Disparités des législations européennes et tourisme procréatique

Journal Identification = MTE Article Identification = 0362 Date: December 23, 2011 Time: 4:57 pm
Mini-revue
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2011 ; 13 (3) : 197-204
Disparités des législations européennes
et tourisme procréatique
Differences in European laws and reproductive tourism
Aviva Devaux
Service de Médecine et Biologie de la
Reproduction, CECOS de Picardie
CGO CHU d’Amiens,
124 rue Camille Desmoulins
80054 Amiens Cedex1
Histologie Faculté de Médecine Pierre et
Marie Curie
27 rue de Chaligny
75012 Paris
<devaux.aviva@chu-amiens.fr>
Résumé. La souffrance de ne pas avoir d’enfants est le motif principal du passage des frontières.
Le but escompté est de pouvoir bénéficier d’une assistance médicale à la procréation (AMP)
afin de mener à bien un projet parental que l’on ne peut pas obtenir dans son pays d’origine.
L’Espagne et la France ont été les premières à légiférer dans les années 1990. La loi franc¸aise
reste une des plus restrictives, depuis de nombreux pays ont opté pour réglementer cette
activité. L’AMP est autorisée dans les 27 pays de l’UE, mais l’encadrement des pratiques est
très variable d’un pays à l’autre. L’entrée du droit dans ce domaine de la médecine a abouti
à des disparités d’accès à ces techniques et aucune sanction n’a été prévue en cas de recours
à l’AMP dans un pays voisin. En l’absence de consensus sur le statut de l’embryon, c’est le
principe de subsidiarité qui s’est imposé. La compétence de légiférer dans le domaine de
la biomédecine relève des états d’où une grande disparité en fonction des fondements du
droit de chaque pays. `
A ce jour, il est remarquable d’observer qu’aucun pays n’a conféré le
statut «d’être humain »à l’embryon. On observe trois types de comportements : les pays
qui n’ont pas légiféré où les praticiens sont libres de leurs actes, ceux qui ont publié des
recommandations de bonnes pratiques rédigées par les professionnels et ceux qui ont mis en
place un dispositif législatif plus ou moins restrictif. Sans consensus international, l’AMP hors
frontières persistera et continuera à se développer. En dehors de celui-ci, ou tout au moins en
l’absence d’un encadrement des pratiques au niveau international, ce qui devrait représenter
un progrès pourrait peut-être devenir une régression sociale pour des populations plus fragiles.
Mots clés : AMP, tourisme médical, don gamètes, GPA, législation Europe
Abstract. The pain of not having children is the main reason for border crossing. The expected
goal is to benefit from a sense ART enable to carry out a parental project that one cannot get in
his home country. Spain and France were the first to legislate in the 1990s. French law is one
of the most restrictive and since then, many countries have opted to regulate this activity. ART
is allowed in the 27 EU countries but the management practices vary widely from one country
to another. The entrance of the law in this area of medicine has resulted in disparities in access
to these techniques and no sanctions were foreseen in case of use of ART in a neighbouring
country. In the absence of consensus on the status of the embryo, the principle of subsidiarity
has emerged. The competence to legislate in the field of biomedicine is the responsibility of
states, leading to a large disparity based on foundations of law in each country. To date, it is
noteworthy that no country has conferred the status of “human being” to the embryo. There
are three types of behavior: the countries that have not legislated where practitioners are free
to act, those who have published practice guidelines drawn up by professionals and those who
have put in place more or less restrictive legislative disposals. Without international consensus,
ART across borders will persist and will continue to grow. Apart from this, or at least in the
absence of a framework of international practice, what should represent a step forward could
become a social regression for most vulnerable populations.
Key words: ART, medical tourism, gamete donation, Europe law
La mondialisation des connaissan-
ces et des techniques médicales
est une caractéristique de ces der-
nières décennies. L’assistance médi-
cale à la procréation (AMP) avec
la maîtrise de l’étape de féconda-
tion in vitro n’a pas échappé à
ce phénomène. Le développement
d’un tourisme médical dit «tourisme
procréatif »est source de nombreux
débats et de questionnements en
raison de son impact tant sociétal
qu’éthique.
