cahiers Les Le magazine de l’école de formation psycho pédagogique - Printemps 2016 N ° 23 de l’efpp www.efpp.fr Genre et discrimination Les 1ers licenciés en Sciences de l’éducation La question du « genre » ne mérite ni « l’excès d’honneur » ni « l’indignité » dont elle peut faire l’objet, comme beaucoup d’autres, dans des débats qui en ignorent bien souvent le contenu exact ! Posée par des chercheurs – comme l’ont été la plupart de celles qui constituent à chaque moment de l’histoire l’évolution du regard de l’homme sur lui-même – cette question ne saurait être abandonnée à des « bricoleurs » de la pensée qui ne font que l’instrumentaliser au service de leur idéologie ou, tout simplement, de leur parti pris. Il va de soi que la formation au travail social est concernée par la question du « genre » comme par toutes celles qui, depuis que cette formation existe, ont enrichi la démarche de réflexion qu’il lui revient d’engager auprès d’étudiants qui seront très vite confrontés à la complexité du sujet humain. Il s’agit en effet, là comme ailleurs, de sortir des stéréotypes, voire des modèles les plus conformes et par là même les moins créateurs qui, comme nous l’a montré Gaston Bachelard en son temps, s’en tiennent à des évidences trompeuses. « Et pourtant elle tourne », disait Galilée de la Terre ! Et… qui dirait de l’esclavage humain que sa remise en cause – si tardive ! – ne fut pas davantage un acquis de la pensée critique que d’une charité si longtemps mal comprise ? Aujourd’hui les travailleurs sociaux sont concrètement appelés à aider des personnes dont la vie, qu’on le veuille ou non, est traversée par des problèmes d’identité souvent douloureux. Il leur revient d’abord de les comprendre, au sens propre du mot. C’est-à-dire de les considérer dans un ensemble qui permet d’en saisir la signification. Et faut-il ajouter que ces problèmes s’articulent le plus souvent avec des situations objectives d’injustice qu’il y a lieu aussi de prendre en compte dans leur réalité subjective et sociale ? La disponibilité de l’éducateur passe par cette ouverture de la pensée qui, contre les préjugés, voire les habitudes, associe la finesse d’analyse à l’empathie et même à la sympathie. C’est ainsi qu’à l’EFPP nous voulons que notre diversité nous invite à nous écouter les uns et les autres à la fois dans ce qui nous différencie et dans ce qui constitue aussi notre « bien » commun. Marie-Christine David directrice générale Directeur de la publication : Jean-Pierre HUSSON Rédactrice en chef : Marie-Christine DAVID Secrétaire de rédaction : Catherine NOËL Direction artistique : Agence MERMON Comité de rédaction : Marie-Christine DAVID, Jean-Pierre HUSSON, Patricia MCCALLUM, Mike MARCHAL, Nicolas MURCIER, Catherine NOËL, Philippe POIRIER. Ont collaboré à ce numéro : Alain BONNAMI, Sasha-Alycia BAVOL, Didier FLORY, Jean FONTAYNE, Frédéric GAL, Lucie GUIHARD, Françoise GIL, Alix LARRAT, Promotion EJE 2014, Mikaël QUILLIOU-RIOUAL, Albane TRUCHELUT. Contribution photos et illustrations : Anne CHEBROU, Association LE REFUGE, Fotolia, Sophie LATELLE, Illustration LIRE-ENSEMBLE.COM. Couverture et dossier : SHUTTERSTOCK.COM 2 LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016 SOMMAIRE 28 6 10 Edito ............................................. 2 Actus ............................................ 4 Le coin de la recherche....... 6 Pas dédié, adapté (et donc accessible) Question d’éduc...................... 8 Bonne distance ? Juste Proximité ? Écho des lecteurs .................. 9 Compte-rendu ......................... 10 Dans les coulisses des JPO 2016.. 10 Jeu pédagogique............................ 12 Dossier......................................... 13 Lutte contre les discriminations liées au genre et travail social Genre et stigmatisation : le point de vue interactionniste....................... 14 Se former pour repérer et contrer les discriminations de genre dès la petite enfance ........................................... 16 Une population triplement stigmatisée..................................... 18 Comment aborder l’identité de genre dans les interventions sociales ?. . 20 Un Refuge pour grandir et se protéger de tous les combats ...................... 23 La construction socio-sexuée des jeunes enfants ............................... 25 Échos de la journée ....................... 28 Vient de paraître..................... 30 L’assemblée générale de l’EFPP L’EFPP tiendra son Assemblée générale le mardi 24 mai à 18 heures. Celle-ci sera introduite par la conférence : « De la croyance à la différence des sexes1 », de Nicole Mosconi, membre du Conseil Scientifique d’Orientation de l’EFPP, professeure émérite en sciences de l’éducation à Paris Ouest Nanterre La Défense. 1. Du titre de l’ouvrage récemment paru de Nicole Mosconi, cf. p. 30 Les Jase 2016 Les 14 et 15 avril à l’EFPP aura lieu la troisième édition des Jase : Journées de l’accompagnement socioéducatif, éducateurs spécialisés et éducateurs de jeunes enfants. Pratiques éducatives et évolutions sociétales Conférences et ateliers. La rencontre est au cœur des pratiques éducatives, tant individuelles que groupales, mais comment ces pratiques éducatives intègrent-elles les évolutions sociétales ? Jeudi 14 avril en matinée : Intervention de Frédéric Jésu et Jean Le Gal, auteurs de Démocratiser les relations éducatives : la participation des parents et des enfants aux décisions familiales et collectives, Chronique sociale, 2015. Actus VAE En 2015, l’EFPP a accompagné 16 professionnels vers le diplôme d’État par la voie de la validation des acquis de l’expérience : 10 éducateurs spécialisés et 6 éducatrices de jeunes enfants. 6 se sont présentés aux sessions du dernier trimestre 2015 : 2 ont obtenu le titre d’ES, 2 celui d’EJE. 2 candidats ont validé 3 des 4 domaines de compétence. Sur un an, les demandes d’accompagnement à la VAE confirment la tendance à la baisse observée sur l’Île-deFrance, mais les réussites sont proportionnellement plus nombreuses. L’EFPP maintient un dispositif d’accompagnement à la fois individualisé et collectif, qui favorise les échanges d’expériences et la réflexion des candidats. Magali Le Joncour succède, depuis septembre 2015, à Cécile Lefilleul en tant qu’assistante administrative. 4 • Jeudi 14 avril après-midi : Des auteurs viennent rencontrer les participants et échanger autour de leurs ouvrages dans des ateliers en petits groupes. • Vendredi 15 avril en matinée : Intervention de Charles Rojzman, inventeur de la Thérapie Sociale. Plus d’informations et inscription sur www.efpp.fr Cet événement, réalisé en collaboration avec les éditions Chronique sociale, fera l’objet d’un article dans les prochains Cahiers. La première promotion de diplômés en « licence en Sciences de l’éducation » Le 3 décembre 2015 s’est déroulée la première remise officielle des diplômes à l’ICP pour les licences d’État en Sciences de l’éducation, formation conduite en partenariat entre l’EFPP et l’Institut Supérieur de Pédagogie/Faculté d’éducation de l’ICP. 66 étudiants de 3e année ont validé en juillet 2015 cette licence d’État en Sciences de l’éducation : 30 sur le parcours « éducation du jeune enfant », 36 sur le parcours « éducation spécialisée ». En octobre 2012, ils étaient 91 inscrits en 1ère année (sur 96 entrants en formation professionnelle initiale). Pour 63 d’entre eux, ce diplôme s’ajoute à l’obtention du diplôme d’État d’Éducateur spécialisé ou d’Éducateur de jeunes enfants. M. François Moog, Doyen de l’ISP/Faculté d’éducation, présidait à cette remise, en présence des responsables, pédagogique et administrative, acteurs de ce projet, et de Marie-Christine David, directrice générale de l’EFPP. À VOS PLUMES ! Chers lecteurs, n’oubliez pas que ce magazine est aussi le vôtre. N’hésitez pas à envoyer vos contributions, réactions, etc. à [email protected] LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016 5 Pas dédié, adapté (et donc accessible) Didier Flory, interprète en langue de signes, linguiste Le projet Lire-ensemble.com, volet 3 de la recherche sur « l’entrée précoce dans la langue des signes », se poursuit avec plusieurs nouveautés déjà en ligne et de nouvelles ambitions. Tout d’abord, c’est un total de huit histoires, pour tous les âges, que l’on peut trouver sur le site. À noter que nous avons eu le plaisir d’associer à ce projet une étudiante sourde de l’EFPP, Soraya Touat (ES13), qui a traduit en LSF l’histoire d’Amélie, la fourmi paresseuse. Le comité de pilotage du projet nous a demandé de rendre le site le plus accessible possible, ce qui explique le titre de cet article. En effet, la loi du 11 février 2005 n’a pas seulement changé le concept de « personne handicapée » en « personne en situation de handicap », c’est la manière d’aborder la question qui est revue. Le site n’est donc pas dédié à telle ou telle situation de handicap, les Sourds par exemple, et inaccessible au reste des enfants – à commencer par les élèves ordinaires de la classe – mais est bien « tout public », c’est-à-dire accessible. 