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« LE CONTROLE DE CONSTITUTIONNALITE DES NORMES ET LA PROTECTION
DES DROITS FONDAMENTAUX EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO. »
Tentatives d’évaluation et perspectives.
Donatien MUNENE KABAMBA, Avocat au Barreau de Kananga et Assistant à
l’Université Notre-Dame du Kasayi.
INTRODUCTION
La présente réflexion va graviter autour de la question fondamentale de savoir
dans quelle mesure le contrôle de constitutionalité des lois et des actes ayant force de lois peut
contribuer au renforcement de la protection des droits fondamentaux en République
Démocratique du Congo. Il sera question de s’interroger sur les manifestations d’un tel
contrôle, sinon sur les difficultés qui ont entravé son application effective par l’organe prévu
pour sa mise en œuvre. Dans ce dernier cas, il nous reviendra la responsabilité de proposer les
voies de sortie.
Pour arriver à cette fin, il convient de faire l’état de la question avant de
démontrer l’intérêt d’une telle étude, mais aussi d’en délimiter le champ.
Depuis la Loi Fondamentale du 19 mai 1960 portant structure du Congo1,
jusqu’à la constitution du 24 juin 19672 avec toutes ses révisions en passant par celle de
Luluabourg du 1er août 19643, le contrôle de constitutionalité est toujours prévu.
En 1994, l’Acte Constitutionnel de la Transition du 09 avril tel que modifié par la loi
n° 95-004 du 06 juillet 1995 avait confié le contentieux constitutionnel à la Cour suprême de
Justice. Il y a à peine 10 ans, la constitution de la transition du 04 avril 2003 lui attribuait
également les prérogatives de nature constitutionnelle4.
Pour l’heure, la constitution du 18 février 2006 tel que modifiée à ce jour, en
précurseur du nouvel ordre politique et constitutionnel a fait des avancées significatives en ce
qui concerne notamment la saisine de l’organe de contrôle.
A la lumière de l’article 162 al. 2, toute personne peut saisir la cour
constitutionnelle pour inconstitutionnalité d’une loi ou de tout acte ayant force de loi.
Disposition intégralement reprise par la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant
organisation et fonctionnement de la cour constitutionnelle dans son article 48.
1Loi Fondamentale relative aux structures du Congo, MC, 1ère année, n° 21 bis du 27-28 mai 1960 pp.
22-23 et Ss
2MC, 8ème année n° 14 du 17 juillet 1967, pp. 549-576
3MC, 5ème année, numéro spécial du 1er août 1964
4Article 150, Constitution de la transition de la République Démocratique du Congo du 04/avril 2003,
Journal Officiel, 44ième année, Kinshasa, spécial 05/avril 2003
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Au regard de l’importance que le constituant accorde au contrôle de
constitutionnalité, nous convenons que son utilité pour la consolidation de l’Etat de droit et la
protection des droits fondamentaux n’est plus à démontrer. A ce sujet Pierre PACTET dit
exactement ceci : « en effet…, il ne peut y avoir d’Etat de droit si les partis ou la coalition au
pouvoir qui dirige l’exécutif, et dispose de la majorité parlementaire peut imposer par la voie
législative desmesures méconnaissant la constitution. Le contrôle de constitutionnalité est une
des conditions du respect de l’Etat de Droit et des libertés »5.
Francis DELPEREE dont la formule a été reprise par WETSHOKONDA
estime avec raison que le Juge constitutionnel a pour mission éminente « de défendre les
droits fondamentaux, ceux de l’homme et ceux du citoyen »6
Outre qu’il garantit le respect de la constitution, le contrôle de
constitutionnalité assure également une fonction régulatrice d’une importance considérable au
sein de l’Etat. Il constitue, comme l’a dit si bien Vivien MANAGOU, « un bouclier efficace
pour tout individudont les droits fondamentaux se trouvent protégés de toutes atteintes du
législateur»7. Il considère pour sa part que la cour constitutionnelle devra concourir à
l’enracinement de l’Etat de droit et à la protection des droits fondamentaux.
L’expression « droits fondamentaux » constitue quant à lui, un concept
d’origine assez récente pour la plupart des systèmes juridiques dans lesquels il n’a
pratiquement pas existé. Ceux des chercheurs qui ont contribué à faire connaître la notion ont
proposé de l’utiliser de manière commode pour désigner des droits et libertés qui n’étaient
plus seulement des libertés publiques « dès l’instant qu’ils recevaient une protection
constitutionnelle et internationale alors surtout que l’utilisation en droit international de
l’expression « fundamentalrights » renforçait » l’appellation de « droits fondamentaux ». Il
s’agit donc de considérer que l’expression « droits fondamentaux » signifie les droits et
libertés protégés constitutionnellement8. Cette définition donnée par KAMUKUNY nous
semble mieux adaptée à notre réflexion.