Pour autant le «tourisme procréa-
tif »est-il un «phénomène nouveau »
ou une évolution de l’offre de soins ?
Quel est l’objectif poursuivi par ces
candidats lorsqu’ils se rendent dans
doi:10.1684/mte.2011.0362
médecine thérapeutique
Médecine
de la Reproduction
Gynécologie
Endocrinologie
Tirés à part : A. Devaux
197
Pour citer cet article : Devaux A. Disparités des législations européennes et tourisme procréatique. mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie
2011 ; 13 (3) : 197-204 doi:10.1684/mte.2011.0362
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Mini-revue
un pays étranger ? Comment expliquer ce phénomène ? Y
a-t-il réellement un essor de ces pratiques ? Quels en sont
les enjeux ? Est-il possible d’inverser cette tendance ?
Du tourisme médical
à l’assistance médicale
à la procréation internationale
De tout temps, l’Homme, à la recherche de la vie
éternelle, recherche des moyens pour vivre le plus long-
temps possible. Dès, l’antiquité les riches et les puissants
s’entouraient de sages sachant soigner et guérir. Les
romains connaissaient déjà la vertu des bains thermaux.
Au xixesiècle, les stations thermales étaient un lieu de
villégiature et de soins. On y venait de toute l’Europe,
la tuberculose se soignait en allant à la montagne, etc.
Ces voyages étaient acceptés et représentaient un signe
extérieur de richesse.
Le développement des moyens de transport et de
communication a facilité l’accès aux connaissances scien-
tifiques et l’accès à distance aux traitements. Les patients
n’hésitent plus à se rendre dans les pays voisins voire
outre-Atlantique pour se procurer les moyens thérapeu-
tiques non disponibles dans leur pays d’origine. On a
vu émerger l’idée du droit à bénéficier pour tout un
chacun de la meilleure possibilité de se soigner. De la
recherche du soin, on a évolué progressivement vers un
droit à la santé qui s’est accompagné d’un passage des
frontières. Ce voyage médicalisé au-delà des frontières,
accepté depuis des siècles, concerne depuis quelques
années le champ particulier de la reproduction humaine.
L’AMP n’a pas échappé à la mondialisation médicale.
Les conséquences sur le plan sociétal, de la notion de
famille et sur la filiation expliquent la médiatisation du
sujet.
Dès la fin des années 1960, les mouvements fémi-
nistes ont milité pour la maîtrise de la fécondité et de
la mise sur le marché des premières pilules contracep-
tives. L’avortement est devenu un motif de déplacement
vers les pays autorisant l’IVG. Le terme de «tourisme
médical »a commencé à être prononcé. Le choix de ce
terme révèle le regard péjoratif porté sur ce comportement
très critiqué en raison de l’objet de ces déplacements et
du fonctionnement trop commercial adopté par certaines
cliniques étrangères qui organisait «des voyages en vue
d’IVG ».
Des trafics d’organes prélevés sur des donneurs vivants
en particulier aux Philippines ou en Amérique du Sud ont
été plusieurs fois dénoncés.
Le «tourisme procréatif »à partir des années 1980 s’est
invité dans ce contexte de débats. Cette expression est à
la base péjorative. Le tourisme est défini dans Le Larousse
comme l’action de voyager pour son plaisir et découvrir
de nouveaux pays ! Peut-on appliquer cette définition pour
une IVG ou une AMP voire une gestation pour autrui (GPA)
qui nous le savons sont des procédures douloureuses et
lourdes ? L’ambiguïté crée par la juxtaposition de ces deux
termes contradictoires traduit à la fois le malaise devant les
moyens utilisés pour réaliser un projet parental et proba-
blement le regard critique voire négatif pour certains sur
ce comportement de l’enfant à tout prix. Cela sous-entend
une certaine frivolité des candidats à l’AMP sans respect
pour les traditions, les codes moraux de la société et tout
au moins une certaine inconscience et immaturité.