6 LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016 Une accessibilité qui peut se traduire par : • l’adaptation en langue des signes • l’audiodescription • le français facile à lire et à comprendre • une reprise des illustrations et des textes pour être accessibles aux malvoyants ou aux daltoniens • etc. Ainsi, le lecteur peut obtenir un commentaire (description de l’illustration, lecture du texte) grâce à un fichier son associé, et une adaptation en langue des signes ou encore le recours à d’autres codes visuels, grâce à une vidéo associée. Par ailleurs deux des livres, Lucien et Pouce, sont en cours de traduction dans d’autres langues ; pour le moment les versions allemande, anglaise, espagnole, italienne et russe sont en ligne. Et ce projet a permis de constater la solidarité qui peut s’exprimer, car de nombreuses personnes ont proposé de contribuer à ces traductions qui ne sont réalisées que par des locuteurs natifs. Ici Pouce traduit en russe par Anastasiya Bystrova. Et aussi un grand merci à Melania Croce, bibliothécaire à l’EFPP, qui nous a offert la traduction en italien. Ces versions sont accompagnées d’une adaptation en International Sign par le linguiste sourd, Alexandre Daniel. La langue des signes n’est pas universelle, les langues des signes sont même très régionales, mais elles obéissent toutes probablement aux mêmes règles syntaxiques. Ainsi, le locuteur en International Sign va utiliser un registre très iconique plutôt que les signes standards de telle ou telle langue nationale pour le lexique. La toile permettant une diffusion illimitée des sites, nous avons pu contacter quelques associations de Sourds des États-Unis, d’Espagne et d’Argentine1 qui proposent aussi des histoires en langue des signes. Il s’agit jusqu’à présent de vidéos avec l’adaptation en langue des signes incrustée sur les pages du livre en fond. Ces projets de grande qualité sont exclusivement dédiés à la communauté sourde, ce qui n’est pas notre option. Vous pouvez visionner ces livres à l’adresse : www.lire-ensemble.com 1. Voir le site argentin : http://videolibroslsa.org.ar. 7 Vous trouverez ci-dessous, à titre d’illustration, un poster présentant une démarche d’action-recherche formation (ARF) réalisé par un groupe d’étudiants de première année. Cet exercice de communication vise à les entraîner à présenter une réflexion à une équipe, à un décideur en posant les enjeux, les objectifs, une synthèse des différents aspects du problème, le résultat de leur réflexion, leurs propositions. Ils avaient dix minutes pour défendre leurs arguments, convaincre, susciter le débat avec les autres étudiants. 8 Chers lecteurs, si vous souhaitez réagir à un sujet traité dans les Cahiers de l’EFPP, adressez votre courrier à [email protected] 13 novembre 2015 Il y a eu la sidération, l’indicible, le souvenir du 7 janvier… Il y a eu les mots des enfants. Nous avons relu Le Petit Quotidien du 14 janvier 2015 qui titrait : « Ce que tu dois savoir des religions dans notre pays ». Nous avons parlé des terroristes, de folie, de croyances, d’ouverture. Nous avons parlé de Solange qui va à l’église avec sa famille, des copains qui ne mangent pas de porc à la cantine, de nous qui ne faisons rien de tout cela… Puis un mot est apparu, le Chrisjulis* ; voilà à 7 ans ce qui semble important à notre fils. J’ai aimé cette idée, le rassemblement indispensable pour sortir de cette absurdité. Ce mot regroupe des valeurs que je souhaite porter au quotidien… Respect, solidarité, tolérance. Laetitia Besnard adhérente de l’EFPP *ChrisJulis CHRIStianisme, JUdaïsme, ISlam LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016 9 COMPTERENDU Dans les coulisses de la JPO 2016 Témoignages Alix Larrat EJE 15 La Journée « Portes Ouvertes » à l’EFPP, c’est tout d’abord une journée ouverte à tous les étudiants, à tous les formateurs, avant d’être ouverte aux potentiels futurs étudiants – et parfois leurs parents. C’est l’occasion pour nous de parler de notre parcours personnel, de mettre en avant, parfois pour la première fois, nos qualités de promotion d’un établissement. Nous avons également la possibilité d’échanger d’une manière différente avec nos formateurs dans le cadre de ce projet de JPO que nous avons mené main dans la main. J’ai eu la chance d’être sur un stand avec une personne qui avait l’habitude d’intervenir dans des salons étudiants. J’ai pu prendre exemple sur elle, et je m’en suis finalement très bien sortie pour répondre aux questions des futurs étudiants et leurs parents dans le pôle « Quotidien des étudiants ». Lorsque je suis arrivée j’étais pourtant inquiète à l’idée du nombre de visiteurs que je devrais renseigner, du type de questions qu’ils poseraient, etc. Finalement nous avons été suffisamment nombreux pour représenter tous les sujets qui pouvaient être évoqués par les visiteurs. Nous avions chacun des éléments de réponse à apporter et nous avons réussi à véhiculer un sentiment d’accueil chaleureux et d’entraide dans notre établissement, selon les retours qui nous ont été faits. J’ai eu l’impression que la plupart des visiteurs que j’ai croisés et avec lesquels j’ai discuté étaient satisfaits de leurs échanges et repartaient avec un bon a priori sur notre école. J’en ai été ravie et soulagée, puisque c’était bien là l’objectif que je m’étais fixé pour cette journée : faire passer à ces personnes mon plaisir d’être dans cette école et partager avec elles les meilleurs moments entre les médiations et les temps de formation plus formels après le stress des concours d’admission. Un autre élément m’a paru très bien abordé dans sa présentation, je veux parler des médiations éducatives. J’ai trouvé la salle d’arts plastiques particulièrement bien agencée, même si certains étudiants de l’EFPP m’ont fait remarquer que le choix se portait davantage sur les travaux réalisés par certaines promotions plutôt que d’autres. Ne faisant pas partie de ce pôle d’organisation, j’ai personnellement apprécié la présentation de cette salle qui mettait tout à fait en valeur les travaux faits dans le cadre de nos médiations. Certains visiteurs m’en ont d’ailleurs parlé et se sont servi de ce qu’ils avaient vu pour me poser des questions à ce sujet. Pour finir, participer à ce genre de projets a été enrichissant pour nous, organisateurs. On en apprend énormément sur notre formation et notre futur métier en nous entraînant à en parler. On se familiarise également avec les autres formations proposées par l’EFPP, en rencontrant de nouveaux étudiants pendant les temps de réunion, par exemple. Bref, une très belle expérience que je renouvellerai sans doute l’an prochain ! 10 LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016 « Quand tout peut partir d’une journée Portes ouvertes un samedi après-midi… » Jean Fontayne ES 2013 Quand tout peut partir d’une journée « Portes ouvertes » un samedi après-midi… Ce jour-là, le mot d’ordre fut la passation de relais pour les promotions à venir. En effet, les personnes que nous allions accueillir n’étaient pas seulement des « visiteurs », mais bien de possibles futurs éducateurs de jeunes enfants ou éducateurs spécialisés. L’objectif était de leur donner envie de choisir une école qui serait adaptée à leurs critères de recherche. Là où ils se sentiraient le plus à même de s’exprimer durant ces trois années de formation. Une autre passation se faisait en interne, dans l’équipe, avec les trois années de promotions qui étaient représentées lors de cette journée. L’envie de faire quelque chose de bien, pour nos futurs collègues mais aussi pour nous, dans le travail de coordination de nos actions. C’est-à-dire répondre aux questions que peut se poser toute personne désireuse d’entrer en formation, et ayant ou non un vécu dans le social. Mais, avant d’être prêt à accueillir l’ensemble des visiteurs, le travail de préparation a été conséquent… Il a demandé à chacun un investissement personnel de qualité, et rigoureux. Comme dans le travail en équipe où nous sommes amenés à coordonner nos actions et donner du sens à celles-ci afin d’être cohérents face aux personnes que l’on accompagne. Cependant, quand bien même nous tenons le même discours et présentons les mêmes explications concernant le cadre institutionnel ou le déroulement de la formation, ce discours est forcément impacté par le ressenti de chacun vis-à-vis de son propre parcours dans cette école, propre à chacun. On fait appel, ici, à notre vécu, à nos expériences personnelles qui nous ont conduits un jour à aller « visiter » ces portes ouvertes efppiennes. C’est un élément décisif dans le choix des écoles. Comment notre vécu va pouvoir être en accord avec des locaux, une atmosphère, une ambiance, l’apprentissage proposé ici. C’est la raison pour laquelle nous avons insisté sur l’accueil, l’accompagnement et la prise en compte du ressenti des visiteurs, à l’issue de la rencontre effectuée avec les acteurs de notre équipe du jour. Pour résumer, une équipe bienveillante, à l’affût de tout questionnement, et sachant mettre les visiteurs dans de bonnes conditions (film projeté, buffet, musique). La rencontre est faite de « petits riens », oser la rencontrer c’est provoquer le destin qui nous mènera vers de nouvelles aventures… 11 Un jeu pour découvrir les grands pédagogues… et l’art de la pédagogie ! Un groupe d’étudiantes EJE 2014 Bernadette Moussy est éducatrice de jeunes enfants et historienne de l’éducation, créatrice du site « Si la pédagogie m’était contée »1. En octobre dernier, elle nous a proposé de tester un jeu pédagogique qu’elle venait de créer. Celui-ci s’apparente à un jeu de cartes portant sur divers pédagogues, un peu comme un jeu d’association avec des thématiques et les idées essentielles de chaque pédagogue (citation, posture de l’adulte, etc.) La liberté qui nous a été laissée quant à la création de nos propres règles nous a permis d’échanger au sein des deux groupes de participantes. Lors de cet échange autour du jeu, la présence de Bernadette Moussy et de plusieurs formatrices a nourri notre questionnement et nous a donné l’opportunité d’obtenir des éléments de compréhension complémentaires. Nous avons également pu donner notre avis sur l’élaboration du jeu, ce qui a offert la possibilité à la créatrice de procéder à des ajustements et d’enrichir sa proposition. Nous nous sommes demandé d’une part quels pouvaient être les destinataires de ce jeu, professionnels de la petite enfance, enseignants etc. et d’autre part quelles adaptations seraient nécessaires pour l’utiliser avec un public diversifié. Ce support pédagogique et ludique a été l’occasion d’approfondir nos connaissances relatives aux différents pédagogues et pédagogies. Nous remercions Bernadette Moussy pour son implication et l’expérience de formation qu’elle nous a permis de vivre. 1. http://silapedagogie.weebly.com/. 12 LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016 Marie-Christine David, directrice générale DOSSIER Lutte contre les discriminations liées au genre et travail social La lutte contre les discriminations est aujourd’hui centrale. Cette lutte prend une résonance particulière dès lors qu’il s’agit de considérer le sexisme et l’homophobie et, dans la continuité, la question même du Genre. C’est ainsi que l’EFPP a souhaité – à travers l’organisation, en décembre dernier, d’une journée1 qui s’est voulue plurielle et ouverte – ouvrir un champ de réflexion permettant de croiser les regards pour mieux comprendre les enjeux actuels d’un sujet qui nous questionne dans la forme même de notre être féminin ou masculin. Loin d’être exhaustives et d’épuiser un tel champ de questionnement, les quelques pages qui suivent permettront au lecteur de saisir à la fois ce qu’il en est de l’évolution sociétale et juridique, de certaines réalités et de nos représentations, mais aussi de considérer l’impact de cellesci sur les sphères du travail social en particulier. Ne manquez pas vous-même de réagir à ces textes en vous adressant à notre courrier des lecteurs ! 