Les droits fondamentaux reconnus tant aux citoyens qu’à toutes les personnes
humaines ne peuvent être exercés avec un peu plus de bonheur que grâce à des garanties
autant politiques que juridictionnelles données à leurs bénéficiaires.
5PACTET (P.), Institutions politiques Droit constitutionnel, Paris, Armand Colin, 22ème éd., 2003
6DELPEREE (F.), cité par WETSHOKONDA « Le contentieux constitutionnel des droits de l’homme
du 18 février 2006 au 18 février 2011 » in www.memoireonline.com
7MANAGOU (V.), Les évolutions récentes du constitutionalisme en RDC. Mémoire pour le master 2
du droit public, transformation de l’Etat, session de juin 2009 ; Université de Géorgie-Pontoise ;
extrait de http://mémoireneline.com
8 KAMUKUNY MUKINAY (A), Droit Constitutionnel Congolais, Kinshasa, Editions Universitaires
Africaines, p. 308, 2011
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C’est dans cette perspective que la constitution de 2006 a prévu l’éclatement de
la Cour suprême de justice en trois juridictions (la cour constitutionnelle, la cour de cassation
et le conseil d’Etat) ; même si en réalité cet éclatement prévu dans l’article 149al.2 n’existe
que sur papier. L’installation d’une cour constitutionnelle pourtant inscrite dans toutes les
dispositions transitoires des différentes constitutions qu’a connues le pays voilà bientôt plus
d’un demi-siècle demeure un cocon de la chrysalide.
Il est à cet égard opportun de poser des jalons d’un véritable exercice de
contrôle de constitutionnalité des normes en vue de garantir la protection des droits consacrés
dans la Loi fondamentale. Mais, une telle étude présente-t-elle un intérêt ?
L’intérêt de la présente recherche réside dans la quête des structures
institutionnelles susceptibles de concilier le tempérament de la République Démocratique du
Congo celui tendant à privilégier la volonté du chef au détriment des textes, avec les
caractéristiques d’un Etat de droit qui passent inéluctablement par la possibilité offerte aux
citoyens de faire respecter par voie de recours juridictionnel la plénitude de leurs droits
garantis dans la loi Fondamentale.
Tant il est vrai, « la valeur de la protection constitutionnelle des droits
fondamentaux ne peut s’apprécier qu’au travers de leur application par le juge. Le rôle du
juge, surtout du juge constitutionnel, est hautement déterminant dans la protection des droits
fondamentaux ».9 Pour un pays dont l’ambition politique majeure semble être aujourd’hui la
consolidation de l’Etat de droit10l’intérêt de l’étude du contrôle de constitutionnalité garde son
évidence et demeure d’actualité.
En effet, il est difficile de consolider un Etat de droit sans système juridique
qui consacre la soumission de tous aux règles communes et institue un contrôle de conformité
des lois et des actes des gouvernants à la constitution.
9Babacar KANTE, « Les juridictions constitutionnelles et la régulation des systèmes politiques en
Afrique », in Constitutions et pouvoirs, Mélanges en l’honneur de Jean Gicquel,Paris,Montchretien,
2007, pp. 265-276.
10 Voir le Préambule, l’article 1eret le Titre II de la Constitution du 18 février 2006 tel que modifiée par
la Loi Constitutionnelle du 20 janvier 2011, lire également les articles 139, 149, 150, 160,162 de la
même Constitution sur le rôle de la Cour Constitutionnelle ; l’article 216 prévoit quant à lui le
contrôle de constitutionnalité des traités internationaux ou encore mieux le contrôle de
contrariété des traités.
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Comme le constate si bien WETSH’OKONDA, aux yeux de plusieurs auteurs,
la consécration des droits de l’homme dans les constitutions africaines ne sert qu’aux besoins
de la consommation extérieure. Ainsi, selon Luc Sinjoun, « L’esthétisation ou la stylisation
des droits fondamentaux participe de la distinction et relève du dispositif étatique de
séduction (…) On peut douter de l’effectivité de la constitution-carte de visite qui mobilise sur
le plan symbolique les signes de l’Etat de droit… »11.
Comme pour enfoncer les clous, Maurice KAMTO constate que l’ «élévation
des droits de l’homme au sommet de la hiérarchie des normes dans l’ordre juridique de l’Etat
est rassurante quant à l’importance accordée à ces droits et à leurs bénéficiaires, même s’il y
a lieu de craindre qu’il s’agit surtout d’une « opération de charme contagieuse » avant tout
destinée à rassurer les bailleurs de fonds internationaux et, de façon générale, à faire plaisir
à une Communauté internationale aussi pressante sur les principes que peu regardante sur
leur effectivité »12.
