jeu aux enfants est problématique
en ce qu’il ne va pas permettre le développement des
mêmes compétences, et surtout que le critère utilisé
dans la mise à disposition du matériel ludique aux filles
et aux garçons n’est pas leur centre d’intérêt mais leur
genre (Mosconi, 2003). Jouer à la poupée ne devrait
ainsi pas être un passage obligé pour toutes les petites
filles, comme la maternité n’est pas un passage obligé
pour toutes les femmes (ce que la société tolère encore
difficilement), et il ne devrait pas y avoir d’interdit,
explicite ou implicite, de jouer à la poupée pour les petits
garçons. Pour être en mesure, en tant que parents ou
professionnel.le.s de proposer aux enfants de se saisir
de toutes les opportunités ludiques, il convient donc
de déconstruire la lecture adulto-centriste des jeux des
enfants.
… Et des relations amicales
Il arrive fréquemment que les jeunes enfants disent être amoureux
d’un pair. L’évocation par de jeunes enfants d’un sentiment
amoureux interpelle les adultes (parents ou professionnel.le.s), les
amuse lorsque un petit garçon dit être amoureux d’une petite fille
ou réciproquement, les inquiète si ce même petit garçon dit être
amoureux d’un autre petit garçon. Généralement il entend alors
dire que cela n’est pas possible. Là encore, les adultes interprètent
les propos de l’enfant d’un point de vue adulto-centriste et à l’aune
du prisme hétéro-normatif. Alors que le jeune enfant ne parle pas
d’un choix amoureux tel que l’adulte se le représente, il est projeté
dans une orientation sexuelle dont il ne peut être question à son
âge. Alors que les propos de l’enfant devraient être uniquement
appréhendés par les adultes comme l’expression du développement
par l’enfant des habiletés sociales (comportement, expression des
sentiments, gestes…) et comme la monstration de la construction
de ses relations à autrui, la lecture par les adultes le projette dans
un temps à venir où ses relations à ses pairs sont sexualisées. Cela
demande donc de questionner la signification des mots. Ce n’est
pas parce qu’enfants et adultes utilisent les mêmes signifiants qu’ils
expriment les mêmes choses. Le discours prescriptif interdisant aux
enfants la possibilité d’être « amoureux » d’un enfant du même sexe
s’avère également problématique puisque les enfants peuvent voir
dans leur entourage des personnes de même sexe s’aimer, et que la
loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 a ouvert le mariage aux couples de
personnes de même sexe.
On imagine aisément l’implicite contenu dans l’interdit signifié aux
enfants et qui désignerait les adultes du même sexe qui s’aiment
comme « mauvais », participant de fait au renforcement de
l’homophobie.
On voit la nécessité dans la formation des éducateurs de
proposer des espaces de réflexion permettant d’interroger les
modalités de l’accompagnement socio-éducatif et de permettre
le questionnement des représentations sociales à l’œuvre dans la
société influençant les modalités du travail éducatif. On perçoit dès
lors l’importance de réfléchir aux champs des possibles que l’on
permet ou non. Finalement, si l’on veut que les enfants grandissent
sur un pied d’égalité, on voit toute l’importance de déconstruire,
dès la formation des futur.e.s professionnel.le.s, les assignations à
l’adresse des jeunes enfants en fonction de leur genre.
Bibliographie
ALMQVIST, B., BROUGERE G. (2000)
« Matériels ludiques et cultures pédagogiques dans
le préscolaire : les exemples de la Suède et de la
France »,
in S. RAYNA, G. BROUGÈRE (coord.)
