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27 mars 2013
actualité, info
En Europe, souvent le droit
à se reproduire varie (1)
C’est une étonnante et bien riche communi-
cation. Elle vient d’être faite sous les ors de
l’Académie nationale française de médecine
par le Dr Françoise Shenfield (Reproductive
medicine unit, University College London).
Sujet : «Droit comparé en santé de la repro-
duction : un droit à se reproduire ? Une vision
européenne». Il s’agissait là, précise l’auteur,
de détailler la signification, à la fois «en droit
et en bioéthique» des droits en santé de la
reproduction au niveau européen. En n’omet-
tant pas d’établir une différence entre «droits
en santé de la reproduction» et «droit à se
reproduire ou à fonder une famille». Sans
oublier cet élément d’actualité, qui bouleverse
(quand il n’angoisse pas) les spécialistes du
droit comparé : l’émergence du phénomène
des «soins transfrontaliers de la reproduc-
tion», conséquence directe de l’inégalité de
ces mêmes droits sur le sol du Vieux Conti-
nent.
Pour le dire simplement cette présentation
propose un traitement à froid d’une contro-
verse méconnue du grand public et qui a
évolué pendant une période dite «de tran-
sition» entre les XXe et XXIe siècles. Cette
controverse est centrée sur la signification
des droits en santé de la reproduction : les
«droits reproductifs». «Ces droits sont men-
tionnés pour la première fois lors de la Con-
férence Internationale des Nations Unies sur
la Population et le Développement en 1994
au Caire, et comprennent maintes disposi-
tions qui permettent aux femmes d’avoir un
enfant quand elles le désirent : l’accès à la
contraception, l’interruption de grossesse,
les soins appropriés à la grossesse et à l’ac-
couchement» rappelle le Dr Shenfield. Elle
analyse quant à elle plus spécifi-
quement l’accès aux soins des pa-
tients infertiles dans différents pays
d’Europe, ainsi que la conséquence
de la mosaïque juridique interna-
tionale que constituent, dans ce do-
maine, les prises en charge spéciali-
sées transfrontalières.
Ces questionnements sont aujour-
d’hui for mulés trente ans après
l’émergence de cette révolution que
fut la mise au point de la technique
de la fécondation in vitro dans l’es-
pèce humaine par Robert Edwards
(prix Nobel de médecine 2010). On
observera incidemment que ces mê-
mes questionnements passent gé-
néralement totalement sous silence
le rôle que peut jouer l’homme dans
le projet de fonder une famille dès
lors que la médicalisation se révèle
sinon suffisante, du moins néces-
saire. La parité généralement (et fort
justement) revendiquée dans tous
les espaces de l’activité humaine
n’a pas véritablement ici droit de
cité. L’aura-t-elle jamais ?
Existe-t-il, précisément, un droit
(européen) à l’assistance médicale à
la procréation (AMP) parfois dé-
signée sous l’appellation «procréa-
tion médicalement assistée» ? Quelles
sont les significations respectives des
droits en santé de la reproduction et
des droits à la procréation ? Quelles
sont les différences européen nes en matière
de droit concernant l’AMP ? Quelles sont les
conséquences de ces différences en Europe ?
Qu’en est-il de ce point de vue du phéno-
mène des soins reproductifs transfrontaliers
(cross border reproductive care). On peut préfé-
rer cette formule à celle de tourisme procréatif
dont la connotation négative peut stigmatiser
les personnes con cernées et qui, plus que
pour faire du tourisme, s’absentent de leur
pays pour donner la vie.
Clef de voûte de cette problématique mo-
derne : le droit aux soins. Il se prolonge ici
par le droit à procréer, le droit à l’AMP. Pré-
caution : ne pas confondre avec le droit à ne
pas procréer ou encore le droit à procréer
sans risques évitables – on parle ici de «droits
en matière de santé de la reproduction» ou
«reproductive rights». Ils concernent surtout
le droit à la contraception, à l’avortement et
aux soins pendant la grossesse. C’est là un
terrain complexe. Car les progrès enregis-
trés en matière d’éducation, de plus grande
autonomie et de parité ne conduisent pas de
manière automatique à un contrôle toujours
point de vue
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conscient, plein et entier de la fonction repro-
ductive. Les spécialistes de la psyché humaine
de même que les sexologues et les gynécolo-
gues-obstétriciens pourraient ici écrire bien
des pages.
Selon le Dr Shenfield, l’obtention de droits
reconnus et inscrits dans la loi est souvent,
d’une manière générale, la conséquence d’une
volonté politique faisant suite à de nom-
breuses discriminations subies au cours des
siècles par les minorités respectives aux-
quelles ils étaient refusés. «Le parcours his-
torique de la reconnaissance des droits re-
connus aux femmes de nos jours en matière
de santé de la reproduction, qui date d’environ
une cinquantaine d’années, est comparable
à celui (…) concernant les minorités ethni-
ques des Etats-Unis, souligne-t-elle. Mais il
est bien sûr ironique de décrire la gente fé-
minine comme une minorité. Elle forme en
effet 50% de la population, sauf lorsqu’elle
est sélectionnée hors existence ou possibilité
de naître, au stade fœtal, grâce aux progrès
de la technologie moderne de l’échographie,
et ce particulièrement en Chine ou en Inde.»
Ainsi le droit «de se reproduire» ne fait-il
pas partie des «droits en santé de la repro-
duction». On pourra y voir le reflet du fait
que la stérilité (d’une personne, d’un couple)
peut ne pas être considérée comme une ma-
ladie mais comme une forme de fatalité. Y
voir aussi le fait que l’adoption peut être
perçue et présentée comme une forme sociale
de procréation. Il faut encore compter avec
les restrictions variées concernant l’accès à
l’AMP : elles font que l’exercice de droit com-
paré conduit à brosser le tableau d’une peu
banale mosaïque législative internationale.
On n’omettra pas non plus de sous-estimer
le poids de la religion catholique. La haute
hiérarchie de cette dernière s’est toujours
opposée officiellement et souvent de ma-
nière forte à tout compromis sur ce terrain.
L’interdiction absolue de toute interruption
volontaire de grossesse a été suivie d’inter-
dictions en cascade : celles de la manipula-
tion des cellules sexuelles humaines, de la
fécondation in vitro, de la congélation d’em-
bryons et plus généralement de l’ensemble
des techniques de l’AMP. Où l’on retrouve
la dimension extra-médicale de la stérilité
humaine. Et en l’état des données actuelle-
ment disponibles, il semble peu vraisem-
blable que le nouveau successeur de Pierre,
jésuite de formation, modifie notablement
les termes de l’équation.
Sans doute serait-il intéressant de doubler
la lecture du droit européen comparé en
matière d’accessibilité à l’AMP d’une grille
d’histoire des religions et de science politi que.
Et de ce point de vue, il apparaît bien vite
que la Grande-Bretagne demeure bien, déci-
dément, une île. Une île où le pragmatisme
a décidément force de loi. Et où les sujets de
la Reine peuvent disposer de leur corps sans
les quelques interdits qui peuvent encore
exister dans nombre des pays du Vieux Con-
tinent.
(A suivre)
Jean-Yves Nau
jeanyves.nau@gmail.com
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