1. Lutte contre les stéréotypes et les discriminations liés au genre – sexisme, homophobie, lesbophobie et transphobie : quel travail socio-éducatif ? » Journée d’étude organisée par l’EFPP au Palais de la Femme le 8 décembre 2015. 13 Genre et stigmatisation : le point de vue interactionniste Alain Bonnami formateur - chargé de projet - Formations supérieures, études & recherches IRTS Ile-de-France Montrouge Neuilly-sur-Marne Un tel sujet nous oblige à resituer le contexte culturel et social dans lequel cette question prend sens et interpelle nos propres cadres de références : l’hétéro-sexualisation comme fabrique dominante et incorporée des sexes et de leurs usages. En quoi en effet ce sujet vient-il interpeller nos cadres de référence ? Parce qu’il questionne et confronte précisément nos propres modèles culturels et identitaires. Et donc nos propres normes relatives aux notions de genre, féminin, masculin, indéterminé ou intersexe. Il est frappant en effet de voir comment la législation se positionne dans certains pays, reconnaît et adopte la catégorie administrative de sexe indéterminé1. C’est le cas par exemple de l’Australie, de l’Allemagne, du Népal, de l’Argentine… C’est parce que nous sommes pétris et construits de et avec des modèles sociaux genrés, masculin/ féminin puisant dans nos subjectivités mais aussi dans nos expériences et nos normes, qu’il nous est difficile d’accéder à d’autres identités. Notre réflexion doit nous amener à dépasser l’approche essentialiste et naturaliste de la question du genre pour adopter un point de vue constructiviste. La représentation collective de l’homophobie, la lesbophobie et la transphobie serait-elle un mal (mâle) nécessaire ? Ce sont en effet des modèles qui accompliraient une fonction importante : celle de rassurer, de protéger les groupes dominants, de perpétuer les rites de passage, les rituels et les coutumes associés à l’assignation des sexes. N’y aurait-il pas nécessité pour la norme « hétéro » de se représenter l’homophobie, la lesbophobie ou encore de façon plus radicale la transphobie comme une atteinte intolérable à l’identité masculine ou féminine ? La sociologie de la déviance et la perspective interactionniste issues de l’école de Chicago – et j’invite le lecteur à se reporter là aux travaux bien connus de Goffman (Stigmate) et Becker (Outsiders)2 – retiennent à partir d’enquêtes et d’analyses minutieuses les processus sociaux, identitaires et psychiques de stigmatisation et d’étiquetage à l’œuvre dans les interactions que les individus sont amenés à construire dans des situations et des contextes singuliers. Parler d’interaction, c’est alors tenter de découvrir et de comprendre ce qui est en jeu dans les échanges, les relations, les liens sociaux entre les individus. 14 Pour l’école de Chicago, l’interaction suppose l’échange, mais un échange construit socialement, c’est-à-dire qui n’est pas donné en soi, mais qui s’appuie sur des codes sociaux, des rites, des pratiques, des usages, des perceptions des uns vis-à-vis des autres. « L’interaction ne s’établit pas dans les limbes, elle implique des acteurs socialement situés et elle se déroule à l’intérieur de circonstances réelles : une rue, la salle d’un café, une boutique, un compartiment de train ou une organisation, la cafétéria d’une entreprise ou le bureau d’un cadre, etc. Toute interaction est un processus d’interprétation et d’ajustement et non l’actualisation mécanique d’une conformité » nous dit David Le Breton3. Désigner l’Autre, c’est le percevoir d’abord à partir d’un jugement de valeur. C’est aussi lui apposer et imposer une étiquette. C’est en quelque sorte lui imposer un statut et lui faire jouer un rôle qu’il n’est pas toujours en mesure de contrôler, un rôle qui lui échappe. Qu’en est-il alors des stéréotypes et des discriminations liés au genre ? Pour paraphraser Goffman4, nous proposons de retenir : « Un stigmate représente donc en fait un certain type de relation entre l’attribut et le stéréotype, et cela même si je n’entends pas continuer à le dire ainsi, ne serait-ce que parce qu’il existe des attributs importants qui, presque partout dans notre société, portent le discrédit. » 1. Gabrielle HOUBRE, Revue d’histoire du XXe siècle, n° 48, 2014. 2.Erving GOFFMAN, Stigmate : les usages sociaux des handicaps, Paris, Editions de minuit, 1975 ; et Howard BECKER, Outsiders : sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985. 3.David LE BRETON, L’Interactionnisme symbolique, Paris, PUF, 2004. 4.Erving GOFFMAN, Op. cit. LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016 15 Se former pour repérer et contrer les discriminations de genre dès la petite enfance Mike Marchal responsable de projets à l’EFPP Homme, femme, fille, garçon, hétérosexuel, homosexuel, bisexuel, chacun.e fait comme il-elle peut pour se frayer un chemin avec les normes de genre et leurs cortèges de stigmatisations, de discriminations et d’inégalités : sexisme, homophobie, transphobie qui peuvent déboucher sur des mises à l’écart, des agressions physiques ou verbales, causant de nombreuses souffrances qui fragilisent les individus et peuvent mener à des impasses ou la mort : dépression, suicide, homicide. Comprendre les processus des stéréotypes de sexe et les discriminations nécessite de se former à une approche « par » le genre. Les études de genre constituent un champ de recherche qui existe depuis 40 ans et a émergé dans les années 1970 sous l’impulsion du mouvement féministe. Des lois récentes nous ont rappelé la dimension politique de ces questions comme : la loi de mai 2013 « sur le mariage et l’adoption pour les couples de même sexe » et la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, cette dernière s’articulant autour de cinq priorités : • de nouveaux moyens pour l’égalité professionnelle • une garantie publique contre les impayés de pension alimentaire • la lutte contre les violences faites aux femmes • le recul des stéréotypes sexistes • la généralisation de la parité. Étudier le genre, c’est aussi comprendre qu’il existe un « ordre normatif ». Cet « ordre normatif » est un système qui produit et vise au maintien d’une frontière entre le masculin et féminin. Ce système normatif est oppressif car il assigne chacun à adopter des manières d’être conformes à la définition sociale de son sexe. On parle aussi « d’ordre du genre ». Les individus qui dévient de ces normes de genre sont sanctionnés. Stigmatisation, discrimination sont malheureusement courantes, et il existe une répression 16 officielle dans un certain nombre de pays à l’égard des minorités sexuelles LGBT (Lesbiennes, gays, bi et trans) mais aussi, quelle que soit la sexualité, à l’égard des personnes hétérosexuelles qui ont des manières d’être qui n’apparaissent pas conformes à leur sexe (hommes efféminés, pas assez virils, femmes à l’allure masculine, etc.) On parle alors de « police du genre ». Pourtant, ces questions sont peu étudiées dans le champ du travail social, dans le cadre de la formation comme sur les terrains professionnels. Il en est de même dans le domaine éducatif comme dans celui de l’accueil de la petite enfance. Marc Bessin, sociologue, parle du « déni du genre dans le travail social ». Il explique ce déni notamment par l’histoire de ce secteur d’activité. Le travail social s’est construit par la professionnalisation d’œuvres de charité et la mise à contribution massive des femmes. Ces professions s’apparentent à une « socialisation de l’amour maternel » et un véritable prolongement de la maternité dans l’espace public. Suzon Bosse Platière parle des « maternités professionnelles »1. On observe cette persistance d’une très forte féminisation des métiers, notamment ceux touchant à la prise en charge des enfants et des personnes âgées. Tous les métiers sont concernés avec des variations assez importantes néanmoins. « Les femmes représentent 90 % des travailleurs sociaux de façon globale. 99 % des assistantes maternelles, 97 % des EJE, 80 % des ES, 95 % des AS. » Ces quelques chiffres concernant les métiers montrent à quel point le genre et la division sexuelle du travail sont agissants/structurants dans notre champ professionnel. Paradoxalement, les travailleurs sociaux, les éducateurs, les éducatrices ont un rôle important à jouer dans la construction d’une société plus juste, plus égalitaire et respectueuse de chaque individu, quels que soient leur sexe, leur identité de genre et leur orientation sexuelle. Focus sur l’accueil de la petite enfance L’importance des normes de genre dans les professions : l’exemple des hommes dans la petite enfance. L’homophobie comme processus de régulation du genre La persistance de la répartition sexuée des métiers du travail social pose de plus en plus question au regard des objectifs d’égalité entre les sexes et des transformations des publics. Dans la petite enfance, les mères et leurs jeunes enfants constituaient le public quasi exclusif des professionnelles. Depuis que les pères sont beaucoup plus proches et présents dans les soins auprès de leurs jeunes enfants, ils sont aussi de plus en plus visibles dans les institutions de la petite enfance. Ce qui contribue d’autant à mettre en exergue l’absence de mixité professionnelle dans ce secteur. Cette situation est encore largement naturalisée et reste un impensé dans ce secteur. C’est la réalité qui fait preuve d’évidence, d’aucuns le considèrent comme un « métier de femmes » puisqu’essentiellement exercé par elles. Pour les hommes, travailler auprès des jeunes enfants reste suspect, il existe une grande méfiance avec la question de la pédophilie. Mais il s’exerce aussi un doute quant à leur identité sexuée (sont-ils vraiment des hommes ?) et leur orientation sexuelle (ne sont-ils pas homosexuels ?) Auprès des garçons, ce mécanisme homophobe consiste à tenir à distance les tout-petits de ce qui est associé au féminin, aux