Pourquoi ce malaise ? Probablement en raison de la
nature des actes réalisés qui touchent à l’embryon, à
la filiation et donc à la pérennité de notre espèce sans
oublier le comportement commercial de certaines socié-
tés internationales qui proposent des paillettes de sperme
ou des dons d’ovocytes. La procréation dispose encore
d’un caractère sacré dans la majorité des esprits. C’est un
acte sérieux et réfléchi qui est la base de la fondation de
la famille pour la majorité des personnes.
Pour pouvoir analyser ce phénomène sans a priori et
pouvoir en discuter sereinement, il est donc préférable
d’abandonner l’oxymore «tourisme procréatif »et de par-
ler d’AMP hors frontière ou de soins transfrontaliers ou
transnationaux.
Un projet d’enfant traduisant une
évolution sociétale : «le passage du
désir d’enfant vers un droit à l’enfant »
Chaque histoire est singulière, mais l’objectif recher-
ché en partant à l’étranger est la volonté d’avoir un enfant.
On observe en Europe comme dans le monde une évolu-
tion sociétale.
La souffrance de ne pas avoir d’enfant est le motif prin-
cipal du passage des frontières. Le but escompté est de
pouvoir bénéficier d’une AMP censée permettre de mener
à bien un projet parental que l’on ne peut pas obtenir dans
son pays d’origine. Cette douleur est connue. Les psycho-
logues des centres d’AMP savent la décrire et proposer des
prises en charge [1]. Qu’elle soit due à une infertilité où
à un choix de vie (monoparentalité ou homoparentalité),
cette souffrance existe.
Pour les couples infertiles, on parle d’infertilité en évi-
tant le mot stérilité en raison de son caractère définitif et
pour protéger le couple. Le membre du couple en cause,
ou le couple, est touché dans son incapacité de jouer le
rôle de maillon et de transmission transgénérationnelle.
Le deuil de la parentalité biologique est une étape que le
couple doit traverser avant de se tourner vers un don.
Pour les autres, l’évolution de la société ces 50 der-
nières années a modifié la définition de la notion de
famille. Une réorganisation de la cellule familiale avec les
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familles recomposées, la multifiliation, la famille mono-
parentale, l’homoparentalité sont aujourd’hui autant de
fac¸on d’être une famille. Une meilleure tolérance du vécu
d’une identité de genre différente de l’identité génétique
permet, dans certains pays, l’écoute de leur demande
et l’accès à l’AMP au titre de la lutte contre les dis-
criminations matrimoniales ou sexuelles. Mais dans de
nombreux pays, ces demandes ne peuvent être satisfaites
alors que l’AMP y est autorisée créant ainsi les «exclus »de
l’AMP.
Que ce soit pour des raisons médicales ou sociétales,
l’absence d’enfant lorsque le désir d’être parent existe est
vécue comme une souffrance, une mise à l’écart et une
«invalidité sociale ». C’est la réparation de cette douleur
que les candidats à l’AMP hors frontières espèrent trouver
quand l’offre de soin est insuffisante ou interdite dans leur
pays d’origine.
On dispose de peu d’études scientifiques sur les moti-
vations qui poussent les personnes à aller faire une AMP
dans les pays voisins. Un groupe de travail au sein de
l’European Society of Human Reproduction and Embryo-
logy (ESHRE) a tenté d’analyser ces comportements. Trois
situations se dessinent. La première, majoritaire jusque-
là, correspond à des motivations tout à fait légales. Il
s’agit de couples infertiles qui ne peuvent pas obtenir une
prise en charge dans leur pays du fait d’une offre de soins
insuffisante voire absente. L’âge des femmes joue un rôle
important et favorise le départ à l’étranger car l’horloge
biologique est un handicap. Certains centres en France
limitent la prise en charge en raison de l’âge de l’homme,
en dehors du fait que la prise en charge par la sécurité
sociale se termine le jour des 43 ans chez la femme. La
deuxième raison dépend des conditions d’accès à l’AMP
dans le pays d’origine. Si l’accès à l’AMP est réservé aux
situations d’infertilité, les autres motifs de demande d’AMP
sont récusés. Ces exclus de l’AMP partent alors à l’étranger.