L’étude du contrôle de la constitutionnalité nous donne ainsi l’occasion
d’inspirer aux dirigeants et communautés de l’Etat congolais l’adhésion à un ensemble de
valeurs communes comme le respect de la constitution, des biens communs, des droits
fondamentaux, dont la promotion et la protection conduisent à la consolidation de l’Etat de
droit. Pour mener notre étude avec suffisamment d’efficacité et de lucidité nous
l’avons délimité dans le temps, dans l’espace et sur la matière.
Sur le plan temporel, la présente recherche couvre la période allant de 2006,
année marquée par l’instauration du nouvel ordre politique et constitutionnel à 2012, fin de la
première et début de la deuxième législature.
Quant à l’espace, il s’agit de la République Démocratique du Congo. Toutefois,
nous pourrons recourir régulièrement au droit comparé pour enrichir notre réflexion avec de
cas concrets tirés de la jurisprudence congolaise et d’ailleurs.
La matière porte comme nous l’avons démontré ci-haut, sur l’étude juridique
du contrôle de la constitutionnalité des normes comme moyen de protection des droits
fondamentaux en droit positif congolais, la jurisprudence y comprise.
A ce stade, il nous parait utile d’évoquer les méthodes d’approche auxquelles
nous avons eu recours pour mener à bien ces investigations.
11SINDJOUN (L.), Les nouvelles constitutions africaines et la politique internationale : contribution à
une économie internationale des biens politico-constitutionnels, Etudes internationales, Vol 26, n°2,
1995, p 334 cité par WETSH’OKONDA, op.cit. p5
12KAMTO (M.).,Charte africaine, instruments internationaux de protection des droits de l’homme,
constitutions nationales : articulations respectives, FLAUSS J-F. et LAMBERT-ABDELGAWAD E.,
L’application nationale de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, Bruxelles,
Bruylant, Némésis, 2004, p 36 cité par WETSH’OKONDA, op.cit. p.5.
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Marie-Anne COHENDET précise qu’ « en droit public une méthode de travail
n’existe pas, et quand bien même elle existerait ajoute-t-elle, elle risquerait de se muer en un
dogme sclérosant la pensée »13.Elle soutient qu’il existe des méthodes multiples (sémiotique
ou exégétique, systématique ou holistique, téléologique ou contextuelle, génétique,
fonctionnelle) variant selon la personnalité et les conceptions de chaque juriste et selon le type
d’exercice.
D’après Kaplan, « le propre de la méthode, est d’aider à comprendre au sens le
plus large, non les résultats de la recherche scientifique, mais le processus de la recherche lui-
même »14. Quant à l’élaboration des normes et l’organisation des institutions politiques et
administratives, le droit public implique parfois des analyses qui font recours aux méthodes
d’investigations proches de plusieurs disciplines scientifiques dites sciences sociales et en
particulier la science politique.
En notre qualité de juriste, nous mettrons un accent sur les textes
constitutionnels, les lois, les jurisprudences, les règles juridiques qui réglementent les
institutions visées dans l’étude du contrôle de constitutionnalité et des droits fondamentaux
en droit congolais.
Nous ferons ainsi recours à la méthode exégétique ou sémiotique, à la méthode
téléologique ou contextuelle, à la méthode génétique et à la technique documentaire. Nous
ferons également recours aux méthodes empiriques à l’instar des approches historique et
comparative.
La présente étude comprendra deux parties : la première dressera le portrait
juridique du contrôle de constitutionnalià travers les différents textes constitutionnels qui
ont gi la vie de l’Etat congolais. En réalité il s’agira de l’analyse du régime juridique du
contrôle en République Démocratique du Congo avant 2006 et bien après 2006.
La deuxième partie portera essentiellement sur la contribution du contrôle de
constitutionnalité à la consolidation de l’Etat de droit, mieux à la protection des droits
consacrés dans la Constitution du 18 février 2006. Pour y arriver, une évaluation du contrôle à
travers notamment les cas jurisprudentiels nous permettra de déboucher sur les difficultés de
sa mise en œuvre et les moyens de sa requalification, qui seront pour l’essentiel, les
perspectives pour un avenir prometteur.
13COHENDET (M-A), droit public. Méthodes de travail, 3ème éd. Montchrestien, Paris 1998, p.3
14Cité par GRAWITZ (M.), Méthodes des sciences sociales, 11ème éd. Dalloz, Paris 2001, p.15
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