filles. La conformité de genre s’exerce de manière plus forte en direction des garçons par exemple dans le choix des jouets, des activités, des vêtements (couleurs…). L’inquiétude réelle de certains parents, voire de professionnels, face aux petits garçons qui « jouent à des jeux de filles », repose sur un préjugé homophobe. Daniel Welzer-Lang3 parle, quant à lui, de l’homophobie comme de la face cachée du masculin : « L’homophobie est une réaction provoquée par la peur de l’autre en soi. L’homophobie au masculin est une attitude suscitée par la peur (hantise) qu’ont les hommes de retrouver en eux tout ce qui peut ressembler à l’autre, c’est-à-dire les femmes… L’homophobie dans un sens très élargi peut être entendue comme le spectre du féminin dans l’univers masculin et non comme interdit de contacts sexuels entre hommes. » Il me semble que nombreux sont ceux qui ont en tête cette question du « risque homosexuel » pour les garçons et ne s’inquiètent pas de cette question pour les filles. Dès la plus tendre enfance, ce tabou contribue à diviser les sexes et à créer LE genre, une masculinité hétérosexuelle dominante qui serait « à l’abri » de la féminité et de tous ses symboles. Ce sont des points que nous avons pu aborder lors de la journée d’étude que nous avons organisée le 8 décembre 2015. Se former à ces questions apparaît de plus en plus nécessaire pour assumer pleinement ses responsabilités d’éducateur, d’éducatrice, dès le berceau. Dans l’univers professionnel des crèches, ce mécanisme d’homophobie est très agissant aussi bien en ce qui concerne les hommes professionnels que les garçons (enfants). Laurence Moliner évoque « une place paradoxale pour les hommes quasi intenable entre soupçon de pédophilie et soupçon d’homosexualité puisqu’ils se tiennent à la place des femmes. Ces “professions de femmes” porteraient atteinte à la virilité dans une dimension imaginaire où les hommes exerçant une activité de femmes deviendraient des femmes, en conformité avec le stéréotype lié à l’homosexualité soutenu par l’homophobie, élément de régulation du genre, et qui assimile les homosexuels à des individus efféminés »2. 1. Suzon BOSSE-PLATIERE, Les Maternités professionnelles, l’accompagnement éducatif des jeunes enfants, motivations, soucis d’identité, modalités de formation, Erès, Toulouse, 1989 2.Laurence MOLINER, « La Mise au travail du genre », Le Sociographe, n° 49, pp. 39-49 3.Daniel WELZER-LANG, Pierre DUTEY et Michel DORAIS, La Peur de l’autre en soi, du sexisme à l’homophobie, Quebec, Vlb éditeur, 1994 LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016 17 Une population triplement stigmatisée Françoise Gil, sociologue, et Sasha-Alycia Bavol, assistante sociale à Acceptess-T © Sophie Latelle La population transgenre est frappée d’un paradoxe singulier : elle est à la fois invisible et survisibilisée. Invisible dans ses réalités, ses spécificités, ses besoins ; survisibilisée dans les représentations qu’on fabrique à son sujet. De fait, les réalités que vivent les personnes « transgenres » sont totalement inconnues du grand public qui ne voit que ce qu’en disent les médias : cabarets, paillettes, prostitution… Ces réalités, dont personne ne parle, seraient négligeables tant le soupçon de trouble psychique et l’idée d’« a-normalité », largement répandus dans la population cisgenre1, fait office d’épouvantail et dispense de tout intérêt à l’égard de cette population. Et c’est ce prisme réducteur qui va faire office de connaissance. Comme dans n’importe quel groupe social, l’homogénéité parmi ses membres n’existe pas. On peut, au contraire, observer une large palette de profils : des hommes trans’, des femmes trans’, des personnes opérées, d’autres non, des styles divers et variés dans la présentation de soi, certain.e.s en début de transition, d’autres aux prises avec le vieillissement, des Français.es, des migrant.e.s, etc. C’est d’ailleurs pour ces raisons qu’on parle plus volontiers de transidentité dans la communauté, pour exprimer ce sentiment profond et durable commun à tous et toutes. 18 LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016 La recherche2 présentée lors de la journée sur la lutte contre les stéréotypes et les discriminations liés au genre organisée par l’EFPP concerne des personnes trans’, MtF3, migrantes, pour la plupart originaires d’Amérique latine. Le choix de cette catégorie de personnes s’est fait à partir d’observations menées au sein de l’association Acceptess-T4. Si tous ceux et celles qui transgressent les frontières de genre font l’expérience de discriminations dans l’espace public mais aussi au sein même de la famille, les personnes migrantes sont de loin les plus vulnérables. Elles sont triplement stigmatisées : du fait de leur transidentité, de leur situation migratoire, et en raison du travail du sexe qu’elles exercent. Ces personnes sont majoritairement issues de familles très modestes, dans lesquelles l’enfant est appelé à participer à l’économie familiale dès que son âge le permet. L’absence de diplômes est récurrente, ainsi qu’un niveau scolaire insuffisant, le passage à l’école ayant été traumatisant au point de la quitter très jeune. Dès les premiers signes visibles de féminisation, le rejet se manifeste au sein même de la famille et dans l’espace social environnant. Ces éléments laissent déjà deviner à eux seuls l’ampleur des difficultés qui se dressent sur leurs chemins, le doute et l’incertitude qui accompagnent la construction identitaire étant alimentés et exacerbés par les blessures affectives et narcissiques vécues depuis l’enfance. C’est alors que, pour reconstruire des liens de proximité, force est de s’éloigner du milieu familial pour nouer des relations avec des pair.e.s dans tous les sens du mot. Le parcours migratoire est presque toujours une étape semée d’embûches. Démêlés avec les douanes et la police, incarcérations, reconduites répétées à la frontière, viols, agressions, violences, voire meurtres5. Clandestines, munies de maigres économies pour traverser les pays jusqu’à l’arrivée en Europe, ces personnes se retrouvent vite dans une précarité tant économique que sociale et sont contraintes à se prostituer pour pouvoir poursuivre leur périple – avec tout ce qu’une inconnue sur un lieu de prostitution peut subir en matière de violence… Le travail du sexe est ainsi le moyen de survie le plus fréquemment élu, il tient une place fortement investie par les 76 % de personnes ayant déclaré se prostituer – régulièrement ou occasionnellement – au cours de la recherche. L’intériorisation du stigmate, le sentiment d’inutilité sociale, la discrimination et l’exclusion engendrent chez beaucoup d’entre elles l’idée qu’elles ne sauraient faire autre chose. Autant d’éléments qui les maintiennent dans une marginalisation qui finit par devenir la norme. Que les personnes soient dans un parcours migratoire ou résidentes dans un pays européen, l’inscription dans le monde du travail est l’un des problèmes les plus sensibles. Sur l’ensemble de la population étudiée, 86 % font état de difficultés pour trouver un travail ; les entretiens ont permis de mettre en évidence non seulement les tentatives infructueuses de la plupart, mais aussi l’humiliation ressentie face aux refus répétés. Ce difficile – voire, pour certaines, inaccessible – accès au monde du travail conforte le sentiment de marginalisation que toutes expriment – directement ou indirectement – et qui se traduit dans une inscription dans la sphère des outsiders décrits par Howard Becker6. Si le travail est, dans nos sociétés, la valeur par excellence d’insertion sociale, son corollaire ne saurait être exempt de marques signifiant l’exclusion et la discrimination lorsqu’on en est écarté. L’espace symbolique dans lequel s’inscrit cette population, à la fois contestataire7 et marquée par un sentiment de fatalité face à un ordre dominant, est encore non identifié et non reconnu par trop d’acteurs de la sphère des professionnels de la santé et du travail social. Les divers problèmes sociaux rencontrés sont à la fois semblables à ceux que connaissent les exclus en général, et différents de par leurs origines particulières. La mauvaise image de soi, voire la mésestime de sa propre personne, peut engendrer des comportements et attitudes mettant la vie même en péril. Le taux très élevé (76 %) de maladies chroniques – pour l’essentiel liées au VIH ou/et au VHC – relevé dans l’étude est révélateur de carences graves au niveau du « souci de soi ». D’autres problèmes de santé, dus aux possibles conséquences de la transition (MtF), nécessitent la mise en réseau de différents professionnels de santé et un suivi coordonné par les travailleurs sociaux. Bien que la communauté ne soit pas formellement organisée, les informations y circulent néanmoins et les lieux d’aide et d’entraide sont rapidement identifiés par les intéressées. Acceptess-T est l’une des associations de personnes transgenres pour les personnes transgenres. Elle reçoit, informe, soutient et accompagne les personnes en demande de résolution de leurs problèmes, qu’ils soient d’ordre administratif, social ou médical, mais aussi milite activement pour la visibilité, les droits et le respect des personnes. Mais si la question trans’ est aujourd’hui présente dans les médias ou au cinéma elle est, hélas, encore loin de constituer un sujet digne d’intérêt pour le grand public. Même si le stigmate est intériorisé – « incorporé », pour reprendre à bon escient le vocabulaire bourdieusien – sa remise en cause et sa critique sont largement partagées par l’ensemble des personnes concernées, la transidentité unanimement proclamée comme une des innombrables spécificités existant dans le genre humain. 1. Terme désignant les personnes dont la perception du genre par elles-mêmes correspond au sexe qui leur a été attribué à la naissance. 2.Françoise GIL, Nassira HEDJERASSI, Stéphane RULLAC, Giovanna RINCON, Claudia ANJOS-CRUZ, Discrimination et stigmatisation d’une population, le cas des femmes transémigrantes, rapport pour le Programme de soutien en faveur de la lutte contre les discriminations en Île-de-France, février 2014. 3.MtF pour désigner « Mâle to Female », ou FtM pour désigner « Female to Mâle ». 4.Actions concrètes conciliant éducation prévention travail équité santé sport pour les Transgenres. 