On se retrouve dans une situation d’illégalité vis-à-vis du
droit de son pays d’origine mais l’acte lui-même n’est pas
pénalisé au retour. En revanche des problèmes de filiation
peuvent parfois se poser. Le dernier motif d’AMP transna-
tionale est lié aux conditions d’attribution des gamètes et
aux choix personnels des candidats receveurs. Ces situa-
tions sont observées en fonction du statut de l’anonymat
proposé, du choix du donneur ou de la donneuse ou cas
d’ethnie rare, d’une possibilité de don intrafamilial. La
GPA est également une indication récente du passage des
frontières.
La mondialisation de l’AMP et différentes législations
entraînent des disparités d’accès à l’AMP. Le fait qu’il
existe des pays où on est libre du choix de son mode
de procréation, en vertu de la lutte contre les discrimi-
nations matrimoniales ou sexuelles, les exclus vont là
où ils peuvent satisfaire leur désir de parentalité. Ainsi,
insidieusement on s’oriente d’un désir vers «le droit à
l’enfant ».
Les disparités législatives
et la mondialisation des techniques
sont le terreau de l’assistance médicale
à la procréation internationale
L’entrée du droit en médecine
La maîtrise de l’étape de fécondation in vitro chez
l’homme et la possibilité d’intervenir sur le génome ont
touché deux tabous : «la possibilité de créer un être
humain »et «la pérennité de l’espèce humaine avec
le risque de modifier son génome ». Ces bouleverse-
ments sont à l’origine d’interventions très médiatisées. Les
scientifiques se sont interrogés sur les conséquences et
le risque de dérives liés à leurs découvertes [2, 3]. La
société s’est emparée du débat. En France, les profession-
nels ont eux-mêmes estimé qu’il fallait un encadrement
définissant les choix de la société. Cela a abouti aux pre-
mières lois de bioéthique en 1994. Le droit s’est invité
dans le domaine de la médecine où, jusque-là, seul le
Code de déontologie et le serment d’Hippocrate régis-
saient les pratiques. L’Espagne et la France ont été les
premières à légiférer dans les années 1990. La loi franc¸aise
reste une des plus restrictives et depuis de nombreux
pays ont opté pour réglementer cette activité. L’AMP est
autorisée dans les 27 pays de l’UE, mais l’encadrement
des pratiques est très variable d’un pays à l’autre. Aux
États-Unis qui ne disposent jusqu’à présent d’aucune légis-
lation de nombreuses voix, tant scientifiques qu’issues
de la société civile, insistent sur la responsabilité de
la société dans les choix futurs et réclament un enca-
drement des pratiques. Le Costa Rica est le seul pays
à interdire l’AMP de fac¸on officielle. Ainsi, l’entrée du
droit dans ce domaine de la médecine a abouti à des
disparités d’accès à ces techniques et aucune sanction
n’a été prévue en cas de recours à l’AMP dans un pays
voisin.
Une absence de consensus en Europe
et le principe de subsidiarité
L’histoire nous montre que malgré toutes les actions
menées pour obtenir un consensus les disparités restent
importantes d’un état à l’autre. Entre 1985 et 1990, le
commission ad hoc d’experts sur les progrès des sciences
biomédicales (CABHI), le conseil de l’Europe et le Comité
national d’éthique (CCNE) ont fait des propositions qui ont
servi de base pour rédiger la loi de bioéthique de1994 en
France. L’absence de consensus sur le statut de l’embryon
explique l’échec du Conseil de l’Europe. C’est donc le
principe de subsidiarité qui s’est imposé. La compétence
de légiférer dans le domaine de la biomédecine relève
des états membres, d’où une grande disparité en fonc-
tion des fondements du droit de chaque pays. Le statut
de l’embryon, la place de l’individu et ses droits dans
la société, l’accès à l’AMP, le champ d’application des
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Mini-revue
lois sont autant de point de divergences entre les états
favorisant ainsi l’AMP transnationale.