Traditions et innovations dans l’éducation préscolaire
Perspectives internationales, Paris, INRP
BROUGERE G. (1993)
« La Signification d’un environnement ludique –
L’école maternelle à travers son matériel ludique »,
actes du Premier congrès d’actualité de la recherche
en éducation et formation,
AECSE, Paris, CNAM, tome 2, p. 314-319
BROUGERE G. (dir.) (2000)
L’insertion du jouet dans les rites et rituels de la petite
enfance,
Villetaneuse, Université Paris 13
COULON N., CRESSON G. (coord.) (2008)
La Petite Enfance. Entre familles et crèches, entre sexe
et genre,
Paris, L’Harmattan
FARVER, J.A.M. (1999)
« Activity setting analysis : A model for examining the
role of culture in development »,
in A. GÖNÇÜ (ed.) Children’s engagement in the
world : Sociocultural perspectives,
Cambridge, Cambridge UniversityPress
GÖNCÜ A., MISTRY J., MOSSIER C. (2000)
« Cultural variations in the play of toddlers »,
International journal of behavioraldevelopment,
24 (3), p. 321-329
KERGOAT D., (2005)
« Rapports sociaux et division du travail entre les
sexes »,
in M. MARUANI (dir.) Femmes, genre et sociétés.
L’état des savoirs, Paris, La Découverte
MOSCONI N. (2003)
« Rapport au savoir et division socio-sexuée des
savoirs à l’école »,
La lettre du Grape, n° 51, p. 31-38
MURCIER N. (2012)
« Petite enfance et genre. Entre assignation au
maternel et socialisation différenciée »,
Diversité, 170, p. 159-165.
27
Échos de la journée
Lucie Guihard et Albane Truchelut,
pour la promotion EJE 14
Pour nous, futurs éducateurs de
jeunes enfants, cette journée a
été l’occasion de réfléchir sur les
évolutions de notre société et leur
impact sur notre pratique.
Tout d’abord, notre monde change et les normes aussi,
de nouvelles compositions familiales accompagnent
cette mutation. En tant que futurs professionnels de
la petite enfance, nous avons pu ouvrir nos réflexions
quant à l’accompagnement des familles et notamment
autour des nouvelles compositions familiales qu’offre
aujourd’hui notre société.
Nous avons aussi pu rencontrer à cette occasion une
personne transsexuelle et avons été ravis de l’avoir
écoutée. Elle a pu nous faire partager son expérience, ses
ressentis. En effet, nous avions certes tous entendu des
28
témoignages sur la transsexualité, mais cette journée
nous a permis d’avoir en face de nous une personne
physique, qui nous a parlé de ses motivations pour
changer de sexe. Cela a eu un impact important pour
nous. Il est vrai qu’il y a une différence entre savoir que
la transsexualité existe, et rencontrer une personne
transsexuelle : cela change notre regard. Nous avons
tous relevé le fait qu’il a été courageux de sa part
d’effectuer cette intervention.
En outre, cette journée nous a permis de réaliser que les
personnes transgenres et homosexuelles subissent de
réelles violences, non seulement dans les propos mais
aussi à travers les regards des autres.
Par ailleurs, des thèmes tabous, évoqués dans le cadre
de la formation et trop souvent écartés par peur de ce
que qu’ils représentent pour chacun, ont pu être traités
là et c’était très intéressant pour nous.
Nous avons tous remarqué l’intérêt de participer à cette
journée en dehors de notre cadre habituel (l’EFPP),
puisque cette journée se déroulait dans les locaux du
Palais de la Femme dans le 20e ; cela nous apporté une
autre dimension, d’autres façons de voir les choses.
Suite à ces différents témoignages, nous avons eu une
prise de conscience sur ce que certaines personnes
peuvent vivre, nous avons pu réaliser l’actualité de cette
réalité qui touche une part non négligeable de la société.
En formation pour devenir éducateur de jeunes enfants,
il est vrai que même si cette journée a touché la plupart
d’entre nous, certains se sont sentis moins concernés.
En effet, à travers nos divers stages, nous n’avons pas
tous été confrontés à de telles situations et nous avons
donc du mal à réaliser, à nous projeter dans la réalité du
terrain. Cependant, les interventions ont pu nous alerter
et nous mettre au courant des divers publics que nous
sommes susceptibles d’accueillir au travers des familles
rencontrées. Il est important pour nous d’évoluer, de
savoir accueillir des familles sans jugements, sans
stéréotypes dans nos représentations. Qu’on le veuille
ou non, nous sommes appelés à devoir nous ouvrir à un
monde qui est en totale évolution.