5. Le CIDH (Commission interaméricaine des droits de l’Homme) enjoint les États à renforcer la protection des transsexuels d’Amérique latine et relève que, selon les organisations latino-américaines, l’espérance de vie de plus de 80 % des femmes trans’ dans la région est de 30 à 35 ans. Violencia contra Personas Lesbianas, Gays, Bisexuales, Trans e Intersex en America, 12 novembre 2015. 6.Howard BECKER, Outsiders, Métailié, 1985. 7.Bien que contestataire et critique, la voix des dominés ne parvient que rarement à constituer une alternative reconnue. 19 Comment aborder l’identité de genre dans les interventions sociales ? Mikaël Quilliou-Rioual, formateur à Buc-Ressources, sociologue et doctorant au Lise (Cnam-CNRS) L’objet de ma contribution est de tenter de montrer comment, selon les âges, il est possible d’aborder des questions liées aux genres dans un but éducatif. On n’aborde pas un enfant, un adolescent et une personne adulte de la même manière si l’on souhaite interpeller et faire évoluer la mentalité des personnes concernées. Les études sur le genre s’inscrivent aujourd’hui dans une dimension qui interpelle la construction sociale des sujets et viennent en écho à la vision d’une société plus égalitaire. Le genre est un concept qui vise à objectiver une réalité sociale. Il s’agit d’un prisme comme le racisme, pour étudier, identifier et penser les rapports sociaux entre les personnes. Pour ce faire, les études sur le genre proposent de décloisonner les rapports sociaux de sexe biologique pour intégrer la dimension culturelle incluse dans les constructions identitaires d’une personne. En plus d’être une femme ou un homme, les études de genre s’attachent à étudier la construction des identités sociales des personnes, le féminin et le masculin. Ainsi le genre peut-il se définir comme : « Un système de bicatégorisation hiérarchisée entre les sexes (hommes/ femmes) et entre les valeurs et représentations qui leur sont associées. »1 L’identité de genre s’appréhende selon trois niveaux en interaction : une dimension biologique – excepté pour les personnes intersexes, on naît homme ou femme – sur laquelle va se poser une construction culturelle, tenant compte des normes et des valeurs d’un environnement social ; et enfin chacun et chacune a une orientation sexuelle qui se caractérise par une attirance pour les personnes de son sexe biologique ou pour celui du sexe opposé, voire des deux sexes sans priorité. 20 Au-delà de l’identité singulière d’une personne, l’aspect contemporain des rapports entre les femmes et les hommes est interpellé notamment par la question de la place des femmes et des hommes dans l’espace public, celle de la représentativité citoyenne ou de l’égalité des salaires ou encore par la question des évolutions de carrière entre les sexes. Les études sur le genre vont au-delà de cette simple question d’égalité sexuée contemporaine. Elles cherchent à comprendre quels sont les éléments des constructions normatives des sujets qui conduisent à ce résultat dans l’élaboration des liens sociaux. Pour ce faire elles interrogent les rapports sociaux des deux sexes. Il s’agit bien en effet de contribuer à définir l’identité d’un sujet. Il est sans doute utile de rappeler que l’identité vient du latin idem (le même), cette notion indiquant les valeurs et les normes dans lesquelles chaque personne se reconnaît en tant que sujet. Elle désigne également ce qui permet aux autres de le reconnaître. L’identité s’affirme toujours par des signes extérieurs, en cela elle permet une prise de position singulière et une ressemblance avec les membres du groupe identitaire. La personne est à la fois identique, c’est-à-dire appartenant au genre humain, et singulière car chaque être humain est différent de son semblable. Cette double dynamique permet à une personne de se définir socialement et aussi de s’insérer dans un tissu relationnel. Il est possible, et certainement souhaitable si l’on veut faire réfléchir et éventuellement contribuer à faire évoluer le positionnement intellectuel d’un sujet, d’aborder la dimension du genre de façon différente selon les âges. Et je soumets ci-dessous quelques exemples pour illustrer mon propos. Avec les enfants : il est possible de présenter le support éducatif Filles et garçons : cassons les clichés, livret pour les élèves de CP et CE12, et de les faire parler pour qu’ils évoquent librement les perceptions qu’ils ont du valeurs incorporées par le sujet au cours des processus de socialisations qui vont ensuite définir les pratiques du sujet. Faire débattre les adolescents sans précautions est risqué. En effet, ceux-ci aiment s’opposer, provoquer, et parfois ils sont prêts à défendre leur position radicale jusqu’à la caricature d’un positionnement non pas idéologique mais révolté, quitte à avoir des positions violentes. support de médiation proposé. Les enfants construisent leurs normes et leurs valeurs. Elles sont d’abord inculquées par la sphère familiale par le biais de ce que l’on nomme la socialisation primaire. C’est ensuite que l’enfant va confronter les éléments de cette socialisation à son groupe de pairs. Cette dimension passe souvent par l’école ou, pour les enfants accompagnés dans le cadre de la protection de l’enfance, cela passe parfois par des internats éducatifs ou des mesures en milieu dit « ouvert ». Il s’agit alors d’agir sur le collectif par le biais d’atelier d’échanges avec parfois un support de médiation éducative. Celui évoqué ci-dessus est proposé par la Ligue de l’enseignement et a été testé avec succès dans l’ensemble des écoles primaires de Paris. Cet outil est très intéressant car il englobe l’enfant dans son environnement familial. Il comporte en plus un livret pour le professionnel et un autre pour les parents, afin qu’ils soient guidés dans les actions à entreprendre. Cela n’est pas superflu tant les polémiques existent, non pas sur les actes éducatifs mais sur les intentions des professionnels à les faire. Avec les adolescents la logique de médiation va être différente. Ils ont déjà formé leur habitus. Comme le décrivait Pierre Bourdieu, il s’agit des normes et des Le prisme de l’intersectionnalité est, à ce titre, également intéressant et nous le retenons dans notre approche. L’intersectionnalité a été développée par Kimberlé Crenshaw, une universitaire américaine qui a étudié les formes de domination et de discrimination non pas séparément mais dans les liens qui se nouent entre elles. En partant du principe que le racisme, le sexisme et l’homophobie ainsi que les rapports de domination entre catégories sociales ne peuvent pas être entièrement expliqués s’ils sont étudiés séparément les uns des autres. L’intersectionnalité entreprend donc d’étudier les intersections entre ces différents phénomènes. Cette démarche est idéale pour évoquer le genre avec des adolescents. Ils sont souvent en butte aux inégalités sociales, n’ayant pas encore de place autonome dans la société, ils craignent d’être rejetés pour ce qu’ils représentent et pas pour ce qu’ils sont réellement. Il est donc possible ici d’utiliser des techniques faisant réfléchir le Sujet sur ce qu’il subit et aussi ce qu’il produit. L’outil présenté, La Clé 3D contre les discriminations : racisme, sexisme, homophobie3, conduit à la prévention de l’homophobie et du sexisme chez des adolescents. Pour ce faire on commence par visionner une scène raciste de refus de location d’appartement ; l’idée est de les faire réagir à cette injustice. Ensuite l’outil propose des images symboliques illustrant le sexisme ; il est là aussi possible de les inviter à réagir à cette « autre » forme d’injustice. La vidéo finit avec des témoignages de jeunes homosexuels lycéens qui expriment le rejet et la stigmatisation subis à l’école. L’idée générale de cet outil conçu à la base pour l’Île-deFrance et pour ce que l’on nomme les « banlieues » à forte dimension multiculturelle, est de dire aux adolescents : « Voilà ce que tu subis comme exclusions et voilà ce que tu produis comme exclusion. » Il est possible de permettre au Sujet de se décaler et de le faire réfléchir à partir des sentiments d’injustice qu’il vit, en l’interpellant sur le bourreau qu’il peut potentiellement être lui-même. Cet outil possède aussi un guide pour l’utilisateur. Cette clé est un outil formidable car il décloisonne les logiques LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016 21 de rejet et permet une mise à distance de ses propres ressentis pour ensuite permettre des parallèles entre notamment ces trois formes de rejets. C’est un outil très opérant avec un public d’adolescents qui vit lui-même le racisme. Par ce biais, ceux-ci peuvent prendre conscience que ce qui les fait parfois souffrir peut en faire souffrir d’autres par le biais du sexisme ou de l’homophobie. Avec les adultes on va agir encore d’une autre façon et proposer un autre type d’outil. Celui-ci est interactif et s’intitule : Ouvert : l’êtes-vous… vraiment ? 4 Un outil qui invite à faire réfléchir des adultes sur la question de l’homophobie et de l’acceptation des différences. Le sujet adulte a souvent bâti une enveloppe politiquement correcte pour accompagner socialement ses pensées, ses paroles et parfois ses actes. La dimension collective est ici moins nécessaire car l’adulte perd avec le temps les logiques de débat collectif. Il s’agit ici de l’impliquer pour le faire réfléchir, et en cela il est souvent nécessaire de bousculer le « politiquement correct » pour aller chercher à impliquer le sujet dans ses réflexions. Les situations présentées sont d’abord neutres et il faut cliquer pour savoir si « ça vous gêne », « un peu », « beaucoup » ou « pas du tout ». Cette graduation autorise des nuances en fonction des situations. Progressivement le support passe d’une situation neutre, deux hommes dans un abribus ou une personne trans qui fait ses courses, à une identification et une personnification des sujets proposés : « C’est votre frère, ça vous choque ? » ou « c’est votre collègue de boulot, ça vous choque ? ». L’idée est ici de faire réfléchir « honnêtement » le sujet à sa « véritable » ouverture. Il est donc possible d’éduquer aux différentes dimensions du genre par une ouverture à l’acceptation de l’autre. Cependant, on ne peut aborder les enfants, les adolescents et les adultes de la même façon. Les outils de médiation éducative associés au savoir faire des éducateurs et des éducatrices spécialisés dans l’animation de groupe peuvent permettre d’aborder les différences et d’interpeller les personnes pour qu’elles fassent évoluer leurs sentiments et leurs actes dans une volonté plus égalitaire. Prévenir, informer et faire réfléchir c’est éduquer soigneusement. Cette dimension mérite que l’on s’y attarde. 