Le statut de l’embryon : une pomme
de discorde dans le concert des nations
Le statut ou tout au moins l’incapacité de donner
un statut à l’embryon est en grande partie responsable
de l’échec d’une législation européenne commune dans
le domaine de la bioéthique. Les biologistes, les pen-
seurs, les philosophes et les représentants de la société
civile ont débattu sans succès pour définir ce qu’est un
embryon [4-7]. Le clivage va au-delà de l’appartenance
à ces groupes de réflexion. Il existe des biologistes et
des philosophes athées ou croyants et il est donc diffi-
cile d’obtenir un consensus quant au statut de l’embryon.
En fonction du poids des courants de pensée dans cha-
cun des états, des choix politiques différents ont été faits
[8, 9]. Les fondements du droit étant spécifiques d’un
état, les législations varient. Cependant, elles restent toutes
imprégnées de la morale judéochrétienne et des droits de
l’homme.
Au Royaume-Uni, l’embryon est considéré comme un
matériau jusqu’au 14ejour, la Belgique n’a pas statué sur
l’embryon ce qui se traduit par une gestion libérale de
ce domaine de la médecine. La France n’a pas donné de
statut à l’embryon, mais lui confère le droit au respect.
Il bénéficie ainsi d’une protection au titre de personne
potentielle [10-12]. N’étant ni une chose ni un être-vivant,
les actes pouvant être pratiqués sur l’embryon sont définis.
L’Allemagne, encore proche de son vécu lors de la der-
nière guerre mondiale et sans pour autant avoir attribué
un statut à l’embryon, a estimé qu’il peut se développer
dès la fusion des deux pronucléi. Dans ces conditions,
une protection équivalente à un être humain lui est confé-
rée. En Pologne, où l’influence catholique est forte, la
vie de l’embryon commence dès sa conception et il est
considéré comme futur humain. En Espagne, on parle de
pré-embryon jusqu’au 14ejour, puis d’embryon jusqu’à
deux mois et demi où il devient un fœtus. Au Danemark, la
vie commence dès la fécondation. Si l’on quitte l’Europe,
on observe que l’embryon n’a pas de statut aux États-Unis
et les pratiques se font dans le cadre de contrats. C’est
l’existence ou l’absence de statut qui est donc à l’origine
des disparités entre les pays et qui fait que telle ou telle
pratique soit autorisée ou non.
Quoi qu’il en soit, à ce jour, il est remarquable
d’observer qu’aucun pays n’a conféré le statut «d’être
humain »à l’embryon. On parle de vie, de potentiel, d’être
en développement, mais pas d’humain. Ainsi, chaque pays
a choisi de légiférer ou non. On observe trois types de
comportements : les pays qui n’ont pas légiféré où les pra-
ticiens sont libres de leurs actes, ceux qui ont publié des
recommandations de bonnes pratiques rédigées par les
professionnels et ceux qui ont mis en place un dispositif
législatif plus ou mois restrictif.
La cartographie de l’assistance
médicale à la procréation hors frontière
Si la partie technique de l’AMP s’est mondialisée, les
choix des états quant à la réglementation des actes autori-
sés, des conditions d’accès à l’AMP, du droit de la famille
quant à la filiation des enfants nés, de l’organisation des
soins, des contrôles et de l’évaluation des résultats, et de
la prise en charge du coût de l’AMP restent très disparates
et sont autant de causes de mouvements transfrontaliers
[13, 14].
Il est possible d’établir une cartographie de l’offre
internationale permettant de suivre les déplacements des
exclus de l’AMP. Les candidats à l’AMP ne manquent pas
d’ailleurs de le faire. Ils trouvent sur Internet tous les ren-
seignements nécessaires pour obtenir une prise en charge
non accessible dans leur pays d’origine. Cela ressemble
parfois à des catalogues touristiques ventant non seule-
ment les mérites du centre d’AMP et des propositions
disponibles, mais aussi la beauté de la ville concernée.