En ce qui concerne la question du genre, nous avons
trouvé intéressant de découvrir d’autres pratiques,
des outils tels que le fascicule1 mettant en image et en
scène la famille « ours » et qui nous offre la possibilité
de travailler avec les enfants la question des pratiques
concernant l’égalité homme-femme. En effet, ce jeu
donne un côté plus parlant, il est utile comme clé et outil
car il n’y a pas de distinction de sexe nécessairement
visible ; ainsi diverses questions ressortent comme :
« Qui fait la vaisselle ? Le papa ours, ou la maman ours ?
Qui s’occupe de ces tâches-là ? »
Cette journée nous a interpellés et
nous a fait réagir sur notre futur
métier. Ces interventions nous ont
rappelé le fait que nous accueillons
les enfants et leur famille, et
que cet accueil doit se faire sans
jugement. De plus, cette question
pose le cadre de notre future
profession. En effet, nous sommes
de futurs éducateurs de jeunes
enfants, mais nous sommes avant
tout de futurs travailleurs sociaux.
1. Cf. le livret Filles et garçons : cassons les clichés cité p. 20
LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016
29
VIENT DE
PARAÎTRE
Nicole Mosconi
L’Harmattan, « Sexualité et société », 2016
De la croyance à
la différence des
sexes.
Nous croyons savoir que les sexes sont différents. En réalité nous
ne le savons pas, nous le croyons. La croyance à la Différence des
sexes représente ce « nid de croyances » (Wittgenstein) qui affirme
une différence essentielle entre les sexes et leur complémentarité
sous laquelle se dissimule un ensemble d’inégalités entre les
femmes et les hommes. Dieu, la Nature, la Science ont été
invoqués par les sociétés pour donner un fondement transcendant
et une légitimité absolue à cette croyance. Une pensée critique,
appuyée sur les évolutions scientifiques actuelles, est nécessaire
pour distinguer ce qui dans le sexe relève de déterminismes
biologiques, et qui ne concerne guère que les mécanismes de
la procréation et quelques caractères sexuels secondaires, et ce
qui ressortit au champ du psychisme humain, de la culture et de
l’histoire. La croyance à la Différence et à la dichotomie des sexes
apparaîtra alors comme une « mythologie » qui se transforme
selon les sociétés et les époques. Elle doit être questionnée et
remise en question si l’on veut jeter les bases d’un mouvement
vers l’avènement d’une égalité réelle, et non seulement formelle,
entre tous les êtres humains. (Présentation de l’éditeur)
Nicole Mosconi, professeure émérite en Sciences de l’éducation à Paris
Ouest-Nanterre La Défense, ancienne élève de l’ENS Sèvres, agrégée
de philosophie. A publié : La Mixité dans l’enseignement secondaire :
un faux-semblant ?, PUF, «Le pédagogue», 1989 ; Femmes et savoir : la
société, l’école et la division sexuelle des savoirs, L’Harmattan, 1994 ;
Égalité des sexes en éducation et formation, PUF, 1998.
30
Le moment éducatif
Philippe POIRIER
Chronique sociale, 2016
Le pouvoir d’agir au risque
de la rencontre
Nicolas Murcier,
responsable de projets
et une condition partagées entre l’éducateur et l’usager,
condition de notre humanité commune. Alors que nous
sommes dans une société de la performance et du
rendement, l’auteur nous invite à une réflexion sensible
autour de l’être-ensemble, qui définit les pratiques
quotidiennes tant dans le champ de l’éducation
spécialisée que dans le secteur de la petite enfance.
Cet être-ensemble est exigeant et impose à l’éducateur
de s’y impliquer et de s’y risquer afin que la rencontre
se produise et que chacun puisse développer des
ressources partagées.
Dans ce nouvel ouvrage, l’auteur poursuit sa formalisation
de la notion de relationnalité, entamée dans Don et
bientraitance : mobiliser les ressources fragiles1.
À l’aide de nombreuses vignettes cliniques et de
différents concepts et notions, Philippe Poirier nous
convie à penser avec lui les moments éducatifs comme
autant d’occasions de faire vivre « l’être-ensemble ».