1. Laure BERENI in Laure BERENI et Mathieu TRACHMAN, Le Genre, théorie et controverses, PUF, 2014. 2.La présentation complète de cet outil dans : Mikael QUILLIOU-RIOUAL, Identités de genre et intervention sociale, Dunod, 2014, p.184185 ou auprès de La ligue de l’enseignement, Fédération de paris, 9 rue du Docteur Potain, 75019 PARIS, www.ligueparis.org. 3.La présentation complète de cet outil dans Mikael QUILLIOU-RIOUAL, Ibid., p.198-199 ou auprès du Crips Île-de-France : http://www. lecrips-idf.net/. 4.La présentation complète de cet outil dans Mikael QUILLIOU-RIOUAL, Ibid, p.200, ou webdoc du gouvernement du Quebec : http:// vraimentouvert.com/. 22 LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016 Un Refuge pour grandir et se protéger de tous les combats Frédéric Gal, directeur de l’association Le Refuge, formateur à l’IRTS du Languedoc-Roussillon1 Trop souvent, la population homosexuelle est rejetée et mise à l’écart malgré une amélioration du système législatif protégeant ces minorités. Face à cette situation de rejet et de souffrance, l’accompagnement social prend toute sa place. Ce sont les instances sociales que des jeunes rejetés et se retrouvant à la rue vont rencontrer. Assistantes de service social de secteur ou scolaires, conseillers d’insertion en missions locales, etc., vont être les premiers interlocuteurs d’un public en errance, à la recherche principalement d’une écoute, d’un toit, puis d’un emploi. Au-delà de l’aspect technique d’un accompagnement, c’est aussi une prise en compte de la spécificité du rejet lié à l’homosexualité, de ses conséquences pour le jeune, notamment sur ses capacités à se réaliser pleinement. Et là, force est de constater que la formation des travailleurs sociaux pèche par omission. Si les programmes de formation sont déjà (pour certains) assez inaudibles sur la question de la sexualité, celle de l’homosexualité est encore plus occultée, devenant même quelquefois taboue. Les conséquences de cette absence ou de ces lacunes au niveau de la formation ne sont pas des moindres. En effet, les acteurs du social devront trouver par eux-mêmes et en eux-mêmes les solutions à ces questionnements pourtant légitimes. Cela suppose que ces mêmes acteurs aient l’idée et l’envie de faire cette démarche volontaire. Cela suppose aussi, par ricochet, qu’ils puissent trouver des réponses à leurs interrogations. C’est ce que propose le Refuge par ses séances de sensibilisation et de formation en direction du personnel socio-éducatif, et c’est bien l’esprit de la convention signée en 2011 entre le Refuge et la Protection judiciaire de la jeunesse. L’homophobie familiale se manifeste de manière régulière par un rejet simple et catégorique… qui n’est quelquefois pas causé par l’annonce du jeune mais lorsqu’une connaissance vient le faire à sa place à sa famille. Lors de l’annonce par le jeune lui-même, trois réactions peuvent arriver : la joie (plutôt rare), la colère (qui signifie souvent, malgré la violence des mots, « je t’ai entendu ») et enfin le silence qui accueille la nouvelle… et le déni qui s’ensuit ; cette dernière étant la pire des réactions, celle qui dit « je ne t’ai pas entendu, je nie ce que tu es, je nie cette part de ton être ». La difficulté ressentie réside aussi dans la nonappartenance au groupe. De sortir de ce groupe hétéronormatif dans lequel tous les jeunes sont plongés : les garçons doivent aimer les filles, les filles doivent aimer des garçons. Tout jeune ne se reconnaissant pas dans ces situations ressentira comme une impossibilité à échanger, comme une sortie de la « norme »… et le pire résidera surtout dans une absence de soutien de la part de la famille au moment où elle doit jouer ce rôle essentiel de cocon protecteur et être un guide pour l’enfant. 23 L’homophobie, au-delà de l’insulte primaire, se situe dans un comportement quotidien visant à rabaisser et à stigmatiser quelquefois involontairement les personnes homosexuelles. C’est aussi passer sous silence l’évidence, c’est aussi nier une partie de l’identité de son enfant, le condamner à une remise en question perpétuelle pour une « simple » question de sexualité, voire, une question d’amour. Par conséquent, les jeunes qui découvrent leur orientation sexuelle non hétérosexuelle se retrouvent trop souvent rabaissés, désemparés et seuls à cause de l’image que la société renvoie de l’homosexualité et du peu d’information, voire de l’absence d’information, donnée à ce sujet, notamment dans leur environnement scolaire. La désapprobation du milieu scolaire est souvent couplée d’un rejet de la part du milieu familial. Ainsi, une étude américaine citée par Ryan et Frappier en 2000 révèle que 45 % des jeunes gays et 20 % des jeunes lesbiennes ont été victimes d’insultes ou maltraités. Il ressort d’ailleurs de l’étude américaine citée par Ryan et Frappier que près de 33 % de ces adolescents jettent un regard négatif sur eux-mêmes ou croient qu’ils n’ont pas autant de valeur que les autres personnes. La fréquence des dépressions est d’ailleurs nettement supérieure dans la population homosexuelle que dans la population globale : le Baromètre santé 2005 de l’INPES2 relève une prévalence de 10,4 % d’épisodes dépressifs caractérisés au cours des 12 derniers mois chez les homosexuels et bisexuels à comparer à 3,9 % chez les hétérosexuels. Or, l’homosexualité n’est pas un choix. Le sentiment d’inadéquation personnelle ou sociale et la difficulté de s’accepter comme étant d’orientation homosexuelle ou bisexuelle contribuent aussi à ce qu’un jeune entretienne une faible estime de lui-même. Tout cela entraîne un repli sur soi et un sentiment de solitude. Cette très faible estime de soi est due à l’image négative de l’homosexualité, aux rejets vécus, à la dépréciation quotidienne et aux difficultés de socialisation avec les autres jeunes et avec l’entourage en général. Cet isolement et cette mise à l’écart conduisent en premier lieu à une remise en question du jeune luimême, avec une perte de confiance en lui ainsi qu’un mal-être, conséquence de cette souffrance. Comment ne pas se poser la question d’être, ou pas, normal ? Ou si l’on entend que l’homosexualité est sans cesse anormale, comment ne pas y croire et finalement se dire que l’on vaut moins que ceux « qui sont normaux » ? Ceci est d’autant plus prégnant lorsqu’on l’entend de la personne qui vous a donné la vie. Ce mal-être débouche sur des conduites à risques plus importantes, d’autant plus fortes auprès de cette population. Les adolescents concernés disposent de peu de modèles auxquels se raccrocher et se construisent sans modèle positif. L’homosexualité est encore associée à une image négative, et les adolescents doivent composer avec cette réalité pour se construire une image positive d’eux-mêmes. L’absence de modèles positifs les conduit à un déni de leur propre personne et à une homophobie intériorisée qui peuvent entraîner le passage à l’acte. Ainsi, le taux de suicide chez les jeunes homosexuels n’est pas le résultat d’une particularité intrinsèque au sujet homosexuel, mais la réponse individuelle à une stigmatisation sociale négative. Les conduites addictives, prostitution, scarifications sont autant de témoignages « vivants » de la souffrance singulière de ces jeunes. Ici une mise en danger physique, là une volonté « d’écrire sa souffrance sur sa peau », ces comportements ne sont que des manifestations de l’homophobie intériorisée qui représente un véritable danger pour ces jeunes, car confrontés au rejet global de leur sexualité, de leur identité. Le jeune peut alors se placer, non pas dans la situation de personne « normale » rejetée par les autres, mais il va finalement penser que si les autres le rejettent, c’est que « eux » ont raison, et que « l’anormalité » vient bien de lui-même. Il faut donc la combattre, ce qui sous-entend se combattre soi-même. Les conduites évoquées plus haut ne sont que la mise en pratique de ce combat. Les tentatives suicidaires sont encore plus présentes durant cette période. Depuis treize ans, l’association le Refuge propose un accompagnement social et psychologique ainsi qu’une réinsertion socioprofessionnelle afin de permettre un accès à l’autonomie et un travail sur soi. Elle est composée de 13 salariés, d’équipes de bénévoles, de travailleurs sociaux, de volontaires du service civique, de stagiaires, tous issus d’horizon différents, mais ayant l’accompagnement social comme toile de fond de leur investissement. Le Refuge intervient aussi régulièrement auprès des professionnels dans le cadre de leur formation, et comme outil de réflexion sur leurs pratiques. 1. Auteur de Le Travail social auprès des victimes d’homophobie, Éd. ASH, 2013 2.F. BECK, P. GUILBERT, A. GAUTIER (dir.). Baromètre santé 2005 Attitudes et comportements de santé. Saint-Denis, INPES, coll. Baromètres santé, 2007. 