Certains organisent même le séjour entre le moment de la
ponction et le transfert embryonnaire. On peut distinguer
trois motifs à l’AMP hors frontière : les conditions d’accès
à l’AMP, les AMP avec tiers donneurs et la GPA.
Lorsque l’accès à l’assistance médicale
à la procréation est impossible ou interdit
Les pays qui réservent l’AMP aux couples infertiles se
sont en général dotés d’une loi. En France, la loi de bioé-
thique est l’une des plus strictes. L’AMP est réservée aux
couples hétérosexuels infertiles et l’intérêt de l’enfant à
naître est une préoccupation supérieure. Il en est de même
pour l’Italie, la Slovénie, la Norvège, la Suisse, le Portugal,
la Serbie Montenegro. En dehors de l’Allemagne qui
reconnaît le statut de «couple »aux homosexuels, ce qui
n’est pas le cas en France même en cas de signature d’un
PACS, l’AMP dans ces pays n’est pas autorisée pour les
célibataires hommes ou femmes ni pour les homosexuels.
Dans ce cas, l’accès à l’AMP peut être obtenu dans les pays
où le recours à ces techniques relève d’un choix personnel.
Dans cette optique, de nombreux pays n’ont pas légiféré
et se contentent de guides de bonnes pratiques ou de
réglementation cadre. Le principe du libre choix du mode
de procréation repose sur l’interdiction de toute discrimi-
nation sexuelle ou matrimoniale. C’est le cas en Grèce,
en Espagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Belgique
au Danemark en Russie au Canada, aux États-Unis en
Israël, en Suède et en Finlande. Ainsi l’homoparentalité
est acceptée sans que le principe du mariage ne soit forcé-
ment autorisé. Dans ces pays, il n’est pas nécessaire d’être
en couple. De plus, aucune limite d’âge n’apparaît claire-
ment dans leurs réglementations. Enfin, dans les pays où
la réglementation (voire où les centres eux-mêmes) défi-
nissent un âge limite de prise en charge que ce soit pour
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l’homme ou la femme, on observe un recours à l’AMP hors
frontière surtout si elle doit comporter un don d’ovocyte.
L’accès aux dons de gamètes ou d’embryons
Il est la conséquence directe du niveau d’offre de soin
et de la liberté du choix de son mode de procréation.
L’AMP avec tiers donneur est actuellement la princi-
pale cause d’AMP transnationale. Dans les pays qui se sont
dotés d’une loi, le recours au don de gamètes est en géné-
ral autorisé sauf en Italie en Turquie et en Tunisie où il est
interdit et où la filiation biologique est une nécessité. Mais
malgré tout, on observe de nombreux déplacements hors
frontières.
Les besoins en don de sperme sont à peu près couverts
en France sauf pour certaines ethnies. Les candidats au
don de sperme qui n’ont pas accès à l’AMP le sont pour
des motifs de célibat ou d’orientation sexuelle, dans ce
cas, ils se dirigent vers les pays qui l’autorisent. Il existe
actuellement des banques de spermes qui exportent des
paillettes dans le monde entier et il est même possible
de choisir un donneur pour son origine, son ethnie, ses
caractéristiques physiques ou intellectuelles.
En France, le don d’ovocyte est autorisé, mais
l’insuffisance de donneuses et de moyens dans les centres
engendre un recours majeur aux dons transnationaux
(80 % des dons). La quasi nécessité de disposer d’une
donneuse en vue d’un don croisé limite le nombre de can-
didates au don. Jusque-là pour être donneuse, il fallait être
mère et avoir moins de 37 ans. Lors de la dernière révision
de la loi en 2011, l’obligation d’être mère a été supprimée.
Cette modification a étonné nombre de professionnels qui
s’inquiètent sur les conséquences intrafamiliales de cette
décision, les petites sœurs devenant les candidates au don,
sans parler de la nécessité de conserver une partie des
ovocytes de la donneuse si elle est nullipare. Il n’est pas
évident que cette modification diminue les départs vers
l’Espagne la Grèce ou la Belgique où l’organisation du
don s’est développée depuis quelques années en partie en
raison de l’indemnisation ou de la rétribution et le recru-
tement de donneuses très jeunes dans les pays de l’Est.