Dans cet ouvrage il est ainsi question de lien, de désir,
de sollicitude, de confiance, de confrontation, d’autorité,
d’engagement, d’éthique, de juste proximité, de clinique
éducative, de projet éducatif, d’acte éducatif, de la mise
en mouvement dans une histoire relationnelle de tous
ces éléments… Cet ensemble a constitué le fil conducteur
de la réflexion de l’auteur et de sa mise en tension
avec son expérience professionnelle. Elle l’a conduit à
utiliser la métaphore d’une toupie pour illustrer l’essai
de modélisation de l’accompagnement socioéducatif
proposé dans cet ouvrage.
L’auteur développe sa pensée relative à la fragilité non
comme un état dans lequel se trouveraient les personnes
en situation de vulnérabilité mais comme une ressource
Cet ouvrage vivant intéressera tant les professionnel.
le.s que les étudiant.e.s ayant choisi de s’engager dans
un métier de la relation. Il interroge la volonté d’agir
pour le bien d’autrui, alibi trop souvent mis en avant, et
convoque l’urgence pour l’éducateur de créer des liens
qui délient, délivrent et autorisent. L’éducateur peut-il
échapper à la question de l’enchevêtrement du donnerrecevoir pour espérer « nouer un lien qui libère », ne plus
« savoir l’autre » mais apprendre avec et l’ouvrir à son
pouvoir d’agir relationnel ?
Cet ouvrage est une invitation à nous laisser toucher
par la fragilité de l’autre et à accepter d’y voir le reflet
de notre propre fragilité, permettant qu’aux détours de
relations qui se tissent
se produise la rencontre ouvrant à l’accompagnement.
1. POIRIER Philippe, Don et bientraitance : mobiliser les
ressources fragiles, Chronique sociale, 2012
LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016
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L’EFPP VOUS INVITE
AGENDA 2016
LES 14 ET 15 AVRIL PRATIQUES ÉDUCATIVES ET ÉVOLUTIONS SOCIÉTALES
Jeudi 9 h 30 – 17 h
Vendredi 9 h 30 – 12 h 30 Troisièmes Jase : journées de l’accompagnement socio-éducatif
Co-organisées par l’EFPP et les éditions Chronique sociale.
Conférences, débats et ateliers avec des auteurs
Inscriptions : [email protected]
SAMEDI 21 MAI LE FAIT RELIGIEUX : QUELLES MODALITÉS
D’ACCOMPAGNEMENT SOCIO-ÉDUCATIF ?
10 h – 11 h 30
LUNDI 6 JUIN Matinale avec Sylvie Beaumont, formatrice, responsable de projets
Inscriptions : [email protected]
DES IDENTITÉS EN MOUVEMENT, LES MOUVEMENTS DU
9 h – 16 b 30
MÉTIER D’EJE
Restitution de travaux de recherche-action par Isabelle Noël et Marie-Christine Talbot
et présentation de l’ouvrage Le Métier d’éducateur de jeunes enfants : un certain regard sur
l’enfant de Daniel Verba, en présence de l’auteur.
Inscriptions : [email protected] – nombre de places limité
PROGRAMMES DÉTAILLÉS DES MATINALES ET DES JOURNÉES SUR EFPP.FR – ENTRÉE LIBRE SUR INSCRIPTION
L’EFPP ET LA FORMATION
Formations initiales d’Éducateur spécialisé et d’Éducateur de jeunes enfants
Prochaine rentrée septembre 2017, inscriptions à partir d’octobre 2016
Formation professionnelle préparatoire au Caferuis
Prochaine session d’octobre 2016 à mars 2017, inscriptions en cours
Prochaines sessions d’accompagnement VAE
Inscriptions ouvertes de janvier à octobre 2016 (EJE) et de mars à novembre 2016 (ES)
Formation continue
Le service étudie toute demande de formation
adaptée aux enjeux spécifiques de vos équipes
éducatives et pluri-professionnelles, et des publics
accueillis :
• Analyse des pratiques professionnelles
• Approfondissement de thématiques au choix
• Accompagnement méthodologique aux écrits
institutionnels
• Autres…
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