24 La construction socio-sexuée des jeunes enfants Nicolas Murcier, responsable de projets à l’EFPP Cet article interroge la prescription aux enfants de normes de genre et examine la limitation du champ des possibles et l’inscription précoce des jeunes enfants dans des conduites normatives. De l’importance des espaces et des jeux Différentes recherches s’intéressent à l’influence de l’environnement social sur la construction de l’identité sexuée des jeunes enfants. Elles rendent compte notamment des processus conduisant ces derniers à adopter dès le plus jeune âge des rôles sexués. Les transformations de la société française au cours des soixante dernières années ont permis une réduction des inégalités entre les femmes et les hommes. Cependant, force est de constater le maintien d’inégalités et la persistance des assignations à revêtir des rôles sexués. On constate que les représentations sociales du féminin et du masculin se maintiennent durablement, conduisant les un.e.s et les autres à adopter des comportements, des attitudes conformes aux attentes sociales et à réaliser des activités normativement assignées aux individus en fonction de leur genre, réduisant ainsi le champ des possibles. Les établissements d’accueil pour jeunes enfants (EAJE) participent à proposer une socialisation différenciée et concourent à la permanence des inégalités entre filles et garçons, entre femmes et hommes et la perpétuation des stéréotypes sociaux de sexe en montrant aux enfants – filles et garçons – des rôles explicitement et/ou implicitement différenciés (Murcier, 2012). L’aménagement des lieux de vie, les propositions d’activités à l’adresse des jeunes enfants dépendent des conceptions des adultes (parents et professionnel.le.s). Ces dernières impactent nécessairement les habiletés cognitives et sociales et les potentialités développées par les jeunes enfants. L’activité ludique ne constitue pas une activité simple et naturelle mais découle tant des représentations sociales à l’œuvre et des pratiques culturelles d’une société donnée que du contexte matériel dans lequel évoluent les jeunes enfants (Almqvist et Brougère, 2000 ; Brougère, 1993 ; Coulon et Cresson, 2008 ; Farver, 1999 ; Gönçu, Mistry, Mossier, 2000). Le matériel ludique mis à la disposition des jeunes enfants leur permet notamment, au travers des jeux d’imitation et de faire-semblant, d’avoir accès à la compréhension de leur environnement, d’appréhender LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016 25 le monde, d’acquérir progressivement la capacité de s’y situer, de progressivement développer les facultés pour devenir auteurs de leur propre vie. On voit l’importance pour les jeunes enfants de la possibilité qui leur est offerte de pouvoir, au travers du jeu, occuper tous les rôles sociaux sans être limités en raison de leur genre. On remarque que très tôt les filles et les garçons vont avoir des préférences différenciées pour certains jouets et jeux. Cela correspond au fait que les enfants, filles et garçons, dès leur plus jeune âge, se conforment à ce qu’ils perçoivent être attendu de manière explicite ou implicite, à ce qui semble désirable en fonction de leur sexe. Les enfants ont tendance à réaliser ce que la société attend d’eux. Ce conformisme précoce aux attentes sociales découle, entre autres, de la socialisation proposée, des compétences et habiletés que chaque enfant développe, est encouragé à développer. Ces dernières sont largement dépendantes des attentes de l’environnement social, des propositions d’activités qui sont faites aux jeunes enfants en fonction de leur sexe. Les petites filles aiment jouer à la poupée… Les petits garçons également lorsqu’ils entendent que cela est possible. Il s’avère donc nécessaire tant dans la cellule familiale que dans les EAJE de permettre aux enfants de se saisir de la diversité possible du matériel ludique. Il faut ouvrir le champ des possibles de chaque enfant. En cela, parents et professionnel.le.s ont une responsabilité : celle d’autoriser les jeunes enfants, puis les enfants, à ne pas se conformer aux assignations en fonction du sexe. Une lecture adulto-centrée des jeux des enfants… Permettre aux enfants de se saisir de tous les possibles est complexe puisque lorsque l’enfant s’écarte de la norme, cela gêne, interroge. Les parents peuvent avoir peur de la mise à l’écart, de l’exclusion. Cela vient également heurter nos propres représentations de ce qu’est une femme, un homme, des rôles parentaux que l’on s’attribue suivant notre sexe. Dans les représentations sociales, l’homme n’est-il pas, encore, la figure de l’autorité et la femme celle de l’affection et du soin ? Pour les parents, ne pas limiter le choix des jouets et des jeux peut s’avérer compliqué. Davantage lorsque l’enfant est un garçon, car la société accepte mieux que les filles s’écartent du cadre normatif. Par exemple une fille qui joue aux petites voitures interpelle moins qu’un garçon qui joue à la poupée. Il y a toujours une injonction à la virilité adressée aux hommes depuis leur plus jeune âge. Pour un père, voir son enfant garçon jouer à la poupée peut ainsi être difficile, puisque souvent l’activité ludique de l’enfant est mise en lien avec une possible 26 LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016 orientation sexuelle à venir, avec la crainte massive de l’homosexualité, qui malgré les discours communs, demeure problématique. L’enfant, davantage lorsqu’il s’agit d’un petit garçon, est ainsi projeté dans un temps à venir, celui de son orientation sexuelle et du choix de son partenaire. La confrontation, pour un père, avec son petit garçon jouant à la poupée peut venir questionner sa propre virilité : « est-il un vrai garçon ? ». Un doute peut s’installer faisant immanquablement surgir une autre question : « moi qui l’ai engendré, suis-je un vrai homme ? ». Les contenus de la socialisation proposés aux jeunes enfants – filles et garçons –, au sein tant de la famille que des EAJE, participent activement à l’intériorisation de manières de faire, de se comporter, de penser, en adéquation avec les attentes sociales à l’adresse des filles et des garçons. Il n’y aurait pas de problème si l’on permettait aux filles et aux garçons de jouer avec n’importe quel jeu ou jouet. Le fait qu’on ne propose pas les mêmes supports de jeu aux enfants est problématique en ce qu’il ne va pas permettre le développement des mêmes compétences, et surtout que le critère utilisé dans la mise à disposition du matériel ludique aux filles et aux garçons n’est pas leur centre d’intérêt mais leur genre (Mosconi, 2003). Jouer à la poupée ne devrait ainsi pas être un passage obligé pour toutes les petites filles, comme la maternité n’est pas un passage obligé pour toutes les femmes (ce que la société tolère encore difficilement), et il ne devrait pas y avoir d’interdit, explicite ou implicite, de jouer à la poupée pour les petits garçons. Pour être en mesure, en tant que parents ou professionnel.le.s de proposer aux enfants de se saisir de toutes les opportunités ludiques, il convient donc de déconstruire la lecture adulto-centriste des jeux des enfants. … Et des relations amicales Il arrive fréquemment que les jeunes enfants disent être amoureux d’un pair. L’évocation par de jeunes enfants d’un sentiment amoureux interpelle les adultes (parents ou professionnel.le.s), les amuse lorsque un petit garçon dit être amoureux d’une petite fille ou réciproquement, les inquiète si ce même petit garçon dit être amoureux d’un autre petit garçon. Généralement il entend alors dire que cela n’est pas possible. Là encore, les adultes interprètent les propos de l’enfant d’un point de vue adulto-centriste et à l’aune du prisme hétéro-normatif. Alors que le jeune enfant ne parle pas d’un choix amoureux tel que l’adulte se le représente, il est projeté dans une orientation sexuelle dont il ne peut être question à son âge. Alors que les propos de l’enfant devraient être uniquement appréhendés par les adultes comme l’expression du développement par l’enfant des habiletés sociales (comportement, expression des sentiments, gestes…) et comme la monstration de la construction de ses relations à autrui, la lecture par les adultes le projette dans un temps à venir où ses relations à ses pairs sont sexualisées. Cela demande donc de questionner la signification des mots. Ce n’est pas parce qu’enfants et adultes utilisent les mêmes signifiants qu’ils expriment les mêmes choses. Le discours prescriptif interdisant aux enfants la possibilité d’être « amoureux » d’un enfant du même sexe s’avère également problématique puisque les enfants peuvent voir dans leur entourage des personnes de même sexe s’aimer, et que la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 a ouvert le mariage aux couples de personnes de même sexe. On imagine aisément l’implicite contenu dans l’interdit signifié aux enfants et qui désignerait les adultes du même sexe qui s’aiment comme « mauvais », participant de fait au renforcement de l’homophobie. On voit la nécessité dans la formation des éducateurs de proposer des espaces de réflexion permettant d’interroger les modalités de l’accompagnement socio-éducatif et de permettre le questionnement des représentations sociales à l’œuvre dans la société influençant les modalités du travail éducatif. On perçoit dès lors l’importance de réfléchir aux champs des possibles que l’on permet ou non. Finalement, si l’on veut que les enfants grandissent sur un pied d’égalité, on voit toute l’importance de déconstruire, dès la formation des futur.e.s professionnel.le.s, les assignations à l’adresse des jeunes enfants en fonction de leur genre. Bibliographie ALMQVIST, B., BROUGERE G. (2000) « Matériels ludiques et cultures pédagogiques dans le préscolaire : les exemples de la Suède et de la France », in S. RAYNA, G. BROUGÈRE (coord.) Traditions et innovations dans l’éducation préscolaire Perspectives internationales, Paris, INRP BROUGERE G. (1993) « La Signification d’un environnement ludique – L’école maternelle à travers son matériel ludique », actes du Premier congrès d’actualité de la recherche en éducation et formation, AECSE, Paris, CNAM, tome 2, p. 314-319 BROUGERE G. (dir.) (2000) L’insertion du jouet dans les rites et rituels de la petite enfance, Villetaneuse, Université Paris 13 COULON N., CRESSON G. (coord.) (2008) La Petite Enfance. Entre familles et crèches, entre sexe et genre, Paris, L’Harmattan FARVER, J.A.M. (1999) « Activity setting analysis : A model for examining the role of culture in development », in A. GÖNÇÜ (ed.) Children’s engagement in the world : Sociocultural perspectives, Cambridge, Cambridge UniversityPress GÖNCÜ A., MISTRY J., MOSSIER C. (2000) « Cultural variations in the play of toddlers », International journal of behavioraldevelopment, 24 (3), p. 321-329 KERGOAT D., (2005) « Rapports sociaux et division du travail entre les sexes », in M. MARUANI (dir.) Femmes, genre et sociétés. L’état des savoirs, Paris, La Découverte MOSCONI N. (2003) « Rapport au savoir et division socio-sexuée des savoirs à l’école », La lettre du Grape, n° 51, p. 31-38 MURCIER N. (2012) « Petite enfance et genre. Entre assignation au maternel et socialisation différenciée », Diversité, 170, p. 159-165. 