Parfois, le don de sperme est autorisé alors que le don
d’ovocyte est interdit comme en Allemagne, en Autriche,
en Suisse, en Norvège et en Croatie. Le principe du droit
de l’enfant d’avoir une seule et même mère génétique et
gestationnelle prédomine. Dans ces pays, la congélation
embryonnaire n’est pas réalisée ce qui évite les embryons
surnuméraires. Seul un nombre restreint d’ovocytes est mis
en fécondation. Dans ce cas, il n’y a pas non plus d’accueil
d’embryon par un couple tiers.
Enfin, certains pays acceptent le don de gamète, mais
interdisent l’accueil d’embryon. C’est le cas du Portugal,
de l’Islande, de l’Azerbaïdjan, de la Slovénie. Il en est de
même pour le double don qui n’est pratiqué que dans peu
de pays.
Les principes éthiques des dons tels le volontariat, la
gratuité, et l’anonymat sembleraient également une cause
d’AMP transnationale. En France, basé sur le volontariat,
la gratuité stricte et l’anonymat, les dons ne sont pas l’objet
de mêmes restrictions à l’étranger. Le volontariat semble
être la généralité quel que soit le pays, mais cela reste
à prouver au vu de l’interprétation de la notion de gra-
tuité dans chaque pays. Pour la gratuité, il semble que
l’on joue parfois sur les mots. Est-il possible de parler de
volontariat si une indemnité est prévue ? En Espagne, une
indemnité pour les donneuses est fixée au niveau national
(900 euros). Le montant de celle-ci peut paraître dérisoire
pour les pays riches, mais constitue une manne pour les
pays en difficultés. On a vu ainsi se développer des réseaux
de dons d’ovocytes en Grèce et dans les pays de l’Est. Il
en est de même pour les GPA en Inde où aux États-Unis.
En Espagne, un des centres de Barcelone annonce plus de
2 000 tentatives de don d’ovocytes par an. Aux États-Unis,
ces pratiques sont totalement libres et font l’objet d’une
organisation commerciale par les centres d’AMP spéciali-
sés. Il existe même des femmes qui en font quasiment un
métier et en sont déjà à leur sixième GPA.
Le principe de l’anonymat a été au centre des dis-
cussions de la dernière loi de bioéthique en France.
Finalement, il a été maintenu. La notion du droit à connaî-
tre ses origines explique que de nombreux pays aient
décidé de lever l’anonymat. C’est le cas de plusieurs
pays européens comme le Royaume-Uni et la Suède. En
Belgique et aux États-Unis, les couples ont le choix. Cette
décision a entraîné une diminution de 80 % du nombre
de donneurs en Suède et les couples eux-mêmes préfèrent
aller au Danemark pour pouvoir bénéficier du maintien
de l’anonymat. De plus, le faible nombre d’enfants ayant
demandé la levée de l’anonymat fait craindre que le secret
sur le mode de conception ait augmenté. Au Danemark,
une banque de sperme intervient au niveau international
permettant une exportation de paillettes en direction de
45 pays.
Pour le don d’ovocyte, la Belgique autorise les deux
pratiques avec ou sans levée de l’anonymat, elle autorise
également le don intrafamilial. L’anonymat est donc un
motif de passage transfrontalier, soit parce que l’offre de
soin est absente ou insuffisante soit parce que les couples
peuvent choisir le mode de procréation.
L’accès à la gestation pour autrui
La GPA est probablement une des activités les plus
controversées. Le choix d’avoir recours à la fois à une
donneuse d’ovocyte différente de la gestatrice est souvent
privilégié. Ce mode de procréation pose des problèmes à
la fois juridiques et éthiques [15]. En France, les enfants
ne peuvent obtenir une filiation naturelle avec leur mère
même s’il s’agit de la mère biologique car elle n’a pas
accouché ses enfants. La GPA est interdite en France, en
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 13, n3, juillet-août-septembre 2011 201
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