27 Échos de la journée Lucie Guihard et Albane Truchelut, pour la promotion EJE 14 Pour nous, futurs éducateurs de jeunes enfants, cette journée a été l’occasion de réfléchir sur les évolutions de notre société et leur impact sur notre pratique. Tout d’abord, notre monde change et les normes aussi, de nouvelles compositions familiales accompagnent cette mutation. En tant que futurs professionnels de la petite enfance, nous avons pu ouvrir nos réflexions quant à l’accompagnement des familles et notamment autour des nouvelles compositions familiales qu’offre aujourd’hui notre société. Nous avons aussi pu rencontrer à cette occasion une personne transsexuelle et avons été ravis de l’avoir écoutée. Elle a pu nous faire partager son expérience, ses ressentis. En effet, nous avions certes tous entendu des 28 témoignages sur la transsexualité, mais cette journée nous a permis d’avoir en face de nous une personne physique, qui nous a parlé de ses motivations pour changer de sexe. Cela a eu un impact important pour nous. Il est vrai qu’il y a une différence entre savoir que la transsexualité existe, et rencontrer une personne transsexuelle : cela change notre regard. Nous avons tous relevé le fait qu’il a été courageux de sa part d’effectuer cette intervention. En outre, cette journée nous a permis de réaliser que les personnes transgenres et homosexuelles subissent de réelles violences, non seulement dans les propos mais aussi à travers les regards des autres. Par ailleurs, des thèmes tabous, évoqués dans le cadre de la formation et trop souvent écartés par peur de ce que qu’ils représentent pour chacun, ont pu être traités là et c’était très intéressant pour nous. Nous avons tous remarqué l’intérêt de participer à cette journée en dehors de notre cadre habituel (l’EFPP), puisque cette journée se déroulait dans les locaux du Palais de la Femme dans le 20e ; cela nous apporté une autre dimension, d’autres façons de voir les choses. Suite à ces différents témoignages, nous avons eu une prise de conscience sur ce que certaines personnes peuvent vivre, nous avons pu réaliser l’actualité de cette réalité qui touche une part non négligeable de la société. En formation pour devenir éducateur de jeunes enfants, il est vrai que même si cette journée a touché la plupart d’entre nous, certains se sont sentis moins concernés. En effet, à travers nos divers stages, nous n’avons pas tous été confrontés à de telles situations et nous avons donc du mal à réaliser, à nous projeter dans la réalité du terrain. Cependant, les interventions ont pu nous alerter et nous mettre au courant des divers publics que nous sommes susceptibles d’accueillir au travers des familles rencontrées. Il est important pour nous d’évoluer, de savoir accueillir des familles sans jugements, sans stéréotypes dans nos représentations. Qu’on le veuille ou non, nous sommes appelés à devoir nous ouvrir à un monde qui est en totale évolution. En ce qui concerne la question du genre, nous avons trouvé intéressant de découvrir d’autres pratiques, des outils tels que le fascicule1 mettant en image et en scène la famille « ours » et qui nous offre la possibilité de travailler avec les enfants la question des pratiques concernant l’égalité homme-femme. En effet, ce jeu donne un côté plus parlant, il est utile comme clé et outil car il n’y a pas de distinction de sexe nécessairement visible ; ainsi diverses questions ressortent comme : « Qui fait la vaisselle ? Le papa ours, ou la maman ours ? Qui s’occupe de ces tâches-là ? » Cette journée nous a interpellés et nous a fait réagir sur notre futur métier. Ces interventions nous ont rappelé le fait que nous accueillons les enfants et leur famille, et que cet accueil doit se faire sans jugement. De plus, cette question pose le cadre de notre future profession. En effet, nous sommes de futurs éducateurs de jeunes enfants, mais nous sommes avant tout de futurs travailleurs sociaux. 1. Cf. le livret Filles et garçons : cassons les clichés cité p. 20 LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016 29 VIENT DE PARAÎTRE Nicole Mosconi L’Harmattan, « Sexualité et société », 2016 De la croyance à la différence des sexes. Nous croyons savoir que les sexes sont différents. En réalité nous ne le savons pas, nous le croyons. La croyance à la Différence des sexes représente ce « nid de croyances » (Wittgenstein) qui affirme une différence essentielle entre les sexes et leur complémentarité sous laquelle se dissimule un ensemble d’inégalités entre les femmes et les hommes. Dieu, la Nature, la Science ont été invoqués par les sociétés pour donner un fondement transcendant et une légitimité absolue à cette croyance. Une pensée critique, appuyée sur les évolutions scientifiques actuelles, est nécessaire pour distinguer ce qui dans le sexe relève de déterminismes biologiques, et qui ne concerne guère que les mécanismes de la procréation et quelques caractères sexuels secondaires, et ce qui ressortit au champ du psychisme humain, de la culture et de l’histoire. La croyance à la Différence et à la dichotomie des sexes apparaîtra alors comme une « mythologie » qui se transforme selon les sociétés et les époques. Elle doit être questionnée et remise en question si l’on veut jeter les bases d’un mouvement vers l’avènement d’une égalité réelle, et non seulement formelle, entre tous les êtres humains. (Présentation de l’éditeur) Nicole Mosconi, professeure émérite en Sciences de l’éducation à Paris Ouest-Nanterre La Défense, ancienne élève de l’ENS Sèvres, agrégée de philosophie. A publié : La Mixité dans l’enseignement secondaire : un faux-semblant ?, PUF, «Le pédagogue», 1989 ; Femmes et savoir : la société, l’école et la division sexuelle des savoirs, L’Harmattan, 1994 ; Égalité des sexes en éducation et formation, PUF, 1998. 30 Le moment éducatif Philippe POIRIER Chronique sociale, 2016 Le pouvoir d’agir au risque de la rencontre Nicolas Murcier, responsable de projets et une condition partagées entre l’éducateur et l’usager, condition de notre humanité commune. Alors que nous sommes dans une société de la performance et du rendement, l’auteur nous invite à une réflexion sensible autour de l’être-ensemble, qui définit les pratiques quotidiennes tant dans le champ de l’éducation spécialisée que dans le secteur de la petite enfance. Cet être-ensemble est exigeant et impose à l’éducateur de s’y impliquer et de s’y risquer afin que la rencontre se produise et que chacun puisse développer des ressources partagées. Dans ce nouvel ouvrage, l’auteur poursuit sa formalisation de la notion de relationnalité, entamée dans Don et bientraitance : mobiliser les ressources fragiles1. À l’aide de nombreuses vignettes cliniques et de différents concepts et notions, Philippe Poirier nous convie à penser avec lui les moments éducatifs comme autant d’occasions de faire vivre « l’être-ensemble ». Dans cet ouvrage il est ainsi question de lien, de désir, de sollicitude, de confiance, de confrontation, d’autorité, d’engagement, d’éthique, de juste proximité, de clinique éducative, de projet éducatif, d’acte éducatif, de la mise en mouvement dans une histoire relationnelle de tous ces éléments… Cet ensemble a constitué le fil conducteur de la réflexion de l’auteur et de sa mise en tension avec son expérience professionnelle. Elle l’a conduit à utiliser la métaphore d’une toupie pour illustrer l’essai de modélisation de l’accompagnement socioéducatif proposé dans cet ouvrage. L’auteur développe sa pensée relative à la fragilité non comme un état dans lequel se trouveraient les personnes en situation de vulnérabilité mais comme une ressource Cet ouvrage vivant intéressera tant les professionnel. le.s que les étudiant.e.s ayant choisi de s’engager dans un métier de la relation. Il interroge la volonté d’agir pour le bien d’autrui, alibi trop souvent mis en avant, et convoque l’urgence pour l’éducateur de créer des liens qui délient, délivrent et autorisent. L’éducateur peut-il échapper à la question de l’enchevêtrement du donnerrecevoir pour espérer « nouer un lien qui libère », ne plus « savoir l’autre » mais apprendre avec et l’ouvrir à son pouvoir d’agir relationnel ? Cet ouvrage est une invitation à nous laisser toucher par la fragilité de l’autre et à accepter d’y voir le reflet de notre propre fragilité, permettant qu’aux détours de relations qui se tissent se produise la rencontre ouvrant à l’accompagnement. 1. POIRIER Philippe, Don et bientraitance : mobiliser les ressources fragiles, Chronique sociale, 2012 LES CAHIERS N°23 - PRINTEMPS 2016 31 L’EFPP VOUS INVITE AGENDA 2016 LES 14 ET 15 AVRIL PRATIQUES ÉDUCATIVES ET ÉVOLUTIONS SOCIÉTALES Jeudi 9 h 30 – 17 h Vendredi 9 h 30 – 12 h 30 Troisièmes Jase : journées de l’accompagnement socio-éducatif Co-organisées par l’EFPP et les éditions Chronique sociale. Conférences, débats et ateliers avec des auteurs Inscriptions : [email protected] SAMEDI 21 MAI LE FAIT RELIGIEUX : QUELLES MODALITÉS D’ACCOMPAGNEMENT SOCIO-ÉDUCATIF ? 10 h – 11 h 30 LUNDI 6 JUIN Matinale avec Sylvie Beaumont, formatrice, responsable de projets Inscriptions : [email protected] DES IDENTITÉS EN MOUVEMENT, LES MOUVEMENTS DU 9 h – 16 b 30 MÉTIER D’EJE Restitution de travaux de recherche-action par Isabelle Noël et Marie-Christine Talbot et présentation de l’ouvrage Le Métier d’éducateur de jeunes enfants : un certain regard sur l’enfant de Daniel Verba, en présence de l’auteur. Inscriptions : [email protected] – nombre de places limité PROGRAMMES DÉTAILLÉS DES MATINALES ET DES JOURNÉES SUR EFPP.FR – ENTRÉE LIBRE SUR INSCRIPTION L’EFPP ET LA FORMATION Formations initiales d’Éducateur spécialisé et d’Éducateur de jeunes enfants Prochaine rentrée septembre 2017, inscriptions à partir d’octobre 2016 Formation professionnelle préparatoire au Caferuis Prochaine session d’octobre 2016 à mars 2017, inscriptions en cours Prochaines sessions d’accompagnement VAE Inscriptions ouvertes de janvier à octobre 2016 (EJE) et de mars à novembre 2016 (ES) Formation continue Le service étudie toute demande de formation adaptée aux enjeux spécifiques de vos équipes éducatives et pluri-professionnelles, et des publics accueillis : • Analyse des pratiques professionnelles • Approfondissement de thématiques au choix • Accompagnement méthodologique aux écrits institutionnels • Autres… CONTACTS VAE/FC : [email protected] FI/Caferuis : [email protected]